Augmentation des stocks viticoles lors de la crise sanitaire
Question de :
M. Jacques Cattin
Haut-Rhin (2e circonscription) - Les Républicains
M. Jacques Cattin attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du ministre de l'action et des comptes publics, sur l'augmentation des stocks viticoles lors de la crise sanitaire. La fermeture et la désorganisation des marchés de commercialisation liées aux mesures mises en place pour lutter contre le covid-19 ont plongé de nombreuses exploitations viticoles dans une situation très préoccupante. La fermeture des cafés, hôtels, restaurants, le ralentissement, voire l'arrêt complet des exportations, ainsi que la baisse de la commercialisation de vin en moyennes et grandes surfaces, ont entraîné une chute des ventes atteignant parfois 90 % sur les mois d'avril et mai 2020 chez certains producteurs. De nombreuses exploitations vitivinicoles n'ont ainsi pu écouler la totalité de leur production dans des conditions normales et constatent une augmentation importante de leur stock. La distillation volontaire, par voie d'aides publiques, sur demande de la profession, permettra d'écouler une partie de ces stocks. Mais certaines régions viticoles et certaines exploitations ne souscriront pas à la distillation, notamment celles qui produisent des vins ayant un potentiel de commercialisation plus long, et qui n'ont pas vocation à être détruits. Pour ces exploitations, ces stocks supplémentaires entraîneront aussi une imposition supplémentaire qui risque d'aggraver leurs problèmes de trésorerie, alors que leurs finances sont déjà exsangues. S'il existe déjà un dispositif de blocage de la valeur des stocks viticoles, la « déduction pour épargne de précaution », son champ d'application est trop restreint. La profession viticole propose de mettre en place un dispositif fiscal exceptionnel de neutralisation de l'augmentation de la valeur des stocks sur option de l'exploitant. Ce dispositif ponctuel, d'application beaucoup plus large, permettrait à de nombreux producteurs de passer le cap des difficultés exceptionnelles liées à la situation actuelle. Aussi, il lui demande de bien vouloir soutenir cette demande dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificatives.
Réponse en séance, et publiée le 9 décembre 2020
FILIÈRE VITICOLE ET CRISE SANITAIRE
M. le président. La parole est à M. Jacques Cattin, pour exposer sa question, n° 1073, relative à la filière viticole et à la crise sanitaire.
M. Jacques Cattin. Ma question s'adresse au ministre de l'action et des comptes publics et concerne la fiscalité liée à l'augmentation des stocks viticoles engendrée par la crise sanitaire, malgré les mesures annoncées de soutien à la distillation et les baisses de rendement proposées par les instances viticoles régionales.
La conjoncture dramatique plonge de nombreuses exploitations dans une situation financière fort préoccupante, en raison d'une mévente sans précédent. La constitution de stocks très importants aura des conséquences négatives sur la trésorerie des entreprises du fait d'une imposition qui ne tient pas compte des ventes effectives, la fiscalité étant inadaptée à la situation. De même, le champ d'application de la déduction pour épargne de précaution – DEP – est trop restreint.
La profession viticole propose donc d'instaurer un dispositif fiscal exceptionnel de neutralisation de l'augmentation de la valeur des stocks, sur option de l'exploitant. Êtes-vous prêt à soutenir cette demande dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique. Tout d’abord, je tiens à rappeler que le Gouvernement a appliqué, depuis le début de la crise sanitaire, des mesures fiscales, sociales ou budgétaires sans précédent pour permettre à l’ensemble de nos entreprises de surmonter les difficultés nées de cette crise. Hors mesures d’exonérations sur les prélèvements obligatoires, le soutien à la filière viti-vinicole s’élève ainsi à 170 millions d'euros. Ces mesures, et celles à venir dans le cadre du plan de relance, doivent profiter à toutes les entreprises en difficulté.
Par ailleurs, vous l'avez évoqué, les spécificités liées à l’activité agricole sont déjà prises en considération dans le cadre des mécanismes en vigueur, qui permettent de répondre en grande partie aux préoccupations que vous évoquez. La prise en compte, dans le résultat de l’entreprise, de la variation de la valeur des stocks à la clôture de l’exercice est une règle applicable à toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité. Les charges incorporées à la valeur des stocks ne sont pas déduites l’année où elles sont engagées mais ultérieurement, au moment de la cession des stocks.
Toutefois, en matière de bénéfices agricoles, à cause de la rotation parfois très lente des stocks, le législateur a déjà prévu plusieurs dispositifs pour atténuer les conséquences fiscales de ce principe. Ainsi, les viticulteurs peuvent recourir au dispositif de blocage de la valeur des stocks à rotation lente, prévu par les dispositions de l'article 72 B bis du code général des impôts, qui autorise à comptabiliser les stocks de produits, jusqu'à la vente de ces biens, à la valeur déterminée à la clôture de l'exercice précédant celui au titre duquel l'option est exercée. En conséquence, les coûts de production de l’exercice ne sont pas pris en compte dans la valorisation des stocks, mais sont au contraire immédiatement déduits du bénéfice. Ce dispositif, applicable sur option de l’entreprise, concerne tous les produits dont la rotation des stocks excède un an et permet la déduction de tous les coûts de production de ces stocks l’année de leur engagement.
Ce dispositif est distinct de celui de la déduction pour épargne de précaution, même s’ils peuvent être cumulés. La DEP est un outil fiscal de gestion des risques et de l’investissement agricole ; elle autorise un exploitant à réduire son résultat imposable, sous réserve qu’il constitue une épargne de précaution en principe monétaire. Toutefois, pour répondre notamment aux besoins de la viticulture, ce dispositif permet de substituer à l’épargne monétaire les coûts de production afférents aux stocks à rotation lente.
Enfin, le mécanisme d’imposition selon la moyenne triennale permet d’atténuer la progressivité de l’impôt sur le revenu en cas de forte irrégularité des revenus, notamment dans l’hypothèse d’une variation positive exceptionnelle des stocks. Ces différents dispositifs sont déjà de nature à répondre à la préoccupation exprimée par la profession et il n’est pas prévu de mesure législative sectorielle supplémentaire, d’autant plus que la mesure proposée créerait une inégalité de traitement vis-à-vis d’autres entreprises qui ont pu, dans le contexte actuel, se trouver confrontées à des difficultés semblables.
M. le président. La parole est à M. Jacques Cattin.
M. Jacques Cattin. Vous évoquez différents dispositifs, mais votre réponse ne me convainc pas vraiment. J'ai cité l'exemple de la DEP : il s'agit certes d'une mesure intéressante, mais elle est très limitée. Elle est conditionnée par les règles européennes de minimis…
M. Julien Dive. Oui !
M. Jacques Cattin. …et s'applique exclusivement aux entreprises assujetties aux bénéfices agricoles, et non à celles, fort nombreuses, soumise à l'impôt sur les sociétés. De plus, la DEP est plafonnée, proportionnellement au bénéfice agricole : il existe quatre strates, avec un maximum de 41 400 euros. Surtout, la DEP ne résout aucunement le problème de besoin de trésorerie : pour activer ce dispositif, 50 % de l'épargne de précaution doivent impérativement être bloqués sur un compte bancaire, alors même que les disponibilités financières manquent.
Pasteur a écrit en son temps que le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ; Horace a dit que le vin, c'est la vie ; et nous, vignerons, disons que le vin est bon pour le moral : il en faut actuellement !
Mme Véronique Louwagie. Nous sommes tous d'accord avec ça !
M. Jacques Cattin. La viticulture, c'est des milliers d'emplois directs et indirects, de la vigne jusqu'à la table ; c'est l'œnotourisme avec des paysages magnifiques, l'Alsace, bien entendu, la Champagne, et bien d'autres régions ;…
M. Julien Dive. Le sud-ouest, cher au président Habib !
M. Jacques Cattin. …et c'est la gastronomie, la culture, la convivialité ! La filière vin fait également la fierté de notre pays, elle produit du chiffre d'affaires, fournit des devises et verse des taxes importantes, que nous avons toujours assumées – il en faudra, pour alimenter les caisses de l'État… Monsieur le secrétaire d'État, vous savez ce qui vous reste à faire dans le troisième projet de loi de finances rectificative : je compte sur vous ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme Véronique Louwagie. Très beau plaidoyer !
Auteur : M. Jacques Cattin
Type de question : Question orale
Rubrique : Impôts et taxes
Ministère interrogé : Action et comptes publics (M. le SE auprès du ministre)
Ministère répondant : Action et comptes publics (M. le SE auprès du ministre)
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 juin 2020