Charte de la Méditerranée

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L’Assemblée parlementaire de la Méditerranée

Charte de la Méditerranée

Adoptée à l’unanimité lors de la 3ème session plénière

Principauté de Monaco, 13-15 novembre 2008

 

« La Méditerranée va devenir le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident »
Michel Chevalier (1806-1879)

Avant-propos

En ce début de troisième millénaire, la Méditerranée nous assigne toujours quelques bonnes raisons de faire et d’espérer, et nous convie à un art de vivre. Nous, citoyens et parlementaires de tous les pays méditerranéens, entendons revendiquer pleinement notre héritage et notre part d’avenir, et voulons proclamer à voix haute nos convictions et nos idéaux.

La Mer Intérieure baigne les rivages de trois continents. Matrice de l’Europe, du Maghreb et du Machreck, elle nous a transmis à tous un ensemble de valeurs stables. Cette tradition complexe, toujours vivante des deux côtés de la mer, nous a appris à ne jamais nier ce qui fait la grandeur de l’homme. Elle nous parle de nous, nous dit qui nous sommes, féconde nos rapports avec l’univers. Elle nous donne une identité, une liberté dont nous sommes fiers, et elle nous permet de nous tourner avec confiance vers tous nos frères les habitants de cette planète.

La Méditerranée nous a appris à recevoir et à donner, à transmettre, à nous interroger sur nous – mêmes, sans manichéisme, à évoluer dans des univers mentaux différents, à l’intérieur d’un monde resté mosaïque depuis Homère et Virgile. La Méditerranée, son savoir, sa loi, ses croyances, les trois religions monothéistes, son respect de la nature et de la beauté, du sacré et de la raison, ont toujours su rayonner loin de ses rivages, et embrasser toute l’expérience humaine. C’est pourquoi, nous, citoyens et parlementaires de tous les pays méditerranéens, nous espérons nous montrer dignes de ce que nous avons reçu. Il ne s’agit pas pour nous de grandir une civilisation au détriment d’une autre, il ne s’agit pas de mépriser rien ni personne, mais simplement d’affirmer, au moment de regarder vers demain, qu’il est une sagesse et une liberté, une pensée, que nous estimons nécessaires à l’avenir du monde.

 (Le texte de cet avant-propos a été rédigé par l’écrivain Daniel Rondeau, ambassadeur de France à Malte)

Un héritage commun

A l’échelle du monde entier, la Méditerranée est une mer intérieure de dimension modeste. Pourtant, cette mer a joué un rôle unique dans l’histoire de l’homme et de sa liberté. « Grande accoucheuse de civilisations », la Méditerranée a vu apparaître, se développer et parfois disparaître bien des peuples ayant laissé une trace profonde dans la culture universelle : Assyriens, Egyptiens, Minoens, Hébreux, Hittites, Phéniciens, Grecs, Etrusques, Romains, Gaulois, Ibères, Berbères, Arabes, Ottomans et bien d’autres encore.

Il est également remarquable que les trois religions monothéistes révélées soient nées en Méditerranée, ou à proximité immédiate, et y aient pris leur essor. Même si les relations entre ces religions monothéistes ont souvent été conflictuelles, les trois Révélations véhiculent également de nombreuses valeurs communes qui ont contribué à façonner la psyché méditerranéenne. En accordant à l’Homme, une valeur intrinsèque, les trois religions ont offert une dignité à la personne humaine, impliquant un respect nouveau de son intégrité physique et morale. Cet héritage nous oblige. C’est la raison pour laquelle le dialogue inter-religieux revêt une résonance particulière et qu’il doit être renforcé.

L’histoire de la Méditerranée, jusque dans ses tumultes, nous aide à comprendre la place des hommes et des peuples dans le mouvement du temps. Les phases de relative stabilité, lorsqu’un peuple ou une puissance domine la Méditerranée ou y joue au moins un rôle prépondérant, alternent avec des périodes d’affrontement entre puissances rivales. La Grèce des cités au siècle de Périclès, l’Empire hellénistique d’Alexandre, la Rome du Haut-Empire, l’Empire byzantin au temps de la reconquête de Justinien, le Califat abbasside à son apogée, l’Empire ottoman, depuis la prise de Constantinople jusqu’à Lépante, et même l’Angleterre, puissance extra-méditerranéenne, pendant la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle : voici autant de périodes de paix et de stabilité.

Pendant les phases de construction ou de déclin de ces empires, tous, à des degrés divers, pluriethniques et pluriconfessionnels, la Méditerranée redevient un espace d’affrontements souvent acharnés : la Grèce contre la Perse, Rome contre Carthage, Byzance puis l’Espagne contre l’Empire ottoman, la France contre l’Angleterre….

L’histoire se plait souvent à défaire ce qu’elle a construit. Les empires s’effondrent, les couronnes tombent, les royaumes se disloquent. Après l’unité vient la diversité ou la multipolarité. En 395, le partage de l’Empire romain entre les deux fils de l’empereur Théodose, l’un recevant l’Occident et l’autre l’Orient, crée une ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest. Au même moment, la conquête arabo-musulmane du VIIe siècle sépare les deux rives nord et sud de notre Mer Intérieure.

La succession des civilisations en Méditerranée semble avoir donné naissance, à deux grandes civilisations, l’une arabo-musulmane et l’autre gréco-romano-judéo-chrétienne. Cette distinction peut sembler simpliste, et l’on pourrait avoir scrupule à faire basculer d’un seul côté la totalité de l’héritage grec quand on sait le rôle essentiel joué par les grands philosophes et savants arabo-andalous, tels Ibn Sînâ (Avicenne) ou Ibn Ruchd (Averroès), dans la transmission du patrimoine intellectuel de la Grèce antique. Néanmoins, cette présentation binaire a le mérite de rendre compte d’une coupure bien réelle, toujours présente dans l’esprit des peuples méditerranéens. Cette « frontière mentale » n’a toutefois jamais été infranchissable et son importance ne doit pas être surestimée.

Un espace partagé

Nous savons depuis l’incendie de Troie, et depuis Homère, que l’Histoire est toujours tragique. Mais en Méditerranée, la guerre comme la paix ont fabriqué des liens secrets d’une rive à l’autre. Les hommes n’ont cessé d’aller et venir d’un pays l’autre, indifférents aux frontières et aux credo. Et les haines d’ignorance ont fini par reculer. Par le commerce ou par la poésie, par les mariages ou par la navigation, les civilisations méditerranéennes, hostiles ou voisines, n’ont cessé de fraterniser.

Aux temps de la plus grande cohésion politique apparente en Méditerranée, consécutive à l’expansion grecque et aux conquêtes romaines, l’unité manifestée notamment par l’usage d’une langue partagée, la diffusion d’un modèle urbanistique commun ou la multiplication de temples aux colonnades et frontons similaires dédiés aux mêmes divinités, dissimule de profondes différences selon les territoires. Conquérants et conquis se mélangent et s’influencent réciproquement, donnant lieu à des synthèses locales hétérogènes.

A l’inverse, l’incroyable vitalité des échanges inter-méditerranéens, le brassage continu des hommes, des idées et des modes de vie ont contribué à créer, sinon une civilisation, du moins une culture, un esprit, des valeurs communes à tous les méditerranéens.

Sillonnant la « mer du milieu des terres », les marins ont transporté d’une rive à l’autre des influences multiples et des coutumes diverses, faisant de la Méditerranée un creuset où les traditions se fondent et les cultures s’entrelacent.

Dans ce mouvement de fécondation croisée, certains lieux de passage privilégiés ont joué, tout au long de l’histoire méditerranéenne, un rôle de catalyseur, qu’il s’agisse d’Al-Andalous, de Venise, de Byzance-Constantinople-Istanbul, d’Alexandrie, de Carthage, ou encore de Salonique ou Marseille.

Parmi les valeurs méditerranéennes forgées par l’histoire, il faut mentionner l’hospitalité, le sens de la famille, le goût le plus vif du débat, l’amour des belles choses, du plaisir et de la nature, l’ouverture à l’autre, le sens du tragique...

Aucune de ces valeurs n’est bien sûr l’apanage de la région, mais leur conjonction y forme un précipité à nul autre pareil. De leur côté, artistes et écrivains de Méditerranée ont contribué à faire émerger une « Méditerranée mentale », à la fois réelle et mythique, dont les rivages sont éclairés par la même lumière, et baignés par des eaux d’un même bleu, pareillement plantés de variétés endémiques – oliviers, vigne figuiers – et d’espèces orientales qui, aujourd’hui, font partie de notre paysage – orangers, amandiers ou abricotiers.

Non, la métaphore rebattue du creuset méditerranéen n’est pas vide de sens et on a pu légitimement évoquer un héritage commun où « l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté française et l’éternité égyptienne » [1].

Il est possible de lire l’histoire méditerranéenne comme celle d’un chemin riche et complexe, de l’unité diverse des temps antiques à la diversité unie d’aujourd’hui. Pas question bien sûr de succomber aux charmes d’une vision idyllique. Disons plutôt que les incertitudes et les menaces d’hier nous redisent une fois encore qu’il est urgent de faire et raisonnable d’espérer. Le temps est venu de réfléchir à ce que signifie « être méditerranéen » et de cerner les contours de notre héritage commun. L’avenir s’écrit toujours sur les traces du passé.

Un défi collectif

La vérité est que les fruits n’ont pas toujours tenu la promesse des fleurs. Il nous revient d’affronter ensemble une réalité complexe et parfois dangereuse sur le triple plan de la politique, de l’économie et de la culture :

–                       La politique : les foyers de tension sont nombreux en Méditerranée et le plus important d’entre eux, celui du Proche-Orient, a des répercussions négatives qui vont bien au-delà de la région ; par ailleurs, de nombreux États riverains ont été ou sont encore la cible d’attaques terroristes;

–                       L’économie : l’écart de développement entre les rives nord et sud est très important et a spontanément tendance à s’accroître ; l’hétérogénéité des niveaux de vie ainsi créée provoque de fortes tensions migratoires ; devenus pays de transit, les pays du Sud sont désormais confrontés, comme le sont de longue date ceux du Nord en tant que pays de destination, à d’importants flux d’immigration illégale ; les tentatives de traversée de la Méditerranée à bord d’embarcations de fortune se traduisent de surcroît par la perte de nombreuses vies humaines ; les économies méditerranéennes sont loin de respecter les impératifs du développement durable, accroissant ainsi les risques environnementaux liés aux activités humaines ;

–                       La culture : le niveau d’incompréhension entre les cultures et les religions s’accroît dangereusement, provoquant ainsi d’inquiétantes poussées d’intolérance.

Ce simple constat suffit à nous faire mesurer l’ampleur des défis auxquels sont confrontés ceux qui veulent faire de la Méditerranée une zone de paix, d’échanges mutuellement profitables et de prospérité partagée.

C’est précisément pour contribuer à relever ces défis que l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) a été créée. Les Parlements des États riverains ont en effet voulu instituer un forum parlementaire qui leur soit propre pour échanger leurs expériences, confronter leurs idées et rechercher ensemble des solutions communes aux problèmes aigus auxquels la région est confrontée.

En agissant ainsi, ils ont voulu revivifier l’héritage commun des Méditerranéens, en illustrer la modernité, contribuer à promouvoir les valeurs qu’il véhicule et répondre aux aspirations légitimes des peuples de la Méditerranée qu’ils représentent.

Car les valeurs qui unissent les Méditerranéens ne sont pas limitées aux domaines de la culture ou de l’art de vivre, loin s’en faut. Elles sont également fortement présentes dans la sphère politique, prise au sens large du terme.

En tant qu’elles fondent l’action de l’APM, ces valeurs doivent être ici rappelées.

La première d’entre elles est la démocratie. Née en Grèce, elle a subsisté dans certaines cités-États de la Méditerranée et a effectué un retour en force, sous une forme profondément renouvelée, après la Révolution française.

S’il faut sans doute se garder de vouloir plaquer un modèle unique et standardisé de démocratie sur des contextes nationaux fort divers, ce serait également une grave erreur que de verser dans un relativisme absolu, dans lequel tous les régimes démocratiques ou présentés comme tels se vaudraient. Force est de constater qu’en Méditerranée, le degré d’épanouissement de la démocratie parlementaire n’est pas le même partout et que des avancées substantielles sont encore possibles ici et là.

Dans ce contexte, l’action de l’APM doit être imprégnée d’un esprit constructif. Il ne s’agit pas de donner des leçons ou de distribuer bons ou mauvais points, mais de favoriser les évolutions nécessaires en créant les conditions d’une émulation positive. A cet égard, les nombreuses rencontres interparlementaires inhérentes aux activités de l’APM lui permettent notamment de jouer un rôle de plate-forme d’échanges sur les bonnes pratiques parlementaires de nature à conforter ou à renforcer la démocratie.

Sur le fond, l’APM souscrit à la « Déclaration universelle sur la démocratie », adoptée par l’UIP lors de la 98e Conférence interparlementaire tenue au Caire en septembre 1997, qui assigne notamment aux Gouvernements les devoirs suivants :

o        Respecter pleinement les droits de l'homme tels qu’ils sont définis par les conventions internationales pertinentes;

o        Veiller à ce que le Parlement soit représentatif de toutes les composantes de la société ;

o        Donner au Parlement les moyens requis pour exprimer la volonté du peuple en légiférant et en contrôlant l’action du gouvernement;

o        Organiser à intervalles périodiques des élections libres et régulières permettant à la population d'exprimer sa volonté au suffrage universel, égal et secret ;

o        Garantir le respect des droits civils et politiques, tels que le droit de voter et d’être candidat, les droits à la liberté d'expression et d'association, l’accès à l’information et le droit de constituer des partis politiques et de mener des activités politiques ;

o        Réglementer de manière impartiale les activités, le financement et l’éthique des partis politiques ;

o        Réglementer de manière impartiale la participation individuelle aux processus démocratiques et à la vie publique, afin de prévenir toute discrimination ou risque d’intimidation de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques;

o        Assurer l’accès de tous aux recours administratifs et judiciaires ainsi que le respect des décisions administratives et judiciaires;

o        S'attacher à satisfaire les besoins économiques et sociaux des groupes les plus défavorisés de la société, assurant ainsi leur pleine intégration au processus démocratique;

o        Favoriser la participation populaire pour sauvegarder la diversité, le pluralisme et le droit à la différence dans un climat de tolérance;

o        Favoriser la décentralisation du gouvernement et de l’administration;

o        Assurer un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la conduite des affaires publiques;

L’APM fait également siens les « critères pour des élections libres et régulières » énoncés dans la Déclaration adoptée par l’UIP lors de la 154ème Session du Conseil interparlementaire tenue à Paris en mars 1994.

Dans le prolongement de son engagement en faveur de la démocratie, l’APM promeut également les principes de l’État de droit, dont l’indépendance de la justice, le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité de tous devant la loi et les autres normes juridiques ainsi que le droit pour toute personne concernée par une décision de l’État ou d’un autre organe public de pouvoir la contester en justice de manière effective.

Dans le domaine des relations internationales, l’APM souscrit à la Charte des Nations Unies, respecte et promeut les principes suivants :

o        Règlement pacifique des différends et conflits ;

o        Respect de la souveraineté des États et mise en œuvre de la « responsabilité de protéger » définit par la résolution 1674 du Conseil de sécurité des Nations Unies ;

o        Soutien aux traités de désarmement et de non-prolifération concernant la région, tels le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ;

o        Condamnation sans réserves du terrorisme sous toutes ses formes ;

o        Condamnation de toutes les occupations ;

o        Soutien au processus de paix mis en œuvre dans la région, en particulier au Proche-Orient, où l’objectif est de parvenir, sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, à un règlement juste et durable du conflit, avec la constitution de deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues.

o        Adhésion aux principes de la Charte de Carthage sur la tolérance en Méditerranée et soutien aux initiatives qui, telle l’Alliance des civilisations, visent à développer la compréhension mutuelle et à favoriser un dialogue apaisé et constructif entre les cultures et les religions

Un engagement pour l’avenir

Enfin, il revient à chaque génération d’écrire la page qui instruira l’avenir de nos peuples respectifs. Nous, parlementaires et citoyens des pays méditerranéens, réunis à Monaco en cette année 2008, nous voulons nous montrer dignes des leçons de l’Histoire reçues sur nos deux rivages. L’histoire de la Méditerranée nous a appris que le bonheur des peuples est toujours à construire. Rien n’est donné ni promis. Et le pire n’est jamais loin, si l’on y prend garde. Mais tout est possible à ceux qui acceptent d’oser et de faire.

L’histoire s’accélère et le monde rétrécit. Il est de plus en plus difficile de répondre à la vieille question que posait le philosophe : Ou puis-je me sentir chez moi ? Le temps de prendre ensemble nos responsabilités nous semble venu. Nous ne les fuirons pas. Nous croyons en l’homme, en sa liberté, et nous avons le privilège de savoir qui nous sommes et où nous vivons. Nous pensons que chaque citoyen des rivages méditerranéens a le droit de vivre dans la paix, loin des conflits, de la souffrance et de la faim. Nous voulons que nos peuples et nos pays aient le droit d’accéder en pleine part à leur héritage et de le faire fructifier. Cet héritage n’est pas rien, il nous parle de savoir, de beauté et de mystère. Il nous revient, à nous parlementaires et citoyens des pays méditerranéens, forts de ce passé commun, de regarder l’avenir avec confiance, et de recréer l’unité disparue entre nos deux rives. Nous espérons que l’unité de nos deux rives puisse donner à nos peuples paix, prospérité et puissance, toutes choses essentielles quand il s’agit, comme nous le désirons, de servir la vie.

[1] Joseph Maïla, Études, février 1997

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Annexe à la Charte de la Méditerranée

 Adoptée à l’unanimité lors de la 3ème session plénière

Principauté de Monaco, 13-15 novembre 2008

Document d’orientation sur la nature, les objectifs, 
l’organisation et les domaines d’action de l’APM

 

Des origines anciennes

L’APM est issue du processus de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée (CSCM), qui a fonctionné au sein de l’Union interparlementaire (UIP) de 1992 à février 2005.

Le processus de la CSCM a eu le grand mérite de permettre d’évoquer les questions méditerranéennes au sein d’un forum parlementaire dédié. Cependant, l’inscription des réunions « ordinaires » de la CSCM à l’ordre du jour des assemblées statutaires de l’UIP avait pour effet de limiter à une poignée d’heures le temps de débat alloué à la Méditerranée. De plus, la rareté des sessions plénières de la CSCM (1992, 1995, 2000 et 2004) n’a pas permis de pallier cet inconvénient et de faire de cet organe un véritable forum parlementaire. L’idée de créer une Assemblée parlementaire consacrée à la Méditerranée a germé dès 1995 au sein de la CSCM. Cependant, l’évolution négative du processus de paix au Proche-Orient a freiné sa maturation. Les grandes lignes de la future Assemblée n’ont pu être esquissées qu’en 2002, à l’occasion de la Conférence de l’UIP tenue à Marrakech. Ensuite, les paramètres essentiels de cette Assemblée ont été précisés ou fixés lors d’une réunion du Comité de coordination organisée à Nice en 2004, ce qui a permis de faire acter le remplacement de la CSCM par l’APM lors de la dernière conférence plénière réunie à Nauplie en 2005.

La session inaugurale de l’APM a eu lieu en 2006 à Amman, le laps de temps séparant cette session de la Conférence de Nauplie ayant dû être mis à profit pour établir avec succès la non-redondance de l’APM avec les autres organes parlementaires pouvant traiter des questions méditerranéennes.

 

Un périmètre original : tous les méditerranéen, mais rien que les méditerranéens.

L’APM se distingue de toutes les autres enceintes parlementaires abordant les problèmes de la région par sa composition unique. Elle est en effet la seule organisation parlementaire dédiée et ouverte à tous les Méditerranéens. Par Méditerranéens, il faut entendre, d’une part, les États géographiquement riverains et, d’autre part, les États dont la communauté d’intérêt avec le bassin méditerranéen est si étroite qu’ils peuvent être assimilés à des pays riverains. Cette catégorie définie stricto sensu ne peut comprendre qu’un petit nombre d’États. Il s’agit actuellement de l’Ex-République yougoslave de Macédoine, de la Jordanie, du Portugal et de la Serbie.

Le périmètre ainsi délimité n’est pas seulement une des caractéristiques essentielles de l’Assemblée, mais aussi une de ses principales raisons d’être. Tout au long des débats de la CSCM, et particulièrement lors de ceux consacrés à l’évaluation de la plus-value que pourrait apporter l’APM par rapport aux organes interparlementaires existants, s’est constamment exprimée une volonté partagée de disposer d’une assemblée parlementaire qui soit propre aux Méditerranéens, une telle Assemblée étant considérée comme le cadre le plus pertinent pour examiner de manière efficace et approfondie les problèmes de la région.

Cette volonté commune de tous les Parlements concernés, cet ardent désir d’un « vivre ensemble » parlementaire en Méditerranée constituent une des principales forces de l’APM, qui n’aurait pu voir le jour en leur absence.

 

Une mission prioritaire : rehausser le niveau du dialogue interparlementaire en Méditerranée pour œuvrer en faveur de la paix, du développement et de la compréhension mutuelle.

L’APM est une assemblée parlementaire internationale de nature consultative, qui est indépendante de tout processus intergouvernemental.

Par rapport à la CSCM, la création de l’APM représentait un saut qualitatif qui a été décidé dans le but de rehausser le niveau des échanges interparlementaires en Méditerranée et d’intensifier ces échanges.

L’APM offre également un cadre propice au développement de la diplomatie parlementaire dans la région méditerranéenne. Si la diplomatie classique a sans nul doute un caractère plus opératoire, elle souffre en revanche de nombreuses rigidités, plus particulièrement dans les situations de tension. La parole des parlementaires étant par nature plus libre que celle des gouvernants, les débats de l’APM peuvent contribuer à confronter les points de vue, aplanir les différends, explorer des pistes nouvelles, tester des idées ou explorer des solutions. Sans prétendre être un instrument de règlement des conflits, l’APM peut contribuer, par une action discrète s’inscrivant dans la durée, à modifier un climat ou à créer des conditions favorables à une évolution positive, sous réserve bien sûr que les parties concernées acceptent de « jouer le jeu ».

Enfin, l’APM peut servir de plateforme d’échange sur les bonnes pratiques parlementaires. Les membres des délégations nationales à l’APM sont, par définition, des professionnels de la législation et du contrôle de l’exécutif et ils doivent pouvoir mettre à profit leurs rencontres dans le cadre de l’APM pour comparer leurs expériences professionnelles, réfléchir ensemble aux moyens de mieux exercer le « métier » de parlementaire et tirer les leçons des succès et des échecs vécus par leurs collègues.

Sur le fond, l’objectif de l’APM est de contribuer, avec les moyens dont elle dispose, à faire de la Méditerranée un espace de stabilité, de coopération, de compréhension et de prospérité partagée.

Cette ambition n’est pas fondée sur un altruisme de façade, mais sur la conviction que les destins des pays méditerranéens sont étroitement liés les uns aux autres. La Méditerranée du Nord ne peut pas durablement réussir si la Méditerranée du Sud échoue, la Méditerranée tout entière ne peut pas connaître une paix durable sans un juste règlement des conflits de la Méditerranée orientale.

Laisser se creuser les écarts de richesse dans le bassin méditerranéen, laisser s’y exacerber les tensions serait une attitude véritablement irresponsable dans un monde où les frontières n’ont jamais été aussi peu étanches. Le laisser-faire n’étant tout simplement pas une option viable, il est impératif de susciter des projets visant à combler ces écarts Nord-Sud, notamment en favorisant la création de richesses dans les pays de la rive Sud. L’APM peut aider à cette prise de conscience par ses travaux, en particulier en examinant dans un esprit d’ouverture et sans préjugés les grandes questions d’intérêt commun et en soumettant aux Parlements membres et aux Gouvernements de la région les conclusions auxquelles elle est parvenue.

Dans le même esprit, l’APM devra s’efforcer d’intensifier le dialogue culturel et religieux entre les deux rives en privilégiant des processus témoignant de manière pédagogique de l’existence d’une culture partagée et de valeurs communes.

 

Une structure légère et adaptable

La structure institutionnelle de l’APM a été fixée par les statuts élaborés dans le cadre de la CSCM puis adoptés lors de la session inaugurale d’Amman en septembre 2006 et révisés lors de la deuxième réunion plénière tenue à La Valette en novembre 2007.

Cette structure institutionnelle allie la simplicité à la plasticité.

Exerçant au sein de l’APM la fonction délibérative, l’Assemblée en est l’organe principal. Elle se réunit en session plénière ordinaire au moins une fois par an, mais les statuts prévoient la possibilité de tenir des sessions extraordinaires en cas de besoin. Les sessions plénières sont organisées sur le territoire d’un Membre, en respectant si possible une alternance entre les rives Nord et Sud. Chaque Membre est représenté à l’Assemblée par une délégation nationale comprenant au plus cinq parlementaires. Toutes les décisions importantes relatives au fonctionnement interne de l’APM sont prises par l’Assemblée : à ce titre, elle adopte le budget et peut arrêter un programme de travail pluriannuel. C’est également l’Assemblée qui adopte les projets de résolution et les autres documents qui expriment les positions prises par l’APM sur la scène internationale.

L’organe dirigeant de l’APM est le Bureau, dont les huit membres sont élus par l’Assemblée pour un mandat de deux ans. Le Bureau comprend le Président de l’APM, quatre vice-présidents et les présidents des trois commissions permanentes prévues par les statuts, à savoir la Commission sur la coopération politique et de sécurité (1ère Commission), la Commission sur la coopération économique, sociale et environnementale (2ème Commission) et la Commission sur le dialogue des civilisations et les droits de l'homme (3ème Commission). Comme on le verra ci-après, un accord informel garantit une répartition géopolitique équitable et alternée des postes au sein du Bureau.

Le Bureau est chargé de préparer et coordonner les travaux de l’Assemblée : à ce titre, il lui incombe notamment de faire des recommandations sur toutes les questions relatives à l’affiliation à l’Assemblée, de proposer le programme de travail de l’APM, d’approuver ses comptes et de sélectionner, parmi les candidats au poste de Secrétaire général, celui dont le nom sera soumis au vote.

Les trois Commissions permanentes sont les organes opérationnels de l’Assemblée. Elles sont le lieu où se noue le débat entre les Membres et où se préparent les prises de position de l’Assemblée. C’est aussi sur la base des suggestions de leurs membres que le Bureau élabore le projet de programme de travail ensuite soumis à l’Assemblée plénière.

La répartition des compétences entre les commissions est conforme au modèle « classique » des trois corbeilles, la première politique, la deuxième économique et la troisième consacrée à la culture et aux droits de l'homme. Eu égard à l’étendue du champ de compétences dévolu à chacune des commissions, les statuts ont prévu deux modalités complémentaires d’organisation des travaux de l’APM en amont de l’Assemblée plénière.

Pour suivre de manière permanente des questions spécifiques présentant une importance particulière, l’Assemblée peut créer des Comités ad hoc. A ce jour, cette possibilité a été mise en œuvre pour suivre le problème du Proche-Orient.

Il est également possible de démultiplier les commissions permanentes en créant, en leur sein, des groupes d’études spéciaux (GES). En principe, les GES n’ont pas un caractère permanent, à l’exception du seul d’entre eux à être mentionné dans les statuts, à savoir celui consacré aux questions de genre et d’égalité entre les sexes (rattaché à la Troisième Commission).

Dès la mise en place d’un Secrétariat permanent et autonome, un GES a été créé pour la quasi-totalité des sujets inscrits à l’ordre du jour d’une session plénière. Cette façon de faire permet d’impliquer plus de membres de la Commission dans la préparation de ses travaux. Si le parlementaire qui a été désigné comme rapporteur demeure responsable au premier chef de l’élaboration du rapport, la réunion du GES avant la session de la commission correspondante lui permet de tester ses idées sur ses collègues et de prendre les leurs en considération à un stade précoce. La formule d’un GES constitue ainsi une alternative à la nomination de plusieurs co-rapporteurs, étant toutefois souligné qu’elle doit demeurer une possibilité et non une obligation.

 

Un principe essentiel : l’égalité absolue entre tous les membres de l’APM

Tirant les leçons des frustrations constatées dans le cadre d’autres processus interparlementaires, les promoteurs de l’APM ont voulu que tous ses membres soient placés sur un pied de stricte égalité. Plusieurs dispositions ont été prises pour que cette volonté se traduise dans les faits et ne demeure pas une simple déclaration d’intention non suivie d’effets.

En premier lieu, l’option de la pondération des voix en fonction de l’effectif de la population a été expressément écartée et chaque délégation nationale s’est vue reconnaître le même nombre de voix.

A également été retenu le principe que les décisions de l’Assemblée seraient prises par consensus. A défaut de consensus, la majorité requise a été fixée au niveau très élevé des 4/5e des suffrages exprimés. Ce seuil a notamment été choisi pour neutraliser les effets de la répartition inégale du nombre de pays entre les deux rives de la Méditerranée.

Enfin, une règle de répartition par alternance des postes au sein du Bureau a été arrêtée dans le même esprit. La présidence doit d’abord passer d’une rive à l’autre ; de plus, la parité au sein du Bureau est garantie par le fait que les pays de la rive qui ne détient pas la présidence bénéficient de deux présidences de commission permanente contre une seule pour les pays de l’autre rive, les quatre postes de vice-présidents étant partagés à égalité.

Il y a d’ailleurs lieu de souligner que les deux groupes géopolitiques informels rassemblant respectivement les pays de la rive Nord et ceux de la rive Sud ont été constitués dans le seul but de sélectionner les candidats aux postes du Bureau. En revanche, les questions de fond ne sont pas débattues au sein des groupes et viennent directement devant les commissions permanentes ou l’Assemblée, où les positions se déterminent en fonction des convictions propres des Membres et non de leur situation géographique.

 

Les domaines d’action privilégiés : les grands enjeux méditerranéens

Si l’APM n’est pas par nature un organe décisionnel, elle a pour ambition de faire avancer la réflexion sur des problèmes concrets qui intéressent tous les habitants des pays méditerranéens, d’être un laboratoire d’idées et de propositions et, partant, d’exercer un magistère d’influence et de peser sur les politiques gouvernementales. Dans cet esprit, l’APM privilégiera les sujets sur lesquels les Membres sont susceptibles de se rassembler pour définir, dans l’intérêt des peuples méditerranéens, des solutions mutuellement profitables. Pour autant, elle n’esquivera pas les questions les plus brûlantes et les plus « clivantes »; à commencer par celle du Proche-Orient. Celle-ci sera donc évoquée avant de présenter une liste indicative de grands sujets d’intérêt commun  relevant de chacune des trois commissions permanentes.

La situation au Proche-Orient

Sur cette question particulièrement complexe et délicate, où prudence et modestie sont de rigueur, l’action de l’APM sera naturellement respectueuse du cadre tracé par les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies et par les initiatives de paix consécutives aux accords d’Oslo.

Cela étant précisé, il reste frappant de constater que, dans un  passé récent, les négociations israélo-palestiniennes n’ont pas été très loin d’aboutir à un règlement global du conflit. Les paramètres d’un tel règlement sont donc connus pour une bonne part – peut-être à plus de 80%. Aujourd’hui, la difficulté principale semble être de savoir comment, dans une situation sensiblement plus complexe et instable qu’à l’époque des dernières percées significatives dans les négociations, renouer les fils du dialogue entre les parties. A cet égard, les contacts entre parlementaires des pays concernés au sein de l’APM pourraient contribuer à créer un climat plus propice. La définition puis la mise en œuvre progressive de mesures visant à restaurer la confiance peut également être envisagée. Tout cela suppose cependant que les Parlements concernés soient régulièrement représentés aux réunions de l’APM.

Les autres questions politiques et de sécurité

−             Énergie : sécurisation des approvisionnements et limitation des variations erratiques des prix ; développement des énergies renouvelables, en tirant profit des potentiels importants inhérents au climat méditerranéen ; promotion des économies d’énergie ; réduction des pollutions liées à l’utilisation des énergies fossiles ;

−             Désarmement : promotion des accords de limitation des armements et de désarmement ; établissement au Proche-Orient d’une zone exempte de toute arme de destruction massive ;

−             Zones de tension : mise en œuvre d’une diplomatie préventive ; rétablissement du dialogue interparlementaire ; définition et mise en application de mesures visant à restaurer la confiance.

Les questions économiques, sociales et environnementales

−             Élimination des obstacles aux échanges économiques : extension du libre-échange en Méditerranée ; libre circulation des personnes ; disparition des barrières non tarifaires ; intégration des marchés des pays du Sud ; développement du commerce maritime et création d’autoroutes de la mer ;

−             Financement du développement : mesures à mettre en œuvre pour combler les écarts de développement actuellement constatés ; encouragement des investissements directs étrangers ; opérations de réduction ou d’annulation de dettes ; augmentation de l’aide publique au développement et harmonisation des procédures ; dans le cadre de politiques de co-développement, mobilisation des transferts financiers des migrants en faveur de projets prioritaires ;

−             Eau : promotion d’une gestion intégrée des ressources en eau ; extension de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement des eaux usées, lutte contre les gaspillages.

−             Protection de l’environnement : dépollution de la Méditerranée ;  protection du milieu marin et de la biodiversité ; lutte contre le changement climatique, à la fois en limitant les rejets de gaz à effet de serre et en recherchant une meilleure adaptation aux conséquences de l’élévation des températures ; développement de la coopération scientifique ; réflexion sur la perspective de « migrations environnementales » ; lutte contre la désertification.

−             Sécurité civile : mise en place d’un système d’alerte avancée à l’échelle de la Méditerranée ; recherche d’une meilleure coordination des opérations de protection civile et de la mise en commun des moyens.

 

Les questions culturelles et les droits de l'homme

−             Dialogue entre les cultures et les religions : favoriser une meilleure connaissance réciproque des cultures et des religions de la Méditerranée ; combattre les préjugés et les attitudes discriminatoires ou incitant à la discrimination à raison de l’origine ethnique ou de la religion.

−             Égalité entre les sexes : lutte contre des discriminations en fonction  du sexe ; promotion de la participation des femmes à la vie politique, économique et culturelle de leur pays ; prévention et répression de la violence à l’égard des femmes ; protection particulière des femmes et des enfants pendant les conflits

−             Migrations : coordination de la lutte contre les migrations illégales ; prévention de la « fuite des cerveaux » ; encouragement à la conclusion d’accords de co-développement favorisant des « migrations circulaires » ; mesures visant à rendre plus effectif le droit d’asile tout en évitant les détournements de procédures ; garantie des droits des migrants.

−             Promotion des droits de l'homme, de l’État de droit et de la bonne gouvernance : favoriser les échanges de bonnes pratiques parlementaires dans ces domaines ; sans promouvoir un modèle unique, favoriser l’harmonisation des dispositions de protection des droits de l'homme.