Question orale n° 1089 :
Une prime pour les professions ayant travaillé lors de la crise sanitaire

15e Législature

Question de : M. François Ruffin
Somme (1re circonscription) - La France insoumise

M. François Ruffin interroge M. le Premier ministre sur le versement de la « prime covid » aux différentes professions ayant travaillé lors de la crise sanitaire et n'étant pas concernées par le dispositif actuel.

Réponse en séance, et publiée le 1er juillet 2020

PRIME COVID-19 POUR LES PROFESSIONS AYANT TRAVAILLÉ LORS DE LA CRISE SANITAIRE
M. le président. La parole est à M. François Ruffin, pour exposer sa question, n°  1089, relative à la prime covid-19 pour les professions ayant travaillé lors de la crise sanitaire.

M. François Ruffin. Magali, agent d'entretien, nous écrit : « Bonjour. Pendant le confinement, je suis allée travailler et j'ai laissé mon enfant de neuf ans seul toute la journée. J'ai pris des risques pour ma santé. Pas un euro de prime, aucune reconnaissance, aucune récompense. »

Stéphanie : « Je suis assistante maternelle. Je n’ai pas cessé mon activité durant le confinement. L’État a bien su nous rappeler que nous étions indispensables pour garder les enfants des "travailleurs indispensables" durant cette crise. Et, bien entendu, aucune prime ni aucun remerciement. »

Juliette : « Je suis auxiliaire de vie. J'ai travaillé pendant la totalité du confinement avec la peur au ventre. Durant un mois, l'entreprise n'avait pas de masques pour nous. Juste après, le 13 mai, je me suis effondrée. "Je vous donne quinze jours d'arrêt", m'a dit la toubib. "Non, pas quinze jours, c'est trop long", ai-je protesté, "cela va surcharger les journées de mes collègues." La médecin a répondu : "Quinze jours minimum." Mon entreprise vient d’annoncer une prime de 80 à 100 euros. 100 euros ! C’est une prime de mépris, je n'en veux pas. Qu'ils se la gardent. »

Gaëlle : « Je témoigne pour ma maman. Elle est employée chez un Carrefour Contact. Au début du confinement, elle et ses collègues travaillent sans protection. On leur demande un peu de patience, et, surtout, on leur promet la prime de 1 000 euros… la fameuse ! Son magasin étant considéré par le groupe Carrefour comme une "location-gérance", ma mère et ses collègues ont reçu une prime de 150 euros brut – brut ! Pour des semaines de travail dans des conditions minables, ça ne fait pas cher le héros. »

Maxime : « Ambulanciers, nous intervenons en urgence, mandatés par le SAMU. Nous avons acheminé des patients atteints du covid-19 pendant des mois, et nous continuons à le faire. Sous prétexte que nous sommes dans le secteur privé, nous n’avons pas le droit à la fameuse prime. »

Sébastien : « Je suis chauffeur routier. Pendant le confinement, j'ai livré les magasins Auchan tous les jours. Le patron ne nous a pas lâché de prime, disant qu'on devait déjà être heureux d'avoir pu travailler et toucher nos salaires entiers. Fini les héros, on est redevenus les routiers qui font chier sur la route. »

Le 13 avril dernier, le Président de la République annonçait, solennel : « Il faudra nous rappeler que notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Et le premier signe de reconnaissance, de rémunération qu’il offrait, c’était cette prime covid-19.

Franchement, elles ne me plaisent pas, ces primes Macron : les primes gilets jaunes ou covid-19 sont dignes d’un manager de chez McDo qui récompense le meilleur employé du mois. Mais, enfin, tel est votre choix.

Comment allez-vous faire pour que toutes les travailleuses, tous les travailleurs déclarés "indispensables à la nation", qui ont continué à œuvrer durant cette période, touchent cette prime ?

Comment allez-vous faire pour maintenir de l’égalité, quelle que soit la taille de l’entreprise, quel que soit le secteur ?

Comment allez-vous faire pour que Magali, Stéphanie, Juliette, Maxime, Sébastien et les milliers d’autres ne soient pas exclus ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes. Très attaché à la possibilité de favoriser le pouvoir d'achat des salariés les moins rémunérés, le Gouvernement a instauré, en décembre 2018, une prime exceptionnelle qui a connu un grand succès et qui a été reconduite en 2019. Les primes versées du 28 décembre 2019 au 30 juin 2020 sont exonérées de toutes les cotisations et contributions sociales, ainsi que de l'impôt sur le revenu.

Par cette mesure, les pouvoirs publics encouragent le partage de la valeur au sein de l'entreprise par la conclusion d'accords d'intéressement.

Au vu de la crise sanitaire, nous avons pris, dès le 1er avril dernier, une ordonnance qui a permis de faciliter le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat et de l'étendre jusqu'à fin août 2020. Nous voulons reconnaître ceux qui ont été particulièrement mobilisés dans le cadre de l'épidémie, car, comme le montrent les exemples que vous avez donnés, leur travail a été essentiel pour assurer notre vie collective, notamment pour s'occuper des personnes âgées et des enfants.

Ces dispositions permettent à toutes les entreprises de verser cette prime exceptionnelle exonérée, jusqu'à 1 000 euros, de cotisations et contributions sociales et d'impôt sur le revenu sans condition de mise en œuvre d'un accord d'intéressement. Pour les entreprises couvertes par un accord d'intéressement, ce plafond d'exonération est relevé à 2 000 euros.

En outre, la possibilité de conclure un accord d'intéressement est reportée jusqu'au 31 août 2020, ce qui permet aux entreprises que vous venez de citer de le faire, et ainsi d'augmenter la part redistribuée à chaque salarié, sans cotisations ni impôts sur le revenu.

Nous avons aussi permis de moduler le montant de la prime afin de tenir compte des conditions de travail liées à l'épidémie, et en particulier de reconnaître le travail des salariés présents sur leur lieu de travail pendant cette période.

Le critère de présence des salariés dans l'entreprise, qui détermine l'éligibilité à la prime, peut être apprécié à la date de l'accord ou de la décision unilatérale de l'employeur. Pourront donc bénéficier de l'exonération les salariés présents au moment du versement de la prime, ou bien ceux présents à la date du dépôt de l'accord auprès des DIRECCTE ou de la signature de la décision unilatérale.

Ce que nous voulons faire, monsieur le député, c'est bien encourager le partage de la valeur et donner du temps aux entreprises – elles ont jusqu'au 31 août pour signer ces accords d'intéressement pour tenir compte du fait qu'elles n'ont actuellement que peu de visibilité, et relever le plafond.

Nous voulons encourager un partage de la valeur afin que chacun – quel que soit son rôle dans l'entreprise, notamment s'il est particulièrement exposé – puisse bénéficier du fruit de son travail. C'est une vision gaulliste de l'intéressement et de la participation.

M. le président. La parole est à M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Franchement, tout votre baratin ne dit pas si Géraldine, Sabrina et leurs collègues, qui font le ménage à l'hôpital d'Amiens pour le sous-traitant ONET, vont toucher la prime. En fait, ils ne vont pas la toucher parce que l'entreprise ONET a décidé de ne pas la verser, alors que les employés de l'hôpital, qu'il s'agisse des soignants ou du personnel des ateliers et des bureaux, vont la toucher – et tant mieux pour eux, car ils la méritent largement ! La prime dépend de la bonne volonté de l'entreprise.

Pour ce qui est du partage de la valeur ajoutée, votre politique est un échec complet : l'an dernier, le montant des dividendes versés aux actionnaires des entreprises cotées au CAC 40 a atteint 49,2 milliards d'euros, un record historique.

Données clés

Auteur : M. François Ruffin

Type de question : Question orale

Rubrique : Entreprises

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 juin 2020

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