Négociation urgente sur les projets de loi "Mayotte"
Question de :
M. Mansour Kamardine
Mayotte (2e circonscription) - Les Républicains
M. Mansour Kamardine alerte M. le ministre des outre-mer sur les projets de loi Mayotte. Sollicité pour avis par le Gouvernement, le Conseil départemental de Mayotte a rejeté à l'unanimité (majorité LR-Divers droite et minorité LREM-MDM) le projet de loi Mayotte, lors de son examen le 14 janvier, tout en formulant le vœu d'ouverture en urgence d'une négociation afin d'élaborer une véritable loi-programme avant sa présentation en conseil des ministres. En effet, les vœux des Mahorais se concentrent sur l'égalité sociale, le développement économique durable, la mise à niveau des infrastructures de base, la sécurité et la maîtrise des frontières. Or ces vœux n'ont pas été traduits dans le projet Gouvernemental. Pourtant ces aspirations sont justes et naturelles car Mayotte est la région la plus pauvre de France (77 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté), la plus sous-équipée en matière d'infrastructures, celle où les services de base à la population (éducation, santé, eau) sont les plus défaillants et où la pression migratoire est la plus forte avec son cortège de violence (record européen du taux d'homicide). En l'état, le projet Gouvernemental est marqué par l'absence d'une véritable co-construction avec les acteurs institutionnels. L'élaboration des dispositions précises et des articles des projets de loi, malgré les engagements pris à l'issue de la consultation publique de mai 2021 et leur réitération multiple, notamment dans les déclarations du Gouvernement d'août 2021, n'a fait l'objet d'aucun échange formel avec les acteurs institutionnels. Aussi, le projet de loi organique relatif au Département-région de Mayotte et le projet de loi ordinaire relatif au développement accéléré de Mayotte et portant dispositions diverses sur la Guyane ont suscité une profonde déception dans l'opinion publique, la société civile et les acteurs institutionnels mahorais. Parallèlement, territoire de tous les enjeux et de toutes les urgences, Mayotte est, à force de déception et de patience vaine, la proie des extrêmes qui aspirent à en faire un marchepied dans leur dessein national. Il ne peut imaginer, ni que Mayotte, ni que la France soient ainsi livrées aux passions tristes par manque de prise en compte de l'idéal républicain : la Liberté, l'Egalité, la Fraternité. C'est pourquoi il lui demande, en appui des délibérations du Conseil département de Mayotte, l'ouverture, en urgence, d'une concertation-négociation entre le Gouvernement et les acteurs institutionnels mahorais afin de présenter en conseil des ministres une véritable loi-programme répondant aux aspirations des concitoyens de Mayotte et qui ferait de Mayotte un véritable porte-avion de l'influence française et européenne en Afrique australe et de l'Est.
Réponse en séance, et publiée le 2 février 2022
PROJETS DE LOI POUR MAYOTTE
M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine, pour exposer sa question, n° 1660, relative aux projets de loi pour Mayotte, adressée au ministre des outre-mer dont je salue l'arrivée dans l'hémicycle.
M. Mansour Kamardine. Le 31 mars 2021, monsieur le ministre, vous avez proposé aux Mahorais de coconstruire un projet de loi pour un développement accéléré du territoire. Ce processus a rassemblé plus de 1 600 personnes de la société civile autour d'ateliers thématiques animés par le préfet et dès le 1er mai 2021, plus de 680 propositions vous ont été présentées dans ce cadre.
Le 17 décembre dernier, vous avez saisi le conseil départemental pour avis sur deux projets de loi. Le 13 janvier 2022, considérant que les propositions des Mahorais n'avaient pas été prises en compte, celui-ci a émis, à l’unanimité, un avis défavorable après une consultation organisée par son président réunissant des représentants de la société civile ainsi que l’ensemble des maires de Mayotte. Il a ensuite proposé l’ouverture de négociations permettant d’envisager une prise en compte des préoccupations régionales les plus légitimes. Le conseil économique, social et environnemental régional (CESER) s'est également montré très réservé sur ces deux textes.
Dans un entretien accordé à la presse locale ce matin même, vous dénoncez « ceux qui font perdre du temps par des calculs politiciens » et vous déclarez que « le plan pour Mayotte annoncé pour les dix ans de la départementalisation ne verra pas le jour ».
Je tiens à vous dire devant la représentation nationale que les Mahorais sont profondément attachés à cette loi et qu'ils souhaitent que le processus soit mis en œuvre sans tarder. Il importe toutefois de rappeler que le conseil départemental s'est prononcé contre le projet par vingt-six voix sur vingt-six, transcendant ainsi les clivages politiques, que les douze candidats déclarés aux législatives dans les deux circonscriptions du territoire y sont défavorables, tout comme l’ensemble des partis politiques, y compris ceux proches du Gouvernement.
Dès lors, la question posée n'est pas celle d’une politisation du débat comme vous cherchez à le faire croire pour mieux dédouaner le Gouvernement de ses responsabilités. Non, après quarante années durant lesquelles les gouvernements successifs ont décidé à notre place, il s'agit, conformément à une demande unanimement exprimée, de faire en sorte que l'État accepte enfin de nous écouter. C’est pour cela que je regrette très sincèrement la posture que vous affichez selon laquelle ce projet serait à prendre ou à laisser et qu'il n'y aura pas de discussions tant que nous ne nous agenouillerons pas.
Je dois vous avouer que ce n’est pas l’idée que je me fais du dialogue républicain au sein nos institutions. C’est la raison pour laquelle je vous suggère un rapprochement avec le conseil départemental, qui se montre pleinement disponible pour envisager une solution de sortie dans laquelle tout le monde se retrouverait : l’organisation, dans le mois à venir, d’un référendum local des électeurs sur le fondement de l’article 72-1, alinéa 2 de la Constitution, portant sur l’avis à donner sur ce projet de loi. Ainsi, les Mahorais pourront exprimer leurs souhaits et vous montrerez, en l'acceptant, votre volonté de dépasser les réticences politiciennes, si tant est qu'elles existent.
M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Merci, monsieur Kamardine, de cette question néanmoins très politique – car il ne m'a pas échappé que la séquence l'était à Mayotte. Vous avez d'ailleurs quelque peu déformé mes propos, car j'ai déclaré ce matin que l'application du plan pour Mayotte annoncé à l'occasion du dixième anniversaire de sa départementalisation se poursuivait ; ne prétendez donc pas le contraire, c'est-à-dire qu'elle aurait été interrompue.
Vous êtes conseiller départemental, moi aussi ; Mme Klinkert, ici présente, a présidé le conseil départemental du Haut-Rhin. Nous savons donc tous que le mandat des élus départementaux n'est pas impératif : ils prennent leurs responsabilités et votent comme ils le souhaitent. Un vote favorable aurait signifié que le projet de loi pour Mayotte était le bon, un vote avec réserves, qu'il n'était pas jugé suffisant : ç'aurait été possible, voire légitime – je peux le comprendre. Son examen à l'Assemblée et au Sénat aurait alors permis de l'enrichir grâce au droit d'amendement. En revanche, il vous faut assumer le fait que le vote défavorable a tout simplement bloqué un texte que tout le monde attendait – c'était l'une des surprises du dixième anniversaire de la départementalisation, alors que le Président de la République m'avait permis de mettre ce projet de loi sur les rails.
Compte tenu de ce résultat, que va-t-il se passer ? Tout d'abord, nous continuerons de faire avancer tout ce que nous pouvons, notamment dans le domaine réglementaire. Ce n'est pas l'approche des élections législatives qui mettra un frein aux ambitions du Gouvernement pour Mayotte ! Monsieur Kamardine, nous nous connaissons depuis longtemps, vous êtes un fin politique et vous ne manquez pas de caractère ; néanmoins, je le répète, notre ambition pour Mayotte demeure pleine et entière. C'est pourquoi nous revaloriserons bientôt la prime d'activité, qui est un dispositif important ; des travaux sont en cours concernant l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Encore une fois, tout ce que nous pouvons faire par voie d'ordonnance, de décret, d'arrêté, nous le ferons, y compris au sujet des politiques d'insertion chères à Mme Klinkert, qui en est chargée.
Ensuite, concernant les urgences de nature régalienne – lutte contre l'immigration clandestine, lutte contre la délinquance –, certaines dispositions du texte seront reprises par Gérald Darmanin dans le cadre du futur projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, ce qui nous permettra de ne pas perdre davantage de temps.
Enfin, il faut espérer que le calendrier électoral ne créera pas de perturbations politiciennes et que le projet de loi pour Mayotte ne sera pas pris en otage par les candidats aux élections législatives ou par les représentants des candidats à l'élection présidentielle. Je ne suis pas naïf : je connais la politique et je connais Mayotte. J'ai entendu ce matin une proche de Mme Le Pen soutenir sur les ondes que la mort du texte était une bonne chose, car il ne contenait rien : permettez-moi de vous dire que ce cynisme, on en crève.
Auteur : M. Mansour Kamardine
Type de question : Question orale
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Outre-mer
Ministère répondant : Outre-mer
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 janvier 2022