Habitat indigne et marchands de sommeil
Question de :
M. Jean-Luc Mélenchon
Bouches-du-Rhône (4e circonscription) - La France insoumise
M. Jean-Luc Mélenchon interroge M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, sur l'habitat indigne et les marchands de sommeil. L'effondrement d'immeubles rue d'Aubagne à Marseille le 5 novembre 2018 a mis en lumière le problème de l'habitat indigne et des taudis. Cette question ne concerne pas seulement Marseille mais tout le pays. Selon la Fondation Abbé Pierre, au moins un million de personnes vivent dans 600 000 logements pourris dans toute la France. Des propriétaires sans scrupules exploitent la pauvreté pour louer à des prix exorbitants des logements mal chauffés, moisis, dangereux ou minuscules. Louer des taudis est illégal. D'après le code pénal, le délit d'hébergement incompatible avec la dignité humaine est puni de 5 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Dorénavant, s'y ajoutent des peines complémentaires comme la confiscation des biens ou l'interdiction d'acheter un logement pendant 10 ans. Pourtant, malgré l'ampleur du phénomène, les condamnations de marchands de sommeil se comptent sur les doigts de la main. À Marseille, il y a 40 000 logements indignes mais on ne compte que 5 condamnations pour ce motif depuis 2012. Depuis 4 mois, les langues ont commencé à se délier. Il a été découvert que plusieurs élus étaient eux-mêmes des marchands de sommeil. M. Bernard Jacquier, élu à la métropole, M. André Malrait, adjoint au maire, M. Thierry Santeli, élu au département ou M. Xavier Cachard, élu à la région, louent des taudis. Une telle corruption montre bien le niveau d'impunité dont bénéficient les voyous du logement. De fait, les marchands de sommeil passent entre les gouttes à cause du manque de moyens dans la police et dans la justice. Il n'y a pas assez d'agents formés sur ces sujets. Il faut créer les pôles spécialisés dans les tribunaux et dans les commissariats. Aujourd'hui, les procédures trainent en longueur, Les victimes sont découragées de se lancer dans de longues et coûteuses démarches. Les dossiers sont immobilisés dans l'engorgement des tribunaux. Ainsi, pendant que des gilets jaunes sont jugés à la chaîne en comparution immédiate, les marchands de sommeil dorment tranquilles ! Il lui demande s'il va vraiment déclarer la guerre à ces criminels et créer des unités d'agents dans la justice et dans la police spécifiquement dédiées à la traque des marchands de sommeil. Il lui demande également si son Gouvernement va produire une circulaire à l'endroit des magistrats du parquet sur la lutte contre l'habitat indigne, ou les consignes de fermeté de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sont réservées aux gilets jaunes.
Réponse en séance, et publiée le 3 avril 2019
HABITAT INDIGNE ET MARCHANDS DE SOMMEIL
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour exposer sa question, n° 665, relative à l'habitat indigne et aux marchands de sommeil.
M. Jean-Luc Mélenchon. L'effondrement d'immeubles rue d'Aubagne à Marseille a mis en lumière le problème de l'habitat indigne et des taudis. Ce sont des décennies d'incurie qui ont abouti au résultat que nous avons dû déplorer. Le problème ne concerne pas seulement Marseille. Selon la Fondation Abbé-Pierre, au moins un million de personnes vivent dans 600 000 logements pourris dans toute la France. Des propriétaires sans scrupule, que je veux pointer du doigt aujourd'hui, exploitent la pauvreté pour louer à des prix exorbitants des logements mal chauffés, moisis ou minuscules.
Or la location de taudis est illégale. D'après le code pénal, le délit d'hébergement dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine – tel est le terme utilisé – est puni de cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. C'est dire comme il est pris au sérieux ! Dorénavant, s'y ajoutent des peines complémentaires, comme la confiscation des biens ou l'interdiction d'acheter un logement pendant dix ans. Pourtant, malgré l'ampleur du phénomène, les condamnations de marchands de sommeil se comptent sur les doigts de la main, et cela est déplorable. À Marseille, on dénombre 40 000 logements indignes mais seulement cinq condamnations ont été prononcées depuis 2012.
S'impose donc l'idée d'une certaine impunité, sentiment renforcé par le fait que certains élus étaient eux-mêmes propriétaires de logements indignes, avons-nous appris. De fait, les marchands de sommeil passent entre les gouttes à cause du manque de moyens de la police et de la justice.
La guerre va-t-elle être déclarée à ces criminels ? Une circulaire sera-t-elle prise à l'attention des magistrats du parquet pour leur demander de lutter contre l'habitat indigne avec la même fermeté que celle réclamée par la garde des sceaux pour juger à la chaîne des gilets jaunes ?
L'habitat indigne suscite chez n'importe lequel d'entre nous tristesse pour les pauvres gens qui y sont condamnés et dégoût pour l'exploitation dont ils font l'objet. Monsieur le ministre, faites entendre une voix ferme pour signifier à ceux qui s'en rendent coupables qu'ils seront bientôt châtiés !
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Je tiens, une nouvelle fois, à adresser mes pensées aux Marseillaises, aux Marseillais, aux personnes endeuillées et aux marins-pompiers. Je me suis rendu sur les lieux très rapidement après le drame ; j'y suis revenu à plusieurs reprises depuis lors et j'y serai de nouveau dans les prochains jours pour continuer à mener un travail d'accompagnement d'urgence mais aussi de réhabilitation du centre-ville de Marseille.
Oui, il faut déclarer la guerre aux marchands de sommeil, et la mener sans répit. Les marchands de sommeil sont des criminels – ils doivent être considérés comme tels – qui profitent de la détresse de nos concitoyens. Ils louent, le plus souvent contre de l'argent liquide, des biens à des personnes qui n'osent pas les dénoncer. Ces criminels, vous l'avez dit, ont un sentiment de totale impunité. Pendant des années, ils ont pu considérer que le business de la misère valait la peine tant il était lucratif ; et le fléau s'est étendu.
Comment mène-t-on cette guerre ? Il faut, d'une part, traquer l'ennemi et, d'autre part, taper très fort. C'est ce que nous faisons grâce à de nouvelles mesures que vous avez citées et qui ont été adoptées dans la loi ELAN. Désormais, les professionnels de l'immobilier, syndics de copropriété ou agences, doivent dénoncer – c'est le terme qui figure dans la loi, ce n'est pas anodin – les marchands de sommeil, parce que les locataires ont peur de le faire.
En vertu de la loi, les marchands de sommeil sont considérés comme des trafiquants de drogue. Ce sont exactement les mêmes sanctions qui leur sont appliquées sur le fondement de la présomption de revenus – interdiction d'acheter un bien pendant dix ans, confiscation des biens. Songez, monsieur Mélenchon, qu'il y a moins de deux ans, dans le quartier Marx Dormoy à Paris, un marchand de sommeil a été condamné ; la mairie a engagé l'expropriation et, parce que le droit l'imposait, elle a dû verser 6,7 millions d'euros à ce criminel au titre des indemnités. Quel est le message envoyé si ce n'est celui de l'immense faiblesse du système et un encouragement pour tous les marchands de sommeil à poursuivre leur activité ? « Continuez ! Si vous êtes condamnés, les indemnités d'expropriation seront telles que cela restera très lucratif ». Nous avons mis un terme à cette aberration. Aujourd'hui, un marchand de sommeil qui est condamné ne peut en aucun cas bénéficier d'une indemnité d'expropriation. C'est fini !
Nous menons la guerre avec une grande détermination pour traquer les marchands de sommeil et taper très fort. Il faut taper là où cela fait mal, c'est-à-dire au portefeuille – interdictions de louer, astreintes automatiques, impossibilité de recevoir des indemnités d'expropriation, peines prévues par le code pénal.
Il faut que la peur change de camp. Aujourd'hui, la peur est du côté des locataires. Demain, elle doit être du côté des marchands de sommeil. Cette impunité que ressentent les marchands de sommeil et qui fait qu'on en trouve dans toutes les classes sociales, il faut absolument y mettre fin. La guerre est déclarée ! La circulaire que vous appelez de vos vœux pour renforcer la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil a été adressée en février dernier. Elle vise de manière prioritaire six territoires d'accélération, parmi lesquels les Bouches-du-Rhône.
Auteur : M. Jean-Luc Mélenchon
Type de question : Question orale
Rubrique : Logement
Ministère interrogé : Ville et logement
Ministère répondant : Ville et logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 mars 2019