Gratuité péages services secours - Refus de l'administration d'appliquer la loi
Question de :
M. Jean-Louis Thiériot
Seine-et-Marne (3e circonscription) - Les Républicains
M. Jean-Louis Thiériot interroge Mme la ministre, auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, sur la question de la gratuité des péages d'autoroute pour les services de secours qui a été votée il y a plus d'un an et dont le décret d'application n'a toujours pas été pris. Il lui fait part de sa stupéfaction à la lecture de sa réponse aux questions écrites sur le sujet. Il s'indigne que ses services aient pris la liberté d'affirmer leur refus d'appliquer la loi votée par les élus de la Nation au motif que cela leur semblerait trop compliqué et il lui demande s'il faut déduire de cet aveu que c'est donc officiellement l'administration qui gouverne le politique et non l'inverse. Il lui rappelle qu'il n'appartient pas à l'administration de décider en lieu et place d'un juge si la loi est conforme au principe d'égalité ou si le décret d'application qu'elle est constitutionnellement tenue de prendre heurterait le droit des contrats. S'agissant du risque contentieux évoqué, il lui demande si elle trouve normal que sa prise de position déroule l'exact argumentaire que ferait le conseil des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il lui signale qu'en publiant un tel plaidoyer en faveur de ces sociétés dans une réponse écrite qui, pour rappel, constitue la position officielle de l'État, elle a d'ores et déjà annihilé toute possibilité pour l'État de se défendre lors d'un éventuel contentieux. Pour l'ensemble de ces raisons, il lui demande de modifier sa réponse et de prendre sans délai le décret d'application de l'article L. 122-4-3 du code de la voirie routière.
Réponse en séance, et publiée le 20 février 2019
GRATUITÉ DES PÉAGES POUR LES SERVICES DE SECOURS
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Thiériot, pour exposer sa question, n° 581, relative à la gratuité des péages et des services de secours.
M. Jean-Louis Thiériot. Ma question, madame la ministre, concerne la gratuité des péages d'autoroute, votée dans la précédente loi de finances au profit des services de secours, et qui devait faire l'objet d'un décret d'application. À ce jour, ce décret n'a pas été pris.
De surcroît, j'avais saisi votre ministère par une question écrite. J'en ai obtenu une réponse le 18 décembre, et c'est sur cette réponse que je souhaite vous interroger. J'ai été assez surpris par les termes employés par vos services : ils ont indiqué que la décision prise dans la loi de finances étant trop compliquée, et contraire à la fois au principe d'égalité et au droit des contrats, il serait impossible, ou quasiment impossible, de la mettre en œuvre. En d'autres termes, votre administration a répondu à la représentation nationale qu'un texte voté dans le cadre de la loi de finances ne serait pas appliqué.
Je souhaiterais donc savoir si c'est bien la position de votre ministère. J'en profite pour appeler votre attention sur le fait que l'argumentation présentée par vos services dans leur réponse à ma question écrite est exactement celle que développeraient les sociétés concessionnaires d'autoroutes, si elles devaient ouvrir un contentieux avec l'État, à partir du moment où nous appliquerions cette gratuité pour les services de secours.
Dans ces conditions, madame la ministre, je vous demande quelle est la position de votre ministère sur ce sujet. Ce décret d'application sera-t-il pris ?
Dans tous les cas, il conviendrait probablement de modifier la réponse de vos services, parce que – je coiffe maintenant mon ancienne casquette d'avocat – si je plaidais pour les sociétés d'autoroutes, j'aurais l'avantage sur l'État, dès lors que le ministère lui-même dirait que l'État est en faute : il serait évidemment très compliqué pour l'État de se défendre dans le cadre d'un contentieux.
Cette réponse laisse entendre, de surcroît, que c'est l'administration qui gouverne, non le Gouvernement, et peu importe le vote de la représentation nationale.
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports. J'ai bien en tête que la loi de finances pour 2018 prévoit de rendre les péages d'autoroutes gratuits pour les véhicules des services de secours, y compris lorsque ceux-ci ne sont pas en intervention sur l'autoroute. Je voudrais rappeler que cette disposition vise à réduire les dépenses de l'État et des départements.
Mais je ne souscris pas à la réponse que vous avez citée, et à laquelle vous venez de faire une publicité tout à fait significative : si l'on voulait éviter d'indiquer des pistes aux sociétés concessionnaires, eh bien c'est le contraire qui est fait.
On peut cependant noter que les conditions d'application de la mesure votée sont complexes. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes et l'État sont liés par des contrats dont l'équilibre ne peut pas être remis en cause, même par la loi. L'amendement voté dans le cadre de la loi de finances pour 2018 provoque un manque à gagner pour ces sociétés concessionnaires. En tant que parties à ce contrat, elles seraient fondées, sur la base du droit des contrats que vous connaissez certainement, en tant qu'avocat, à demander une indemnisation à l'État. La puissance publique serait alors contrainte de compenser, pour les sociétés concessionnaires, la gratuité accordée par cet amendement.
Si le Gouvernement souhaite évidemment appliquer la loi, il souhaite aussi préserver l'intérêt de la puissance publique dans l'application de la loi. Il travaille donc à trouver des modalités conformes à l'intérêt général, qui ne pèsent pas sur les finances publiques. Il ne me semble pas douteux que c'était bien le sens de l'amendement qui avait été voté. Il n'est donc pas question de faire financer par la puissance publique une mesure de gratuité qui incombe aux sociétés concessionnaires. C'est ce à quoi nous nous employons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Thiériot.
M. Jean-Louis Thiériot. Quant à la publicité donnée à la réponse de vos services, celle-ci a été publiée au Journal officiel. Je ne doute donc pas que, en tout état de cause, les sociétés d'autoroutes y auraient eu accès assez aisément.
Sur le fond, je regrette qu'aucune date n'ait été fixée pour la mise en œuvre de cette décision : nous n'avons visiblement pas reçu de réponse sur ce point.
J'appelle enfin votre attention sur un point particulier. En tant qu'ancien président de conseil départemental, j'ai eu à gérer toutes les problématiques, notamment budgétaires, d'un service départemental d'incendie et de secours. Cet amendement, au-delà même de l'aspect financier, revêt un aspect symbolique très fort. Pour me rendre régulièrement dans les casernes de pompiers de mon territoire, je peux vous dire que la question de son application est suivie à la loupe. Et, à un moment où nous avons tant besoin de nos services d'incendie et de secours, et où leur engagement est absolument irréprochable, je crois qu'en tout état de cause, il faut vraiment que vos services avancent vite, pour que cet engagement soit respecté. Que l'on ne vienne pas nous dire qu'à cause de difficultés de négociation, on ne peut pas appliquer un texte qui a été voté par l'ensemble de cet hémicycle. Ce sujet n'est vraiment pas politique, il est d'intérêt général.
Auteur : M. Jean-Louis Thiériot
Type de question : Question orale
Rubrique : Sécurité des biens et des personnes
Ministère interrogé : Transports
Ministère répondant : Transports
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 février 2019