XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025

Deuxième séance du jeudi 12 juin 2025

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Deuxième séance du jeudi 12 juin 2025

Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Avenir de la sidérurgie française

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L’avenir de la sidérurgie française ». La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
    La parole est à M. Emmanuel Maurel.

    M. Emmanuel Maurel (GDR)

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    Le sujet du débat, l’avenir de la sidérurgie française, nous paraît quasiment existentiel. C’est la raison pour laquelle nous l’avons inscrit à l’ordre du jour.
    Je commencerai par une provocation : l’Europe est née par l’acier, mais périra-t-elle par l’acier ou contribuera-t-elle à tuer le secteur de l’acier ? C’est, hélas, la situation de la sidérurgie française qui nous pousse à poser cette question.
    Il nous faudra discuter de l’industrie elle-même, mais aussi des impasses des politiques européennes en matière industrielle. Sans aller jusqu’à la recension des premiers pas de l’Union européenne, il faut rappeler que la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) en a été la première étape. Cette organisation avait pour mission de soutenir fortement les industries européennes du charbon et de l’acier, pour leur permettre de moderniser et d’optimiser leur production et de réduire leurs coûts, tout en prévoyant des mesures destinées aux salariés –⁠ ce point, qui figurait dans son traité fondateur, est très important –, afin d’anticiper les évolutions de leurs métiers, de créer des emplois et d’améliorer les conditions de travail.
    Ces objectifs dessinaient un embryon de politique industrielle. Bien sûr, la Ceca était au service de la réconciliation franco-allemande, mais pas seulement : ses différents aspects paraissent aujourd’hui, à la lumière de nos problèmes structurels, d’une étonnante actualité.
    En plus des celles destinées à améliorer les conditions de travail, des mesures devaient permettre de mieux orienter les investissements, de développer les exportations et de surveiller les importations et les prix. Or les sidérurgistes européens sont justement confrontés à des problèmes d’investissement, d’importation et de prix qui se traduisent par de graves tensions dans les sites de production et sur l’emploi et compromettent l’avenir même de cette industrie sur le continent.
    Il y a quelques jours, à l’occasion de son audition par la commission des affaires économiques, le président d’ArcelorMittal a carrément annoncé que tous les sites sidérurgiques européens étaient exposés à un risque de fermeture dès 2025 ! Si cela se réalisait, notre potentiel de développement économique, notre souveraineté et notre autonomie stratégique seraient fatalement frappés.
    Je ne dresserai pas la liste des produits essentiels composés d’aluminium ou d’acier, vous en connaissez tous, pas plus que je ne dresserai la liste des engagements pris par différents responsables politiques pour sauver les hauts fourneaux et maintenir en France la production sidérurgique. Cette liste est longue et la plupart d’entre nous en gardons un souvenir amer.
    J’espère que les dernières annonces faites par le gouvernement ne connaîtront pas le même sort et ne nous laisseront pas le même souvenir que celles qui les ont précédées. Je l’espère d’autant plus que le panorama mondial de la sidérurgie a bien changé, mais pas à notre avantage.
    Cela semble une constante dans l’histoire économique : pour accéder au stade de pays industrialisé, les États développent d’abord leur sidérurgie et accumulent des capacités de production qui, cumulées, finissent par saturer le marché mondial.
    D’après l’OCDE, l’excédent de capacité sidérurgique devrait atteindre 720 millions de tonnes en 2027, pour une production mondiale totale d’environ 2 milliards de tonnes. Cette surcapacité doit être rapportée à la production cumulée de tous les pays de l’OCDE en 2024, soit 290 millions de tonnes.
    La Chine concentre à elle seule près de la moitié de la production mondiale d’acier et inonde les marchés de ses productions à prix cassés. L’Union européenne a déjà été confrontée à ce problème dans les années 2010, mais celui-ci a pris une ampleur inédite du fait de la pandémie de covid et du déclenchement de la guerre en Ukraine : ces événements dramatiques ont créé un effet ciseaux considérable que nous n’avons pas encore pallié alors que le temps presse.
    Alors que la surproduction chinoise est écoulée à bas prix, on constate un recul violent de la production automobile, l’une des plus consommatrice des produits issus de la sidérurgie. La production automobile française représentait 11 % à 12 % de la production automobile européenne en 2019, mais n’en représentait plus que 7,4 % en 2024. On pensait que le creux de la vague ne durerait que le temps de la crise sanitaire et des perturbations massives des chaînes d’approvisionnement, mais il n’en a rien été. La production française a accusé un recul de 11 % en 2024, avec seulement 1,34 million de véhicules sortis des usines. C’est l’un des principaux facteurs de la crise de la sidérurgie française.
    La guerre en Ukraine a par ailleurs provoqué une explosion du coût de l’énergie. Or, on le sait, la sidérurgie est l’une des industries les plus électro-intensives qui soient. Les aides qu’elle avait reçues au titre du bouclier énergétique ne lui ont pas permis de retrouver un niveau de production antérieur à la crise. Les résultats opérationnels d’ArcelorMittal en témoignent : ces chiffres, en cours de correction, révèlent déjà que les bénéfices n’ont cessé de baisser, que la production recule et que la rentabilité diminue tendanciellement, malgré le regain constaté cette année.
    Alors que nous faisons face à la surproduction mondiale, à la baisse des productions à base de composants sidérurgiques et à la hausse des prix de l’énergie –⁠ qui forment, avec le prix de matières premières 70 % des coûts de production –, le président Trump a annoncé au mois de mars une surtaxation de 25 % des importations d’aluminium et d’acier. Les États-Unis fournissent à la sidérurgie européenne son deuxième débouché et, en riposte aux contre-mesures que l’Union européenne envisageait d’appliquer en juillet, leur président a encore annoncé un doublement des droits de douane.
    Une menace existentielle plane donc sur la sidérurgie, qui emploie encore 25 000 salariés en France –⁠ ils sont 15 000 à travailler pour le seul groupe ArcelorMittal, soit le tiers de son effectif européen. J’évoque ArcelorMittal et ses sites de Dunkerque, de Mardyck et de Fos-sur-Mer, que nous connaissons et dont le sort nous inquiète, mais je pourrais aussi bien parler de ses concurrents : ThyssenKrupp a annoncé qu’il supprimerait 11 000 postes, soit 40 % de ses effectifs.
    Voilà où nous en sommes à l’instant où je vous parle. Si les politiques, notamment européens, laissent faire, il n’y aura plus du tout de sidérurgies européenne et française : ce qui nous guette, c’est leur délocalisation intégrale ! La situation est donc critique et s’aggravera si Paris et Bruxelles ne prennent immédiatement pas des mesures d’urgences.
    Bruxelles est la source d’un premier problème. Des mesures ont été annoncées en mars et doivent s’appliquer à partir de juillet ; dans l’intervalle, des mesures de sauvegarde auront été négociées, afin de réduire les quotas d’importation et d’accorder plus de place aux produits made in Europe et made in France. L’Europe réagit donc, me direz-vous ; mais, contrairement à tous les autres grands blocs économiques du monde, elle persiste à respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
    Or l’OMC a estimé que les contingents d’importation sans droits de douane ou à droits réduits européens étaient trop bas, au point de violer les règles de la concurrence libre et non faussée. Elle a donc obligé l’UE à augmenter ses quotas d’importation de 5 % par an depuis 2019. Nous sommes en 2025 et les contingents d’importation à droit nul ou très réduit ont donc augmenté de plus de 25 %.
    De fait, si la baisse des quotas était appliquée, elle ne ferait que rattraper l’effet de la révision à la hausse décidée par l’OMC, tandis que le président Trump continuerait à agir selon son bon plaisir.
    Ce n’est pas une petite affaire : il est question de 30 millions de tonnes d’importation à droits nuls ou quasi nuls chaque année, soit trois fois la production sidérurgique annuelle française. En Europe, on constate que le poids des importations par rapport à la production communautaire a doublé en dix ans, passant de 9 % en 2012 à 20 % en 2023. Le plan européen se donne pour cible de ramener ce taux à 15 %, mais nous verrons ce qu’il en est vraiment. Pour avoir longtemps arpenté les couloirs du Parlement européen et fréquenté la Commission, j’ai de forts doutes sur le volontarisme à l’œuvre aujourd’hui en Europe.
    Deuxième problème européen, le marché carbone. Ce qui, en théorie, était une solution, est si mal appliqué qu’il devient un problème. Les industries européennes, qui émettent d’importantes quantités de CO2, doivent acheter des droits à polluer qui les contraignent à être plus vertueuses, mais depuis la création du marché des droits à polluer, les industries lourdes ont, pour leur permettre d’engager une transition douce, bénéficié de droits gratuits. Ces droits devraient se faire plus rares, jusqu’à quasiment disparaître en 2034 : le prix de l’acier européen devrait donc repartir à la hausse.
    Pour compenser les défauts du marché carbone, l’Union européenne a appliqué un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), mais il est sous-dimensionné ne rapporte pas beaucoup d’argent : la Commission espérait en tirer plusieurs dizaines de milliards d’euros, mais n’en récupère qu’un ou deux.
    L’enjeu est colossal pour notre industrie, qui doit lutter efficacement contre le dumping chinois. Les syndicats représentant les salariés d’ArcelorMittal envisagent des solutions, que nous pourrons évoquer aujourd’hui, mais il faut agir, et agir vite, comme le font d’autres pays.
    Les deux hauts-fourneaux de British Steel ont par exemple été mis sous tutelle par le gouvernement britannique. Il faudra donc se départir de tout a priori idéologique et rester ouvert à l’idée que l’État mette la main à la pâte. Je sais bien que le mot de nationalisation fait peur –⁠ cette nationalisation pourrait n’être que temporaire, s’il fallait en rassurer certains –, mais je défends les prises de capital public, l’un des seuls moyens à notre disposition pour sauver la sidérurgie française et notre appareil industriel.
    Nous pouvons encore y parvenir. Il faut mener le combat au niveau européen et au niveau national, et il faut le faire maintenant.

    M. le président

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    La parole est à M. Matthieu Bloch.

    M. Matthieu Bloch (UDR)

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    Je remercie nos collègues du groupe GDR d’avoir organisé ce débat, qui est salutaire. Je veux aussi souligner la justesse de son intitulé, « l’avenir de la sidérurgie française », car malheureusement, l’histoire de la sidérurgie ne semble plus s’écrire qu’au passé.
    Je suis né en 1983, une année qui évoque bien des choses aux électeurs de gauche : c’est l’année du tournant de la rigueur, mais surtout du renoncement industriel. Avec le zèle des convertis, un gouvernement qui comptait des ministres communistes décidait d’abandonner jusqu’à l’idée même d’une politique industrielle volontariste. Jean-Pierre Chevènement, homme de ma région, démissionnait déjà.
    François Mitterrand promettait qu’on ne toucherait à aucun boulon de Longwy. Son serment fut trahi et la sidérurgie sacrifiée. Une première fois, dans les années 1980, et une seconde fois, encore par la gauche, sous la présidence de François Hollande –⁠ vous vous souvenez tous de Florange et du président candidat, monté sur la camionnette de l’intersyndicale avant de tourner les talons une fois élu. Le volontarisme avait fondu au soleil de l’Élysée.
    Les conséquences de ce sacrifice sont bien illustrées à Hussigny-Godbrange, tout près de la frontière luxembourgeoise. Autrefois, les Luxembourgeois venaient travailler dans les aciéries de la ville, mais ce sont désormais les Français qui traversent la frontière, pour aller travailler à Belval. Réputé être le paradis des banques, le Luxembourg a réussi à préserver sa sidérurgie, qui emploie 4 000 personnes.
    À Hussigny, les deux plus grandes entreprises emploient au total 30 personnes. Le village compte deux boulangeries et un Carrefour Express, mais plus rien de ce qui fit, autrefois, la fierté de tout un territoire. Où est passée la volonté politique ? Au Luxembourg, on a bâti une université et des infrastructures modernes. De notre côté de la frontière, tout a été déserté.
    Rien n’indique que nous ayons renoué avec le volontarisme : rien dans le domaine de la sidérurgie, rien dans celui de l’automobile et rien dans celui de la défense, où l’on abandonne aux appétits chinois Vencorex, un fournisseur de produits chimiques critique pour notre filière nucléaire.
    La France vend les industries stratégiques qui lui restent. À Versailles, le président parade au sommet Choose France, faisant croire que le pays était une zone industrielle à liquider au plus offrant : plutôt que l’application d’une stratégie, c’est une mise aux enchères !
    Pourtant, l’acier reste stratégique. Il l’est pour nos ponts, pour nos trains, pour nos machines-outils, pour nos bâtiments et, bien sûr, pour notre défense. L’acier est au socle de la puissance, comme le blé est celui du pain, disait Georges Clemenceau.
    Les chiffres sont là pour nous alerter : en 2023, la France a produit moins de 10 millions de tonnes d’acier brut, alors qu’elle en produisait 40 millions en 1974. La production allemande atteint 35 millions de tonnes, la production italienne, 20 millions. La balance commerciale de la sidérurgie française est chroniquement déficitaire, avec plus de 5 milliards d’euros d’importations nettes en 2022. L’acier que nous ne produisons plus, nous en dépendons.
    Quand les chaînes d’approvisionnement se tendent, comme lors de la pandémie de covid ou depuis le début de la guerre en Ukraine, nous payons notre dépendance au prix fort. D’après François Lecointre, un pays sans industrie est un pays sans avenir. J’ajouterai qu’un pays sans sidérurgie est un pays sans armée indépendante : comment construire des blindés, des canons, des frégates ou des missiles sans acier ? Comment assurer notre nécessaire réarmement si notre base industrielle et technologique de défense (BITD) est privée de matière première nationale ?
    La vérité est simple : il n’y aura pas de réarmement sans réindustrialisation, et pas de réindustrialisation sans sidérurgie. C’est une question de souveraineté –⁠ une question de survie. Il est temps de réarmer l’État pour armer la nation, de remettre la puissance publique au service de l’intérêt national, de cesser les discours et de passer aux actes. Ce cap, ce projet, cette volonté, ce sont les Français qui en décideront bientôt dans les urnes, en faveur de l’alternance.

    M. le président

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    La parole est à M. Bruno Clavet.

    M. Bruno Clavet (RN)

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    La sidérurgie française n’est pas qu’un pan de notre économie, c’est une part de notre histoire, un pilier de notre souveraineté, un levier de puissance industrielle et un repère identitaire pour des territoires entiers. Pour des milliers de familles, elle représente aussi un héritage ouvrier transmis de génération en génération, où l’on apprenait le goût du travail bien fait et la fierté d’appartenir à une filière qui transforme le minerai en force, et la force en grandeur nationale.
    Et pourtant, cette filière est en danger, voire menacée d’effacement. Depuis plus de trente ans, la sidérurgie française subit un lent démantèlement, orchestré par l’aveuglement de gouvernements successifs qui ont cru que l’on pouvait délocaliser sans conséquences, dépendre des marchés mondiaux sans risques et sacrifier nos usines au nom d’une mondialisation qui n’a été « heureuse » que pour une infime minorité.
    Dans mon département, le Pas-de-Calais, ce désastre a des visages et des noms. ArcelorMittal à Dunkerque est certes un géant, mais il est soumis aux logiques de rentabilité d’un groupe mondial qui pourrait demain, d’un seul trait de plume, fermer un site, supprimer une ligne de production ou licencier.
    Je pense aussi à l’aciérie d’Isbergues, symbole d’un savoir-faire local autrefois florissant, aujourd’hui délaissée, vidée, rachetée, restructurée et toujours menacée. Je pense aux ouvriers de Mazingarbe, de Divion, de Bully-les-Mines, qui ont vu les laminoirs fermer, les hauts fourneaux s’éteindre, les camions remplacer les wagons de matières premières. Ici, dans le Pas-de-Calais, on connaît la sidérurgie comme on connaît la mine, par le cœur et par les coups. Que reste-t-il de tout cela ? Des friches, des souvenirs et surtout des promesses politiques jamais tenues.
    La France, qui produisait plus de 20 millions de tonnes d’acier par an dans les années 1980, n’en produit plus que la moitié. Pendant que cette production baisse, nos importations explosent. Nous achetons massivement de l’acier chinois, turc, indien, parfois à bas coût, souvent produit dans des conditions sociales indécentes et dans un mépris total de l’environnement.
    Ce gouvernement, qui nous parle de transition écologique à longueur de journée, voulait imposer les zones à faibles émissions (ZFE) –⁠ que le Rassemblement national a supprimées – tout en étant le champion des importations massives et polluantes. Ce double langage et ce cynisme sont insupportables.
    Les macronistes, qui se présentent comme des maestros de l’économie, n’ont rien vu venir : ils ont considéré les délocalisations comme inévitables, les licenciements comme des variables d’ajustement et les ouvriers comme de simples lignes comptables. Pire encore, au lieu de relocaliser, ils ont continué à signer des accords de libre-échange toujours plus destructeurs. Leur modèle de start-up nation nous a appauvris, fragilisés et exposés à toutes les dépendances.
    Une France sans sidérurgie, c’est une France dépendante pour ses rails, ses ponts, ses centrales, ses chantiers navals, son armement. C’est une France qui ne produit plus, qui achète tout et finit par se vendre. Mais ce destin, pieds et poings liés, n’est pas une fatalité. Il est encore temps de redonner à la sidérurgie française la place qu’elle mérite : celle d’un secteur stratégique, structurant et vital pour notre avenir.
    Pour cela, il faut réunir trois conditions essentielles. D’abord, il faut relocaliser, avec une clause de patriotisme économique dans les marchés publics. Il est aberrant que l’État finance des infrastructures avec de l’acier étranger alors que nos aciéries fonctionnent au ralenti ou ferment.
    Ensuite, il faut protéger, en imposant des barrières aux importations d’acier ne respectant ni nos normes sociales ni nos exigences environnementales. Ce n’est pas du protectionnisme ; c’est juste du bon sens.
    Enfin, il faut investir dans l’innovation, les compétences et l’attractivité de nos territoires industriels, soutenir ceux qui produisent ici plutôt que d’arroser ceux qui délocalisent.
    Les ouvriers de France n’attendent pas la charité : ils réclament du respect, des perspectives et une classe politique qui les considère. Ce sont des Français que vous ne verrez pas dans la rue, qui ne réclament rien, mais qui méritent tout.
    Il faut une rupture claire avec le modèle économique actuel. Nous, au Rassemblement national, assumons cette rupture ; nous l’incarnons, nous la portons et nous la rendrons inévitable. Nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de souveraineté sans industrie, pas de puissance sans acier et donc pas de France forte sans une sidérurgie forte.

    M. le président

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    La parole est à M. Thomas Portes.

    M. Thomas Portes (LFI-NFP)

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    Ma question est simple, monsieur le ministre : la vie des travailleurs et travailleuses de France compte-t-elle pour vous et pour le gouvernement ? En avril dernier, ArcelorMittal, plus gros employeur français dans l’acier, a licencié 636 personnes. Les 15 000 employés du groupe sont désormais tous menacés, qu’ils travaillent dans la production, la maintenance, la transformation ou les fonctions support. Au nom de mon groupe, j’apporte notre soutien aux salariés en lutte.
    Lors de son dernier « 20 heures », Emmanuel Macron a balayé d’un revers de main toute intervention de votre gouvernement, refusant de « dépenser des milliards » et se voulant rassurant, en promettant qu’il exigerait des garanties de développement.
    Mais ce n’est pas la question ! ArcelorMittal se développe : premier sidérurgiste mondial, il a réalisé 62,4 milliards de dollars de profit en 2024, ce qui ne l’a pas empêché de laisser plus de 600 familles sur le carreau, alors qu’il engageait dans le même temps une série de rachats et d’acquisitions.
    En seulement trois ans, la famille Mittal a empoché 6 milliards d’euros, entre dividendes et rachats d’actions, soit la moitié des 12 milliards versés aux actionnaires ces dernières années. Ce groupe du CAC40 n’a jamais été aussi prospère, mais cela profite exclusivement aux patrons ultrariches, aux actionnaires et aux puissances étrangères.
    Pire encore, le groupe utilise directement l’argent des Français pour licencier à tour de bras : 300 millions d’euros de fonds publics lui sont versés chaque année, sans aucune contrepartie.
    Monsieur le ministre, le cas d’ArcelorMittal est un marqueur politique fort. Les travailleuses et les travailleurs en ont assez des fausses promesses de votre gouvernement ; ils ne supportent plus le « en même temps ». Quand Emmanuel Macron assure qu’il va sauver les sites de production de Dunkerque et de Fos, il ment. Il s’inscrit dans une longue tradition de trahisons présidentielles face aux salariés de l’acier. En 2009, ArcelorMittal fermait la grande aciérie de Gandrange, révélant les faux-semblants de Nicolas Sarkozy. En 2012, François Hollande, en campagne, assurait qu’il empêcherait la fermeture des sites sidérurgiques de Moselle, avant qu’un an plus tard, ArcelorMittal ne condamne définitivement les hauts fourneaux de Florange sous le regard bienveillant du pouvoir. Les travailleurs de l’acier ont la mémoire longue et n’oublient pas les trahisons présidentielles.
    ArcelorMittal a déjà engagé l’enterrement de ses principaux sites en France. Le géant international l’a dit et répété : il considère que la main-d’œuvre française est trop chère. Le groupe continuera à délocaliser son activité en Asie pour réduire les coûts, et vous avez décidé de le laisser faire et de le regarder. Cédant aux sirènes du capitalisme ultralibéral, vous détruisez tout et le fascisme prospère sur ces cendres. La désindustrialisation est l’un des terreaux les plus fertiles pour le Rassemblement national et l’extrême droite. Les territoires délaissés par l’industrie sidérurgique sont ceux où la vague brune se répand le plus rapidement et durablement.
    La souveraineté industrielle est l’un des grands poncifs macronistes, pourtant vidée progressivement de son sens à chaque fois que votre gouvernement l’emploie. Quelle est votre vision de notre souveraineté industrielle quand vous laissez le fret ferroviaire mourir, les infrastructures ferroviaires à l’abandon et les transports, autrefois publics, passer aux mains d’opérateurs étrangers et privés ? Quelle est votre vision de la souveraineté sanitaire quand le Doliprane, médicament le plus vendu en France, devient américain, et que vous ne réagissez pas ?
    Les 15 000 employés du groupe ArcelorMittal produisent deux tiers de l’acier français. Ce sont elles et eux qui nous permettent de construire nos routes, nos véhicules, nos avions, nos chemins de fer. Derrière les emplois des travailleurs de l’acier, il y a ceux des cheminots, des ouvriers de l’automobile, de l’aéronautique, des charpentiers, de la marine. Le travail des salariés de la sidérurgie conditionne notre capacité à nous défendre, à nous déplacer, à nous loger, à nous fournir de l’énergie. Ce sont des savoirs et des savoir-faire qu’il faut conserver en France.
    Alors, si ce géant capitaliste international doit partir, nous disons très clairement : qu’il parte ! La France peut produire de l’acier sans ArcelorMittal, et elle peut le faire mieux. Mittal, c’est 251 morts au travail depuis 2012, des salariés payés en moyenne 120 fois moins que le PDG, qui gagne plus de 6 millions d’euros par an.
    L’entreprise refuse d’engager la nécessaire décarbonation de son site de Dunkerque, pourtant largement financée par l’argent du contribuable. Au cours des cinq dernières années, elle n’a payé qu’un euro d’impôt sur les sociétés en France. Nous exigeons de reprendre le contrôle de notre outil industriel : interdiction des licenciements quand l’entreprise verse des dividendes, conditionnement des aides publiques au maintien de l’emploi.
    Alors –⁠ et ce n’est pas un gros mot –, assumons de nationaliser Arcelor, avec une gouvernance et des capitaux 100 % publics. Pour relancer l’emploi dans le secteur et ancrer notre souveraineté industrielle, c’est le choix évident. L’Italie l’a fait, le Royaume-Uni aussi, et même le Kazakhstan.
    Nous savons faire : l’augmentation de capital de la SNCF et la montée de l’État au capital d’EDF, du même ordre de grandeur, le prouvent. C’est du bon sens, même au regard des indicateurs économiques qui semblent être votre seule obsession. La nationalisation éviterait des millions d’euros de coûts et générerait des milliards de bénéfices, au service du pays. L’évitement fiscal, l’argent public déjà investi et le refus d’ArcelorMittal de respecter ses engagements climatiques sont autant de leviers de négociation.
    Les Français ont d’ailleurs bien compris que la production française de l’acier devrait être un bien commun : 70 % d’entre eux sont favorables à cette nationalisation. Les salariés la demandent, les économistes l’approuvent, les citoyens sont d’accord. Monsieur le ministre, votre refus de nationaliser ArcelorMittal en est une confirmation morbide : vous êtes un gouvernement au service des ultrariches, pillant sans scrupule l’argent public tout en démolissant la vie des travailleurs.
    Je veux ici réaffirmer le soutien plein et entier de mon groupe aux 60 000 salariés de la sidérurgie, qui œuvrent bien davantage pour l’intérêt général que n’importe quel membre de ce gouvernement.

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Brun.

    M. Philippe Brun (SOC)

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    Les socialistes remercient le groupe GDR d’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée ce débat essentiel pour l’avenir de la sidérurgie française et de notre industrie.
    Les orateurs l’ont rappelé : la sidérurgie produit des matériaux indispensables à l’économie. Elle alimente la construction à hauteur de 35 %, l’automobile pour 18 %, les industries mécaniques, les articles en métal et les tubes. Nous savons combien la lente chute du marché de l’acier européen a accompagné la désindustrialisation : une baisse de 25 % au cours des quinze dernières années, conséquence directe de la chute de notre industrie automobile et de l’accélération des délocalisations.
    Lorsque nous examinons les chiffres et écoutons les oratrices et orateurs qui nous ont précédés, le constat est celui d’un lent décrochage sur le terreau de nos renoncements et de notre naïveté. En 2000, la France était au onzième rang mondial de la production d’acier. En 2024, nous sommes tombés au dix-huitième rang mondial. En 2023, la France a produit 10 milliards de tonnes d’acier brut, se classant au quatrième rang européen derrière l’Allemagne, alors que nous en produisions 15 milliards avant la crise du covid. Cette baisse s’impose à notre attention et met en danger notre avenir.
    Face à cette situation, que faire ? Les incitations n’ont pas manqué, et des aides importantes ont été versées, y compris à ArcelorMittal, notamment pour décarboner son site de Dunkerque. Mais les engagements ne sont pas respectés et le groupe ne semble pas faire de la relance de son activité en France une priorité. Monsieur le ministre, pouvons-nous laisser à ArcelorMittal seul le choix de l’avenir de la filière sidérurgique française, alors qu’il représente plus des deux tiers de la production nationale d’acier ?
    Nous devons reprendre la main. Les socialistes ont déposé une proposition de loi visant à nationaliser ArcelorMittal, comme nous l’avons fait pour EDF, estimant qu’il s’agit d’un acteur clé de notre souveraineté. Pourquoi refusez-vous de manière aussi idéologique cette nationalisation temporaire ? Nos collègues ont cité plusieurs exemples étrangers qui font consensus et aucun ne conteste la nécessité d’une nationalisation. Alors, pourquoi le gouvernement refuse-t-il d’agir en ce sens ?

    M. le président

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    La parole est à M. Olivier Marleix.

    M. Olivier Marleix (DR)

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    Ce débat est bienvenu car la situation d’ArcelorMittal est au cœur des préoccupations de beaucoup de nos compatriotes. La production d’acier, qui a longtemps été une filière essentielle dans notre pays, s’effondre régulièrement. Nous sommes passés de 16 millions de tonnes en 2014 –⁠ ce n’est pas si loin, c’était il y a dix ans – à seulement 11 millions de tonnes en 2024.
    Un facteur déterminant explique cette chute : la concurrence déloyale de la Chine, qui subventionne massivement sa production d’acier, tandis que les coûts énergétiques augmentent en Europe. La politique de désengagement menée par ArcelorMittal sur le territoire français suscite, à juste titre, des inquiétudes. Le groupe se place en position de désengagement progressif dans une logique de restructuration, en fragilisant ses sites de production. Le 23 avril, il a annoncé la suppression de 636 postes répartis sur sept sites du nord de la France, dont 295 à Dunkerque et 194 à Florange. Les sites de Mardyck, Desvres, Montataire, Mouzon et Basse-Indre sont également touchés par ce plan.
    Les conséquences de cette restructuration nous alarment d’autant que l’industrie sidérurgique française repose sur un vaste tissu de sous-traitants. La fermeture du site de Dunkerque mettrait ainsi en péril jusqu’à 60 000 emplois si l’on inclut les sous-traitants. Quel avenir peuvent espérer ces salariés ?
    Le groupe justifie cette politique par une baisse de la demande d’acier en France. En 2017, cette demande atteignait pourtant encore 25 millions de tonnes par an. Si la chute est importante, elle n’explique pas tout : c’est avant tout la concurrence chinoise qui constitue le principal problème.
    La politique menée par ArcelorMittal en France semble s’inscrire dans une stratégie européenne plus globale. Le groupe possède ainsi deux grands sites sidérurgiques en Espagne, où il a reçu une aide gouvernementale s’élevant à 460 millions d’euros. Cette subvention doit notamment servir à financer la construction d’une usine de production de fer préréduit à partir d’hydrogène vert ainsi que l’installation d’un nouveau four électrique qui remplacera à terme les hauts fourneaux du groupe en Espagne.
    Mais c’est la concentration des investissements aux États-Unis, en Inde et au Brésil qui constitue le véritable fil conducteur de la stratégie du groupe. À terme, cette stratégie menace la majeure partie de ses activités sur le territoire européen. Que restera-t-il de la sidérurgie en Europe en 2030 ? Voilà la question qui se trouve au cœur de nos interrogations.
    La question de la sidérurgie dépasse cependant la seule filière de production d’acier. La sidérurgie alimente la plupart des autres filières industrielles du pays, en premier lieu le secteur des transports. Ainsi, l’automobile représente à elle seule 17 % de la consommation d’acier en France. Or les exigences de ce secteur en matière de qualité et de traçabilité sont très élevées. L’industrie ferroviaire a aussi besoin d’acier –⁠ je pense notamment aux rails, aux roues, aux essieux, aux wagons fabriqués par Alstom… À terme, l’existence de ces industries risque également d’être compromise.
    La construction consomme également beaucoup d’acier, notamment pour produire du béton armé, des poutrelles et des enveloppes métalliques. Je pourrais aussi évoquer le secteur nucléaire, celui de la défense ou l’industrie navale. L’acier est au cœur de toutes nos filières souveraines. Ne pas défendre le maintien d’une production d’acier sur le sol national reviendrait à affaiblir notre capacité de production et la réindustrialisation de notre pays.
    Cette réflexion aboutit à deux questions. La première porte sur la politique européenne : les autorités européennes doivent protéger le marché contre la concurrence déloyale de la Chine. Il faut certes relever les droits de douane, mais cela ne suffira pas pour rendre notre industrie de nouveau compétitive.
    Par ailleurs, quels moyens sommes-nous prêts à mettre sur la table pour assurer la pérennisation de ces activités ? Monsieur le ministre, je vous donnerai un précédent. En 1978, au moment de la crise de la sidérurgie, l’État n’a pas hésité à voler au secours d’Usinor dans le cadre du plan Barre, dans des conditions qui ont été très contestées à l’époque. Il accorde en effet des prêts participatifs qui ont suscité beaucoup de mécontentement car cela revenait à aider les actionnaires, notamment la famille Wendel, tout en laissant l’entreprise procéder à de nombreux licenciements. Quoi qu’il en soit, sous le président Giscard d’Estaing, l’État a su appliquer une forme de nationalisation : pourquoi n’arrivons-nous pas aujourd’hui à ouvrir une discussion un peu musclée à ce sujet ? C’est l’avenir de cette filière, de notre autonomie stratégique et d’autres filières industrielles essentielles qui est au cœur de ce débat.

    M. le président

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    La parole est à M. Paul Christophe.

    M. Paul Christophe (HOR)

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    Nous nous accordons tous sur le fait que l’industrie de l’acier traverse sans doute sa pire crise depuis la crise financière de 2008, que cette activité cruciale pour notre souveraineté se trouve au bord du gouffre et que des dizaines de milliers d’emplois sont plus que jamais menacés. C’est un phénomène majeur, aux implications mondiales et particulièrement européennes et françaises. Les causes en sont multiples et connues de tous.
    C’est avant tout une question de marché. Vous avez tous évoqué l’usine de Dunkerque, et je m’en réjouis en tant que député de cette ville, avec Julien Gokel. Cette usine produit principalement des bobines laminées à chaud. Lors de son audition devant l’Assemblée nationale, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, a rappelé que le prix moyen d’une telle bobine était passé de 750 euros la tonne au début de l’année 2024 à 550 euros à la fin de la même année. Il explique : « Cette baisse de prix de 25 % s’explique par la pression et la destruction de notre marché par les importations. Nous ne pouvons plus compenser la baisse d’activité par des exportations. » C’est donc aussi une question de concurrence déloyale puisque la situation s’apparente à une compétition à laquelle participeraient des sportifs dopés –⁠ en l’occurrence les producteurs implantés en Asie.
    Selon l’OCDE, la capacité mondiale de production d’acier s’élevait l’an dernier à 2,4 milliards de tonnes, quand la demande plafonnait à 1,8 milliard. D’après le secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann, c’est d’autant plus problématique qu’« entre 2025 et 2027, on s’attend à de nouvelles surcapacités de 165 millions de tonnes, soit 6,7 % de hausse, alors que la demande va augmenter de moins de 1 % ». L’offre sera donc plus importante, mais la demande, guère plus. Cet écart entre offre et demande ne fait qu’alimenter la croissance de la surcapacité mondiale, qui dépasse déjà 600 millions et atteindra 700 millions d’ici à 2027. Selon les spécialistes de l’OCDE, « cette surcapacité a des incidences sur la viabilité de ce secteur. L’acier trop bon marché fait baisser les prix et saborde la rentabilité des producteurs », notamment celle des Européens, dont les coûts de production sont beaucoup plus élevés que ceux de leurs concurrents asiatiques en raison du coût de la main d’œuvre et de l’énergie ainsi que de la taxe carbone.
    La loi de l’offre et de la demande est d’autant plus handicapante que l’acier est l’un des produits les plus subventionnés au monde. Je cite une nouvelle fois le secrétaire général de l’OCDE, qui estime que les taux de subvention de l’acier en Chine –⁠ la part de ces aides dans le revenu des producteurs – sont dix fois supérieurs à ceux pratiqués dans les économies de l’OCDE. Cela conduit l’organisation à réclamer « un terrain de jeu aussi équitable que possible », ce qui implique de se doter de protections contre les importations de cet acier surabondant et de surcroît sur-subventionné, et d’en finir avec la naïveté.
    Pire, détaille le rapport de l’OCDE, ce subventionnement généralisé fausse l’ajustement normal du marché, ce qui conduit les producteurs à maintenir une production élevée, au risque d’entretenir en retour la surproduction –⁠ c’est un cercle vicieux. Cette situation n’est pas seulement catastrophique pour les producteurs d’acier, mais emporte dans son sillage les industries consommatrices d’acier en aval, telles que le secteur automobile ou la fabrication de machines, qui subissent également les effets des excédents de capacité à l’échelle planétaire étant donné que les aciers moins chers donnent des avantages non marchands injustes aux concurrents situés dans les pays à l’origine des surcapacités mondiales.
    En France, le secteur automobile représente deux tiers de la demande d’acier. À Dunkerque, 70 % de la production de l’usine ArcelorMittal est destinée à ce secteur. Pour garantir la pérennité de cette production, il faut la faire entrer dans l’ère de la décarbonation en installant des fours à arc électrique. La sidérurgie est en effet à l’origine de 8 % des émissions de CO2.
    Mais les prix historiquement bas de l’acier sabordent les efforts de décarbonation. Pour décarboner notre acier, il nous faut un prix de l’hydrogène adapté et une tarification de l’électricité soutenable, mais il n’y aura pas de décarbonation s’il n’y a pas de marché. Pire, faute de décarbonation, l’augmentation des capacités, que l’on estime à 40 %, passera par les hauts fourneaux, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre –⁠ presque quatre fois plus que les fours électriques. Cela nous condamnerait à de fortes émissions pendant des décennies.
    Résister à la concurrence, enrayer les effets du dumping pratiqué par la Chine revient à fermer nos frontières, ce qui jusqu’ici n’était pas un réflexe au niveau européen. La hausse de 50 % des droits de douane aux États-Unis aura des effets pervers sur l’Europe : les 27 millions de tonnes d’acier asiatique initialement destinées aux États-Unis risquent d’être en grande partie déroutées vers le marché européen. La Commission européenne a présenté un plan d’action pour l’acier et les métaux grâce auquel elle entend sauver la sidérurgie sur le continent en limitant les importations à 15 % de la demande.
    Mais ce ne sera pas suffisant. Il nous faut parvenir à un rééquilibrage des prix en réformant la taxe carbone, à laquelle sont assujettis les producteurs européens, afin que les aciers importés y soient également soumis. Il ne sert à rien d’évoquer la nationalisation si le marché ne permet pas d’écouler la production ; ce qui n’est pas viable pour l’usine ArcelorMittal de Dunkerque ne le sera pas plus pour une usine nationalisée. Cela revient simplement à créer une nouvelle chimère au détriment des salariés.
    Nous ne souhaitons pas que nos usines ferment en raison d’une réaction politique trop lente. Il faut donc une volonté politique au niveau européen, et la France doit jouer tout son rôle. Il est urgent de protéger notre marché et nos emplois. Monsieur le ministre, nous avons besoin de réponses rapides : comment la France compte-t-elle s’investir dans le plan d’urgence européen pour la sidérurgie ? Quelle stratégie entendez-vous promouvoir en matière de tarification de l’hydrogène et de l’électricité, ressources indispensables à la décarbonation ? Quelle politique de soutien à l’investissement souhaitez-vous défendre ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.

    M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie

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    Je remercie le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat.
    Vous l’avez tous dit : la sidérurgie est essentielle pour l’avenir de notre pays.
    Dans mon propos liminaire, je tenterai de répondre à certains points qui ont été soulevés par les différents intervenants. Nous devons tenir un débat clair, franc et documenté sur ces sujets qui ne sont pas nécessairement consensuels.
    La sidérurgie est l’industrie des industries. Elle se situe au fondement de nombreuses chaînes de valeur industrielles, de l’automobile à la défense, en passant par l’aéronautique et le spatial. C’est l’ossature invisible de notre puissance industrielle, mais aussi le socle de notre souveraineté et de notre résilience. Partout sur notre territoire, des centaines de milliers d’emplois en dépendent, directement ou indirectement. Cette industrie est au cœur de notre histoire et de l’identité de nombreuses régions –⁠ les Hauts-de-France, le Grand Est, l’Auvergne-Rhône-Alpes et certaines régions méridionales.
    Aujourd’hui, elle traverse une période de fragilité, voire de bouleversement. Il a été question de « menace existentielle » ; je souscris à cette expression. La sidérurgie se retrouve cernée, notamment en raison des surcapacités de production, comme l’a expliqué M. Christophe, et de la concurrence très largement déloyale de la Chine. Je donnerai quelques chiffres en guise d’illustration : la surcapacité mondiale équivaut à 2,75 fois la capacité de production de l’Union européenne. Si la tendance se confirme, ce chiffre montera à 3,5 fin 2026.
    Nos industriels ne jouent pas à armes égales avec nos concurrents car ces derniers tirent avantage de subventions massives et de marchés protégés et ne respectent pas les mêmes normes sociales et environnementales. La compétitivité de nos sites industriels est pénalisée par des prix de l’énergie supérieurs à ceux dont bénéficient les producteurs d’acier chinois, américains ou canadiens.
    Enfin, la crise que nous traversons a une dimension conjoncturelle. Les sidérurgies française et européenne pâtissent de la faiblesse de la demande mondiale, qui est liée à la baisse de la croissance et à des transformations dans d’autres filières industrielles, notamment aux difficultés que connaissent les filières de l’automobile et du bâtiment.
    Dans le même temps, la sidérurgie est engagée dans un processus de décarbonation –⁠ c’est un autre défi. Le gouvernement continue de penser que ce processus est absolument nécessaire, en premier lieu pour l’environnement ; la production d’acier consomme en effet beaucoup d’énergie et émet des quantités considérables de gaz à effet de serre. En France, elle est responsable d’un quart des émissions industrielles. La décarbonation est également cruciale pour la compétitivité et l’emploi. Le système européen de droits d’émissions a conduit à une hausse du prix des quotas carbone. Dès lors, la pérennité de nos sites industriels dépend de leur capacité à réduire rapidement l’empreinte carbone de leur production. Cela pose la question de l’investissement, notamment en ce qui concerne ArcelorMittal.
    À cet égard, le durcissement de la compétition mondiale présente un risque majeur pour l’avenir de l’emploi, puisque seuls les sites qui déploieront des technologies de production à bas carbone pourront rester compétitifs dans les dix prochaines années, si le contexte ne change pas. Or ces technologies novatrices sont coûteuses et exigent généralement une prise de risque de la part des entreprises, les investissements se comptant souvent en milliards d’euros. Dans ce domaine, le soutien de l’État est indispensable. Je n’éluderai pas la question des aides, soulevée par certains d’entre vous.
    La décarbonation est une priorité absolue, qui implique une véritable révolution industrielle et qui suppose des investissements massifs. Il faut des actions rapides et fortes, sans doute plus qu’actuellement. Il faut aussi travailler ensemble, que ce soit en France ou au niveau européen.
    Nous devons trouver un équilibre entre, d’une part, la prise en compte des surcapacités, de la hausse des prix de l’énergie et de la contraction de la demande, et, de l’autre, la nécessité de décarboner.
    La situation nous oblige à être lucides. Confrontée à ces défis, la sidérurgie fait face à un risque existentiel. Elle est fragilisée comme elle ne l’a probablement pas été depuis des décennies. Nous pensons tous à la récente annonce de la suppression de 636 postes, qui ne correspondent certes pas à autant de licenciements. Il y en aura malgré tout, et ils pèseront sur l’avenir des familles, en générant de l’anxiété. J’ai une pensée pour les salariés concernés et leurs familles.
    Au-delà de l’avenir des sites d’ArcelorMittal en France, qui revêt une grande importance, une question plus générale se pose, pertinente pour l’ensemble de la filière sidérurgique : veut-on continuer à produire de l’acier en France dans trois ans, dans dix ans ou dans trente ans ? À cette question, le gouvernement répond par l’affirmative, résolument et définitivement.
    Nous sommes en effet déterminés à nous battre pour préserver l’industrie sidérurgique sur le territoire français. Dans un monde où nous avons plus que jamais besoin d’autonomie stratégique, l’industrie de l’acier doit garantir une production sécurisée aux secteurs situés en aval. C’est dans cet état d’esprit que nous nous battons, avec mes équipes et avec l’ensemble des services du ministère de l’industrie et de l’énergie.
    Notre priorité, c’est de soutenir la compétitivité de l’outil productif. Pour cela, nous avons besoin de mesures structurelles. Les prix de l’énergie sont l’un de nos principaux combats. La France dispose d’un avantage stratégique avec l’électricité nucléaire, qui est abondante, décarbonée et d’un prix abordable. Nous devons et nous allons en faire une force au service de la réindustrialisation, en particulier pour certaines filières électro-intensives, dont la sidérurgie. Je salue le travail engagé par la nouvelle direction d’EDF et son président, Bernard Fontana, pour relancer les négociations de contrats de long terme avec les industriels électro-intensifs. Certains contrats ont déjà été signés, comme avec Aluminium Dunkerque le 15 mai ; d’autres devraient l’être dans les prochaines semaines.
    Notre objectif est de fournir à nos industriels, qui sont soumis à une concurrence très vive s’agissant des prix de l’électricité, la capacité de lutter à armes égales. C’est un sujet très concret, qui ne relève pas uniquement de la compétitivité industrielle, mais de la qualité de vie au travail des salariés. Ainsi, lors de mon déplacement, le 26 février, à l’aciérie Riva, en Seine-et-Marne, qui assure le recyclage de l’acier, j’ai pu observer une usine qui, pour réduire la facture d’électricité, ne peut fonctionner que la nuit, afin de bénéficier des heures creuses. Derrière cette contrainte, ce sont des hommes, des femmes et des familles entières qui s’adaptent et réorganisent leur vie autour des horaires de production. Les choix énergétiques soulèvent donc des enjeux très concrets, qui affectent la vie et façonnent l’existence des salariés ; ils ne se limitent pas à une question de bilan d’entreprise. Notre responsabilité est donc grande si nous voulons faire de l’énergie un levier de puissance industrielle et de justice sociale.
    Moderniser l’outil productif passe par un soutien à la décarbonation. Dans cette perspective, l’État a investi et continuera d’investir des centaines de millions d’euros en complément des fonds privés engagés dans les projets de décarbonation à grande échelle. Vous avez adopté en ce sens, dans la loi de finances pour 2025, une autorisation d’engagement de 1,6 milliard d’euros ; cette mesure fut soutenue par des députés issus de différents bancs. Ainsi, nous continuons de donner aux industriels une perspective de décarbonation et nous réaffirmons le soutien de l’État aux grands projets en la matière. Cela permettra de pérenniser les sites industriels. J’en profite pour faire passer un message : j’espère que nous aurons à nouveau ce débat dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 et que nous pourrons préserver ces crédits.

    M. Thomas Portes

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    Et voter !

    M. Marc Ferracci, ministre

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    Notre priorité, c’est également la protection commerciale. En la matière, nous devons agir au niveau européen, car chacun sait que c’est à cette échelle que la réponse se construit. Les surcapacités chinoises dépriment la demande qui s’adresse à nos industriels, ce qui aboutit, sur certains sites, à des taux d’utilisation des capacités de production de seulement 60 % ou 70 %. Dans ce contexte, aucun modèle économique ne tient, même si nous devons débattre des propositions de nationalisation formulées par certains. Que l’entreprise soit privée ou publique, quand vous faites face à des surcapacités de cette nature, qui pèsent à ce point sur le modèle économique, la viabilité est compromise. Agir sur la protection commerciale est alors essentiel.
    Cela passe, comme l’ont dit MM. Christophe et Maurel, par le renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Je reviendrai plus précisément sur les propositions que nous avons défendues, sur celles qui ont été reprises par la Commission européenne et sur les solutions techniques que nous préconisons pour que ce mécanisme soit efficace. Celui-ci est actuellement en phase de reporting et entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Nous avons insisté pour que sa révision intervienne avant son entrée en vigueur.
    Protéger notre industrie relève du bon sens, pas du repli. Même si, pour ma part, je suis attaché au commerce international et au multilatéralisme, ce dernier suppose des règles et, surtout, de la réciprocité. Or, aujourd’hui, s’agissant de la sidérurgie, la réciprocité n’existe pas : des industries sont massivement subventionnées et deviennent surcapacitaires du fait des aides, qui irriguent l’ensemble de la chaîne de valeur. Cela vaut pour l’acier comme pour d’autres secteurs industriels, tels que ceux des véhicules électriques ou des batteries.
    Dans ces combats pour davantage de protection, qui ont fait l’objet d’interpellations légitimes, la France est à l’initiative. J’ai moi-même réuni, lors d’une conférence ministérielle qui s’est tenue le 28 février à Bercy, les acteurs de la filière, mes homologues ministres de l’industrie européens –⁠ en particulier espagnol et italien –, les représentants de la Commission européenne, des organisations syndicales européennes, des organisations professionnelles et d’ArcelorMittal. Nous avons, à cette occasion, lancé une alliance des pays européens pour soutenir l’industrie lourde –⁠ qui comprend la sidérurgie et la chimie –, concrétisée il y a quelques jours à Bruxelles. Cette alliance a formulé certaines propositions qui ont été reprises par la Commission européenne.
    Nous assumons d’avoir ainsi exercé une forme de pression sur la Commission. Je suis moi-même allé à plusieurs reprises à Bruxelles, pour négocier directement avec les instances européennes et discuter avec nos partenaires. Cela s’est traduit par un plan d’urgence pour la sidérurgie européenne, présenté le 19 mars par le commissaire Séjourné. Certes, ce plan comporte des annonces qui ont une dimension politique et je suis le premier à dire, avec M. Maurel, que les annonces politiques formulées au niveau européen peuvent parfois se perdre en route, lors de leur traduction législative. Nous devons donc demeurer très vigilants, jusqu’au dernier kilomètre, s’agissant de la concrétisation de ces annonces. Toutefois, ces dernières reprennent l’idée d’une révision du MACF et de clauses de sauvegarde plus mordantes –⁠ certaines ont été concrétisées dès le 1er avril.
    En effet, la clause de sauvegarde en vigueur depuis 2018 se révèle très insuffisante, car elle permet à une quantité trop importante d’acier chinois d’entrer en Europe, du fait de critères progressivement relâchés compte tenu des règles imposées par l’OMC. Cette clause de sauvegarde était définie par la limitation des importations d’acier à 15 % du marché européen de 2016. Or comme le marché européen a, depuis, diminué, ces 15 % représentent aujourd’hui à peu près 30 % de notre consommation, ce qui permet à une trop grande quantité d’acier extra-européen de pénétrer en Europe. Nous avons donc besoin de resserrer ces clauses de sauvegarde et nous avons ainsi demandé à la Commission européenne qu’elle établisse un mécanisme durable de mesures de sauvegarde et de quotas face à l’acier extra-européen.
    Dans ce dossier, la France, je le répète, a été à l’initiative. C’est le sens de l’action que j’ai menée, que ce soit avec mes équipes, avec la direction générale des entreprises et l’ensemble des services de Bercy, ou dans une démarche interministérielle. Nous allons conserver ce cap et maintenir la pression car il est essentiel d’agir au niveau européen, tout comme nous devons agir au niveau français.
    Notre pays compte évidemment des sites en difficulté –⁠ je reviendrai sur le cas d’ArcelorMittal. Mais des investisseurs continuent, aujourd’hui, de faire le choix de la France pour construire l’avenir de la sidérurgie. Nous avons ainsi de belles histoires en gestation. Dans la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, par exemple, qui connaît une activité sidérurgique depuis les années 1960, l’entreprise GravitHy incarne le futur de la sidérurgie bas-carbone : elle vient de boucler un tour de table de plusieurs dizaines de millions d’euros pour y construire la première usine d’acier décarboné d’Europe. Pour cela, elle sera soutenue par l’État, car nous assumons de soutenir la production d’acier vert. Cette entreprise ambitionne de produire, dès 2029, l’équivalent d’une tour Eiffel d’acier par jour. La solution au problème de la sidérurgie se situe ainsi dans l’investissement, dans la décarbonation et dans une logique partenariale entre l’État et les investisseurs privés.
    Un autre exemple de rebond industriel réussi est symbolisé par Marcegaglia qui a repris, toujours à Fos-sur-Mer, le site d’Ascometal qui se trouvait en grande difficulté et menacé de liquidation. Marcegaglia s’est engagé à investir plusieurs centaines de millions d’euros dans un nouveau procédé, ce qui représente des centaines d’emplois sauvés et des savoir-faire préservés dans nos territoires.
    Cela a été dit, sans doute avec d’autres arguments que les miens : il n’y a pas de fatalité pour la sidérurgie française et européenne. La France n’est pas la seule à rencontrer des difficultés : ThyssenKrupp a annoncé, en Allemagne, 11 000 suppressions de postes et des fermetures de sites. Notre combat est d’éviter que de telles fermetures surviennent en France ; nous voulons faire en sorte que l’on continue à produire dans notre pays.
    Les projets que je viens d’évoquer ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont la preuve que la France demeure attractive pour des projets industriels et pour la sidérurgie de demain, et que notre stratégie industrielle est lisible et inspire confiance. À Fos-sur-Mer comme ailleurs, les investisseurs choisissent aussi la France en raison de cette constance, qui dépasse la politique industrielle –⁠ mais je n’ouvrirai pas ici de débat sur la politique économique dans son ensemble.
    L’Europe est née avec le charbon et l’acier ; nous sommes tous convaincus, quoique nos réponses diffèrent, que ce n’est pas en sacrifiant l’acier qu’elle se réinventera. Nous avons encore dans nos mains une large part de l’avenir de la sidérurgie française et européenne. Tel est le message que je veux faire passer aujourd’hui.
    Pour finir, un mot sur les sites en difficulté, dont j’ai évoqué les sources structurelles et conjoncturelles. ArcelorMittal a notamment décidé de supprimer 636 emplois, incluant 385 licenciements –⁠ qui sont 385 licenciements de trop. Néanmoins, je veux prendre position face aux propositions formulées ces dernières semaines, notamment les appels à la nationalisation, parfois qualifiée de « temporaire ». Une nationalisation temporaire est impossible pour une entreprise dont le modèle économique rencontre des problèmes –⁠ coût de l’énergie, protection commerciale, concurrence déloyale – qui n’ont pas été résolus ; il faut donc assumer qu’il s’agirait d’une nationalisation pure et simple, ce dont je souhaite que nous puissions débattre.
    Concernant ArcelorMittal, il n’est pas vrai que les salariés demandent la nationalisation. Les organisations syndicales sont divisées à ce sujet : dans La Tribune Dimanche du 8 juin, le représentant de la fédération Force ouvrière de la sidérurgie s’est dit opposé à la nationalisation d’ArcelorMittal. Ce débat est complexe ; il ne doit pas se limiter à des mots d’ordre mais nous conduire à analyser l’intégralité des paramètres.
    Il en va de même de la question du moratoire ou de l’interdiction, pour reprendre le terme qui a été employé, des licenciements. Cela ne réglera pas les problèmes auxquels sont confrontées les filières en difficulté, en particulier la sidérurgie. Les interdictions de licencier sont le plus court chemin vers la disparition des entreprises en difficulté et vers l’abandon des investissements de la part de ceux qui souhaiteraient ouvrir ou consolider des sites. Il faut avoir les idées claires sur ce sujet.
    Les réponses doivent être multiples ; elles ne peuvent reposer sur des solutions uniques ou unilatérales. Promettre qu’on réglera à très court terme les problèmes de la sidérurgie européenne et française, c’est se tromper et c’est tromper celles et ceux qui attendent des réponses, en particulier les salariés inquiets. On ne leur doit pas des illusions, mais des solutions et des mesures efficaces. La meilleure garantie pour maintenir les emplois et la production d’acier sur notre sol, ce n’est pas la nationalisation, mais l’investissement. Dans le dossier emblématique d’ArcelorMittal comme dans tous les autres, c’est la ligne que nous suivons. C’est en ce sens que je me suis battu, avec les équipes de Bercy –⁠ dont je salue le professionnalisme et le dévouement – et avec les élus des territoires concernés –⁠ M. Christophe, dont je connais l’engagement, M. Gokel, mais aussi le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, ainsi que le président de la région, Xavier Bertrand. Ce sujet dépasse les positions partisanes et doit faire l’objet d’un consensus.
    En discutant, ces dernières semaines, avec la direction Europe d’Arcelor, nous avons essayé de comprendre les raisons profondes de la restructuration annoncée ainsi que celles des hésitations de leur politique d’investissement en matière de décarbonation. La Commission européenne, que nous avons interpellée à ce sujet, a intégré ces éléments dans le plan « acier » que j’ai précédemment évoqué. Cette méthode s’est traduite par des résultats : Arcelor a fait connaître, il y a déjà quelques semaines, son intention d’investir 1,2 milliard d’euros dans la décarbonation du site de Dunkerque. Si ce n’est pas là l’investissement prévu à l’origine –⁠ il faut le reconnaître –, cette volonté d’investir indique que l’entreprise croit en l’avenir de la sidérurgie à Dunkerque et, plus profondément, à l’avenir de la sidérurgie en France.
    Je suis moi aussi convaincu que la sidérurgie, en dépit sa situation difficile, a un avenir dans notre pays. Nous ne laisserons en aucun cas la France se transformer en musée de son passé industriel : toute notre action vise, au contraire, à en faire un atelier pour l’avenir. Cet avenir à un prix : celui de la lucidité, du courage, de la détermination et du consensus –⁠ consensus que je suis heureux d’essayer de bâtir avec vous, même si nous n’avons pas, tous, les mêmes réponses à ces questions.
    J’en viens à certains des sujets abordés par les orateurs, en commençant par la question de la nationalisation d’Arcelor. Des exemples étrangers, comme celui de British Steel, ont été évoqués. Il ne s’agit cependant pas là d’une nationalisation, mais d’une mise sous tutelle. Arcelor n’est pas au bord de la faillite ni dans l’incapacité d’investir, comme l’était British Steel : le cas n’est pas transposable. Nous entendons créer, au niveau européen comme au niveau français, les conditions favorables à la réalisation d’investissements : c’est là, je crois, le meilleur moyen de garantir le maintien de l’emploi et d’une activité pérenne sur le site de Dunkerque –⁠ et plus largement sur le cluster de Dunkerque, comme il est convenu de l’appeler.
    La nationalisation –⁠ qui ne saurait, en tout état de cause, régler les problèmes structurels du modèle économique de la sidérurgie – a par ailleurs un coût, qui fait l’objet de débats approfondis, en fonction du périmètre que l’on choisit. Permettez-moi simplement de rappeler que la capitalisation boursière d’Arcelor se monte aujourd’hui à 22 milliards d’euros : dans le contexte de nos finances publiques –⁠ que chacun connaît –, il me semble que nous pourrions, compte tenu des solutions industrielles qui existent, faire un meilleur usage de l’argent des contribuables.
    Le sujet des aides et de leur conditionnalité a également été abordé –⁠ nous sommes souvent amenés à en débattre. Avant d’élargir mon propos, je voudrais commencer par le cas d’Arcelor et couper court à l’idée –⁠ qu’on peut parfois trouver à lire dans les médias ou entendre dans les propos de certaines personnes – que les engagements de l’État destinés à financer le projet initial de décarbonation –⁠ engagements à hauteur de 850 millions d’euros – ont effectivement été touchés par l’entreprise ; mais l’État ne s’engage jamais sans contrepartie, et l’investissement n’ayant pas été réalisé, aucun euro n’a été versé.
    Les autres aides publiques –⁠ le crédit impôt recherche (CIR), les aides à l’embauche – sont également toujours accompagnées de contreparties qui, pour ces grands projets d’investissement, font l’objet d’une contractualisation très rigoureuse. Permettez-moi, monsieur Portes, de revenir sur le Doliprane et sur la cession d’Opella à un fonds d’investissement américain –⁠ sujet sans rapport avec la sidérurgie mais permettant d’illustrer la question de la contractualisation. Des engagements ont été pris relativement au maintien de l’emploi et au maintien de la production –⁠ engagements qui sont allés jusqu’à préciser des volumes de production. On ne peut donc, en aucun cas, affirmer que l’on a laissé disparaître de notre territoire la production du Doliprane.
    Cette logique de contractualisation concerne toutes les aides aux projets d’investissement. Si, maintenant, nous voulons soumettre ces aides à la condition du maintien de l’emploi, il nous faut un cadre juridique adéquat. Je suis un ministre de la République, qui applique les lois de la République. Si celles-ci venaient à changer, et subordonnaient certaines aides au maintien de l’emploi, nous ferions en sorte qu’elles soient appliquées ; ce n’est cependant pas le cas à l’heure actuelle, et l’on ne peut pas créer un cadre juridique ex post puis l’appliquer de manière rétroactive –⁠ inutile de se raconter des histoires. Je suis prêt à engager ce débat. Alors que j’étais député, j’ai cosigné avec Jérôme Guedj un rapport sur les exonérations de charges sociales, exonérations assimilées à des aides : je peux vous assurer que la conditionnalité n’est pas simple à mettre en œuvre, pas plus que son opportunité n’est évidente.
    De nombreux pays se battent pour attirer les investissements –⁠ le cas de l’Espagne a été évoqué – et tous proposent des aides. Or ces aides ne se tiennent pas toutes –⁠ sans que je puisse prétendre en avoir une vision exhaustive – au même niveau de contractualisation et de conditionnalité que les nôtres. Quand les investisseurs envisagent de se tourner vers l’Espagne, les Pays-Bas ou l’Allemagne, ils regardent l’ensemble de ce qui leur est proposé. On dit que nous subventionnons, avec de l’argent public, des projets qui, sinon, ne se feraient pas : c’est vrai, et nous l’assumons, dans un tel contexte de compétition pour attirer les investisseurs.
    Au sujet de la protection commerciale, je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été engagé et sur ce qui a déjà été annoncé. Des mesures ont déjà pris effet, comme celle qui consiste, depuis le 1er avril, à baisser de 15 % les importations d’acier chinois. Ce chiffre pourrait prêter à confusion : cette baisse, au demeurant insuffisante –⁠ la filière, à commencer par Arcelor, nous le dit – n’est pas notre objectif. L’objectif que nous visons, en revanche, c’est de faire en sorte que la clause de sauvegarde –⁠ autrement dit la quantité d’acier importé en Europe – représente 15 % du marché européen : si le chiffre est le même, il ne se rapporte pas à la même réalité. Cela correspond à la clause de sauvegarde telle qu’elle a été introduite en 2018. J’ai eu des discussions approfondies avec la direction Europe d’Arcelor –⁠ nous échangeons constamment –, au sujet, notamment, des droits de douane américains et de leurs conséquences : ce que demande la filière, c’est bien que les importations extra-européennes ne dépassent pas 15 % du marché européen.
    Nous demandons également, et le plan d’action rendu public par la Commission européenne le 19 mars l’assume clairement, qu’un mécanisme prenne la suite de ces mesures de sauvegarde, mécanisme destiné à devenir pérenne à partir de 2026. Nous en discutons avec la Commission et avec nos principaux partenaires –⁠ notamment dans le cadre de l’alliance pour l’industrie lourde que nous avons créée ces dernières semaines et que j’ai évoquée tout à l’heure – dans le but de pouvoir défendre des propositions puissantes. Les annonces de Donald Trump –⁠ le passage de 25 à 50 % des droits de douane sur l’acier et l’aluminium – ont sans aucun doute contribué, ces derniers jours et ces dernières semaines, à dégrader encore le contexte. Si la France n’est pas le pays le plus directement exposé, les industriels craignent un effet direct sur les exportations à destination des États-Unis, mais aussi –⁠ et surtout – une amplification des surcapacités chinoises, par un effet de redirection vers l’Europe, du fait de la fermeture du marché américain, des flux d’exportation chinois.
    C’est à cela que nous tâchons, au niveau européen également, d’apporter des réponses. Nous avons obtenu de la Commission qu’elle mette en place un dispositif de surveillance qui déclenche des clauses de sauvegarde dès lors que sont observées des surcapacités, dans l’acier comme dans d’autres filières.
    Je vais prolonger ce sujet de la protection commerciale en abordant un point que MM. Christophe et Maurel ont évoqué : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières  qui doit entrer en vigueur en 2026 et qui concerne un certain nombre de secteurs.
    Nous faisons aujourd’hui le diagnostic de l’insuffisance de ce dispositif, qui se laisse contourner par trop de moyens. Quels sont ces moyens de contournement et quels sont les problèmes, en général, que soulève le MACF ?
    Tout d’abord, il ne s’applique qu’à l’acier sans s’appliquer au secteur aval, celui des produits transformés. Ensuite, il ne permet pas d’éviter le resource shuffling –⁠ pardonnez-moi cet anglicisme –, autrement dit le fait qu’un pays qui exporte sa production vers l’Europe, comme la Chine, y oriente préférentiellement sa production décarbonée. Parce que cette production utilise une électricité qui n’est pas elle-même produite à partir de charbon, par exemple, elle peut échapper à la taxation au titre du MACF. Cette pratique empêche le dispositif de faire baisser le niveau global des émissions chinoises, et l’empêche également de nous protéger contre ces exportations.
    La Commission européenne a expressément mentionné le problème du resource shuffling dans le cadre du plan « acier ». Pour y remédier, nous proposons que le MACF ne soit plus appliqué usine par usine, mais qu’il le soit aux valeurs moyennes de l’ensemble de la production chinoise. Ce serait là également un moyen de simplifier considérablement ce dispositif, puisque nous ne serions plus dans la nécessité de contrôler chaque usine.
    Cette position soulève quelques questions de conformité au droit de l’Organisation mondiale du commerce, mais je l’assume : dans un monde où certains pays –⁠ notamment la Chine – ne respectent pas ces règles, nous devons trouver des solutions qui nous permettent de rétablir une forme de réciprocité. Nous essayons de proposer des solutions qui, techniquement, nous paraissent ne pas contrevenir aux règles de l’OMC. Si, cependant, nous devons être les gardiens du multilatéralisme, nous devons aussi sortir de la naïveté. Sur le sujet des « valeurs pays par défaut », nous sommes en cours d’instruction. J’aurai l’occasion ces prochains jours, et comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire, de défendre ces propositions auprès du commissaire Wopke Hoekstra. Nous espérons que la Commission va réviser le MACF en ce sens. Je n’ai, sur cette question, ni certitude ni boule de cristal, mais je prends l’engagement de me battre.
    Le MACF, enfin, est la contrepartie du système européen d’échange de quotas d’émissions. Ce système impose, au fil du temps, des quotas de plus en plus bas et donc, pour nos industriels, un prix du carbone de plus en plus élevé. Nous l’assumons, dans une logique de décarbonation, de productivité –⁠ et de souveraineté. M. Clavet, pour le Rassemblement national, a évoqué cette dernière question. Les énergies fossiles représentent 60 % de notre production énergétique, pour un coût de 65 ou 70 milliards d’euros, selon les années : la décarbonation, en nous permettant de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, qui pèse tant dans notre balance commerciale, nous fera économiser beaucoup d’argent. Cette décarbonation doit cependant avoir une contrepartie : que nos concurrents soient soumis aux mêmes contraintes –⁠ c’est là le rôle du MACF.
    Voilà pour la question des secteurs avals et pour celle des « valeurs pays par défaut ». Nous avons également défendu, dernier point, l’idée que nos industriels –⁠ en particulier ceux qui exportent – puissent se voir proposer des quotas d’émission gratuits afin d’alléger la contrainte qu’ils subissent dans un contexte de concurrence internationale.
    Telles sont, sur le MACF, nos positions. J’espère avoir ainsi répondu à l’interpellation finale de M. Christophe, qui me demandait ce que la France faisait au niveau européen.
    Permettez-moi de revenir, pour terminer, au durcissement des droits de douane par l’administration américaine. Qu’ils soient l’occasion de nous faire prendre rapidement conscience de l’importance qu’il y a à veiller à notre autonomie stratégique, dans le secteur de l’acier comme dans les autres, et, surtout, de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’investir dans les technologies, le numérique et la décarbonation.

    M. le président

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    Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    La parole est à M. Édouard Bénard.

    M. Édouard Bénard (GDR)

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    Agir sur la protection commerciale, monsieur le ministre, suppose aussi d’interroger le modèle économique. Quant au moratoire, je n’ai certainement pas l’esprit assez éclairé pour comprendre la différence subtile qu’il y a entre 637 emplois supprimés et 637 licenciements.
    Ma question porte sur l’avenir du site ArcelorMittal de Gandrange. Ce nom évoque les promesses non tenues de Nicolas Sarkozy, qui avait affirmé en 2008 : « Avec ou sans Mittal, l’État investira dans Gandrange. » Le site, qui héberge un laminoir à couronnes et à barres, souffre de problèmes d’approvisionnement chroniques, si bien que l’activité pourrait disparaître purement et simplement lorsque le contrat avec ThyssenKrupp, évoqué tout à l’heure, arrivera à échéance, en 2027.
    Les salariés du site attendent depuis plus de quinze ans l’adossement de Gandrange à une nouvelle aciérie électrique, qui pourrait fonctionner selon un modèle d’économie circulaire afin de donner un nouveau souffle à l’entreprise –⁠ pourquoi pas en créant des synergies avec l’aciérie NoVasco d’Hagondange, toute proche, qui, comme vous le savez, est de nouveau en grande difficulté.
    La volonté politique manque pour préserver et développer ce bassin d’emploi et le vivier de compétences que constituent les 4 000 à 5 000 sidérurgistes de la région. Nous avons pourtant l’occasion de moderniser cet outil industriel, de le rendre plus résilient, d’en améliorer significativement la performance environnementale et de développer les filières industrielles, alors que le site de Gandrange dépend encore à 80 % de l’automobile thermique –⁠ ArcelorMittal n’ayant pas procédé aux investissements nécessaires.
    Êtes-vous prêt à travailler avec les salariés, les élus locaux et la représentation nationale pour faire avancer ce dossier industriel majeur et créer un pôle d’excellence de la sidérurgie française, tourné vers l’avenir et protecteur de notre souveraineté industrielle ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Marc Ferracci, ministre

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    Je vous remercie pour votre engagement en faveur de votre territoire et du site de Gandrange en particulier. Je suis toujours disposé à travailler avec les élus et les parlementaires afin de trouver des solutions industrielles, sans a priori. Je suis également toujours d’accord pour travailler avec les salariés,  les représentants syndicaux, y compris en l’absence de la direction –⁠ ce que je fais dès que je me rends sur un site industriel. Je me montre toujours ouvert aux propositions qui me sont faites.
    Le site de Gandrange produit des tubes, des fils machine. Si l’on s’en tient à la communication d’ArcelorMittal, c’est une  production considérée comme performante et compétitive ; elle est d’ailleurs exportée, contrairement à celle d’autres sites français, notamment vers les États-Unis. À ce titre, les dernières annonces de l’administration américaine pourraient affecter ce site fortement exposé aux restrictions commerciales ; même si, à ce stade, nous n’avons pas détecté de signaux inquiétants, nous demeurons très vigilants. Je ne veux pas non plus pécher par naïveté : compte tenu de la situation du marché européen et mondial de l’acier, des difficultés pourraient apparaître. Pour l’heure, et comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire,  nous devons consolider l’activité, l’outil de production et investir.

    M. le président

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    La parole est à M. Anthony Boulogne.

    M. Anthony Boulogne (RN)

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    Pour l’élu de Meurthe-et-Moselle que je suis, ce débat est important, tant l’histoire de la Lorraine est liée au développement de la sidérurgie. Je me concentrerai sur un sujet central pour l’avenir de la filière: l’électrification de la production, et son corollaire, le renforcement du réseau de transport d’électricité.
    L’électrification des moyens de production constitue un défi industriel de premier plan, qui nécessite d’importants investissements. À titre d’exemple, le site de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson, dans ma circonscription, a investi 11 millions d’euros afin d’installer le plus grand four électrique d’Europe destiné à la production de fonte ductile, et 20 millions d’euros pour remplacer deux de ses fourneaux fonctionnant au charbon par des fours électriques Vulcain.
    La modernisation de l’outil industriel répond à deux objectifs. Le premier, évident, est une priorité pour les acteurs économiques, mais aussi un impératif écologique : la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le second est tout aussi stratégique pour notre pays : la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles étrangères –⁠ gaz et charbon –, en misant sur une production électrique nationale –⁠ soit un enjeu de souveraineté important.
    Notre pays dispose d’un parc électronucléaire complet, qui fournit une énergie massive, décarbonée, pilotable et souveraine. Mais dès lors que l’électrification de la production sidérurgique et industrielle suppose des infrastructures modernes, capables de transporter de très grandes quantités d’électrons, le défi est d’envergure.
    La société RTE, Réseau de transport d’électricité, a-t-elle commencé à exécuter le plan d’investissements de 100 milliards d’euros qui a été annoncé ? Le gouvernement a-t-il anticipé la hausse de la demande d’électricité des grandes installations industrielles énergo-intensives, telles que celles de la sidérurgie, qui ont commencé à décarboner leur production et comptent sur la solidité de notre parc nucléaire ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Marc Ferracci, ministre

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    Le site de Pont-à-Mousson est tout à fait stratégique car c’est le seul qui, en France, produit des tuyaux en fonte pour le transport de l’eau, lesquels sont indispensables à la résilience de nos réseaux. L’investissement dont il a profité a fait l’objet d’un accompagnement technique de la part de la direction générale des entreprises (DGE), notamment pour trouver les financements adéquats –⁠ nous suivons ce dossier de très près.
    RTE a effectivement annoncé un plan de développement et d’investissement pluriannuel en avançant ce chiffre de 100 milliards d’euros qui a beaucoup marqué les esprits. Comprenez bien que RTE investit de manière continue et que son plan n’a donc pas de date de démarrage : la société investit dans la résilience des réseaux et, parfois –⁠ quand nous nous engageons en ce sens –, dans les interconnexions avec nos partenaires européens. Nous suivons aussi évidemment tout cela de près.
    Nous anticipons en effet une consommation d’électricité plus importante dans les prochaines années, conformément à la stratégie qui vise à décarboner notre économie, à défossiliser l’énergie consommée et à être moins dépendants vis-à-vis des importations.
    Tout cela suppose des investissements dans les réseaux. Si l’on se figure notre système électrique comme un triangle, nous devons agir sur ses trois sommets : accroître les capacités installées –⁠ c’est ce que nous essayons de faire avec la programmation pluriannuelle de l’énergie, en soutenant le nucléaire et les renouvelables ; accroître l’électrification des usages, qui a tendance à stagner, grâce à de nouveaux relais de croissance comme le véhicule électrique, que nous avons essayé de soutenir, même s’il faut certainement remettre cet ouvrage sur le métier ; accroître la capacité des réseaux qui connectent l’offre et la demande. Les trois doivent progresser en même temps : c’est tout l’enjeu de la planification énergétique au sens large, et particulièrement de la planification électrique.
    En ce qui concerne les industriels électro-intensifs, j’irai au-delà de mon propos liminaire où j’évoquais les négociations en cours. La compétitivité est l’enjeu. À cet égard, ma feuille de route est très claire : fournir de l’électricité à des prix compétitifs à suffisamment longue échéance pour que des investissements soient réalisables, et la fournir non seulement aux industriels électro-intensifs, mais à l’ensemble de nos industriels, parce qu’il n’y a pas que les électro-intensifs, il y a aussi les électro-sensibles –⁠ qui utilisent moins d’électricité – et les industriels tout court.
    L’accord de novembre 2023 a fixé un cadre juridique pour répondre aux besoins de ces industriels, en leur donnant la possibilité de signer des contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN). Ce ne sont pas des contrats commerciaux mais des contrats de partenariat industriel, avec des règles de partage des risques entre les deux cocontractants, qui vont de pair avec des tarifs plus bas que ceux déterminés par le marché de l’électricité –⁠ un tel dispositif permet de se conformer au droit européen de la concurrence.
    Disons-le : les négociations de CAPN ont patiné pendant plus d’un an. Le gouvernement a donc pris ses responsabilités et a confié à la nouvelle direction d’EDF une feuille de route très claire. Depuis, des contrats ont été signés, notamment un avec Aluminium Dunkerque –⁠ en l’occurrence il ne s’agit pas d’un CAPN mais d’un contrat spécial présentant à peu près les mêmes caractéristiques –, qui porte sur des volumes considérables d’électricité –⁠ quatre térawattheures par an, c’est colossal ! D’autres seront bientôt signés, les négociations sont encore en cours. Les choses s’accélèrent depuis que EDF a proposé, au-delà des tarifs, d’assouplir le cadre juridique et le schéma de partage des risques. La discussion a aussi porté sur l’avance en tête devant être versée à EDF –⁠ l’argent que les industriels mettent, dès le départ, sur la table.

    M. le président

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    La parole est à M. Frédéric Weber.

    M. Frédéric Weber (RN)

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    La sidérurgie française est à la croisée des chemins. Entre 2021 et 2024, notre production d’acier a chuté de 23 %. L’avenir de toute une filière ne tient plus qu’à une promesse : un éventuel investissement d’ArcelorMittal dans le site de Dunkerque –⁠ promesse dont la confirmation a été repoussée après l’été. Nous ne pouvons pas –⁠ je le dis avec gravité – rester dans l’attente passive d’une décision prise à huis clos, alors même qu’il y va de l’avenir de notre indépendance industrielle.
    Député de Longwy, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de sidérurgiste, je parle d’autant plus librement que j’ai travaillé pendant plus de vingt ans chez ArcelorMittal. Je viens d’une terre qui a fait la grandeur de la sidérurgie française, qui a connu l’humiliation de Florange, les promesses trahies, les hauts fourneaux qu’on a laissé s’éteindre. Je connais la réalité de ces sites, leur importance, mais aussi leur vulnérabilité : les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, derniers hauts fourneaux de production d’acier liquide sur notre sol, sont vieillissants ; leur pérennité nécessite des investissements massifs. Sans eux, la France ne produira plus d’acier liquide dans les années à venir. L’absence d’investissements signifierait une dépendance accrue à l’acier importé, notamment chinois ; elle marquerait la perte irrémédiable d’un savoir-faire industriel ainsi qu’un nouvel abandon de souveraineté dans des secteurs stratégiques, tels que l’automobile, la construction, l’acier pour emballage, la défense.
    Mes deux questions sont précises et urgentes : de quelles garanties concrètes l’État dispose-t-il pour s’assurer que les investissements annoncés à Dunkerque seront bien réalisés ? Avons-nous la certitude que le remplacement des installations existantes par des fours électriques permettra de conserver la qualité, l’excellence, et la diversité des nuances d’acier actuellement produites par la filière liquide ? Ce débat dépasse largement les discours convenus sur la transition écologique. Il engage l’avenir industriel du pays. Si l’État continue de signer des chèques en blanc, il ne sera pas un arbitre, mais l’architecte impuissant de la disparition de la sidérurgie française, donc son fossoyeur.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Marc Ferracci, ministre

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    Je suis conscient de la marque laissée par la filière de l’acier sur les territoires –⁠ en particulier ceux de votre circonscription –, dans l’inconscient collectif, l’histoire, l’âme des populations.
    En ce qui concerne le site d’Arcelor à Dunkerque, les engagements de l’État ont été contractualisés. Autrement dit, les garanties –⁠ l’investissement de 1,8 milliard d’euros pouvant faire l’objet d’un soutien de 850 millions d’euros – figurent dans le contrat qui a été écrit. Mais cet investissement a été suspendu.
    Un autre investissement a été annoncé, d’une autre nature, concernant un seul four électrique. Arcelor a engagé sa parole en communiquant en ce sens, tout en évoquant le contexte de la sidérurgie européenne. Sans verser dans le fatalisme, j’appelle votre attention sur le fait que cet engagement est intervenu avant que l’administration américaine rehausse les droits de douane de 25 % à 50 % ; c’est aussi pour cela que je soulignais que le contexte avait changé. Je considère que cet investissement doit être réalisé. J’espère et je pense qu’il le sera. Cependant, je le répète, il ne s’agit que d’un engagement, par voie de communiqué.
    S’agissant de la qualité de l’acier, je le confesse, j’ignore si la technologie du four électrique permettra ou non de la maintenir. Je demanderai à mes services de vous répondre par écrit.
    De manière plus générale, sachez que la prise de conscience est globale : nous avons besoin d’agir, en particulier au niveau européen, et nous allons continuer à le faire. S’agissant d’Arcelor, je sais, pour avoir beaucoup discuté avec la direction, que ce qui se joue au niveau européen a des conséquences immédiates et concrètes dans les territoires. Ainsi les décisions d’investissement sont-elles suspendues –⁠ la communication du groupe souligne explicitement cet aspect – à ce qu’il adviendra des clauses de sauvegarde ou du MACF.
    De mon côté, je resterai sur ma ligne : ce qui garantit la pérennité des sites, ce sont les investissements –⁠ nous avons la responsabilité de créer les conditions pour qu’ils soient engagés.

    M. le président

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    La parole est à M. Stéphane Hablot.

    M. Stéphane Hablot (SOC)

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    Vous avez préconisé, monsieur le ministre, un langage de sincérité, de transparence, un langage par lequel nous dire les choses malgré nos différences. Plusieurs de nos collègues ont fait valoir que les populations des territoires concernés ne feraient plus aucun cadeau –⁠ ce qu’on a pu constater au vu de la forte sanction électorale infligée par les gens qui vivent dans la désespérance, lors des dernières législatives à Denain, Longwy, entre autres.
    Je suis moi-même un enfant de la sidérurgie puisque j’ai grandi dans l’une des capitales de l’aciérie : Longwy. Je peux vous dire que ces territoires, en l’espace de quarante ans, sont devenus des friches industrielles, des terroirs de la misère.
    La vraie question n’est pas seulement celle de la sidérurgie, les populations nous le disent, c’est l’avenir des territoires abandonnés de la sidérurgie, comme Gorcy, Mondorff, Forbach… qui ont un avenir du fait de leur proximité avec la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg. Que comptez-vous faire pour y apporter l’information, y développer l’économie, y assurer le partage ? En donnant des réponses uniquement techniques, on peut décevoir l’attente très forte de populations qui ont vraiment besoin de concret et dont on a abusé de la patience.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Marc Ferracci, ministre

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    Votre question est large : il s’agit au fond de savoir comment faire revivre des territoires percutés de plein fouet par les désastres industriels. Pour un grand nombre d’entreprises qui appartiennent à ces filières en difficulté –⁠ sidérurgie, acier, équipementiers automobiles, chimie, fonderies, et nous avons annoncé, il y a quelques semaines, le sauvetage de Fonderie de Bretagne… –, l’enjeu est la diversification.
    Une première réponse à votre question est de savoir quels outils nous nous donnons pour diversifier les activités soumises à une concurrence déloyale et qui subissent des chocs de transition comme la décarbonation –⁠ c’est le cas de l’automobile. Nous agissons : j’ai créé avec cinq présidents de région –⁠ dont celui de la région Grand Est – un groupe de travail qui livrera bientôt ses premières conclusions. Nous devons travailler de manière partenariale. Mes services recherchent des mécanismes de financement qui puissent consolider le modèle économique des équipementiers, et plus généralement des entreprises en difficulté. Ceux-ci ont besoin de se tourner vers des secteurs qui ont le vent en poupe, comme la défense et le nucléaire.
    Après la recherche de solutions industrielles, nous devons nous soucier de la formation. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ont investi, comme jamais auparavant, dans la formation des chômeurs. Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) a été doté de près de 15 milliards d’euros. Cette reconversion des hommes –⁠ et pas seulement des territoires – nous l’avons prise à bras-le-corps.
    Avons-nous ainsi résolu tous les problèmes ? La réponse est non. Donnons-nous une perspective à tout le monde ? La réponse est non. Reste que les services de l’État sont très mobilisés. Plusieurs dispositifs spécifiques peuvent être adaptés aux problèmes de certains territoires. Lors du lancement du programme Territoires d’industrie, nous avions identifié 150 territoires qui avaient perdu des emplois industriels entre 2002 et 2020. Depuis 2020, 110 de ces territoires ont renoué avec la croissance de l’emploi industriel. Ce type de dispositif peut donc fonctionner et signifie qu’il n’y a pas de réponse unique à votre question.

    M. le président

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    La parole est à M. Sébastien Martin.

    M. Sébastien Martin (DR)

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    La sidérurgie est un pilier de la souveraineté industrielle française. Elle fait vivre des territoires emblématiques de l’histoire nationale –⁠ nous l’avons beaucoup entendu au cours de la présente séance : Dunkerque, Fos-sur-Mer, Pont-à-Mousson, Le Creusot, Gueugnon… Ces villes traversent pourtant une crise d’une gravité inédite. Depuis vingt ans, la production mondiale s’est massivement déportée vers l’Asie ; les importations asiatiques ont bondi de 155 % en dix ans, pendant que la production européenne chutait de plus de 30 millions de tonnes. Ce recul frappe de plein fouet nos bassins industriels, comme le montre l’annonce récente de la suppression de 636 postes chez ArcelorMittal.
    Tous les territoires ne sont toutefois pas logés à la même enseigne, grâce à la dynamique de relance dans le nucléaire et la défense–⁠ vous venez de l’évoquer, monsieur le ministre. Certains sites se projettent vers l’avenir : Chalon-sur-Saône, avec Saint-Gobain, Saint-Marcel et Le Creusot, avec Framatome ou Industeel, du groupe ArcelorMittal, sans compter tout un tissu de petites et moyennes entreprises sous-traitantes portées par les commandes liées à la relance du secteur nucléaire.
    Je pense au projet Framatome ForgePlus, au Creusot, et à ses 200 emplois prévus si le gouvernement valide la commande des huit EPR 2. Il sera un exemple concret de ce que c’est le marché qui permettra de créer de véritables débouchés et un avenir pour la filière.
    Dans ce contexte de concurrence internationale féroce, l’échelon européen est crucial. Le plan d’action pour l’acier et les métaux –⁠ visant à garantir une industrie sidérurgique et métallurgique compétitive et décarbonée en Europe –, présenté par la Commission en mars dernier, constitue une base. Il doit désormais produire des effets concrets et rapides. Pouvez-vous nous dire où en est ce plan, quels engagements précis l’État français a pris pour que les entreprises de notre pays en bénéficient ?
    En outre, la sidérurgie est profondément enracinée dans nos territoires. Son avenir ne pourra se construire sans l’implication pleine et entière des régions, des départements et des intercommunalités. Comment le gouvernement entend-il associer les collectivités à l’application du plan européen ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Marc Ferracci, ministre

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    La décision concernant les huit EPR 2 sera prise d’ici à la fin 2026. Nous en sommes pour l’heure à l’identification et à la qualification des sites possibles d’accueil. Ce processus est bien cadré par la délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN).
    En ce qui concerne le plan d’action européen, vous l’avez dit, nous en sommes aux annonces et il ne s’agit que d’annonces politiques. J’ai eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises avec le commissaire Stéphane Séjourné. Plusieurs commissaires sont d’ailleurs concernés, Wopke Hoekstra, pour le MACF, et Maros Sefcovic, pour les mesures de protection commerciale.
    Nous sommes dans une phase de dialogue et de raffinage technique des propositions –⁠ les annonces doivent être traduites en textes législatifs. La France fournit des propositions à la Commission européenne et les partage avec l’ensemble des pays qui les soutiennent, en particulier les membres de l’Alliance européenne de l’industrie lourde. Nous sommes en outre à une étape de construction politique du consensus puisque, à l’échelon européen, on ne peut faire adopter de décision qu’avec des majorités à la fois au Conseil et au Parlement. Je ne manquerai pas d’informer la représentation nationale de l’avancée des négociations –⁠ je verrai d’ailleurs le commissaire Hoekstra dans quelques jours pour lui faire part de nos propositions.
    J’en viens au travail partenarial avec les collectivités territoriales. Dans le secteur automobile, nous avons créé des groupes de réflexion ad hoc pour traduire le plan d’urgence pour l’automobile de manière très territorialisée. Cette déclinaison a des conséquences sur l’ensemble de la chaîne de valeur : identifier les équipementiers potentiellement en difficulté, discuter avec les constructeurs des relations commerciales qu’ils souhaitent continuer à entretenir. Dans le secteur nucléaire –⁠ je sais qu’en la matière, votre territoire se révèle très dynamique – ou dans la défense –⁠ je pense à Fonderie de Bretagne –, il s’agit d’identifier les opportunités de diversification.
    Nous sommes donc dans une phase de cartographie des territoires industriels qui ont sollicité le gouvernement et de construction des outils financiers grâce auxquels accompagner la diversification.

    M. le président

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    Le débat est clos.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    2. Les politiques publiques de protection de l’enfance

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les politiques publiques de protection de l’enfance ». La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs du groupe, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
    La parole est à M. Éric Woerth.

    M. Éric Woerth (EPR)

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    Cette semaine, nous avons encore été les témoins d’une montée de cette ultraviolence qui frappe notre jeunesse, avec le terrible drame qui a ôté la vie à une assistante d’éducation, poignardée par un élève de 14 ans. Il n’y a pas si longtemps, le jeune Élias était poignardé par un autre mineur et Lorène, à Nantes, assassinée, frappée de cinquante-sept coups de couteau. Ces drames ne peuvent laisser personne indifférent. Ils sont insupportables dans une société aussi mature et prospère que la nôtre.
    Nous débattons de ce que la République doit incarner dans ce qu’elle a de plus essentiel : sa capacité à protéger ses enfants, notamment ceux en déshérence. Aucun responsable public, aucun citoyen, ne peut tolérer une telle dérive de notre société. Sur un sujet aussi majeur, il ne peut y avoir de procès d’intention et chacun, je suppose, s’exprimera avec honnêteté et sincérité.
    La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant –⁠ lorsque la famille ne peut y répondre –, à soutenir son développement physique, intellectuel et social, à préserver sa sécurité et à assurer son éducation, dans le respect de ses droits.
    Elle comprend des actions de prévention en direction de l’enfant et de ses parents, le repérage et le traitement de situations difficiles, des décisions administratives –⁠ aide financière, aide éducative, contrat jeune majeur –, des décisions judiciaires –⁠ ordonnance de placement –, pour la protection de l’enfant.
    La manière dont une société protège ses propres enfants, dans et au-delà du cadre familial, est le reflet de ce qu’elle est. Trop de drames ont été rendus publics : des enfants morts sous les coups alors qu’ils étaient connus des services, une adolescente décédée seule dans une chambre d’hôtel, loin de tout encadrement éducatif, une augmentation de la prostitution infantile –⁠ qui n’est d’ailleurs pas toujours celle d’enfants mis sous la protection publique –, des lieux d’accueil qui, parfois, ressemblent davantage à des zones de relégation qu’à des refuges.
    Ces récits, ces reportages bousculent nos consciences. S’arrêter au constat ne protègera cependant aucun enfant –⁠ le problème de notre pays, c’est que nous sommes beaucoup plus forts pour constater que pour trouver des solutions. Sur un tel sujet, on ne peut souffrir d’aucune défaillance.
    Près de 400 000 mesures d’aide sociale à l’enfance (ASE) ont été prises en 2022. Ce chiffre a beaucoup augmenté ces dernières années, ce qui contribue probablement à la dégradation des prises en charge. Derrière les placements, il y a de grandes tensions, mais l’autre problème, –⁠ tous les acteurs du système nous le disent – c’est l’impossibilité de prévoir les besoins. On ignore si une famille sera mise en cause, si elle est composée d’un ou de quatre enfants, s’ils sont nourrissons ou adolescents –⁠ la réponse publique doit être à chaque fois différente. Cela nécessite une grande constance dans les moyens alloués et dans les politiques mises en œuvre, mais aussi une capacité d’adaptation, dont le service public ne sait pas toujours faire preuve.
    Un quart des enfants protégés sont en situation de handicap et une part importante des hospitalisations longues en pédopsychiatrie concerne des enfants relevant de l’ASE, alors que nous manquons cruellement de pédopsychiatres –⁠ encore un constat, qui date d’il y a longtemps. Le système actuel ne répond pas aux besoins spécifiques, multiples et souvent cumulatifs de ces jeunes. Nous sommes face à une crise structurelle et il faut une refondation complète de la politique de protection de l’enfance.
    La loi Taquet de 2022 va dans le bon sens, puisqu’elle vise à mieux encadrer les placements, à garantir un accompagnement jusqu’à l’âge de 21 ans, à interdire les placements à l’hôtel, etc. Cependant, nous sommes en 2025 et beaucoup de décrets d’application n’ont toujours pas été pris –⁠ ne pas appliquer une loi, cela contribue à décrédibiliser la parole publique, à avouer une forme d’impuissance publique. Vous n’y êtes pour rien, madame la ministre, puisque vous n’étiez pas au gouvernement quand la loi a été promulguée. Pouvez-vous cependant nous donner les raisons, peut-être justifiées –⁠ nous en discuterons – pour lesquelles l’administration met autant de temps à publier ces décrets ?
    J’en profite pour saluer les travaux de nos collègues Laure Miller et Isabelle Santiago, ainsi que ceux menés par Perrine Goulet sous la précédente législature. Les deux commissions d’enquête ont débouché sur de nombreuses propositions. Il faut à présent passer à l’action.
    Je le dis solennellement : ce n’est pas possible que, dans un État aussi puissant que le nôtre, la protection de l’enfance ne soit pas une priorité absolue ! Certes, on a beaucoup de priorités, mais on ne peut pas faire des économies, réduire les moyens publics et abaisser la réponse judiciaire dans un domaine aussi fondamental. On parle d’enfants fragiles, en difficulté, qui ne sont pas soutenus par leur famille ; leur accompagnement doit être l’une des premières actions de l’État, lequel doit avoir une obligation de résultat, et pas seulement de moyens. Il faut que l’on puisse remonter le niveau de la réponse publique.
    Nous faisons face à une crise de gouvernance de cet énorme système, fragmenté, avec des acteurs multiples. Ce n’est plus tenable.
    On accuse toujours l’État, mais en réalité, ce n’est pas l’État qui est responsable de l’ASE, ce sont les conseils départementaux –⁠ l’État a l’obligation de faire respecter l’ordre public sur l’ensemble du territoire. Les départements renvoient la balle à l’État en l’accusant de ne pas leur avoir donné assez de moyens, l’État les renvoie à leur responsabilité en la matière, en indiquant que ce doit être leur premier budget, leur priorité absolue parmi l’ensemble de leurs tâches.
    Cela aboutit à ce que la protection de l’enfance avance à plusieurs vitesses. La réponse à un problème donné ne sera pas la même selon le département, son traitement sera plus ou moins prioritaire. Tout est fragmenté entre l’agence régionale de santé (ARS), le rectorat, les associations, les juridictions, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la protection maternelle et infantile (PMI), l’ASE, si bien que l’on ne trouve personne pour répondre aux questions qui se posent. D’ailleurs, peu d’élus viennent endosser leur responsabilité devant les caméras de télévision lorsqu’un drame a lieu dans leur circonscription –⁠ on voit plutôt des membres de l’administration réagir. Il faut les responsabiliser sur ce sujet plus que sur tout autre, car il s’agit de nos enfants.
    La politique de protection de l’enfance repose sur une articulation trop complexe. L’État, lui-même, n’est doté de rien : il n’y a pas de ministère de l’enfance, ni même de consolidation des chiffres –⁠ on ignore combien d’enfants sont placés aujourd’hui !
    L’idée s’impose aussi qu’un enfant, une fois pris en charge par la protection sociale de l’enfance, ne peut plus en sortir. Entré à l’ASE à l’âge de 5 ans, un enfant n’en sortira qu’à 18 ans. Ce n’est pas acceptable. On tend également à penser qu’une fois majeur, l’enfant n’est plus suivi et jeté hors du système.
    Ce cas de conscience doit devenir une prise de conscience. Soit l’État décide de recentraliser l’aide sociale à l’enfance –⁠ une réforme à laquelle je ne suis pas favorable car elle poserait d’autres difficultés – soit on en fait une priorité politique et on clarifie la répartition des financements.

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie Mesmeur.

    Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP)

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    Je connais bien la protection de l’enfance car, avant d’être élue, je finissais un doctorat sur les enfants confiés, relevant à la fois de l’ASE, du handicap, de la pédopsychiatrie et parfois de la PJJ. À ce travail de recherche se sont ajoutés les travaux de la commission d’enquête, que nous venons de conclure au terme de plusieurs mois de travail –⁠ ils ont été interrompus par la dissolution.
    Cette commission a été demandée après que plusieurs morts d’enfants, placés pourtant sous la protection de l’État, sont survenues. Ses conclusions montrent qu’on ne peut pas parler de dysfonctionnements ponctuels, mais de défaillances structurelles.
    Madame la ministre, vous êtes devant moi et tous les voyants sont au rouge !
    Pour la première fois, des magistrats refusent d’ordonner des placements dont les enfants auraient pourtant besoin car ils savent qu’ils ne seront pas exécutés. La situation est gravissime ! Des institutions comme la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape) et les directions elles-mêmes organisent des manifestations, faute de trouver un écho auprès de vous.
    Pendant ce temps, des viols, des suicides, des violences continuent de se produire, on place toujours des jeunes dans des hôtels et les tout juste majeurs sont mis à la rue le jour de leurs 18 ans. C’est un fait : l’État échoue à protéger les enfants placés.
    Il faut en nommer les causes. Nous en sommes là parce que les politiques ont progressivement démantelé le service public de la protection de l’enfance. D’abord, par un sous-investissement massif –⁠ dont vous êtes l’incarnation. Ensuite, par la liberté que la décentralisation offre aux présidents de conseil départemental, qui agissent comme ils l’entendent, s’affranchissant parfois délibérément de la loi. Certains ont ainsi publiquement suspendu l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA), pourtant une obligation légale. D’autres jugent que la loi Taquet –⁠ dont on attend toujours les décrets d’application – est « optionnelle ».
    Le président du conseil départemental du Nord a déclaré devant notre commission, sous serment, qu’il privilégiait, faute de moyens, les enfants de moins de 5 ans. Ceux qui ont la malchance d’être plus vieux pourraient ne pas être placés. Je l’affirme ici : refuser le placement d’un enfant pour des motifs financiers ou en raison de sa nationalité est immoral, raciste et bien sûr illégal.
    Nous faisons donc face à une situation où des territoires entiers s’autorisent à ne plus appliquer les lois de la République, mettant en danger des enfants déjà très vulnérables. Cela se commet en toute impunité, dans votre silence. Madame la ministre, comptez-vous enfin faire appliquer la loi ?
    Je pense à mes anciens collègues, Françoise, Yannick, Catherine, Charlène, Flavie, Maryvonne, travailleurs sociaux auprès de jeunes en ruptures multiples. Je pense à tous les travailleurs sociaux en France, leur situation est la même partout, d’un département à l’autre. Je sais ce qu’ils traversent. En sous-effectif, ils sont épuisés, en burn-out –⁠ le secteur repose sur leur engagement et leur dévouement. Ils exercent un métier précaire, féminisé, invisibilisé. Quotidiennement, face à ces jeunes en danger, brisés, ils se sentent impuissants, parfois même maltraitants. Je les salue, toutes et tous.
    Pourquoi en sont-ils là ? Parce que le service public de la protection de l’enfance souffre des mêmes logiques comptables, managériales et court-termistes que les autres secteurs publics : fonctionnement par appels à projets, qui bénéficie toujours aux grosses structures ; multiplicité des institutions, qui fait qu’elles se renvoient la balle ; manque de places ; introduction du privé lucratif et de l’intérim ; défaut de contrôle, etc.
    Mais je ne vous apprends rien, madame la ministre. Il existe des dizaines de rapports et de travaux, publiés par les chercheurs en protection de l’enfance, la Cour des comptes, le Défenseur des droits –⁠ je salue le fait que le Défenseur des droits auprès des enfants s’autosaisisse dans plusieurs départements. Combien de rapports faudra-t-il encore pour que l’État prenne enfin ses responsabilités ? Combien de témoignages ? Combien de drames ?
    Madame la ministre, nous parlons ici d’enfants, d’enfants de la République, c’est-à-dire de notre avenir. C’est votre responsabilité, car comme le dit la chanson de Médine, c’est mieux de construire des enfants forts que de réparer les adultes cassés.
    La commission d’enquête a fait émerger des propositions concrètes, indispensables et documentées. Madame la ministre, comptez-vous réformer la formation des professionnels, en retirant les instituts régionaux du travail social de Parcoursup, attribuer des moyens suffisants aux départements, revaloriser les salaires et les métiers ?
    Allez-vous établir des normes de qualité d’accueil ? Dans les crèches ou les colonies de vacances, on ne peut dépasser un nombre maximum d’enfants par adulte, afin de garantir la sécurité de tous et d’assurer des conditions de travail correctes. Pourquoi ne pas mettre en place des taux d’encadrement similaires dans les structures de la protection de l’enfance ?
    Comptez-vous positionner des éducateurs spécialisés dans les établissements scolaires des premier et second cycles ? Ce sont des experts de la relation éducative, de la parentalité, de la gestion de crise et ils connaissent les institutions avec qui l’école est amenée à échanger : ASE, cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip), procureur, juge des enfants, PJJ. Or nous savons que les échanges entre cultures professionnelles restent compliqués.
    Enfin, comme une militante infatigable de l’association Repairs! 95 me l’a signalé : comptez-vous fusionner les statuts de pupille de l’État et de pupille de la nation, dont les différences sont injustes, en faisant bien sûr primer le plus favorable ?
    Beaucoup de professionnels, d’enfants placés ou d’anciens enfants placés ont regardé avec espoir les travaux de la commission d’enquête. Je suis certaine qu’ils nous regardent à nouveau aujourd’hui. Ils désiraient que leur calvaire soit enfin entendu. C’est chose faite. Surtout, ils espèrent un véritable changement. L’indifférence, c’est la pire des trahisons. Trahirez-vous ?

    M. le président

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    La parole est à Mme Isabelle Santiago.

    Mme Isabelle Santiago (SOC)

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    Cela fait seulement quelques mois que vous êtes en poste, mais je tiens à saluer votre constance et l’intérêt sincère que vous portez à la protection de l’enfance. Vous rompez avec les errements ministériels des années précédentes, durant lesquelles l’instabilité politique a empêché d’engager les réformes structurelles. Elles sont pourtant attendues, d’autant plus qu’elles ont été annoncées dès 2022 par le président de la République comme la priorité du quinquennat.
    Pendant ce temps, tous les indicateurs internationaux liés à l’enfance ont continué de se dégrader en France : mortalité infantile, pauvreté, santé mentale, retard dans le dépistage de l’autisme ou des troubles du développement, absence d’égalité territoriale dans la prise en charge des enfants en danger, crise d’une ampleur inédite du secteur médico-social, manque de données et de recherches cliniques, perte de sens du travail social, alors que nous en avons tant besoin.
    Il manque à la France une vision globale qui lui permette de combler son retard sur les pays les plus avancés en matière de protection de l’enfance. Nous en voyons désormais les conséquences, pour ceux qui en doutaient.
    La commission d’enquête, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure, a dressé un constat clair : le système de la protection de l’enfance était à bout de souffle, il est « aujourd’hui dans le gouffre », éclaté, dépourvu de cadre commun ou de pilotage à l’échelle nationale. Ce n’est pas faute de rapport ou de diagnostic –⁠ il y en a eu. Il y va désormais de notre responsabilité. La situation appelle une réponse.
    Le rapport de la commission d’enquête a été salué par tous. C’est une première car, s’il y a eu nombreux rapports, les travaux n’impliquaient pas toutes les personnes concernées. Cette nouvelle façon de faire était attendue.
    Nous avons répondu à l’urgence par un ensemble de 92 recommandations, dont beaucoup ne relèvent pas du domaine législatif. Cela présente un véritable intérêt. J’ai souhaité que les préconisations intègrent des mesures concrètes. Cependant, une loi quinquennale de programmation doit nous doter d’un pilotage clair, d’instructions fermes et d’un suivi réalisé par les services de l’État dans les territoires, les départements et les associations habilitées, afin d’engager toutes les réformes nécessaires. C’est pourquoi j’ai proposé la création d’un comité national de suivi, une demande restée sans réponse jusqu’à présent. Quelle suite comptez-vous y donner ?
    Je salue néanmoins ce qui constitue une avancée majeure : la révision, après cinquante ans d’existence, du décret relatif à la réglementation des pouponnières. C’est le fruit du combat que j’ai mené après avoir donné l’alerte en mai 2024, et pour lequel j’ai été rejointe. Je me réjouis que les bébés, jusqu’à présent un impensé des politiques publiques, bénéficient des dispositifs que vous annoncez.
    Une réforme réglementaire ne suffira pas, nous le savons. Comment s’assurer que les bébés les plus vulnérables bénéficient effectivement des soins requis ? Que le juge des enfants ne renouvellera pas à plusieurs reprises les mesures judiciaires et que l’enfant entrera enfin dans un environnement protecteur et sûr ?
    Le syndrome de carence relationnelle ne peut être traité avec une circulaire. On ne peut le combattre qu’en transformant profondément le modèle. C’est pourquoi j’ai préconisé une approche interministérielle et un portage politique fort. Vous vous y employez, mais nous devons avoir une vision d’ensemble de votre action.
    J’ai proposé la création d’un comité scientifique indépendant, que mes collègues, qui ont adopté le rapport à l’unanimité, ont validée. Ce comité placerait la France parmi les pays les plus avancés en matière de protection de l’enfance. Même la réforme du décret relatif à la réglementation des pouponnières doit se faire à la lumière des connaissances les plus poussées en neurosciences, en théorie de l’attachement, en psychotraumatalogie. Ce comité doit être créé, il pourrait être piloté par Céline Greco.
    Vous avez annoncé, et je m’en réjouis, qu’un projet de loi sur la protection des bébés serait examiné cet automne. Cependant, un tel texte ne traitera que quelques points, alors que nous demandons une réforme de fond. Seule une loi cadre quinquennale, qui permette d’inscrire sur cinq ans l’engagement républicain de la France en faveur de l’enfance, permettra de sortir du court-termisme et de prémunir cette politique des échéances électorales. Nous avons besoin d’une vision à long terme.
    Restent les 3 ans-12 ans et les 12 ans-21 ans –⁠ étant entendu que l’autonomie ne s’acquiert qu’aux alentours des 25 ans. Les enfants âgés de moins de 12 ans ne peuvent pas être laissés sur le côté. Madame la ministre, quelles sont vos recommandations ? Comment articulerez-vous la stratégie interministérielle ? Quel est le calendrier que vous proposerez ? Nous avons besoin de vos éclaircissements. Je suis sur le terrain actuellement et je peux vous dire que des enfants de 7 ans ne sont pas scolarisés car leur trouble du spectre de l’autisme ne peut être pris en charge –⁠ ils doivent attendre deux ans pour un rendez-vous. On ne peut pas continuer ainsi !

    M. le président

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    La parole est à M. Ian Boucard.

    M. Ian Boucard (DR)

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    Le 31 décembre 2021, Anthony Lambert, 17 ans, disparaissait du camping de Lugny en Saône-et-Loire ; le 6 janvier, des chasseurs retrouvèrent son corps, nu, dans un champ. Le jeune homme était sous la tutelle de la République ; il avait été placé par les services de la protection de l’enfance dans ce camping, en plein hiver, alors qu’il souffrait de troubles psychologiques, et y faisait l’objet de menaces constantes par de jeunes délinquants de la PJJ.
    Le lieu était géré par une association, fondée quelques mois auparavant. Des mineurs lui avaient été confiés alors qu’elle ne disposait pas de l’agrément pour accueillir des jeunes ; les encadrants étaient recrutés sans diplôme et, selon certains témoignages, par téléphone. Pire, son président était aussi le directeur du camping. Les jeunes y rénovaient des roulottes pour 3 euros par jour. Un système institutionnalisé d’esclavagisme, validé par l’ASE.
    Les Français ont alors découvert, en particulier dans ma région, la Bourgogne-Franche-Comté, que l’État, qui impose plusieurs visites d’accessibilité pour autoriser un dentiste à s’installer dans un village ou exige des liasses de documents pour autoriser la construction d’une cabane de jardin, pouvait confier des enfants fragiles, dont il a la responsabilité morale et physique, à des structures tout juste créées, sans agrément aucun.
    La République a échoué à protéger Anthony Lambert. Nous avons échoué à le protéger, comme nous échouons depuis trop d’années dans notre politique d’aide sociale à l’enfance.
    Un quart des sans-abri sont d’anciens enfants placés. C’est inacceptable. Combien d’enfants confiés à la République, parce qu’ils n’ont pas eu la chance de naître dans une famille aimante ou capable, se retrouveront sans domicile fixe une fois majeurs ? C’est un terrifiant symbole de notre échec à protéger ceux qui en ont le plus besoin. La cause ? Des sorties sèches des dispositifs, dont les jeunes cessent de bénéficier le jour de leurs 18 ans, souvent sans accompagnement. La loi Taquet de 2022 va dans le bon sens. Pouvez-vous nous donner de premiers éléments de bilan ?
    Au-delà de l’accompagnement, il y a aussi la question des ressources, dont le jeune est privé une fois majeur. Pourquoi continuer à verser les allocations familiales et autres aides aux parents, au motif d’un prétendu maintien du lien affectif, alors que la collectivité prend en charge financièrement ces enfants ? Je propose que cet argent soit placé sur un compte bancaire pour que le jeune en bénéficie à sa majorité, quand il devra commencer à bâtir sa vie d’adulte et que les dispositifs d’accompagnement cesseront. Madame la ministre, êtes-vous prête à soutenir cette réforme ?
    La situation est très préoccupante. Les constats dressés dans les récents rapports, notamment celui de la commission d’enquête parlementaire, dont je salue la qualité, mettent en avant une saturation des structures d’accueil, un manque de moyens humains et financiers, des inégalités territoriales persistantes ainsi que des ruptures dans le parcours des enfants et des jeunes majeurs. Sur le terrain, les professionnels et les associations expriment régulièrement leur inquiétude face à l’ampleur des besoins et à la difficulté de garantir une prise en charge de qualité pour chaque enfant.
    Dans ce contexte, je souhaite souligner l’importance du plan de refondation de l’aide sociale à l’enfance. Les axes annoncés, tels que la prévention, la santé, la participation de l’enfant, la coordination des acteurs et la refonte de la gouvernance, vont clairement dans le sens des recommandations formulées par les experts et les acteurs de terrain. Cette démarche est très attendue et suscite l’espoir d’une amélioration durable.
    Cependant, la réussite de ce plan dépendra de sa capacité à répondre concrètement aux difficultés structurelles qui perdurent depuis beaucoup trop longtemps. La disparité des pratiques d’évaluation du danger entre départements, le manque de formation spécifique sur la santé mentale et le repérage des violences, ainsi que les failles dans la continuité du suivi lors des changements de placement ou à la sortie de l’ASE, restent des problèmes majeurs.
    Madame la ministre, comment comptez-vous faire pour que les drames évoqués ne se reproduisent plus ? Comment éviter que des enfants se retrouvent à la rue le jour de leurs 18 ans ?

    M. le président

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    La parole est à M. Arnaud Bonnet.

    M. Arnaud Bonnet (EcoS)

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    J’ai une pensée pour tous les jeunes que j’ai croisés pendant la durée de la commission d’enquête et que je croiserai encore à l’avenir. Leur parcours, parfois, relevait de l’horreur.
    Personne ici ne peut prétendre qu’il ne connaît pas les problèmes dont souffre la protection de l’enfance. On ne compte plus les articles de journaux, les reportages, les livres, les témoignages, les enquêtes et les rapports sur les multiples défaillances de l’ASE. Ce n’est pas un continent caché.
    Plus récemment, une commission d’enquête, qui s’est étalée sur deux législatures, a rendu un rapport criant ; elle montre que les gouvernements et certaines collectivités ont fait le choix délibérer d’abandonner, purement et simplement, les enfants de l’ASE.
    Je le déclare : la protection de l’enfance n’a plus de sens et son nom est une honte pour la République.
    Lorsque des enfants, sous la responsabilité de l’État, vivent au vu et au su de tous des violences systémiques –⁠ psychologiques, physiques ou sexuelles –, c’est clairement un abandon collectif. Lorsque des adolescentes, vivant dans les foyers de l’ASE, sont prostituées et que trop souvent on détourne les yeux, c’est presque de la complicité.
    N’oublions pas, dans cette triste et longue suite de défaillances les MNA confiés à l’ASE. On refuse jusqu’à reconnaître que ces mineurs sont des enfants, seuls dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue. On les traite encore plus mal que les autres enfants placés. L’État est aujourd’hui le premier des parents défaillants.
    L’État a décidé, il y a bien trop longtemps, qu’il ne voulait plus venir en aide à ces enfants qui n’ont pas choisi les circonstances qu’ils subissent. L’État s’est en partie défaussé sur les départements, qu’il étrangle financièrement, les empêchant de réaliser leurs missions. Certains conseils départementaux décident de faire le minimum légal, ce qui conduit aux scandales qu’on ne compte plus, qui sont autant de hontes pour la France –⁠ je pense notamment aux victimes de l’affaire jugée à Châteauroux.
    Je ne suis pas ici pour faire du sensationnalisme, mais nous n’avancerons pas tant que celles et ceux qui sont aux responsabilités politiques continuent de se voiler la face devant la réalité de la protection de l’enfance en France.
    Certains départements agissent avec volontarisme et organisent des solutions d’hébergement et d’accompagnement –⁠ j’ai pu voir de mes yeux de telles expérimentations en Seine-Saint-Denis ou encore à Lyon –, mais l’État doit pleinement jouer son rôle. Les enjeux de la protection de l’enfance sont immenses. Nous devons prendre en charge les enfants, tous les enfants, et nous adapter à leurs besoins, notamment lorsqu’ils sont en situation de handicap. Nous devons garantir la bonne exécution des décisions de placement au sein de foyers ou chez des assistants familiaux dont la compétence a été vérifiée avec soin et qui ont été correctement formés. Nous devons également garantir un réel accès aux soins et à l’éducation, des droits fondamentaux dont l’État prive de nombreux enfants placés.
    Ainsi que de nombreux collègues, j’ai pris le temps d’écouter les anciens enfants placés, les professionnels du secteur, qui essaient de faire au mieux, et les professionnels de la justice, qui sont confrontés à la hausse exponentielle du nombre de dossiers. Je me suis personnellement déplacé à plusieurs reprises sur le terrain et j’invite chacun à faire de même, autant que possible, car la vérité doit apparaître aux yeux de tous –⁠ il faut cesser de se voiler la face. Il est urgent que l’État reprenne une place substantielle aux côtés des départements et engage une politique volontariste.
    Nous avons déjà détaillé de nombreuses pistes et recommandations dans le rapport de la commission d’enquête remis par ma collègue Isabelle Santiago, que je salue. J’en appelle donc à vous, madame la ministre, pour qu’elles soient réellement lues et prises en considération ; je vous demande même de nous réunir tous pour avancer dans ce domaine. Il est indispensable de créer un plan d’urgence de première ampleur pour la protection de l’enfance, au lieu de tenter d’en camoufler les dysfonctionnements par des mesures éparses.
    Nous ne pouvons plus attendre. Les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain ont besoin que nous les protégions, comme il incombe à l’État français de le faire.

    M. le président

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    La parole est à Mme Marine Hamelet.

    Mme Marine Hamelet (RN)

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    Pour évoquer la protection de l’enfance, j’aurais préféré m’adresser à un ministre chargé de la protection de l’enfance. Malheureusement, le président de la République en a décidé autrement et considère que cette politique ne mérite pas un ministre de plein exercice.
    Elle est pourtant d’une envergure et d’une importance considérable, s’agissant tant du budget engagé par l’État –⁠ 10 milliards d’euros en 2024 – que du nombre d’enfants concernés par les quelque 400 000 mesures d’ASE. Lors de sa réélection, Emmanuel Macron a promis que la protection de l’enfance serait une priorité de son quinquennat. Deux ans plus tard, le ministère chargé de l’enfance n’existe plus, remplacé par un haut-commissariat. Le poste est actuellement occupé par Mme El Haïry –⁠ qui s’est depuis lancée dans une campagne municipale à Nantes.
    La protection de l’enfance nécessite plus que jamais un ministère à temps plein et de plein exercice, car le chantier est énorme. Comme nous avons pu l’observer pendant les travaux de la commission d’enquête, les défaillances de cette politique sont nombreuses et détruisent chaque année des milliers de jeunes enfants et leurs familles.
    Nous avons constaté l’échec d’une politique de décentralisation mal maîtrisée. L’État a délégué cette compétence aux départements, les départements l’ont déléguée aux associations, avec pour résultat la multiplication des abus, l’institutionnalisation de la violence, l’insuffisance des contrôles et l’avènement d’un système où personne –⁠ ni l’État ni les départements – n’est responsable devant les victimes.
    Depuis des années, les lois, les plans, les stratégies sur l’enfance s’enchaînent sans que la situation s’améliore. Bien au contraire, elle se détériore. La dernière grande loi en date, la loi Taquet de 2022, n’est toujours pas appliquée. Alors que ce texte oblige à privilégier une solution intrafamiliale, il n’y a jamais eu autant de placements. Plus de 200 000 enfants ont été placés, retirés de leurs familles : c’est du jamais-vu –⁠ trois fois plus qu’en Allemagne, quatre fois plus qu’en Espagne. La représentation nationale vote des lois qui ne sont pas appliquées par les acteurs de l’ASE. C’est simple : si les services sociaux commencent à s’intéresser à des enfants, il y a plus d’une chance sur deux pour que ceux-ci soient retirés à leurs parents et placés en foyer ou en famille d’accueil. Cela est en contradiction totale avec l’esprit de la loi Taquet votée par le Parlement.
    Il y a en France une véritable manie du placement d’enfant. De plus en plus de spécialistes dénoncent l’institutionnalisation des placements abusifs. Ces critiques n’émanent pas d’une sphère complotiste mais d’avocats, de magistrats, de présidents d’association et, évidemment, des premières victimes concernées, c’est-à-dire des anciens enfants placés abusivement.
    Là où commence le véritable scandale d’État, c’est quand les enfants placés dans des structures se retrouvent confrontés à des dangers beaucoup plus graves que ceux qu’ils couraient dans leur famille. Ainsi, 15 000 mineurs ont commencé à se prostituer après leur placement à l’ASE ; 15 000 mineurs placés sous la protection et sous la responsabilité de l’État sont tombés dans l’enfer de la prostitution ! Cette réalité est beaucoup trop grave pour continuer à agir comme si tout allait bien, comme si quelques petites mesures pouvaient suffire à remédier à quarante ans d’échec.
    Face à l’urgence et à l’impératif moral que représente la protection de l’enfance, nous ne pouvons plus nous contenter de demi-mesures ni de délégations hasardeuses. L’État doit assumer pleinement son rôle à l’aide d’un ministère dédié, tout en replaçant les familles au cœur de cette politique. Madame la ministre, je sais d’ores et déjà que je ne peux pas compter sur vous pour engager cette ambitieuse politique de recentralisation. Je vous poserai donc une question plus simple et plus modeste : pourquoi la loi Taquet n’est-elle pas appliquée ? Qu’attend le gouvernement pour faire appliquer cette loi ?

    M. le président

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    La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

    Mme Soumya Bourouaha (GDR)

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    L’actualité du secteur de la protection de l’enfance est riche, riche de constats alarmants et d’un rapport parlementaire de plus de 500 pages qui dénonce une réalité terrible : la France ne respecte pas la promesse qu’elle a faite aux 400 000 enfants placés sous sa protection. D’après le collectif Les 400 000, plus de 3 000 enfants en danger immédiat dans leur famille devaient être placés sur décision judiciaire, mais patientaient sur liste d’attente, faute de place disponible.
    Les besoins sont tels et les institutions si dépassées que la loi est régulièrement bafouée. Les fratries sont souvent séparées, malgré les textes. Il n’est pas rare que des enfants, en particulier des mineurs non accompagnés, soient orientés vers l’hôtel dès l’âge de 14 ans, bien que cela soit clairement interdit par la loi. Les mesures d’action éducative en milieu ouvert, quant à elles, mettent parfois plus d’un an à être appliquées après une décision du juge des enfants. Ce délai contribue à l’aggravation des situations familiales et peut conduire, in fine, à des placements qui auraient pu être évités.
    Voilà la réalité du terrain. Ce sont les professionnels, les associations, les magistrats, les travailleurs sociaux, les bénévoles qui nous la rappellent régulièrement. Ce sont les jeunes eux-mêmes qui la racontent par leurs témoignages bouleversants.
    Les chiffres confirment ce que nous savons. Un sans-abri sur quatre de moins de 25 ans a connu l’aide sociale à l’enfance. Les jeunes passés par l’ASE perdent jusqu’à vingt ans d’espérance de vie. Pas moins de 40 % d’entre eux sont orientés vers des CAP subis, contre 11 % pour l’ensemble des jeunes. La moitié connaît la précarité résidentielle en quittant le dispositif.
    Comment en sommes-nous arrivés là ? Cela s’explique d’abord par l’abandon de l’État, dont la contribution représente désormais à peine 3 % des 10 milliards d’euros que les départements consacrent chaque année à la protection de l’enfance. Ce désengagement organise des inégalités territoriales insupportables. Dans les outre-mer, cette situation est encore plus dramatique.
    Ensuite, nous le savons, la logique du marché s’est dangereusement immiscée dans le champ de la protection de l’enfance. Des structures privées, parfois à but lucratif, facturent des milliers d’euros pour une prise en charge au rabais, détruisant la relation éducative et la continuité affective indispensables aux enfants. Ce qui est ici en cause, ce n’est pas un dysfonctionnement de nos politiques publiques, c’est le fonctionnement même du capital lorsqu’il est appliqué à la protection de l’enfance. Il aboutit –⁠ il aboutira toujours et inévitablement – à l’échec.
    Enfin, l’absence d’ambition nationale aggrave encore la situation : pas de ministère de plein exercice, pas de stratégie structurée, pas d’objectifs clairs assortis de moyens, des plans sans évaluation et sans suivi... La création récente d’un haut-commissariat, organe purement consultatif, n’est pas à la hauteur de l’urgence.
    Nous devons refonder ce système. Mon parti, le Parti communiste français, a organisé samedi ses premières assises de la protection de l’enfance. À la suite de ces travaux, il nous paraît essentiel de mettre en avant des solutions qui permettront, à l’avenir, de changer le cap des politiques publiques en la matière.
    Nous recommandons d’abord la création d’un grand service public national de la protection de l’enfance, garant de la qualité de la prise en charge, de l’équité territoriale et de la continuité éducative ; la départementalisation a créé d’immenses disparités qu’il faut contrer par une stratégie nationale digne de ce nom.
    Ensuite, nous redisons qu’il faut interdire la marchandisation de la prise en charge et réserver les financements publics au secteur public ainsi qu’au secteur associatif non lucratif.
    Enfin, nous estimons qu’il est important de renforcer la prévention grâce à un accompagnement accessible à toutes les familles, de garantir un véritable accompagnement vers l’âge adulte et de construire un solide parcours de transition pour que plus aucun jeune ne soit abandonné au seuil de la majorité.
    Protéger un enfant, ce n’est pas le sortir du danger pour le livrer à l’abandon, c’est lui garantir un avenir, l’accompagner vers l’autonomie. C’est défendre son droit à l’éducation, à la santé, à l’insertion sociale. La protection de l’enfance ne doit pas être un marché. Elle n’est pas une variable d’ajustement budgétaire. Elle est notre avenir commun ; elle est la mesure de ce que vaut réellement la promesse de la République à tous ses enfants.

    M. le président

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    La parole est à M. Erwan Balanant.

    M. Erwan Balanant (Dem)

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    Je profite de cette prise de parole pour présenter mes condoléances à la famille de Mélanie, tuée devant un collège de Haute-Marne, mardi matin.
    « Le monde dans lequel nous entrons en naissant n’est pas prêt à nous accueillir. Il doit être renouvelé par chaque nouvelle génération. » Ces mots de la philosophe Hannah Arendt, publiés en 1961 dans La Crise de la culture, soulignent que le profond mal-être que ressentent les jeunes est le résultat d’un monde en crise, à son époque comme à la nôtre. Ce monde ne permet pas à nos jeunes d’envisager leur avenir, de se projeter à l’âge adulte. Comment expliquer, sinon, cette ère de violence qui s’est emparée d’une partie d’entre eux ? Comment expliquer, sinon, que certains aient envie, aient besoin, de venir à l’école avec des armes blanches ? Comment expliquer, sinon, que d’autres défient l’autorité, notamment l’école, premier lieu d’apprentissage et de construction de leur esprit critique ?
    L’actualité de ces dernières années est criante de vérité. Nous ne comptons plus les faits divers où la jeunesse est mise à mal, ni ceux où elle est à l’origine de violences, par exemple vis-à-vis du corps enseignant. La liste en est malheureusement trop longue. Je m’écarte un peu…

    Mme Zahia Hamdane

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    Carrément, même !

    M. Erwan Balanant

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    de la question de la protection de l’enfance…

    Mme Soumya Bourouaha, Mme Marie Mesmeur et Mme Isabelle Santiago

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    C’est hors sujet !

    M. Erwan Balanant

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    Ce n’est pas hors sujet que de parler de l’enfance dans sa généralité ; au contraire, cela me semble constituer une première base de réflexion pour aborder la protection de l’enfance !
    Notre pays, héritier de l’universalisme des Lumières, ne peut rester de marbre, sans se remettre en question, face à cette souffrance de tous nos enfants. Notre jeunesse ressent un vide, elle est en quête de sens. Son mal-être n’est pas matériel mais sociétal ; sans réponse sociétale, nous n’aiderons jamais la jeunesse –⁠ y compris celle prise en charge par la protection de l’enfance – à retrouver confiance en l’avenir, nous ne défendrons pas le commun face à l’individualisme.
    Ne nous y trompons pas, la justice pénale des mineurs mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale est le meilleur exemple à suivre. Elle s’est fondée sur une idée simple : la primauté de l’éducatif sur le répressif. Notre politique publique de protection de l’enfance doit d’abord et avant tout repenser la manière d’aborder notre jeunesse, de la promouvoir et de lui donner un sens, une existence, une vision –⁠ en un mot, un avenir. Antonin Artaud nous dirait que notre jeunesse est malade non d’un excès, mais d’un vide. Face à ce malaise dû à un manque de repères et de perspective, offrons à nos jeunes des espaces d’expression où ils puissent partager leurs inquiétudes et leurs espoirs, investissons dans la prévention, dans l’accompagnement psychologique et dans l’éducation à la citoyenneté.
    Sur la protection de l’enfance, les travaux de la délégation aux droits des enfants présidée par Perrine Goulet sont fondamentaux. Il est urgent que les ministères concernés se saisissent de ses nombreuses propositions, en particulier des deux mesures qu’elle recommande pour améliorer la prise en charge des jeunes majeurs ayant eu un parcours en protection de l’enfance : tout d’abord, faciliter les démarches administratives et l’accès au logement des majeurs sortant de l’ASE, améliorer leur aide financière et leur accompagnement éducatif ; ensuite, rendre obligatoire, pour les départements, le financement des associations d’anciens enfants accueillis pour leur permettre de soutenir les jeunes ne disposant de contrat jeune majeur ou qui ne peuvent plus en bénéficier étant donné leur âge. Ces mesures permettront sans nul doute à ces jeunes de s’ancrer dans la société et de commencer leur vie d’adulte plus sereinement.
    Madame la ministre, quelle politique publique entendez-vous promouvoir pour redonner à notre jeunesse confiance dans son avenir ? Comment vous saisirez-vous des propositions formulées par la délégation aux droits des enfants ? Dans un monde en crise, nos enfants ont besoin de nous. Ne les abandonnons pas.

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

    Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

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    La protection de l’enfance n’est pas un sujet parmi d’autres –⁠ chacun d’entre vous l’a exprimé avec ses mots. Elle est incontestablement au cœur du pacte républicain. Nous sommes confrontés à une crise structurelle persistante dont les premières victimes sont les enfants. Vous l’avez rappelé, près de 397 000 enfants sont suivis par l’aide sociale à l’enfance, principalement en raison de placements judiciaires ou de mesures éducatives renforcées.
    Dans le cadre d’une articulation complexe mais essentielle avec l’État, les départements ont la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance et en assurent le financement. Près de 10 milliards d’euros sont engagés chaque année par les départements, en complément des financements de l’État, notamment pour la prise en charge des mineurs non accompagnés ou dans le cadre de la contractualisation. Cependant, le déploiement de cette politique reste trop hétérogène : il présente des disparités territoriales marquées. Trop souvent, les conditions de placement ou de prise en charge ne sont pas à la hauteur des besoins des enfants.
    Monsieur Woerth, je n’ai pas oublié le rapport «  Décentralisation, le temps de la confiance » dans lequel vous aviez notamment présenté la notion d’établissement mixte. J’ai entendu les questions posées par plusieurs d’entre vous sur la recentralisation. Je dois vous dire, mesdames et messieurs les députés, que si d’aventure une décision de recentralisation était prise, elle ne résoudrait pas tout –⁠ vous en êtes tous conscients. Surtout, vous l’avez tous dit, il est urgent d’agir. En d’autres termes, je ne pense pas que ma réponse puisse consister à vous annoncer une éventuelle recentralisation, en vous donnant rendez-vous dans quelques mois, alors que nous devons agir dès maintenant.
    Malgré des décisions de justice, trop d’enfants restent au sein de familles dysfonctionnelles faute d’une autre solution. Certains juges renoncent même à ordonner des placements pour cette raison. Élue de terrain comme vous, je constate que de nombreux enfants échappent à des mesures de protection, mais aussi que de nombreux parents ne se rendent pas dans un service de protection maternelle et infantile (PMI) de peur que leur enfant leur soit retiré.

    Mme Isabelle Santiago

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    Oui !

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Nous devons aborder ce sujet avec les travailleurs sociaux car il est important pour la protection de nos enfants.
    L’application de la loi demeure inégale sur le territoire, ce qui n’est pas acceptable –⁠ je le dis avec gravité. Le placement en hôtel est interdit et doit donc cesser. C’est une ligne rouge. La transition vers un accueil à caractère plus familial, que je souhaite engager dans le cadre du plan de refondation, doit apporter des réponses concrètes. Elle doit garantir des conditions de prise en charge à la hauteur de ce que la République doit à ses enfants : une protection effective, digne, humaine.
    Au-delà de ce constat d’inégalités et de ruptures, nous devons mesurer l’ampleur des tensions nouvelles qui fragilisent notre système. La protection de l’enfance est confrontée à une pression sans précédent. Le nombre d’enfants confiés à l’ASE ne cesse de croître, notamment parmi les plus jeunes. Cette évolution interroge directement notre capacité à accueillir dignement les enfants, en particulier les tout-petits, alors même que les pouponnières sont saturées dans de nombreux territoires. Notons que certains départements conduisent des expérimentations nouvelles tout à fait intéressantes.
    À cette tension s’ajoute l’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés. Leur vulnérabilité est extrême et leur protection doit être assurée avec la même exigence que pour tout autre enfant confié à l’aide sociale –⁠ les mineurs non accompagnés sont en effet des enfants, comme vous l’avez souligné.
    Par ailleurs, un quart des enfants protégés sont en situation de handicap. Ils représentent à eux seuls près de la moitié des hospitalisations en psychiatrie infantile. Ce n’est pas qu’un chiffre, mais une réalité que nous ne pouvons ni ignorer ni relativiser.
    Ces dernières semaines l’ont montré : la représentation nationale s’est pleinement saisie des enjeux de la protection de l’enfance, et de manière transpartisane. La commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, dont Laure Miller était la présidente et Isabelle Santiago la rapporteure, a rendu ses conclusions début avril, dressant un constat rigoureux et précieux pour notre action. Elle m’a bien sûr auditionnée et, depuis la publication du rapport, j’ai eu l’occasion de travailler avec Isabelle Santiago. En outre, j’ai été auditionnée la semaine dernière par la délégation aux droits des enfants présidée par Perrine Goulet. Vous le voyez, monsieur le député Bonnet, nous nous réunissons !
    Madame Santiago, j’ai évoqué la question du comité national de suivi avec Départements de France, dont la participation est indispensable. Quant à la création d’un conseil scientifique, jeudi dernier, je me suis rendue à Marseille pour la remise des travaux sur Pégase, le protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l’âge de 5 ans d’une mesure de protection de l’enfance. Je suis également attentive aux travaux de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ainsi qu’à l’analyse des pratiques du Québec, que vous avez recommandée. Analysons l’ensemble des dispositions existantes et adaptons-les à notre pays.
    Le gouvernement est pleinement mobilisé. Lors de mon audition devant la commission d’enquête, j’ai présenté un plan de refondation de la politique de protection de l’enfance, avec un cap clair : garantir à chaque enfant un parcours de vie sécurisé, stable et épanouissant. Nous avons commencé à déployer ce plan qui engage l’ensemble des parties prenantes. Certaines mesures nécessiteront un vecteur législatif. C’est pourquoi je déposerai d’ici à l’automne un projet de loi sur les différents champs de la protection de l’enfance, afin de faciliter l’accueil et la prise en charge des enfants et d’en améliorer la qualité. Je souhaite que ce travail soit mené avec vous dans un esprit de responsabilité partagée. Ce projet de loi associera également les collectivités locales et les associations. Je n’ai qu’un guide : l’intérêt supérieur de l’enfant.
    Avant de détailler les grands axes de notre plan de refondation et de répondre à vos questions, je veux évoquer des questions que vous m’avez posées et des engagements que j’ai pris auprès de vous.
    Le premier est celui de réviser le décret de 1974 encadrant les pouponnières. Cet engagement est en passe d’être tenu. Le projet de décret a été élaboré en concertation étroite avec Départements de France et les associations et, comme je vous l’ai dit la semaine dernière, il sera examiné par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) le 17 juillet prochain. L’objectif est clair : faire à terme des pouponnières des lieux de placement temporaire, recentrés sur leur mission d’accueil d’urgence. Au-delà des pouponnières, l’ensemble des structures d’accueil collectif doivent faire l’objet de notre attention. Nous avons consolidé les constats, finalisé les chiffrages et des travaux vont désormais s’ouvrir pour renforcer l’encadrement, améliorer l’accompagnement et garantir un cadre plus protecteur et plus cohérent aux enfants accueillis.
    La deuxième priorité que j’ai fixée est de faire appliquer pleinement la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, la loi Taquet. Vous avez été nombreux à m’interroger sur la publication des décrets d’application. Sachez que nous avons travaillé en ce sens. Cinq décrets restaient en attente et nous avons utilisé les leviers à notre disposition pour que cette loi votée par le Parlement entre pleinement en vigueur.
    Le décret relatif à la délivrance d’un nouvel agrément pour l’exercice de la profession d’assistant maternel ou familial après un retrait pour faits de violences a été publié en mars. Il constitue une avancée majeure pour sécuriser les parcours des enfants confiés. S’agissant des décrets relatifs à l’organisation des activités de PMI, des concertations vont s’engager dans les prochaines semaines avec Départements de France. Une base de données nationale des agréments pour l’adoption sera prochainement créée. Le décret correspondant sera examiné ce mois-ci par le Conseil national d’évaluation des normes, puis transmis au Conseil d’État avant publication. Une base similaire sera créée pour les agréments liés aux assistants maternels et familiaux : les développements informatiques sont en cours et la publication du décret est prévue avant la fin de l’année.
    J’aimerais à présent revenir sur les grands axes du plan de refondation de la politique de protection de l’enfance que j’ai évoqué devant vous il y a deux mois. Ce plan repose sur deux piliers : prévenir et éviter le placement chaque fois que cela est possible en accompagnant les familles au plus près pour leur permettre de faire face aux difficultés ; faire évoluer notre modèle vers un recours renforcé à l’accueil familial, mieux accompagné et mieux soutenu.
    C’est en s’appuyant sur ces deux leviers que nous pourrons répondre durablement aux fragilités du système, garantir des parcours plus stables et remettre l’intérêt de l’enfant au centre de toutes nos décisions. Il est de la responsabilité de l’État de ne pas laisser les familles seules face aux épreuves en accompagnant les plus fragiles, en soutenant les liens et en prévenant les ruptures. Je le rappelle, la première ligne de la protection de l’enfance doit demeurer autant que possible la famille.
    C’est dans cet esprit que j’ai confié à la haute-commissaire à l’enfance la mission d’élaborer un plan ambitieux de soutien à la parentalité. Ce plan, dont j’ai souhaité qu’il soit opérationnel à la rentrée 2025, repose sur trois principes : mieux prévenir les ruptures, accompagner les vulnérabilités et valoriser les compétences parentales.
    En parallèle, j’ai relancé le chantier des 1 000 premiers jours. Nous savons combien cette période est déterminante pour le développement de l’enfant et la qualité des liens familiaux. La stratégie lancée en 2021 produit quotidiennement des effets sur le terrain. Une nouvelle feuille de route pour la période 2025-2027 est en cours de finalisation. Elle sera publiée début juillet, avec trois priorités : la prévention, l’accompagnement renforcé pendant la période périnatale et l’accompagnement des familles les plus vulnérables.
    Transformer notre politique de protection de l’enfance passe par la reconnaissance du fait que, dans la très grande majorité des cas, c’est dans un cadre familial que les enfants se reconstruisent le mieux. Nous lançons ainsi dans deux départements volontaires, la Gironde et le Var, une expérimentation visant la transition de l’accueil collectif vers l’accueil familial. Elle permettra de tester l’ensemble des conditions de cette transition en associant les acteurs de terrain et en s’appuyant sur un plan d’attractivité des métiers d’assistants familiaux, sur des modalités d’examen et de décision de placement mieux structurées, sur la création d’une offre d’accueil à caractère familial et sur l’examen des questions de financement. La Gironde travaille déjà dans ce sens et je rencontrerai vendredi prochain les représentants du Var.
    Pour que l’accueil familial devienne la solution de premier recours, nous avons besoin de soutenir et d’élargir le vivier des assistants familiaux. Au cœur du dispositif de l’aide sociale à l’enfance, ils offrent un cadre de vie, une écoute et une stabilité. Ils incarnent l’engagement au plus près de l’enfant, souvent dans l’ombre, toujours avec une force silencieuse. Pour reconnaître leur rôle et favoriser les vocations, plusieurs avancées concrètes ont été engagées. Le diplôme d’État d’assistant familial a été revalorisé au niveau 4. Par ailleurs, la capacité de formation a doublé, conformément au décret du 1er avril 2025. Le projet de loi à venir comportera également deux évolutions majeures sur le sujet. Il ouvrira d’abord la possibilité de cumuler le métier d’assistant familial avec une activité professionnelle, sous certaines conditions. La proposition de loi adoptée par le Sénat en 2024 introduit un principe clair : lorsqu’un enfant est à l’école, une activité professionnelle peut être exercée ; dès qu’il en sort, l’assistant familial prend le relais. Ensuite, il créera un droit au répit, indispensable pour prévenir l’épuisement et garantir la continuité de l’accueil.
    Parmi les autres formes d’accueil, l’accueil durable et bénévole par les tiers dignes de confiance, tels que les proches, les membres de la famille élargie ou les amis de longue date, joue un rôle décisif –⁠ je connais vos réflexions sur le rôle de certains avocats. Cependant, le statut des tiers dignes de confiance reste à parfaire car l’indemnisation et le dispositif d’honorabilité doivent être encadrés. Il s’agit de reconnaître leur engagement et de lever les obstacles matériels qui pèsent sur des parcours pourtant protecteurs. Dans certaines situations, le retour dans la famille d’origine n’est pas possible. Nous devons alors offrir à l’enfant une perspective claire, stable et durable. Le projet de loi intégrera plusieurs mesures structurantes.
    Il conviendra aussi d’examiner la question du délaissement parental et la situation particulière des enfants de moins de deux ans me semble une priorité. Lorsqu’un retour dans la famille est envisageable, il doit être accompagné et préparé. Lorsqu’il ne l’est pas, nous devons ouvrir davantage la voie à un accueil familial de long terme ou à une adoption, selon les cas. Une passerelle entre l’agrément nécessaire pour l’adoption et l’agrément délivré à l’assistant familial est également à étudier. Enfin, la haute-commissaire à l’enfance proposera des modalités d’adoption simplifiées, inspirées du modèle québécois.
    Réformer la protection de l’enfance ne consiste pas seulement à transformer les modalités de placement, mais aussi à mobiliser toutes les politiques publiques autour d’un impératif commun : garantir à chaque enfant protégé une santé préservée, une scolarité continue et un avenir choisi.
    La santé, d’abord. Trop d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance présentent des troubles physiques ou psychiques non détectés, non traités ou mal suivis. Avec Yannick Neuder, nous engagerons dès 2026 la généralisation des enseignements tirés des expérimentations Pégase et Santé protégée. Nous déploierons systématiquement un bilan de santé à l’entrée dans l’aide sociale à l’enfance, en mobilisant les centres d’appui à l’enfance.
    Avec Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap, nous renforçons l’articulation entre les besoins spécifiques des enfants en situation de double vulnérabilité et les 50 000 solutions médico-sociales prévues dans la stratégie dédiée. Chaque enfant a droit à une scolarité protégée, adaptée à son rythme et à son histoire, d’où la nécessité de renforcer l’accompagnement scolaire dans le cadre des parcours d’aide sociale à l’enfance.
    Je ne peux manquer d’évoquer les expérimentations menées avec la professeure Céline Greco, citée par Isabelle Santiago. Le premier dispositif entrera bientôt en vigueur à Paris –⁠ nous en avons posé la première pierre il y a quelques semaines. L’idée est d’étendre à d’autres départements l’accompagnement complet –⁠ médical, mais aussi scolaire, culturel et d’insertion professionnelle – des enfants de 3 à 12 ans. C’est une démarche tout à fait intéressante.
    En matière d’insertion, il ne suffit évidemment pas de protéger l’enfant, il faut aussi lui permettre de se projeter dans une vie adulte autonome, libre et digne. C’est pourquoi, avec la ministre chargée du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, nous voulons mobiliser France Travail et les missions locales, renforcer le parrainage et le mentorat, et travailler à la valorisation de toutes les initiatives associatives, entrepreneuriales et institutionnelles qui permettent aux jeunes de choisir leur avenir. Le chantier est immense.
    La semaine dernière, avec la préfète déléguée pour l’égalité des chances et la représentante du recteur de l’académie d’Aix-Marseille, je me suis rendue auprès de l’association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (Adepape). J’ai rencontré des jeunes, scolarisés ou étudiants, pour certains placés dans des familles. Leurs parcours scolaires et universitaires montrent l’importance de bénéficier d’un réseau et la difficulté de se projeter quand on n’en a pas ou quand on a décroché.
    De ce point de vue, l’aide que nous apportons doit être améliorée pour construire des parcours adaptés aux histoires de vie. On ne peut accepter qu’à 17 ans on soit privé d’opportunités ou d’avenir parce qu’on n’a pas été en cours de l’année en troisième ou parce que finalement on n’aime pas la restauration ou les services à la personne.
    Nous avons collectivement un devoir fondamental : celui de garantir la sécurité de l’enfant là où il est placé. Certains établissements et foyers sont le théâtre de violences ou de négligences parfois graves. Cela ne concerne pas que les foyers de l’aide sociale à l’enfance, car les enfants peuvent aussi être menacés dans les familles. La prévention des abus dans les structures d’accueil est une priorité absolue du gouvernement. Une première instruction a été diffusée en juillet 2024 pour renforcer les contrôles. Nous allons maintenant plus loin : d’ici la fin de l’année, des mesures seront consolidées, en lien avec les départements, afin de renforcer la fréquence et la qualité des inspections, la traçabilité des signalements et la transparence des conditions d’accueil.
    Parmi les leviers envisagés, je pense notamment à l’information systématique du président du conseil départemental en cas de placement d’un enfant hors de son département d’origine. Pour rendre cette information systématique, nous recourrons au projet de loi. Vous avez raison, madame Santiago, cette voie est indispensable : certaines mesures sont réglementaires, mais de nombreuses autres méritent d’être inscrites dans un texte de loi.
    La justice est également mobilisée. Il y a quelques semaines, le garde des sceaux Gérald Darmanin a demandé aux procureurs d’assurer une coordination plus fluide et réactive des contrôles. Nous avons par ailleurs confié à la procureure générale Dominique Laurens une mission pour renforcer le maillage des unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger. Cette mesure résulte de l’initiative de femmes et d’hommes qui s’engagent pour la protection de l’enfance, en particulier de Martine Brousse, présidente de la Voix de l’enfant. J’insiste sur ce point, car les associations effectuent un travail très intéressant, qui nous fait avancer.
    De manière générale, nous renforcerons les plans de lutte contre les violences faites aux enfants. L’objectif est notamment de faire mieux connaître le numéro 119, qui permet de signaler les suspicions de maltraitance –⁠ une campagne d’information sera de nouveau lancée à l’automne. De plus, le travail de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est prolongé jusqu’en octobre 2026 –⁠ nombre de ses propositions ont été validées. Enfin, nous porterons une vigilance accrue à la lutte contre la prostitution infantile. La stratégie nationale de lutte contre la prostitution comporte un axe dédié et nous avons renforcé les moyens de cette action dans le budget 2025.
    Je mesure l’urgence et la nécessité d’offrir des réponses concrètes à tous les enfants protégés afin de les accompagner dans toutes les dimensions de leur vie vers l’autonomie. Je souhaite que chaque enfant protégé le soit réellement, qu’il soit entouré, soigné, écouté, scolarisé et préparé à l’avenir. Je mesure parfaitement ce qui se cache derrière ces mots : la réalité, la situation de chaque enfant, la nécessité parfois de réexaminer les normes pour tenir compte des cas particuliers.
    Je pense à une enfant placée de 14 ans à qui l’on a dit qu’elle devait changer de famille parce que le couple qui l’accueille depuis sa petite enfance est devenu trop vieux. Elle veut rester avec eux, mais les textes ne le permettent pas, lui dit-on. Je vous parle avec une grande sincérité : chacun d’entre nous doit être conscient que nous examinons un sujet très lourd et que rien ne pourra changer d’un coup de baguette magique. Ce que nous proposons est probablement insuffisant, mais nous pourrons réussir à faire bouger les choses si nous travaillons ensemble, convaincus que certaines actions relèvent du court terme et d’autres du moyen terme –⁠ là est toute la difficulté.
    Il y a une chose que nous devons à ces enfants –⁠ je leur dis à chaque fois que je les rencontre : nous devons tenir parole, parce que c’est la condition de la confiance.

    M. le président

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    Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    La parole est à Mme Joséphine Missoffe.

    Mme Joséphine Missoffe (EPR)

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    Les enfants de la République sont nos enfants à tous. L’action publique et les investissements en faveur de la protection de l’enfance n’obéissent pas aux mêmes règles que les autres engagements de l’État. Protéger nos enfants ne relève pas d’un calcul budgétaire, politique ou moral. Protéger nos enfants n’est pas un choix, mais une responsabilité : nous n’essayons pas de protéger nos enfants, nous le faisons à tout prix.
    Derrière la République, il y a tous ceux qui se lèvent pour participer à cette grande mission collective qu’est la protection de l’enfance. Il y a les femmes et les hommes avec qui j’ai partagé ma carrière d’infirmière puéricultrice, à l’école, en crèche et en PMI. Il y a les éducatrices et les éducateurs qui incarnent auprès des enfants protégés la main que tout le pays leur tend. Sans elles, sans eux, nous projetons nos enfants dans un vide dangereux, aux perspectives écrasées et au destin refusé.
    Alors que nous devons protéger, valoriser et remercier ceux qui prennent soin de nous au quotidien, nous semblons les oublier. Comme dans presque tous les secteurs du médico-social, les employés sont en difficulté et l’emploi est en berne. Nous ne pouvons accepter passivement une société dans laquelle le combat pour le lien social manque d’attractivité et enferme dans la précarité. Le secteur de la protection de l’enfance peine à recruter et le recours à l’intérim explose. Nos enfants ont besoin d’un entourage républicain stable et disponible. Nous devons le leur offrir.
    Madame la ministre, quelles actions prioritaires votre ministère envisage-t-il pour relancer l’attractivité du métier d’éducateur et des emplois du secteur médico-social auprès des enfants ?

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    La question de l’attractivité se pose en effet : 71 % des établissements du secteur du travail social rencontrent des difficultés de recrutement et 30 000 postes sont vacants. Nos priorités sont : de faire connaître ces métiers, grâce à la plateforme Prendresoin.fr, créée avec France Travail ; de mieux orienter, en lien avec le ministère de l’éducation nationale, compte tenu de l’augmentation du taux d’abandon des candidats à ces diplômes ; de former davantage en développant l’apprentissage et la validation des acquis de l’expérience (VAE) ; enfin, d’améliorer les conditions de réussite et de travail.
    Je souhaite que les assistants familiaux tiennent une place plus importante auprès des enfants, mais leur métier est confronté à un manque d’attractivité. La pyramide des âges est un enjeu majeur : la moitié des assistants familiaux a plus de 55 ans et un quart a dépassé 60 ans. En avril 2025, nous avons revalorisé le diplôme d’assistant familial afin de mieux reconnaître les responsabilités assumées par ces professionnels. Le diplôme d’État est passé du niveau 3 au niveau 4, équivalent du baccalauréat. Le gouvernement souhaite maintenant aller plus loin par le biais du projet de loi que j’ai évoqué. Ce texte permettra d’autoriser le cumul de l’emploi d’assistant familial avec une autre activité et garantira le droit au répit, soit une véritable avancée pour les familles concernées.
    Je le redis, la proposition de loi du Sénat est intéressante car elle promeut un principe simple : dans les familles d’accueil comme dans n’importe quelle famille, quand l’enfant est à l’école, les parents travaillent ; quand l’enfant sort de l’école, il retourne dans sa famille. L’assistant familial est là pour les moments en dehors du temps scolaire. Cette ouverture nous permettra d’élargir le champ de l’accueil familial.

    M. le président

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    La parole est à Mme Joséphine Missoffe, pour une seconde question.

    Mme Joséphine Missoffe

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    En avril dernier, la commission d’enquête sur les manquements de l’aide sociale à l’enfance a dressé le constat d’un système à bout de souffle. Parmi les maillons les plus fragiles de la chaîne, les pouponnières à caractère social sont en première ligne. Elles peuvent accueillir des nourrissons dès la sortie de la maternité. Ces derniers sont souvent marqués par les ruptures et les carences précoces. Les taux d’encadrement appliqués dans les pouponnières datent d’un décret de 1974 qui n’a fait l’objet d’aucune révision depuis un demi-siècle, alors même que nos connaissances en matière de développement de l’enfant ont considérablement évolué.
    Madame la ministre, je sais que nous partageons la conviction que chaque enfant mérite un accompagnement bienveillant et sécurisant dès les premiers mois de sa vie. Vous avez annoncé, le 4 juin, une révision de ce décret d’ici fin juillet, en concertation avec les départements. Pouvez-vous nous confirmer que cette révision intégrera des normes d’encadrement revalorisées à la hauteur des besoins spécifiques des tout-petits ? Par ailleurs, dans une logique d’inclusion, ne pourrait-on pas imaginer que les enfants placés en pouponnière puissent être accueillis en journée dans les établissements d’accueil du jeune enfant, lorsque la situation le permet ? Cette mixité dès les premiers mois de vie serait un puissant levier d’égalité.

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    S’agissant de votre deuxième question, c’est déjà le cas : les nourrissons peuvent déjà être accueillis dans ces établissements. Quant à la révision du décret de 1974, elle prévoit de nouvelles normes d’encadrement pour la nuit et pour le jour –⁠ ce dernier point est important. L’objectif est de faire des pouponnières des sas d’accueil d’urgence et de maintenir autant que possible les structures familiales. C’est pourquoi nous souhaitons accueillir les parents dans ces établissements. Après tout, les parents ont peut-être juste besoin d’un coup de main. L’enfant pourrait éventuellement retourner chez eux si la situation le permet.

    M. le président

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    La parole est à Mme Gabrielle Cathala.

    Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)

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    Quand j’ai vu que ce débat était inscrit à l’ordre du jour, j’ai été assez surprise de lire qu’il était proposé par le groupe Ensemble pour la République. J’ai pensé que c’était peut-être l’heure pour ses députés de dresser le bilan des actions menées depuis 2017, l’heure du mea culpa sur la politique de l’enfance, l’heure de se rendre compte que les votes à l’Assemblée nationale ont des conséquences sur la vie de nombreuses familles et de leurs enfants.
    Actuellement, 3 300 mesures de placement ne sont pas suivies d’effet parce que l’on manque de structures d’accueil et d’éducateurs de la PJJ. En France, plus de 2 000 enfants dorment dans la rue : leur nombre a augmenté de 120 % depuis quatre ans. L’éducation nationale est paupérisée comme jamais. Il y a deux jours, nous avons vécu un drame : une surveillante, Mélanie, a été assassinée par un élève de 14 ans. La santé psychique de tous les enfants doit nous alarmer, d’autant plus qu’on ne compte en France qu’un infirmier scolaire pour 1 600 élèves et un médecin scolaire pour 13 000 élèves. Comment prendre soin de la santé mentale des enfants, alors que la pédopsychiatrie est très précarisée et que l’éducation nationale est clochardisée ?
    Le premier ministre ment sur un scandale pédocriminel depuis plusieurs mois. Il a de nouveau menti sous serment devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale…

    M. Erwan Balanant

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    C’est faux !

    Mme Gabrielle Cathala

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    …en minimisant une claque qu’il a mise à un enfant, dans le silence de la majorité –⁠ ou devrais-je dire de la minorité – présidentielle. Il continue à proférer des mensonges, qui sont immédiatement contredits par les articles de presse qui parlent de ce scandale, là aussi dans le silence de la plupart des députés du groupe macroniste.
    Je me demande donc, puisque vous êtes si intéressés par la protection de l’enfance,…

    M. le président

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    Merci de conclure.

    M. Erwan Balanant

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    Il fallait poser votre question plus tôt !

    Mme Gabrielle Cathala

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    …pourquoi vous n’écoutez jamais les associations, l’Unicef, les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse, les syndicats de magistrats. Pourquoi n’avez-vous pas écouté la Ciivise ? Pourquoi avez-vous essayé de la torpiller ? Pourquoi n’écoutez-vous pas toutes ces associations qui, elles, ont les solutions pour améliorer la situation des enfants et la protection de l’enfance dans notre pays ?

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Madame la députée, j’aurais écouté vos propositions avec beaucoup d’intérêt. (M. Erwan Balanant applaudit.) J’ai reçu Mme Adeline Hazan, la présidente d’Unicef France, avec plaisir et sans difficulté et j’ai eu avec elle un échange parfaitement constructif. Quant à la Ciivise, j’ai prolongé sa mission et retenu onze de ses quinze préconisations.

    Mme Gabrielle Cathala

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    Il y en avait quatre-vingt-dix !

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Pour le reste, je pense que vos propos n’appelaient pas de commentaires de ma part.

    M. le président

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    La parole est à Mme Zahia Hamdane.

    Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP)

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    Ma question porte sur la situation des maisons d’enfants à caractère social (Mecs), qui apparaissent comme le dernier maillon d’un système dépassé, à la croisée des politiques du handicap et de la protection de l’enfance. Initialement, ces établissements avaient pour mission d’accueillir des enfants victimes de violences familiales ou de carences éducatives. C’était en tout cas leur objet quand j’ai commencé à exercer, en 1994, comme éducatrice spécialisée. Mais aujourd’hui, les Mecs hébergent de plus en plus d’enfants en situation de handicap, en raison d’un manque cruel de places dans les structures spécialisées : atteints de troubles psychiques, cognitifs, mentaux, ces enfants y sont souvent accueillis non par choix mais par défaut, faute de solutions adaptées. Leurs familles, souvent en grande détresse, sont laissées sans véritable soutien. Le fameux soutien à la parentalité n’existe que dans les discours : c’est une professionnelle de terrain qui vous le dit.
    Dans les faits, les instituts médico-éducatifs (IME) et les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) sont saturés, débordés, voire fermés aux urgences sociales. Le résultat est inquiétant. Selon une étude réalisée par l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (Anmecs), le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) et la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), près de 30 % des enfants accueillis en Mecs le sont désormais sur notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ce chiffre glaçant témoigne d’un système à bout de souffle : nous n’arrêtons pas de le dire et vous le reconnaissez vous-même, madame la ministre.
    Chez moi, à Amiens, dans deux des quatre Mecs que je dirigeais avant de les quitter pour ma fonction de députée, jusqu’à 70 % des enfants qui nous étaient confiés bénéficiaient d’une notification de la MDPH. Mais les Mecs ne sont pas capables d’accueillir ces enfants, souvent très vulnérables. Leur organisation et leur fonctionnement doivent évoluer et leur plateau technique s’étoffer.
    S’agissant du taux d’encadrement, pour dix enfants souvent porteurs de troubles complexes, on compte moins de huit adultes encadrants. Or ces enfants ont besoin de soins, d’attention, de stabilité. Un environnement sous-doté n’est pas favorable à leur développement psychologique. Pire encore, ce taux d’encadrement a baissé de 8 points depuis 2008.

    M. le président

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    Merci de conclure.

    Mme Zahia Hamdane

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    Je sais que mon temps de parole est écoulé, monsieur le président, mais j’aimerais poser mes questions.

    M. le président

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    Faites-le rapidement, chère collègue !

    Mme Zahia Hamdane

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    J’ai une pensée particulière pour les professionnels, les éducateurs et pour tous les enfants que j’ai accueillis et accompagnés durant mes quarante années d’exercice. Ma question est double. Que comptez-vous faire pour redonner aux Mecs les moyens d’assurer leurs missions, en particulier face à l’arrivée croissante d’enfants en situation de handicap ? Envisagez-vous de remettre à plat le système actuel en favorisant ces structures à taille humaine et en garantissant des taux d’encadrement normés et renforcés ?

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Je partage votre analyse et il importe en effet de travailler avec les départements. Vous avez raison de souligner qu’il y a des endroits, même s’ils sont trop rares, où la réponse est adaptée au handicap des enfants accueillis. J’ai visité en banlieue parisienne deux maisons qui fonctionnent ensemble et qui accueillent chacune six enfants. Il faut, pour prendre en charge ces douze enfants, 25 équivalents temps plein (ETP) tant leurs difficultés et leurs besoins d’accompagnement sont grands.
    Des établissements de ce type sont indispensables pour accueillir les enfants qui nécessitent un accompagnement massif. C’est pour cela que dans le plan « 50 000 solutions », lancé par ma collègue Charlotte Parmentier-Lecocq, 400 millions d’euros sont dédiés aux solutions pour les enfants, dont 50 millions pour les enfants de l’aide sociale à l’enfance. Ce sont de places en IME dont ils ont besoin beaucoup plus qu’en Mecs : je suis tout à fait d’accord avec vous.

    M. le président

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    La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.

    Mme Ayda Hadizadeh (SOC)

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    En avril 2024, je n’étais pas encore députée mais j’étais présente dans cette salle pour le lancement de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance. J’y étais avec d’anciens enfants placés, membres du comité de vigilance des enfants placés. Nous tenions à être présents ; nous avions mis des chaises au centre de cette salle et nous avions invité tous les députés qui le souhaitaient à venir nous rencontrer. Sur des pancartes noires étaient écrits les noms des enfants morts à l’ASE : Lily, Jess, Nour, Anthony… Tous ces enfants qui sont morts alors qu’ils avaient été placés sous notre protection.
    En France, tous les cinq jours, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Toutes ces morts sont révoltantes, mais la mort des enfants qui sont placés à l’ASE, sous notre protection, l’est plus encore. Pendant que la commission d’enquête suivait son cours, d’autres enfants sont morts. La dernière en date, c’est la petite Ayden. Elle avait 7 ans, elle vivait en Polynésie française et avait été placée dans une famille d’accueil. Son corps était couvert d’ecchymoses et de bleus ; elle était dans un état cadavérique et n’avait sans doute pas mangé depuis plusieurs semaines. Elle n’allait plus à l’école depuis plusieurs mois. Pour Ayden, il n’y a pas eu de minute de silence dans l’hémicycle. Alors, sans aucune polémique, j’aimerais vous montrer son visage pour que nous le gardions en mémoire. (L’oratrice montre une grande photo d’Ayden.) Cette petite fille a souffert le martyre et est morte alors qu’elle était sous notre responsabilité.
    Éric Woerth a dit que l’État n’était pas responsable, mais lorsque je lis l’histoire de ces enfants, je me sens responsable et j’ai honte. J’ai honte de ce que nous leur faisons subir. Il y a encore aujourd’hui, en France, des Thénardier. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur toutes les familles d’accueil ; je connais trop bien les anciens enfants placés pour savoir que ceux qui s’en sortent, ceux qui ont des parcours de vie qui élèvent l’âme, le doivent souvent à leur famille d’accueil.

    M. le président

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    Merci de conclure.

    Mme Ayda Hadizadeh

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    Je crois en votre sincérité, madame la ministre, et je vous remercie de travailler à un projet de loi que nous examinerons à l’automne, mais si vous n’inscrivez pas dans votre texte la proposition de notre collègue Isabelle Santiago de créer un organisme de contrôle autonome et indépendant, nous n’y arriverons pas. Il ne faut plus confier ce contrôle aux départements. Mme Santiago a également retenu la proposition du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de permettre aux enfants placés et aux anciens enfants placés de saisir cet organisme autonome.

    M. le président

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    Chers collègues, je me dois de vous rappeler que les règles sont les mêmes en salle Lamartine que dans l’hémicycle.

    Mme Béatrice Roullaud

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    Vous avez laissé parler une autre collègue près de trois minutes ! Les règles doivent être les mêmes pour tous !

    M. le président

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    Je vous prie de ne pas m’interrompre, madame Roullaud.
    Vous savez qu’il n’est pas autorisé de brandir des pancartes. Je vous remercie de respecter le règlement de cette assemblée et de respecter votre temps de parole.
    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Je crois moi aussi à votre sincérité et je vous remercie d’avoir montré le visage de cette petite fille. Personne ne peut être indifférent à de telles situations. Vous avez raison : dès lors qu’un enfant est sous notre responsabilité, nous nous en sentons responsables, et ce n’est pas se payer de mots que de dire cela.
    Je suis très attachée à l’idée de créer du lien entre les anciens de l’aide sociale à l’enfance. Ils nous font progresser car ils sont beaucoup mieux placés que n’importe lequel d’entre nous pour nous parler de ce qu’ils connaissent et de ce qu’ils ont vécu. Je les écoute donc avec respect.
    Il y a des histoires merveilleuses et il y en a d’autres beaucoup plus douloureuses, mais c’est précisément parce que les deux cas de figure se rencontrent que nous devons écouter ce que les uns et les autres ont vécu pour proposer des solutions.
    Enfin, nous devons effectivement avancer sur la question du contrôle. Il faut probablement qu’il soit effectué de manière indépendante, comme n’importe quel contrôle.

    M. le président

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    La parole est à Mme Anne Bergantz.

    Mme Anne Bergantz (Dem)

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    Je vous remercie, madame la ministre, pour toutes les réponses que vous nous apportez. Je crois, comme beaucoup de collègues ici présents, à votre très forte volonté d’agir pour la protection de l’enfance.
    Ma première question concerne les conditions de sortie de l’ASE à 18 ans et les dispositifs qu’il convient de renforcer pour accompagner les jeunes vers l’autonomie en évitant les ruptures brutales et en favorisant l’insertion dans la vie professionnelle. Vous avez évoqué le mentorat. Il se trouve que j’ai rencontré récemment les représentants de la fondation –⁠ française – Break Poverty, qui travaille à un plan « 1 jeune, 1 mentor » et qui a déjà aidé 150 000 jeunes en situation de vulnérabilité –⁠ ils ne sont pas tous issus de l’ASE.
    Le mentorat semble être une réponse adaptée aux problèmes que connaissent ces jeunes. Que pensez-vous de ce dispositif ? Estimez-vous qu’il pourrait constituer une solution efficace et durable pour accompagner les jeunes vers l’autonomie ? Je précise que cette fondation travaille dans un cadre très territorialisé et avec des entreprises conscientes du rôle qu’elles ont à jouer auprès de ces jeunes.
    J’aimerais par ailleurs revenir sur une réalité plus que préoccupante, que vous avez également abordée rapidement et que j’ai pu observer dans le cadre de mon activité professionnelle : je veux parler de la prostitution de certaines jeunes filles placées à l’aide sociale à l’enfance. Je dis « jeunes filles », car cela concerne plutôt les jeunes filles que les jeunes garçons.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Encore que…

    Mme Anne Bergantz

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    Vous avez raison, madame la ministre, de jeunes garçons peuvent aussi être concernés, mais disons que statistiquement cela touche plutôt les jeunes filles, souvent déjà victimes de violences, fragilisées psychologiquement et ciblées sur les médias sociaux par des réseaux de proxénètes. Je sais que la réponse n’est pas simple, mais je veux tout de même vous la poser : comment faire pour mieux les protéger ? Certaines de ces jeunes filles sont très jeunes –⁠ certaines n’ont que 13 ans, mais prétendent évidemment être plus âgées –, elles sont complètement perdues, fuguent de foyer en foyer et rejettent toute aide en refusant d’admettre leurs difficultés. Les professionnels qui essaient d’intervenir sont complètement dépassés par la situation. Quelles sont vos pistes pour protéger ces jeunes filles ?

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    S’agissant des conditions dans lesquelles les jeunes, à 18 ans, sortent de l’ASE, la loi Taquet contient des mesures destinées à lutter contre le phénomène des sorties sèches : obligation pour les conseils départementaux de proposer une solution aux jeunes de 18 à 21 ans qui n’ont pas de ressources ou de soutien familial suffisant ; instauration d’un droit au retour ; priorisation de ce public dans l’accès au logement social ; organisation d’un entretien un an avant la majorité.
    Nous avons longuement évoqué ce sujet avec Isabelle Santiago : il faut que nous intervenions bien plus tôt, car tout commence dès la sixième. Je repense au jeune Léo que j’ai mentionné tout à l’heure, qui n’allait plus en cours en troisième et qui se trouve maintenant dans une situation très compliquée. Il importe de faire le point à plusieurs reprises sur la vision qu’ont ces jeunes de leur avenir, en commençant lorsqu’ils sont encore au collège, puisque les perspectives d’orientation les aident à bâtir cet avenir. Je le répète, ce qui existe est intéressant, mais un peu tardif.
    Nous étudions également la possibilité d’un entretien six mois après la sortie du jeune et la possibilité de le renouveler à la demande de celui-ci. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : les associations d’anciens, les alumnis, pourraient offrir à ces jeunes un véritable réseau, leur difficulté résidant dans le sentiment de solitude et dans le fait d’avoir finalement très peu de références.
    Il y a là un travail à faire, notamment parce que toutes les mesures sont appliquées de façon aléatoire selon les départements. S’agissant du projet de loi, je compte aller plus loin en matière de versement du pécule. J’ai deux idées en tête. La première, à laquelle nous sommes un certain nombre à réfléchir depuis longtemps, concerne les allocations familiales –⁠ je sais que ce sujet vous intéresse. L’autre a trait au complément du RSA pour motif familial : si le bénéficiaire du RSA ne s’occupe pas de son enfant, je ne vois pas pourquoi il continuerait de percevoir ce complément.

    M. le président

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    Madame la ministre, merci de conclure.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Mon temps de réponse est donc aussi limité à deux minutes ?

    M. le président

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    Je le crains, madame la ministre ! (Sourires.)
    La parole est à Mme Katiana Levavasseur.

    Mme Katiana Levavasseur (RN)

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    Depuis plusieurs années, notre pays est confronté à une progression préoccupante de l’islamisme radical (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP), qui s’infiltre dans différents secteurs de la société. Le phénomène gagne à présent un domaine particulièrement sensible, celui de la protection de l’enfance. Ces derniers mois, des magistrats, des professionnels de terrain et des chercheurs ont tiré la sonnette d’alarme : la radicalisation islamiste concerne désormais aussi des jeunes pris en charge par l’ASE.
    Alors que les foyers pour mineurs et les associations chargées de les protéger devraient constituer des lieux de sécurité, des jeunes sont sous l’influence de discours extrémistes. Certains d’entre eux sous emprise idéologique auraient même envisagé des actes violents. Un adolescent de 17 ans, interpellé dernièrement, projetait un attentat au sein de son lycée. Dans une structure de Toulouse, des pratiques discriminatoires, comme l’interdiction de cours de natation aux filles, ont été signalées. Les réseaux islamistes exploitent les failles d’un système de protection de l’enfance en crise et la précarité de ces jeunes pour diffuser leur idéologie.

    Mme Zahia Hamdane

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    C’est une obsession !

    Mme Katiana Levavasseur

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    Rappelons que selon le rapport public annuel publié en mars 2025 par la Cour des comptes, près de la moitié des sans-abri de 18 à 25 ans sont d’anciens bénéficiaires de l’ASE ! Souvent livrés à eux-mêmes à leur majorité, ces jeunes constituent des cibles idéales pour les discours des plus radicaux. Face à cette situation, le gouvernement doit agir de manière rapide et ferme. Il faut renforcer l’identification des signaux de radicalisation, écarter les personnes radicalisées des structures de l’aide à l’enfance et veiller à ce que le personnel soit correctement formé en vue de prévenir ces dérives.
    Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que le gouvernement prend pleinement la mesure de cette menace ? Par quelles actions concrètes et immédiates comptez-vous sécuriser ces structures et protéger les jeunes qui y sont accueillis ? Envisagez-vous, par exemple, de renforcer les contrôles tant des établissements que des personnels et des associations concernés ?

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Les jeunes vulnérables sont effectivement des proies faciles pour la radicalisation comme pour la prostitution. S’agissant de la première, je ne dispose pas de données permettant d’affirmer que les foyers de protection de l’enfance seraient, à ce jour, infiltrés. Le groupe d’appui neutralité, instauré dans le cadre de la protection de l’enfance, est toutefois censé jouer un rôle de veille et de prévention face aux atteintes à la laïcité et aux risques de radicalisation au sein de structures accueillant des mineurs. Des référents laïcité et citoyenneté figurent dans les directions interrégionales et territoriales de la PJJ, ainsi que dans son école nationale ; vous en trouverez également au niveau national, rattachés à la mission nationale de veille et d’information. Ils peuvent être saisis par les professionnels de terrain et analysent les situations signalées : nous disposons donc d’un instrument en mesure de prévenir les atteintes à la laïcité, de soutenir les professionnels et de promouvoir auprès des jeunes les valeurs républicaines.
    Je profite de ce que nous évoquons les jeunes vulnérables pour ajouter quelques mots au sujet de la prostitution, autre attaque très importante qui ne cible d’ailleurs pas que les jeunes de l’ASE –⁠ entre 6 000 et 10 000 mineurs seraient victimes d’exploitation sexuelle dans notre pays. Concernant l’ASE, nous soutenons plus de quarante projets, ce qui représente, au titre du budget 2025, 6 millions d’euros. Il faut former les professionnels, développer des outils en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), mener un travail de repérage lors de maraudes de rue et dans le monde numérique. Il faut éloigner les victimes des proxénètes en développant, dans tout le territoire, une offre d’hébergement, notamment grâce au réseau de l’association Koutcha ou encore, dans le Nord, à l’accueil Gaïa, qui propose aux victimes un accompagnement à 360 degrés, aussi bien sanitaire qu’éducatif.

    M. le président

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    La parole est à Mme Béatrice Roullaud.

    Mme Béatrice Roullaud (RN)

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    « La maltraitance subie par les enfants est un phénomène peu connu du grand public », pouvait-on lire dans la partie consacrée à la protection de l’enfance du « Projet pour la France de Marine Le Pen » en 2022. Peu de gens savent, en effet, que cinq enfants meurent chaque semaine en raison de maltraitances régulières. Ce chiffre de l’association L’Enfant bleu devrait être porté à deux par jour selon le professeur Bernard Hœrni, ancien président du Conseil national de l’Ordre des médecins.
    Les enfants en danger ou victimes, parfois dès le plus jeune âge, sont mal et peu repérés, donc pris en charge tardivement. Un bébé de 2 mois tué à coups de poing par son père toxicomane, connu pour des faits de violences, avait ainsi été auparavant hospitalisé, puis remis à ses parents. Citons encore le petit Bastien, âgé de 3 ans, régulièrement maltraité, au sujet de qui les services sociaux avaient transmis maints signalements et informations préoccupantes –⁠ mort enfermé dans le tambour d’un lave-linge en marche ! De tels exemples montrent que l’État, pourtant informé de faits de violences, peine à protéger ces enfants.
    Dans son projet pour 2022, Marine Le Pen avait proposé d’excellentes mesures : constituer dans chaque département une équipe chargée d’évaluer la situation sans avoir de liens antérieurs avec la famille, échappant ainsi au conflit moral qui est souvent celui des personnels sociaux ; rendre obligatoire un référentiel unique afin d’éviter les disparités entre départements et de permettre une évaluation objective ; mettre à l’abri, le temps de l’enquête, les enfants victimes ; les faire bénéficier de l’assistance d’un avocat ; favoriser le placement chez un membre de la famille autre que les parents ; recentraliser l’ASE et instaurer un droit de visite des parlementaires dans les établissements accueillant ces enfants.
    Certaines de ces mesures ont été reprises par le législateur –⁠ la loi du 18 mars 2024 prévoit ainsi d’écarter l’enfant du parent violent durant le temps de la procédure. D’autres, comme le référentiel unique, attendent un décret d’application –⁠ peut-être a-t-il été publié. D’autres encore ont été préconisées par la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, dont j’ai été vice-présidente.

    M. le président

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    Merci de conclure, madame Roullaud.

    Mme Béatrice Roullaud

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    Je finis, monsieur le président !
    Il s’agit notamment de deux propositions : la première concerne la présence obligatoire de l’avocat, rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle, devant les instances civiles et pénales,… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice, qui continue de parler.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre.

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Je crois avoir évoqué dans mon propos liminaire le sujet de la recentralisation.

    Mme Béatrice Roullaud

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    En effet !

    Mme Catherine Vautrin, ministre

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    Le référentiel unique existe. Le placement auprès d’un membre de la famille proche a été rendu possible par la loi Taquet. La présence de l’avocat fait l’objet de discussions avec le ministère de la justice –⁠ sa présence dans le cadre d’un procès, mais aussi sa présence comme référent, accompagnant le jeune, à défaut d’un membre de la famille. En tout état de cause, la place de l’avocat mérite de faire l’objet d’une réflexion.
    Je profite du temps de parole qui me reste pour répondre au dernier point de l’intervention de Mme Bergantz : nous connaissons d’autant mieux la fondation Break Poverty qu’elle a bénéficié de subventions financées par la direction générale de la cohésion sociale. Ce mentorat est tout à fait intéressant. Break Poverty propose une boîte à outils en lien avec l’accompagnement des jeunes de l’ASE.
    Si ces initiatives sont indispensables, c’est qu’il est essentiel que les jeunes de l’aide sociale aient des adultes qui les soutiennent, les accompagnent, les guident dans leur réflexion, notamment dans leur recherche d’orientation et d’insertion. Nous devons poursuivre en ce sens avec la sphère associative et les entreprises, dont plusieurs sont très engagées –⁠ voyez Céline Greco : mentorat, parrainages, offres de stage, insertion, accès à la culture. Il importe toutefois que les personnes qui s’engagent soient un peu formées : elles ont une vraie responsabilité. Les choses ne sont pas toujours faciles avec ces enfants fracassés qui ont besoin d’être accompagnés. Que la société s’engage aux côtés de l’État et des collectivités constitue une très belle réponse.

    M. le président

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    Le débat est clos.

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

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    Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
    Questions sur le thème : « Quelles réponses à la dissémination inquiétante et à la violence exacerbée du crime organisé en France ? »
    La séance est levée.

    (La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra