Stratégie spécifique afin de lutter contre la désertification médicale en Corse
Question de :
M. Paul-André Colombani
Corse-du-Sud (2e circonscription) - Non inscrit
M. Paul-André Colombani alerte Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la situation préoccupante du secteur de la santé en Corse. Des problèmes graves et persistants touchent aussi bien les hôpitaux, par manque de moyens, que la médecine libérale en milieu rural à travers la problématique de la désertification médicale. Aujourd'hui force est de constater que la lutte contre les déserts médicaux est un combat que les pouvoirs publics sont en passe de perdre, notamment en Corse qui est une île montagne confrontée en plus à un isolement du monde rural de l'intérieur. Des microrégions comme l'Alta Rocca, le Niolu, et le Cap Corse se sont retrouvées ou risquent régulièrement de se retrouver sans médecin. Ce constat l'alarme, en tant que médecin, mais surtout en tant qu'élu de la Corse, et il appelle à la mise en œuvre d'outils innovants et audacieux pour que les habitants des villages n'aient plus à renoncer à leurs soins. Certes des outils existent sur le papier : augmenter le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires, faciliter l'ouverture de cabinets médicaux secondaires, comme dans l'Alta Rocca, développer le partage de tâches entre professionnels, favoriser la télémédecine. Tous sont pertinents mais leur mise en œuvre est complexe : les freins administratifs et réglementaires, les stratégies surdimensionnées pour cette région insulaire peu peuplée, la lenteur des mises en œuvre face à des basculements qui sont parfois très rapides et nombreux, entraînent l'épuisement des élus et professionnels de santé qui souhaitent les mettre en œuvre. Par ailleurs, l'absence de CHU qui empêche les pouvoirs en publics en Corse de maîtriser le flux des étudiants qui pourraient s'installer est une anomalie supplémentaire. En outre, la CNAM, dans les négociations conventionnelles, n'est pas à la hauteur des défis qui sont lancés. On pourrait multiplier les exemples. Les cotations proposées pour les actes de télémédecine sont indigentes et incompatibles avec son développement. L'ensemble des mesures financières mises en œuvre d'aide à l'installation attire peu les jeunes médecins, les mesures de contrainte encore moins ; il semble urgent de proposer une véritable revalorisation des actes médicaux dans ces zones qui vont soutenir l'ensemble des professionnels de santé, ceux qui sont engagés en première ligne du combat aussi bien que ceux qui souhaiteraient s'y installer.
Réponse en séance, et publiée le 28 mars 2018
SITUATION DU SECTEUR DE LA SANTÉ EN CORSE
M. le président. La parole est à M. Paul-André Colombani, pour exposer sa question, n° 229, relative à la situation du secteur de la santé en Corse.
M. Paul-André Colombani. Madame la ministre des solidarités et de la santé, ma question rejoint les préoccupations de Mme Firmin Le Bodo.
Je souhaite en effet vous alerter sur la situation préoccupante du secteur de la santé en Corse. Des problèmes persistants et graves touchent aussi bien les hôpitaux par manque de moyens que la médecine libérale en milieu rural en raison de la désertification médicale. Force est de constater que les pouvoirs publics sont en passe de perdre le combat contre la désertification médicale, notamment en Corse, île montagne confrontée de plus en plus à un isolement du monde rural de l'intérieur. Des micro-régions comme l'Alta Rocca, le Niolu et le Cap Corse se retrouvent ou risquent de se retrouver sans médecin.
Ce constat m'alarme non seulement en tant que médecin mais surtout en tant qu'élu de la Corse. Il appelle à une mise en œuvre audacieuse d'outils innovants, afin que les habitants des villages n'aient plus à renoncer à se soigner.
Certes, des outils existent déjà sur le papier : ils visent notamment à augmenter le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires, à faciliter l'ouverture de cabinets médicaux secondaires, à développer le partage de tâches entre professionnels ou encore à favoriser la télémédecine.
Si tous ces outils sont pertinents, leur mise en œuvre se révèle difficile, en raison de freins administratifs et réglementaires, de stratégies surdimensionnées pour notre région ou de la lenteur des mises en œuvre face à des basculements parfois très rapides et nombreux, ce qui provoque l'épuisement des élus et des professionnels de santé.
Par ailleurs, l'absence de centre hospitalier universitaire nous interdit de maîtriser le flux des étudiants qui pourraient s'installer dans notre région. La CNAM – Caisse nationale d'assurance maladie –, dans ses négociations conventionnelles, n'est pas à la hauteur des défis qui nous sont lancés. Nous pourrions multiplier les exemples, comme les cotations proposées pour les actes de télémédecine, indigentes et incompatibles avec son développement.
Enfin, l'ensemble des mesures financières d'aide à l'installation qui sont proposées attirent peu les jeunes médecins, et les mesures de contraintes encore moins. Il semble urgent de proposer une véritable revalorisation des actes médicaux dans ces zones qui veulent soutenir l'ensemble des professionnels de santé, aussi bien ceux qui sont engagés en première ligne du combat que ceux qui souhaiteraient s'y installer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Colombani, je tiens à réaffirmer l'engagement fort de l'État auprès des hôpitaux de Corse, qu'il s'agisse du centre hospitalier d'Ajaccio, dont l'État a financé l'intégralité de la reconstruction, pour un montant de 130 millions d’euros, ou du centre hospitalier de Bastia, dont le Président s'est engagé, lors de sa visite du 7 février dernier, à financer la seconde tranche de travaux. Au-delà de l'accompagnement à l'investissement, les établissements de santé corses ont bénéficié en 2017 de près de 40 millions d’euros d'aides exceptionnelles en trésorerie.
Cet effort considérable témoigne de notre volonté de garantir, aux côtés de l'agence régionale de santé de Corse, un accès aux soins hospitaliers et ambulatoires pour toute la population de l’île. C'est la raison pour laquelle, forts du plan territorial d'accès aux soins que nous avons mis en œuvre en octobre, nous avons favorisé en Corse des terrains de stage hospitaliers et ambulatoires, qui sont désormais accessibles aux internes de Marseille et de Nice sur tout le territoire de l'île.
Par ailleurs, le nouveau zonage des médecins, fondé sur l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée – APL – prend en compte les temps d'accès au médecin, ce qui est une spécificité des zones de montagne. Cela permet d'élargir le périmètre des territoires éligibles aux aides à l'installation ou au maintien des médecins en Corse.
S’agissant de l'organisation des soins dans les territoires ruraux isolés – Niolu, Alta Rocca ou le Cap Corse –, l'équipe de soins primaires permet aux professionnels de travailler ensemble. Trois projets de maisons de santé pluri-professionnelles sont en cours d'instruction et devraient ouvrir dans les tout prochains mois, puisque je cherche précisément à faciliter l’installation de ces professionnels.
Concernant l'accompagnement des professionnels de santé, retenons deux initiatives fortes. La première est une convention de partenariat, en cours de signature, entre la collectivité de Corse, les facultés de médecine de Marseille et de Nice, l'université de Corse, les URPS – unions régionales des professionnels de santé – des médecins libéraux et l'ARS de Corse, pour développer et améliorer l'accueil des internes de médecine générale et des autres spécialités en ambulatoire, ainsi que l'installation des praticiens en Corse.
La seconde est la mise en place d'un guichet unique d'information, d'orientation et d'accompagnement pour l'exercice des professionnels de santé qui souhaitent s'installer en Corse.
Enfin, la télémédecine est un outil très adapté pour favoriser un meilleur accès aux soins : il est donc nécessaire de le développer. Or les négociations conventionnelles avec l’assurance maladie sont en cours d’aboutissement. Donc la télémédecine se déploiera dès la fin de l’année 2018 dans tous les territoires. L'expérimentation de la téléexpertise en dermatologie, déployée en Corse et financée par l'ARS, que vous avez évoquée, était assurément sous-financée. Cette expérimentation ayant toutefois démontré l’intérêt de la télémédecine, le financement des actes relevant de celle-ci entrera désormais dans le droit commun, ce qui facilitera son déploiement.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le député, je souhaite vraiment offrir un égal accès aux soins à la population corse. Nous mettrons tout en œuvre pour y parvenir. Je me rendrai en Corse avant l'été afin de discuter de la situation avec les élus et les communautés professionnelles.
M. le président. La parole est à M. Paul-André Colombani.
M. Paul-André Colombani. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Nos craintes, sur le terrain, portent sur le caractère opérationnel des mesures que vous prenez. J'en veux pour preuve la maîtrise de stage, que vous avez évoquée : nous cherchons depuis presque deux ans à renouveler ces conventions entre l'université de Corse, située à Corte, et la région, mais nous n'y réussissons pas – beaucoup s'y sont épuisés.
S'agissant de l'expérimentation de télédermatologie, elle est menée par les URPS de Corse. Le docteur Florence Ottavy a, durant deux années, consacré un temps fou à convaincre les pouvoirs publics de l'intérêt du dispositif.
Cette mesure, soutenue par l'ensemble de la profession, fonctionne puisqu'elle a permis de dépister plus de quatre-vingt-cinq cancers cutanés en Corse et d'assurer le suivi des plaies chroniques.
Les cotations proposées aujourd'hui par l'assurance maladie ne sont pas adaptées à cette expérimentation : s'agissant du suivi des plaies chroniques, par exemple, on nous propose de ne réaliser que deux photos par an et par patient, ce qui est largement insuffisant. Dans ces conditions, je crains qu'il ne faille abandonner l'expérimentation.
Auteur : M. Paul-André Colombani
Type de question : Question orale
Rubrique : Médecine
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 mars 2018