Enfance et inceste à La Réunion
Question de :
Mme Karine Lebon
Réunion (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
Mme Karine Lebon appelle l'attention de M. le secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles, sur la difficile prise en compte de la parole de l'enfant victime d'inceste à La Réunion en cas de violence conjugale, notamment en raison du non-respect de la procédure d'écoute mise en place dans le cadre de l'audition Mélanie.
Réponse en séance, et publiée le 24 novembre 2021
PRISE EN COMPTE DE LA PAROLE DE L'ENFANT VICTIME D'INCESTE
M. le président. La parole est à Mme Karine Lebon, pour exposer sa question, n° 1531, relative à la prise en compte de la parole de l'enfant victime d'inceste.
Mme Karine Lebon. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la ministre déléguée chargée de l'autonomie, mon intervention concernant les enfants victimes d'inceste à La Réunion a déjà, de son propre aveu, perturbé votre collègue, Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, le 28 septembre dernier, où je l'interpellais sur le « syndrome d'aliénation parentale », concept fortement contesté dans de nombreux pays, dont la France, et qui consisterait au formatage d'un enfant par un parent pour dénigrer l'autre parent. À La Réunion, il est surprenant de constater que ce principe de l'aliénation parentale persiste toujours en cas de violence conjugale et que, même dans ce contexte, la parole de l'enfant victime d'inceste n'est pas prise en compte.
Le 27 octobre, la CIIVISE, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, a rendu son premier avis et nous conforte dans notre détermination à combattre cette hérésie juridique. Elle fait notamment trois recommandations. Premièrement, assurer la sécurité de l'enfant dès les premières révélations en prévoyant la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant. Deuxièmement, assurer la sécurité du parent protecteur en suspendant les poursuites pénales pour non-représentation d'enfant contre un parent lorsqu'une enquête est en cours contre l'autre parent pour violences sexuelles incestueuses. Troisièmement, assurer la sécurité durable du parent protecteur et de l'enfant en prévoyant dans la loi le retrait systématique de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant.
Je suis heureuse de constater que votre collègue fait référence à la CIIVISE quand elle répond à mon intervention en citant la commission spéciale, conduite par Édouard Durand et Nathalie Mathieu, qui met l'accent sur la nécessité d'« observer une écoute attentive sans remettre en question la parole des victimes ».
Madame la ministre déléguée, comment comptez-vous rendre cette écoute efficace à La Réunion, quand les conditions ne sont pas réunies pour entendre la parole de l'enfant dans les conditions définies par la loi, quand, dans plusieurs commissariats, l'audition Mélanie n'est pas pratiquée et qu'il n'y a ni salle dédiée ni audition filmée, quand nous voyons encore des policiers entendre en uniforme de petites victimes ?
Le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles a récemment annoncé la création d'un centre de psychotraumatisme à La Réunion, ce que nous appelions de nos vœux, mais comment cette déclaration va-t-elle se traduire dans la réalité de ces 4 000 petites victimes d'inceste, quand on sait qu'il n'y a pas suffisamment de pédopsychiatres à La Réunion et que les moyens y sont inférieurs de 50 % à la moyenne nationale ? Tous les professeurs des écoles comme moi sont-ils condamnés à jouer, bien malgré eux, les psychologues à la petite semaine en subodorant, derrière des attitudes singulières de leurs élèves, lesquels sont les deux ou trois victimes d'inceste dans leur classe ?
Madame la ministre déléguée, les témoignages de ces victimes nous perturbent tous. Ils attendent des réponses à ces nombreuses interrogations qui nous obligent tous.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie. Sur ce sujet comme sur tant d'autres, ce sont l'action collective et nos efforts conjoints qui paieront. Il n'est évidemment pas question ici de polémique, nous en sommes bien d'accord.
L'amélioration de la prise en charge des victimes mineures est une des priorités de l'action gouvernementale, que traduit le plan de lutte contre les violences faites aux enfants déjà présenté par Adrien Taquet en 2019. Cette préoccupation a été renforcée par la communication, le 5 novembre 2021, d'une dépêche du garde des sceaux aux procureurs généraux et procureurs de la République, qui avait trait à la généralisation, sur l'ensemble du territoire, des unités d'accueil pédiatrique d'enfants en danger, ou UAPED, dispositif que vous connaissez et qui a fait ses preuves. Elle incite également les procureurs à préconiser le recours à ces unités auprès des officiers de police judiciaire, que vous évoquiez.
Ces unités visent à offrir, dans un lieu unique, un accueil complet et sécurisé à l'enfant victime, afin que sa parole soit recueillie dans le cadre de l'enquête pénale et, surtout, qu'il bénéficie de soins dans le cadre d'une prise en charge globale. Une attention médicale, médico-légale, sociale et judiciaire est ainsi apportée. Localisées dans un centre hospitalier, ces unités sont dotées d'une salle d'audition adaptée, où les services d'enquête se rendent pour entendre le mineur victime.
Le département de La Réunion compte désormais deux unités de ce type, l'une à Saint-Denis et l'autre à Saint-Pierre, dont l'activité a vocation à améliorer – progressivement, bien sûr – les conditions de recueil de la parole des mineurs victimes.
Soyez en tout cas assurée, madame la députée, que le Gouvernement et l'ensemble des acteurs des procédures judiciaires, qu'il s'agisse des services d'enquête ou de l'autorité judiciaire, sont convaincus de l'utilité et des bénéfices de ces unités. Adrien Taquet met à contribution tous ses déplacements pour rappeler leur existence, et je ne peux que vous inviter, ainsi que tous les membres de votre assemblée, à faire de même, car nous réussirons en indiquant à ces enfants victimes et en danger les bons endroits où s'adresser. Je vous remercie donc de cette question.
M. le président. La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon. Merci, madame la ministre déléguée. Cette question ne doit en effet pas donner lieu à polémiques et nous devons nous rassembler pour tenter de parvenir à un résultat en faveur des enfants victimes.
Je suis consciente de tout ce qui a été fait et je tiens à saluer les pas accomplis par le Gouvernement. Cependant, il est encore difficile de voir que des enfants de deux ans sont reçus par des policiers en uniforme et qu'on leur reproche ensuite de ne pas avoir parlé. Il est difficile d'accueillir ensuite la détresse du parent protecteur qui doit, sous peine d'être poursuivi, remettre l'enfant au parent incestueux lors du changement de garde. Nous ne pouvons plus entendre cela !
Auteur : Mme Karine Lebon
Type de question : Question orale
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Enfance et familles
Ministère répondant : Enfance et familles
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 novembre 2021