Interdiction de la vente aux mineurs du protoxyde d'azote et prévention
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise
M. Ugo Bernalicis interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur l'encadrement de la vente de protoxyde d'azote et les actions de prévention à l'égard des mineurs. La consommation récréative de protoxyde d'azote, détourné de ses usages originels, est devenue un phénomène malheureusement répandu en France. Utilisé dans le domaine médical pour des anesthésies et dans la vie courante notamment dans les cartouches de gaz pour siphon à chantilly, ce gaz, par les sensations euphorisantes qu'il procure, a séduit et séduit de plus en plus d'adeptes, principalement des jeunes. Connu sous le nom de gaz hilarant, ce produit est facilement disponible sur internet mais aussi dans des commerces de proximité, les supermarchés et à de très faibles coûts. Légal, il ne fait actuellement l'objet d'aucune restriction à la vente. Or, comme le souligne plusieurs études scientifiques, sa consommation récréative peut entraîner des symptômes allant des maux de tête aux vomissements. L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) souligne que son utilisation prolongée et à des doses élevées peut avoir de graves conséquences pour la moelle osseuse et le système nerveux, entraînant des risques de troubles neurologiques, respiratoires, cardiovasculaires graves et définitifs. La réalité est que ce produit jouit aujourd'hui d'une réputation de gaz non addictif et de drogue « bon marché » ayant une nocivité « négligeable » ; pourtant ses dangers sont bien réels. Il apparaît désormais nécessaire de légiférer, afin de renforcer la prévention à l'égard de la consommation de ce produit, mais aussi afin de responsabiliser les revendeurs de ces produits. La France insoumise propose ainsi une réglementation forte sur l'accès à ce produit, passant par une interdiction de la vente aux mineurs. C'est une mesure de santé et de salubrité publique. Dans les quartiers les plus touchés, les actions de prévention organisées dans les collèges et les lycées doivent inclure ce produit et ses dangers dans leurs contenus. Les sites de e-commerce vendant ce produit devront signaler clairement sur leur site cette interdiction et rappeler les risques sanitaires du détournement de ce produit. Il lui demande quelle est la position du Gouvernement sur cette question.
Réponse en séance, et publiée le 27 mars 2019
VENTE DU PROTOXYDE D'AZOTE
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour exposer sa question, n° 631, relative à la vente du protoxyde d'azote.
M. Ugo Bernalicis. Je veux vous alerter, madame la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, sur le développement, dans notre pays, de la consommation de protoxyde d'azote – ce fameux gaz injecté dans les siphons pour faire de la crème chantilly. Le phénomène, parti de Lille, se diffuse partout en France. Le « proto », comme on l'appelle communément, est devenu une substance psychoactive parmi les plus utilisées. Les risques liés à sa consommation sont nombreux et réels. Il y a déjà eu des morts, dont un mineur, à cause d'une hyperconsommation de cartouches dédiées à l'usage domestique. De nombreux élus locaux et nationaux, dont je suis, toutes obédiences confondues – y compris de la majorité, donc –, soutiennent, sur le fond, la proposition de loi que j'ai déposée pour interdire la vente de ces cartouches aux mineurs et faire apposer, sur elles, un pictogramme pour les désigner comme des produits dangereux.
« Les ballons, c'est pas comme le tabac, l'alcool, le cannabis : c'est pas dangereux, c'est légal », disait un consommateur régulier, à Roubaix. Ces propos montrent que les risques liés à l'hyperconsommation sont méconnus, du fait du statut du produit. Protéger les mineurs des produits nuisibles en interdisant qu'ils leur soient vendus constitue un premier niveau de réponse, et non le seul : c'est une limite posée, significative, pour un produit qui n'est pas anodin. Ce n'est pas totalement efficace, à cause de la faiblesse des contrôles, mais, au moins, cela limitera la banalisation du produit, chez les mineurs comme chez les majeurs. Est-ce parce que les lois d'interdiction de vente aux mineurs sont mal appliquées qu'il ne faut plus y avoir recours ? C'est la position actuelle du Gouvernement.
Pour vous, une interdiction de vente aux mineurs ne se justifierait pas car, je cite, « cette consommation ne concerne pas seulement les mineurs ». Une législation semblable existe pourtant pour le tabac et l'alcool, eux aussi consommés par tous les publics. Si demain, reprenant votre propre argument, je vous propose la fin de l'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs, me suivrez-vous ? Je ne le crois pas, et vous aurez raison.
Par ailleurs, le ministère affirme : « Le problème c'est l'inhalation, pas les cartouches. » On croit rêver ! De toute évidence, l'accès libre aux cartouches, mode de consommation ultra-majoritaire, précède l'inhalation. Ce sont bien les cartouches destinées à la consommation domestique qui posent problème, et le vide juridique total en la matière est une aberration.
M. Pierre Cordier. Tout à fait !
M. Ugo Bernalicis. Enfin, le ministère récuse l'approche produit par produit. Pourtant, c'est précisément parce que le produit dont je parle fait l'objet d'un usage détourné et qu'il n'est pas seulement une drogue, qu'il doit être abordé de manière spécifique.
Aucun de vos arguments n'est sérieux. Et, sur la question du pictogramme à apposer sur la cartouche, le ministère ne dit absolument rien. Au-delà de vos discours lénifiants sur de potentielles actions de prévention, mettrez-vous à l'ordre du jour du Parlement, précisément au nom de la prévention pour nos enfants, l'interdiction de la vente de ces cartouches aux mineurs et l'apposition, sur elles, d'un pictogramme ?
M. Pierre Cordier. Bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Nous avons bien connaissance des problèmes sanitaires qui se posent sur votre territoire à cause de ces produits depuis plusieurs mois, et je comprends votre sentiment, monsieur Bernalicis. Le protoxyde d'azote est un gaz à usage médical, utilisé par exemple pour les anesthésies, mais aussi à usage commercial, pour la pressurisation d'aérosols.
Pour sa finalité médicale, ce produit est déjà soumis à la réglementation des produits stupéfiants. Pour son usage commercial, dans les aérosols, la réglementation est celle des produits de consommation courante. Compte tenu de l'usage détourné de ces produits, une approche produit par produit, en vue de mettre fin aux pratiques dont vous avez parlé, paraît vaine. Seules des approches de prévention globales auprès des jeunes pourront porter leurs fruits, même si, il faut le reconnaître, nous ne pourrons prétendre à éradiquer complètement certaines pratiques.
Nous comprenons le souhait partagé par plusieurs parlementaires d'interdire la vente aux mineurs du protoxyde d'azote, mais cela serait malheureusement peu efficace. C'est l'inhalation d'un produit dont la finalité n'est pas l'usage qui en est fait qui pose problème, non le produit lui-même. L'usage détourné, dans un but récréatif, s'observe dans les Hauts-de-France, en milieu urbain, essentiellement dans la métropole lilloise et à Valenciennes.
Nous œuvrons conjointement à l'élaboration d'un plan d'action de prévention avec la ville, la préfecture et l'ARS, l'agence régionale de santé. À Lille, nous travaillons dans le cadre du CLSPD, le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Plusieurs actions sont en cours d'élaboration ou déjà mises en œuvre : des mesures de prévention menées par les opérateurs habituels – centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie –, par les consultations jeunes consommateurs et par le centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues ; des actions de formation des encadrants sur le sujet des addictions en général ; des mesures de sensibilisation, enfin, qui devraient être adressées aux commerçants pour les inciter à mieux contrôler la vente des cartouches de protoxyde d'azote. À Valenciennes, l'agence régionale de santé a mandaté l'un de ses opérateurs, le groupe « écoute information dépendance », pour alerter et sensibiliser les acteurs du territoire.
Nous privilégions donc la sensibilisation des professionnels qui, dans les domaines de la santé, du social ou de l'éducatif, encadrent les jeunes. À ce jour, il n'a pas été retenu d'actions directes auprès de l'ensemble des jeunes sur ce produit ciblé, afin d'éviter un effet zoom. Le lien sera également établi avec le service sanitaire des étudiants, avec mise à disposition du document élaboré par le centre d'addictovigilance.
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. La prévention est bien entendu nécessaire, madame la secrétaire d’État, mais, là encore, vous vous reposez sur les moyens existants, qui d'ailleurs vont diminuant – le département du Nord a ainsi revu à la baisse, à hauteur de 5 %, ses dotations à la prévention spécialisée et aux clubs de prévention. Que faites-vous pour compenser ces baisses ? Allez-vous au-devant des problèmes ? Non !
J'ai rencontré les acteurs de terrain, que ce soit la ville ou les clubs de prévention : tous réclament un texte de loi pour interdire la vente aux mineurs du produit dont nous parlons. Cela permettrait au moins un premier effet. Ce seront les commerçants qui sont pénalisés, non les mineurs : sur de tels publics, seule la prévention est efficace, bien sûr. Mais on n'y met pas les moyens.
Vous parlez d'effet zoom. Soit, continuons à ne pas zoomer, jetons une couverture sur la situation, qui, d'ailleurs, n'est pas seulement lilloise : elle s'observe aussi en Picardie, à Strasbourg ou, comme le montrent certains articles de presse, à Montpellier. Bref, le problème se généralise, vous le savez ; il serait temps d'y répondre et d'agir.
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question orale
Rubrique : Enfants
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mars 2019