Question orale n° 957 :
« One planet summit » - région Pacifique - déchets nucléaires français à Moruroa

15e Législature

Question de : M. Moetai Brotherson
Polynésie Française (3e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine

M. Moetai Brotherson alerte M. le Premier ministre sur l'urgence de retirer les déchets nucléaires français de l'atoll de Moruroa à la veille du One Planet Summit de la région Pacifique.

Réponse en séance, et publiée le 12 février 2020

DÉCHETS NUCLÉAIRES À MORUROA
M. le président. La parole est à M. Moetai Brotherson, pour exposer sa question, n°  957, relative aux déchets nucléaires à Moruroa.

M. Moetai Brotherson. « Ceci est une prière ! / Oh, l'amour de mon pays, / Dont le flot sans relâche a baigné ma jeunesse, / En son âge le plus tendre ! / Qu'il oigne encore mon corps tout mortel, / Et vive cet amour ! / Vive ! Vive ! Vive encore et toujours ! / Qu'il vive et abreuve ma terre natale, / Pour que fleurissent en leur essaim / Les enfants de ce sol, / Enfants de mon pays. »

Ces vers sont extraits du recueil Pehepehe i taù nunaa – Message poétique à mon peuple –, dont l'auteur, Henri Hiro, est une icône de la culture polynésienne, un farouche opposant aux essais nucléaires et un amoureux de sa terre.

Ils sont tout particulièrement d'actualité à la veille du sommet France-Océanie, organisé conjointement avec le One Planet Summit à Tahiti du 16 au 18 avril prochains. Non loin de là se trouvent deux îles géographiquement situées en Polynésie, mais légalement propriété de l'État français : Moruroa et Fangataufa.

Moruroa est une île basse, un atoll où se trouvent des déchets nucléaires français attendant patiemment de contaminer l'océan Pacifique Sud, sitôt que l'île se sera effondrée en raison des fissures provoquées par les essais nucléaires souterrains, ou que l'érosion aura provoqué le même résultat. Le respect du principe de précaution voudrait que l'État n'attende pas cet effondrement pour agir, alors même que le Président de la République présidera le One Planet Summit qui y sera bientôt organisé, en présence de nos voisins du Pacifique, tous concernés au premier chef.

Par-delà la responsabilité de l'État, il s'agit également d'une opportunité d'innovation. En effet, la question du retrait des déchets radioactifs des sites d'expérimentation et de leur traitement se pose, et ne va pas aller en s'amenuisant. Les 193 essais nucléaires menés en Polynésie française sous l'égide du Commissariat à l'énergie atomique – CEA – ont contribué à la création d'un géant du nucléaire civil. Cet organisme, que M. le Premier ministre connaît bien, a acquis la maîtrise des techniques de nettoyage et de confinement des déchets radioactifs.

Dès lors, ma question est simple : le Gouvernement compte-t-il attendre, la tête dans le sable, que cet atoll menacé, massacré pour la grandeur de la France, ne s'écroule et répande ses entrailles irradiées dans l'océan Pacifique ? Ou compte-t-il s'engager à débarrasser une fois pour toutes Moruroa de ses déchets radioactifs ? Maruru ro'a te aroha ia rahi !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Brotherson, vous interrogez le Gouvernement sur une question importante : l'assainissement et le démantèlement des sites de Polynésie française sur lesquels la France a mené des essais nucléaires de 1966 à 1996. Dès l'arrêt des essais, la France a pris la décision de démanteler de façon irréversible les installations du Centre d'expérimentation du Pacifique.

Pour mémoire, je rappelle que la France est le seul pays doté de l'arme nucléaire et signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires à avoir pris une telle décision, et à avoir fait en sorte qu'elle soit suivie d'effet. De surcroît, la France joue un rôle moteur dans la promotion du traité d'interdiction complète des essais nucléaires.

Dès lors que les essais nucléaires réalisés sur l'atoll de Moruroa ont pu fragiliser son massif corallien, la France a mis en place un dispositif de suivi géologique visant à détecter tout glissement de terrain éventuel. Ce dispositif a été modernisé en 2018, grâce à un investissement dont le montant global s'élève à 135 millions d'euros.

Par ailleurs, nous poursuivons la surveillance radiologique continue des atolls, et plus généralement de l'environnement polynésien. Des campagnes de prélèvements sont régulièrement menées, dans le cadre des missions de surveillance radiologique « Turbo », et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire assure une surveillance radiologique régulière.

Les résultats de ces mesures sont mis à la disposition des élus et de la population par le biais d'internet, ainsi que par l'intermédiaire des commissions d'information auprès des anciens sites d'expérimentations nucléaires du Pacifique, ce qui permet de fournir une information en toute transparence.

Comme vous pouvez le constater, monsieur Brotherson, l'action du Gouvernement permet d'assurer une surveillance permanente de l'environnement du site de Moruroa. Elle est menée en totale collaboration avec les autorités locales.

S'agissant de la dépollution de l'atoll de Hao, jadis utilisé comme base arrière du Centre d'expérimentation du Pacifique, certaines de ses parcelles ont subi une pollution industrielle aux hydrocarbures et aux métaux lourds.

Depuis 2009, l'État met en œuvre une solution technique locale en vue de procéder à la dépollution des sols. Les terres polluées aux hydrocarbures sont retraitées par un procédé biologique actif, appelé biotertre, dans le cadre duquel des bactéries ingèrent les hydrocarbures.

En revanche, il n'existe aucune solution de retraitement des terres polluées aux métaux lourds. Comme nous serions amenés à le faire ailleurs, nous avons donc retenu la solution du confinement local. Sa mise en œuvre est menée en pleine collaboration avec les acteurs locaux. Elle a obtenu d'excellents résultats sur une première parcelle.

S'agissant de la pollution constatée sur l'île d'Eiao, située dans l'archipel des Marquises, les services du ministère des armées ont été informés récemment des conséquences sur l'environnement des prospections menées en 1972, lorsque des essais sur cette île étaient envisagés. Une mission terrestre exploratoire sera menée très prochainement, afin de préparer le nettoyage des sites et de rendre à l'île son caractère préservé.

Comme vous pouvez le constater, monsieur Brotherson, quelques semaines avant la tenue conjointe du One Planet Summit et du sommet Océanie, l'État est pleinement engagé dans la préservation de l'environnement de votre territoire, et sera à vos côtés pour affronter les conséquences des actes passés.

M. le président. La parole est à M. Moetai Brotherson.

M. Moetai Brotherson. Malheureusement, je crains que le Gouvernement ne confonde le démontage de quelques hangars et la mise au rebut des jeeps polluées avec l'enlèvement des déchets gisant au fond du lagon de Moruroa.

Données clés

Auteur : M. Moetai Brotherson

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Armées

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 février 2020

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