Artificialisation des sols et PLUI futurs et en cours de révision
Question de :
M. Jean-Michel Clément
Vienne (3e circonscription) - Libertés et Territoires
M. Jean-Michel Clément attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur le projet de loi portant « lutte contre le dérèglement climatique ». Dans sa version sortie de commission, il prévoit à son article 48 de compléter l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme par une disposition qui tend à limiter l'artificialisation des sols et à aboutir à terme, à l'absence de toute artificialisation nette de ceux-ci. S'il est vrai que le pays a mis du temps à prendre conscience que la consommation d'espaces devait aussi participer d'une réflexion collective et responsable pour en limiter les excès, l'adoption de cet article ne manquerait pas d'inquiéter les collectivités locales. En effet, l'objectif d'aboutir à une absence de toute artificialisation nette des sols suggère que toute extension d'un périmètre construit ou viabilisé soit compensée par un terrain d'égale superficie à qui on rendrait la vocation de celui qui aurait changé sa destination. Un décret en Conseil d'État doit fixer les conditions d'application de l'article qui serait ainsi adopté, en établissant une nomenclature des sols artificialisés en fonction de leur occupation et de leur usage, ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée. Cet article ne manque pas d'interroger les collectivités locales dont les PLUI sont en cours de révision ou dont de futures modifications sont envisagées, notamment par les nouvelles équipes sorties des urnes lors du renouvellement des conseils municipaux de 2020. Il en est ainsi des communautés de communes en milieu rural qui ont élaboré entre elles des Scot, envisageant un légitime accroissement de leur population. Cette augmentation du nombre d'habitants prend appui sur un développement économique que la pandémie vient de relancer, avec un retour vers ces territoires de nouvelles implantations d'entreprises et à l'heure où de nouvelles dynamiques en matière de production agricole apparaissent à travers les projets alimentaires territoriaux. M. le député demande à Mme la ministre quelles sont les consignes que son ministère donnera aux services de l'État dans la période intermédiaire actuelle d'une part, mais aussi dans la perspective des modifications en cours ou à venir pour les PLUI d'autre part ? Les collectivités locales rurales qui cherchent à rendre compatibles leurs légitimes ambitions avec les règles d'urbanisme participent à leur échelle au plan de relance. Quelles assurances le Gouvernement peut-il leur donner aujourd'hui afin de les associer aussi à un aménagement harmonieux du territoire ? Les collectivités locales ne sauraient être une variable d'ajustement de cette ambition pour préserver les espaces ruraux, quand de surcroît on parle encore de construire une autoroute entre Poitiers et Limoges, contre l'évidence déjà admise d'y renoncer. Il souhaite connaître son avis sur le sujet.
Réponse en séance, et publiée le 7 avril 2021
STRATÉGIE DE LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION DES SOLS
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour exposer sa question, n° 1387, relative à la stratégie de lutte contre l'artificialisation des sols.
M. Jean-Michel Clément. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la transition écologique. Je souhaite en effet revenir sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et plus particulièrement sur son article 48, qui prévoit de limiter l'artificialisation des sols.
S'il est vrai que notre pays a mis du temps à prendre conscience que la consommation d'espace nécessitait une réflexion collective et responsable pour en limiter les excès, la probable adoption de cet article ne manque pas d'inquiéter les collectivités locales. Celles-ci sont déjà confrontées à de fortes restrictions en matière d'étalement urbain lors de l'élaboration de leur PLU – plan local d'urbanisme – ou de leur PLUI – plan local d'urbanisme intercommunal. Elles se voient même parfois priver de toute possibilité d'ajout de nouvelles constructions, même un modeste garage sur une parcelle déjà construite.
Dans ce contexte, l'objectif d'aboutir à une absence de toute artificialisation nette des sols sonne pour ces communes comme la fin de toute expansion, les condamnant ainsi à l'agonie. Plus de nouveaux habitants, plus de jeunesse, plus d'enfants, plus d'écoles : voilà ce qui menace les communes rurales et le monde rural.
Un décret en Conseil d'État doit fixer les conditions d'application de cet article et établir une nomenclature des sols artificialisés. Cependant, les collectivités locales dont les PLU sont en cours de révision ou qui envisagent de les modifier sont très légitimement préoccupées. Alors qu'une augmentation du nombre d'habitants est attendue dans les territoires ruraux à la suite de la pandémie et que le recours au télétravail est en train de devenir le quotidien de nombre de nos compatriotes, allons-nous arrêter cette dynamique ?
Quelles consignes seront-elles données aux services de l'État au cours de la première phase d'application de l'objectif de fin de l'artificialisation des sols et concernant les modifications en cours ou à venir des PLU et PLUI pour que ces derniers ne se transforment pas en sanction suprême pour les maires ? Quel espoir comptez-vous leur redonner, ainsi qu'au monde rural dans son ensemble ? Et quelles assurances le Gouvernement peut-il donner aux collectivités locales, au moment où se joue leur avenir, afin de les associer à un aménagement harmonieux de leur territoire et d'éviter qu'elles ne soient une variable d'ajustement de l'ambition de lutte contre l'artificialisation des sols ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports. Vous interrogez Mme la ministre de la transition écologique qui, ne pouvant être présente, m'a chargé de vous répondre. Le projet de loi climat et résilience fixe un objectif quantifié ambitieux : atteindre une absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. Pour ce faire, le texte prévoit un objectif intermédiaire de division par deux du rythme de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années suivant la promulgation de la loi par rapport aux dix années précédentes.
Avec ce projet de loi, nous repensons donc nos modes d'urbanisation. Nous voulons recréer des formes urbaines plus denses, donnant accès à nos concitoyens à des services et à des commerces de proximité et apportant davantage d'urbanité et de lien social, tout en permettant de conserver une qualité de vie et des espaces verts.
Vous l'avez évoqué, nous devons aussi encourager la valorisation et la reconversion d'espaces pour l'agriculture dans le cadre des projets alimentaires territoriaux. Le projet de loi prévoit ainsi l'intégration progressive de cet objectif dans les SRADDET – schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires –, puis dans les schémas de cohérence territoriale et les PLU et PLUI. Le texte prévoit aussi qu'il soit tenu compte des efforts déjà réalisés dans les documents d'urbanisme depuis la loi ALUR – loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové – grâce à des mesures transitoires.
Vous avez également insisté, à raison, sur l'importance des communes rurales dans la relance de l'économie et notamment du secteur de la construction. Le plan de relance permet en effet d'encourager et d'accompagner les collectivités dans la réhabilitation de terrains pour y installer logements et activités et dans la rénovation de bâtiments vacants, notamment en mobilisant le fonds friche, doté de 300 millions d'euros.
Enfin, vous avez évoqué les infrastructures, qui ont un impact sur la consommation d'espaces. S'agissant des projets d'envergure nationale ou régionale, il faudra évidemment en tenir compte à une échelle large, celle d'une région, du périmètre d'un SCOT – schéma de cohérence territoriale – ou d'un PLUI, et donc de chaque commune. Les modalités d'application prévues dans le projet de loi, qui reposent sur la déclinaison territorialisée de l'objectif dans les outils de planification, vont pleinement dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément.
M. Jean-Michel Clément. J'entends votre réponse et nous avons bien compris la nécessité de maîtriser l'artificialisation des sols. Toutefois, comme je l'ai dit, cette légitime préoccupation suscite de l'inquiétude. Chacun est évidemment convaincu de la nécessité de maîtriser l'étalement urbain, ce que nous faisons aujourd'hui mieux que par le passé. En tant qu'élu de province, monsieur le ministre délégué, vous mesurez cependant la différence qui existe entre Limoges et Bellac ou d'autres villages de votre circonscription. Les élus ruraux se demandent si de nouvelles maisons d'habitation pourront être construites sur leur territoire. Chaque jour, je m'entretiens avec un élu à qui un habitant a dit qu'il ne pouvait pas construire.
Les règles issues de la loi ALUR sont déjà strictement appliquées et risquent donc d'être renforcées, ce qui pose un problème de fond dans nos campagnes. Cette inquiétude était ressortie du grand débat et je ne voudrais pas qu'elle continue d'être exprimée. Au fond, c'est la vie dans nos villages qui est jeu. Quand les écoles ferment, c'est qu'il n'y a plus d'enfants. Et sans constructions nouvelles, il n'y aura plus de jeunes habitants pour en avoir. C'est une spirale infernale à laquelle nous sommes confrontés : nous allons encore opposer monde rural et monde urbain, alors même qu'ils ont intimement besoin l'un de l'autre pour vivre.
Auteur : M. Jean-Michel Clément
Type de question : Question orale
Rubrique : Aménagement du territoire
Ministère interrogé : Logement
Ministère répondant : Logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 mars 2021