Quand allez-vous mettre fin à l'escalade de la violence ?
Question de :
Mme Bénédicte Taurine
Ariège (1re circonscription) - La France insoumise
Mme Bénédicte Taurine interroge M. le ministre de l'intérieur sur sa responsabilité dans l'escalade de la violence. À vrai dire, ce n'est pas tant sa question que celle des « Gilets jaunes » d'Ariège que Mme la députée s'est engagée à porter ici. M. le ministre et le Gouvernement ne cessent de dénoncer la violence des manifestants sans jamais se demander d'où elle vient. M. le ministre ne peut pas ignorer que la violence est une escalade dans laquelle il a sa part de responsabilité. Il convient donc de remettre les choses dans l'ordre en citant Helder Camara : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d'hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d'abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d'étouffer la seconde en se faisant l'auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n'y a pas de pire hypocrisie de n'appeler violence que la seconde, en feignant d'oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue ». Au lieu de traiter les causes de la violence, M. le ministre choisit d'en réprimer les conséquences. Il fustige la violence à l'encontre de biens matériels pour mieux passer sous silence la violence de sa politique. Si certains brisent des vitrines de banque, sa politique, elle, brise des vies. Ces vies brisées, ne datent pas du mouvement des « Gilets jaunes », qui n'est que la partie émergée de l'iceberg des violences quotidiennes subies dans un silence qui conduit certains au suicide. Les « Gilets jaunes » sont bien plus violentés qu'ils ne sont violents, violentés par une vie trop chère pour être vécue qui s'exprime dans les courriers que Mme la députée reçoit tous les jours. Violence structurelle, subie par une retraitée qui ne survit plus avec ses 365 euros par mois. Violence qui s'exerce sur une mère de famille qui ne parvient pas à payer les frais liés aux études de sa fille aînée. Infirmière à temps plein, elle travaille même de nuit pour faire face à ses charges, l'obligeant à mettre son fils de 11 ans en internat pour qu'il ne soit pas seul la nuit. Ses 1 700 euros par mois ne lui suffisent pas et l'obligent à faire du repassage en plus de son travail. Elle aussi, le Gouvernement compte la criminaliser ? Violence qui s'abat sur un homme de 60 ans, ancien cadre bancaire au RSA, qui ne peut pas de remplir sa cuve à fioul. Violence qui redouble lorsqu'il ne peut pas assurer ses quelques heures d'intérim car il est dans l'incapacité de réparer sa voiture, et qu'en Ariège, sans voiture on ne peut pas travailler. Alors quand depuis Paris, ils sont traités de « fainéants », que pense M. le ministre qu'il adviendra ? Violence administrative qui leur refuse les aides sociales qu'ils sont pourtant en droit de recevoir. Violence qu'il y a dans la honte que ressentent ces travailleurs à se tourner vers le Secours populaire ou les Restos du cœur, à vivre dans leur voiture car leur salaire ne leur permet pas de se loger. Elle pourrait passer des heures à lui décrire ces violences et lui rapporter ces situations où des vies entières basculent au moindre accident (divorce, perte d'emploi, maladie). Les « Gilets jaunes » ne sont pas violents, mais violentés. Ils se définissent comme pacifistes et rejettent la violence. Les forces de l'ordre ne sont plus des gardiens de la paix mais sont qualifiées de forces du désordre, lorsqu'elles tirent sur des manifestants qui ont les bras en l'air en signe de non-violence. Non seulement la violence de la répression est injuste et injustifiée mais les forces de l'ordre deviennent celles du désordre lorsqu'elles ne respectent plus la loi qu'elles sont censées faire appliquer. Doit-elle lui rappeler qu'il est illégal de tirer dans la tête des gens ? En éborgnant des innocents pacifistes, il pousse les gens à devenir violents. L'État est censé avoir le monopole de la violence légitime mais le Gouvernement est en train de succomber à une violence illégitime. Même les forces de l'ordre s'en aperçoivent malgré la prime que le Gouvernement leur a accordée. La légitimité ne s'achète pas, eux aussi le payent de leur vie : doit-elle encore rappeler qu'en janvier 2019 il y a eu 10 suicides de policiers ? La répression injuste n'enlèvera pas la souffrance et encore moins la rage. Elle lui rappelle qu'il dispose des moyens d'arrêter ces violences. Les « Gilets jaunes » demandent la démission de M. le ministre car son action ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Cela fait maintenant trois mois qu'il a décidé de réprimer dans le sang des pacifistes en laissant faire la violence matérielle pour mieux justifier une répression aussi illégitime qu'inefficace. Certains portent plainte contre M. le ministre. Les « Gilets jaunes » déplorent la violence et la casse mais ils n'ont pas d'autre option que de considérer que c'est l’unique moyen de faire reculer le Gouvernement. C'est avec regret qu'ils constatent que leurs déambulations ne suffisent plus pour être entendus. Quand le Gouvernement compte mettre fin à cette dérive autoritaire ? Quand le ministre décidera d'arrêter cette stratégie qui pousse à l'escalade de la violence ? Certes, la violence institutionnelle subie par les Français ne date pas d'hier et il serait injuste de le rendre responsable de 40 ans de politique violente. Cependant, M. Macron a été élu en promettant qu'il allait inverser cette tendance alors que dans les faits le ministre ne fait que l'amplifier, là est sa responsabilité. La question de Mme la députée est donc la suivante, elle lui demande il va abandonner cette stratégie délétère pour s'attaquer enfin aux causes économiques et politiques en laissant la place aux ministères concernés et en retirant ses forces du désordre de l'espace public. Elle souhaite savoir quand il compte cesser cette hypocrisie et quand il va cesser de massacrer des victimes. Enfin, elle souhaite savoir, comme le formule cette simple question des « Gilets jaunes », quand il va démissionner.
Réponse en séance, et publiée le 20 février 2019
VIOLENCES PENDANT LES MANIFESTATIONS
M. le président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour exposer sa question, n° 564, relative aux violences pendant les manifestations.
Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, ma question est en réalité celle de gilets jaunes de l'Ariège, que je me suis engagée à vous poser.
Votre gouvernement et vous-même ne cessez de dénoncer la violence des manifestants, mais sans jamais vous demander d'où elle vient. Citer Hélder Câmara me permet de remettre les choses dans l'ordre : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d'hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d'abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d'étouffer la seconde en se faisant l'auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n'y a pas de pire hypocrisie de n'appeler violence que la seconde, en feignant d'oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
Au lieu de traiter les causes de la violence, vous choisissez d'en réprimer les conséquences. Vous fustigez la violence à l'encontre de biens matériels pour mieux passer sous silence la violence de votre politique. Et vous savez que vous avez une part de responsabilité dans la violence que vous dénoncez.
Si certains brisent des vitrines, votre politique, elle, brise des vies. Ces vies brisées ne datent pas du mouvement des gilets jaunes, qui n'est que la partie émergée de l'iceberg des violences quotidiennes, subies dans un silence qui parfois conduit au suicide.
Les gilets jaunes sont bien plus violentés qu'ils ne sont violents – violentés par une vie trop chère pour être vécue.
De quoi s'agit-il ? De la violence subie par une retraitée qui ne survit plus avec ses 365 euros par mois. Violence qui s'exerce sur une mère de famille isolée qui peine à payer les études de sa fille aînée. Infirmière à temps plein, elle travaille de nuit pour gagner quelques euros supplémentaires, ce qui l'oblige à mettre son fils de 11 ans en internat. Elle perçoit 1 700 euros par mois avec 1 250 euros de charges incompressibles, ce qui l'oblige à faire des repassages pour essayer de s'en sortir.
Violence qui s'abat sur un homme de 60 ans, ancien cadre bancaire actuellement au RSA, qui ne peut pas de remplir sa cuve à fioul. Violence qui redouble lorsqu'il ne peut pas assurer quelques heures d'intérim parce que sa voiture est en panne et qu'il n'a pas les moyens de la réparer. Sans voiture, en milieu rural, on ne peut pas travailler. Violence qu'il y a dans la honte que ressentent ces travailleurs à se tourner par exemple vers le Secours populaire, ou à vivre dans leur voiture car leur salaire ne leur permet pas de se loger.
Alors, quand, depuis Paris, ils sont traités de « fainéants », cela ne peut que les mettre en colère. Je le répète : les gilets jaunes ne sont pas violents, mais violentés. Vos forces de l'ordre ont tiré sur des manifestants qui avaient les bras en l'air en signe de non-violence.
Non seulement la violence de votre répression est injuste et injustifiée, mais vos forces de l'ordre deviennent celles du désordre lorsqu'elles ne respectent plus la loi qu'elles sont censées faire appliquer.
Est-il utile, monsieur le secrétaire d'État, de vous rappeler qu'il est illégal d'éborgner les gens ? C'est en mutilant des innocents que vous poussez les gens à devenir violents. Votre gouvernement est en train de succomber à une violence illégitime.
Des experts de l'ONU dénoncent d'ailleurs des restrictions graves aux droits de manifester. Dans un communiqué datant du 14 février dernier, ils indiquent que « Les restrictions imposées aux droits ont également entraîné un nombre élevé d'interpellations et de gardes à vue, des fouilles et confiscations de matériel de manifestants, ainsi que des blessures graves causées par un usage disproportionné d'armes dites "non-létales" ».
M. le président. Si vous voulez une réponse, ma chère collègue, il va falloir laisser un peu de temps au Gouvernement !
Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le secrétaire d'État, quand allez-vous mettre fin à cette dérive autoritaire et vous attaquer enfin aux causes du mal-être des gens ? La question des gilets jaunes est simple : quand allez-vous démissionner ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Madame la députée, les manifestations des gilets jaunes ont fait émerger des revendications légitimes auxquelles le Gouvernement et le Président de la République ont répondu en organisant un grand débat et en prenant des mesures exceptionnelles visant à augmenter le pouvoir d'achat des Français.
Dans le cadre du grand débat, plus de 850 000 contributions ont été enregistrées et 3 000 réunions locales se sont tenues, ce nous devons aux maires, facilitateurs essentiels du débat démocratique.
Une revendication légitime s'est exprimée et elle a été entendue. Le débat se poursuit, mais je crois qu'aucune revendication ne peut justifier l'escalade des violences perpétrées par certains manifestants. Chaque samedi, les forces de l'ordre sont prises à partie par des individus ultra-violents qui bafouent le droit de manifester.
Ceux qui adoptent ce comportement ne sont pas des manifestants pacifiques. Il y a des pillages, des exactions, des atteintes graves à nos institutions. Je note que cette violence, madame la députée, vous la légitimez. Pire : vous accusez les forces de sécurité intérieure, à mots non couverts, de violences volontaires, en les qualifiant de « forces du désordre ». À mon tour, je vous pose une question : comment pouvez-vous tenir de tels propos ? Comment pouvez-vous continuer à les tenir après les graves incidents de ce week-end ?
Loin de vouloir remettre en cause le droit de manifester, le Gouvernement, Christophe Castaner et moi-même sommes déterminés à garantir la liberté de manifester, que le texte de loi en discussion, qui sera bientôt adopté en lecture définitive, rendra plus facile. Celui-ci vise en effet à écarter des manifestations les casseurs, et uniquement les casseurs. Soyez assurée que nous sommes tout à fait déterminés à poursuivre le maintien de l'ordre public lors des manifestations.
Auteur : Mme Bénédicte Taurine
Type de question : Question orale
Rubrique : Ordre public
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 février 2019