Fin de vie des personnes éloignées de leur territoire d'origine
Question de :
M. Jean-Hugues Ratenon
Réunion (5e circonscription) - La France insoumise
M. Jean-Hugues Ratenon attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la fin de vie des personnes éloignées de leur territoire d'origine. La Réunion toute entière a été bouleversée par le drame de Marie Stanislas Boutiana. Âgée de 33 ans, cette mère de famille de Saint-Paul était atteinte d'un cancer incurable et a dû être hospitalisée en métropole, à La Roche-sur-Yon. Son souhait le plus cher était de finir le reste de sa vie auprès de ses proches à La Réunion. Sous l'égide d'une association, « Petits cœurs », une chaîne de solidarité s'était mise en place pour tenter d'exaucer son vœu, mais malheureusement le temps a manqué : Marie Stanislas n'était plus transportable et est décédée en métropole le 19 août 2017, une semaine après son anniversaire. Plus récemment, on a connu la situation inverse. M. Stéphane Ducamp, connu pour son engagement à La Réunion contre les discriminations et la lutte contre l'homophobie, atteint d'un cancer, a voulu passer ses derniers auprès de ses proches dans l'Hexagone. En l'absence de tout dispositif de solidarité publique, M. Ducamp a lancé une cagnotte participative pour pouvoir recueillir les fonds nécessaires à son transport médicalisé par avion. Malheureusement, il est décédé avant d'avoir pu récolter la somme nécessaire à son retour dans l'Hexagone. M. le député tient à porter à la connaissance de Mme la ministre que le droit à la continuité territorial n'est aujourd'hui absolument pas suffisant pour répondre à ces situations dramatiques et douloureuses. Chaque personne a le droit de mourir dignement et entouré de ses proches et il est parfaitement inacceptable que des personnes en fin de vie doivent organiser des collectes de solidarité privée pour cela. C'est à l'État de prendre sa part pour garantir la dignité de chacun dans les derniers instants. Le droit à la continuité territoriale ne représente que quelques centaines d'euros par bénéficiaire alors qu'un transfert médicalisé d'un territoire d'outre-mer vers l'Hexagone (ou inversement) se chiffre à plusieurs milliers d'euros. Il souhaiterait donc connaître ses intentions sur cette question.
Réponse en séance, et publiée le 6 mars 2019
FIN DE VIE DES PERSONNES ÉLOIGNÉES DE LEUR TERRITOIRE D'ORIGINE
M. le président. La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour exposer sa question, n° 598, relative à la fin de vie des personnes éloignées de leur territoire d'origine.
M. Jean-Hugues Ratenon. Monsieur le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, je souhaite qu'enfin nous trouvions une solution à un problème certes rare, mais dont les conséquences sont tragiques et douloureuses pour les territoires et les personnes concernés, celui des personnes en fin de vie qui souhaitent retourner mourir sur leur terre natale. S'il concerne essentiellement des Ultramarins vivant dans l'Hexagone, la situation inverse peut également se rencontrer.
Deux cas en particulier m'ont interpellé.
Le premier est celui de Mme Marie Stanislas Boutiana, dont l'histoire a bouleversé toute La Réunion. Cette mère de famille réunionnaise atteinte d'un cancer incurable a dû, alors qu'elle était âgée de 33 ans, être hospitalisée en métropole, dans une ville de la façade atlantique.
Ne pouvant être soignée, voyant la mort s'approcher et acceptant son destin, ce qui était extrêmement courageux de sa part, elle a alors souhaité retourner mourir auprès des siens.
Comme elle ne pouvait pas assumer financièrement la charge de son retour, l'association « Petits cœurs » a lancé une chaîne de solidarité dont toute La Réunion a parlé. Malheureusement, le temps a manqué : Marie Stanislas est en effet décédée dans l'Hexagone le 19 août 2017. Elle n'a par conséquent pas pu fêter comme elle le voulait son dernier anniversaire parmi les siens.
Nous pensions pourtant qu'une solution allait être trouvée – j'avais d'ailleurs à ce moment, mais en vain, sollicité votre ministère, monsieur le secrétaire d'État.
L'histoire s'est répétée, mais dans l'autre sens, pour M. Stéphane Ducamp, vivant à La Réunion et bien connu pour son engagement dans la lutte contre les discriminations et contre l'homophobie. Atteint d'un cancer, il a pris conscience, au début de l'année, que ses derniers jours approchaient. Acceptant la situation, il a alors souhaité être transféré dans une unité de soins palliatifs située dans l'Hexagone afin de finir sa vie auprès des siens.
Cependant, un transfert sanitaire par avion coûte de l'argent. M. Ducamp a donc lancé une cagnotte participative en vue de recueillir les 8 000 euros nécessaires à son transfert.
Malheureusement, lui aussi est décédé avant d'avoir pu récolter les fonds nécessaires, le 31 janvier ; il n'a donc pas pu revoir une dernière fois sa famille et ses proches.
Monsieur le secrétaire d'État, mon propos est simple : plus jamais ça !
La France est un grand pays et une grande puissance. La France peut et doit financer ce genre d'opération : c'est une question de dignité, pour notre pays comme pour les personnes concernées.
Chacun a le droit de mourir dignement et entouré de ses proches : il est parfaitement inacceptable que des personnes en fin de vie doivent organiser des collectes de solidarité privées pour faire valoir ce droit.
De tels cas sont rares : les transferts médicalisés de personnes en fin de vie dont la situation est attestée par le corps médical ne concernent que quelques dizaines de personnes par an, une centaine tout au plus. Le coût de leur prise en charge pourrait ne représenter que quelques centaines de milliers d'euros par an, soit une goutte d'eau par rapport au budget de votre ministère, qui s'élève à 200 milliards d'euros environ.
Êtes-vous prêt, monsieur le secrétaire d'État, à répondre favorablement à cette demande ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le député, je vous remercie de votre question : permettez-moi, en y répondant, d'élargir un peu le propos.
J'aimerais en premier lieu vous rappeler que l'assurance-maladie couvre de droit les frais de transports liés à la sortie d'hospitalisation, dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une prescription médicale préalable.
Il est vrai que ce droit n'existe pas dans le cas spécifique – rare, mais qui peut soulever un certain nombre de questions – d'un transfert médicalisé pour un retour au domicile. Dans une telle situation, la prise en charge peut cependant être financée en tout ou partie grâce au Fonds national d'action sanitaire et sociale des caisses d'assurance maladie, et ce, sous condition de ressources.
À travers les situations que vous avez décrites, vous éclairez un constat, qui est également une forme de paradoxe : si 60 % des décès surviennent à l'hôpital, la majorité de nos concitoyens – plus de 80 % d'entre eux – déclarent qu'ils préféreraient mourir chez eux.
L'enjeu réside donc à la fois dans la qualité de l'accompagnement en fin de vie et dans les moyens de le concilier avec les souhaits des individus.
En permettant d'anticiper les situations, l'expression de tels souhaits contribue à des conditions de fin de vie apaisées et dignes. Dans ce but, la loi a mis à notre disposition un certain nombre de dispositifs – tels que la rédaction de directives anticipées ou la nomination d'une personne de confiance – qui, une fois mobilisés, améliorent la qualité de l'accompagnement en facilitant les relations entre le personnel soignant, la personne en fin de vie et son entourage.
Tout doit donc être mis en œuvre pour satisfaire les souhaits des malades, en conformité avec les bonnes pratiques. Des référentiels sont ainsi à la disposition des intervenants, qu'ils soient professionnels, bénévoles ou accompagnants. De son côté, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie participe à la diffusion et à l'appropriation des notions clés de la prise en charge palliative. Enfin, la campagne nationale d'information « La fin de vie, et si on en parlait ? » a été reconduite en octobre dernier afin de sensibiliser nos concitoyens à la possibilité de prescrire des directives anticipées ou de désigner une personne de confiance, et plus généralement de mieux faire connaître les moyens à disposition pour soulager la fin de vie.
Les efforts se portent également sur les équipes mobiles de soins palliatifs, les EMSP, pour multiplier leurs interventions de soutien au lit même du malade. Le maintien de leur expertise et de leur présence à l'échelle territoriale est selon nous un gage d'excellence et de développement de soins palliatifs de proximité. Des expérimentations sont donc menées pour développer la présence d'infirmiers de nuit au sein des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes : leurs premiers enseignements s'avèrent plutôt encourageants.
La mort doit être, pour les patients, leurs familles et les soignants, libre de toute détresse évitable et de toute souffrance physique ou psychologique. Elle doit être en accord général avec les souhaits des patients et des familles, mais également être compatible avec des conditions d'accompagnement dignes : c'est ce qui à mon sens doit nous réunir. C'est le sens des actions menées jusqu'alors et qu'il importera de poursuivre. Tel est notre engagement.
Auteur : M. Jean-Hugues Ratenon
Type de question : Question orale
Rubrique : Mort et décès
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 février 2019