En finir avec les marchands de sommeil
Question de :
M. Éric Coquerel
Seine-Saint-Denis (1re circonscription) - La France insoumise
M. Éric Coquerel interroge M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, sur les 3 millions de logements insalubres ou précaires que compte la France, soit près de 10 % du parc immobilier national. Selon la préfecture d'Ile-de-France, plus de 170 000 logements sont potentiellement indignes dans la région : insalubrité, risque d'exposition au plomb, risque de péril, hôtels meublés dangereux. Un rapport parlementaire du 20 février 2018 fait au nom de la commission des affaires économiques établit que 2 090 000 personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles et 934 000 personnes vivent dans ces conditions avec un surpeuplement « accentué ». Certains de ces logements insalubres sont mis en location par des marchands de sommeil. Loin de reculer, ce phénomène s'aggrave, hors de tout contrôle. La loi ALUR de 2014 a mis en place le dispositif du « permis de louer ». Cette mesure autorise les collectivités et EPCI à définir des secteurs géographiques pour lesquels le bailleur doit demander l'approbation de la mise en location de leur logement. Ce dispositif a pour objectif principal de protéger les familles les plus fragiles des marchands de sommeil qui louent des logements insalubres à des prix indécents tout en bénéficiant des aides au logement. Mais son application est facultative et n'en fait pas une véritable force de lutte contre les marchands de sommeil et porte d'ailleurs un coût non négligeable pour le budget communal. En 2018, la loi ELAN a été une nouvelle occasion manquée des pouvoirs publics de renforcer les exigences vis-à-vis des propriétaires bailleurs. Elle aurait dû les impliquer davantage pour agir plus fermement contre les logements insalubres. Pire, cette loi a gravement affaibli le logement social avec de véritables coups de rabot sur les organismes HLM à hauteur de 1,7 milliard d'euros par an. Ces coupes budgétaires ont entraîné une chute de la construction de près de 10 % en 2018. Dans la première circonscription de Seine-Saint-Denis, des habitants d'un « hôtel » sont victimes de marchands de sommeil : certaines familles avec un bébé louent 600 euros par mois une chambre minuscule sans aération avec un bébé. D'autres paient 450 euros par mois un deux pièces sans sol recouvert de moisissures sur les murs et où l'air est irrespirable. La plupart des occupants sont prioritaires pour leur dossier DALO (Droit opposable au logement) et sont pourtant voués à une misère et une hygiène de vie dignes d'un Germinal de Zola. On ne peut pas ni laisser ces marchands de sommeil s'en sortir si facilement ni laisser des locataires dans de telles situations. Il l'interroge sur ce qu'il compte faire pour mettre fin à ce racket organisé.
Réponse en séance, et publiée le 3 avril 2019
MARCHANDS DE SOMMEIL
M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour exposer sa question, n° 664, relative aux marchands de sommeil.
M. Éric Coquerel. Le logement est un droit universel et fondamental. En 1985, dans l'un de ses meilleurs films – Sans toit ni loi –, Agnès Varda mettait en scène Sandrine Bonnaire dans le rôle d'une sans-abri retrouvée morte. Depuis, la situation s'est dégradée.
Ce titre est une autre façon de dire qu'un toit est un droit, puisque son absence pousse hors des lois de la cité.
Je ne vous cite pas les chiffres que vous connaissez. Chaque année, le constat de la Fondation Abbé-Pierre est de plus en plus alarmant.
Je veux vous parler d'un hôtel situé 10, boulevard Ornano à Saint-Denis, dans ma circonscription – mais ce n'est pas le seul exemple. Je suis allé sur place récemment et j'ai rencontré ses habitants : une mère avec son enfant, un couple avec une enfant de 2 ans, un couple avec un enfant dont la femme suit une chimiothérapie. Au total, ce sont une vingtaine de familles qui vivent dans des chambres ou des deux-pièces dignes de romans de Zola ou Dickens, dans des conditions de salubrité qui vous tirent les larmes : moisissures, fenêtres borgnes, électricité ne respectant pas les normes...
Jusqu'à une revente qui fait peser sur elles une menace d'expulsion, face à laquelle j'essaie, avec la préfecture de Seine-Saint-Denis et la mairie, de trouver des solutions de relogement, ces familles payaient entre 450 et 600 euros par mois, soit un loyer un peu inférieur aux tarifs du secteur privé dans le quartier.
Pourquoi ces familles se retrouvent-elles dans cette situation ? La principale cause, selon moi, est la rareté du logement : d'un côté, l'accès au parc privé est très difficile du fait des garanties qui sont exigées par les bailleurs – une situation stable, des revenus trois fois supérieurs au loyer ; de l'autre, les logements sociaux ne sont pas en nombre suffisant – la ville de Saint-Denis et la préfecture cherchent à remédier à cette situation. En 2018, la production de logements sociaux a diminué de 10 %. De surcroît, le logement d'urgence perd sa vocation puisqu'il ne devrait pas être ouvert à des personnes ayant des revenus. Faute d'accès au logement d'urgence, les personnes sont privées de toit, avec les risques que l'on connaît. Tout à l'heure, nous allons rendre hommage, dans un jardin du 10e arrondissement de Paris, aux milliers de personnes mortes dans la rue – un vrai scandale pour la puissance économique que nous sommes.
L'instauration d'un permis de louer institué par la loi ALUR est laissée à l'initiative des collectivités alors qu'elles n'en ont souvent ni les compétences ni les moyens. Nous avons critiqué la loi ELAN en ce qu'elle fait peser sur les bailleurs la baisse des APL de 1,7 milliard d'euros, jusqu'à les obliger à vendre des parcs des logements. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bilan n'est pas bon.
Que pensez-vous de l'instauration d'une politique de contrôle des loyers afin de faire baisser le prix du logement et relancer un cercle un peu plus vertueux ? Comment éviter que des cas comme celui du 10, boulevard Ornano – sur lequel j'aimerais que vos services se penchent afin que toutes les familles soient relogées – ne se retrouvent, à l'avenir, un peu partout dans le pays ?
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. J'ai évoqué ce sujet hier après-midi avec le maire de Saint-Denis et l'ensemble de ses collaborateurs. Comme d'autres communes, cette ville est particulièrement touchée par le fléau des marchands de sommeil contre lesquels, je le disais à l'instant au président Mélenchon, il faut mener une guerre sans relâche ni répit.
À Saint-Denis, notamment en son centre, le maire a fait le choix de mettre en place le permis de louer, qui est une très bonne mesure. Mes services sont d'ailleurs à la disposition de tous les élus locaux qui souhaitent l'instaurer.
Vous soulevez cependant une question légitime concernant la généralisation de ces permis à l'ensemble du pays. Je considère que mon rôle est de donner des outils aux collectivités, qui décident ensuite. Un permis de louer peut se révéler très efficace dans certaines zones mais, dans d'autres, les élus locaux peuvent instaurer des dispositifs différents. Dans tous les cas, le ministre que je suis doit donner la possibilité aux élus locaux d'appliquer ce qu'ils souhaitent et ce dont ils ont besoin, en fonction de la spécificité territoriale.
Vous demandez ensuite comment nous en sommes arrivés là. Vous avez raison, le problème de fond dans notre pays est évidemment le montant des loyers, qui peut atteindre, pour certains de nos concitoyens, jusqu'à 50 % de leurs revenus. Il faut donc mener une politique de création de loyers abordables, tout en respectant, là encore, les territoires et les populations. Il ne s'agit pas de construire les logements les plus abordables toujours dans les mêmes territoires – une problématique que l'on connaît bien en Seine-Saint-Denis.
Il faut donc construire davantage de logements abordables. En 2018, si la construction de logements sociaux a été inférieure à celle de 2017 – 108 000 logements contre 113 000 –, la construction de logements très sociaux, elle, a augmenté. Cette évolution doit être poursuivie, notamment grâce aux mesures de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN.
Dans cette loi, nous avons réintroduit la possibilité d'encadrer les loyers. C'est une mesure dont nous avions beaucoup débattu et que vous aviez d'ailleurs défendue. Cet encadrement est à nouveau possible si les élus locaux le décident. Je ne l'ai pas imposé ; c'est une possibilité que je laisse aux élus locaux qui souhaitent l'appliquer.
Auteur : M. Éric Coquerel
Type de question : Question orale
Rubrique : Logement
Ministère interrogé : Ville et logement
Ministère répondant : Ville et logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 mars 2019