Troisième séance du mardi 01 avril 2025
- Présidence de M. Xavier Breton
- 1. Définition pénale du viol et des agressions sexuelles
- Discussion générale (suite)
- Discussion générale (suite)
- Discussion générale (suite)
- Mme Sarah Legrain
- Mme Céline Thiébault-Martinez
- M. Belkhir Belhaddad
- Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
- Discussion des articles
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 2. Création d’un institut Océan de l’Université des Nations unies en France
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (nos 842, 1181).
Discussion générale (suite)
M. le président
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Les chiffres concernant les violences sexuelles sont alarmants. Il est temps que l’Assemblée se saisisse de la question du consentement. Qui, en effet, peut sincèrement croire ici que notre système pénal défend efficacement les femmes victimes d’agressions sexuelles ? Combien de temps et combien de victimes laissées de côté avant que le Parlement se décide à légiférer ?
Alors, forcément, votre texte suscite beaucoup de débats, mesdames les rapporteures.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Un petit peu…
Mme Martine Froger
Vos opposants les plus fermes alertent même contre « le piège » du consentement. Pourtant, personne ne peut nier les obstacles qui se dressent devant les femmes victimes de violences sexuelles sur leur long chemin, souvent solitaire, pour obtenir justice et réparation. Nous ne pouvons rester inactifs et sourds à la douleur des victimes qui voient leur agresseur échapper le plus souvent aux sanctions. Le groupe LIOT soutient donc pleinement les objectifs de ce texte et salue le choix fait en commission de suivre les recommandations du Conseil d’État pour s’assurer de sa solidité.
Les auditions menées par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (DDF) auprès des professionnels du droit établissent un constat clair : la définition pénale du viol n’est pas favorable aux victimes ; en l’état, il existe une présomption de consentement tacite en cas d’atteinte sexuelle. Certes, cette présomption peut être renversée, mais la charge de la preuve pèse alors sur la victime à laquelle il incombe de prouver qu’il y a eu un des quatre éléments suivants : violence, contrainte, menace ou surprise.
Or ce chemin probatoire est long et difficile, et les critères sont stricts et appréciés avec rigueur par les juges. J’y insiste : la définition pénale du viol n’est pas favorable aux victimes, comme le montre le taux de 94 % de classements sans suite.
En finir avec le sentiment d’impunité, c’est bien l’objet de cette proposition de loi. Elle vise à modifier la définition des agressions sexuelles et du viol en réprimant les actes sexuels « non consentis » et en posant les bases de la notion de consentement. Nous considérons que cet ajout dans la loi va indéniablement dans le bon sens. Notre groupe soutient la rédaction suggérée par le Conseil d’État et adoptée en commission : elle est en effet limpide et précise. Le consentement serait ainsi caractérisé comme « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ».
Nous vous alertons toutefois sur la nécessité de peser chaque mot. Par le passé, des définitions inadéquates ont pu avoir des conséquences sur des milliers de personnes. À titre d’exemple, en 2012, la censure – avec effet immédiat – par le Conseil constitutionnel du délit de harcèlement sexuel a stoppé net de nombreuses poursuites, laissant les victimes sans moyens de défense judiciaires. Les enjeux sont par conséquent trop élevés pour prendre le risque d’une définition qui ne répondrait pas aux exigences constitutionnelles qui découlent du principe de légalité des délits et des peines.
Au-delà de l’examen de cette proposition de loi, notre groupe appelle désormais le gouvernement à se saisir pleinement du sujet. Non, les « Grenelle » sur les violences et autres circulaires et formations à destination des magistrats, bien qu’utiles, ne suffisent plus face aux enjeux. Il faut désormais légiférer, comme l’ont fait déjà d’autres pays européens, en inscrivant dans la loi la notion de consentement.
Enfin, la définition pénale du viol que nous examinons est une évolution nécessaire mais elle ne peut être qu’un premier pas. Ajouter le mot « consentement » est une avancée pour les victimes mais, seul, ce changement ne suffira pas à aider les femmes à parler, à éviter les classements sans suite et à obtenir une condamnation ferme.
Le groupe LIOT votera le texte même si nous savons tous que cette première étape devra être accompagnée d’un changement plus profond de l’ensemble des pratiques pour que tout le système judiciaire soit enfin du côté des victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT, ainsi que sur ceux des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
Chaque année, dans notre pays, 230 000 femmes sont victimes de viol, de tentatives de viol ou d’agressions sexuelles. Selon les résultats de l’enquête de victimation réalisée en 2023, seules 6 % des femmes victimes déclarent avoir porté plainte – et il s’agit là d’une estimation minimale. Ces chiffres nous invitent toutes et tous à agir en faveur de la libération de la parole et pour permettre au système judiciaire de répondre efficacement à ce fléau national.
Les initiatives parlementaires ne manquent pas en ce sens et les pistes de réflexion sont nombreuses : création de juridictions spécialisées, formation des professionnels, réforme de la prescription, création de nouvelles infractions… Le présent texte vise quant à lui à insérer dans la loi une définition du consentement en matière de viol.
Bien qu’au cœur des débats judiciaires, voire des débats de société, comme ce fut le cas récemment lors du procès des viols de Mazan, la notion de consentement n’est pas clairement définie dans le code pénal. Plusieurs fois, pourtant, le législateur s’y est intéressé, soit pour abroger la présomption de consentement entre époux et permettre la condamnation des viols conjugaux, soit pour créer une présomption de non-consentement, afin de protéger les mineurs de moins de 15 ans lorsque l’auteur majeur du viol a au moins 5 ans de plus que sa victime. Pour le reste, dans le droit, le viol renvoie à une pénétration sexuelle commise par « violence, contrainte, menace ou surprise ».
En s’attaquant à la définition du consentement, vos objectifs sont clairs : étendre sans équivoque la définition du viol aux cas de sidération, d’emprise et de coercition ; éviter aux victimes une sorte de violence judiciaire en leur épargnant les longs interrogatoires sur la façon dont elles ont exprimé leur non-consentement ; déjouer les stratégies de défense des auteurs de viol fondées sur le fait que la victime n’aurait « pas dit non » ; libérer la parole des victimes ; enfin, lutter contre la culture du viol. Nous partageons vos objectifs mille fois et nous saluons votre travail acharné et votre esprit transpartisan.
Nos craintes subsistent néanmoins sur les effets de l’application concrète de la définition retenue. Les débats en commission nous ont laissé de nombreuses interrogations, à commencer par les effets de la loi.
Certains y voient en effet un texte de principe pour faire avancer le débat de société et favoriser une prise de conscience, sans réelle portée sur le droit pénal. En effet, si la notion de consentement ne figure pas dans la loi, elle est bien au cœur du débat judiciaire et les juges nous ont prouvé maintes fois qu’ils étaient capables de manier cette notion avec souplesse pour l’adapter aux évolutions de la société. Certaines affaires récentes nous ont d’ailleurs démontré qu’il était possible d’obtenir justice pour les victimes de viol par sidération, emprise ou coercition, malgré l’absence de définition du consentement dans la loi.
D’autres saluent une modification profonde du droit, une inversion de la charge de la preuve qui, soit conduirait le ministère public à accentuer les interrogatoires de la victime pour démontrer l’absence de consentement, soit laisserait à la personne poursuivie l’établissement difficile de la preuve du consentement, introduisant alors une quasi-présomption de culpabilité contraire à la Constitution. Si ce dernier écueil semble avoir été écarté par le Conseil d’État dans son avis, les incidences de cette proposition de loi sur le droit en général et sur les droits des victimes en particulier, demeurent floues et incertaines.
Nous partageons pleinement l’esprit de la loi mais regrettons l’émiettement législatif dont vous n’êtes pas responsables et l’évitement de la question des moyens. Mieux protéger les victimes de viol et améliorer la réponse pénale nécessite un projet de loi-cadre, une étude d’impact préalable, des moyens pour la justice et pour l’éducation. C’est toute notre stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes qu’il faut repenser. (Mmes Elsa Faucillon et Ségolène Amiot applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Sophie Ricourt Vaginay.
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Il est des sujets face auxquels aucun silence n’est admissible. Le viol en est un. Il est l’atteinte suprême : celle que l’on porte au corps, à l’intime, à l’âme. Il laisse dans la chair des blessures invisibles et, dans l’esprit, des cicatrices que le temps ne peut refermer. Écouter les victimes, les entendre, les croire, les protéger : voilà le devoir de toute société digne de ce nom. C’est une exigence éthique, une urgence politique.
Mais écouter les victimes ne saurait signifier qu’il faille oublier les principes fondateurs de notre droit. La présente proposition de loi vise à inscrire dans le code pénal cette formulation : le viol est défini comme « tout acte sexuel non consenti ». Derrière cette phrase apparemment simple, se noue un débat d’une extrême complexité car si le consentement est, oui, le cœur battant de toute relation libre, la traduction juridique de cette notion ne peut se satisfaire d’une approche intuitive ou émotionnelle.
Le droit n’est pas un cri, il est un cadre. Le droit n’est pas une impression, il est une construction rationnelle. En introduisant une définition du viol fondée uniquement sur l’absence de consentement, sans exigence corrélée de preuve matérielle, de menace, de violence ou de contrainte, nous modifions profondément l’équilibre du droit pénal. Et cette modification n’est pas anodine, elle est fondatrice, elle consacre une rupture – discrète mais redoutable – avec les principes que le droit pénal protège depuis des siècles.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Ce n’est pas ce que dit le Conseil d’État !
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Le droit pénal, dans une démocratie, n’a en effet pas vocation à s’aligner sur l’opinion ou la douleur, aussi légitimes soient-elles. Il repose sur trois fondements inébranlables : la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombant à l’accusation et le doute raisonnable qui préserve chacun contre l’erreur judiciaire et l’arbitraire. Il est bon, par les temps qui courent, de rappeler à l’envi ces principes.
Or le texte, tel qu’il est rédigé, introduit une instabilité : celle où la sincérité du récit pourrait se substituer à l’administration de la preuve, où la parole, parce qu’elle est douloureuse, deviendrait automatiquement irréfutable. Ce n’est pas rendre hommage aux victimes que de fragiliser l’édifice de la justice. Ce n’est pas défendre les femmes que de construire une justice où l’accusé n’a plus de garanties, où le procès devient inégal, déséquilibré, inéquitable.
Ce que nous devons aux victimes, c’est l’écoute, le soutien, la vérité. Ce que nous devons aux accusés, c’est un procès juste, loyal, rigoureux. L’un n’efface pas l’autre. L’émotion ne peut gouverner la loi et la loi ne doit jamais renoncer à sa rigueur. Nous voulons une justice forte, pas une justice précipitée. Nous voulons un droit qui protège, pas un droit qui dérive. C’est pourquoi, tout en partageant votre indignation, nous devons refuser la précipitation et l’approximation juridique. En l’état, le groupe UDR ne votera pas le texte. (M. Emeric Salmon applaudit.)
Mme Ségolène Amiot
Ça alors !
M. le président
La parole est à Mme Sophie Blanc.
Mme Sophie Blanc
La proposition de loi que nous examinons prétend renforcer la répression des violences sexuelles, au moyen d’une modification majeure de notre droit pénal. Cependant, loin d’accroître la protection des victimes, elle risque de créer des injustices, de perturber l’équilibre fragile de notre système judiciaire et d’aboutir à des décisions arbitraires. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’un des aspects les plus inquiétants de cette proposition de loi réside dans l’inversion de la charge de la preuve. Avec ce dispositif, ce sera à l’accusé de prouver son innocence et non plus à l’accusation de prouver sa culpabilité.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
La blague !
Mme Sophie Blanc
Cette inversion de la charge de la preuve constitue une atteinte fondamentale à nos principes de droit pénal. Lors des débats en commission des lois, plusieurs de nos collègues issus de différents groupes – Erwan Balanant, Martine Froger, Émeline K/Bidi et Stéphane Mazars – ont exprimé leurs doutes quant à cette inversion, soulignant que le texte risque de miner l’État de droit et de fragiliser la présomption d’innocence, principe fondamental de notre justice.
Mes collègues et moi faisons le même constat. Nous partageons l’inquiétude quant à l’évolution du droit pénal qui résulterait de l’adoption de cette proposition de loi. Je vous invite à être courageux, à ne pas céder à des effets d’annonce et à voter contre cette proposition de loi,…
Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Bravo ! Magnifique !
Mme Sophie Blanc
…qui, loin de défendre les droits des femmes, fragilise notre État de droit.
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Mais bien sûr !
Mme Sophie Blanc
Ce texte, tel qu’il est rédigé, nous met dans une situation extrêmement dangereuse, où la présomption d’innocence est renversée et où ce sont les accusés qui, à l’image de ce que Marine Le Pen a elle-même subi, doivent prouver leur innocence. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN. – « Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Ils démontrent leur incompétence !
Mme Marie Mesmeur
Ça suffit ! On en a assez !
Mme Sophie Blanc
C’est une situation inconcevable (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR) :…
M. le président
Mes chers collègues, écoutez l’oratrice ! Je vous prie de respecter sa liberté de parole.
Mme Sophie Blanc
…on inverse la logique même de la justice. Au lieu de faire peser sur l’accusation…
Mme Elsa Faucillon
La honte !
Mme Sophie Blanc
…la charge de prouver la culpabilité, on fait peser sur l’accusé le fardeau de démontrer son innocence.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
La honte totale !
Mme Sophie Blanc
Nous voyons bien que cette inversion de la charge de la preuve ne relève pas d’un simple débat théorique : elle est déjà à l’œuvre, y compris dans des affaires politiques : on a ainsi vu Marine Le Pen devoir se défendre… (Les exclamations se poursuivent.)
Mme Ségolène Amiot
Ça suffit ! Je demande à faire un rappel au règlement !
M. le président
Je vous invite à écouter l’oratrice. Vous aurez l’occasion de répondre. Le rappel au règlement interviendra après l’intervention en cours. Un peu de calme !
Mme Sophie Blanc
Je vous remercie, monsieur le président. Elle est déjà à l’œuvre, y compris dans des affaires politiques : on a ainsi vu Marine Le Pen devoir se défendre non pas contre des preuves établies mais contre une présomption de culpabilité fabriquée.
Mme Ségolène Amiot
Revenez au sujet !
M. Matthias Tavel
C’est une honte !
M. Pierre Pribetich
Toutes vos interventions sont hors sujet !
Mme Sophie Blanc
La loi dont nous débattons ouvrirait la porte à ce même arbitraire dans des affaires aussi graves que celles de violences sexuelles où les condamnations encourues et la réprobation qui s’y rattache sont particulièrement lourdes. Comme l’a rappelé Céline Thiébault-Martinez, une telle approche est tout simplement perverse : elle nous fait basculer dans une situation où les plaignantes deviennent des accusées, devant non seulement justifier ce qu’elles ont vécu, mais aussi prouver qu’elles n’y ont pas consenti. Elle cite Gisèle Halimi qui, déjà en 1978, dénonçait cette inversion de la logique judiciaire. Ce n’est pas vers ce type de justice que nous devons aller.
La proposition de loi oublie la jurisprudence existante, qui a su adapter les notions de consentement, de sidération et de vulnérabilité aux situations réelles. Plutôt que d’introduire des notions floues et potentiellement dangereuses, nous devrions chercher à intégrer cette jurisprudence dans la loi, afin de garantir des règles claires et protectrices.
La définition actuelle du viol est déjà suffisamment précise, car elle repose sur des critères objectifs : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise.
M. Damien Girard
Tu parles !
Mme Sophie Blanc
Ces éléments sont tangibles et permettent aux juges de prendre des décisions fondées sur des preuves. En supprimant ces critères objectifs et en se concentrant uniquement sur le consentement subjectif, nous risquons d’introduire un flou juridique qui nuira à la justice.
Au lieu d’adopter des mesures inutiles et risquées, nous devons concentrer nos efforts sur des actions concrètes et efficaces : renforcer les moyens de la justice, assurer la bonne exécution des peines, expulser les criminels étrangers et garantir une réponse rapide et juste aux victimes de violences sexuelles.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Bla bla bla !
Mme Sophie Blanc
Nous devons protéger les femmes, non pas avec des effets de manche, mais avec des mesures qui respectent les principes de notre justice. Je vous invite donc à voter contre cette proposition de loi, car elle n’est bonne ni pour les victimes ni pour l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à Mme Ségolène Amiot, pour un rappel au règlement.
Mme Ségolène Amiot
Il se fonde sur l’article 54, alinéa 6, qui dispose que l’orateur ne peut s’écarter de la question, sinon le président l’y rappelle.
M. Frédéric Boccaletti et Mme Hélène Laporte
La blague !
Mme Ségolène Amiot
Le président peut alors décider de retirer la parole à l’orateur.
M. Emeric Salmon
Et alors ? Le président ne l’a pas fait !
Mme Ségolène Amiot
Depuis le jugement rendu hier, chaque texte – chemsex, victimes de violences physiques ou sexuelles, définition du viol – a été l’occasion pour le Rassemblement national de s’en plaindre.
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon, pour un rappel au règlement.
M. Emeric Salmon
Il se fonde sur l’article 70, alinéa 2, qui dispose que « peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse ».
Mme Sarah Legrain
C’est pourtant ce que vous faites !
M. Emeric Salmon
Monsieur le président, vous avez été obligé à l’instant d’interrompre l’oratrice pour demander le calme, rompu par le comportement de nos collègues de gauche. Depuis hier, à chaque prise de parole par un député du Rassemblement national, nos collègues de gauche provoquent un tumulte.
Mme Marie Mesmeur
Arrêtez ! On parle de consentement !
M. Emeric Salmon
Quel que soit le sujet, les orateurs ont le droit d’illustrer leur propos par les exemples qu’ils souhaitent. Si cela ne vous plaît pas, tant pis pour vous !
Mme Florence Herouin-Léautey
Votre comportement est indigne des victimes de viol !
M. Pierre Pribetich
Rendez l’argent !
M. Emeric Salmon
Nous utilisons les arguments que nous souhaitons.
M. Benoît Biteau
Rendez les 4 millions !
M. Emeric Salmon
Monsieur le président, vous avez été obligé d’interrompre l’oratrice, à cause du tumulte.
M. Pierre Pribetich
Calimero !
M. Emeric Salmon
Je vous demande de le signaler au bureau de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
M. Matthias Tavel
Ça suffit, les Calimero !
M. le président
Je vous rappelle que l’expression est libre. Lors de l’examen des amendements, il faut rester sur le sujet, mais lors de la discussion générale, on garde une liberté de parole. Il serait inquiétant d’avoir à contrôler les propos des orateurs à ce stade.
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Merci !
M. le président
Je vous demande donc de faire preuve d’ouverture d’esprit.
M. Pierre Pribetich
Ce n’est pas gagné avec certains !
M. Benoît Biteau
Ils n’ont qu’à rendre les 4 millions ! Ce sera plus simple !
Discussion générale (suite)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
Le sujet que nous abordons est certainement l’un des plus graves dans notre société. Ce débat mérite mieux que de la confusion ou de l’instrumentalisation – à laquelle vient de se livrer le Rassemblement national. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Ce sujet questionne profondément l’intimité de notre société, ses stéréotypes sexistes, ses injustices structurelles entre les femmes et les hommes, que nous ne pouvons plus accepter. Il s’agit de la définition pénale d’un outil de domination, le viol, crime le plus important dans notre société. Bien au-delà, c’est la question même de la culture du viol que nous évoquerons ainsi que notre volonté d’y mettre un terme.
La culture du viol est une réalité, et je souhaite avoir une pensée pour toutes les victimes de ce fléau. Cette culture n’est ni la faute des femmes ni même celle des étrangers – thèse fallacieuse chère à l’extrême droite qui s’en sert pour nier la réalité de cette culture. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : elle est d’abord le problème des hommes et de notre société, enfermée depuis toujours dans les codes du patriarcat. Ces codes ont habitué les hommes, génération après génération, à s’approprier le corps des femmes, sans jamais se questionner sur leur consentement – le préalable à l’invisibilisation des femmes.
N’oublions pas que la criminalisation du viol ne remonte qu’à 1980, la reconnaissance du viol conjugal comme circonstance aggravante, à 2006, et que notre droit n’a toujours pas tiré un trait définitif sur la conception archaïque du devoir conjugal, comme le rappelle un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Une large majorité d’entre nous, à commencer par les associations, partage la volonté de tout mettre en œuvre pour renforcer nos outils de lutte contre le viol, pour mieux accueillir, accompagner et protéger les victimes, mais aussi pour mieux sanctionner les auteurs de violences. Cela passe par plus de moyens, par une meilleure formation des professionnels, par l’instauration de cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, ainsi que par une déconstruction des mythes sur la façon dont un viol se déroule, celle dont les victimes devraient se comporter avant, pendant et après le viol, sur le consentement de manière générale, sur la responsabilité des victimes dans leur viol et donc la déresponsabilisation des auteurs. La victime est victime ; elle n’est en rien responsable du crime commis par l’auteur qui, en tant qu’agresseur, est le seul responsable du viol. Un « non » est un « non » ; un « oui » extorqué n’est pas un « oui » consenti ; se rétracter à tout moment est un droit absolu ; un silence n’est pas un « oui » ; et il n’existe pas de zone grise de l’excuse.
La lutte contre le viol passe aussi par l’amélioration de la définition pénale de ce crime. Celle-ci a une histoire singulière, fruit d’un long combat féministe que nous ne devons jamais oublier et dont nous devons transmettre la mémoire, sans pour autant nous empêcher d’avancer et d’apporter des réponses aux défaillances observées en ce qui concerne les trois grandes fonctions de la définition pénale du viol, rappelées par la présidente Véronique Riotton. La notion de consentement, qui est au cœur de tous les procès, doit être reconnue par notre droit.
Compte tenu de la gravité de ce phénomène dans notre pays – toutes les deux minutes trente, une femme y est victime d’un viol ou d’une tentative de viol –, notre responsabilité est d’avancer sur ce sujet dans toutes ses dimensions. Selon le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), 47 % des garçons estiment que les filles s’attendent à ce que les rapports sexuels impliquent une agression physique et 25 % des hommes estiment que lorsqu’une femme dit « non », c’est qu’elle veut dire « oui ». Ces données, qui sont une réalité, sont révélatrices du mal profond qui imprègne notre société.
Quelques semaines après le verdict du procès de Mazan, qui aura été à bien des égards le procès de cette culture du viol, quelques mois après l’élection à la présidence des États-Unis d’un homme qui, malgré sa condamnation pour agression sexuelle, représente pour certains un modèle politique à suivre et pour qui cette condamnation n’est visiblement qu’un fait anecdotique, nous devons agir face à ce fléau insupportable. Nous devons tout mettre en œuvre pour sortir de cette culture de la soumission et de la domination, afin de passer à une culture du consentement.
C’est l’enjeu du travail qui a été conduit cette dernière année de manière transpartisane et sereine, sérieuse et approfondie, par les rapporteures Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin. Chères collègues, je tiens à saluer la très grande qualité de vos travaux qui vous ont permis d’aboutir à cette proposition de loi que nous avons adoptée la semaine dernière en commission des lois et qui, tout en introduisant la notion de non-consentement, conserve les quatre critères coercitifs de la définition actuelle. Le texte permet d’apprécier l’absence de consentement eu égard aux circonstances environnantes tout en précisant les cas où le consentement ne saurait être déduit, et ce en garantissant toujours les grands principes de notre droit.
Le groupe EPR soutiendra cette proposition de loi essentielle pour la protection des victimes de viol et, bien au-delà, pour l’ensemble de notre société et son avenir. Oui, bâtir une société qui repose sur le consentement, c’est bâtir une société qui repose sur l’écoute et l’attention à l’autre, une société plus juste et respectueuse, plus apaisée, plus solidaire, plus durable. C’est à cette société féministe que nous aspirons. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon, pour un rappel au règlement.
M. Emeric Salmon
Il se fonde sur le préambule de la Constitution…
Mme Marie Mesmeur
Oh là là !
M. Emeric Salmon
…qui dispose que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 ».
M. Matthias Tavel
Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas !
Mme Dominique Voynet
Vous êtes hors sujet !
M. Emeric Salmon
L’article 9 de cette dernière dispose que « tout homme [est] présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) MM. Pribetich et Biteau disent qu’il faut rendre les 4 millions… (M. le président coupe le micro de l’orateur.)
Mme Ayda Hadizadeh
Marine Le Pen a été déclarée coupable ! Allumez votre télévision !
Discussion générale (suite)
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Calmez-vous, ça va bien se passer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure, applaudit également.)
M. Emeric Salmon
Oui, oui, ça va bien se passer !
Mme Sarah Legrain
J’ai cinq minutes pour vous convaincre de la pertinence d’ajouter le non-consentement à la définition des agressions sexuelles et du viol, ce que nous aurions déjà pu faire en novembre dernier, lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe LFI-NFP – vous l’aviez refusé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Parlons statistiques : quand ces cinq minutes seront écoulées, trois femmes auront été agressées sexuellement en France ; sur ces femmes, seules 10 % porteront plainte ; 86 % de ces plaintes seront classées sans suite. Voilà le sujet : ce décompte terrible qui continue tant que nous n’agissons pas. Or nous pouvons agir.
« On est des violeurs parce qu’on n’a pas recueilli le consentement, mais on n’est pas des violeurs dans l’âme », disait un des accusés du procès des viols de Mazan. C’était sa traduction personnelle du mot d’un avocat de la défense : « Il y a viol et viol. […] En France, il ne faut pas avoir recueilli le consentement de la victime pour faire en sorte nécessairement qu’il n’y ait pas viol ». De fait, du point de vue de la loi, pour qu’il y ait viol, il faut prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Ce procès a mis en lumière un paradoxe : le consentement est partout – dans les questions des magistrats et des avocats, dans la défense des accusés –, mais il n’est pas dans la loi. Au point que dans son réquisitoire, l’avocate générale a déclaré : « qui ne dit mot consent est un adage d’un autre temps », avant de laisser le soin au législateur de penser l’après-Mazan, comme il y a eu un après-procès d’Aix-en-Provence, sous l’impulsion de Gisèle Halimi. Nous y sommes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Certes, tous les accusés dans l’affaire de Mazan ont été jugés coupables, mais dans combien d’affaires de viol dispose-t-on d’autant de preuves et réalise-t-on des enquêtes si méticuleuses ? Combien de plaintes pour rapports sexuels non consentis ou viols conjugaux ont été classées sans suite car il a été estimé, avant même l’enquête, qu’aucune preuve de violence, de contrainte, de menace ou de surprise ne serait trouvée ? Ajouter aux quatre critères la notion de non-consentement, c’est d’abord pallier leurs insuffisances et imprécisions de manière plus sûre que ne le fait la seule jurisprudence. Il faut aussi, et c’est essentiel, définir le consentement, pour que nul ne puisse plus le présumer ou s’en prévaloir abusivement. Il s’agit de mettre fin à une sorte de présomption de consentement : la loi doit faire comprendre que nos corps de femmes ne sont pas à la libre disposition d’autrui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Certaines féministes craignent que ce changement porte l’attention sur le comportement, voire le passé des victimes, mais c’est déjà le cas ! Il s’agit plutôt de clarifier le fait que les investigations doivent porter sur ce que l’auteur a fait pour s’assurer du consentement de la victime, un consentement qui doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable, ce qui s’apprécie au regard des circonstances. Celles-ci devraient selon moi inclure l’exploitation d’une situation de vulnérabilité et j’ai déposé un amendement à cette fin.
Envoyons aux oubliettes le stéréotype selon lequel le violeur, c’est l’individu armé dans une rue sombre et que la bonne victime, c’est celle qui a pu dire non et se débattre. Nous le savons : neuf fois sur dix, les violences sexuelles sont commises par un proche – le conjoint ou l’ex-conjoint dans près de la moitié des cas. (Mme Anne Stambach-Terrenoir applaudit.) Elles provoquent la sidération, la dissociation et l’amnésie traumatique. Ce texte prend en compte cette réalité et s’attaque aux biais sexistes.
Certains ici n’ont pourtant que faire des violences patriarcales systémiques. Eux, ce qu’ils veulent, c’est pouvoir continuer à dénoncer le violeur étranger et laisser dormir sur leurs deux oreilles les autres. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Dans cet hémicycle, les membres du Rassemblement national ont pour habitude de crier au laxisme de la justice, mais leurs bafouillements au sujet de leur propre condamnation comme sur ce texte révèlent leur logiciel : peines planchers et fermeté pour les étrangers, mais pour les puissants, garantie d’impunité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
Ce texte ne se livre pas à la surenchère pénale et ne touche pas à la présomption d’innocence, mais refuse une justice de classe et patriarcale, qui condamne plus facilement l’étranger ou le vagabond armé que le mari qui viole son épouse derrière les murs de sa maison, que le patron qui viole sa secrétaire au bureau ou que l’élu qui viole une femme dépendante de son aide. (Mêmes mouvements.)
Voter ce texte, c’est écouter 81 % des Français qui s’y disent favorables. Voter ce texte, c’est aussi sortir un peu la France de la honte. La honte que constitue le taux de condamnation des viols – 0,06 %. La honte d’être visée par huit plaintes de victimes auprès de la CEDH pour des procédures judiciaires ne respectant pas le droit international, et d’être condamnée sur la question du devoir conjugal. La honte d’avoir vu Emmanuel Macron s’allier à Viktor Orbán pour priver des millions de femmes d’une directive européenne protectrice sur le viol, sans le moindre mandat de cette assemblée, au motif qu’elle incluait la notion de consentement. (Mêmes mouvements.)
Donnons donc un mandat clair aux magistrats comme aux chantres de la diplomatie féministe ! Signalons clairement que la France veut passer de la culture du viol à la culture du consentement ! Collègues, vous qui avez fait évoluer votre position depuis notre journée d’initiative parlementaire, je ne vous accuserai pas de sectarisme : je porterai à votre crédit la maturation de votre réflexion et saluerai le travail de conviction des rapporteures, des victimes, des juristes et des associations féministes.
L’ensemble du mouvement féministe sera intransigeant avec ceux qui ont voté cette loi. Nous scruterons vos votes, lors des discussions budgétaires et des débats au sujet de la formation et des investigations de la police et de la justice, comme de la prise en charge des victimes, et vos actions pour défendre l’éducation à la sexualité et au consentement – un droit pour les enfants ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Nous examinons ce soir une proposition de loi visant à inscrire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Les nombreuses auditions qui ont été organisées par les rapporteures, que je remercie pour leur travail, ont démontré qu’il n’y a rien d’évident à cette modification, qui pourrait se révéler être une fausse bonne idée.
Ici, deux conceptions distinctes du viol s’opposent. D’une part celle que retient ce texte et qui laisse croire que le viol serait une relation sexuelle qui tourne mal. Dans ce contexte, la victime serait l’actrice pleine et entière d’un échange charnel devenu agression ou viol.
D’autre part celle qui définit le viol comme un crime parce que le viol n’a rien d’un rapport sexuel normal. C’est un crime de prédation, l’acte de domination d’un agresseur, qui déploie une stratégie pour obtenir de la victime un acte sexuel.
C’est ce que rappellent aujourd’hui même, dans une tribune publiée dans Le Monde, Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, et Ernestine Ronai.
C’est la stratégie de l’agresseur qui doit être minutieusement étudiée par les magistrats et les associations qui accompagnent les victimes. Il n’est pas rare de découvrir, lors d’une enquête, que l’agresseur a pu commettre l’innommable sur d’autres femmes. Dans la majorité des cas, l’agresseur est une personne de notre entourage, un proche. C’est la confiance en l’autre, dont on n’imaginerait même pas qu’il serait capable de commettre un tel acte, qui nous tétanise et nous plonge dans un état de sidération.
Ces dernières années, n’en déplaise aux rapporteures, les juridictions ont progressivement intégré cette réalité dans la jurisprudence. Le Conseil d’État l’a confirmé : la définition actuelle du viol repose sur quatre critères – violence, menace, contrainte, surprise –, qui permettent une interprétation large de la loi et s’appliquent à la plupart des situations.
Nous examinons ce soir un texte très important, car huit ans après MeToo et le Grenelle des violences conjugales, force est de constater que le nombre de plaintes ne cesse d’augmenter, de 6 % à 11 % chaque année. Pourtant, en face des grandes annonces et des promesses, la répression est dérisoire.
Cette proposition de loi fait le pari qu’une nouvelle définition pénale du viol pourrait améliorer notre justice. En le redéfinissant comme un acte non consenti, elle permettrait de consacrer les avancées de la jurisprudence dans la loi, de mieux caractériser l’infraction et de réduire le nombre de classements sans suite. Sa fonction symbolique serait d’ancrer la notion de consentement dans toutes les strates de notre société. Est-ce le rôle du code pénal ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Oui !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Cette proposition est aussi inspirée par l’espoir de recentrer l’enquête sur l’auteur et non sur la victime. Nous aimerions y croire, mais dans l’hypothèse où ce texte serait définitivement adopté, quels changements interviendraient effectivement dans la prise de plainte, la collecte des preuves, l’instruction ou le procès ?
De plus, si certaines femmes se sentiront encouragées à porter plainte, d’autres pourront douter et se dire : « Mais en fait, j’ai peut-être été consentante. » Surtout, lors des enquêtes, la première interrogée sera toujours la victime, à qui l’on posera ces questions : « Comment avez-vous exprimé votre consentement ? » « Était-il verbal, non verbal, explicite ? »
M. Erwan Balanant
Exactement !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Le risque reste de scruter le comportement de la victime plutôt que celui de l’agresseur. On cherchera dans ses mots, dans ses gestes et dans son comportement la présence ou l’absence de consentement, comme si c’était la victime et non pas l’agresseur lui-même qui avait décidé de ce crime, comme si c’était la victime qui était à l’origine du viol.
Alors, le problème réside-t-il réellement dans la définition du viol ?
Je ne reviendrai pas sur l’embolie de notre système judiciaire – je l’ai évoquée tout à l’heure –, mais n’est-ce pas d’elle dont nous devrions aujourd’hui nous occuper ?
Je rappellerai enfin qu’il existe dans chaque camp, pour ou contre la proposition de loi, des organisations féministes dont la légitimité auprès des femmes et des victimes n’est pas à démontrer.
M. Erwan Balanant
Exactement !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Pour toutes ces raisons – les incertitudes, l’absence d’une étude d’impact –, notre groupe a opté pour une liberté de vote, afin que chacune et chacun puisse exprimer son intime conviction sur cette réforme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à M. Belkhir Belhaddad.
M. Belkhir Belhaddad
Avec la discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, nous avons l’occasion de mettre fin à une incongruité de notre code pénal. Comme le souligne le rapport sur la proposition de loi, ce texte vise à mieux réprimer, à mieux protéger et à mieux prévenir. Je tiens ici à saluer le travail précis et précieux des deux rapporteures, Mmes Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, tant au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes que sur cette proposition de loi. En effet, il était nécessaire de se saisir sans tarder de la reconnaissance explicite du consentement par la loi. En tant que législateur, il est de notre responsabilité d’améliorer et d’adapter la loi en considérant la jurisprudence et la réalité du traitement judiciaire des violences sexuelles dans notre pays.
Le niveau des violences sexuelles est élevé en France ; entre 2016 et 2023, le nombre de plaintes pour viol et pour agression sexuelle a crû de 187 % et de 106 % respectivement. Les statistiques attestent également l’augmentation, pendant la même période, du nombre d’affaires traitées par les parquets et de celui de personnes condamnées. La libération de la parole des victimes et un meilleur accueil de cette parole par les autorités ont donc certainement produit des effets en France, comme dans la plupart des pays européens.
Toutefois, le nombre des décisions de classement des plaintes pour viol ou agression sexuelle a également augmenté. Ce classement est justifié par le caractère insuffisamment caractérisé des faits dénoncés à l’issue des investigations réalisées, et c’est là où le bât blesse. Dans la plupart des cas, le viol est le crime de l’intime. Les faits sont souvent difficiles à établir et dans près de la moitié des cas, les protagonistes se connaissent. Les éléments matériels du crime peuvent rapidement disparaître, tandis que l’épreuve de l’enquête et de la procédure judiciaire peut dissuader des victimes de porter plainte ou de participer au procès. De fait, pour lever toute ambiguïté sur le vécu des victimes de viol, pour leur dire qu’elles seront désormais protégées par la loi, l’introduction de la notion de non-consentement dans la loi est fondamentale. Il n’était plus possible de conserver la définition actuelle du viol.
Cette réforme contribuera à la prise de conscience par notre société et les individus qui la composent de ce qu’est un viol, de ce qu’est une agression sexuelle, et de ce qu’ils ne sont pas. Elle améliorera la réponse apportée aux victimes par les autorités judiciaires. Le Conseil d’État l’a clairement précisé dans son avis du 6 mars dernier : « La proposition de loi exprime clairement, tant dans la dimension préventive que répressive de la loi pénale, que les agressions sexuelles portent une atteinte au principe fondamental que constitue la liberté personnelle et sexuelle de chacun, qui doit être protégée, ainsi qu’au droit au respect de son intégrité physique et psychique par autrui. Cette reconnaissance explicite par la loi contribue à l’ancrage et à la pleine visibilité de cette exigence de consentement. »
Ce jour marque une étape importante, mais insuffisante, dans la lutte contre les violences sexuelles. Pour répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes de violences sexuelles, la réforme de la définition du viol dans le code pénal doit être accompagnée de moyens. De nombreuses voies d’action doivent être investies : consacrer des moyens financiers suffisants à la lutte contre le viol et les agressions sexuelles, soutenir les associations qui jouent un rôle central dans l’accompagnement des victimes et la libération de la parole, prévoir des moyens supplémentaires et procéder à certaines évolutions au niveau de l’État et du système judiciaire.
Le dépôt de plainte peut constituer une étape pénible pour les victimes qui, dans de trop nombreux cas, ne sont pas accompagnées par un avocat à ce stade de la procédure. Avec quelle conséquence ? Des plaintes trop souvent mal prises et des enquêtes qui ne peuvent être menées correctement. Or le recueil de la parole des victimes est essentiel, puisqu’il marque le début de procédure. Les lenteurs et les difficultés propres au processus judiciaire peuvent aussi agir comme un frein, tout comme la méconnaissance par les victimes de leurs droits et de la procédure à suivre. Enfin, l’éducation et la prévention jouent un rôle crucial et doivent être au cœur des politiques publiques en matière de lutte contre les violences sexuelles.
Je voterai en faveur de ce texte très important, qui répond à un besoin de clarté et de lisibilité de la loi, en y intégrant la notion de non-consentement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mmes Martine Froger et Anne-Cécile Violland applaudissent également.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Je tiens tout d’abord à remercier chacun de vous pour vos prises de parole qui témoignent du travail fourni par presque tous les groupes. Le plus souvent, nous sommes d’accord pour permettre l’évolution du code pénal sans fragiliser le droit actuel ; c’est certainement cette volonté qui nous a tous guidés.
L’objectif est de conserver les éléments constitutifs de l’infraction – violence, contrainte, menace ou surprise –, tout en donnant aux enquêteurs et aux magistrats les moyens de travailler de manière différente en évaluant la manière dont l’auteur présumé s’est assuré du consentement de la victime.
Avec cette proposition de loi, nous allons répondre aux magistrats qui nous ont dit, lors des auditions, ne pas parvenir à sanctionner les auteurs présumés : ils peuvent croire la femme, mais ne pas réussir à démontrer l’intentionnalité du viol.
À ceux qui invoquent encore le risque de l’inversion de la charge de la preuve, je me permets de leur dire que c’est le niveau zéro de l’analyse de notre proposition de loi. Quatorze mois de travail et un avis du Conseil d’État pour aboutir encore à ce type d’objections, c’est franchement le niveau zéro du travail parlementaire, qui démontre que le Rassemblement national est incapable de travailler sur ces questions. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.) N’en déplaise à ceux qui demeurent figés sur des postures incompréhensibles, nous nous efforçons de mieux protéger les victimes.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Nous avons entendu qu’il s’agirait d’un débat sociétal mais sans impact sur la justice. (Murmures sur divers bancs.) C’est effectivement un débat sociétal, ce qui correspond à la fonction expressive du droit. (L’oratrice s’interrompt en attendant le silence.) Chers collègues, n’hésitez pas à poursuivre les discussions à l’extérieur : ce sera plus pratique et cela honorera nos débats sur un sujet si important ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Emeric Salmon
C’est au président de faire la police !
M. le président
Je vous invite à continuer. Vous ne présidez pas la séance, chère collègue !
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Comme dans tous les pays qui ont adopté la notion de non-consentement dans la loi, le texte aura évidemment une influence sur la société et sur la manière dont les violences sont comprises et perçues. En revanche, j’oppose un démenti quand j’entends dire qu’il n’aurait pas de répercussion sur la justice. D’ailleurs, le Conseil d’État le rappelle : ce texte, même qualifié d’interprétatif, aura des conséquences sur l’ensemble de la chaîne judiciaire, parce qu’il va changer notre manière d’appréhender les violences.
Nous avons pu le constater lors de nos auditions : les forces de police, les enquêteurs, les magistrats ont exprimé leur besoin de clarté, d’un outil qui leur permette de sortir du « parole contre parole » et d’être aiguillés efficacement par la loi.
On nous dit par ailleurs que le texte fragiliserait l’édifice de notre droit. Les législateurs que nous sommes n’ont envie de fragiliser ni les victimes ni le droit. Relisez l’avis du Conseil d’État : on ne touche pas à la présomption d’innocence et il n’y a pas d’inversion de la charge de la preuve. En cela, cette proposition de loi est équilibrée.
J’ai également entendu dire que la définition du viol était déjà précise. Pourtant, c’est le seul crime qui repose à ce point sur une définition fondée sur la jurisprudence. Si elle était si précise, nous n’aurions pas à déplorer tant de cas non couverts par la loi. Dans leurs témoignages, des victimes, des magistrats et des avocates ont évoqué les affaires qui ne sont jamais arrivées devant les tribunaux, parce que la loi ne le permettait pas. J’aurais du mal à comprendre qu’on n’entende pas cette demande-là. D’ailleurs, si la France est parfois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, c’est justement que notre loi n’est pas assez précise.
Cette définition relève bien du code pénal, car celui-ci évolue avec la société. J’en veux pour preuve que personne ici ne pourrait envisager que la menace, notion pourtant interprétative, soit retirée des quatre critères de l’agression sexuelle – la violence, la contrainte, la menace ou la surprise – retenus par le législateur qui a fait évoluer le code pénal. De même, si nous adoptons cette proposition de loi, je suis sûre que personne n’envisagera de revenir en arrière et de supprimer la notion de non-consentement.
Dans les pays voisins qui ont introduit cette notion, les victimes sont mieux accueillies, le nombre de classements sans suite a diminué et le nombre de condamnations a augmenté. Ce constat, qui devrait être notre seule boussole, doit nous pousser à harmoniser la jurisprudence : il n’est pas normal que des victimes ne soient pas égales devant la loi, car traitées différemment en fonction de la jurisprudence invoquée.
Je ne peux pas imaginer retourner dans ma circonscription en avouant qu’on n’aurait pas clarifié la loi parce que nous aurions hésité, après quatorze mois de travaux et un avis du Conseil d’État qui a éclairci des éléments et permis d’aboutir à un texte qui peut poursuivre son chemin dans la navette parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Mmes Mereana Reid Arbelot et Stella Dupont applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Je souscris évidemment aux propos des deux rapporteures et je veux répondre à une objection qui revient régulièrement à propos de l’inversion de la charge de la preuve et de la prétendue présomption de culpabilité. Je peux comprendre cette préoccupation sincère mais il se trouve que le Conseil d’État y a répondu de manière extrêmement claire dans l’avis qu’il a rendu après la saisine de la présidente de l’Assemblée nationale : si cette proposition de loi était adoptée, ce que j’espère, « il reviendra toujours à l’autorité de poursuite et à la juridiction de jugement d’établir, outre la matérialité des faits, l’élément intentionnel de l’infraction. »
Ce n’est donc pas une présomption de culpabilité qui pèserait sur l’auteur présumé des faits. En aucun cas la modification introduite par cette proposition de loi n’instaurerait une telle disposition – le Conseil d’État l’a dit très clairement.
De plus, la proposition de loi a évolué, justement à la suite de l’avis du Conseil d’État, pour garantir la sécurité juridique. Les quatre critères existants constitutifs de l’agression sexuelle sont évidemment préservés pour garantir sa caractérisation, mais des éléments supplémentaires y sont ajoutés. C’est en effet un changement culturel et profond, non seulement pour l’institution judiciaire mais aussi pour notre société. Il est heureux que l’institution et la société puissent se rejoindre grâce à cette proposition de loi. (Mme Stella Dupont applaudit.)
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
M. le président
La parole est à Mme Caroline Yadan, pour soutenir l’amendement no 32.
Mme Caroline Yadan
Je n’avais pas déposé cet amendement en commission mais nous avions eu le débat et j’avoue que je n’avais pas été totalement convaincue par l’argumentation de Mme la rapporteure. Mon amendement, préparé avec le Conseil national des barreaux, vise à remplacer la notion de consentement par la notion de volonté et donc à modifier ainsi la définition du viol : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis contre la volonté de la personne par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
L’introduction de la notion de volonté permet de prendre en compte les réserves exprimées par la profession d’avocat à l’égard de la notion de consentement, et évite l’écueil de renvoyer le juge pénal aux acceptions du consentement admises en droit civil. L’expression du consentement peut en effet y prendre des formes dont la grande diversité ne peut satisfaire aux exigences du droit pénal et aux critères stricts des éléments constitutifs d’une infraction.
Ainsi, la tenue vestimentaire d’une victime, ses paroles, son silence ou son comportement comme son absence de réaction ne sauraient, par l’interprétation qu’on en ferait selon un point de vue civiliste, permettre à une personne mise en cause de s’exonérer au regard de la notion de consentement. Eu égard aux principes fondateurs du droit pénal, l’introduction de la notion de volonté me semble donc plus judicieuse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
Sur l’amendement no 1, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Pour éclairer nos collègues, la question du choix du mot, entre volonté et consentement, s’est effectivement posée en commission. L’Allemagne a choisi d’utiliser la notion de volonté, inscrite également dans notre jurisprudence de 1857 tout comme la notion de consentement. Nous avons fait le choix du terme de consentement, qui est le plus communément admis du point de vue pédagogique et sociétal – il est notamment utilisé dans l’éducation à la vie sexuelle, relationnelle et affective.
Le terme de consentement nous paraît meilleur également parce qu’il intervient dans la définition d’autres infractions présentes dans le code pénal. De plus, par son étymologie, il désigne le fait d’« être d’accord avec » et suppose une forme d’égalité des parties prenantes. Enfin, on définit un seuil d’âge en matière de consentement, c’est pourquoi ce terme nous paraît le plus adapté, le plus pédagogique, le plus compréhensible et le plus solide en droit.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 32, ayant reçu un avis défavorable du gouvernement, est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Sophie Blanc, pour soutenir l’amendement no 1.
Mme Sophie Blanc
Il vise à renforcer la protection des victimes d’agression sexuelle en précisant explicitement que cette infraction englobe les actes commis sur une personne dans l’incapacité de donner son consentement. Aujourd’hui, l’article 222-22 du code pénal sanctionne les agressions sexuelles lorsqu’elles sont commises par violence, contrainte, menace ou surprise. La jurisprudence a certes reconnu que l’état de sidération, la vulnérabilité ou l’altération des facultés de discernement peuvent constituer une forme de contrainte, mais l’absence d’une mention explicite dans la loi laisse subsister des incertitudes.
Face à des situations où la victime est inconsciente sous l’effet de substances, en l’état de handicap ou de dépendance, il est impératif que le droit pénal affirme sans ambiguïté que l’absence de consentement suffit à caractériser l’infraction. Cette clarification législative ne modifie pas l’esprit du texte mais en renforce la lisibilité, permettant de lever toute hésitation dans l’interprétation de la loi et d’assurer une application rigoureuse et cohérente. Elle s’inscrit donc dans une véritable démarche de protection des victimes les plus vulnérables, garantissant qu’aucune faille juridique ne puisse être exploitée pour minimiser des actes pourtant inacceptables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Je m’étonne que vous vouliez voter contre le texte alors que vous souhaitez l’améliorer par vos amendements ; mais passons !
Vous proposez de supprimer la nouvelle définition du viol et des agressions sexuelles qui figure à l’alinéa 3 de l’article 1er, et d’inscrire que l’agression sexuelle est constituée lorsqu’elle est « commise sur une personne dans l’incapacité de donner son consentement ». Votre rédaction ne fonctionne pas parce qu’elle conduirait à répéter les éléments de violence, contrainte, menace ou surprise dans l’article du code pénal que vous visez. Or votre préoccupation est totalement satisfaite par le texte que nous proposons puisque notre objectif est justement de prévoir les cas où le consentement est absent et ceux où le consentement ne saurait être déduit.
Dans notre rédaction initiale, nous avions insisté sur la notion de vulnérabilité ; après l’avis du Conseil d’État, nous avons préféré retenir le qualificatif « éclairé » – que nous examinerons plus tard – appliqué au consentement. Il permet de préciser que la personne doit être en capacité de consentir. En effet, tous les « oui » ne se valent pas : nous l’avons déjà dit et nous le répétons aujourd’hui dans l’hémicycle.
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Même avis.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 200
Nombre de suffrages exprimés 197
Majorité absolue 99
Pour l’adoption 43
Contre 154
(L’amendement no 1 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 6 de M. Charles de Courson est défendu.
(L’amendement no 6, repoussé par la commission et le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 27.
M. Erwan Balanant
Il vise à simplifier la rédaction du texte au sujet de laquelle des avocats, des magistrats, mais aussi des associations féministes, qui ne sont pas toutes en phase avec la proposition de loi, soulèvent des questions légitimes que nous devons entendre. Devons-nous changer la définition du viol pour qu’elle colle à notre société ? Je le crois. Devons-nous pour autant prendre des risques juridiques ? Personne, dans cet hémicycle, ne saurait le souhaiter.
L’amendement est simple : il vise à supprimer l’alinéa 5 pour s’en tenir à la notion de consentement, sans essayer de la définir. En effet, si nous tentons de définir le consentement, nous courrons le risque d’être incomplets et de laisser des angles morts qui empêcheront la qualification par les juges. Le code pénal est très fragile, vous le savez ; soyons donc simples. Ce qui s’écrit simplement se conçoit bien.
Au fond, l’amendement appuie le travail des rapporteures, car il s’agit de jouer sur la fonction expressive et pédagogique du droit. La loi doit permettre d’expliquer aux enfants ce qu’est un viol.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Et aux adultes !
M. Erwan Balanant
Nous devons donc changer la loi. Néanmoins, changeons-la sans mettre en danger la jurisprudence.
J’ajoute que la violence, la contrainte, la menace et la surprise n’ont pas été définies dans le code pénal. Dès lors, pourquoi définirions-nous le consentement au risque de créer des angles morts qui empêcheraient les juges de respecter la volonté du législateur de bien définir le viol ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Votre amendement tend à supprimer l’alinéa 5. Certes, nous souhaitons par cette proposition de loi inscrire dans la loi le principe que tout acte sexuel non consenti est un viol, mais pas dans n’importe quelles conditions. Depuis plus d’un an de travail commun, ma corapporteure et moi-même avons fait le choix de ne pas définir le consentement positif mais d’intégrer au droit la notion de non-consentement et de caractériser les conditions dans lesquelles le consentement doit être donné. Ce travail a été mené avec le Conseil d’État. Je le dis une fois pour toutes : nous avons choisi de reprendre toutes les recommandations du Conseil d’État, et rien que ses recommandations. Nous voulons un texte clair, lisible et propre.
M. Erwan Balanant
Si c’est le Conseil d’État qui fait la loi, à quoi servons-nous ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Vous tordez dans votre sens l’avis du Conseil d’État. Les cinq qualificatifs qu’il propose pour caractériser le consentement – libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable – sont pourtant très clairs. En supprimant l’alinéa 5, vous supprimeriez aussi la référence aux circonstances environnantes, qui est pourtant cruciale pour tenir compte, par exemple, des situations de vulnérabilité maintes fois évoquées dans nos débats. Vous supprimeriez aussi la disposition selon laquelle le consentement « ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime », qui est absolument nécessaire pour couvrir les cas de sidération. De tels cas sont précisément ceux que nous cherchons à traiter !
Vous avancez, sans vous fonder sur aucune référence juridique, que notre rédaction poserait un risque pour les victimes en ouvrant des failles exploitables par la défense. Cela serait peut-être vrai si nous avions défini l’agression sexuelle et le viol par référence à la notion de consentement ; or nous avons fait exactement l’inverse !
M. Erwan Balanant
Quelle arrogance !
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Vous auriez raison s’il fallait, pour qualifier l’infraction, apporter la preuve que chacun des qualificatifs s’applique. Ce n’est pas le cas : nous avons construit la proposition de loi sur le principe de la définition du non-consentement. Cela est fondamentalement différent car le non-consentement, lui, n’a nul besoin d’être exhaustivement délimité par le juge.
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Ma réponse vaut pour cet amendement et pour l’ensemble des amendements visant à réécrire tout ou partie du texte. Le garde des sceaux et moi-même avons fait le choix de suivre les recommandations du Conseil d’État pour garantir que l’écriture du texte sera la plus stable possible sur le plan juridique. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, les quatre critères existants ne sont pas écrasés par la rédaction ; la jurisprudence qui en est issue ne le sera donc pas non plus. La meilleure garantie juridique nous semble donc résider dans l’alinéa que vous proposez de supprimer. Je vous propose de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Vous touchez au cœur du sujet : vous nous demandez pourquoi il faudrait définir le consentement. Pour moi et, je crois, pour toutes les féministes, qu’elles soient favorables ou non à l’inscription du consentement dans la loi, il n’est absolument pas envisageable d’inscrire dans la loi un consentement non défini. En effet, il arrive d’entendre lors d’un procès que le consentement d’une femme est donné par son mari, qu’une femme est consentante car elle n’a rien dit et qu’elle n’a pas bougé, ou que « qui ne dit mot consent ». C’est précisément pour cela qu’il faut inscrire dans la loi non la simple notion de consentement – ce qui pourrait se retourner contre les victimes –, mais un consentement défini comme libre, révocable, préalable, spécifique et apprécié eu égard aux circonstances. C’est ainsi que, sans définir trop précisément les situations visées, nous inviterons le magistrat à examiner les circonstances pour y trouver les éléments permettant d’apprécier le caractère libre et éclairé du consentement. Par ces dispositions, nous indiquons que les signes du consentement ne sont pas à chercher dans le comportement de la victime, mais dans l’environnement qui permet ou non la libre expression de la volonté, qui permet ou non une décision éclairée, et ainsi de suite.
Ce point est absolument décisif. Si l’amendement était adopté, il nous deviendrait très difficile de continuer à défendre l’inscription de la notion de consentement dans la loi car elle pourrait alors concrétiser les inquiétudes de nombreuses personnes, celles-là mêmes qui insistent pour que le texte serve à protéger les victimes plutôt qu’à accroître leur insécurité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
J’entends vos objections. Je me félicite qu’il y ait une navette parlementaire et que le parcours du texte vienne de commencer : nous sommes engagés dans un processus de réflexion, et personne ne détient la vérité. Madame la rapporteure, vous avez eu des mots assez peu aimables à mon égard.
Mme Dominique Voynet
Il fallait bien un mec pour dire ça à des femmes !
M. Erwan Balanant
Je travaille sur ce sujet depuis longtemps, comme vous, et nous partageons ces combats ; je peux comprendre nos désaccords sans qu’il soit besoin de les exprimer en termes si peu amènes.
Par ailleurs, s’il revient au Conseil d’État de faire la loi, je me pose la question de notre utilité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Fabien Di Filippo
Nous nous la posons tous en ce moment !
M. Erwan Balanant
Je rappelle que le Conseil d’État s’est parfois lourdement trompé. Ainsi, un texte rédigé par la présidente de l’Assemblée en collaboration avec le Conseil d’État a un jour été intégralement frappé d’inconstitutionnalité. Le Conseil d’État n’a pas toujours raison, nous non plus. Je respecte votre travail,…
Mme Sandra Regol
Encore heureux !
M. Erwan Balanant
…je le crois utile et nécessaire, car ce débat servira à l’éducation de nos enfants et conduira de nombreux hommes à se poser des questions.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Tous les hommes !
M. Erwan Balanant
Cela dit, je pense que nous sommes très loin d’une écriture solide. Laissons donc libre cours au débat et tâchons d’arriver à une rédaction solide qui ne fasse peser aucun risque sur les victimes.
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Je souhaite apporter quelques précisions quant à l’avis du Conseil d’État, car la présentation qui en est faite donne l’impression qu’il aurait validé en opportunité le principe de l’intégration du consentement dans la définition pénale du viol.
M. Erwan Balanant
Ce n’est pas ce qu’il a dit !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Or il commence par préciser qu’il n’a pas statué en opportunité. Le Conseil d’État a reçu une commande : on lui a demandé de préciser une rédaction permettant d’introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. C’est ce à quoi il s’est attelé et ce qui l’a conduit à proposer cette définition.
D’autre part, il reste à démontrer que l’introduction de la notion de consentement permettrait de qualifier des cas qui ne seraient pour l’instant pas couverts par la loi. Le Conseil d’État, dans son avis, précise que les quatre critères figurant déjà dans la définition pénale du viol permettent de couvrir toutes les situations, comme l’illustre la jurisprudence.
M. le président
La parole est à Mme Claire Marais-Beuil.
Mme Claire Marais-Beuil
Bien sûr, le viol est un crime épouvantable ; oui, il faut demander le consentement, mais de quelle manière ? Laissez-moi vous raconter ce qui se passe sur tous les campus des États-Unis. On y trouve des attestations de consentement avant relation sexuelle ainsi rédigées :
« Je soussigné [nom et prénom], né le [date de naissance] à [lieu de naissance], atteste avoir rencontré M., Mme [nom et prénom], né le [date de naissance] à [lieu de naissance], en toute liberté. Suite à cette rencontre, nous envisageons les rapports sexuels librement consentis suivants : [description des rapports envisagés].
L’attirance réciproque pouvant s’intensifier au cours des ébats, les activités d’un type autre que celles spécifiées dans le paragraphe ci-dessus sont présumées avoir été librement acceptées par accord verbal mutuel.
Tout acte de violence pouvant être à l’origine de traumatismes physiques est exclu du présent accord et pourra donner lieu à un dépôt de plainte.
Fait à [ville], le [date du jour], pour servir et valoir ce que de droit. »
En tant que maman de trois garçons, je me demande comment ils vivront leurs relations et comment ils vivront avec l’autre. (Mme Ségolène Amiot s’exclame.) Je ne vous permets pas de me juger ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.) Voyez-vous, j’ai appris à mes enfants à bien se comporter avec les femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
L’amendement de M. Balanant est important et doit être débattu. Monsieur Balanant, votre mobilisation de longue date sur ce sujet est bien connue. Nous sommes pourtant en désaccord sur ce point. L’alinéa 5 est particulièrement important car il définit la méthode permettant au juge de caractériser le consentement ou son absence, comme le relève le Conseil d’État dans son considérant 17. Si nous le supprimions, nous renverrions la méthode à la jurisprudence, laissant chaque cour libre de définir la sienne. Ce n’est pas ce que nous cherchons à faire ; au contraire, en améliorant la définition pénale du viol, nous tendons vers davantage de coordination et vers une cohérence d’ensemble. Nous voterons donc contre l’amendement.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Le Conseil d’État ne dit pas que la jurisprudence couvre déjà tous les cas, au contraire : dans le considérant 14, il indique que « le principal apport de la proposition de loi est de consolider, par des dispositions expresses et générales, les avancées de la jurisprudence, nécessairement casuistique ». C’est exactement l’objet de l’alinéa 5. Je tenais à préciser cela à une partie de mon groupe.
(L’amendement no 27 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 29.
M. Erwan Balanant
Après ce franc succès, voici un second amendement. (Sourires.)
M. Patrick Hetzel
Même avis, même vote ! (Sourires sur les bancs du groupe DR.)
M. Erwan Balanant
Dans l’exposé sommaire, j’ai écrit qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, mais c’est plutôt un amendement de fuite : je propose de faire exactement le contraire de ce que je viens de défendre avec l’amendement no 27.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
C’est ce que j’allais dire ! C’est bien de le reconnaître.
M. Erwan Balanant
Je pense que le mieux est de s’en tenir à la définition la plus simple possible – un seul mot – et de s’en remettre à la jurisprudence. Cette proposition ayant été rejetée, je propose maintenant une autre définition qui diffère légèrement de la vôtre. Je vais ainsi dans votre sens, mesdames les rapporteures, en essayant de bien rédiger cet alinéa, même si je me doute que votre avis sera défavorable.
Voici la rédaction proposée : « Les partenaires – je reconnais que ce terme pourrait être remplacé par un autre – doivent s’enquérir de leur consentement mutuel à l’acte sexuel. Le consentement est préalable, libre et éclairé. Il est spécifique et continu aux seuls actes sexuels consentis. Il est révocable selon toute nature, avant et pendant l’acte sexuel. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. »
Je trouve cette formulation plus protectrice que la vôtre, mais cela se discute. Le débat aura certainement lieu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Effectivement, cher collègue, vous faites l’inverse de ce que vous proposiez à travers l’amendement précédent. La rédaction que vous proposez ici est plus complexe et moins précise. L’avis de la commission est donc défavorable.
M. Erwan Balanant
Je retire l’amendement !
(L’amendement no 29 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Constance de Pélichy, pour soutenir l’amendement no 26. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait aujourd’hui, nous lui souhaitons un bon anniversaire ! (Sourires et applaudissements sur divers bancs.)
Mme Constance de Pélichy
Y a-t-il un consentement s’il n’est pas explicite ? C’est tout l’enjeu de cet amendement. Être explicite ne signifie pas nécessairement remplir un contrat, apposer une signature, mais avoir un échange, accepter des gestes et accepter d’entrer dans une vraie relation. Se taire, garder le silence, ce n’est pas dire oui, ce n’est pas donner son consentement, ce n’est pas être explicite. Je souhaite donc que nous ajoutions la mention « explicite » à celle du consentement.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
L’amendement tend à ajouter un sixième qualificatif, en précisant que le consentement doit être « explicite ». Nous partageons votre point de vue selon lequel la communication entre deux partenaires est nécessaire. Si on parle de relation sexuelle, c’est bien parce que ces actes se décident, se réalisent ensemble. L’une des priorités que nous assignons à l’éducation est justement de montrer que la communication est essentielle.
Néanmoins, nous divergeons sur le plan juridique, car exiger un consentement explicitement recueilli risquerait de réorienter la notion pénale du consentement vers son acception civile, ce que nous ne souhaitons pas. Pour prendre en considération les cas où une personne ne peut pas donner son consentement, par exemple quand elle est endormie, il n’est pas nécessaire de préciser qu’elle devrait le faire de façon explicite. Nous ne voulons donc pas ajouter la mention « explicite » à l’alinéa 5.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Dans la proposition de loi, il est écrit que le consentement « ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. » Je pense que cela répond en partie à la préoccupation que vous exprimez à travers le terme « explicite ». Par ailleurs, le Conseil d’État répond en quelque sorte à votre interrogation en estimant que la proposition de loi « ne doit pas être rédigée de manière à limiter l’appréciation du juge, y compris dans les cas où le silence gardé peut, articulé avec d’autres éléments circonstanciels, permettre de déduire le consentement. » Ainsi, la rédaction de la proposition de loi et l’interprétation qu’en a faite le Conseil d’État me paraissent répondre à votre interrogation, car les situations que vous envisagez sont bien caractérisées.
Nous vous demandons donc de retirer l’amendement, sans quoi le gouvernement émettra un avis défavorable.
(L’amendement no 26 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Sophie Pantel, pour soutenir les amendements nos 9 et 4, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Sophie Pantel
Ces amendements déposés par Mme Thiébault-Martinez au nom du groupe Socialistes et apparentés visent à tenir compte des situations de prétendu consentement lorsque celui-ci est obtenu de manière explicite contre rémunération, notamment dans les situations de prostitution. Il convient de sécuriser la rédaction du texte en précisant qu’un consentement obtenu contre rémunération, que celle-ci revête une forme monétaire ou autre, est vicié et donc nul.
Le viol est imposé et pas seulement non consenti. Il s’agit toujours d’un rapport de domination. C’est pourquoi nous vous proposons de modifier la fin de l’alinéa 5. L’amendement no 9 tend à substituer, à la fin de la première phrase, les mots : « , révocable et non monnayé » aux mots «et révocable » . L’amendement no 4 tend à substituer, à la dernière phrase de l’alinéa 5, le signe « , » au mot « ou » et, en conséquence, à compléter la même phrase par les mots : « ou d’un échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ».
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Nous avons déjà eu de longs débats sur ce point en commission. Je comprends votre intention. Cependant, en apportant une telle précision, vous liez la notion du consentement pénal à celle du consentement civil ; or c’est précisément ce que nous ne voulons pas faire. En outre, l’avis du Conseil d’État réaffirme très clairement l’autonomie du consentement pénal, ce qui est de nature à nous rassurer quant à la prise en considération de la situation des personnes en situation de prostitution ou des personnes victimes de pornographie. Dès lors qu’il y a une autonomie du consentement pénal, même si une contractualisation a lieu, quelle qu’elle soit d’un point de vue civil, on ne peut prétendre que, parce qu’elle avait dit oui, le consentement d’une personne en matière pénale était prouvé. Nous avions demandé explicitement au Conseil d’État d’être clair sur ce point, qui a fait l’objet de nombreux débats avec lui.
Ensuite, en modifiant la rédaction comme vous le proposez, nous indiquerions en creux qu’un consentement ne peut jamais être monnayé. Dès lors qu’une relation est monnayée, elle deviendrait un viol, c’est-à-dire un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle. Or le droit actuel fait du recours à la prostitution un délit sanctionné d’une peine d’amende lorsqu’il est commis en récidive, et notre droit ne peut sanctionner deux fois le même acte. En adoptant ces amendements, nous introduirions donc une fragilité juridique, alors qu’ils sont en réalité déjà satisfaits.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Je suis l’avis des deux rapporteures. La lutte contre le système prostitutionnel est une question majeure. La France soutient une vision abolitionniste depuis la loi de 2016 défendue par Laurence Rossignol. Nous restons dans cette perspective, avec d’autres pays qui s’engagent heureusement à nos côtés ; nous l’avons réaffirmé dans le cadre de la stratégie de lutte contre le système prostitutionnel.
Néanmoins, la prostitution constitue une situation distincte de celle que nous étudions ici, à savoir le viol, que nous cherchons à mieux caractériser. Ces deux situations distinctes doivent être appréhendées de manière distincte par notre droit.
Nous demandons donc le retrait de ces amendements, sans quoi le gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Je m’exprimerai rapidement, puisque l’essentiel des arguments a été rappelé par la rapporteure Marie-Charlotte Garin et que nous avons débattu assez longuement sur ce sujet en commission.
Ce texte n’est pas le lieu pertinent pour avoir un débat sur les personnes en situation de prostitution. J’invite donc la collègue Thiébault-Martinez à retirer ses amendements : indirectement, ils nient l’autonomie des personnes en situation de prostitution en considérant qu’elles sont nécessairement non consentantes dans les rapports sexuels monnayés.
J’en profite pour demander au gouvernement où en est le rapport sur la loi de 2016 qui a instauré la pénalisation des clients, car il me semble qu’il n’a jamais été remis au Parlement. Pour que nous ayons ultérieurement à l’Assemblée nationale un débat éclairé sur les personnes en situation de prostitution, si nous décidons d’en débattre, il faudrait que ce rapport soit remis à l’ensemble des parlementaires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
(Les amendements nos 9 et 4, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sur l’amendement n° 14, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement no 5 de M. Charles de Courson est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Il est satisfait. Nous demandons donc son retrait.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Même avis.
(L’amendement no 5 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain, pour soutenir l’amendement no 14.
Mme Sarah Legrain
Il vise à affirmer qu’il ne peut pas y avoir de consentement si l’acte à caractère sexuel « résulte de l’exploitation par l’auteur d’un état ou d’une situation de vulnérabilité ou de dépendance apparente, connue ou organisée par lui. » Le Conseil d’État l’a lui-même souligné dans son avis consultatif, tout en retirant ce passage qui était initialement prévu par les rapporteures : la contrainte peut être « directe ou indirecte, matérielle ou psychologique, reposant sur des abus divers d’autorité, de domination ». Je pense qu’il faut l’expliciter pour permettre aux magistrats d’investiguer.
Je prendrai un exemple qui, je pense, parlera à tout le monde. Si un élu exige des relations sexuelles d’une femme ou de plusieurs femmes qui sont en situation de grande vulnérabilité et lui demandent de l’aide pour sortir d’un mauvais pas ou pour trouver un logement social, par exemple, si cet élu reconnaît que des relations sexuelles ont eu lieu, et qu’elles ont eu lieu avant une intervention de sa part, si des SMS attestent du sentiment de contrainte de ces femmes vulnérables et que l’homme lui-même reconnaît avoir pu profiter de la situation, alors je crois que la justice doit pouvoir évaluer s’il n’y a pas là l’exploitation d’une situation de vulnérabilité, de dépendance, et des circonstances dans lesquelles le caractère libre et éclairé du consentement peut être mis en cause. C’est le cœur du sujet : quand on veut parler de consentement et définir celui-ci, il faut parler de relations de domination, de ce qui rend vulnérable, des abus d’autorité et de pouvoir.
Je regrette donc qu’après l’avis consultatif du Conseil d’État, cette dimension de la vulnérabilité n’apparaisse plus explicitement dans le texte. Cette mention permettrait que davantage d’affaires donnent lieu à des jugements, si ce n’est peut-être à des condamnations, au lieu d’être rapidement classées sans suite parce qu’on considère qu’il n’y a pas d’atteinte au consentement ou de violence, contrainte, menace ou surprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit aussi.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Nous avons déjà eu ce débat en commission et nous nous étions nous-mêmes posé cette question en rédigeant la première version de la proposition de loi. Cependant, le Conseil d’État a estimé que la rédaction initiale s’articulait mal avec certaines des circonstances aggravantes déjà définies par le droit. Nous avons donc fait le choix de nous en tenir à la rédaction proposée par le Conseil d’État, tout en soulignant que la question de la vulnérabilité sera mieux appréciée grâce à la mention d’un consentement « éclairé » et à celle des « circonstances environnantes ». En effet, il est crucial de pouvoir apprécier les subtilités et les pièges du consentement. Le juge doit être à même d’apprécier une situation de vulnérabilité, qu’elle soit temporaire ou permanente, qu’elle relève d’une forme d’emprise, de rapports de pouvoir, ou qu’il s’agisse d’une vulnérabilité économique – nous en avons déjà parlé –, ainsi que d’apprécier la validité du consentement à l’aune de ces vulnérabilités.
L’avis de la commission est donc défavorable, car nous souhaitons nous en tenir à la rédaction proposée par le Conseil d’État.
M. Aurélien Le Coq
Où est donc le ministre de la justice ?
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Ce que vous proposez à travers l’amendement est déjà satisfait par les circonstances aggravantes, qui prennent bien en considération la question de la vulnérabilité.
Par ailleurs, il me semble que vous tentez des allusions à des décisions de justice. Comme on commente beaucoup les décisions de justice en ce moment, je pense qu’il faut toujours tenir la même ligne : dans un État de droit, on ne remet pas en cause les décisions de justice qui ont été rendues. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et HOR.)
Mme Marie Mesmeur
Où est-il, d’ailleurs ?
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Je fais allusion à des interrogations qui existent sur des faits d’ordre politique. Je crois que cet hémicycle est aussi un lieu où l’on peut interroger l’impunité de certaines personnes et le fait qu’elles restent toujours en fonction (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également) et se retrouvent au banc à discuter de consentement alors qu’on peut légitimement s’interroger, au vu de leurs propos (Exclamations sur quelques bancs du groupe EPR), sur leur conception du consentement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit aussi.)
J’en viens aux arguments de fond. Le Conseil d’État estime que les circonstances aggravantes permettent de prendre en considération la vulnérabilité. Il y a là un débat sur ce que nous voulons, chers collègues. Nous, nous ne cherchons pas à aggraver les peines. Nous considérons que le principal problème concernant les violences sexuelles, ce sont les classements sans suite, c’est-à-dire que de très nombreuses victimes n’ont jamais de réponse ; parfois, elles n’ont même pas le droit à une enquête conséquente. Nous ne cherchons donc pas à aggraver les peines, mais à permettre de caractériser la situation. Nous remarquons que certains éléments qui relèvent des circonstances aggravantes peuvent servir dans les faits à empêcher de caractériser la situation d’agression sexuelle ou de viol. On nous dit que si on prouve le viol ou l’agression sexuelle, on pourra aggraver la peine en raison de la vulnérabilité de la victime. Cependant, en sens inverse, si on avait montré une situation de vulnérabilité qui met clairement en doute le fait qu’il puisse y avoir eu consentement et qui peut donner l’impression qu’il y a eu une forme de contrainte, il faut considérer que cela ne permet pas de caractériser le viol ou l’agression sexuelle.
Ce qui est demandé par le mouvement féministe, et qui est contradictoire avec ce que fait souvent le gouvernement, ce n’est pas d’aggraver les peines des auteurs des agressions sexuelles, mais de faire en sorte qu’il y ait moins de classements sans suite, pour qu’il y ait moins d’impunité et plus de décisions de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit aussi.)
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Monsieur le président, pourquoi deux orateurs par groupe ?
Mme Gabrielle Cathala
J’ajoute un complément sur l’affaire évoquée par ma collègue, car il sera utile pour tout le monde de le savoir. La Cour européenne des droits de l’homme est saisie de cette affaire. Peut-être pourra-t-elle aussi se prononcer dans un temps relativement contraint sur ce qu’a fait la France du traitement des violences sexuelles lorsque l’agresseur présumé est un homme de pouvoir et sur l’application par la France de son code pénal. Même si nous changeons la loi grâce à cette proposition de loi, lorsque la navette sera terminée, peut-être la Cour européenne des droits de l’homme sanctionnera-t-elle la France parce qu’elle n’a pas été exemplaire dans cette affaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
La vulnérabilité n’est pas qu’une circonstance aggravante : elle définit les conditions dans lesquelles un acte de domination et un viol peuvent se produire.
Par exemple, la vulnérabilité économique désigne la situation d’une personne qui ne peut pas dire non à quelqu’un qui a tout pouvoir sur elle d’un point de vue économique. La vulnérabilité résulte d’un rapport inégalitaire de domination propice à un acte de viol. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
Au-delà de l’aggravation de la situation, faisons donc en sorte que la vulnérabilité comme la coercition soient des éléments de définition de l’apparition et de la caractérisation des faits de viol. (Mêmes mouvements.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 14.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 208
Nombre de suffrages exprimés 196
Majorité absolue 99
Pour l’adoption 50
Contre 146
(L’amendement no 14 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Fabien Di Filippo
Je me réjouis de voir que de nombreuses personnes se préoccupent de la potentielle vulnérabilité des victimes. Or parmi les personnes vulnérables, il y a d’abord les enfants et les jeunes adolescents.
L’amendement tend à définir systématiquement comme circonstance aggravante le fait de commettre une atteinte sexuelle, une agression sexuelle ou un viol sur des mineurs de moins de 18 ans – et pas seulement sur des mineurs de moins de 15 ans.
Un mineur n’a pas accès aux mêmes droits qu’un majeur ; il se retrouve forcément dans des situations de dépendance et de fragilité qui peuvent faciliter les agressions.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Les infractions commises contre les mineurs nous interpellent tous. Nous avons beaucoup réfléchi à la question des circonstances aggravantes, notamment de la vulnérabilité.
À ce stade, nous nous sommes concentrés sur les articles L. 222-22-2 et L. 222-23 du code pénal. Les circonstances aggravantes définies à l’article L. 222-24 nécessitent un travail plus approfondi, que nous pourrions mener plus tard. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Même avis.
M. le président
Maintenez-vous votre amendement, monsieur Di Filippo ?
M. Fabien Di Filippo
Je suis très ouvert à un travail plus approfondi, mais je comprends des propos de Mme la rapporteure qu’il y a bien un manque dans la loi sur ce sujet. C’est l’occasion de le combler.
Cela n’empêchera pas de mener un travail pour arriver à une description plus stricte des circonstances aggravantes. Cela pourrait passer par un décret.
Reconnaissez que notre droit ne prend pas en compte la situation de fragilité spécifique des mineurs. Cela ne coûte rien de durcir les sanctions et la sévérité vis-à-vis des agresseurs sexuels. Je propose de voter l’amendement ce soir et de poursuivre ensuite cette réflexion.
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot
Monsieur Di Filippo, je comprends l’objectif de votre amendement, mais celui-ci ne prend pas en compte la situation où l’auteur est lui-même mineur.
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.)
M. Fabien Di Filippo
On ne protège pas les mineurs !
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez, pour soutenir l’amendement no 10.
Mme Céline Thiébault-Martinez
L’article L. 222-22 du code pénal liste la contrainte parmi les critères du viol et l’article L. 222-22-1 indique que cette contrainte peut être physique ou morale. L’amendement tend à préciser que la contrainte peut aussi être économique. Je m’appuie sur les mêmes arguments que ceux qui ont été énoncés précédemment.
M. le président
Sur l’article 1er, je suis saisi par les groupes Ensemble pour la République et La France insoumise-Nouveau Front populaire de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 10 ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Dans la pratique, le juge est déjà régulièrement amené à rattacher la notion de contrainte morale à la situation économique de la victime.
Votre amendement, s’il était adopté, irait à l’encontre de son objectif. En effet, le juge pourrait comprendre que si le législateur n’a pas précisé tous les aspects possibles de la contrainte morale, cela signifie que ces derniers ne sont pas compris dans sa définition.
Nous préférons nous en tenir au droit existant, qui intègre toutes les dimensions de la contrainte physique et morale. Avis défavorable.
(L’amendement no 10, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 22 de Mmes les rapporteures est un amendement de coordination.
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Favorable.
M. le président
La parole est à M. Stéphane Vojetta.
M. Stéphane Vojetta
N’appartenant pas à la commission des lois, je découvre le texte et demande à être éclairé avant le vote.
L’Espagne est un pays pionnier dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Cependant, en voulant peut-être aller trop vite, ce pays a connu, il y a deux ans, une crise politique liée à l’application de la loi sur le consentement défendue par la ministre de l’égalité.
Cette loi visait à renforcer la lutte contre les violences sexuelles en plaçant le consentement explicite au centre de la définition des délits sexuels et en supprimant notamment la distinction entre les abus sexuels – délits moins sévères – et les agressions sexuelles, dont le viol, qui exigeaient des preuves de violence et d’intimidation.
Cependant, la rétroactivité des lois pénales espagnoles lorsque ces dernières bénéficient aux condamnés a posé problème.
En unifiant ces catégories d’abus et d’agressions sous le terme générique d’agressions sexuelles, la loi a modifié la fourchette des peines et, paradoxalement, a abaissé les peines minimales pour d’autres types de violences sexuelles, notamment celles qui étaient auparavant classées comme des abus sexuels.
Les juges ont dû appliquer rétroactivement ces peines réduites à des condamnés déjà emprisonnés. Cela a abouti à plus de 900 réductions de peine et à la libération anticipée d’environ cent agresseurs sexuels. Ce fiasco a été largement critiqué, tant par l’opposition que par les associations féministes, qui ont dénoncé un texte mal préparé.
En France, le système est plus restrictif. Certes, la rétroactivité in mitius – application rétroactive d’une loi pénale plus douce – existe, mais elle est encadrée par l’article 112-2 du code pénal et conditionnée à l’intervention judiciaire.
Cela évite en théorie des libérations massives et imprévues comme en Espagne. Pouvez-vous cependant nous rassurer, mesdames les rapporteures, madame la ministre, sur l’absence de tels risques en cas de vote du texte ? Pouvez-vous nous affirmer qu’aucune rétroactivité ne pourra bénéficier à des personnes déjà condamnées ?
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Il n’y a aucun risque de ce genre – nous nous en sommes assurées et le Conseil d’État l’a confirmé. Il s’agit d’une loi interprétative, bien différente de la loi espagnole que vous avez évoquée, même si les deux reposent sur la notion de consentement. N’ayez aucune crainte.
(L’amendement no 22 est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez, pour soutenir l’amendement no 11.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Il tend à créer une nouvelle infraction dans le code pénal, car l’objectif de ce texte est de couvrir l’ensemble des crimes et des délits pouvant être commis à l’encontre des femmes, sans se contenter de la jurisprudence actuelle.
Nous proposons de sanctionner la pratique du stealthing, qui désigne le retrait du préservatif au cours d’un rapport sexuel, sans l’accord du partenaire. Tel est le sens de l’amendement.
M. le président
Sur cet amendement n° 11, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Je vous remercie d’évoquer un sujet dont on parle trop peu. Votre demande est satisfaite par la mention d’un consentement spécifique. En cas de retrait du préservatif, le consentement à un acte protégé est rompu : c’est donc un viol.
Il en va de même en cas de pénétration anale, alors que la personne avait consenti à une pénétration vaginale. Nous comprenons votre intention, mais nous considérons que l’amendement est satisfait.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Je tiens à intervenir, car j’entends certains ricaner. Ce sujet ne prête pas à rire et la question posée par l’amendement est pertinente. C’est la raison pour laquelle la rédaction de la proposition de loi intègre le caractère spécifique du consentement, afin que ce dernier soit pris en compte par la jurisprudence.
Il s’agit de pratiques dégradantes et écœurantes, qui mettent malheureusement en danger la vie des personnes. Le jour où vous rencontrerez des personnes qui en ont été victimes, cela vous évitera les ricanements indus. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 11.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 195
Nombre de suffrages exprimés 153
Majorité absolue 77
Pour l’adoption 33
Contre 120
(L’amendement no 11 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 23 rectifié de Mmes les rapporteures est un amendement de coordination.
(L’amendement no 23 rectifié, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 1er, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 203
Nombre de suffrages exprimés 197
Majorité absolue 99
Pour l’adoption 148
Contre 49
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
Article 2
M. le président
Les amendements nos 24 et 25 de Mmes les rapporteures sont rédactionnels.
(Les amendements nos 24 et 25, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Article 3
(L’article 3 est adopté.)
Après l’article 3
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 15, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; et sur l’ensemble de la proposition de loi, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Nous en venons à plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 3.
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez, pour soutenir l’amendement no 8.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Il vise à garantir une protection pleine et entière aux mineurs en situation de prostitution en qualifiant systématiquement de viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital ou bucco-anal commis par un majeur à leur encontre.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Vous élargissez le crime de viol à tout acte commis par un majeur sur un mineur s’il a été obtenu contre une rémunération ou un avantage, indépendamment de l’existence du consentement du mineur.
Votre amendement est satisfait par la loi de 2021, qui prévoit que le viol est constitué dès lors qu’il existe une pénétration ou un acte bucco-génital entre un mineur de 15 ans et un majeur, sous réserve qu’il y ait cinq ans de différence entre eux.
Le crime est alors constitué, même sans violence, contrainte, menace ou surprise. C’est l’acte en lui-même qui est interdit compte tenu de la vulnérabilité des enfants.
Par voie de conséquence, votre ajout incriminerait uniquement des actes sexuels tarifés commis sur des mineurs âgés de 16 ou 17 ans. Nous partageons évidemment, je l’ai déjà dit, l’objectif de mieux protéger les mineurs des atteintes sexuelles et du système prostitutionnel, mais c’est un débat à part entière, qu’il faudra entamer au terme de travaux spécifiquement consacrés à ces questions.
En l’état du droit, la personne qui a recours à la prostitution risque une contravention de 5e classe, requalifiée en délit, punie de 3 750 euros d’amende en cas de récidive. Lorsque la personne prostituée est mineure, les peines prévues sont de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Avec votre proposition, si la personne prostituée a 17 ans et 10 mois, le recours à la prostitution sera considéré comme un crime et puni de cinq ans d’emprisonnement ; mais si la personne a 18 ans et 2 mois, ce sera un simple délit, puni d’une amende, uniquement s’il y a récidive. Il y a là un vrai problème de cohérence des peines. C’est pourquoi nous vous invitons à retirer votre amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.
(L’amendement no 8, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 12 de Mme Céline Thiébault-Martinez est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Même avis.
(L’amendement no 12 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain, pour soutenir l’amendement no 15.
Mme Sarah Legrain
Nous demandons que, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi – qui, je l’espère, va être adoptée –, le gouvernement remette au parlement un rapport évaluant ses effets sur le traitement des violences commises dans le cadre conjugal. Cela me paraît essentiel, car l’un des objectifs de cette loi est aussi de mettre fin à certains préjugés et stéréotypes relatifs aux violences sexuelles, notamment à l’idée qu’elles seraient commises par des inconnus, alors que dans neuf cas sur dix, les victimes connaissent leur agresseur, et que dans la moitié des cas, il s’agit de leur conjoint ou de leur ancien conjoint.
Je rappelle que la France a récemment été condamnée par la CEDH au sujet d’une décision prise dans le cadre d’un divorce. Le juge avait considéré qu’une femme était en tort parce qu’elle avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari, et donc d’honorer le devoir conjugal.
Nous sommes, en France, dans une situation où le code pénal reconnaît le viol conjugal, mais où le code civil peut encore interpréter l’obligation de communauté de vie comme une obligation d’avoir des relations sexuelles avec son conjoint, autrement dit comme un devoir conjugal. Nous devons absolument avancer sur la question du viol conjugal. Ce texte va y contribuer, mais j’ai également déposé une proposition de loi – que je vous invite toutes et tous à signer – qui pourrait être très consensuelle (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), puisqu’elle vise à garantir qu’en aucun cas la communauté de vie ne puisse être interprétée comme un devoir conjugal dans le code civil. (Mêmes mouvements.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Habituellement, toutes les demandes de rapport sont rejetées en commission des lois, mais sur ce texte, nous en avons adopté deux, si bien que l’article 3 prévoit désormais la remise d’un rapport sur le traitement judiciaire des violences sexuelles, du dépôt de plainte jusqu’au délibéré. Les agressions survenues dans le cadre conjugal pourront tout à fait être intégrées à ce rapport. Votre amendement me paraissant satisfait par l’article 3, qui vient d’être adopté, je vous invite à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Même avis.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 15.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 214
Nombre de suffrages exprimés 206
Majorité absolue 104
Pour l’adoption 43
Contre 163
(L’amendement no 15 n’est pas adopté.)
Explications de vote
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS)
Le groupe écologiste votera évidemment pour cette proposition de loi, parce que la définition actuelle du viol dans le code pénal rend toute personne a priori consentante : il faut faire la démonstration qu’elle ne l’était pas et que l’acte a été commis par la menace, la contrainte ou la surprise. Or la réalité, c’est qu’il n’y a pas de consentement a priori ; le consentement s’acquiert, s’obtient et se vérifie à chaque moment de la relation sexuelle.
Je tiens vraiment à remercier les deux rapporteures, car nous avions besoin que le mot « consentement » soit inscrit dans la loi. Il ne s’agit pas de passer un contrat, comme on a pu l’entendre dans cet hémicycle, mais seulement de respecter et de vérifier, à chaque instant, que la relation est partagée, que l’envie de faire tel ou tel geste est partagée. Le consentement est une chose qui s’apprend ; l’inscrire dans la loi est donc important. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant (Dem)
Nous franchissons aujourd’hui, avec cette redéfinition pénale du viol et des agressions sexuelles, une étape qui était attendue, même si, je le répète, un certain nombre de personnes ont des doutes et des craintes qu’il faudra entendre.
Ce texte va-t-il tout résoudre ? Certainement pas, et je pense qu’il faut poursuivre le travail sur un certain nombre de sujets.
Avec ma collègue Sandrine Rousseau, dans le prolongement des travaux de notre commission d’enquête, nous avions formulé une demande de rapport, qui n’a pas été jugée recevable, alors qu’elle était en plein dans le sujet. Nous proposions d’évaluer la manière dont les plaintes sont prises et les plaignantes accompagnées, ainsi que l’opportunité de prévoir une aide juridictionnelle pour accompagner les victimes lors du dépôt de plainte. Le parcours d’une femme – ou d’un homme – qui porte plainte, c’est le parcours du combattant, parce que les procédures sont longues et parfois décevantes, mais aussi parce qu’il arrive, comme on l’a vu récemment lors de certains procès, que la partie adverse ne ménage pas la victime.
Sur ces questions, il faut poursuivre le travail engagé et le gouvernement pourrait par exemple envisager une mise à jour de la grande enquête relative aux violences et rapports de genre (Virage), qui date de 2015.
Nous avons franchi une première étape. Une fois ce texte adopté, ce sera aux sénateurs de l’examiner. Il nous reviendra dans quelques mois et nous pourrons alors, je l’espère, inscrire dans la loi une définition pénale du viol et des agressions sexuelles plus protectrice. (Mme Louise Morel applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Sophie Blanc.
Mme Sophie Blanc (RN)
Je crois qu’on a oublié de mentionner une chose, tout au long de ce débat : c’est qu’il n’y a, sur cette proposition de loi, aucun consensus au sein du monde de la justice et des associations féministes. L’ordre des avocats de Paris est opposé à ce texte et il paraît important de mentionner ce que pense le monde de la justice (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS), qui est quand même plus souvent que vous dans les prétoires – je parle des avocats, bien évidemment. (Sourires sur les mêmes bancs.) Je croyais qu’il ne fallait pas rire de cette proposition de loi…
Les répercussions pratiques de ce texte n’ont pas été pesées et il n’y a aucune garantie que l’introduction du consentement dans le droit pénal aura pour effet de réduire le nombre de plaintes déposées – ce qui est tout de même l’objectif de cette proposition de loi –, parce que la jurisprudence retient déjà ces agissements et que la question du consentement est déjà centrale dans toutes les enquêtes et dans toutes les décisions de justice. On en parle à chaque fois, c’est la pierre angulaire.
Vous ne pouvez nier le risque lié à l’inversion de la charge de la preuve : il existe. La victime devra prouver qu’elle n’a pas consenti et le débat se concentrera inévitablement sur son comportement à elle. La difficulté, aujourd’hui, c’est la preuve, et cette proposition de loi n’aidera pas les praticiens. Nous maintenons donc notre position sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR)
Le groupe Ensemble pour la République votera pour ce texte, qui est important pour les victimes et qui, contrairement à ce que l’on vient d’entendre, va renforcer leurs droits, tout en préservant nos grands principes juridiques. Ce texte protège les victimes, mais il renforce aussi notre société, qui s’est toujours construite sur la domination et la soumission. Or demain, elle se fondera sur le consentement, l’écoute et le respect de l’autre. C’est cette direction que nous devons prendre.
Au moment de conclure nos travaux, j’ai d’abord une pensée pour toutes les victimes de ce fléau, et pour les associations qui font un travail remarquable au quotidien pour les accompagner et les aider. Je pense aussi aux professionnels de la justice.
Je tiens également à remercier mon groupe, qui s’est particulièrement mobilisé sur ce sujet depuis le début, l’ensemble de nos collègues et nos deux rapporteures, qui ont fait un travail remarquable. (M. Sébastien Peytavie applaudit.) Elles ont su créer un cadre de travail serein et fédérateur, qui nous a permis d’avancer sur ce sujet, dans le contexte politique que nous connaissons. Merci et bravo à toutes les deux : grâce à vous, nous allons concrétiser dans un instant une avancée, que j’espère la plus large possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)
« Madame n’est pas claire », « Madame a modifié sa version », « Madame a des pratiques sexuelles débridées », « Madame a de nombreux partenaires sexuels », « Madame avait une tenue provocante, elle était entreprenante », « Madame n’a pas crié assez fort, ni appelé à l’aide », « Madame n’a rien dit », « Madame ne s’est pas débattue » : ces constats, la police et certains professionnels de justice les font lors de ce qu’on appelle les enquêtes de crédibilité des victimes de viol et d’agression sexuelle.
Ils oublient les vulnérabilités, le statut social de l’agresseur, qui rend possible une exploitation indue de sa position dominante ; ils passent sous silence la sidération, l’emprise, les circonstances environnantes, la dissociation et l’inconscience, et concluent à un consentement tacite, qui profite toujours au mis en cause.
C’est dire si la proposition de loi que nous allons voter a un intérêt. En incluant le non-consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles, elle incite la justice à ne plus se focaliser sur le comportement de la victime, mais sur celui du mis en cause, pour déterminer s’il a eu l’intention d’outrepasser le non-consentement et s’il a recueilli le consentement de la victime. C’est un pas important, que le groupe Insoumis a été le premier à proposer de franchir en novembre 2023. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Cette proposition de loi sécurisera les avancées de la jurisprudence, qui utilise de longue date la notion de consentement. Elle apportera une sécurité juridique aux plaignantes, pour l’heure exposées à un flou interprétatif qui ne peut que leur être préjudiciable. Et, loin de l’épouvantail agité par ceux qui prétendent à tort qu’il faudra désormais signer un contrat, et qui craignent que soient remis en cause les privilèges masculins, cette proposition de loi ne porte en rien atteinte à la présomption d’innocence et elle permet de préserver la recherche de l’élément intentionnel.
Elle a aussi le grand mérite de mettre enfin la France en conformité avec la convention d’Istanbul sur les violences sexuelles, que notre pays a ratifiée il y a plus de dix ans. Mais sans moyens budgétaires, cette loi restera insuffisante.
Insuffisante, si les représentations stéréotypées et genrées du système patriarcal dans lequel s’inscrit l’institution judiciaire continuent d’affecter le travail d’enquête des policiers et celui de qualification des magistrats, et plus spécifiquement le recueil de la parole de la plaignante et l’appréciation de sa crédibilité ou de l’intentionnalité du viol. C’est la persistance de telles représentations qui explique en partie le nombre encore si élevé des classements sans suite – 94 % pour les viols –, certaines affaires étant d’emblée préjugées comme dépourvues de tout élément probatoire.
Insuffisante, si la paupérisation de notre justice se poursuit et si nous continuons de manquer de magistrats, ce qui allonge toujours plus le délai de traitement des affaires (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), nuit à la recherche de la vérité et incite à un recours massif à la correctionnalisation.
Insuffisante, si la culture du consentement ne prend pas le pas sur la culture du viol, et ce dès le plus jeune âge. Or la loi de 2001 qui rend obligatoire à l’école, au collège et au lycée trois séances par an d’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité, n’est toujours pas appliquée. (Mêmes mouvements.) À peine 15 % des élèves suivent ces cours, qui sont pourtant obligatoires depuis vingt-quatre ans, et le gouvernement est incapable d’allouer des crédits à cet enseignement.
Insuffisante, si les 2 milliards réclamés par les associations féministes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles sont balayés chaque année par des 49.3. (Mêmes mouvements.)
Insuffisante, eu égard à la nature de ces agressions, car le viol est le plus souvent commis dans le silence de la famille et du lit conjugal, ce lit où des pères, des grands-pères, des maris, des conjoints forcent un peu, au motif que la vie commune leur donnerait le droit de posséder le corps de leur conjointe, qui n’est sûrement pas assez grande pour savoir ce qu’elle désire et ce dont elle n’a pas envie.
S’ils ne sont ni de bons pères de famille, ni de bons maris, ni des monstres, mais des hommes ordinaires, quand ils forcent un peu, ils ne font rien d’autre que violer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Ils se rassurent à la vue des violeurs en série que leur montre la presse ; de fait, eux aussi devraient se regarder comme des criminels ! Il nous faut agir sur tous les fronts où la culture patriarcale, la culture du viol, gangrène la société : dans notre pays, une femme est violée toutes les cinq minutes. Déconstruire cette culture, c’est rompre les amarres qui nous rattachent à un monde où l’on considérait les femmes comme une sous-espèce au service des hommes. En tant qu’elle exprime les valeurs essentielles d’une société, la loi pénale possède une vertu pédagogique ; or, en l’état, elle ne désigne comme répréhensible que le fait d’abuser de l’autre « par violence, contrainte, menace ou surprise ». L’entrée dans notre droit de la notion de consentement, définie de manière féministe comme « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable », permettra de mieux différencier la sexualité de la violence.
Nous voterons pour ce texte dans l’espoir de faire justice : il n’y a pas de justice lorsque le président de la République défend Gérard Depardieu (Mêmes mouvements), lorsque 10 % à peine des femmes violées, espérant cocher les cases qui font la bonne victime, portent plainte – avant d’être broyées par l’institution, car 1 % des viols déclarés donnent lieu à une condamnation, ce qui signifie que 99 % des violeurs ont tablé à bon escient sur l’impunité. Brisons la présomption de consentement qui accable les victimes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP, ainsi que sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC)
Notre groupe est partagé. Une partie de ses membres, ainsi que l’a expliqué Cécile Thiébault-Martinez, votera contre le texte, considérant qu’aucun amendement n’a été pris en compte, que l’avis du Conseil d’État a servi, tout au long du débat, de fil rouge, que tantôt la jurisprudence était décrétée suffisante et tantôt l’inscription dans le code pénal devenait nécessaire. D’autres, comme moi, voteront pour, au motif qu’en l’état du droit les victimes ne sont pas protégées de façon correcte, le silence du code pénal en matière de consentement entraînant une inégalité d’accès à la justice, car la jurisprudence n’est pas toujours appliquée comme il convient ; il importe donc que cette notion soit explicitée dans la loi. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI-NFP. – Mme Christine Arrighi applaudit également.)
Je remercie les rapporteures, qui ont fourni, de longs mois durant, un énorme travail en vue de parvenir à ce texte équilibré. Comme elles l’ont dit, il est nécessaire de passer de la culture du viol à la culture du consentement, de construire une société fondée sur le respect et non sur la domination. Cette modification du droit reportera sur l’auteur une partie des questions souvent concentrées sur la victime, permettant une meilleure défense des femmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS. – M. Aurélien Le Coq applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR)
Il ne faut modifier le droit qu’avec humilité et vigilance : tel était le sens de notre réflexion. À l’issue d’un long travail de pédagogie, je le répète, les rapporteures nous ont proposé un texte équilibré ; néanmoins, au sein de notre groupe, les avis restent partagés. La pertinence et la constitutionnalité de la proposition de loi ont été confirmées par le Conseil d’État, dont l’avis a ainsi dissipé des doutes subsistant après l’examen du texte en commission et contribué à un large consensus transpartisan. Je l’ai dit lors de la discussion générale, l’adoption du texte apporterait une brique supplémentaire à l’édifice de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; néanmoins, il faudrait, comme le souhaite la ministre, une loi-cadre afin de remédier à ces violences, de rendre le droit lisible, d’apporter des réponses aux victimes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 233
Nombre de suffrages exprimés 217
Majorité absolue 109
Pour l’adoption 161
Contre 56
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure, et Mme Martine Froger applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Véronique Riotton, rapporteure.
Mme Véronique Riotton, rapporteure
Lorsque Marie-Charlotte Garin et moi, pour le compte de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes, avons entrepris d’élaborer le rapport d’information qui a débouché sur cette proposition de loi, nous avions eu le sentiment de nous attaquer à un sujet à la fois technique et sociétal. La balle arrive maintenant dans le camp du Sénat, et la dimension sociétale au niveau éducatif : espérons que pour nos jeunes générations, garçons et filles, la notion de consentement révèle de nouveaux modes de relation.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure
Nous avons entamé ces travaux il y a bien longtemps : merci à ceux qui nous ont accompagnées, à Alice Gondard, à Lucien Lewertowski-Blanche, aux fonctionnaires de la délégation aux droits des femmes – Agathe Le Nahénec, Tiphaine Cosnier, Nathalie Le Bars –, à nos équipes – Emma, Myriam, Anne-Lise, Quentin, Mélanie, Maëva, Laurie. Ils sont nombreux à avoir œuvré pour que ce texte arrive ici, mais aussi pour qu’il soit intelligible à tous – c’est là le travail de pédagogie dont nos collègues ont fait mention.
Merci également aux associations qui nous ont, elles aussi, accompagnées depuis le début, aux experts et aux expertes, au bien nommé Cercle 1, aux militantes qui se battent jusque devant la justice afin de faire avancer la cause, au profit de toutes et de tous. Nous l’avons dit, ce texte ne constitue pas un point d’arrivée, mais un point de départ : nous attendons davantage d’engagement et de moyens. Reste que, ce soir, nous avons établi que nous passions de la culture du viol à celle du consentement ; c’est là un premier projectile lancé contre le mur de l’impunité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS, ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Je remercie sincèrement les corapporteures : nous sommes là grâce à vous, mesdames, et au travail transpartisan que vous avez patiemment conduit pendant quatorze mois – le travail des équipes que vous avez citées, de la commission des lois, dont je salue le président, Florent Boudié. Ce texte ne constitue en effet qu’un point de départ, mais il est beau et important de passer, vous l’avez dit, de la culture du viol qui imprègne encore notre société à celle du consentement, qui doit se diffuser dans notre code pénal, nos pratiques, la culture. Nous avons lancé les travaux préparatoires en vue d’une loi-cadre consacrée aux violences, notamment sexuelles : j’espère que le même esprit transpartisan nous inspirera. Merci et bravo ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et EcoS, ainsi que sur ceux des commissions.)
2. Création d’un institut Océan de l’Université des Nations unies en France
Discussion d’une proposition de résolution
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Pierre-Yves Cadalen et plusieurs de ses collègues tendant à créer un institut Océan de l’Université des Nations unies en France (no 853 rectifié).
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale – j’invite les orateurs à faire preuve de concision si nous voulons achever ce soir l’examen du texte –, la parole est à M. Pierre-Yves Cadalen.
M. Pierre-Yves Cadalen
Le conflit politique a toute sa noblesse : je ne suis pas de ceux qui croient bon ou souhaitable de le répudier. Tout au contraire, la confrontation des principes, des propositions, forme le cœur de la démocratie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Cela n’empêche pas que certains projets, porteurs d’une grande idée partagée, soient de nature à rassembler largement : c’est pourquoi je suis heureux de vous présenter la proposition de résolution que j’ai déposée, avec des députés issus de plusieurs groupes, en vue de la création d’un institut Océan de l’Université des Nations unies en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.)
Créée en 1975, cette université compte quatorze instituts, dont la fonction est triple : développer des programmes de recherche, relayer la parole des scientifiques dans les enceintes internationales, transmettre les connaissances essentielles à notre avenir. Mais la France n’en accueille aucun, et aucun ne porte sur l’océan. Or notre pays, puissance océanique, possédant grâce à ses territoires ultramarins le deuxième territoire maritime au monde, est aussi particulièrement reconnu dans le domaine de la recherche océanographique. Cela nous donne de grandes responsabilités, nationales comme internationales. Au moment où les États-Unis d’Amérique s’en prennent frontalement aux institutions multilatérales, à la recherche, nous avons l’occasion de soutenir concrètement l’ONU et la science. La France est respectée quand elle s’inscrit dans une défense pleine et entière du cadre multilatéral de coopération. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Alors que Nice accueillera en juin la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc), la création de cet institut serait à la fois un acte concret et un symbole fort, à portée mondiale. L’Assemblée nationale, en adoptant ce texte, peut tracer le chemin à suivre. (Mêmes mouvements.)
J’ai rencontré le professeur Marwala, recteur de l’Université des Nations unies, qui soutient le projet, de même que Sabine Becker-Thierry, représentante en France de cette institution. L’institut articulerait prioritairement ses travaux à la protection de l’océan. En cela, la France serait en conformité avec les engagements qui lui incombent au titre du Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de la Convention sur la diversité biologique (CDB). En effet, cet institut de recherche et de formation satisferait nos obligations en termes de partage des connaissances et de renforcement des capacités, singulièrement vis-à-vis du Sud global. Il permettrait aussi de mieux mobiliser la science, dans le cadre de l’action publique, afin de relever les défis auxquels l’humanité est confrontée.
Protéger l’océan est fondamental pour les espèces qui y vivent, les populations qui en dépendent, comme en raison de sa contribution décisive à l’atténuation du changement climatique. (Mêmes mouvements.) Un tel projet ne serait qu’une pierre de l’édifice, mais chaque pierre compte : tant mieux si nous pouvons la poser ensemble, et nous le pouvons d’autant plus qu’il ne présente pas de difficulté budgétaire majeure. S’il coûte 37 millions d’euros, l’investissement de base est placé dans un fonds de dotation de l’ONU qui en garantit par la suite le fonctionnement, sur le modèle des dotations non consomptibles de France 2030, pour une durée illimitée. Les intérêts s’élèvent à 1,75 million par an. Par effet de levier, ce financement rend réaliste un objectif de recettes complémentaires de 1 million par an sur la base de financement de projets de recherche. Non seulement le retour sur investissement est rapide, une dizaine d’années, mais une telle structure renforce la recherche internationale touchant l’océan.
Brest, de ce point de vue, serait le site idéal : l’université de Bretagne-Occidentale possède une réputation internationale, de même que ses partenaires au sein de l’Institut universitaire européen de la mer, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). S’y ajoute la remarquable expertise de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), du service hydrographique et océanographique de la marine (Shom) ou encore de l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev). (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit aussi.) Ville ouverte sur le monde, elle offrirait à l’éclosion de l’institut les conditions les plus favorables.
L’océan ne peut attendre. Son acidification, sa pollution massive, son rôle décisif au sein du système Terre méritent que l’humanité se saisisse de la connaissance universelle, qu’elle la chérisse communément. Connaître plutôt que détruire, savoir plutôt que laminer, contempler plutôt que brutaliser, telle est la perspective dans laquelle s’inscrirait la création de l’institut. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.) Nous sommes à soixante-dix jours de l’Unoc de Nice, et 2025 est en France l’année de la mer : je vous invite à faire de ce texte la contribution de l’Assemblée nationale à ce moment politique décisif pour notre pays, les Nations unies et l’océan. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS, ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
M. Antoine Léaument
Ça tenait la mer !
M. le président
La parole est à Mme Mélanie Thomin.
Mme Mélanie Thomin
Cela fait longtemps qu’en matière de politique de la mer, la France peine à mettre en œuvre un projet à la hauteur de son potentiel. Notre zone économique exclusive (ZEE) de plus de 10 millions de kilomètres carrés constitue le deuxième espace maritime mondial, mais comment l’intégrer davantage dans nos politiques publiques ? Il faut remonter à plus de quarante ans, en 1981, pour retrouver le dernier message d’ambition d’un gouvernement, le dernier ministre de la mer de plein exercice, le Finistérien Louis Le Pensec, dont je salue la mémoire et l’œuvre politique. (Applaudissements sur divers bancs.)
Depuis lors, la mer est sous tutelle : elle manque d’envergure politique et de crédits budgétaires. Elle n’a jamais eu autant besoin d’être entendue et défendue dans nos projets politiques.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner une proposition de résolution qui peut constituer une étape importante pour notre pays : elle permettrait de lui redonner une couleur maritime, en matière de recherche comme de gouvernance des océans et des littoraux. Il s’agit de plaider ensemble pour la création du quatorzième institut de l’Université des Nations unies. Cette structure académique autonome et décentralisée, portée par l’Assemblée générale des Nations unies et l’Unesco, nous offre l’occasion de rattacher la France à un réseau de programmes de recherche et de formation et de faire le lien entre recherche et politiques publiques. C’est un réseau unique de coopération internationale.
Le projet qui concerne la France est un projet de longue date. Il a été initié en 2012, d’abord par l’université de Bretagne-Occidentale – mon université, dont je suis particulièrement fière –, la région Bretagne, les élus de la métropole de Brest et le député de Brest. Je tiens à les saluer tous pour leur travail collectif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Actuellement, l’Université des Nations unies ne dispose d’aucun institut spécialisé sur la thématique des océans et des littoraux. L’université de Bretagne-Occidentale abrite déjà un pôle maritime d’excellence, qui associe des centres tels que l’Ifremer et l’Institut universitaire européen de la mer. Le Finistère accueille en outre l’École navale et l’École nationale supérieure des techniques avancées (Ensta) Bretagne, ainsi que le parc naturel marin d’Iroise, premier parc naturel marin français. La présence de plusieurs bases stratégiques de la Marine nationale, en particulier la force océanique stratégique, regroupée à l’Île Longue, renforce encore cet ancrage maritime.
Le Finistère, Penn ar bed en breton, désigne le bout du monde. C’est aussi la terre où tout commence ; un territoire résolument tourné vers la mer, pour la navigation et pour l’exploration scientifique. Au temps des grands explorateurs, Brest a toujours occupé la place stratégique de port d’attache de la connaissance scientifique. L’installation de l’institut Océan à la pointe occidentale serait une reconnaissance légitime de cette expertise.
Par notre vote, l’institut Océan pourrait enfin voir le jour en France. Jusqu’à présent, l’État n’avait pas donné suite aux discussions engagées, et ce pour des raisons financières. Il est désormais essentiel qu’il prenne ses responsabilités et s’engage pour permettre l’aboutissement de ce projet structurant pour notre ambition maritime. Alors que la France accueille en juin prochain, à Nice, la conférence des Nations unies sur l’océan, le président de la République doit se saisir pleinement de l’occasion en proposant d’assumer un rôle stratégique dans la gouvernance mondiale des mers et des océans. Nous attendons des annonces fortes et concrètes.
Aujourd’hui, la biodiversité marine, mais aussi les populations qui vivent de la mer, sont menacées. La surexploitation des ressources halieutiques et marines, les pollutions plastiques et la destruction des habitats aggravent ces pressions. Face à ces défis vitaux, la diplomatie scientifique devient incontournable. Dans un contexte où l’administration Trump remet en cause l’expertise scientifique, l’accueil de chercheurs en exil ne représente pas seulement un devoir moral et démocratique : c’est aussi une opportunité stratégique pour renforcer notre souveraineté scientifique et stimuler l’innovation.
L’installation à Brest d’un institut Océan constituerait une étape majeure pour consolider cette ambition : elle permettrait d’offrir un cadre propice à la recherche libre et indépendante, de renforcer le rayonnement scientifique de la France et de l’Europe et de conforter la dynamique d’accueil d’étudiants et d’enseignants-chercheurs étrangers. Notre université peut retrouver un rôle moteur, nos étudiants et chercheurs aussi ; à nous de le rendre possible ! Fidèle à son héritage maritime, le groupe Socialistes et apparentés votera pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet
L’océan couvre les deux tiers de notre planète verte et bleue. C’est un maillon essentiel de son équilibre climatique et de notre vie sur terre. Pendant longtemps, en absorbant le carbone que nous relâchons imprudemment dans l’atmosphère, il a semblé s’en accommoder peu ou prou. Ce n’est plus le cas et l’indifférence n’est plus de mise. En 2024, à nouveau, la température à la surface des océans a atteint des sommets quand l’étendue mondiale de la banquise était au plus bas. La fonte des glaces perturbe la captation et la séquestration du carbone et bouleverse la circulation thermohaline. L’acidification des océans menace des écosystèmes essentiels – le plancton, les coraux. Enfin, n’oublions pas la pollution chimique dans sa diversité : les polychlorobiphényles (PCB), les métaux lourds, les substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS) et le continent de déchets plastiques.
Par ailleurs, l’affaiblissement du droit international menace la convention de Montego Bay, qui repose sur une articulation délicate entre les droits des États côtiers, la coopération internationale et la protection de l’environnement. Les aspirations économiques frénétiques de certains poussent au pillage des nodules polymétalliques et à une exploitation vorace du pétrole et du gaz – une exploitation déraisonnable des grands fonds marins, précieuses réserves de carbone et réservoirs extraordinaires de biodiversité. (Mme Cyrielle Chatelain et M. Matthias Tavel applaudissent.)
Face à de telles incertitudes, c’est la science, et non l’avidité, qui doit nous guider. Et le chemin est long : on estime ne connaître que 10 % de la cartographie des fonds marins et des espèces marines qui y habitent. Pour cela, il est temps de donner un cadre d’excellence à la recherche et à la formation sur les sciences et la gouvernance des océans. L’idée n’est pas neuve : en 2019, le gouvernement français avait déjà échangé avec le recteur de l’Université des Nations unies, sans aboutir. Six ans plus tard, nous avons une occasion unique de concrétiser ce projet : en juin, quelques semaines avant la trentième COP climat, se tiendra la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. La France, qui l’accueille à Nice, entend y jouer un rôle clé.
L’installation, en Bretagne, d’un nouvel institut de l’Université des Nations unies, le treizième, dédié à l’océan, offrirait un cadre idéal pour la recherche océanique internationale. Cet institut constitue une réponse en soi au déni climatique de Donald Trump et à la hargne féroce qu’il voue à la science. Il démontre que l’Europe prend au sérieux la coopération scientifique et entend proposer des solutions fondées sur la connaissance et non sur des billevesées complotistes ou des spéculations à court terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Mélanie Thomin applaudit également.)
Nous devons agir avec la rigueur du droit de la mer et des conventions environnementales. Grâce à une instance multilatérale, nous pourrons mieux discerner les bouleversements en cours et nous donner les moyens de nous adapter et de prendre le mal à la racine. Les abysses recèlent peut-être des solutions aux défis climatiques et sanitaires de demain. Continuerons-nous de les détruire avant même de les comprendre ? La France, qui compte parmi les meilleures communautés scientifiques consacrées à la mer et possède l’une des plus vastes zones économiques exclusives au monde, dispose d’une forte légitimité pour prendre des initiatives et enfin agir.
C’est bien joli, nous dit-on çà et là, mais ça va coûter cher, non ? Je veux ici rassurer celles et ceux qui pointent le fait que bien des institutions et laboratoires dédiés à la mer existent déjà, dont certains sont logiquement localisés en Bretagne – l’Ifremer, l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor, Océanopolis, l’université de Bretagne-Occidentale –, ainsi que celles et ceux qui s’inquiètent du coût d’une telle ambition et redoutent que son poids retombe in fine sur les collectivités en ces temps de disette budgétaire. Le travail est devant nous : il s’agit, loin de disperser les efforts et les financements, de consolider un réseau solide d’institutions à vocation européenne et internationale, où les joyaux français de la recherche océanographique conserveront la place éminente que la qualité de leurs travaux scientifiques leur permet de briguer.
Si j’ai bien compris l’ambition de la mission Neptune, lancée il y a quelques jours, il est temps, au lieu de coloniser l’espace, de découvrir notre planète bleue. Cela ne se fera pas sans le soutien du Parlement et sans l’engagement du gouvernement, garant du financement de cet institut qui permettra de renforcer encore notre rayonnement scientifique. Vous l’aurez compris, les parlementaires du groupe Écologiste et social voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy Pahun
Nous sommes saisis aujourd’hui d’une proposition de résolution transpartisane défendue par notre collègue Pierre-Yves Cadalen, député du Finistère – de Brest même –, invitant le gouvernement à approuver le projet d’implantation de l’institut Océan de l’Université des Nations unies à Brest. Notre collègue défend son territoire, richement doté en institutions de recherche océanographique,…
M. Aurélien Saintoul
Et pas que !
M. Jimmy Pahun
…et le rôle international de la France dans l’étude et la protection des océans.
Je me réjouis à titre personnel de la discussion de ce soir : tout texte qui fait entrer l’océan et ses enjeux dans notre hémicycle est le bienvenu. Hier, au musée de la Marine, le président de la République a évoqué les huit dossiers prioritaires pour l’océan qui seront mis sur la table à l’Unoc, à commencer par le Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine. Notre assemblée s’était fortement mobilisée sur ce sujet en votant à l’unanimité une résolution appelant à un accord ambitieux ; nous avions alors encouragé le gouvernement à s’engager pleinement dans la négociation. Le président de la République a également cité la pêche durable. Je continue, en concertation avec des pêcheurs, des scientifiques et des associations environnementales, à travailler à une réforme de la pêche française pour en assurer l’avenir.
Les aires marines protégées sont un autre thème cité par le président de la République. Sur ce sujet, il nous faut défendre une ambition rehaussée, en concertation avec les pêcheurs. Nous devons aligner nos critères sur ceux de la communauté scientifique internationale. Les derniers thèmes évoqués par le président de la République sont la décarbonation du transport maritime, la lutte contre la pollution plastique, la mobilisation de nouveaux financements, la lutte contre le changement climatique, la défense de la science et le soutien aux pôles et aux grands fonds.
Le groupe Les Démocrates votera en faveur de la proposition de résolution, avec néanmoins une réserve : résolution n’est pas loi de finances. Nous n’autorisons pas ici une dépense ; nous formulons un souhait et nous exprimons une ambition. Nous souhaitons donc que le travail se poursuive avec le gouvernement pour clarifier l’enjeu du financement et trouver possiblement une voie compatible avec l’exigence budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Mathilde Panot
C’est un bon investissement, ne vous inquiétez pas !
M. le président
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland. Si les durées d’intervention étaient toutes à l’image de celle de M. Pahun, nous pourrions terminer l’examen du texte cette nuit, comme le souhaitent certains.
Mme Mathilde Panot
Prenez votre temps, madame Violland !
Mme Anne-Cécile Violland
La France accueillera en juin, à Nice, la troisième conférence des Nations unies sur les océans. C’est une véritable consécration de notre engagement en faveur de la protection des mers et des océans. Notre responsabilité est grande : notre pays dispose d’un domaine maritime de 11 millions de kilomètres carrés, le deuxième au monde. Nos mers abritent une large part des 240 000 espèces répertoriées, 10 % des récifs coralliens et 20 % des atolls de la planète. C’est pour protéger la richesse de cette biodiversité marine que notre pays a soutenu des mesures phares ces dernières années. Le plan d’actions « zéro déchet plastique en mer », l’interdiction des sacs plastiques à usage unique et l’interdiction du rejet des sédiments et résidus de dragage pollués contribuent à faire de la France un acteur majeur dans la protection d’un espace qui couvre plus de 70 % de la surface du globe – et je voudrais aussi avoir une pensée pour les lacs.
Mais si notre responsabilité dans ce domaine est grande, nous ne pouvons agir seuls : tout ce que nous entreprenons pour l’océan dans le territoire français a des répercussions bien au-delà de notre zone économique exclusive. En effet, l’océan contient cinquante fois plus de carbone que l’atmosphère et il absorbe 30 % des émissions de CO2. C’est pourquoi la France doit travailler avec les autres nations pour protéger cet espace commun.
Elle l’a fait à de nombreuses reprises ces dernières années. Notre pays reconnaît pleinement l’importance de l’objectif 14 de l’Agenda 2030 des Nations unies pour conserver et exploiter de manière durable les océans. Il inscrit également son action dans le cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, qui vise à protéger 30 % des terres et des mers à l’horizon 2030. Contre l’exploitation minière en haute mer, la France s’est engagée dans une alliance aux côtés des États insulaires. Elle a été l’un des premiers États à ratifier le Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine, et elle milite pour que les autres nations fassent de même afin qu’il puisse entrer rapidement en vigueur.
Agir ensemble avec la communauté internationale pour protéger les océans passe aussi par la recherche et l’enseignement supérieur. C’est l’enjeu principal de cette proposition de résolution : l’implantation d’un institut Océan de l’université des Nations unies en France pourrait, dans une certaine mesure, permettre d’atteindre cet objectif, puisqu’il constituerait une plateforme internationale de recherche et de formation susceptible de renforcer l’excellence scientifique française dans le domaine océanographique. Il offrirait également un cadre institutionnel favorable à une coopération entre les chercheurs, les décideurs et les institutions internationales. Or nous devons encourager la diplomatie scientifique. Il pourrait aussi garantir une meilleure coordination entre les différents acteurs engagés dans la protection des océans, qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou internationaux. Enfin, ce projet pourrait servir de catalyseur à de nouvelles initiatives européennes et mondiales en la matière.
Tout cela ne peut cependant se réaliser qu’à deux conditions. Il faudrait d’abord qu’un tel institut vienne non pas remplacer, mais compléter les infrastructures et les initiatives déjà existantes en France. Fort de son vaste domaine maritime, notre pays a depuis longtemps investi dans la recherche océanographique et dispose d’institutions de renom, telles que l’Institut de l’océan de l’Alliance Sorbonne Université, qui fédère environ 1 500 enseignants, chercheurs et techniciens au sein de près de trente laboratoires – ce qui en fait la plus grande université de recherche marine d’Europe.
La création d’une institution de cette envergure impliquant des dotations et des partenariats internationaux, il faudra ensuite veiller à garantir son financement de manière pérenne si l’on veut qu’elle puisse avoir un impact durable. Or même si ce projet était approuvé demain, il aurait besoin, pour que sa dotation soit abondée, d’une loi de finances, laquelle devrait veiller à préserver l’équilibre des comptes publics.
En tout état de cause, le groupe Horizons & indépendants ne s’opposera pas à l’adoption de cette proposition de résolution. (Mme Eléonore Caroit applaudit.)
M. Jimmy Pahun
Parfait !
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, demain, à quatorze heures :
Questions au gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de commission mixte paritaire, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes ;
Suite de la discussion de la proposition de résolution tendant à créer un institut Océan de l’Université des Nations unies en France ;
Discussion de la proposition de loi visant à renforcer le contrôle du Parlement en période d’expédition des affaires courantes ;
Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane ;
Discussion de la proposition de loi visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra