Projet de réforme de l'objet social des entreprises
Question de :
M. Jean-François Cesarini
Vaucluse (1re circonscription) - La République en Marche
M. Jean-François Cesarini interroge M. le secrétaire d'État, auprès du ministre de la cohésion des territoires, sur le cadre du projet de loi sur les entreprises, ayant notamment pour objet l'objet social des entreprises défini par les articles 1832 et 1833 du code civil, qui a retenu toute son attention. Le développement de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), concrétisé par un décret d'application publié l'été 2017, permet de jauger la performance d'une entreprise non seulement sur des critères de profit mais aussi sur des critères sociaux, environnementaux et finalement éthiques. Cette combinaison de réglementation et de volontarisme des entreprises lui semble être la voie à suivre en restant plus incitative que coercitive. Dans le cadre de la mission d'information commune qu'il a suscitée sur la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation en faveur du développement des territoires, et en continuité de la RSE, il souhaiterait y adjoindre un principe de responsabilité territoriale des entreprises (RTE). Ce mécanisme d'incitation vers les entreprises viserait à favoriser leur investissement et implantation dans les territoires intermédiaires, de façon à réduire les fractures territoriales, qui mettent à mal la cohésion de notre pays. Les grandes entreprises sont de manière générale assez enclines à disposer d'indicateurs pour mesurer leurs performances organisationnelles et sociétales comme en témoigne le retour d'expérience de la mise en place de la RSE. C'est la même logique qui prévaut ici : mettre en place de façon concertée avec les entreprises des indicateurs représentatifs de leur empreinte territoriale. Le critère de l'implantation géographique et du nombre d'emplois intervient bien entendu en premier lieu, en différenciant les métropoles et le reste du territoire, et en prenant en compte les emplois indirects ou les achats. Mais il pourrait citer d'autres critères tout aussi pertinents comme l'investissement dans des tiers-lieux, le pourcentage de télétravail ou les aides à la recherche d'emploi du conjoint. Les entreprises doivent rechercher un juste équilibre entre investissements rentables et investissements responsables, mais sans les opposer car les seconds seront la rentabilité de demain. Cette philosophie doit aussi s'appliquer à leur responsabilité territoriale, c'est pourquoi il pense que cette nouvelle étape de la décentralisation doit aussi impliquer fortement les entreprises, qui seront en même temps les porteuses de la croissance et de l'équité territoriale. Il lui demande donc s'il est favorable à l'intégration de la responsabilité territoriale comme caractéristique de l'objet social des entreprises.
Réponse en séance, et publiée le 28 mars 2018
RESPONSABILITÉ TERRITORIALE ET OBJET SOCIAL DES ENTREPRISES
M. le président. La parole est à M. Jean-François Cesarini, pour exposer sa question, n° 213, relative à la responsabilité territoriale et à l'objet social des entreprises.
M. Jean-François Cesarini. La réduction des inégalités territoriales est l'un des grands enjeux du siècle qui s'ouvre. Nous voyons déjà les conséquences électorales de ces inégalités dans d'autres pays : les électeurs de Donald Trump et les Britanniques qui ont voté pour le Brexit ne sont pas les habitants des grandes villes. À l'inverse, certains territoires, parce qu'ils sont plus riches, comme la Catalogne en Espagne, ou la Lombardie et la Vénétie en Italie, veulent faire sécession pour ne plus financer les territoires les plus pauvres du pays. Les inégalités, on le voit, mettent à mal la cohésion des pays.
J'aimerais donc vous proposer un dispositif permettant de mesurer la responsabilité territoriale des entreprises – RTE –, sur le modèle de la responsabilité sociétale et environnementale – RSE –, un dispositif qui a très bien marché, puisque les grandes entreprises, dans leur majorité, ont joué le jeu et acceptent de mesurer la dimension sociale et environnementale de leur activité. Nous voudrions mesurer plusieurs données : l'impact de ces entreprises sur l'emploi, en dehors des métropoles ; la part qu'elles font au télétravail, notamment au télétravail collectif dans des tiers lieux ; enfin, les dispositifs qu'elles mettent en œuvre pour trouver un emploi aux conjoints de leurs salariés – car c'est un problème qui se pose souvent.
Ce dispositif a pour objectif d'aller plus loin dans la déconcentration de l'économie. On peut considérer que les dernières décennies ont plutôt déconcentré l'économie depuis les capitales nationales vers les métropoles régionales. En France, nous avons ainsi créé de petits Paris dans nos régions, qui centralisent à la fois la compétence et l'investissement public et privé. Il nous faut à présent penser une véritable déconcentration économique, et plus seulement une décentralisation des compétences au bénéfice des collectivités.
J'aimerais savoir si M. le ministre de la cohésion des territoires serait favorable à un tel dispositif. AU XXe siècle, la déconcentration de l'économie a créé les métropoles, et on peut considérer la métropolisation comme une conséquence de la dernière révolution industrielle du XIXe siècle. Aujourd'hui, la révolution industrielle du numérique permet une autre forme de déconcentration de l'économie dans des territoires non métropolitains. La métropolisation a été un fait du XXe siècle ; ne serait-il pas temps de passer au XXIe siècle ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le député, je vous prie d'excuser M. le ministre de la cohésion des territoires, qui ne pouvait être présent aujourd'hui et qui m'a demandé de vous lire sa réponse.
Comme vous le savez, la délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dans le cadre de son travail sur la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation, envisage d'ajouter une dimension territoriale à la responsabilité sociétale des entreprises. Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard confirme également l'intérêt des entreprises pour la RSE.
Cependant, le concept de RSE reste insuffisamment partagé : selon un rapport de France Stratégie, « À peine plus d'un quart des entreprises françaises de plus de 9 salariés déclarent s'impliquer réellement dans des démarches responsables. Elles sont même 60,4 % à déclarer ne pas connaître la notion de RSE. Plus une entreprise est grande, plus il y a de chances qu'elle connaisse la RSE et la mette en pratique. La connaissance et l'appropriation de la RSE peinent donc à se concrétiser sur le terrain en particulier dans les petites structures et dans certaines régions, malgré les nombreuses initiatives réglementaires ou volontaires. »
Néanmoins, on remarque que la notion de responsabilité territoriale s'impose de plus en plus dans le débat public. Un nombre croissant d'entreprises manifeste ainsi le désir de s'engager dans la RSE territoriale, et ce, au-delà d'une question d'image et de réputation. En effet, leur activité est soumise non pas uniquement à des jugements économiques ou à l'efficacité technico-scientifique, mais également à une exigence de développement durable. De plus, les chefs d'entreprise comprennent la nécessité de participer au développement des territoires pour bénéficier des externalités dont leurs entreprises ont besoin, notamment d'un climat de confiance et de l'adhésion des acteurs locaux à leur activité sur le long terme. Enfin, la proximité et les coopérations localement enracinées favorisent la performance économique et la construction d'« actifs spécifiques » par ces entreprises.
Les perspectives en faveur d'une responsabilité territoriale des entreprises sont donc positives. L'État et les entreprises peuvent se rejoindre autour de sujets d'intérêt commun. Nous pensons en effet qu'il faut encourager la prise en compte de l'empreinte territoriale d'une entreprise ou d'un groupe. À cette fin, nous proposons l'introduction d'une liste d'indicateurs dans le code de gouvernement d'entreprises de l'AFEP – Association française des entreprises privées – et du MEDEF.
Ces indicateurs pourront refléter, par exemple, l'engagement des entreprises en faveur de l'emploi local. Ils pourront également mesurer l'évolution de la dynamique économique d'un territoire et de l'innovation locale. Il s'agira également, enfin, de jauger l'amélioration de la qualité de vie qu'auront permise ces entreprises.
Le ministre de la cohésion des territoires souhaite en outre soutenir les entreprises qui désirent contribuer directement à l'attractivité et à la cohésion des territoires par des programmes spécifiques comme le déploiement d'espaces de coworking ou par un programme d'inclusion numérique pour les populations éloignées d'internet. À cet égard, nous considérons que la coopération entre les acteurs publics et les acteurs privés est primordiale. Ainsi, nous souhaitons que soient mises en œuvre des expérimentations conduites par des binômes d'entreprises et de territoires, qu'il s'agisse d'intercommunalités ou de pôles d'équilibre territorial et rural – PETR. Ces expérimentations pourront consister en l'élaboration d'un référentiel RTE et la définition d'outils pour une gouvernance innovante.
Monsieur le député, la RTE fait de l'entreprise une actrice à part entière des territoires. Elle correspond à une logique gagnant-gagnant associant l'entreprise, son territoire d'activité, ses employés et les citoyens. Le Gouvernement, notamment le ministre de la cohésion des territoires, y est donc favorable et soutiendra les initiatives qui permettront de la développer.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Cesarini.
M. Jean-François Cesarini. Les entreprises ont désormais compris que leur responsabilité sociétale, environnementale et territoriale n'était pas seulement un objet de communication, susceptible de leur donner davantage de visibilité, mais que le fait d'associer leurs employés autour d'un projet commun était aussi un moyen d'accroître leur productivité. Les mentalités évoluent au sein de l'AFEP : les chefs d'entreprise ont compris à quel point nos territoires sont de nouveaux lieux de croissance pour le pays.
Auteur : M. Jean-François Cesarini
Type de question : Question orale
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : Cohésion des territoires (M. le SE auprès du ministre)
Ministère répondant : Cohésion des territoires (M. le SE auprès du ministre)
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 mars 2018