Question orale n° 1261 :
Politique de lutte contre l'illettrisme adaptée à la diversité des bénéficiaires

15e Législature

Question de : M. Philippe Bolo
Maine-et-Loire (7e circonscription) - Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés

M. Philippe Bolo interroge M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur les dispositifs de formation visant à renforcer la lutte contre l'illettrisme. Les statistiques chiffrent en effet à deux millions cinq cent mille le nombre de citoyens français souffrant d'illettrisme. Or une grande partie de ces citoyens ne se résignent pas à cette condition et souhaitent rompre l'isolement induit par cette situation, en étant appuyés par des politiques publiques adaptées. Pourtant, plusieurs constats révèlent des points faibles du système actuel de lutte contre l'illettrisme. En premier lieu, le statut de la personne apparaît comme le critère d'accès à la formation : les formations ciblant les demandeurs d'emploi, les salariés ou les allophones alors que cette prédominance du statut est inappropriée et sélective dans la mesure où elle écarte ceux qui sont dans d'autres situations, à l'instar des femmes au foyer ou des retraités. En second lieu, la facilité d'accès aux formations diffère sensiblement d'un territoire à l'autre : inexistante dans certains territoires, ruraux notamment, elle impose une mobilité qui peut s'avérer complexe et coûteuse. En troisième lieu, le format des formations présente lui aussi des imperfections avec des volumes horaires insuffisants ou des méthodes pédagogiques inadaptées aux situations individuelles, situations qui sont pourtant porteuses d'un niveau particulier autant que d'une adaptation individuelle à l'illettrisme et qui nécessiteraient une approche également individualisée. Aussi, au regard de ces insuffisances identifiées, il l'interroge sur ses ambitions quant aux cadres, méthodes, partenaires et moyens qui permettraient de généraliser les formations adaptées à la situation propre de chacun et les rendraient accessibles en tout point du territoire national.

Réponse en séance, et publiée le 17 février 2021

LUTTE CONTRE L'ILLETTRISME
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bolo, pour exposer sa question, n°  1261, relative à la lutte contre l'illettrisme.

M. Philippe Bolo. Ils sont 2,5 millions pris au piège de l'engrenage de l'exclusion ; ils sont 2,5 millions à ressentir la crainte du regard des autres et les humiliations d'une situation dans laquelle ils sont enfermés : ils sont 2,5 millions à connaître le fléau de l'illettrisme. J'ai eu la chance de les rencontrer à Ombrée d'Anjou et d'écouter les difficultés quotidiennes de Claudie, d'Yvette ou de Christophe ; j'ai perçu que leur histoire n'a pas été celle qui devrait être réservée à chaque enfant, conjuguant bienveillance, affection et protection. Au-delà des récits froids et sombres de leurs difficultés personnelles et des racines de leur souffrance, j'ai aussi ressenti la chaleur et la lumière de leurs aspirations, de leur détermination à se séparer de ce fardeau, à reconquérir la connaissance des lettres, la signification des mots et des phrases, à s'ouvrir de nouveaux horizons, enrichis par l'écriture et par la lecture. Partout en France, ils sont nombreux à vouloir prendre une revanche, à vouloir rompre avec l'isolement, à vouloir apprendre à lire et à écrire, mais, malgré leur nombre, ils sont freinés dans leur projet.

Madame la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, cela m'amène à vous interroger sur la politique de lutte contre l'illettrisme. Plusieurs constats révèlent en effet certains points faibles du système actuel : le statut social apparaît comme le principal critère d'accès aux formations, privilégiant les demandeurs d'emploi, les salariés ou les allophones. Cette priorité du statut est sélective, elle écarte d'autres candidats, notamment les femmes au foyer et les retraités. L'offre de formation diffère sensiblement d'un territoire à l'autre ; rare dans certains territoires ruraux, elle impose une mobilité qui peut s'avérer complexe et coûteuse. Le format de formation présente lui aussi des imperfections, avec des volumes horaires insuffisants ou des méthodes pédagogiques inadaptées.

Ainsi, madame la secrétaire d'État, ma question porte sur le cadre, les méthodes, les partenaires et les moyens capables de généraliser les formations, en tout point du territoire national, sans distinction de statut, pour permettre aux personnes en situation d'illettrisme de retrouver leur place dans la société et d'envisager leur avenir avec sérénité.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement. Le Gouvernement est pleinement investi dans la lutte contre l'illettrisme, afin que tous maîtrisent les compétences de base, parce que c'est nécessaire pour que la société pose un regard bienveillant sur ces personnes et pour donner les moyens à tous nos concitoyens de s'insérer socialement, culturellement et professionnellement.

Comme vous le savez, on peut aujourd'hui se trouver en situation d'illettrisme après avoir, au fil de la vie, désappris à lire, à écrire, à compter, à cause d'acquis trop fragiles ou insuffisamment ancrés. C'est pourquoi le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports mène une action volontariste de prévention de l'illettrisme, qui consiste d'abord à mettre l'accent, durant toute la scolarité, sur l'acquisition des savoirs fondamentaux, afin que tous parviennent à l'aisance suffisante, en lecture et en écriture, pour autoriser l'insertion, pour conserver durablement le goût et la maîtrise de l'écriture et de la langue, afin d'éviter de désapprendre et de se retrouver dans une situation de difficulté, voire d'exclusion ou d'isolement.

Les adultes en situation d'illettrisme, dont vous avez presque dessiné le portrait-robot, sont plus difficiles à repérer, parce que ce sujet est encore tabou dans notre pays. Le statut, avez-vous observé, est le premier frein à l'accompagnement vers la formation. La situation de ces personnes demande une prise en charge spécifique et des formations adaptées, très différentes de celles proposées aux allophones, par exemple. Les actions concernées engagent de nombreux autres ministères, particulièrement celui du travail, de l'emploi et de l'insertion ; les travaux menés avec le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales tracent aussi un chemin, car ils portent un regard bienveillant sur l'ensemble des parcours de vie ; les ministères des outre-mer et des collectivités territoriales apportent enfin leur pierre à l'édifice, tout comme les opérateurs de compétences que sont les acteurs du monde de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle.

Tous sont impliqués dans le renforcement de l'action de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, laquelle, c'est une première étape, a été pérennisée. Une enquête nationale de l’INSE permettra de dresser un état des lieux beaucoup plus précis, pour chaque territoire, afin de mieux répondre aux besoins. Le réseau des chargés de mission régionaux de lutte contre l'illettrisme, piloté par cette agence, vient conforter et accroître notre capacité à lutter contre ce fléau.

Le ministère de l'éducation nationale est directement engagé pour faire accéder les adultes en situation d'illettrisme aux compétences de base. Au cours de ces dernières années, le réseau des GRETA – groupements d'établissements – et des GIP FTLV-IP – groupements d'intérêt public formation tout au long de la vie-insertion professionnelle – a massivement participé à la réalisation de programmes, que les pouvoirs publics, les entreprises et les OPCO – opérateurs de compétences – ont appliqués dans le cadre de la lutte contre l'illettrisme, pour faire acquérir ces compétences clés. Le ministère y veille de manière très volontaire. Le maillage territorial articule les échelles nationale, régionale et académique, afin de disposer de correspondants qui développent et coordonnent l'ingénierie des prestations nécessaires pour accompagner chacun, sur son territoire, en fonction de sa situation propre et non pas de son statut, dans l'acquisition des compétences clés. Monsieur le député, cette mission mobilise l'ensemble des acteurs institutionnels – collectivités territoriales, instances régionales, OPCO, entreprises et, évidemment, le Gouvernement, pleinement engagé en faveur de sa réussite.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. Merci, madame la secrétaire d’État, pour votre réponse détaillée. Il ne faut pas oublier les associations locales et leurs bénévoles – je sais qu'elles vous sont chères. Elles faciliteront en effet la détection des personnes concernées et l'installation du maillage territorial auquel vous avez fait référence.

Données clés

Auteur : M. Philippe Bolo

Type de question : Question orale

Rubrique : Illettrisme

Ministère interrogé : Éducation nationale, jeunesse et sports

Ministère répondant : Éducation nationale, jeunesse et sports

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 février 2021

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