Organisation de la justice des mineurs dans l'Allier
Question de :
Mme Bénédicte Peyrol
Allier (3e circonscription) - La République en Marche
Mme Bénédicte Peyrol attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le sujet de l'organisation de la justice des mineurs dans les territoires ruraux. Lors d'une récente interview au JDD, le garde des sceaux déclarait : « Je veux réconcilier les Français avec leur justice, leur redonner confiance. C'est pourquoi je parle d'une justice de proximité. Je propose que, dans certaines parties du territoire, ou dans des cas particuliers, on amène le juge à se déplacer plutôt que le justiciable ». Le département de l'Allier a la particularité d'être tricéphale et possède une organisation autour de trois grandes villes, Moulins, Montluçon et Vichy. Tout logiquement, les tribunaux judiciaires du département sont répartis selon cette disposition et se situent à Moulins, Montluçon et Cusset, à proximité de Vichy. Ce legs de l'histoire a une influence importante sur l'organisation de la justice, et particulièrement la justice des mineurs. Aujourd'hui, le juge des enfants est basé à Moulins (56 kilomètres de Cusset, soit une heure en voiture et 30 minutes en train et une fois arrivé à Vichy, il faut prendre un bus ou 10 minutes en voiture ; 70 kilomètres de Montluçon, 1 heure 10 en voiture et pas de déplacement en train possible) alors même que cet arrondissement représente plus de 40 % de l'activité du juge des enfants de Moulins. Cette organisation a des conséquences directes sur les droits à la défense des familles. Un certain nombre renoncent tout simplement à ce droit essentiel au motif qu'elles n'ont pas les moyens de se déplacer à Moulins. Parfois, ce sont les avocats qui covoiturent directement les familles. Cette situation est tout simplement insupportable en France, en 2020. Lors des débats budgétaires pour le projet de loi de finances pour 2021, une attention toute particulière a été portée sur la mission « justice », notamment parce que l'année 2021 devrait servir à mettre en œuvre la loi de la programmation de la justice que la crise de la covid-19 a directement percutée. Selon les documents budgétaires à la disposition des parlementaires, il est indiqué que les crédits de la mission justice vont augmenter de près de 10 % pour l'action « Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité ». Par ailleurs, on peut lire dans le projet annuel de performance de cette même mission justice « l'année 2021 sera celle de la justice de proximité ». Aussi et parce que les intentions et les crédits semblent être là, elle souhaiterait connaître les mesures concrètes qui seront mises en œuvre afin de faire de l'année 2021 celle de la justice de proximité pour les familles du bassin de Vichy.
Réponse en séance, et publiée le 25 novembre 2020
JUSTICE DES MINEURS DANS L'ALLIER
Mme la présidente. La parole est à Mme Bénédicte Peyrol, pour exposer sa question, n° 1129, relative à la justice des mineurs dans l'Allier.
Mme Bénédicte Peyrol. Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur la justice de proximité, en particulier celle qui concerne les enfants. Lors de l'une de vos premières interviews en tant que ministre, vous déclariez au Journal du dimanche : « Je veux réconcilier les Français avec leur justice, leur redonner confiance. C'est pourquoi je parle d'une justice de proximité. Je propose que, dans certaines parties du territoire, ou dans des cas particuliers, on amène le juge à se déplacer plutôt que le justiciable. » C'est la députée d'un de ces territoires qui vous interroge aujourd'hui.
L'Allier a la particularité d'être un département tricéphale puisqu'il comporte trois tribunaux judiciaires, respectivement à Moulins, à Montluçon et à Cusset – proche de Vichy. La géographie de ce département a eu une influence très importante sur l'organisation de la justice. Ainsi, le juge des enfants est basé à Moulins, soit à plus de cinquante kilomètres de l'arrondissement judiciaire de Vichy alors même que ce dernier représente plus de 40 % de son activité – 40 % provenant de l'arrondissement de Montluçon et 20 % seulement de celui de Moulins. Une telle organisation a des conséquences directes sur le droit à la défense des familles : un certain nombre d'entre elles renoncent tout simplement à se déplacer jusqu'à Moulins – parfois, les avocats les amènent au tribunal par covoiturage. Je suis certaine que vous considérez comme moi qu'une telle situation est insupportable en 2020.
Nous sommes en pleine période de débats budgétaires, et j'ai relevé qu'au sein de la mission « Justice », l'action « Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité » a augmenté de près de 10 %. On peut aussi lire dans le projet annuel de performances de cette mission que « l’année 2021 sera celle de la justice de proximité ». Mais ce ne sont pas des crédits supplémentaires que je sollicite, monsieur le garde des sceaux : il faut que le juge des enfants puisse se déplacer de Moulins jusqu'à l'arrondissement judiciaire de Vichy et éventuellement, puisque la situation est la même, jusqu'à celui de Montluçon. Je sais que rétablir des audiences foraines n'est pas aussi simple, mais cette option n'est-elle pas envisageable ?
Monsieur le garde des sceaux, l'année 2021 sera-t-elle celle de la justice de proximité pour les familles du bassin de Vichy ?
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Oui, madame la députée, 2021 sera l'année de la justice de proximité. Vous avez eu raison de le rappeler, j'ai dit souhaiter que les Français soient plus proches de leur justice et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette déclaration soit en conformité avec la réalité à venir.
Vous avez souhaité attirer particulièrement mon attention sur l'organisation de la justice des mineurs dans le département de l'Allier. Vous savez que le tribunal pour enfants connaît, dans les conditions définies par l'ordonnance du 2 février 1945, des contraventions et des délits commis par des mineurs, ainsi que des crimes commis par ceux âgés de moins de 16 ans. Le juge des enfants, quant à lui, connaît des délits et des contraventions de cinquième classe commis par tous les mineurs et est également compétent en matière d'assistance éducative, d'actions de protection judiciaire à l'égard des mineurs émancipés ou des majeurs jusqu'à 21 ans, ainsi que pour toute mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial. La liste de ces tribunaux et leur ressort est fixée par le code de l'organisation judiciaire. La compétence territoriale du juge des enfants correspond donc à celle du tribunal pour enfants. Au 1er janvier 2020, on dénombrait 155 tribunaux pour enfants, dont onze en outre-mer – sept dans les départements et quatre dans les collectivités d'outre-mer.
Le tribunal pour enfants de Moulins est compétent sur l'ensemble du département de l'Allier. Vous avez très justement rappelé que son ressort géographique couvre ainsi ceux des tribunaux judiciaires de Cusset, de Montluçon et bien sûr de Moulins. Il compte trois postes localisés – un juge des enfants et deux vice-présidents au tribunal pour enfants – qui sont actuellement pourvus. À noter qu'au cours de l'année 2020, une attention particulière a été portée aux effectifs de ce tribunal de façon à pourvoir l'ensemble des postes localisés puisque l'un des postes de vice-président, vacant depuis un an, a été pourvu en transparence annuelle 2020 pour une arrivée effective le 1er septembre dernier, et celui de juge des enfants pourvu en remplacement par l'affectation d'un auditeur de justice ayant pris ses fonctions le même jour. Par ailleurs, il convient d'indiquer que les effectifs des magistrats du parquet sont également tous pourvus dans les trois tribunaux judiciaires de l'Allier.
S'il n'est pas possible de déterminer avec précision l'activité judiciaire du département à partir de considérations géographiques telles que les vôtres, il n'en reste pas moins vrai que ce département dispose d'une localisation de trois postes de magistrats en conformité globale avec l'évolution de son activité. En effet, sur une période cinq années, de 2015 à 2019, l'assistance éducative a connu une très nette augmentation du nombre des affaires nouvelles – + 86 % – et des mesures prises ou renouvelées – + 32 % – tandis que l'activité pénale du juge des enfants et du tribunal pour enfants est restée relativement stable tant en matière d'affaires nouvelles – - 1 % – que de mineurs présentés – - 5 %.
Fruit de la recherche d'un équilibre entre l'exigence de bonne administration et l'impératif de proximité, impératif renforcé s'agissant de la justice des mineurs, la carte judiciaire des tribunaux pour enfants permet ainsi une couverture du territoire adaptée aux singularités de la matière. Plusieurs dispositifs d'organisation judiciaire introduits par le pouvoir réglementaire permettent, parallèlement à l'implantation des juridictions, de renforcer la proximité de la justice. Les juridictions judiciaires, notamment pour mineurs, peuvent ainsi tenir des audiences foraines sur l'ensemble des communes de leur ressort. Il appartient donc, sur votre département, au chef de cour – en l'espèce la cour d'appel de Riom – de fixer, en fonction des nécessités locales, de telles audiences afin de favoriser le suivi des mineurs et de renforcer la présence de l'institution judiciaire là où c'est nécessaire.
J'espère avoir complètement répondu à votre question, madame la députée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Bénédicte Peyrol, pour une brève intervention parce que le temps est déjà largement dépassé.
Mme Bénédicte Peyrol. Je remercie M. le ministre d'avoir apporté ces précisions et me rapprocherai donc de la chef de cour de Riom pour évoquer avec elle ce sujet. Je pense à ces enfants et à leurs familles qui ont aujourd'hui des difficultés à avoir accès à la justice.
Auteur : Mme Bénédicte Peyrol
Type de question : Question orale
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 novembre 2020