Plan de relance aéronautique
Question de :
M. Jean-Paul Lecoq
Seine-Maritime (8e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Jean-Paul Lecoq attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur le plan de relance de l'industrie aéronautique et ses conséquences à l'usine de Safran Nacelles de Gonfreville l'Orcher.
Réponse en séance, et publiée le 16 juin 2021
PLAN DE RELANCE AÉRONAUTIQUE
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour exposer sa question, n° 1498, relative au plan de relance aéronautique.
M. Jean-Paul Lecoq. Parmi les secteurs très touchés par la crise, l'aéronautique et ses 202 000 salariés bénéficient d'un fort engagement de l'État, à hauteur de 15 milliards d'euros. Malgré les demandes répétées de plusieurs groupes parlementaires, le Gouvernement n'a pas subordonné l'obtention de ces aides publiques à l'interdiction de distribuer des dividendes aux actionnaires pendant cette période. En conséquence de quoi un groupe comme Safran, dont l'État est actionnaire et au conseil d'administration duquel il siège, a pu réaliser en 2020, au plus fort de la crise, un résultat net de 850 millions d'euros, dont 180 millions ont été reversés à ses actionnaires. Or ce groupe a perçu, cette même année, 250 millions d'euros d'argent public si l'on retient uniquement l'aide apportée au titre de l'activité partielle de longue durée.
Il existe un sentiment de double peine pour ces salariés qui, en tant que contribuables, se financent leur activité partielle et subissent aussi des pertes de salaire et d'emploi, alors que certains se versent des primes. Pour ne prendre que l'exemple du site installé près du Havre, à Gonfreville-l'Orcher, que je connais bien, l'effectif de l'entreprise est passé de 1 720 emplois en 2019 à 1 551 aujourd'hui. Les actionnaires, non contents des 5 % de marges obtenues par Safran Nacelles en pleine crise, ont annoncé l'objectif d'un retour à deux chiffres dès 2024, c'est-à-dire au même niveau que le résultat de 2019, année qualifiée de référence en matière de niveau de performance. Que compte faire le Gouvernement pour imposer aux entreprises qui ont bénéficié de l'argent public que leurs effectifs retrouvent eux aussi leur niveau de cette même année ?
Par ailleurs, et contrairement à ce qui se pratique dans d'autres pays comme l'Allemagne, le Gouvernement a refusé de subordonner les aides publiques massives au maintien de l'emploi et des sites de production en France. Pourtant, l'un des enseignements de cette crise, c'est la nécessité – cela a été dit à plusieurs reprises par les ministres dans cet hémicycle – de réindustrialiser, de relocaliser dans notre pays et en Europe. Résultat concret : le programme de production de l'Airbus A320neo, programme phare de Safran Nacelles réparti de manière équilibrée avant la crise entre ses sites de production en Angleterre, en France et au Maroc, a été réorienté pour se passer du site britannique et de ses 110 000 heures de travail. Vous me direz que l'Angleterre a quitté l'Union européenne et que ce n'est plus notre problème – sauf que ces 110 000 heures de travail ne seront réaffectées qu'à hauteur de 20 000 heures seulement en France et 90 000 heures au Maroc, un pays où la main-d'œuvre est à bas coût, et ce malgré l'opposition exprimée par le comité d'entreprise européen de Safran le 21 avril dernier et par le comité social et économique central. Cette situation place d'ailleurs le site de Gonfreville-l'Orcher en situation de quasi-monoproduction et l'expose ainsi à un risque en cas de revers sur ce programme.
Comment le Gouvernement compte-t-il faire pour que le plan de relance serve l'emploi en France plutôt que les marges actionnariales et les délocalisations à l'étranger ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable. Vous m'interrogez sur la situation et surtout sur l'avenir du site de Safran Nacelles de Gonfreville-l'Orcher, que vous connaissez bien. Ce site est le siège social de la société. À ce titre, il est et restera au cœur du dispositif. C'est également depuis ce site que Safran gère le support après-vente des nacelles.
En tant que député de Seine-Maritime, vous le savez bien : Safran Nacelles est l'un des principaux sites industriels en Normandie avec 1 500 employés présents au Havre depuis plus de trente ans. L'entreprise a choisi d'investir massivement pour le moderniser. Il dispose d'un savoir-faire unique qui a développé les nacelles parmi les plus perfectionnées au monde.
Safran Nacelles avait anticipé l'arrêt de la production des A380 et des A320neo annoncé par Airbus. La baisse de charges a été renforcée par la crise économique que traverse encore le secteur aérien qui a été frappé de plein fouet. Safran Nacelles a donc dû s'adapter très vite pour préserver sa compétitivité et maintenir les compétences. Le schéma industriel de Safran Nacelles repose sur trois sites : Le Havre, Burnley et Casablanca dont il est impératif de maintenir la taille critique. Quand il a fallu faire des choix au cœur de la crise, le groupe, vous l'avez dit, a décidé de rapatrier les activités techniques de l'Angleterre vers la France.
Plus récemment, s'agissant de l'A320neo, programme majeur de Safran Nacelles, la société a décidé de rapatrier des heures de travail sur le site de Gonfreville-l'Orcher. La volonté est donc clairement d'augmenter la charge du site du Havre.
Je veux aussi rappeler, pour ne pas éluder une partie de votre question à laquelle j'ai à cœur de répondre, que Safran a été l'une des premières entreprises françaises à signer un accord assez complet d'activité partielle de longue durée avec ses salariés, dispositif instauré par le Gouvernement pour permettre précisément aux secteurs les plus touchés par la crise de passer le cap tout en conservant tant les compétences que l'emploi. Vous l'avez rappelé aussi, Safran Nacelles a été soutenu à hauteur de 15 millions d'euros dans le cadre du plan de relance de la filière aéronautique.
Le site du Havre n'est donc pas menacé ; il est même plutôt renforcé et son activité devrait se diversifier, comme les nouvelles que je viens d'évoquer le montrent.
Pour ce qui est des conditions des aides, vous connaissez notre position : le Gouvernement a estimé que subordonner l'accès aux aides publiques à certains critères, au cœur de la crise, n'était pas une bonne idée. Nous aurions pris le risque que des entreprises de taille majeure comme Safran renoncent à utiliser certains dispositifs, à commencer par le chômage partiel. C'est une position que nous assumons ; je ne dis pas qu'elle sera permanente et éternelle.
Je rappelle aussi que la rémunération du capital que vous avez citée sur les dividendes doit être mise en parallèle avec la rémunération du travail ; je suggère que vous regardiez les primes, notamment les 5 760 euros de prime de participation. Je pense qu'il est toujours sain de mettre en parallèle la rémunération du capital et la rémunération du travail. Safran n'est pas la dernière des entreprises en matière de partage de la valeur des résultats qu'elle obtient.
Auteur : M. Jean-Paul Lecoq
Type de question : Question orale
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Économie, finances et relance
Ministère répondant : Économie, finances et relance
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 juin 2021