Organisation de l'élection présidentielle
Question de :
Mme Emmanuelle Ménard
Hérault (6e circonscription) - Non inscrit
Mme Emmanuelle Ménard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'organisation de l'élection présidentielle.
Réponse en séance, et publiée le 12 janvier 2022
ORGANISATION DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour exposer sa question, n° 1635, relative à l'organisation de l'élection présidentielle.
Mme Emmanuelle Ménard. À environ trois mois de l'élection présidentielle, la recherche des parrainages par les candidats bat son plein. Depuis la loi d'avril 2016, les noms des élus qui parrainent un candidat sont rendus publics de façon systématique. Cette publicité constitue un véritable problème pour notre démocratie, voire un danger.
Depuis l'application effective de cette nouvelle loi, les maires sont beaucoup plus réticents à présenter un candidat à la plus haute fonction. Pourquoi ? Même si personne n'osera l'affirmer franchement, nous savons pertinemment que c'est par peur de ce qu'on peut qualifier légitimement, même si le mot semble fort, de représailles. Les subventions sont souvent vitales pour la bonne marche d'une commune. Le maire d'un petit village y réfléchira donc à deux fois avant de donner sa signature, et par là même de jeter son nom en pâture, à un candidat qui n'est pas du même bord que celui des présidents des collectivités dont il dépend. Évidemment, rien n'est écrit, rien n'est dit, mais cela existe, cela peut exister, et le doute qui s'installe dans les esprits est déjà de trop. Oui, les prises de position politiques peuvent se payer cher.
En vertu de cette sacro-sainte transparence, va-t-on empêcher certains candidats de se présenter au suffrage des Français alors qu'ils représentent un courant de pensée ? Le risque est réel, et si d'aventure certains candidats ne pouvaient pas se présenter à l'élection présidentielle par manque de parrainages, imaginez un instant les conséquences que cela aurait dans l'opinion française. Quel discrédit sur l'élection tout entière !
Notre démocratie comme notre peuple sont assez matures pour permettre à chacun de faire son choix le jour venu. Encore faut-il que toutes les opinions puissent être représentées, et les parrainages d'élus locaux, redevenus anonymes, continueront de remplir leur rôle et d'empêcher la candidature d'un farfelu ou d'un extrémiste dangereux. Madame la ministre déléguée, je m'adresse à vous puisque le ministre de l'intérieur n'est pas là : seriez-vous prête à modifier la loi organique en vue de supprimer la publicité des parrainages à l'élection présidentielle ? Il suffit d'engager une procédure accélérée et de supprimer l'article 3 de la loi organique de 2016. (Applaudissements sur certains bancs des députés non inscrits.)
M. Sébastien Chenu. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants. Les règles encadrant l'élection du Président de la République ne sauraient être modifiées à moins de trois mois du scrutin : il y va de la lisibilité de l'élection. La modification des règles au plus proche du scrutin pourrait être interprétée par nos concitoyens comme une tentative de manœuvre, d'autant plus que la loi de 1962 relative à l'élection du Président de la République a été modifiée plusieurs fois depuis l'élection présidentielle de 2017 et que ces modifications ont fait l'objet, au début de l'année 2021, d'un débat parlementaire qui a conduit à l'adoption de la loi organique du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République.
Sur le fond, comme vous le savez, le filtre des parrainages vise à éviter des candidatures trop nombreuses à l'élection présidentielle et notamment à écarter les candidatures que je dirais « fantaisistes » ou « de témoignage ». La publicité des parrainages découle du principe de responsabilité politique et de l'exigence de transparence que nous devons aux électeurs : les élus ayant décidé de présenter un candidat doivent assumer ce choix devant leurs électeurs. Cette publicité n'enfreint aucune règle constitutionnelle, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, qui a rappelé que « la présentation de candidats par les citoyens élus habilités ne saurait être assimilée à l'expression d'un suffrage » et n'a donc pas à être secrète.
La situation que vous décrivez, à savoir que des élus feraient face à des représailles à cause du parrainage qu'ils ont octroyé, est pénalement répréhensible et constitue une très grave atteinte à la liberté d'opinion fondamentale dans toute démocratie. Ce n'est pas par un recul de la transparence que nous devons, en tant qu'élus, aux électeurs que je veux y répondre, mais bien par une attitude très ferme à l'égard de ceux qui menaceraient leurs élus au motif qu'ils se seraient exprimés librement. Voilà, madame la députée, ma conviction et celle du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard. C'est le même argument qu'on nous renvoie chaque fois : il serait d'usage qu'on ne change pas les règles à moins de trois mois de l'élection. Mais c'est un usage, et cet usage pourrait empêcher trois candidats – M. Mélenchon, Mme Le Pen et M. Zemmour, qui représentent chacun plus de 10 % des intentions de vote, plus de 40 % à eux trois – de se présenter à l'élection présidentielle.
Vous savez très bien que l'on peut modifier la loi organique en engageant la procédure accélérée – il suffit d'une volonté du Gouvernement. Si, dans trois mois, ces trois candidats, pour une raison ou pour une autre, ne bénéficiaient pas des parrainages nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle, cette élection serait entachée d'un énorme sentiment d'illégitimité, quel que soit le Président élu au terme de cette élection : quel qu'il soit, il sera considéré par une partie des Français comme illégitime. C'est une vraie responsabilité que prend le Gouvernement. Il a la possibilité d'engager une procédure accélérée pour réviser la loi organique : la balle est dans votre camp, madame la ministre déléguée ! (Applaudissements sur certains bancs des députés non inscrits.)
Auteur : Mme Emmanuelle Ménard
Type de question : Question orale
Rubrique : Élections et référendums
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 janvier 2022