XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025

Première séance du jeudi 27 mars 2025

Sommaire détaillé
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Première séance du jeudi 27 mars 2025

Présidence de Mme Clémence Guetté
vice-présidente

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à neuf heures.)

    1. Transparence, efficacité et impact de l’aide publique au développement

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle les questions sur le thème : « Transparence, efficacité et impact de l’aide publique au développement ».
    Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
    La parole est à M. Guillaume Bigot.

    M. Guillaume Bigot (RN)

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    Lorsque la commission des finances m’a confié, à la fin de l’été, la rédaction d’un rapport pour avis sur l’aide publique au développement (APD), j’étais loin d’imaginer quels scandales j’allais découvrir. Je croyais que l’APD fournissait de l’aide humanitaire et de la coopération essentielles à des pays pauvres, à des pays amis, à des pays francophones. Il n’en est rien. On aide des pays qui n’en ont pas besoin ; on aide des pays hostiles ; on aide des entreprises privées. On finance tout, et souvent n’importe quoi.
    Première surprise : 40 % de notre aide est servie à des bureaucraties mondialisées. On donne ainsi 2 milliards d’euros par an à l’Union européenne pour qu’elle fournisse sa propre aide au développement, qui concurrence la nôtre, alors que la Cour des comptes européenne dénonce, rapport après rapport, une épouvantable gabegie. Mais chaque année nous payons. Pourquoi ?
    Depuis 2017, on a versé 25 milliards d’euros à des organisations internationales et à des fonds multilatéraux. Qui peut contrôler ces flux financiers ? Pas la Cour des comptes, qui avoue en perdre son latin ! Vous l’admettrez, monsieur le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, cela pose un problème de consentement à l’impôt.
    Notre aide publique au développement est aussi une aide bilatérale. Dans ce cadre, depuis 2017, nous avons donné 1,6 milliard d’euros aux pays du Sahel, qui, presque tous, nous ont chassés. Au lieu de tirer des conséquences de ces échecs, nous avons continué à payer, autrement dit à payer pour payer. Dans quel but ?
    Nous saupoudrons désormais l’aide auprès de 150 pays, alors que nous n’avons aucun lien avec beaucoup d’entre eux. Notre aide est souvent imbibée d’idéologie. Par exemple, la France a versé plus de 51 millions d’euros pour l’égalité des genres en Albanie. Quel en est le bénéfice pour la France ? Où est la cohérence ?
    Aux Comores, pays hostile, j’ai essayé de comprendre notre action, ligne par ligne, projet par projet. Sans faire de jeu de mots, je n’ai pas été déçu du voyage ! Nous finançons là-bas tout ce qui manque à Mayotte, lorsque nous ne finançons pas des entreprises chinoises, qui s’attribuent le mérite de notre générosité. Par exemple, nous finançons le développement d’un système d’assurance maladie universelle –⁠ qui ne fonctionne plus chez nous et ne fonctionnera jamais là-bas. Nous finançons du matériel dernier cri pour des hôpitaux sans médecins et sans patients –⁠ pour ceux que j’ai pu voir. Nous finançons des écoles sans professeurs et sans élèves –⁠ pour celles que j’ai pu visiter. Alors que l’on ferme des lits d’hôpitaux et des classes dans le Territoire de Belfort, on finance des hôpitaux et des salles de classe vides à Moroni.

    Mme Clémence Guetté

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    Merci, cher collègue.

    M. Guillaume Bigot

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    Nous avons doublé l’aide aux Comores pour ralentir le flux de migrants. Or il y a davantage de migrants à Mayotte. Nous ne sommes pas opposés à l’APD, mais nous réclamons un moratoire permettant de vérifier, pays par pays, projet par projet, ligne budgétaire par ligne budgétaire… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux

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    Monsieur le député, je tiens vraiment à vous remercier pour cette question et pour ce débat, qui est l’occasion d’une discussion saine entre nous et va me permettre de battre en brèche quelques contrevérités, dans un contexte international où nos concitoyens nous écoutent pour mieux saisir ce qui se passe. Il est très important pour moi de recueillir la parole et l’avis des parlementaires, et je souhaite partager avec vous trois fondamentaux.
    Premièrement, dans un contexte international brutal et inquiétant, devenu à juste titre la première préoccupation des Français, notre politique de développement est plus que jamais indispensable. Les pandémies et les phénomènes météorologiques extrêmes ne connaissent pas de frontières –⁠ nous l’avons vu à Mayotte, puis à La Réunion. La réponse ne peut être qu’internationale et ambitieuse. C’est une responsabilité de notre pays, puissance d’équilibre –⁠ voilà ce que je crois. C’est une fierté pour nos compatriotes. C’est un positionnement politique, que nous assumons. Notre aide est profondément politique.
    Deuxièmement, notre politique vise notamment à protéger les Français, leur sécurité, leur prospérité. Nos actions concrétisent des partenariats à l’appui de nos intérêts stratégiques, économiques ou migratoires. Les entreprises françaises bénéficient d’un nombre considérable de nos projets.
    Troisièmement, notre politique est contrôlée et évaluée, comme toutes les politiques publiques, et même davantage –⁠ j’y reviendrai au cours de ce débat.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Guillaume Bigot, pour une seconde question.

    M. Guillaume Bigot (RN)

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    Dans le cadre de ce débat, nous n’avons guère le temps d’un échange. Je vais donc vous poser des questions plus précises, à propos des effets économiques de notre APD.
    Combien d’entreprises chinoises bénéficient de nos largesses au titre des appels d’offres du groupe Agence française de développement (AFD) ou de l’Union européenne ? Vous devriez le savoir puisqu’il y a un an, l’Élysée a exigé cette information.
    L’AFD nous explique que la moitié des appels d’offres ouverts sont remportés par des entreprises françaises. Tout cela est bel et bon, mais il va falloir que vous nous expliquiez quel est précisément le mode de calcul. Je préviens : si, comme on me le dit, il suffit qu’une entreprise française ait décroché une infime part du marché pour que l’on considère que l’appel d’offres a été remporté par une entreprise française, on s’approche, vous en conviendrez, de l’escroquerie intellectuelle.
    Plus grave encore : d’après ce que m’a confié un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay lors de l’une des auditions que j’ai menées pour élaborer mon rapport pour avis, les représentants de l’État ne sont pas majoritaires au conseil d’administration de l’AFD précisément pour éviter que les 50 milliards de fonds prêtés par l’AFD ne soient ajoutés à la dette française.
    Je vous remercie de bien vouloir clarifier ces points.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Commençons par une chose très claire : les Chinois ne reçoivent aucun euro qui sorte de la poche des contribuables français. Ils peuvent bénéficier de prêts de l’AFD, financés sur le marché. Ils les remboursent, donc l’AFD y gagne. Aucun don ne leur est versé.
    En cohérence avec les recommandations de l’OCDE sur l’efficacité de l’aide publique au développement, l’AFD dispose d’un mandat d’aide déliée. L’aide liée n’est possible qu’à certaines conditions. En France, elle prend surtout la forme de prêts concessionnels du Trésor à des États partenaires pour des projets non rentables, la part française étant de 70 %.
    L’aide déliée représente 87 % des engagements de l’APD bilatérale de la France. Au demeurant, le déliement de l’aide n’est pas incompatible avec la promotion des intérêts économiques. Il est d’autant plus légitime que nos entreprises sont mondialement reconnues dans le domaine du développement durable. Citons à cet égard Suez, Veolia, Saint-Gobain, Alstom ou la RATP. Je pense aussi aux grandes entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP) –⁠ entre autres, Vinci, Colas, Razel-Bec – et aux nombreux bureaux d’études qui font rayonner l’ingénierie française.
    Le Conseil présidentiel du développement (CPD) a réaffirmé en 2023 l’objectif de promotion de nos intérêts économiques. Le Conseil présidentiel des partenariats internationaux, qui se réunira en avril, renforcera cette dimension. Nous avons ainsi identifié sept filières stratégiques dans lesquelles l’offre française est compétitive à l’échelle mondiale : la ville durable, la santé, l’agriculture, les transports, le numérique, l’énergie, les industries culturelles et créatives. Telle est la réalité ; elle tranche avec les contrevérités assénées régulièrement dans les médias.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Kévin Pfeffer.

    M. Kévin Pfeffer (RN)

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    Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence devant nous ce matin.
    Entre 2017 et 2023, 271 organisations internationales et fonds multilatéraux ont perçu directement ou indirectement des financements publics français –⁠ sachant que 150 nouveaux bénéficiaires sont apparus depuis 1990. Les contributions internationales françaises ont représenté, sur ces six années, plus de 25 milliards d’euros, dont 72 % sont des contributions volontaires, donc non obligatoires. Bien sûr, tout cela s’ajoute à notre contribution au budget de l’Union européenne. En la matière, il n’y a ni véritable contrôle ni véritable transparence. Et ce n’est pas moi qui le dis : cela ressort d’un rapport de la Cour des comptes. Même les audits des Nations unies pointent des évaporations et un manque de traçabilité.
    Tout cela laisse bien évidemment un goût amer aux Français, alors que l’argent manque partout. D’autant plus que la France, contrairement à ses partenaires, s’oppose au principe du fléchage de ces aides. En d’autres termes, nous nous soucions peu du devenir et de l’utilisation de cet argent, généreusement offert à d’autres, alors que sa destination devrait correspondre à nos priorités politiques.
    Pire encore, la France abonde deux fois un bon nombre de fonds multilatéraux. Je pense, entre autres, au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, au Programme alimentaire mondial (Pam), au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Tous ces fonds sont abondés une première fois directement par la France, mais aussi une deuxième fois par la France via l’Union européenne. Ainsi, en 2022, notre pays a versé 2,9 milliards d’euros pour l’aide publique au développement européenne, laquelle a ensuite été répartie entre ces mêmes fonds.
    L’aide publique au développement française doit être réorientée. Les contributions doivent être d’un montant plus faible, davantage ciblées, et alignées sur les intérêts politiques et économiques des Français. Comment le gouvernement compte-t-il reprendre la main sur l’aide publique au développement et contrôler enfin la destination réelle de nos contributions multilatérales ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    À vous entendre, notre politique de développement manquerait de pilotage. Je dirais plutôt que nos efforts en la matière sont mal connus. Mener une politique publique efficace suppose d’avoir défini des objectifs clairs et mesurables et de conduire des évaluations rigoureuses. Or nous avons ces deux éléments.
    La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que vous avez adoptée ici à l’unanimité, a doté notre politique de priorités claires. Le Conseil présidentiel du développement a fixé en 2023 dix objectifs prioritaires mesurables. L’atteinte de ces objectifs est évaluée à tous les niveaux de manière rigoureuse.
    Ainsi, un service spécifique du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) est chargé de l’évaluation et de la mesure de l’impact, y compris au moyen d’audits externes. De même, l’AFD dispose d’équipes dédiées pour évaluer et faire évaluer ses interventions : 100 % des projets font l’objet d’une évaluation technique de fin de projet et d’une analyse des résultats ex post ; 50 % des projets font l’objet d’une évaluation indépendante externe ; des dispositifs complets sont évalués. Chaque année, l’AFD publie un rapport de synthèse de ces évaluations. Chaque année, elle organise une dizaine de réunions de son conseil d’administration, où les parlementaires sont présents. Chaque année, elle rend compte au cours d’une centaine d’auditions.
    Les outils sont là. L’évaluation scientifique de l’impact est également au cœur du mandat du fonds d’innovation pour le développement (FID).

    M. Hervé Berville

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    Très bien !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Enfin, une commission d’évaluation de l’aide publique au développement, qui contribuera à cet effort, verra bientôt le jour.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Kévin Pfeffer, pour une seconde question.

    M. Kévin Pfeffer (RN)

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    Le gaspillage de l’argent et l’inefficacité de notre aide publique au développement résultent selon moi de plusieurs facteurs. D’abord, pour ce qui est des objectifs, contrairement à ce que vous avez dit, cela part dans tous les sens : aux objectifs classiques de développement de la santé, de l’éducation ou de l’agriculture dans les pays en développement ont été ajoutées, au fil des années et des modes –⁠ il faut bien le dire –, de nombreuses autres thématiques telles que le climat, l’environnement, la bonne gouvernance, l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore le développement du sport. Ensuite, notre aide pâtit de sa dispersion géographique. Adieu la liste de dix-neuf pays prioritaires ! En 2025, nous allons aider pas moins de 150 pays !
    L’illisibilité de notre aide publique au développement tient également à la diversité des canaux de financement : elle mobilise pas moins de vingt-quatre programmes budgétaires de différents ministères. Qui plus est, dans cet ensemble n’est même pas comptabilisé l’argent dilapidé –⁠ c’est le terme – par nos collectivités locales. Régions, départements et métropoles pensent toutes et tous jouer un rôle utile en distribuant de l’aide internationale au fil des actualités et des jumelages.
    Pour toutes ces raisons, l’aide publique au développement que la France consent au monde est de plus en plus diluée, donc de moins en moins visible aux yeux des populations aidées. Nous nous réjouissons que le ministre Barrot ait enfin signé le décret qui instaure la commission d’évaluation de l’aide publique au développement. En effet, hormis l’aide humanitaire d’urgence, tout devrait être stoppé puis examiné, pays par pays, projet par projet.
    En revanche, nous ne sommes guère rassurés par la composition que l’on nous annonce pour cette commission. Elle est en fait très similaire à celle du conseil d’administration de l’Agence française de développement. Or nous pensons que les acteurs qui distribuent les aides ne peuvent pas être aussi ceux qui contrôlent leur bonne distribution –⁠ à l’opposé de ce que vous avez décrit à l’instant. Nous regrettons l’absence, dans cette commission, de personnes issues de la société civile ou de représentants d’associations de défense des contribuables. Quels éléments garantiront l’efficacité de cette commission et la totale transparence de ses missions de contrôle ? Avec une dette de 3 300 milliards d’euros, les Français ont d’urgence besoin que l’on mette un coup d’arrêt aux mauvaises dépenses publiques !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Votre question fait écho à d’autres voix qui, ces dernières semaines, ont remis en cause l’utilité et les fondements de notre politique de partenariats internationaux. La suppression de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui sauvait pourtant des vies, a suscité ici des vocations.

    M. Kévin Pfeffer

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    Nous avons eu l’idée avant !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    On s’en prend ainsi à une politique à laquelle les Français sont pourtant attachés.
    Face aux désordres du monde, jamais ce que nous faisons n’a été aussi nécessaire. Récentes catastrophes climatiques à Mayotte et à La Réunion, pandémie, guerres, drames migratoires dans un monde globalisé : rares sont les défis qui connaissent des frontières. Pour y faire face, il n’y a pas d’autre solution que de mener une action globale et coordonnée. Certains marchands de doutes voudraient nous faire croire que les problèmes du monde s’arrêtent à nos portes : c’est oublier que si le monde brûle, nous brûlerons aussi !
    Les Français ne doutent pas de l’utilité de notre action…

    M. Kévin Pfeffer

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    Si, ils en doutent beaucoup !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    …et ils sont fiers quand la France tient son rang sur la scène internationale.
    Il est légitime en revanche de s’assurer que cette action soit à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi je souhaite recentrer le débat sur le terrain de l’efficacité de notre politique. L’efficacité est notre boussole et il est toujours possible d’améliorer une politique. Le gouvernement y travaille activement depuis de nombreuses années, plus particulièrement depuis 2017 sous l’impulsion du président de la République.
    L’efficacité de nos actions peut être appréciée au regard des objectifs clairs qui ont été fixés par la loi du 4 août 2021 dont je rappelle qu’elle fut votée à l’unanimité…

    M. Jean-Paul Lecoq

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    …moins les abstentions !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Ces objectifs seront révisés à l’aune du contexte international lors du prochain conseil présidentiel pour les partenariats internationaux.
    L’efficacité de nos actions se mesure à l’évaluation qui doit en être faite, aussi avons-nous prévu des indicateurs à cette fin. Par ailleurs, une commission d’évaluation de l’APD est en cours de constitution.
    En bref, nous tenons compte de vos idées et l’efficacité demeure la boussole de notre action.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Guiniot.

    M. Michel Guiniot (RN)

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    L’APD est un ensemble de flux financiers ayant pour but de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays en développement.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Ça, c’est juste !

    M. Michel Guiniot

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    La France est le quatrième plus grand donateur de l’APD au niveau mondial : en 2022, elle y a consacré 15,3 milliards d’euros, soit 0,56 % du revenu national brut.
    L’ONU établit annuellement un classement des pays selon leur indice de développement humain. La France, septième du classement en 1990, a chuté à la vingt-huitième place en 2022. Selon le dernier rapport publié, nous avons perdu trois places depuis 2015 tandis que, sur la même période, l’Algérie, pays que nous aidons largement, a gagné cinq places pour être considéré, depuis le milieu des années 2000, comme un pays au développement humain élevé.
    Si nos relations politiques avec l’Algérie se sont particulièrement dégradées, ce n’est pas le cas de nos relations économiques. Le solde commercial entre la France et l’Algérie est négatif depuis 2020 et le déficit supérieur à 1 milliard. Dans le même temps, en 2022, le montant global de l’APD engagé par la France en faveur de l’Algérie dépassait 130 millions d’euros, dont 1,5 million alloué par l’AFD au titre de l’accompagnement des projets algériens de développement économique. Il est à préciser qu’à la fin de la coopération franco-algérienne, en 1962, nous avons alloué une aide financière annuelle de 1,6 milliard. Dernièrement, 20 millions d’euros ont été alloués par l’AFD au titre du programme d’appui à la transition de l’Algérie vers une économie verte et circulaire.
    Nous ne tirons aucun bénéfice, même commercial, de toutes ces sommes d’argent versées depuis cinquante ans : l’argent n’achète pas tout et encore moins les alliés !

    Mme Dieynaba Diop

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    C’est honteux !

    M. Michel Guiniot

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    Manifestement, nous pouvons nous poser la question de l’efficacité de l’AFD au profit de l’Algérie. Monsieur le ministre, alors que des familles françaises ont été endeuillées par les actions malfaisantes de ressortissants algériens sur le territoire, les ministres de votre gouvernement peinent à faire entendre la voix de la France. Quels enseignements tirer de cinquante années d’aide au développement de l’Algérie ? Pourriez-vous m’indiquer la totalité des financements… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur dont le temps de parole est écoulé.)

    Mme Sabrina Sebaihi et Mme Dieynaba Diop

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    C’est une obsession !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    On raconte beaucoup de choses sur notre relation avec l’Algérie pour instrumentaliser la crise actuelle !
    S’agissant de notre APD, revenons aux faits. Si l’APD bilatérale avec l’Algérie s’est élevée à 136 millions d’euros en 2023, 94 % de ce montant correspond à des bourses à destination d’étudiants algériens qui étudient en France. Aucune aide à destination du territoire algérien n’est programmée en 2025, ni sur les crédits de l’État, ni via l’AFD. Pour être plus précis, l’OCDE comptabilise les bourses versées au bénéfice de citoyens de pays en développement au titre de l’APD. C’est en raison de ces règles de valorisation des dépenses dans les classements OCDE que les bourses apparaissent mais elles ne représentent pas un soutien financier à l’Algérie.

    M. Michel Guiniot

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    Ah bon ?

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Il faut arrêter de fantasmer !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Les bourses sont inscrites dans les programmes budgétaires du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche – et non de la mission APD. Elles relèvent de notre politique d’attractivité et nous permettent d’attirer les bons étudiants dans nos universités, ce qui est essentiel pour l’économie, la recherche française et l’emploi. Les futurs médecins, ingénieurs, entrepreneurs qui étudient en France y apprennent notre langue et nos valeurs : les bourses nous permettent ainsi de consolider nos liens avec les élites algériennes de demain. Or si nous entretenons des liens complexes avec l’Algérie, ils sont d’une densité sans équivalent, bâtis sur des intérêts partagés.
    En ce qui concerne nos relations avec l’Algérie, nous avons eu l’occasion de le dire : nous sommes fermes sur les principes mais il n’y a pas d’avantage à nous enfermer dans un bras de fer stérile. Sortons du ring, s’il vous plaît ! Nous ne sommes pas à l’origine des tensions actuelles qui ne sont dans l’intérêt de personne et nous voulons en sortir par le haut, dans le respect, l’exigence et la franchise en cherchant des points de convergence et en rappelant les leviers dont nous disposons. Telle est notre politique ! (MM. Hervé Berville et Karim Ben Cheikh applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Guiniot pour une seconde question.

    M. Michel Guiniot (RN)

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    En 2025, le budget de notre APD s’élève à plus de 10 milliards d’euros d’argent public : c’est colossal ! Dans une période de disette budgétaire et alors que de gros efforts sont demandés aux contribuables, il convient que les milliards d’euros employés pour le développement des autres pays fassent l’objet d’un contrôle.
    En commission, certaines des réponses du directeur de l’AFD nous ont laissés particulièrement perplexes. J’espère donc que vous pourrez nous éclairer. En premier lieu, comment expliquer que les contrats d’objectifs et de moyens (COM) liant l’agence à l’État soient systématiquement transmis au Parlement avec un retard significatif ? Le contrat 2017-2019 a été communiqué en novembre 2018, le contrat 2020-2022, en juin 2021 et nous n’avons pour l’instant aucune nouvelle du contrat 2023-2025. Le directeur de l’AFD a rejeté la responsabilité de ces manquements répétés sur le gouvernement. Qu’en est-il ?
    La loi du 4 août 2021 imposait d’augmenter la composante bilatérale de l’aide afin qu’elle atteigne 65 % du total. Or en 2023, elle représentait seulement 57 % de celui-ci. Sur ce point aussi le directeur de l’AFD s’est défaussé de toute responsabilité, rappelant qu’il n’était qu’un simple exécutant. Qu’en penser ?
    Enfin, interrogé sur la dégringolade de l’AFD au sein du classement international de transparence de l’aide au développement, le directeur a indiqué que l’agence restait en bonne place : considérez-vous qu’un classement au trente-cinquième rang sur cinquante est satisfaisant ? Qui tire vraiment les ficelles de l’AFD : …

    M. Jean-Paul Lecoq

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    L’Élysée ! C’est le domaine réservé du président !

    M. Frédéric Petit

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    Le conseil d’administration !

    M. Michel Guiniot

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    …son directeur, qui rejette toute responsabilité, ou les ministères de tutelle, qui semblent désarmés face à la toute-puissance de l’agence ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    J’entends souvent dire que l’AFD, notre principal opérateur, serait insuffisamment pilotée par l’État et le Parlement. Permettez-moi de rappeler ici quelques faits qui démontreront tout le contraire.
    L’État, unique actionnaire de l’AFD, exerce un contrôle strict sur cette agence, en particulier par l’intermédiaire des ministères des affaires étrangères d’une part, de l’économie et des finances, d’autre part, qui pilotent les crédits votés par le Parlement pour la mission Aide publique au développement. Chaque année, le ministère des affaires étrangères arrête le programme des projets financés par le programme 209. Ces crédits sont ensuite utilisés conformément aux objectifs que l’État assigne à ces opérateurs, reflétés dans les COM dont le Parlement est saisi pour avis. Dans le cas de l’AFD, 95 % des objectifs du dernier COM, que je m’engage à actualiser, sont atteints.
    L’État exerce aussi un droit de regard sur tous les projets de l’AFD : chacun d’entre eux est soumis à l’ambassadeur de France concerné qui rend un avis au début et à la fin de l’instruction du projet et suit son évolution. Les projets sont approuvés par le conseil d’administration de l’agence au sein duquel siègent des parlementaires. Le Parlement exerce ainsi un rôle clé en matière de gouvernance de l’AFD ! Je ne dis pas que tout va bien mais, s’il y a des choses à améliorer, ce qui est certain, nous y travaillons.

    M. Michel Guiniot

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    Nous espérons que cela ira plus vite encore !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Par ailleurs, je m’engage à ce qu’une mission de contrôle soit prévue dans le COM qui sera bientôt signé.

    M. Hervé Berville

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Amélia Lakrafi.

    Mme Amélia Lakrafi (EPR)

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    L’APD est actuellement remise en cause, notamment aux États-Unis :

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Et au RN !

    Mme Amélia Lakrafi

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    …les programmes de l’USAID y ont été suspendus par le président Trump, ce qui affecte des initiatives humanitaires et de développement. En France, malgré une conjoncture budgétaire obligeant à modérer les ambitions, l’engagement en faveur de l’APD n’est pas remis en question mais l’offensive idéologique contre cette aide est relayée –⁠ elle l’est aussi ailleurs en Europe –⁠ : l’attaque de Sarah Knafo contre le soutien financier au programme sud-africain du Zip Zap Circus en constitue un exemple affligeant.
    Ce projet, piloté par une Française, qui a sorti des milliers de jeunes de la rue et qui fait rayonner internationalement l’une de notre compatriote, ne mérite pas cette critique infondée. Pour m’être rendue sur place il y a huit ans –⁠ l’Afrique du Sud est un pays de ma circonscription – je peux personnellement témoigner de sa valeur. Je trouve très grave de critiquer sans connaître.
    Rappelons que tous les projets soutenus par l’AFD font l’objet de processus d’examen rigoureux même si, parmi les 9 000 projets soutenus chaque année, certains peuvent passer au travers des mailles du filet.
    Notre APD est très précieuse, surtout dans le contexte du repli américain : elle sauve des vies, autonomise des femmes, prévient les conflits et assure une image positive de notre pays. À l’écoute de certains discours, je m’interroge : où est notre humanité quand des bébés meurent encore de faim en 2025 ? Où est-elle quand 9 millions de personnes, soit la population de près de dix-sept circonscriptions, sont mortes du sous-développement en 2023 ? Voulons-nous la fin de l’APD ? L’enjeu est clair : comment mieux communiquer sur notre APD pour contrer cette désinformation ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Je vous remercie pour cette question qui touche un point essentiel : en matière d’aide au développement comme pour toute politique publique, faire ne suffit jamais et il faut aussi faire savoir !
    L’enjeu est double : sur le terrain, les bénéficiaires de nos projets doivent savoir qu’ils sont aidés par la France. Je vous annonce que nous avons mis en place un logo « France » unique avec notre drapeau que nous imposerons partout où nos projets se déploient, quel que soit l’opérateur. Ainsi notre action participera-t-elle au rayonnement de la France partout dans le monde ; nos projets seront plus visibles et plus lisibles et appuieront notre diplomatie.
    Deuxièmement, en France même, nous devons mieux faire connaître à nos concitoyens le sens concret et le fonctionnement de nos actions internationales. Par exemple, l’AFD opère principalement sous forme de prêts : ils représentent 85 % de son activité. Cette donnée simple et vérifiable est pourtant déformée. J’ai pris l’initiative de lancer de courtes vidéos hebdomadaires sur les réseaux sociaux : les #DiploDev –⁠ que vous avez peut-être vues – afin de présenter concrètement un projet sur le terrain et d’exposer à quels besoins il répond et comment il sert les intérêts de la France.
    Nous devons aussi communiquer sur l’impact de notre action. En 2023, grâce à l’AFD, pour ne citer que quelques exemples, 1,5 million de femmes ont vu leur situation améliorée, 59 millions de personnes ont bénéficié d’un accès amélioré à des services essentiels et 12 millions de personnes ont accédé à l’eau potable.
    Ainsi, nous nous attachons à mieux communiquer pour que nos concitoyens et ceux des autres pays sachent que la France participe à l’équilibre du monde.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hervé Berville.

    M. Hervé Berville (EPR)

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    Il est salutaire de débattre de la transparence, de l’efficacité et de l’impact de l’APD. Nous attendons tous ce moment depuis 2017 ! La loi du 4 août 2021 prévoit d’ailleurs la tenue d’un débat annuel sur ce sujet. Appliquons-la ! Cela nous permettra de lutter contre la désinformation et de réaffirmer nos priorités ainsi que les souhaits du Parlement en la matière.
    Il est nécessaire et essentiel de rappeler que l’aide publique au développement –⁠ je n’aime pas ce terme qui recouvre beaucoup de choses – est utile et qu’elle a un réel effet mais aussi qu’elle ne fait pas l’objet de cachotteries ni de dissimulations vis-à-vis de nos concitoyens.
    Raisonnons par l’absurde. Sans l’aide publique au développement, 24 millions d’enfants n’auraient pas pu apprendre dans de bonnes conditions. De même, dans le domaine de la santé, 135 millions de personnes n’auraient pas eu accès aux soins et 65 millions d’enfants n’auraient pas été vaccinés. Enfin, sur le plan humanitaire, 23 millions de personnes n’auraient pas eu accès à l’eau potable. Face à de telles situations d’urgence, au moins, l’aide publique au développement a montré son utilité.
    Bien sûr, il faut encore progresser. Notre action doit avoir encore plus de poids et nous devons mieux l’évaluer. C’est la raison pour laquelle, depuis 2017, nous avons créé, d’une part, le fonds d’innovation pour le développement, avec pour ambition d’accroître l’impact de notre action dans le monde et, d’autre part –⁠ et je m’en réjouis – la commission d’évaluation, indépendante, de l’aide publique au développement.
    À présent, nous devons établir rapidement un programme de travail, mettre en avant les effets positifs de notre action et améliorer ses résultats pour le monde mais aussi pour nos concitoyens car cette politique fait l’honneur de notre pays.

    Mme Amélia Lakrafi

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Face à l’importance des enjeux, l’efficacité doit être la boussole de nos actions. C’est une préoccupation de longue date puisque nous célébrons les 20 ans de la déclaration de Paris de 2005 sur l’efficacité de l’aide publique au développement.
    Cette exigence est d’autant plus forte que la situation budgétaire impose de faire mieux avec des moyens contraints. Beaucoup a été accompli –⁠ je tiens à le souligner – pour renforcer l’efficacité des projets au niveau national, européen et international. En 2023, le Conseil présidentiel du développement a fixé dix objectifs sectoriels prioritaires, auxquels s’ajoute un objectif géographique : consacrer 50 % de notre aide aux pays les moins avancés. Sur le terrain, les conseils locaux de développement et les stratégies d’investissement solidaire sont pilotés par les ambassades.
    Chaque année, l’AFD fait évaluer un grand nombre de ses interventions, avant, pendant et à la fin de celles-ci. Chaque projet fait l’objet d’une étude d’impact avec des indicateurs de résultats. S’y ajoute une évaluation indépendante externe. C’est ainsi que nous avons appris, par exemple, que 59 millions de personnes avaient eu accès, grâce à nous, à des services essentiels –⁠ en plus des exemples que vous avez cités.
    L’évaluation scientifique de l’impact est aussi au cœur du mandat du fonds d’innovation pour le développement, hébergé à l’AFD et présidé par Esther Duflo, prix Nobel d’économie.
    Vous l’avez dit, une commission d’évaluation, indépendante, de l’APD a par ailleurs été créée, conformément à la demande que vous avez formulée en 2021. Nous visons la même efficacité au niveau européen pour que les financements soient alignés avec nos priorités et que les actions soient bien coordonnées. C’est l’objet des négociations que nous menons en vue du prochain cadre financier pluriannuel.
    L’efficacité guide enfin nos contributions aux organisations multilatérales pour que leur impact soit plus fort.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hervé Berville, pour sa deuxième question.

    M. Hervé Berville (EPR)

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    Face à l’offensive idéologique de l’internationale réactionnaire, il nous faut améliorer certains aspects de notre politique, non pas parce qu’elle serait inefficace mais parce que le cadre international est nouveau –⁠ le monde a changé depuis 2017 – et que les priorités de nos concitoyens ne sont plus les mêmes qu’il y a cinq ans.
    Nous assumons nos valeurs de solidarité et de partage ainsi que notre volonté d’apporter une réponse commune face à des enjeux communs, comme le dérèglement climatique. On ne peut pas dire, comme certains ici, qu’il ne faut rien faire en matière d’écologie parce que les pays émergents sont responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre et nous reprocher dans le même temps de mener une politique de coopération afin de les aider à résoudre ce problème.
    Cependant il est essentiel, pour le groupe auquel j’appartiens, de rappeler qu’il n’y a pas de contradiction entre, d’un côté, l’affirmation de nos valeurs et les actions de solidarité et, de l’autre, la poursuite de nos intérêts commerciaux et la volonté de renforcer l’influence de la France et son rayonnement.
    Monsieur le ministre, que pouvons-nous faire pour inclure davantage les petites et moyennes entreprises dans les appels d’offres de l’Agence française de développement –⁠ même si nous constatons une amélioration majeure depuis plus de dix ans ?
    D’autre part, quelles mesures prioritaires seront prises au cours des prochaines années pour accroître l’impact de notre action en matière d’éducation, de santé ou de lutte contre le dérèglement climatique ? Il est important de savoir, non pas seulement si des écoles ou des hôpitaux ont été construits, mais surtout si, par exemple, les taux de scolarisation et d’apprentissage ont augmenté ou si le taux de mortalité infantile a reculé. Bref nous devons davantage nous concentrer sur les effets à long terme plutôt qu’immédiats.
    Je me réjouis qu’un tel débat se tienne ce matin. Notre politique d’aide au développement, qui est évaluée et scrutée, fait l’honneur de notre pays. Nous continuerons de la mener.

    Mme Amélia Lakrafi

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Le coût de notre politique d’aide au développement doit être apprécié à la hauteur de son rôle stabilisateur dans le monde et de ses bénéfices pour les Français. Avec l’impératif de solidarité qui fait l’honneur de la France, l’APD nous protège des crises qui –⁠ faut-il le rappeler ? – méconnaissent les frontières.
    Cette politique sert aussi nos intérêts stratégiques en répondant aux besoins de nos partenaires. Quand l’AFD soutient la Jordanie, c’est le témoignage d’une alliance qui contribue aussi à ce que ce pays accueille 600 de nos soldats pour lutter contre le terrorisme.
    Enfin, j’aimerais rappeler que l’APD permet de générer 3 milliards d’euros de retombées économiques pour les entreprises françaises. Elle ouvre de nouveaux marchés et contribue à sécuriser les chaînes d’approvisionnement de minerais critiques pour notre transition écologique. Les entreprises françaises qui se positionnent remportent nos appels d’offres huit fois sur dix.
    Ces résultats sont notamment le fruit de la mission budgétaire Aide publique au développement, que vous avez dotée cette année de crédits représentant moins de 1 % du budget de l’État, mais aussi de l’engagement de l’AFD qui, avec des crédits de moins de 2 milliards, génère 4 milliards d’APD et 12 milliards d’euros de projets.
    Ces sommes sont des investissements solidaires, car déployés au bénéfice mutuel de la France et de ses partenaires en réponse à des défis communs, et durables, car ils contribuent à rendre le monde plus stable sur le long terme.
    Les investissements dans les biens publics mondiaux que sont le climat, la santé ou la biodiversité préparent et protègent notre avenir, a fortiori quand ils servent nos intérêts. J’ajoute que leur coût ne représente rien face au celui de l’inaction, qui est à la fois financier et humain –⁠ vous connaissez les chiffres. (M. Hervé Berville applaudit.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Pierre-Yves Cadalen.

    M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP)

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    Hier, à la tribune, j’ai défendu la perspective d’un passage vers une VIe République qui soit antiraciste, sociale, féministe et démocratique mais aussi, j’ose le dire, internationaliste, conforme à l’idéal républicain qui fait notre fierté. La solidarité internationale est historiquement et intrinsèquement liée à la grandeur de notre pays –⁠ une France qui vit dans et par le monde, avec et pour les autres.
    Au moment où l’extrême droite la plus brutale a pris le pouvoir aux États-Unis d’Amérique, l’aide publique au développement est attaquée et menacée en France. Les mêmes arguments irrationnels et absurdes que l’on entend outre-Atlantique sont employés ici par nos trumpistes nationaux. Ils disent qu’ils veulent en finir avec le wokisme. Traduisons : ils souhaitent s’en prendre aux droits des femmes et des personnes racisées et LGBT.

    M. Hervé Berville

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    Eh oui !

    M. Pierre-Yves Cadalen

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    Ils souhaitent que cesse la lutte contre le changement climatique et pour l’adaptation à ses effets.
    Toutefois, l’écologie ou la défense de l’égalité de genre que pourfendent ces obscurantistes fanatiques sont déterminantes pour garantir la paix et l’avenir de nos sociétés. La lutte pour l’accès de toutes et tous à la santé sexuelle et reproductive –⁠ pour ne citer que cet enjeu – est décisive. Il y va de la vie de millions de personnes.
    Face à ces attaques, il ne suffit pas de se payer de mots, il faut aussi poser des actes qui leur correspondent. Le gouvernement d’Emmanuel Macron, malgré ses grands discours, a lui aussi réduit de 40 % le budget de l’aide publique au développement. Dans le même temps, il cède aux exigences de Trump en matière d’armement. Drôle de façon de s’opposer au projet politique porté par l’arc réactionnaire transatlantique !
    Prenons un exemple : un missile M51 coûte 120 millions, soit le montant dont le budget d’Action contre la faim est amputé aujourd’hui. Cette organisation accompagne plusieurs millions de personnes. Allez-vous expliquer à celles-ci qu’un missile vaut mieux pour eux que l’alimentation dont leur vie dépend ? Ne pensez-vous pas plutôt que notre pays devrait se poser, devant le monde, en défenseur du multilatéralisme et œuvrer à ériger des digues face à toute remise en cause des droits humains ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

    M. Hervé Berville

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    Pour une fois, c’était bien ! (Sourire.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Je vous remercie pour cette question qui porte sur la solidarité internationale. Je suis fier de défendre une politique dont l’un des objectifs majeurs est la solidarité avec les pays en développement –⁠ tel est d’ailleurs le nom d’un programme budgétaire que vous, parlementaires, votez et contrôlez.
    C’est l’honneur et la responsabilité de la France que de protéger les populations les plus vulnérables et d’œuvrer pour la stabilité internationale. Je rappelle que l’AFD a été créée par le général de Gaulle. C’est un devoir, en accord avec nos valeurs humanistes, mais aussi une responsabilité pour une puissance d’équilibre comme la France.
    Grâce à nos engagements en matière de santé, nous avons contribué à diviser par deux, depuis 2000, le taux de mortalité infantile, et à éradiquer presque totalement des maladies comme la polio.
    En soutenant Gavi, l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, depuis 2000, nous avons contribué à faire vacciner 65 millions d’enfants dans le monde et à sauver 1 million de vies. Qui, parmi vous, peut le regretter ? Une vie humaine vaut-elle moins parce qu’elle est loin ?
    Les Françaises et les Français sont fiers de notre action en la matière d’autant plus qu’au-delà de sa dimension solidaire, cette politique sert aussi directement l’intérêt de nos concitoyens.
    Je veux répéter avec force que, face aux crises qui ne connaissent pas de frontières, il n’y a pas d’autre option que la solidarité internationale. La bataille contre le changement climatique, de même que la lutte contre les pandémies ou contre les flux migratoires, se joue en grande partie en dehors de notre territoire.
    L’USAID vient d’interrompre ses programmes de surveillance d’Ebola, ce qui crée un danger pour l’humanité. Est-ce le chemin que nous voulons prendre ? Soyons lucides : la tentation du repli est un leurre. Nos compatriotes ne veulent pas d’une France recroquevillée, en marge des défis de notre siècle. Ils ne veulent pas d’une France qui détourne le regard et laisse le monde brûler. Nous agissons pour éviter que la situation ne s’aggrave encore.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Aurélien Taché.

    M. Aurélien Taché (LFI-NFP)

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    Nous sommes réunis pour débattre de l’efficacité de l’aide publique au développement. Nouvelle lubie xénophobe de l’extrême droite internationale –⁠ qui devait commencer à se lasser de concentrer uniquement ses coups sur les immigrés –, l’aide publique au développement subit depuis plusieurs mois le feu nourri des nationalistes de tous bords. Dans la presse, sur les plateaux, ses porte-parole expliquent que la France jetterait l’argent par les fenêtres en finançant des projets farfelus dans le monde entier. Ce débat, à l’initiative du Rassemblement national, en témoigne également.
    Toutefois ces attaques ne viennent pas de nulle part. Elles sont directement liées à la montée en puissance, au niveau mondial, d’un nouvel ordre réactionnaire dont Donald Trump et les États-Unis sont les fers de lance.
    En mettant fin à l’USAID qui représentait pas moins de 65 milliards d’aide publique au développement, l’extrême droite américaine place le monde face à un gouffre. Concrètement, l’arrêt de cette aide aura des conséquences gravissimes pour les pays pauvres mais aussi pour les puissances occidentales.
    Sans l’aide américaine, près de 1,65 million de personnes supplémentaires pourraient mourir du VIH, 310 000 de tuberculose, 290 000 de paludisme. En outre, les frontières n’arrêtent pas les maladies. Chaque réduction des fonds de l’aide publique au développement rendra les crises à venir bien plus coûteuses.
    Face à cette situation inouïe, l’un des enjeux sera de pallier le désengagement américain et de devenir un moteur de la réponse collective à une solidarité internationale en crise.
    Monsieur le ministre, pouvez-vous d’abord nous indiquer le coût réel de l’aide publique au développement ? Car, en insinuant que l’Agence française de développement distribuerait 65 % de ses fonds sous forme de dons alors que 85 % de ces aides sont des prêts, l’eurodéputée Sarah Knafo tente par exemple de désinformer l’opinion publique. Qu’en est-il vraiment ?
    Par ailleurs, que prévoyez-vous pour que la situation change ? Car, avec des coupes sans précédent dans le budget de l’aide publique au développement, dans le cadre de la dernière loi de finances, la France ne sera pas en mesure de contribuer à un niveau suffisant pour remédier au désordre mondial qu’entraînera la folie de Donald Trump. Or la mission de notre pays est historique : faire en sorte que la valeur qui fonde notre monde soit la coopération plutôt que la prédation.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Permettez-moi tout d’abord de rappeler certains fondamentaux. Je veux clarifier ce qu’est l’aide publique au développement. Selon l’OCDE, elle comprend des projets bilatéraux dans les pays partenaires mais aussi des contributions aux organisations internationales et à l’Union européenne et des frais de formation des étudiants étrangers ou d’accueil des réfugiés en France. Au total, vingt-quatre programmes budgétaires y contribuent, bien au-delà de la mission budgétaire APD.
    En 2023, notre APD s’élevait à 13,9 milliards, ce qui nous place au cinquième rang mondial des bailleurs internationaux.
    L’APD passe par quatre canaux : 4 milliards proviennent de crédits de la mission Aide publique au développement, employés d’un côté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour l’action humanitaire, les contributions aux organisations internationales, les fonds équipe France et l’enseignement français à l’étranger, et de l’autre par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à travers les prêts du Trésor et l’aide budgétaire.
    L’AFD génère 4 milliards d’euros, avec une contribution de l’État de 2 milliards tandis que 3,4 milliards passent par d’autres administrations et opérateurs. La contribution française à l’APD de l’Union européenne s’élève à 2,5 milliards d’euros.
    Je rappelle enfin quelques éléments relatifs à la répartition de l’APD en 2023. Sa part bilatérale a atteint 7,8 milliards d’euros, soit 57 % du total, tandis que sa part multilatérale, qui inclut la contribution à l’APD de l’Union européenne, s’élevait à 6,1 milliards d’euros. S’agissant de la répartition géographique de notre aide bilatérale, l’Afrique demeure le premier continent à en bénéficier. Les secteurs d’intervention bilatérale les plus importants sont la santé, l’éducation, la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nadège Abomangoli.

    Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP)

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    On ne peut pas vivre pendant que d’autres survivent : voilà l’esprit de l’APD. Or, partout, l’oligarchie progresse au même rythme que les inégalités : 1 400 milliards de dollars se concentrent dans les poches des dix personnes les plus riches du monde tandis que, depuis 2019, la fortune des milliardaires français s’est accrue de plus de 24 milliards.
    Face à ces inégalités insupportables, prenant modèle sur MM. Trump et Musk, les députés d’extrême droite voudraient détruire l’APD, en bons soumis aux États-Unis, où l’on assume une idéologie raciste qui promeut la domination et l’exploitation d’hommes et de femmes considérés comme inférieurs parce que non blancs.
    Le trumpisme, sans en avoir l’air, triomphe aussi dans une certaine mesure au sein de ce gouvernement, qui attaque la solidarité internationale à la tronçonneuse. En effet, vous ne respectez pas l’engagement pris il y a cinquante ans de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’APD et participez à l’endettement des pays pauvres en privilégiant les prêts plutôt que les dons et l’aide humanitaire, malgré les alertes des ONG et des Nations unies. Vous avez évoqué 3 milliards pour les entreprises françaises. Quel endettement pour les pays dits aidés, alors que vous avez réduit de 40 % le budget de l’APD après l’avoir déjà amputé de 750 millions en février 2024, suivant la doctrine Le Maire ?
    Je me suis rendue la semaine dernière en Bolivie, aux côtés de l’Unicef, pour examiner les actions concrètes que l’on y mène en faveur des droits sanitaires et sociaux des enfants, de la résilience face au dérèglement climatique et du soutien aux exilés. Je salue le dévouement concret des équipes de l’Unicef face aux périls climatiques, alimentaires ou sanitaires, car l’APD est bien ce qui permet la résolution multilatérale de ces crises sans frontières, afin que leurs conséquences ne nous emportent pas. Monsieur le ministre, quand respecterons-nous les engagements pris il y a cinquante ans eu égard au financement de l’APD ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    D’un côté, nous en ferions trop ; de l’autre, pas assez… Je ne sais plus à quel saint me vouer !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Tournez-vous de l’autre côté, monsieur le ministre !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Madame la députée, c’est la représentation nationale qui a voté la baisse des crédits de la mission APD de 37 % par rapport à 2024, dans un esprit de responsabilité budgétaire qui nous honore, quoiqu’il nous éloigne de l’atteinte des objectifs de la loi de 2021. Cet éloignement est inévitable mais le niveau de notre APD demeure historiquement élevé et notre effort de redressement des comptes publics n’efface pas le bilan de la politique que nous menons depuis 2017 : je rappelle que les sommes que nous consacrons à l’APD ont augmenté de plus de 35 % et que les crédits des programmes 110 et 209 ont doublé entre 2017 et 2023. Cet effort sans précédent continuera de porter ses fruits.
    En somme, nous partons de très haut et continuons de consacrer d’importants moyens à l’APD, tout en travaillant à la nécessaire redéfinition de nos priorités face aux choix qui s’imposent à nous. Nous voulons notamment préserver l’action bilatérale financée par les programmes 110 et 209 et mettre l’accent sur l’action multilatérale dans le cadre du programme 384. Les moyens humanitaires permettront le maintien d’une capacité d’action forte en vue de répondre aux crises, notamment en Ukraine.
    Outre nos crédits nationaux, nous chercherons à démultiplier l’impact de nos actions en mobilisant des fonds européens, des dispositifs de cofinancement et de nouvelles ressources, en particulier privées.
    Enfin, le chantier de l’efficacité, auquel nous consacrons des efforts considérables, doit nous permettre de continuer de faire mieux avec moins.

    M. Pierre-Yves Cadalen

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    Ça n’existe pas ! C’est du sarkozysme !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Nous travaillons depuis plusieurs mois, sur les plans national, européen et international, à rendre l’APD plus efficace, en cohérence avec les priorités des Français. La commission d’évaluation de l’aide publique au développement permettra d’affiner ce travail.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dieynaba Diop.

    Mme Dieynaba Diop (SOC)

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    Dans un contexte international délétère, alors que l’APD subit une très forte diminution et fait l’objet d’une remise en cause indigne par l’extrême droite, il est indispensable de soutenir cet outil majeur. L’APD reflète les valeurs universelles de notre République : liberté, égalité, fraternité, mais aussi solidarité et humanisme. Derrière chaque projet soutenu, chaque programme créé, se cachent des vies, celles de femmes, d’hommes, d’enfants qui en bénéficient pour améliorer leur quotidien et, souvent, accéder à la santé, à l’éducation ou tout simplement à un avenir meilleur.
    Mais l’APD ne revêt pas seulement une dimension humanitaire. Je rappelle, surtout à ceux qui siègent sur les bancs de l’extrême droite de cet hémicycle et multiplient les mensonges, que l’APD constitue avant tout un levier diplomatique stratégique. Elle renforce le rôle de la France sur la scène internationale en lui permettant de promouvoir ses valeurs tout en soutenant le développement de pays partenaires. Dans un contexte mondial marqué par de multiples crises humanitaires et économiques, il est plus que jamais crucial de faire rayonner nos convictions humanistes et de porter un message de solidarité et, surtout, de coopération internationale.
    Quelle vision de l’APD le gouvernement nourrit-il ? Comment s’inscrit-elle dans la stratégie de la France en matière de solidarité internationale ? Quelles actions envisagez-vous de mener pour renforcer son impact, notamment en réponse aux besoins humanitaires qui vont croissants dans certaines régions du monde ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Notre politique a en effet pour double ambition de participer à la solidarité internationale et à la défense essentielle de nos intérêts. Ces deux objectifs se nourrissent l’un l’autre. Ils contribuent tous deux à faire de la France une puissance d’équilibre, dont la voix porte dans le monde. Parler de solidarité internationale, c’est parler de ne pas laisser des enfants mourir de faim, d’assumer un devoir de responsabilité, en accord avec nos valeurs humanistes et notre histoire.
    En votant la loi du 4 août 2021, vous, parlementaires, avez affirmé à l’unanimité que la lutte contre les inégalités constituait l’une des finalités premières de l’APD. Le Conseil présidentiel du développement en a pris acte en 2023 et a fixé un objectif : consacrer 50 % de notre appui aux pays les plus pauvres de la planète. Je suis heureux que nous atteignions cette cible et nous continuerons d’agir en ce sens.
    La loi de 2021 avait aussi rappelé la nécessité de protéger les biens publics mondiaux, en particulier la planète. Le pacte de Paris pour les peuples et la planète a réaffirmé qu’aucun pays ne devrait avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la préservation de la planète. Soixante-douze pays partenaires ont déjà adhéré à cette vision et à un agenda commun. Cet agenda est nécessaire : en luttant contre la pauvreté, en soutenant la santé mondiale et en protégeant l’environnement, nous protégeons les intérêts des Français.
    En soutenant l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation depuis l’an 2000, nous avons sauvé 17 millions de vies et évité des pandémies. En aidant l’Afrique du Sud à sortir du charbon, nous avons un impact décisif sur le réchauffement climatique, bien plus que si nous nous bornions à réduire nos propres émissions. En accompagnant la construction d’infrastructures durables, nous répondons aux besoins essentiels des populations tout en faisant rayonner nos entreprises et notre savoir-faire.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dieynaba Diop, pour sa deuxième question.

    Mme Dieynaba Diop (SOC)

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    Pour les pays en développement, l’APD constitue un outil fondamental, qui leur permet de relever les défis liés à la pauvreté, aux inégalités et aux difficultés d’accès aux droits fondamentaux. Dans ce cadre, les ONG et les acteurs de la société civile jouent un rôle crucial. En effet, ce sont souvent les premiers présents sur le terrain, en contact direct avec les populations locales. Ils connaissent mieux que quiconque les besoins réels des communautés, leurs cultures et spécificités contextuelles, et sont donc des partenaires indispensables dans la réalisation de projets de développement.
    Cependant, malgré leur expertise et leur proximité avec les populations, ils rencontrent souvent de nombreux obstacles. Il peut s’agir de complexités administratives liées à l’accès aux financements, d’un manque de coordination entre les différents bailleurs de fonds ou encore de la difficulté de garantir la pérennité et la durabilité de leurs actions dans des contextes politiques parfois instables.
    En outre, il est essentiel d’assurer la transparence et la bonne gouvernance de l’aide afin de garantir que les ressources mobilisées atteignent bien leur destination sans être détournées et dans le respect des priorités des populations locales.
    Je me suis récemment rendue au Tchad, à l’occasion d’une mission menée par des membres d’Action contre la faim, et j’ai visité avec eux les camps d’Adré et de Metché. On voit clairement qu’ils ont besoin d’être protégés, notamment pour continuer à discuter avec les différents acteurs, ne pas se trouver en danger et ne pas voir leur objectivité et la neutralité de leur action remises en question.
    Dans ce contexte, quelles actions le gouvernement envisage-t-il de mener en vue de renforcer les capacités des ONG locales dans les pays partenaires, afin qu’elles assument pleinement leur rôle de moteur du développement, tout en garantissant que leurs actions sont en adéquation avec les priorités des populations qu’elles accompagnent ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Les organisations de la société civile (OSC) et les ONG sont des acteurs essentiels de notre politique. Elles contribuent à la définition de ses orientations, à son application et à sa valorisation. Leur apport premier réside dans leur expérience du terrain, complémentaire de l’action diplomatique. Le Conseil présidentiel du développement a réaffirmé leur importance en 2023.
    Les financements du MEAE dans le cadre du programme 209, consacrés en particulier à l’aide humanitaire, sont largement dirigés vers les ONG et ont connu une augmentation depuis 2017, atteignant 890 millions d’euros en 2023 contre 310 millions en 2017. En 2023, le groupe AFD a confié 365 millions aux OSC, notamment en application du dispositif Initiatives OSC.
    Ce rôle central des OSC se reflète dans la très précieuse enceinte du dialogue que l’État entretient avec les OSC : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI). À l’occasion de la célébration, ce mois-ci, des 10 ans de cette structure, des recommandations très concrètes visant à renforcer son agilité et son rôle ont été émises et d’ores et déjà intégrées.
    Nous sommes bien conscients des difficultés que les coupes américaines font peser sur les OSC, sur leurs actions et sur leurs 40 000 emplois et nous voulons préserver leurs financements autant que faire se peut. Le prêt garanti par l’État, ou PGE, que vous demandez fait partie des solutions possibles. Nous travaillons également sur d’autres pistes de solution, notamment avec la Caisse des dépôts.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dieynaba Diop, pour sa troisième et dernière question.

    Mme Dieynaba Diop (SOC)

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    Aujourd’hui et demain se tient à Paris le sommet Nutrition for Growth (N4G), dont l’objectif est de mobiliser la communauté internationale en vue de lutter contre la malnutrition. Cette dernière constitue en effet l’un des défis les plus graves et persistants que l’humanité doit relever. Selon les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce sont près de 735 millions d’individus qui souffrent de sous-alimentation, soit 122 millions de plus qu’en 2019. Les crises actuelles, qu’il s’agisse du changement climatique, des conflits géopolitiques ou encore des crises économiques mondiales, exacerbent ces problèmes et rendent la situation plus urgente encore. L’accès à une alimentation suffisante et de qualité constitue un facteur clef de stabilité, de développement économique et de paix à l’échelle mondiale.
    Dans ce contexte, la France, grande puissance et acteur majeur de la solidarité internationale, a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la malnutrition. Son APD, l’un des leviers les plus importants de soutien des pays les plus vulnérables, doit être traitée comme une priorité. Or il faut noter qu’en dépit des engagements pris par notre pays en matière de lutte contre la malnutrition, ses efforts demeurent insuffisants au regard de l’ampleur du problème. La malnutrition est trop souvent reléguée au rang de sujet secondaire dans les stratégies de coopération internationale. C’est pourquoi il est impératif que notre pays renforce ses initiatives pour répondre aux besoins alimentaires des populations les plus exposées.
    Je vous disais que je m’étais rendue à Metché et à Adré. Tous ces enfants qui souffrent de malnutrition, ces femmes enceintes qui parcourent parfois des kilomètres pour bénéficier d’une consultation médicale nous rappellent à quel point il est impératif que nous continuions à soutenir toutes les actions qui leur ouvrent l’accès à une nutrition de qualité et à des aliments en quantité suffisante.
    Je vous demande donc comment le gouvernement compte intensifier son aide publique au développement pour lutter contre la malnutrition dans les pays les plus vulnérables et quelle place sera donnée à la nutrition dans la stratégie de coopération internationale de la France au cours des prochaines années ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Merci pour cette question qui me donne l’occasion de parler du sommet Nutrition pour la croissance qui se déroule actuellement chez nous –⁠ j’étais ce matin même, avec le premier ministre, à son ouverture. Je participe depuis le début de la semaine aux événements qui ont lieu en marge du sommet et je vous assure que la mobilisation est très palpable. Les échanges thématiques entre experts, société civile, ONG et décideurs politiques internationaux mettent notamment en lumière les défis auxquels nous confrontent la multiplication des crises et les recompositions géopolitiques.
    Sans surprise, les premières victimes sont, encore une fois, les plus vulnérables : les femmes et les enfants, en particulier les enfants de moins de 2 ans ainsi que les femmes enceintes ou allaitantes. Des solutions existent et se dessinent, notamment autour du Village des solutions, où des exemples concrets sont donnés parce qu’au-delà de l’urgence, notre action s’inscrit dans le temps long, dans le cadre de la transition vers des systèmes alimentaires plus résilients et durables en soutenant l’agroécologie, l’alimentation scolaire, le développement rural et la souveraineté alimentaire.
    La réussite du sommet et les engagements financiers ambitieux qui vont être pris sont la meilleure preuve de notre capacité à convaincre et à mobiliser nos partenaires internationaux, y compris le secteur privé. C’est cette nouvelle architecture de l’aide, dans l’esprit du pacte de Paris pour les peuples et la planète, que nous défendrons en vue des prochaines grandes échéances internationales au sein du G20, mais aussi du G7 dont notre pays assurera la présidence l’année prochaine, et quotidiennement au sein des Nations unies et de l’Union européenne car ce combat contre la malnutrition est nécessairement collectif puisque c’est un enjeu de dignité humaine et aussi un enjeu de paix, de stabilité et de justice.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

    Mme Virginie Duby-Muller (DR)

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    Monsieur le ministre, des polémiques récentes concernent l’aide publique au développement, soit un programme de 12 milliards d’euros dont 2 milliards de subventions. Ce programme est crucial pour le soft power de la France, la promotion des droits humains et l’application de stratégies internationales telles que la diplomatie féministe lancée à la veille du 8 mars cette année. Certaines critiques visent l’utilisation de ces fonds, surtout dans un contexte de finances publiques dégradées. Cependant, réduire ou supprimer ces subventions n’est pas une solution viable. Une telle décision, soutenue par l’extrême droite, aurait des conséquences désastreuses, on l’a encore entendu ce matin. Sur le plan diplomatique, la France perdrait ainsi une part significative de son influence internationale alors que l’aide publique au développement renforce nos relations bilatérales et multilatérales, et permet de soutenir des projets qui réduisent les inégalités mondiales, favorisent la cohésion sociale, la stabilité et le développement économique dans des régions stratégiques. En 2002, le président Jacques Chirac avait pris des engagements ambitieux lors de la conférence de Monterrey,…

    M. Hervé Berville

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    Eh oui ! L’excellent président Chirac !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    On l’avait oublié celui-là !

    Mme Virginie Duby-Muller

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    …témoignant de sa volonté de placer la France à l’avant-garde des efforts internationaux pour lutter contre la pauvreté et pour promouvoir le développement durable. Supprimer l’aide au développement reviendrait donc à abandonner des partenariats précieux et à laisser le champ libre à d’autres puissances aux intérêts contraires aux nôtres. Sur le plan humain, les répercussions seraient dramatiques car des millions de personnes dépendent de cette aide pour accéder à des services de base comme l’éducation, la santé et l’eau potable ; sa suppression aggraverait les crises sanitaires et humanitaires, et augmenterait les risques de conflits et de migrations forcées. Économiquement, l’aide publique au développement est aussi un investissement de long terme. Ainsi, investir dans des actions ayant un impact sur la nutrition rapporte 23 dollars pour chaque dollar investi selon la Banque mondiale. L’ONU estime que le monde perd 10 billions de dollars chaque année en n’investissant pas dans la promotion des droits des femmes et des filles. À cet égard, le lancement de la nouvelle stratégie internationale de la diplomatie féministe définit les priorités de l’action extérieure de la France jusqu’en 2030, mais celle-ci doit avoir les moyens de ses ambitions. N’oublions pas que les femmes sont les victimes mais aussi la réponse dans de nombreux conflits. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Je partage à 200 % ce que vous dites. Nous vivons des temps sombres qui nous obligent. Dans tant d’endroits, les droits des femmes reculent et je veux le dire ici avec force : la promotion des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes est une fierté ! Depuis quand le wokisme, qui consistait à l’origine en la promotion d’un vivre-ensemble respectueux, est-il devenu un gros mot ? Rien n’avancera dans ce monde si nous laissons de côté la moitié de l’humanité ! En 2000, le Parlement a voté une loi imposant la parité hommes-femmes dans les élections politiques en France, et en 2014 une loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Doit-on regretter d’aider les pays partenaires à réduire leur inégalité de genre ? Ce combat est la grande cause, vous le savez, des deux quinquennats du président de la République. Cette action fait honneur à la France et elle est particulièrement nécessaire à un moment où, dans de nombreuses régions du monde, les droits des femmes reculent : en Iran, en Afghanistan et aussi dans d’autres pays, les femmes sont les premières victimes de l’obscurantisme, tandis que la montée des populismes et des mouvements réactionnaires remet en cause des décennies de progrès. Nous ne pouvons laisser faire ! Nous avons le devoir de ne pas l’accepter, mais aussi le pouvoir de changer les choses.
    C’est exactement le sens de notre nouvelle stratégie internationale pour une diplomatie féministe, pour les droits des femmes, pour leur participation dans la société et pour la lutte contre les inégalités et les violences basées sur le genre. Je m’en félicite et me réjouis que plus de la moitié des projets que nous finançons concourent à l’égalité de genre, ce qui a un effet d’entraînement positif pour l’ensemble des secteurs de l’aide au développement en matière de santé, de malnutrition, d’éducation et de résolution des conflits. L’Albanie perd, par exemple, environ 20 % de son potentiel de PIB en raison de l’accès limité des femmes au marché du travail. Doit-on refuser que son gouvernement fasse appel à notre expertise ? Je pense que non et nous allons aussi aider ce pays.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Quel groupe a décidé de ce débat ? Le groupe où il n’y a personne ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Virginie Duby-Muller pour une seconde question.

    Mme Virginie Duby-Muller (DR)

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    Je souhaite maintenant vous interroger, monsieur le ministre, sur l’apport de l’aide publique au développement à la sécurité nutritionnelle mondiale. En 2023, 733 millions de personnes souffraient de la faim, soit près de 10 % de la population mondiale, les femmes, en particulier les filles, étant les plus touchées car les inégalités de genre sont à la fois une cause et une conséquence de cette situation.
    Le sommet Nutrition for growth, qui se déroule à Paris en ce moment, est une occasion pour la communauté internationale de renouveler ses engagements en faveur de la nutrition et de souligner le lien entre sécurité nutritionnelle et égalité de genre. La malnutrition des femmes et des filles s’enracine dans divers secteurs, que ce soit la santé, le climat, le système alimentaire, la protection sociale et l’éducation. Aussi, une approche multisectorielle et transformative est essentielle pour lutter efficacement contre la malnutrition. La France a ainsi lancé une stratégie internationale pour une diplomatie féministe et renouvelé sa stratégie pour la sécurité alimentaire en y intégrant une dimension d’égalité de genre.
    Cependant, les moyens financiers alloués à la nutrition restent insuffisants : les organisations de la société civile notent que la France, hôte du sommet N4G et future organisatrice du G7, ne consacre que 1 % de l’APD à la nutrition contre plus de 3 % dans la plupart des États du G7… Il est crucial d’augmenter ces financements et d’y intégrer l’égalité de genre pour combler les coupes brutales des financements américains, notamment pour les programmes dédiés aux droits des femmes et des minorités de genre. Il est en outre impératif de clarifier et de mieux coordonner les instruments de notre aide publique en matière de nutrition pour optimiser l’utilisation des fonds disponibles. Car malgré un réinvestissement financier important, l’influence de la France dans le système international de sécurité alimentaire reste limitée. Nous devons renforcer notre coopération avec les organisations internationales et avec nos partenaires européens pour amplifier notre résonance. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Éthiopie, je pense au projet mené via notre diplomatie et les associations françaises sur place, comme Action contre la faim.
    Ainsi, comment le gouvernement compte-t-il consolider les engagements de la France pour lutter contre la malnutrition dans le monde ? Quels outils de financement pourraient être déployés pour prévenir les crises humanitaires et sanitaires, et comment la promotion à l’égalité de genre sera-t-elle intégrée pour contribuer… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. –⁠ M. Hervé Berville et M. Guillaume Gouffier Valente applaudissent cette dernière.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    La malnutrition est l’un des enjeux de notre APD car elle touche un tiers de la population mondiale et je vous remercie d’avoir posé une question à ce sujet. Le succès du sommet Nutrition pour la croissance, qui se déroule en ce moment même et jusqu’à demain, montre que nous sommes capables de nous mobiliser pour trouver des idées et des financements. Le Conseil présidentiel de développement a ainsi réaffirmé en 2023 la priorité accordée à la souveraineté alimentaire, notamment en Afrique. C’est un puissant levier de développement qui entraîne des effets positifs en chaîne pour la santé, l’éducation, le changement climatique et l’égalité de genre.
    Les engagements français en matière de lutte contre la malnutrition ont augmenté ces dernières années, dépassant 500 millions d’euros en 2023, notamment à travers le dispositif de l’aide alimentaire programmée. Les résultats sont très concrets : j’étais la semaine dernière à Madagascar où l’entreprise sociale Nutri’zaza distribue dans tout le pays des aliments fortifiés pour améliorer la nutrition des enfants vulnérables ; après un soutien initial de notre part, l’entreprise est aujourd’hui autonome et s’en sort toute seule. Et je peux vous assurer que ces projets sont indispensables. Je rappelle que dans le sud de l’île, la première famine climatique au monde avait été déclenchée en raison de la sécheresse intense. Aujourd’hui, plus que jamais, État, organisations internationales, banques de développement, acteurs privés, OSC et élus, nous sommes tous concernés et menons ensemble ce combat contre les fléaux de la malnutrition, d’autant plus que l’obésité ou la dénutrition des personnes âgées touchent aussi les pays développés, notamment la France.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.

    Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)

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    L’aide publique au développement ne doit pas être prise en étau entre deux réunions du Front national s’en servant pour des campagnes aux relents xénophobes du type : « Gardons notre argent pour les Français. »

    M. Hervé Berville

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    Très juste !

    Mme Sabrina Sebaihi

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    L’aide publique au développement est un outil essentiel au service de la solidarité internationale car la pauvreté, les guerres et les maladies ne reconnaissent aucune frontière. Quant aux collègues du Rassemblement national qui brillent par leur absence alors même que ce sont eux qui ont demandé le débat, ils auront beau vouloir mettre des miradors, des barbelés, des militaires et ériger des murs à nos frontières, les pandémies nous rattraperont toujours.

    M. Hervé Berville

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    Eh oui ! Ils voulaient un débat et ils ne sont pas là !

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Les amis du Rassemblement national au pouvoir aux États-Unis ont annoncé leur retrait de plusieurs organisations internationales et la baisse drastique de leurs programmes d’aide au développement, mettant en péril la santé mondiale. Ces coupes à la tronçonneuse –⁠ on parle de 42 milliards ! –, fantasmées par ceux qui ont demandé ce débat, ne peuvent mener qu’à des catastrophes sanitaires d’ores et déjà annoncées. Ainsi, selon les enquêtes du New York Times, plus de 1 million de personnes pourraient mourir du VIH, 300 000 de la tuberculose et 500 000 d’autres maladies faute de vaccination, après le désengagement massif américain. Oui, ces discours et ces politiques sont criminels ! Oui, Trump vient de trahir notre sécurité collective et le RN le soutient !
    Notre pays présidera le G7 l’an prochain : comment peut-il s’en servir comme levier pour inciter les autres pays du monde à faire face aux conséquences de la trahison américaine en compensant leur retrait des programmes de santé mondiaux ? Ne faut-il pas avoir une voix forte et annoncer un programme financier ambitieux en matière d’aide au développement française en arrêtant les coupes budgétaires pratiquées depuis 2023 ? S’il est facile de chiffrer les économies réalisées, avez-vous évalué le coût de l’inaction sur la santé mondiale ?
    La France est un grand pays et, comme d’autres, elle a fait face à la première pandémie de notre génération en 2019 : celle du covid. Demain, si nous ne prenons pas au sérieux les alertes venant de toutes parts concernant le désinvestissement mondial en matière de santé, nous pourrions connaître des pandémies à répétition, que ce soit la tuberculose à Marseille ou Ebola à Toulouse… Comment comptez-vous protéger notre population en agissant pour le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. Hervé Berville

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    J’ai eu l’occasion de souligner, dans mes réponses précédentes, combien il est important de maintenir une grande ambition pour notre politique grâce aux moyens que l’on peut mobiliser. Face à l’ampleur des enjeux, le gouvernement souhaite dès que possible retrouver la trajectoire financière dynamique que nous avions. En outre, au-delà des moyens alloués à notre politique d’aide au développement, nous nous employons à démultiplier son impact par l’effet de levier dont bénéficie l’AFD mais aussi en allant chercher les fonds européens de cofinancement et de nouvelles ressources, y compris privées. J’y travaille en ce moment.
    Je tiens à rappeler que nos investissements solidaires et durables sont rentables sur le plan humain et financier, comme vous l’avez dit. Je vous remercie à ce titre d’avoir insisté sur le coût de l’inaction car, je le répète, le coût de notre politique s’apprécie au regard de ses résultats, de ses cobénéfices, mais aussi au regard du coût qu’aurait notre immobilisme face aux défis globaux. Le coût de l’inaction est d’abord humain : 7 millions de vies auraient été perdues depuis vingt ans si nous ne soutenions pas le Fonds mondial et 3,3 millions sont menacées cette année à cause de la fermeture des programmes de l’USAID. Le coût de l’inaction est aussi financier car nous devons alors engager des financements pour répondre à des crises que l’on aurait pu prévenir. Ainsi, avec les 2 % de PIB que nous avons collectivement dépensés pour faire face au covid-19, nous pourrions prévenir les pandémies des dix prochaines années.
    C’est pourquoi notre politique de partenariats internationaux doit être déployée avec force, pour investir dans les biens publics mondiaux et dans la consolidation de la paix. Je vous assure que nous travaillons en ce sens.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Louis Roumégas.

    M. Jean-Louis Roumégas (EcoS)

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    Trump a trahi. Il a trahi le modèle que les États-Unis avaient pourtant contribué à construire, un modèle fondé sur le multilatéralisme et la solidarité internationale. Le démantèlement de l’USAID, qui représentait 42 % de l’aide humanitaire mondiale, met en péril des millions de vies. De plus, derrière l’arbre –⁠ ou l’épouvantail – Trump se cache une forêt : le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique ont tous réduit leur aide au développement. De son côté, la France a renié l’engagement fixé par la loi en 2021 et baissé de 37 % son budget, soit une réduction de 2 milliards d’euros. Pourtant, ce budget ne pesait pas bien lourd dans les dépenses publiques.
    À cause de la suppression de ces 2 milliards, des dizaines de programmes vont s’arrêter car, derrière les chiffres, il y a des vies. Financer ces programmes, est-ce jeter de l’argent par les fenêtres ? Le soutenir revient à méconnaître la complexité du monde. Les enjeux sont globaux car les crises sanitaires, dont ma collègue vient de parler, et le changement climatique ne s’arrêtent pas aux frontières. Lorsque l’AFD aide à la protection de l’Amazonie, c’est autant de carbone en moins dans l’atmosphère –⁠ ce qui fait du bien à la France. L’aide que l’AFD apporte au développement de certains pays contribue à tisser des liens d’amitié profonds avec eux –⁠ ce qui fait tout autant de bien à la France. À l’inverse, le coût de l’inaction est élevé. Dans les pays du Sahel, la France a énormément investi dans l’opération militaire Barkhane mais très peu dans le développement. On voit le résultat de ce choix. Nous n’avons plus aucun lien avec ces pays, parce qu’ils n’avaient pas les moyens de rembourser les prêts que nous leur avons accordés.
    L’espace vacant laissé par les États-Unis doit être occupé par l’Europe. Nous voulons le rayonnement de la France et non le rabougrissement national. La France est-elle prête à contribuer à la relance de l’aide au développement en levant plus de fonds de subventions à destination des pays qui ne remplissent pas les critères de prêts de l’AFD ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Je vous remercie pour votre question qui permet de revenir sur les différents outils de nos politiques.
    Je souligne un point clé : 85 % des 12 milliards d’euros que l’AFD consacre chaque année au financement de projets sont constitués de prêts. Le reste est financé grâce aux crédits de l’État français et de l’Union européenne. En revanche, selon les chiffres de l’OCDE, l’APD française, qui a représenté 13,9 milliards d’euros en 2023, est constituée à 87 % de dons et agrège de nombreux éléments.
    Prêts et dons sont deux outils complémentaires. Ce sont les deux jambes de nos politiques d’investissement et d’aide aux plus pauvres. Maintenir l’existence de ces deux outils au sein de notre agence permet de répondre au mieux à l’ensemble des besoins.
    Nos subventions sont précieuses. Elles sont dirigées vers les populations les plus vulnérables, vers les pays trop pauvres pour bénéficier de prêts ou vers les secteurs qui ne reçoivent pas de financements privés. Dans les pays les plus pauvres, nos crédits budgétaires servent aussi à bonifier des prêts, par exemple pour que nos partenaires puissent financer des infrastructures.
    Dans certains cas, prêts et dons peuvent être combinés. Il est par exemple possible de financer une infrastructure ferroviaire par un prêt, puis de subventionner l’accès au train pour les populations les plus défavorisées.
    Qu’il s’agisse de prêts ou de dons, l’essentiel est de concentrer nos efforts sur ceux qui en ont le plus besoin. Depuis 2023, la France entend consacrer 50 % de son effort financier bilatéral aux pays les moins avancés. Cet objectif, qui est tenu, restera un axe fort de notre politique. J’espère par ailleurs que, dans les années à venir, nous pourrons renforcer notre APD.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Frédéric Petit.

    M. Frédéric Petit (Dem)

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    Monsieur le ministre, je préfère que l’on s’en tienne au titre de la loi votée à l’unanimité en 2021 et que l’on parle de la lutte contre les inégalités plutôt que d’aide publique au développement, qui laisse planer des relents de colonialisme.
    La brutalité, l’irresponsabilité, le simplisme et la méconnaissance des enjeux, voire des mensonges, ont conduit l’administration Trump à la suppression immédiate, absurde et, parfois illégale, de l’aide américaine. Une telle décision, qui plus est associée à la conception américaine de l’extraterritorialité, ne fait pas que menacer des vies dans le monde. Elle a déjà tué environ 10 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants.
    Certains dans l’hémicycle, qu’ils ont quitté, confondent le contrôle et la destruction. Ils disent vouloir contrôler et améliorer l’aide quand, en fait, ils pensent à la détruire. Évidemment, nous avons besoin d’améliorer les procédures ; évidemment, les bureaucraties, françaises ou internationales, s’accrochent ; évidemment, certains dispositifs se sont sédimentés. Nous travaillons sur ces points et, à mon avis, la loi du 4 août 2021 permet de le faire de manière efficace.
    Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur la commission d’évaluation de l’aide publique au développement dont la loi a prévu la création. En effet, nous souffrons d’un manque de précisions à son sujet. Elle a tout à l’heure été à nouveau présentée comme un conseil d’administration bis de l’Agence française de développement, ce qu’elle n’a pas vocation à être, de même que l’AFD ne correspond pas à l’aide publique au développement de l’État. J’aimerais vous entendre sur la façon dont vous allez lancer les travaux de cette commission, auxquels je souhaite que la société française et la nation dans leur ensemble soient associées.

    M. Hervé Berville

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Nous sommes en train d’installer cette commission d’évaluation et toutes les bonnes idées, toutes les contributions, sont évidemment les bienvenues.
    Votre question me permet aussi de dire que la décision des États-Unis de supprimer quasi intégralement leur aide leur appartient, même si nous ne pouvons en ignorer les conséquences, déjà dramatiques. Ainsi, au cours des quatre prochaines années, plus de 6 millions de vies seront menacées par la tuberculose, la malaria ou le VIH. Autre conséquence : certains projets d’ONG françaises sont stoppés. Par exemple, les coupes américaines entraînent l’arrêt d’une aide vitale apportée par Action contre la faim à 1,5 million de personnes, dont près de 800 000 enfants souffrant de malnutrition sévère. Des licenciements ne sont pas à exclure dans un écosystème qui emploie 40 000 personnes en France.
    Face à l’urgence humanitaire, la France doit être au rendez-vous pour protéger les populations les plus vulnérables, car nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’autre solution que la solidarité internationale. Il s’agit d’un devoir mais aussi d’une nécessité pour protéger nos concitoyens. La gravité des enjeux oblige à une mobilisation à tous les niveaux.
    La France continuera à consacrer plus de 50 % de son aide bilatérale aux pays les moins avancés. S’agissant de la constitution de la commission d’évaluation, qui concourra à améliorer notre efficacité, nous sommes preneurs de toute contribution.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Frédéric Petit, pour une seconde question.

    M. Frédéric Petit (Dem)

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    Je veux revenir sur les contradictions de nos collègues du Rassemblement national. L’une a déjà été relevée tout à l’heure. Ils ne peuvent pas nous reprocher tout à la fois de ne rien entreprendre, de ne lutter contre les émissions de CO2 qu’en France et de le faire aussi en Chine, dans le cadre d’une coopération qui n’engage aucun argent public.
    L’autre contradiction concerne l’Algérie. Il a été prétendu ce matin que les collectivités territoriales dilapideraient de l’argent public, alors que seuls six petits pour cent de l’APD bilatérale avec l’Algérie sont le fait de collectivités territoriales ou de syndicats, en particulier des syndicats portuaires. Ces contradictions doivent être mises au grand jour, même si nos collègues du RN ont quitté l’hémicycle.
    Au-delà de ces contradictions mortifères et irresponsables, je veux revenir sur un autre aspect de la loi de 2021 : les conseils locaux de développement dont doivent s’entourer les ambassadeurs. Ces nouveaux outils sont peu à peu mis en place. Nous avons parlé de « stratégie pays ». Dans son domaine, l’AFD applique la loi en construisant, conseil d’administration après conseil d’administration, ses « stratégies pays ». Monsieur le ministre, vous connaissez mon intérêt pour la fluidité et la cohérence de notre grande administration. Pouvez-vous me dire où en sont les conseils locaux de développement et comment les « stratégies pays » vont être diffusées dans l’ensemble des services ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Merci d’être revenu sur ces contradictions, que j’ai également notées et auxquelles j’ai déjà apporté une réponse. Comme vous l’avez indiqué, il est positif de lutter contre le réchauffement climatique et contre les émissions de CO2, que ce soit en France ou en Chine. De plus, dans ce dernier cas, il s’agit d’un prêt qui est remboursé à l’AFD. Pour ce qui est de l’Algérie, comme je l’ai précisé plus tôt, l’essentiel de l’aide profite à des étudiants.
    Vous m’avez questionné sur les conseils locaux de développement et sur la « stratégie pays ». Les conseils de développement sont très efficaces. Nous avons une palette d’instruments au service de nos partenariats internationaux. L’État assure le pilotage d’ensemble de cette politique. Le MEAE met directement en œuvre l’action humanitaire et le fonds équipe France. Le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique délivre des prêts du Trésor et des aides budgétaires. Des opérateurs, comme le groupe AFD, Proparco et Expertise France, déploient le reste de nos projets. L’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) contribuent à la recherche. Enfin, France Volontaires déploie des volontaires français à travers le monde.
    La richesse de notre dispositif est une force pour quadriller les sujets, mais elle constitue aussi un défi car elle suppose d’importants efforts de coordination. La coordination et les contrôles s’opèrent conformément à la loi du 4 août 2021. Les conseils locaux de développement se réunissent régulièrement et font un excellent travail.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Bertrand Bouyx.

    M. Bertrand Bouyx (HOR)

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    L’accès aux soins et à la vaccination est essentiel pour lutter contre les maladies infectieuses, notamment dans les pays en développement. Le Fonds mondial, soutenu par l’aide publique au développement, joue un rôle dans l’amélioration de la couverture vaccinale, dans la prévention des maladies infectieuses –⁠ je pense notamment au sida, au paludisme et à la tuberculose – et dans la réduction des inégalités sanitaires internationales.
    Dans cette optique, l’aide publique au développement est cruciale pour la prévention des pandémies. Un exemple récent de cette action proactive est l’engagement de la France pour déployer, en coordination avec d’autres nations, 100 000 doses de vaccin contre le virus mpox dans des pays africains. Ce geste témoigne de l’importance de la solidarité internationale pour prévenir la propagation de maladies infectieuses et protéger les populations vulnérables au-delà de nos frontières.
    C’est l’occasion de rappeler le recul inquiétant de la vaccination en France, un phénomène qui entraîne une dégradation de la santé publique. Face au défi des pandémies, il est nécessaire de réaffirmer l’importance de l’aide publique au développement dans la lutte contre les maladies infectieuses. Par ailleurs, comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, face au désengagement américain de l’OMS, la France et l’Europe doivent se montrer à la hauteur de leur engagement historique en matière de santé mondiale. Quelles actions le gouvernement prévoit-il, notamment à travers l’aide publique au développement, pour renforcer l’accès aux soins dans le monde tout en consolidant le rôle de leader de la France en matière de santé ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    La crise du covid-19 a démontré, s’il en était besoin, l’urgence d’inscrire la lutte contre les pandémies dans une approche globale, avec l’objectif de renforcer les systèmes de santé et de protection sociale. Dans les quatre prochaines années, ce sont plus de 6 millions de vies qui seront menacées à cause de la suppression de l’USAID. Il faut s’en rendre compte. Il est primordial d’investir dans la surveillance et dans la capacité des systèmes locaux de santé.
    C’est également une question de sécurité nationale. C’est pourquoi nous avons investi 733 millions d’euros en 2023 dans la santé par le canal bilatéral : hôpitaux, vaccins, systèmes sanitaires, par exemple.
    La France est aussi historiquement très active sur le plan multilatéral. Elle a contribué au lancement de fonds et les soutient résolument depuis des décennies. Cette année, trois fonds majeurs reconstituent leurs ressources : le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ; Gavi ; Unitaid.
    Le Fonds mondial est le principal financeur multilatéral des systèmes de santé. Des milliers de professionnels de santé, de laboratoires d’analyse, de systèmes de surveillance en dépendent. Nos contributions à ce fonds ont permis de sauver 7 millions de vies en vingt ans ; celles au Gavi, qui vaccine directement les populations, de vacciner 65 millions d’enfants dans le monde et de sauver 1 million de vies. Enfin, l’action d’Unitaid, qui est une organisation complémentaire des deux autres, a contribué à faire baisser drastiquement le coût des traitements et à développer des innovations pour lutter contre les trois pandémies et améliorer la santé maternelle et infantile.
    Vous le voyez, monsieur le député : nous sommes dans l’action –⁠ et nous allons continuer.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Bertrand Bouyx, pour une seconde question.

    M. Bertrand Bouyx (HOR)

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    Dans le contexte international actuel, marqué par de multiples crises, l’aide publique au développement est un pilier de la solidarité internationale et un motif de fierté pour notre pays. Bien plus qu’un simple transfert financier, elle constitue un levier pour la croissance et un outil essentiel de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Depuis des décennies, États et organisations internationales mobilisent des ressources pour soutenir les pays en développement dans des domaines fondamentaux tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable ou encore la transition écologique.
    Toutefois, eu égard aux défis actuels –⁠ changement climatique, crise humanitaire, instabilité géopolitique –, il est essentiel d’en évaluer l’efficacité et d’en renforcer la transparence. L’aide publique au développement est parfois critiquée, souvent par méconnaissance, par volonté de repli national ou, dernièrement, par mimétisme servile envers l’administration Trump, alors même qu’elle sert nos intérêts et répond à un devoir de solidarité. L’État s’efforce d’accroître son efficacité et d’en mesurer les effets.
    Quelles mesures le gouvernement entend-il prendre pour rendre l’aide publique au développement plus lisible et transparente, afin que nos concitoyens puissent mieux en saisir l’importance et les résultats ? (M. Hervé Berville applaudit.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Merci beaucoup, monsieur le député, pour cette question. L’architecture de l’APD est complexe, puisqu’elle fait intervenir divers instruments, programmes, missions budgétaires, ministères et opérateurs. Toutefois, la complexité du dispositif répond à la complexité du réel.
    Les objectifs de l’APD sont clairs et encadrés. Le Conseil présidentiel de développement fixe le cap au plus haut niveau, en définissant dix objectifs prioritaires. Le Cicid, comité interministériel de la coopération internationale et du développement, se réunit chaque année sous la présidence du premier ministre. Deux à trois fois par an se réunit aussi le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale, qui est une instance de dialogue avec les OSC et que je préside. Enfin, je tiens régulièrement des comités de pilotage de la politique d’investissement solidaire et durable. Tout cela n’est pas simple, je vous l’accorde, mais c’est ainsi que cela est organisé, notamment par la loi.
    Pour ce qui est de la transparence, les résultats de tous ces travaux sont publics et des étapes de consultation régulièrement ouvertes. L’ensemble des données relatives à l’APD sont disponibles sur les sites de l’AFD ou data.gouv.fr. Nous continuons à améliorer la lisibilité du dispositif grâce à une communication plus homogène. Nous allons déployer dans les prochaines semaines un logo unique France pour tous nos projets sur le terrain. J’ai prévu également de réaliser un tour de France pour aller à la rencontre des Français et des élus afin de répondre à leurs questions et de leur présenter notre politique. J’ai commencé à le faire, y compris à l’égard de nos concitoyens des territoires d’outre-mer. C’est très important et je vous invite à effectuer vous aussi ce travail.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Castellani.

    M. Michel Castellani (LIOT)

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    Le 20 janvier, le président Trump a signé un executive order fermant brutalement l’USAID. Même s’il a été décidé de maintenir des subventions pour l’assistance alimentaire ou le traitement de certaines maladies, il s’agit d’une rupture majeure. C’est tout l’écosystème de l’aide internationale qui est à repenser –⁠ d’autant plus que cette aide sert aussi de variable d’ajustement budgétaire pour un certain nombre de pays, ce qui est infiniment regrettable. L’USAID représentait à elle seule 40 % de l’aide humanitaire mondiale.
    Cette disparition risque de provoquer une catastrophe. Je pense à la lutte contre le sida ; je pense à l’Ukraine, touchée à travers le secours aux blessés ou les opérations de déminage ; je pense à l’Afrique subsaharienne, qui représentait à elle seule 60 % des financements de l’USAID. Ces difficultés seront encore amplifiées par la restriction des moyens alloués à la recherche. On peut s’interroger sur les répercussions qu’auront toutes ces coupes budgétaires, notamment sur le tissu humanitaire français, qui assurait une bonne partie de ses interventions grâce à l’aide américaine.
    Cependant, on peut considérer que cette nouvelle donne est aussi l’occasion de repenser la philosophie même de l’aide internationale, notamment de faire évoluer les modèles de développement dans les pays du Sud afin de réduire les effets pervers de l’aide extérieure, qui comporte malgré tout des effets de domination.
    Dans ce contexte, le gouvernement compte-t-il revenir sur les baisses de dépenses prévues dans le budget ? Plus largement, comment va-t-il s’adapter à la nouvelle donne ? (M. Hervé Berville applaudit.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Monsieur le député, comme moi vous constatez que les besoins ne cessent d’augmenter et que, dans le même temps, les ressources sont menacées. La suppression brutale de l’USAID et la réduction de l’APD américaine, à hauteur de 65 milliards de dollars en 2023, vont projeter des pays dans l’abîme. Cela se fera au détriment des principaux bénéficiaires : l’Afrique, l’Ukraine et les plus vulnérables.
    La politique de partenariats internationaux de l’Europe et de la France n’a pas vocation à se substituer aux États-Unis mais nous avons une responsabilité particulière : avec une APD de 96 milliards d’euros en 2023, l’Europe est, loin devant les États-Unis, le premier bailleur de fonds mondial.
    La France se mobilise à deux niveaux.
    Au niveau européen, nous souhaitons nous concentrer sur les enjeux prioritaires pour nos intérêts et les besoins de nos partenaires. Nous voulons cibler les zones géographiques les plus stratégiques pour l’Union européenne, telles que l’Afrique, l’Ukraine et le Moyen-Orient.
    Au niveau international, la France et l’Europe feront des propositions ambitieuses lors de la prochaine conférence internationale sur le financement du développement, qui sera organisée à Séville en juin prochain. Cette conférence, qui se tient tous les dix ans, doit être un tournant : avec ou sans les États-Unis, les ressources publiques ne seront pas suffisantes pour relever les défis actuels. Ce constat est au cœur du pacte de Paris pour les peuples et la planète. Soixante-douze États ont déjà rejoint cette initiative qui vise à identifier de nouvelles ressources. Nous devrons en effet mobiliser toutes celles disponibles –⁠ publiques et privées, internationales et domestiques – pour être à la hauteur des enjeux.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Nicolas Sansu.

    M. Nicolas Sansu (GDR)

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    L’aide publique au développement est de ces politiques qui fondent notre humanité. N’en déplaise à l’extrême droite, qui cultive la haine et les discriminations, c’est l’honneur de la France d’avoir défendu jusqu’au sein de l’ONU la nécessité de consacrer une part des ressources mondiales à un meilleur équilibre de développement.

    M. Hervé Berville

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    Eh oui !

    M. Nicolas Sansu

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    L’aide publique au développement n’est pas seulement une question d’humanité –⁠ même si cela suffirait à la justifier ; elle permet aussi de mieux appréhender les défis qui nous assaillent. Avec le réchauffement climatique, avec l’impérialisme en marche, avec les prises de possession des ressources naturelles, qui ont comme corollaires des conflits et des guerres partout sur la planète, qui peut légitimement croire que les migrations ne vont pas s’accélérer, quels que soient les murs et barbelés que d’aucuns voudraient ériger ?
    Si, au cours de l’histoire, les êtres humains ont toujours migré, ils ne l’ont pas toujours fait de bon gré ; c’était bien souvent pour assurer leur survie même. Alors que les inégalités de développement s’accroissent, le phénomène va se poursuivre. C’est pourquoi il faut accroître le développement sur place, réduire les inégalités et la pauvreté mondiale, et parvenir au fameux 0,7 % de produit intérieur brut consacré par les pays riches au développement des pays pauvres : c’est du gagnant-gagnant. Se nourrir, se loger, se soigner, s’émanciper par la culture et l’éducation : nous le devons à tous les êtres humains de la planète. C’est aussi la condition de notre sécurité collective contre les pandémies, les guerres, la faim dans le monde.
    Aussi est-il insupportable que l’aide publique au développement ait subi une coupe drastique dans le budget pour 2025. Puisque les transactions financières actuelles servent d’abord une petite caste, allez-vous enfin augmenter, voire doubler le taux de la taxe sur les transactions financières, l’élargir aux opérations intrajournalières et l’affecter en totalité à l’AFD ? De même, l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) servira-t-elle totalement à l’aide publique au développement –⁠ comme cela devrait être le cas – et aux peuples qui en ont le plus besoin après qu’ils ont été souvent pillés par les appétits avides des oligarques capitalistes ? (M. Hervé Berville applaudit.)

    M. Hervé Berville

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    Très bien –⁠ sauf la fin !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Le monde est confronté à une multiplication inédite de crises. Les États-Unis ont supprimé leur aide ; ce sont 50 milliards de dollars qui font défaut, ce qui projette des régions entières dans l’abîme. Dans ce contexte, les besoins de financement du développement n’ont jamais été aussi importants. Ne serait-ce que pour le climat, les besoins sont passés de 2 500 milliards de dollars par an en 2019 à plus de 4 000 milliards en 2024.
    Cette année aura lieu à Séville la 4e conférence internationale sur le financement du développement –⁠ ces conférences se tiennent tous les dix ans. Nous voulons qu’elle constitue un réel tournant. La France et l’Europe y défendront des propositions ambitieuses en vue de continuer de lutter contre le changement climatique –⁠ c’était tout l’esprit de l’agenda de Paris pour les peuples et la planète : une réforme ambitieuse de l’architecture financière internationale donnant davantage de responsabilités et de représentativité aux pays en développement. Des solutions efficaces aux problèmes d’endettement devront également être trouvées. La mobilisation de financements innovants, qu’ils soient publics ou privés, internationaux ou domestiques, sera nécessaire.
    Nous voulons aussi saisir cette occasion pour battre en brèche l’opposition caricaturale entre le Nord et le Sud. La France défend une troisième voie, celle du droit international, des règles multilatérales et de la justice sociale.
    Lors de ce grand rendez-vous, nous proposerons donc de modifier l’architecture du financement de l’aide au développement.
    Il existe aussi des solutions en interne : c’est vous, messieurs et mesdames les députés, qui votez le budget. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

    M. Nicolas Sansu

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    Voilà longtemps que cela ne nous est pas arrivé !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    M. le ministre a de l’humour !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Préparons donc le budget pour 2026.
    Sur le plan international, instaurer de nouvelles taxes, notamment dirigées contre les plus pollueurs, est une autre piste que nous envisageons sérieusement.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq (GDR)

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    Depuis le décret de 1998 qui l’a créé, le Cicid se serait réuni à douze reprises. La dernière réunion, qui a eu lieu en 2023, a étendu de dix-neuf à quarante-six pays la liste des récipiendaires de l’aide publique au développement français.
    Désormais, ce serait un conseil présidentiel, sur les partenariats internationaux, qui prendrait le relais. Le groupe GDR considère qu’il s’agit d’un recul démocratique. En effet, les députés contrôlent l’action du gouvernement, et de lui seul. Et si ce n’était que le nom qui changeait ! Nous supposons qu’on modifiera aussi la liste des pays à aider. Notre pays n’a déjà pas de boussole pour sa politique internationale ; n’aura-t-il plus de boussole pour sa politique d’aide au développement ?
    Selon quels critères cette liste sera-t-elle établie ? Combien de pays y figureront-ils et quels seront les objectifs visés ?
    Faut-il rappeler l’importance de l’aide publique au développement, en termes tant humains que sécuritaires ? Alors qu’ils ont demandé ce débat, les députés du Rassemblement national sont tous absents de l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ M. Hervé Berville applaudit également.) En termes humains –⁠ humains ! –, cette aide permet l’accès à l’eau potable, à la nourriture et aux soins élémentaires, dont la vaccination, contribuant ainsi à combattre la propagation des maladies. L’aide publique au développement constitue en ce sens une mesure de santé publique. Encore aurait-il fallu qu’ils soient présents pour le comprendre.

    M. Hervé Berville

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    Ce n’est pas garanti.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    J’en veux pour preuve les effets dévastateurs –⁠ évoqués par tous les collègues – que pourrait avoir la suspension de l’aide américaine résultant de la suppression de l’USAID décidée par le président de ce pays ; elle risque notamment d’entraîner une véritable régression en matière de lutte contre les maladies.
    Pour conclure, l’aide publique au développement contribue également à la sécurité nationale d’abord, régionale ensuite. Au vu de l’état du monde –⁠ les conflits, les guerres, la pauvreté, les inégalités –, nous avons grand besoin de l’intensifier. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ M. Hervé Berville applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    En tant qu’ancien sénateur, je suis convaincu que le Parlement doit pleinement exercer son rôle d’orientation et d’évaluation de nos politiques publiques. Je rappelle à ce titre que notre action s’inscrit dans le cadre de la loi de programmation du 4 août 2021, votée à l’unanimité des deux chambres. Ce message fort en faveur de la solidarité internationale nous oblige. Sur ce point, nous sommes d’accord. Il vous revient au premier chef de décider du niveau d’ambition de notre politique d’aide.
    Qui plus est, certains d’entre vous siègent au conseil d’administration de l’AFD, notre principal opérateur, et la vie parlementaire offre de nombreuses occasions de vous saisir des orientations de notre action, d’auditionner ceux qui l’appliquent et de demander des comptes au gouvernement. Vous n’hésitez pas à le faire, comme en attestent la vingtaine d’auditions de l’AFD conduites chaque année au Parlement. J’espère d’ailleurs que nos échanges seront utiles, notamment pour les prochains débats budgétaires.
    Au-delà des grandes orientations, le rôle du Parlement consiste aussi à contrôler l’action du gouvernement. À cet égard, je peux vous communiquer deux éléments. D’une part, le gouvernement a mis en ligne toutes les informations relatives à notre APD depuis 2022, comme la loi l’y invitait –⁠ un tel effort de transparence est inédit. D’autre part, le Parlement ayant confié, en avril 2024, au ministère des affaires étrangères la tâche d’organiser une commission indépendante d’évaluation de l’aide publique au développement, le décret relatif à ses modalités de fonctionnement a été publié début février 2025. Je remercie l’Assemblée nationale d’avoir désigné les deux députés qui y siégeront.

    M. Hervé Berville

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    Ils sont ici !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Olivier Fayssat.

    M. Olivier Fayssat (UDR)

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    Nous évoquons souvent dans cet hémicycle la dette abyssale de 3 300 milliards d’euros que nous laisse le macronisme, et qu’il faut réduire. Je croyais que cet impératif rendait malheureusement impossible d’allouer plus que ces 68 petits millions d’euros à l’Institut national du cancer (Inca), ce malheur qui frappe chaque année 430 000 personnes en France et, chaque année, en terrasse 160 000.
    Je croyais même que cela nous obligeait à faire patienter encore un peu les 300 000 personnes qui vivent dans la rue, nos retraités qui comptent leurs sous, nos étudiants qui sautent des repas.

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Vous ne les avez jamais défendus auparavant.

    M. Olivier Fayssat

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    J’ai même imaginé que cela pouvait justifier le prolongement d’une fiscalité écrasante, qui saigne les Français et les entreprises.
    Je remercie évidemment le Rassemblement national d’avoir pris l’initiative d’un débat qui intéresse au plus haut point les honnêtes gens dans la difficulté.

    M. Hervé Berville

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    Ça les intéresse tellement qu’ils sont là en nombre !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Ils ne sont même pas là !

    M. Olivier Fayssat

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    Je le croyais, les Français le croyaient. Et puis nous découvrons que la France distribue chaque année 3,6 milliards, éparpillés aux quatre coins du monde, en aide au développement : 136 millions d’euros pour l’Algérie, qui ne manque pas de crier chaque jour sa haine à la France, notamment en refusant de reprendre ses ressortissants les plus dangereux ;…

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Ça vaut toujours mieux que de payer l’hospitalisation de la mère d’Éric Ciotti !

    M. Olivier Fayssat

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    …200 à 300 millions versés à la Chine en quatre ans –⁠ la Chine, cette pauvre hyperpuissance économique et militaire ! L’Agence française de développement déverse aussi ses largesses –⁠ enfin, les nôtres – à des pays hostiles qui s’ingèrent dans nos territoires d’outre-mer, comme l’Azerbaïdjan –⁠ cette obscure autocratie qui continue de martyriser l’Arménie.
    En novembre dernier, l’UDR avait déposé un amendement prévoyant de réduire de 30 % le budget de cette mission, mais cette économie de 1,2 milliard ne semble pas vous avoir émus.
    Sans doute nous reprocherez-vous de manquer de hauteur de vue, monsieur le ministre ; j’aimerais pourtant savoir pourquoi tout cet argent est dilapidé et s’il ne serait pas possible de remettre un peu de bon sens dans notre politique d’aide au développement.

    M. Hervé Berville

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    Vous n’avez plus rien de gaulliste : c’est de Gaulle qui a créé cette institution. Oui, le Général !

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Leur haine l’emporte sur leur gaullisme.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Je ne dirai pas que vous manquez de hauteur, mais plutôt qu’en ne retenant que les éléments négatifs, vous faites hélas de la désinformation. Voici un exemple concret de réussites : le barrage de Nachtigal au Cameroun, dont les travaux, financés par l’AFD, ont débuté en 2019, fournira près de 30 % de la production d’électricité du pays, contribuant massivement à sa transition bas-carbone ; 9,3 millions de Camerounais en bénéficieront directement et le projet crée 23 000 emplois sur place, offrant de l’activité à la population locale. Aux termes d’un partenariat public privé entre l’État camerounais et plusieurs entreprises, EDF participera à la construction et à l’exploitation du barrage, illustrant parfaitement l’ambition que nous défendons au travers de tels partenariats.
    L’aide au développement sert également à lutter contre le crime organisé. À l’instar du réchauffement climatique ou des pandémies, il s’agit en effet d’un défi global : l’issue se joue en grande partie à l’extérieur de nos frontières. Au travers de notre opérateur Expertise France, nous appliquons le programme Europe-Amérique latine d’assistance contre la criminalité transnationale organisée (EL PAcCTO) ; financé par l’Union européenne, ce programme permet de renforcer les capacités de la chaîne pénale dans son ensemble. Je pourrais encore donner bien des exemples.
    Tout à l’heure, l’un de vos collègues a pris celui des Comores en citant certains chiffres, mais en en oubliant d’autres : en France, quelque 60 % des reconduites à la frontière concernent des ressortissants comoriens –⁠ plus de 25 000 personnes chaque année. Nous avons donc tout intérêt à continuer ce genre de partenariat.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Olivier Fayssat, pour sa deuxième question.

    M. Olivier Fayssat (UDR)

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    J’entends vos arguments et je n’ai pas dit que tout ce qui était fait était inutile.

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Vous avez employé le mot « dilapider » !

    M. Olivier Fayssat

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    Toutefois, notre rôle de parlementaire consiste aussi à signaler une éventuelle déconnexion de la volonté des gens quant à l’emploi de l’argent public : votre générosité est-elle cautionnée, voulue par les Français, notamment ceux qui ont des difficultés ? Je ne le crois pas et je m’inquiète de cette déconnexion.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Après le covid, tout le monde a compris !

    M. Olivier Fayssat

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    Ce n’est donc pas une seconde question que je formule, mais un regret. Je vous remercie néanmoins.

    M. Hervé Berville

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    Nous sommes bien les représentants du peuple et nous avons adopté ces objectifs à l’unanimité : 502 voix pour, 0 contre.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    Il ne s’agit pas de répondre projet par projet. C’est pourquoi en regard de l’exemple que vous avez pris et des éléments –⁠ ils mériteraient d’être précisés – que vous avez indiqués, je vous ai donné seulement quelques exemples de projets vertueux –⁠ il en existe beaucoup d’autres.
    Je ne prétends pas que tout va bien et qu’il ne faut rien faire. Au contraire ! Nous sommes d’ailleurs en train de mener le travail d’expertise et de contrôle que vous appelez de vos vœux. Nous le conduirons jusqu’à son terme afin de distinguer ce qui fonctionne et doit être poursuivi de ce qui ne fonctionne pas et doit s’arrêter.
    Je profite de cette dernière réponse –⁠ à ce qui n’était pas une question – pour élargir mon propos. Je vous remercie pour ce débat : il aura été utile à la représentation nationale comme aux Françaises et aux Français.

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Pour corriger les fake news du RN !

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué

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    En guise de conclusion, je voudrais rappeler trois convictions.
    La première, c’est que nos concitoyens sont fiers de cette politique gaulliste tout à l’honneur de la France. Notre pays est attendu dans le monde ; il doit être au rendez-vous.
    Deuxièmement, je suis persuadé que ce que nous faisons pour répondre aux défis majeurs de notre siècle –⁠ prévenir la guerre et lutter contre la désespérance – n’a jamais été aussi utile.
    Troisièmement, je suis mobilisé pour que nous puissions, collectivement, faire mieux. En effet, l’efficacité constituera toujours la boussole de notre politique : partout, nous devons nous assurer que notre action est valorisée et comprise par nos concitoyens.
    Pour finir, je reste à votre disposition pour avancer sur ces sujets majeurs –⁠ ce n’est pas une clause de style, comme certains d’entre vous ont pu le constater.

    Mme la présidente

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    La séquence de questions-réponses étant terminée, le débat est clos.
    Le débat suivant portera sur le thème : « Conditions de travail et de détention dans les prisons françaises » et se tiendra en salle Lamartine.

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures cinq.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.

    2. Conditions de travail et de détention dans les prisons françaises

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle le débat sur les conditions de travail et de détention dans les prisons françaises.
    Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
    La conférence des présidents a décidé d’organiser le débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure ; puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une durée d’une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire, à Mme Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privations de liberté et à M. Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT Pénitentiaire.
    La parole est à M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire.

    M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire

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    Je remercie le groupe LIOT de nous permettre d’évoquer nos métiers pénitentiaires, de nous donner l’occasion de parler des femmes et des hommes qui composent cette administration mais aussi de celles et ceux que nous avons la mission de prendre en charge, dans nos prisons ou en milieu ouvert.
    L’administration pénitentiaire suscite un intérêt grandissant. Nos concitoyens prennent conscience de la réalité de nos missions, du dévouement de nos agents et des défis colossaux auxquels nous faisons face. Cependant, il aura fallu un drame pour que cette réalité s’impose à tous : le 14 mai 2024 a marqué un tournant. L’attaque d’Incarville a été un séisme, un choc pour notre institution et pour la nation tout entière. Deux de nos agents ont payé de leur vie leur engagement au service de la justice ; trois autres ont été grièvement blessés. Nous ne l’oublierons jamais.
    Le 14 mai, c’est notre 11 septembre : il y a eu un avant, il y a un après. L’après-Incarville, c’est la prise de conscience par la nation d’une réalité, celle d’une administration et d’agents sous tension extrême, dont les conditions de travail sont très dures. Nos agents évoluent dans un environnement très souvent marqué par la menace, la violence et parfois la peur, que ce soit lors des extractions ou au sein même des établissements.
    La prison est un lieu de danger, mais c’est aussi un lieu où nous sommes dans l’obligation de tenir, jour après jour, en faisant preuve de professionnalisme et de résilience. Je pense aux surveillants, aux gradés, aux officiers ; je pense aux conseillers d’insertion et de probation et aux personnels de direction ; je pense aussi aux personnels administratifs. Chaque jour, ils affrontent une pression, invisible pour beaucoup, mais bien réelle pour ceux qui la vivent.
    Les défis auxquels nous faisons face sont immenses : on demande à l’administration pénitentiaire de réussir là où, souvent, d’autres institutions ont échoué. Qui d’autre travaille à 150 %, 200 %, voire 250 % de ses capacités ? Quand, par manque de moyens, l’hôpital ferme des lits, les établissements pénitentiaires doivent continuer d’accueillir. Quand d’autres institutions ajustent leurs moyens, nous, nous tenons.
    Si la prison est un lieu âpre et parfois violent, c’est aussi un lieu de justice. Je veux rendre un hommage appuyé à nos agents, tant leur résilience est extraordinaire. La surpopulation carcérale est une réalité brutale qui affecte leurs conditions de travail. Elle dégrade les conditions de détention et exacerbe les tensions ; dans certaines maisons d’arrêt, des cellules conçues pour un seul détenu en accueillent deux ou trois.
    Nous poursuivons néanmoins nos missions, notamment la prise en charge des personnes détenues, souvent en souffrance psychique, voire psychiatrique. Nous devons les mener sur un chemin de désistance, pour les éloigner de la délinquance et de la récidive.
    Faire face ne suffit pas : il faut aussi agir pour améliorer les conditions de travail de nos agents. Nous investissons pour renforcer la sécurisation des établissements, développer des programmes adaptés, améliorer l’encadrement et le soutien. Des mesures concrètes sont engagées : la lutte contre les violences en détention, l’accompagnement renforcé des personnels, l’offre d’aménagements de peine, pour désengorger mais aussi réinsérer.
    Améliorer les conditions de travail, c’est aussi assurer la sécurité de nos agents ; c’est donner du sens à leur mission et tout faire pour qu’ils aient les moyens d’une prise en charge utile. C’est garantir une détention digne, parce que sans respect, l’autorité se délite. L’administration pénitentiaire est un maillon essentiel de la chaîne judiciaire, qui reste fort malgré les épreuves.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privations de liberté.

    Mme Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privations de liberté

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    Je tiens d’abord à remercier chaleureusement le groupe LIOT de nous avoir invités à parler des prisons, ici à l’Assemblée nationale. Je sais que ce n’est pas un sujet qui déplace les foules ; c’est dommage, parce qu’il a un retentissement sur l’ensemble de la société. On parle beaucoup de la délinquance et des faits divers, mais il faut se rendre compte que la prison existe à la fois pour punir –⁠ c’est normal –, mettre à l’écart pendant un temps, mais aussi réinsérer. Sa mission, c’est aussi la réinsertion ! Or ce service public est en état –⁠ j’ose le mot – de désintégration sociale totale.
    Pour commencer, je veux dire que l’état de nos prisons, c’est bien le triomphe que l’on connaît : 82 000 détenus, 4 500 matelas au sol… En prenant mon poste, je ne m’attendais pas à des chiffres aussi terribles, à de telles conditions de détention et aux conditions de travail que subissent les surveillants.
    Je veux aussi dire que des mesures de saupoudrage, quelles qu’elles soient, ne suffiront pas : aucune petite mesure n’aura la moindre utilité si le pouvoir politique, en l’occurrence l’exécutif, ne prend pas les choses en main en menant à bien une régulation carcérale –⁠ s’il ne vide pas les prisons, en quelque sorte.
    Sans cette mesure forte, il n’y aura aucun espoir d’amélioration ; mais elle nécessite un courage politique dont nous sommes malheureusement dépourvus. Tout le monde sait que c’est la seule solution : de nombreux parlementaires viennent me voir pour me dire que j’ai raison, que cette mesure courageuse est nécessaire ; mais ils me disent aussi que c’est impossible, car l’opinion publique est contre nous. Il faut surmonter cet écueil ! Ce geste ne dépend pas des magistrats, encore moins de la pénitentiaire qui, contrairement aux hôtels, ne peut afficher « complet » sur le fronton de ses prisons, il dépend du pouvoir politique !
    Certains parlementaires ont fait preuve de courage. Caroline Abadie, Elsa Faucillon et Ugo Bernalicis ont déposé des propositions de loi en ce sens ; malheureusement, elles n’ont pas pu être examinées lors des niches parlementaires. Pire, Elsa Faucillon et Caroline Abadie se sont vu interdire de déposer un de leurs amendements au projet de loi d’orientation et de programmation ; à la place, un hypothétique débat « transpartisan » devait être organisé, mais il n’a jamais eu lieu.
    Nous avons calculé qu’il suffirait d’octroyer un mois de grâce à chaque détenu pour que 6 700 ou 7 000 d’entre eux soient libérés ; et qu’avec six mois de grâce, le problème serait réglé : il y aurait alors 40 000 détenus en moins. Serait-il vraiment dramatique que les gens sortent un mois ou un mois et demi avant la fin de leur peine ? Pour ma part, je ne le pense pas. Ce que je crois, c’est qu’il faut se concentrer sur l’accompagnement à la sortie de prison. En effet, si les magistrats se montrent réticents à l’égard de ces réductions de peine, c’est parce que, malheureusement, les mesures d’accompagnement font défaut.
    Un sénateur a calculé que, dans le budget de la pénitentiaire, la part consacrée à l’accompagnement était passée de 38 % à 18 %. L’accompagnement est devenu le parent pauvre de cette administration. Ce n’est pas normal.
    En outre, certaines réformes ont aggravé la situation, comme la réforme des crédits de réduction de peine (CRP), nous pourrons y revenir.
    J’ajoute que de très nombreux malades psychiatriques se trouvent en prison : 20 % des personnes incarcérées selon certaines estimations, 30 % à 35 % selon les nôtres et celles généralement admises –⁠ suivant qu’on prenne en considération le haut du spectre de la maladie mentale ou qu’on envisage un spectre plus large.
    Une constante chez moi a été de parler du travail des surveillants. Il n’est pas normal que des directeurs de prison, du fait de leur devoir de réserve, me demandent d’être leur porte-parole ; il n’est pas normal que des surveillants nous confient leur détresse due aux conditions de travail.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT Pénitentiaire.

    M. Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT Pénitentiaire

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    Merci au groupe LIOT de nous inviter afin de pouvoir nous exprimer sur un sujet qui ne devrait pas être tabou. Il faut que nous puissions nous exprimer si nous voulons que les conditions de travail des personnels pénitentiaires soient prises en compte. Nous avons parfois le sentiment de ne pas être entendus, s’agissant des moyens énormes que nécessiterait l’amélioration des conditions de détention et des conditions de travail.
    Je rejoins de nombreux points des interventions précédentes. Si je suis représentant du personnel, je suis avant tout surveillant pénitentiaire. Au cours de mes vingt-sept années de carrière, j’ai constaté la très nette dégradation de l’état de nos prisons. Ainsi, en 2020, on comptait 52 000 détenus incarcérés pour 50 000 places ; en 2025, les détenus sont au nombre de 82 000 pour 62 353 places –⁠ il y a plus de 4 000 matelas au sol. La situation des maisons d’arrêt, qui accueillent des prévenus en attente de jugement et des personnes condamnées à de courtes peines, est la plus dégradée. Les établissements pour peine sont moins touchés par la surpopulation.
    Celle-ci a des effets néfastes sur les conditions de travail des personnels. Le directeur adjoint de l’administration pénitentiaire a évoqué les conditions de détention et j’y insiste : on peut compter jusqu’à cinq détenus dans une cellule de 9 mètres carrés ! La tâche des personnels s’en trouve compliquée dans la mesure où l’administration se doit de gérer la détention de profils de plus en plus particuliers. Les détenus atteints de troubles psychiatriques, par exemple, devraient être pris en charge par des structures adaptées comme les services de santé –⁠ eux-mêmes en difficulté –⁠ ; ils n’ont pas leur place en établissement pénitentiaire.
    La surpopulation a un fort impact sur les conditions d’exercice non seulement des personnels de surveillance mais aussi des personnels de tous corps, de tous grades –⁠ chefs d’établissement, personnels administratifs, personnels techniques, officiers… Au quotidien, je peux vous dire que ce n’est pas facile. J’espère que le gouvernement prendra des initiatives très fortes pour permettre à l’administration pénitentiaire et, au-delà, au ministère de la justice, de disposer des moyens à la hauteur de nos besoins.
    Le drame d’Incarville –⁠ deux collègues ont été tués et trois autres gravement blessés –, a mis en avant les difficultés des personnels de surveillance : il est impossible, faute de moyens, de remplir des missions extérieures qui se sont greffées à notre corps de métier. Nous avons en effet des besoins en ressources humaines, par exemple, pour extraire les détenus dans de bonnes conditions et sans risquer la vie des agents. Or le budget, qui a tardé à être voté, ne comble pas les très larges insuffisances en la matière.
    Encore une fois, il faut avoir le courage de se donner les moyens. Il faut savoir ce qu’on veut faire du ministère de la justice, en particulier de l’administration pénitentiaire. Nous avons besoin de votre écoute et, je le répète, des moyens que vous nous octroierez afin que nous exercions notre métier correctement.

    Mme la présidente

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    Nous en venons aux questions. Chacune sera immédiatement suivie de sa réponse afin que le débat soit le plus fluide possible. Chaque intervention ne devra pas dépasser une durée de deux minutes.
    La parole est à Mme Martine Froger.

    Mme Martine Froger (LIOT)

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    Je remercie les personnes invitées d’avoir bien voulu participer au présent débat. Vous l’avez dit, la population carcérale augmente de façon continue, pour atteindre en 2025 le chiffre jamais égalé de 82 000 détenus. Cinq ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), aucune mesure générale d’envergure n’a été prise pour remédier à la surpopulation carcérale. Les gouvernements successifs s’entêtent à construire des places de prison, privilégiant une solution immobilière qui n’est pas du tout la bonne réponse, en ce qu’elle s’apparente à une sorte de frénésie répressive.
    Il ne suffit pas, on le voit bien, que le législateur adopte des mesures visant à restreindre le recours à la privation de liberté, encore faut-il que les juges s’en saisissent pleinement. Dans les faits, le nombre des incarcérations et leurs durées ne cessent d’augmenter : ne faut-il pas travailler sur la formation initiale des juges, afin qu’ils prononcent davantage de peines alternatives ?
    Je souhaite également revenir sur l’expérimentation bienvenue des dispositifs dits de régulation carcérale. Ils sont fondés notamment sur l’idée qu’un partage d’informations entre autorité judiciaire et administration pénitentiaire permettrait de réguler les flux d’incarcération au niveau local. Or, faute de moyens coordonnés, cette expérimentation ne s’est pas encore traduite par une baisse des taux d’occupation.
    Enfin, la question des moyens est centrale. La France accuse un certain retard, ce qui se traduit par de grosses lacunes en matière d’activités en détention, pourtant indispensables pour une meilleure insertion.
    Les défis sont nombreux et complexes, comme vous l’avez rappelé, monsieur Razous. Ils sont même colossaux.
    Madame la contrôleuse générale, on sait que la surpopulation carcérale est en partie liée à la détention de personnes prévenues dans le cadre de la comparution immédiate. Comment analysez-vous la faiblesse du recours aux mesures alternatives telles que l’assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse), recours qui permettrait de réduire cette surpopulation ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Simonnot.

    Mme Dominique Simonnot

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    La comparution immédiate a été la passion de ma vie de journaliste ! J’ai pu observer ce qui se passe : les audiences se terminant tard, le vendredi soir, on envoie les prévenus en détention provisoire en attendant leur jugement le lundi, qui débouche souvent sur une relaxe. Les surveillants, les directeurs de prison nous le disent : on pourrait éviter, avec le placement sous surveillance électronique, d’avoir à pousser les murs pour ajouter dix personnes…
    S’agissant des alternatives, nous avons créé un groupe de travail avec les syndicats pénitentiaires, les syndicats de médecins, d’avocats, de magistrats et les associations qui œuvrent en prison. Nous avons remarqué que le nombre d’alternatives augmente en même temps que celui des incarcérations, si bien qu’au lieu d’alternatives à la prison, il conviendrait de parler d’alternatives à la liberté.
    Le filet pénal s’étend : ces alternatives s’appliquent à des gens qui ne seraient pas allés en prison.

    Mme Martine Froger

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    Tout à fait !

    Mme Dominique Simonnot

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    Il faudrait davantage se concentrer sur les aménagements de peine : des sorties de prison plus précoces, mais accompagnées, en particulier par les conseillers d’insertion et de probation de la pénitentiaire.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Elsa Faucillon.

    Mme Elsa Faucillon (GDR)

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    Je suis très heureuse de voir ces trois intervenants à l’Assemblée, tant il est nécessaire que nous nous emparions de la question des conditions de détention, de même que des conditions de travail.
    Je poursuivrai la question de notre collègue Froger sur les solutions alternatives à la détention. Dans notre rapport sur le sujet, Caroline Abadie et moi-même avons tenté de convaincre du fait que de telles alternatives permettaient une meilleure réinsertion –⁠ je pense au placement extérieur, grâce auquel on obtient de très bons résultats dans la lutte contre la récidive. Madame Simonnot, comment rendre crédibles de telles mesures ? Comment montrer que la prison, pour certains délits, certaines peines et certaines personnes, constitue, sinon une école du crime, du moins un facteur de récidive ? Cela, alors que nous appelons de nos vœux un parcours de désistance. Hier encore, en commission des lois, nous avons débattu des courtes peines, pourtant très désocialisantes.
    Par ailleurs, monsieur Gauthier, on fait dire beaucoup de choses aux surveillants pénitentiaires : dans le débat public, ils sont souvent présentés comme des gens qui veulent voir tout le monde enfermé. Pour en avoir rencontré beaucoup, je sais pourtant combien leur métier leur tient à cœur et combien le lien qu’ils entretiennent avec les détenus fait partie de leur boulot. Ce ne sont pas que des gens qui ferment des portes. En votre qualité de représentant des surveillants, que pensez-vous de la régulation carcérale ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier.

    M. Samuel Gauthier

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    La prison doit rester l’exception. La décision que prennent les magistrats étant lourde, ils doivent d’emblée envisager des aménagements de peine. Il est en effet très contraignant pour l’administration pénitentiaire de devoir accueillir pour très peu de temps des prévenus –⁠ Mme Simonnot a rappelé les conséquences d’une incarcération le vendredi soir pour une comparution immédiate le lundi, avec libération dans la foulée.
    Et si la prison est l’exception, l’encellulement individuel doit être la règle dans un État de droit. On construit des prisons, certes, puisque certaines, vétustes, ne sont plus adaptées pour accueillir un public condamné. Mais la surpopulation est également due au fait que les peines sont de plus en plus lourdes.
    Il est faux, en effet, de croire que le personnel pénitentiaire aime voir les gens incarcérés. Nous estimons que les détenus doivent payer leur dette à la société, et c’est le cas, mais notre métier ne se borne pas à ouvrir et à fermer des portes. Notre mission consiste à accompagner les détenus afin de préparer leur réinsertion et de prévenir la récidive. Or nous ne pouvons pas la mener à bien en raison du nombre trop important de détenus.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Ségolène Amiot.

    Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP)

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    Je remercie les trois intervenants de rendre possible, par leur présence, ce débat. Les chiffres ont été rappelés, on compte 82 000 détenus pour 62 000 places. Il faut avoir à l’esprit que l’encellulement individuel, dans le cas des longues peines, biaise les statistiques : la concentration est plus forte encore dans les maisons d’arrêt. Du fait de cette surpopulation, quelles sont les missions que les agents de l’administration pénitentiaire, en sous-effectifs, ne peuvent mener à bien ?
    Le Parlement examine en ce moment des textes dont les dispositions peuvent concerner les prisons : je pense à l’allongement des peines, dans le cadre de la proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic, à la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, à la proposition de loi qui vise à supprimer, pour les détenus, la possibilité de voter par correspondance. Quel est votre avis sur ces dispositions ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Simonnot.

    Mme Dominique Simonnot

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    À chacune de nos visites, nous constatons les difficultés auxquelles font face les surveillants pénitentiaires dans l’exercice de leur métier. Ils nous confient leur détresse. J’ai eu mon premier choc carcéral à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, quand j’ai vu dans leur cellule trois détenus assaillis par des cafards –⁠ nuisibles dont j’ai appris qu’ils pouvaient aussi transmettre de sales maladies. Les surveillants, eux-mêmes, disent qu’ils refuseraient d’occuper ces cellules !
    Les surveillants ne peuvent plus exercer leur métier. Notre groupe de travail a mis en lumière les risques psycho-sociaux très importants qu’ils courent, et qui peuvent déboucher sur des décompensations psychiques. Chaque soir, les surveillants rentrent chez eux convaincus d’avoir mal fait leur métier. Mettez-vous à leur place, cela finit par taper sur le système ! Qui de nous supporterait de voir ses tâches multipliées par trois ? Personne. C’est un scandale, autant pour les surveillants que pour les détenus.
    Le dispositif de placement à l’extérieur est exploité de façon minable –⁠ je pèse mes mots. Il n’y a que 900 placements par an et le dispositif est insuffisamment financé par la puissance publique, puisque seule la chambre est prise en charge, pas l’accompagnement social. Encore une fois, c’est l’accompagnement qui pèche. C’est dommage, parce que la mesure marche très bien. Elle ressemble un peu à une mesure de semi-liberté, mais associative : la personne apprend un métier dans la journée, elle est hébergée par une association la nuit.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Céline Hervieu.

    Mme Céline Hervieu (SOC)

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    Je vous remercie pour votre présence. À la prison de la Santé, dans ma circonscription, le nombre de détenus n’a jamais été aussi élevé : le taux d’occupation dépasse désormais les 172 %, un niveau inédit depuis la réouverture de l’établissement, il y a six ans.
    La suroccupation carcérale pèse évidemment sur les conditions de vie des personnes détenues, mais aussi sur les conditions de travail du personnel, dont on sait le dévouement. La construction de nouveaux logements est un mirage, sinon un mensonge dans la bouche de ceux qui s’en font les promoteurs. Nous devons regarder les choses en face : pour absorber le nombre de détenus supplémentaires, il faudrait qu’un établissement sorte de terre chaque mois. Or l’État a lui-même annoncé en automne que le seul programme de construction en cours n’irait pas à son terme. On ne pourra pas faire baisser ce chiffre de la honte, qui a valu à la France une condamnation par la CEDH.
    Les pays scandinaves, les Pays-Bas ou l’Allemagne –⁠ des pays qui ont une population carcérale similaire à la nôtre – ont instauré un système de régulation carcérale : au-delà d’un certain seuil, l’état d’urgence carcérale doit être décrété. Comment avancer sur ce sujet ?
    Nombre de détenus souffrent d’une maladie mentale qui nécessite une prise en charge médicale. Pensez-vous qu’il faille augmenter le nombre d’unités pour malades difficiles (UMD) ou de structures similaires, afin d’alléger et d’adapter leur suivi ?
    Les surveillants pénitentiaires protègent les détenus et les citoyens, ainsi que l’administration d’une certaine façon, mais qui les protège et prend soin d’eux ? Des analyses de pratiques sont-elles effectuées ? Des espaces de discussions sont-ils mis en place ? Les agents pénitentiaires bénéficient-ils d’un accompagnement psychologique ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier.

    M. Samuel Gauthier

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    Vous avez très bien résumé les conditions de travail que nous subissons. C’est principalement la surpopulation qui nous empêche d’exercer nos missions, notamment en matière de prise en charge. Notre métier ne se résume pas à ouvrir et à fermer les portes, il consiste aussi à évaluer et à observer. Comme nous côtoyons chaque jour les détenus, nous sommes les mieux placés pour évaluer leur évolution.
    En maison d’arrêt, la gestion des individus est difficile car il faut souvent séparer les profils –⁠ fumeurs et non-fumeurs, musulmans et non-musulmans, différents types d’infraction – pour éviter des incidents supplémentaires. La promiscuité dans les cellules accentue le mécontentement, provoque des refus : c’est alors l’agent, lorsqu’il ouvre la porte, qui se fait insulter et menacer.
    La construction d’établissements devrait d’abord servir à fermer des lieux vétustes. Quand ces nouveaux établissements sont prévus pour contenir 500 places, ils ne devraient pas accueillir plus de 500 détenus. Or le maximum est très vite atteint, puis dépassé, jusqu’à 800 détenus ! C’est un cercle infernal.
    Comme les détenus sont trop nombreux, tous ne peuvent pas participer aux activités et aux ateliers –⁠ dont l’intérêt est de prévenir la récidive – proposés au sein des établissements. Or un détenu inoccupé, c’est un détenu qui sera pénible.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Salvatore Castiglione.

    M. Salvatore Castiglione (LIOT)

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    Je remercie Mme Martine Froger d’avoir été à l’initiative de ce débat. La situation est marquée par la conjonction de deux phénomènes –⁠ surpopulation carcérale et vacance des postes –, qui contribue à dégrader les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des surveillants, dont la sécurité est une préoccupation.
    En tant que parlementaires, nous pouvons certes voter de nouveaux crédits, mais cela ne résout pas forcément les difficultés de recrutement sur le terrain. L’administration dispose-t-elle d’éléments chiffrés propres à nous éclairer, notamment le ratio entre détenus et surveillants ? Y a-t-il des territoires particulièrement touchés par ces vacances de poste ? Les surveillants étant en sous-effectifs, face à des détenus plus nombreux, comment adaptez-vous les protocoles de sécurité ? Les différents niveaux d’escorte ont-ils été révisés ? Avez-vous redéfini les modalités des extractions judiciaires les plus à risque ?
    Il est souvent question d’aménager les peines pour améliorer les conditions de vie des détenus, ce qui se traduit surtout par le placement sous surveillance électronique. Je comprends la démarche, mais je reste persuadé qu’un passage par la case « prison » reste nécessaire pour certains délinquants. La semi-liberté allie la prison à l’aménagement de la peine : le détenu sort pour la journée et retourne le soir en prison. Cette alternative est peu utilisée, elle représente seulement 5,6 % des aménagements de peine. Cette possibilité permettrait-elle d’améliorer les conditions de détention ? Pourquoi est-elle si peu utilisée ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Emmanuel Razous.

    M. Emmanuel Razous

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    Je vais tâcher de répondre à vos nombreuses questions. Deux courbes se croisent, dans le mauvais sens malheureusement. Le taux d’occupation des prisons ne cesse de monter : en un an, 5 600 détenus supplémentaires ont été incarcérés ; leur nombre total atteint désormais 82 000 pour 62 000 places ; 4 600 d’entre eux doivent dormir sur un matelas à même le sol. La courbe des ressources humaines stagne, elle descend même. Le taux de couverture, soit le rapport entre les effectifs théoriquement nécessaires et les effectifs réels, qui devrait être de 100, est de seulement 90. La vacance atteint donc 10 %, à laquelle il faut ajouter les absences dues aux arrêts maladie et aux accidents du travail.
    Sur la période 2023-2024, il y a eu peu de problèmes en matière de recrutement. Un gros effort a été effectué pour renforcer l’attractivité du métier de surveillant pénitentiaire, qui était encore faible au début des années 2020. C’est une bonne chose. Nos schémas d’emploi sont désormais saturés, les concours de surveillants pénitentiaires sont pleins –⁠ en deux jours, 2 000 candidats se sont inscrits.
    Pourtant, renforcer l’attractivité ne suffit pas. Nous adaptons nos pratiques, notamment en recourant à un mode dégradé –⁠ je n’aime pas le terme – dans le roulement des équipes de surveillance. En revanche, nous essayons de maintenir un fonctionnement optimal pour les extractions judiciaires, afin de garantir la sécurité de nos équipes.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

    M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP)

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    À La Réunion, la surpopulation carcérale atteint le taux de 150 % –⁠ similaire à celui que l’on observe partout en France. Au centre pénitentiaire de Domenjod, il y a 846 détenus pour 560 places ; ils se retrouvent souvent à 4 ou 5 dans 10 mètres carrés. Cette situation favorise les dysfonctionnements et les violences entre détenus ou contre les surveillants. On observe également une augmentation des projections d’objets depuis l’extérieur.
    Les syndicats sont unanimes : ou bien l’on rénove les prisons, ou bien l’on construit un nouvel établissement dans le sud de l’île, comme cela avait été proposé il y a plusieurs années, si ce n’est plusieurs décennies.
    Il manque une cinquantaine de surveillants pénitentiaires à La Réunion et ceux qui travaillent dans l’Hexagone attendent de pouvoir rentrer au pays, car nombre d’entre eux sont en souffrance.
    Seul le centre pénitentiaire de Domenjod accueille des femmes et des mineurs. Le quartier des femmes n’est pas épargné par la surpopulation carcérale, puisque l’on dénombre jusqu’à cinq détenues dans certaines cellules. La situation est critique, non seulement en matière d’hygiène, mais aussi parce que des mineures, pour lesquelles il n’existe pas de quartier spécifique, y sont détenues.
    Comment ne pas évoquer l’absence de prise en charge de détenus souffrant de troubles psychiatriques ? L’unité de soins intensifs en psychiatrie ne suffit plus à prendre en charge tous les cas, ce qui est une vraie préoccupation : il faudrait créer une unité hospitalière spécialisée. Les conditions difficiles de détention pouvant affecter gravement la santé psychique, la santé des détenus sortant de prison devrait également être considérée.
    Les surveillants sont à bout, car ils exercent sous pression et dans la peur d’une agression. Les détenus, quant à eux, ne sont pas des chiens. Ils méritent de meilleures conditions de détention.
    Compte tenu de tous ces éléments, quelle est votre vision des prisons réunionnaises et, plus généralement, des prisons implantées outre-mer ? Quelles solutions à leurs problèmes envisagez-vous ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Emmanuel Razous.

    M. Emmanuel Razous

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    La situation réunionnaise est telle que vous la décrivez. Dans les établissements pénitentiaires de l’île, le taux d’occupation atteignait 131 % le 1er mars et dépasse même 150 % à la maison d’arrêt de Saint-Pierre.
    Les territoires ultramarins insulaires présentent des difficultés particulières. En septembre 2024, une mutinerie a éclaté à la maison d’arrêt de Majicavo, à Mayotte, ce qui a provoqué un transfèrement de vingt détenus vers un établissement réunionnais, le plus proche de l’archipel mahorais.
    La situation des territoires ultramarins est très suivie par l’administration pénitentiaire. La suroccupation de leurs établissements pénitentiaires est particulièrement forte –⁠ jusqu’à 250 % à Majicavo – et les centres de La Réunion ne font pas exception.
    La construction d’un nouvel établissement à La Réunion, territoire qui en compte trois, n’est toutefois pas envisagée à court terme.
    Vous avez évoqué les projections depuis l’extérieur, problème sensible à La Réunion comme ailleurs en France. Elles permettent l’introduction d’objets parfois très dangereux dans les centres pénitentiaires ; puisqu’il y va de la sécurité des agents, nous prenons le problème très au sérieux. À Saint-Pierre, des filets antiprojection ont été installés en 2024.
    Nous avons aussi essayé d’améliorer, autant que faire se peut, les douches en dortoir. Nous nous efforçons de mettre aux normes les établissements vieillissants, mais nous manquons de crédits pour réaliser tous les travaux nécessaires, je ne nie pas cette réalité.
    Nous n’avons pas prévu de créer d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) –⁠ les unités hospitalières dédiées à l’accueil des détenus. Ces unités sont créées à l’initiative conjointe du ministère de la santé et du ministère de la justice et je sais que vous interpellez régulièrement le ministre de la justice à ce sujet.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Stéphane Lenormand.

    M. Stéphane Lenormand (LIOT)

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    Après le député de La Réunion, c’est au tour du député du plus petit territoire de France, Saint-Pierre-et-Miquelon, où se trouve la plus petite prison du pays, de vous adresser une question. Merci pour vos témoignages, sincères et argumentés.
    Disposons-nous d’un bilan de santé du personnel de l’administration pénitentiaire, qui dénombrerait les arrêts maladie, les cas de dépression, les congés pour longue maladie ou même les suicides, malheureusement ? Un tel document permettrait de vérifier si des données chiffrées reflètent les souffrances que vous avez exposées.
    Enseignant spécialisé option F, habilité à travailler en prison, je m’interroge sur le maintien des programmes réalisés avec le concours de l’éducation nationale, qui visent la réinsertion des jeunes délinquants emprisonnés, souvent sans diplôme.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Simonnot.

    Mme Dominique Simonnot

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    Il y a peu, nous avons publié un avis relatif à l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement. Nous avons découvert avec horreur –⁠ nous le savions déjà, mais devoir l’écrire est pire – que ces jeunes reçoivent cinq fois moins d’heures d’enseignement que leurs camarades libres, ce qui est d’une absurdité sans nom.
    À ce sujet, je suis allée voir les nombreux ministres de l’éducation qui se sont succédé pendant mon mandat, j’ai rencontré des élus. Après avoir reconnu la gravité de la situation, tous se sont engagés à visiter des centres et à agir… mais rien n’a été fait !
    La situation est à peine meilleure dans les centres éducatifs fermés (CEF). Pendant les vacances scolaires, aucun enseignement n’y est dispensé, ce qui est d’une stupidité déconcertante. Nous demandons donc que soit créé un statut spécial de professeur auprès d’enfants enfermés.
    La prison punit, mais je rappelle que, selon la loi, elle doit proposer des activités et un enseignement. L’une des missions de l’administration pénitentiaire est de mettre les détenus sur la voie de la réinsertion.

    Mme Martine Froger

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    On déroge à la loi !

    Mme Dominique Simonnot

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    Sinon, à quoi servirait la prison et que serions-nous en droit d’en attendre, surtout quand elle accueille des enfants ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier.

    M. Samuel Gauthier

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    Au sujet de la santé des personnels, la prise en charge des agents s’améliore –⁠ le directeur adjoint le confirmera. Nous travaillons sur l’absentéisme et ses causes, ainsi que sur les difficultés du métier ; nous nous efforçons de comprendre les difficultés des agents et parvenons, en dépit du manque de médecins de prévention, à renforcer l’accompagnement des agents.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jocelyn Dessigny.

    M. Jocelyn Dessigny (RN)

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    Ma question porte sur les activités proposées aux détenus. Je viens d’apprendre l’existence de partenariats entre le centre pénitentiaire de Laon et la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts. Le premier porte sur l’animation d’ateliers en milieu pénitentiaire, le second sur l’organisation, pour les prisonniers, de visites gratuites de la Cité internationale de la langue française.
    Si je reconnais que le premier partenariat procurera, dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme, des bénéfices certains aux prisonniers, il me semble que le second est superflu. Quel est votre avis ?
    Compte tenu du manque de personnel dans les centres pénitentiaires, quels sont les moyens qui devraient être engagés pour assurer la sécurité des convois à destination de la Cité internationale de la langue française ? Ces visites ont-elles réellement un intérêt pour la société ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Emmanuel Razous.

    M. Emmanuel Razous

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    Deux partenariats sont envisagés avec la Cité internationale de la langue française, le deuxième n’étant ni défini ni définitif –⁠ il n’a fait l’objet d’aucune autorisation pour le moment.
    Plus généralement, je ne voudrais pas que l’on réduise les milliers d’activités organisées en détention aux quelques initiatives qui ont pu choquer, je peux le comprendre, certains de nos concitoyens. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) font un travail absolument remarquable et souvent invisible dans les prisons, ainsi qu’en milieu ouvert : ils organisent des ateliers, animent des groupes de prévention de la récidive, lors desquels les conseillers évoquent avec les détenus ce qui a motivé leur passage à l’acte, les aident à comprendre ce qui fait dévier une trajectoire de vie vers la délinquance. Des ateliers de gestion des émotions sont également organisés.
    Le travail, l’insertion et la formation professionnelle ont évidemment leur place en prison, et une place fondamentale, mais la prise en charge des détenus doit être globale et ne pas se limiter à une activité laborieuse. Des unités spécialisées prennent en charge la santé des détenus –⁠ nous avons évoqué les maladies psychiques et psychiatriques dont ils peuvent souffrir –, mais il nous revient aussi de travailler sur leur sociabilité et la gestion de leurs émotions. De telles actions concernent notamment les violents conjugaux.
    L’action menée en détention est parfois prolongée à l’extérieur des prisons. Sportive ou culturelle, elle participe à la prise en charge globale de la personne incarcérée.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Céline Hervieu.

    Mme Céline Hervieu (SOC)

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    Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des cellules disciplinaires ? Vous avez fait part d’incidents et de mauvais comportements, qui justifient le placement des détenus à l’isolement, mais avec quel résultat ? À quelle fréquence ces cellules sont-elles utilisées ? Des témoignages ont rapporté des conditions de détention indignes dans ce que les détenus appellent le mitard. Ces placements atteignent-ils leurs objectifs ?
    La proposition de loi relative au narcotrafic prévoit la création de prisons de haute sécurité, avec des fouilles intégrales jusqu’à dix fois par jour. Qu’en pensez-vous ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier.

    M. Samuel Gauthier

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    Une multitude d’incidents sont traités par les commissions de discipline et les faits les plus graves peuvent conduire à l’exécution d’une peine, plus ou moins longue, en cellule disciplinaire. Les procédures sont si nombreuses que ces quartiers, qui comportent deux à dix cellules selon l’établissement, sont toujours pleins.
    Les commissions de discipline s’efforcent toujours de répondre avec le plus de justesse au fait visé. Le placement en cellule disciplinaire produit les effets recherchés, mais il suppose des démarches administratives lourdes : le nombre d’incidents est tel qu’il pourrait justifier cinq à six réunions de la commission de discipline par semaine et chaque réunion, comme chaque sanction, implique un travail administratif important.
    La CGT Pénitentiaire est très fermement opposée à la concentration de narcotrafiquants dangereux dans un seul et unique établissement. Ses adhérents auraient préféré que ces criminels soient pris en charge dans toutes les régions, au sein d’unités dédiées et dotées de moyens adaptés. J’exprime ici une position syndicale.
    Nous demandons également que tous les établissements pénitentiaires soient dotés de dispositifs antidrone, de filets antiprojection ou de brouilleurs de téléphone portable. Il y va de la sécurité des agents.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Ségolène Amiot.

    Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP)

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    Quels sont les objets projetés dans l’enceinte des prisons ? Qu’est-ce qu’on fait entrer en détention ? Je pose ces questions lors de toutes mes visites de contrôle et elles trouvent toujours les mêmes réponses : des stupéfiants et des téléphones portables.
    Je me suis beaucoup interrogée sur l’intérêt d’envoyer aux détenus des téléphones portables, objets d’une taille certaine, et sur les conséquences de ces projections sur les conditions de travail des agents. Je crois savoir que, dans certains établissements, les cellules peuvent être intégralement fouillées après la détection d’une projection. Des détenus m’ont aussi fait savoir que la personne à l’origine de la contrebande ne conservait pas toujours le téléphone, qu’elle pouvait, par la violence, inciter d’autres détenus à le receler.
    Quelles sont les conséquences sur le travail de surveillant de ces projections et de l’usage des téléphones portables ? Quelles solutions, autres que l’installation de brouilleurs, envisagez-vous pour dissuader celui-ci ? La baisse du tarif des communications téléphoniques en détention pourrait en être une : un appel de deux minutes et demie coûte 1 euro, ce qui paraît absurde à l’heure où on peut acheter un forfait à 2 euros, avec appels illimités.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Samuel Gauthier.

    M. Samuel Gauthier

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    Nous récupérons principalement des stupéfiants, destinés à la consommation individuelle et au trafic –⁠ il y a du business entre les murs de la prison. Nous trouvons aussi des armes, notamment des couteaux en céramique que les portiques de sécurité ne savent pas détecter, utilisées tant à des fins défensives qu’offensives, contre les autres détenus ou le personnel pénitentiaire.
    L’usage des téléphones portables a été détourné. Au départ, ces téléphones permettaient aux détenus de maintenir des liens familiaux en dehors des horaires de la téléphonie fixe, ce qui ne présentait pas de danger particulier. Désormais, les portables sont utilisés pour continuer à organiser le business à l’extérieur. Ils servent aussi à prendre des photos ou des vidéos des agents dans l’exercice de leur métier, puis à les balancer sur les réseaux sociaux, ce qui menace notre sécurité. Quant aux vidéos tournées entre détenus, elles ne font pas bon effet car elles peuvent laisser croire que la prison est une kermesse où la sécurité fait défaut. Enfin, l’évasion de Mohamed Amra a pu être organisée grâce aux téléphones portables interdits, certainement pas aux téléphones fixes, dont les conversations sont épiées, scrutées, enregistrées.

    Mme la présidente

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    Je remercie nos trois invités pour leur participation à nos travaux, dont le format, j’en ai conscience, est un peu contraignant.

    (La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement

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    Je vous prie d’excuser le garde des sceaux, en déplacement au Royaume-Uni. Je remercie le groupe LIOT pour l’organisation de ce débat.
    Le contexte pénitentiaire est marqué par une surpopulation carcérale sans précédent –⁠ vous l’avez tous souligné. Au 20 mars 2025, nous comptions près de 82 500 détenus sur 97 730 personnes écrouées, pour seulement 62 385 places. La densité atteint 160 % dans les maisons d’arrêt. La situation y est dramatique, surtout si l’on se réfère au nombre de matelas au sol –⁠ 4 600 environ. Cette surpopulation crée évidemment des tensions importantes dans certains établissements. Elle engendre des difficultés pour gérer correctement les plus de 250 000 personnes sous contrôle judiciaire, qu’elles soient en prison ou suivies en milieu ouvert.
    Les conditions de travail des surveillants et les conditions de détention des personnes incarcérées sont directement liées : l’endroit où travaillent quotidiennement les premiers est aussi le lieu de vie temporaire des seconds. Or la construction et la rénovation des prisons n’avancent pas aussi vite que souhaité : sur les 15 000 nouvelles places prévues, 6 500 auront été créées en 2025. Cette surpopulation emporte un grand nombre de conséquences pour les détenus comme pour les surveillants. Les détenus vivent dans la promiscuité –⁠ sinistre illustration, plusieurs milliers d’entre eux dorment sur des matelas posés à terre. Elle entraîne également une surcharge de travail pour les surveillants, qui peuvent avoir la responsabilité de plus d’une centaine de personnes, ce qui explique que 30 à 40 % des rendez-vous soient annulés, faute de pouvoir accompagner et raccompagner le détenu à sa cellule.
    Face à ce constat, et afin d’améliorer immédiatement les conditions de travail du personnel pénitentiaire, il est urgent de changer profondément le suivi des personnes placées sous la responsabilité de la justice. Le garde des sceaux a récemment annoncé plusieurs mesures importantes. Toutes reposent sur un principe simple : une prise en charge adaptée, selon la dangerosité des détenus et les infractions qu’ils ont commises. Le but est clair, restaurer la crédibilité de la sanction pénale. Les annonces du ministère s’articulent autour de quatre axes.
    Le premier concerne les détenus les plus dangereux. Dès le 31 juillet, une première prison de haute sécurité, destinée aux cent détenus les plus dangereux, liés à la criminalité organisée, ouvrira à Vendin-le-Vieil ; une seconde, à Condé-sur-Sarthe, ouvrira le 15 octobre. Très sécurisés et hermétiques, ces établissements protégeront efficacement les surveillants et empêcheront les détenus d’exercer leur influence, tant sur les autres détenus qu’à l’extérieur.
    Le deuxième axe vise à créer un régime renforcé de détention, inspiré du modèle italien antimafia –⁠ l’Assemblée vient d’adopter l’article qui le prévoit, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative au narcotrafic. Le régime comprend des mesures strictes : fouilles intégrales systématiques, limitation des appels téléphoniques, parloirs avec hygiaphones, suppression des unités de vie familiale (UVF). Un drame comme celui d’Incarville, où deux agents pénitentiaires ont perdu la vie le 14 mai 2024, ne doit plus jamais se reproduire.
    Troisième axe : le renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires. Cela suppose de généraliser les caméras embarquées dans les véhicules utilisés lors des transfèrements, de faire de l’intrusion dans un site pénitentiaire un nouveau délit, d’utiliser des drones, de créer une police pénitentiaire –⁠ dont les modalités sont à l’étude – et de mettre en place une Inspection générale de l’administration pénitentiaire, qui aura aussi pour rôle de protéger les agents contre la corruption.
    D’autres solutions sont envisagées pour les détenus moins dangereux. C’est le quatrième axe : le garde des sceaux souhaite construire des prisons à taille humaine, adaptées aux courtes peines ou aux fins de peine, qui facilitent la réinsertion et préviennent la récidive. Ces structures pourraient s’installer sur des terrains déjà disponibles, en s’inspirant des prisons modulaires expérimentées au Royaume-Uni –⁠ où le garde des sceaux s’est rendu aujourd’hui –, ainsi qu’en Allemagne.
    Enfin, il faut utiliser plus largement les solutions alternatives à l’incarcération, comme le travail d’intérêt général (TIG), la semi-liberté, le placement extérieur, la liberté conditionnelle ou encore la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Les peines prononcées doivent être claires, rapides, crédibles, et surtout adaptées à chaque situation.
    Plusieurs pistes sont envisagées pour que ces différents chantiers avancent plus vite : augmenter rapidement le nombre de places en prison en simplifiant les normes de construction ; expérimenter dès 2026 des structures telle que l’Inserre –⁠ Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi – d’Arras ; doubler les places de semi-liberté, en adaptant les horaires aux situations professionnelles particulières des détenus ; développer le TIG dans de nouveaux secteurs, tels que le numérique ou l’écologie, en créant des missions certifiantes ; accroître les capacités de détention à domicile en améliorant la technologie des bracelets électroniques ; enfin, promouvoir davantage les partenariats extérieurs avec les associations et les collectivités territoriales.
    Nous devons aussi prendre en compte la problématique psychiatrique, soulignée par les uns et les autres. Entre 20 % et 30 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques. La prison ne doit pas pallier l’absence d’autres structures adaptées. En 2023, 157 prisonniers se sont suicidés. Cette réalité est évidemment intolérable. Il est urgent de créer ces fameuses structures spécialisées.
    Nous devons également améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Un protocole a été signé à cette fin le 13 juin 2024, après le drame d’Incarville. Il comprend trente-trois mesures destinées à renforcer la sécurité des agents. Des réformes majeures ont été décidées pour valoriser les métiers et améliorer les rémunérations des 31 000 membres de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) : l’indemnité pour charges pénitentiaires (ICP) augmentera ainsi très significativement dès 2026.
    La prison est une institution sociale. Elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi, elle dépend des moyens que la société lui consacre, des règles qu’elle fixe et des objectifs qu’elle se donne. La prison fait pleinement partie de notre société, elle garantit le pacte républicain et contribue à préserver notre contrat social.

    Mme la présidente

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    Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    La parole est à Mme Martine Froger.

    Mme Martine Froger (LIOT)

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    Je tire une foule d’enseignements de la première phase de ce débat, mais j’en reviens toujours à la question de la surpopulation carcérale et de ses conséquences, notamment sur les conditions de travail des surveillants et sur les conditions –⁠ indignes – de détention.
    Je rappelle que les cellules comptent actuellement plus de 4 300 matelas au sol…

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    4 600 !

    Mme Martine Froger

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    Ce n’est pas possible, je ne comprends pas qu’on en soit arrivés là dans un pays comme le nôtre ! Le Conseil de l’Europe a déjà exprimé sa profonde préoccupation, mais nous restons sans réaction. Dans mon département se trouve une petite maison d’arrêt de 65 places. Elle abrite actuellement 145 détenus, sans bénéficier de personnels pénitentiaires ni de moyens supplémentaires. Comment faire manger 145 personnes avec un budget prévu pour 65 repas ? Comment les surveiller sans gardiens supplémentaires ? Les agents doivent travailler beaucoup plus, ce qui fait que les arrêts maladie se multiplient. Je ne sais pas comment fait la cheffe d’établissement ; elle est elle-même très préoccupée par cette situation !
    Pourquoi les outils dont nous disposons, cette panoplie de solutions alternatives à la détention que vous venez de détailler, ne sont-ils pas utilisés ? Je ne comprends pas, d’autant que ces solutions coûtent beaucoup moins cher que l’incarcération –⁠ ce n’est donc pas une question de financement. L’absence de volonté politique est patente. Il faut travailler avec les magistrats à désengorger les prisons et à réinsérer les détenus grâce à ces outils.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Le garde des sceaux est déterminé à développer les solutions alternatives à l’incarcération. Il souhaite que toutes les pistes soient explorées, en particulier l’Arse, la DDSE et les TIG. Depuis son entrée en fonction, des mesures ont été prises pour entamer cette désinflation carcérale que nous appelons tous de nos vœux.
    Vous avez raison de souligner que des établissements qui connaissent un taux d’occupation de 160 % ne disposent pas de la logistique et du personnel pénitentiaire suffisants. Cela conduit à ce que des rendez-vous soient annulés, par manque de surveillants à même d’escorter les prisonniers.
    Les états généraux de l’insertion et de la probation doivent se tenir prochainement. Ils couvriront l’ensemble des politiques publiques de l’insertion. Nous voulons faciliter la mixité des peines pour pouvoir, par exemple, associer un TIG à la semi-liberté. Il faudra décloisonner et trouver de nouvelles solutions. Cela impliquera aussi de solliciter les collectivités et les associations pour poursuivre le développement rapide des TIG –⁠ on est passé de 18 000 à 44 000 places en quelques années.
    J’ai été maire et j’ai accueilli des personnes condamnées à un TIG au sein de mes équipes municipales ; je peux vous dire que ce n’est pas si facile que cela. Il faut donc mieux accompagner les structures d’accueil, probablement en proposant un accompagnement généralisé. En effet, il est très difficile de demander à un agent d’un service technique, dans un bâtiment ou aux espaces verts, d’accueillir une personne condamnée à un TIG, de répondre à ses spécificités. Il faut être suffisamment formé et encadré ; nous devons y travailler pour inciter davantage à recourir aux TIG.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jocelyn Dessigny.

    M. Jocelyn Dessigny (RN)

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    Les prisons françaises sont en crise et nul ne peut plus l’ignorer : le système est à bout de souffle, du fait de l’inaction obstinée des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, du laxisme pénal de Nicole Belloubet et de l’impuissance d’Éric Dupond-Moretti. Certaines maisons d’arrêt connaissent ainsi un taux d’occupation supérieur à 140 %. Des surveillants se trouvent isolés, épuisés, agressés quotidiennement dans l’indifférence assourdissante de l’État. Le drame d’Incarville, le 14 mai 2024, au cours duquel deux agents ont été lâchement assassinés, illustre de manière tragique la gravité de cette dérive. La République doit à ces fonctionnaires tombés en service davantage qu’un hommage : elle leur doit une réforme en profondeur, une justice exemplaire, des actes.
    La situation est indigne d’un État de droit : des détenus se radicalisent en prison, des téléphones et de la drogue y circulent librement, des drones en survolent les murs et des surveillants se trouvent démunis face à des réseaux criminels qui prospèrent depuis les cellules.
    Le Rassemblement national formule des propositions claires : un plan national de recrutement pour rééquilibrer les effectifs et réduire l’épuisement professionnel ; une modernisation des infrastructures avec la création de nouvelles places de prison et la rénovation des établissements vétustes ; une sécurisation des établissements avec la généralisation des caméras-piétons, la détection systématique des objets illicites et la neutralisation des communications illégales ; un renforcement du cadre pénal avec une sanction systématique et dissuasive en cas d’agression de surveillant ; une revalorisation statutaire et salariale à la hauteur des risques courus par le personnel pénitentiaire et du rôle essentiel qu’ils jouent au sein de la chaîne pénale ; enfin, l’expulsion systématique de tous les détenus étrangers condamnés, afin de ne plus faire peser sur le contribuable français le coût de leur incarcération.
    La prison ne doit plus être une zone de non-droit ni un incubateur du terrorisme. Il est urgent que la République reprenne pleinement en main ses établissements pénitentiaires.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Plutôt que de porter des appréciations sur le passé, nous devons traiter les problèmes présents. Le garde des sceaux prévoit le recrutement annuel de 1 000 membres du personnel pénitentiaire, qui se trouvera ainsi renforcé. Je tiens à saluer l’action menée lors des Jeux olympiques : d’intenses campagnes de recrutement ont été lancées, sous le contrôle de l’administration, auprès des personnels de sécurité ; elles ont bien fonctionné. Comme je l’ai dit, les caméras-piétons seront généralisées. La neutralisation des téléphones portables, notamment dans les prisons de haute sécurité, sera instaurée.
    Quant à la revalorisation des salaires du personnel pénitentiaire, elle sera effective au 1er janvier 2026 avec le rehaussement de l’ICP. De plus, depuis le 1er janvier 2024, le corps des surveillants pénitentiaires est passé de la catégorie C à la catégorie B. Les efforts de revalorisation salariale et statutaire sont donc réalisés ou en passe de l’être.
    S’agissant des prisonniers d’origine étrangère, le garde des sceaux a récemment publié une circulaire demandant aux chefs d’établissement pénitentiaire de recenser les détenus étrangers. Nous menons également des négociations, soit au niveau européen –⁠ elles sont alors facilitées par les textes en vigueur qui simplifient les procédures de retour de ces personnes dans leur pays d’origine –, soit avec d’autres pays étrangers, ce qui pose les difficultés que vous connaissez. La volonté existe.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

    M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP)

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    La surpopulation carcérale est d’une gravité sans pareille en outre-mer. Les détenus se retrouvent souvent à quatre ou cinq dans une cellule de 10 mètres carrés. Cette situation favorise les dysfonctionnements, comme les violences entre détenus ou à l’encontre des surveillants. Par ailleurs, nous assistons à une augmentation des projections d’objet depuis l’extérieur et les solutions pour y remédier demeurent très insuffisantes.
    À La Réunion, les syndicats sont unanimes : il faut construire une nouvelle prison dans le sud de l’île, comme cela a été promis à maintes reprises. Il manque également une cinquantaine de gardiens : allez-vous organiser le retour tant attendu d’agents, étant donné que nombre d’ultramarins exercent comme surveillants dans les prisons de métropole ?
    Enfin, il convient d’évoquer l’absence de prise en charge des détenus souffrant de problèmes psychiatriques. La santé mentale des détenus constitue un réel sujet de préoccupation. L’unité de soins intensifs en psychiatrie est insuffisante : à quand la création d’une nouvelle unité hospitalière de ce genre ?
    Les personnes qui travaillent dans les établissements pénitentiaires sont à bout, elles se trouvent à la merci des pressions et des agressions. Les détenus méritent, quant à eux, de meilleures conditions de détention. Comment le ministre compte-t-il agir ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Je n’aurai pas de chiffres précis à vous donner s’agissant du retour d’une cinquantaine de surveillants à La Réunion. En revanche, la détention d’un CIMM, un centre des intérêts matériels et moraux, permet d’être rapatrié quand on le souhaite dans sa région d’origine, notamment outre-mer –⁠ mais je déduis à votre mine que ce n’est pas si évident. Je demanderai au garde des sceaux de se montrer attentif à cette question.
    Quant à la surpopulation carcérale à La Réunion, elle est très proche, malheureusement, de celle que nous connaissons en métropole ; mes réponses seront donc les mêmes.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Céline Hervieu.

    Mme Céline Hervieu (SOC)

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    Nous avons beaucoup évoqué la surpopulation carcérale. En 2022, les états généraux de la justice avaient proposé de définir, établissement par établissement, un seuil critique au-delà duquel l’état d’urgence carcérale devait être décrété. Que pensez-vous de ce dispositif ? Le gouvernement entend-il enfin instaurer un système de régulation carcérale ? La prison de la Santé connaît désormais un taux d’occupation supérieur à 172 % –⁠ inédit pour cet établissement. Comptez-vous prendre exemple sur d’autres pays européens de taille comparable à la nôtre ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Vous avez raison de mentionner les outils de régulation entre établissements, qui permettent d’atténuer la surpopulation carcérale. Le problème est qu’ils ne peuvent être employés dans les maisons d’arrêt, alors que c’est précisément dans ces établissements que la surpopulation est la plus élevée. En revanche, ces outils ont produit des résultats significatifs dans les centres de détention, et dans les quartiers des centres de détention : le 1er mars 2025, leur taux d’occupation s’élevait à 98 % contre 87 % le 1er octobre 2020. Certains centres étaient donc sous-occupés, si l’on peut dire, et une meilleure répartition est désormais assurée.
    J’ignore dans quelle mesure il est possible de faire de même dans les maisons d’arrêt : comme elles sont situées dans le ressort de certains départements seulement, il est malheureusement plus difficile de créer un système de régulation qui implique l’ensemble des établissements. La solution tient sans doute davantage à la construction de nouvelles maisons d’arrêt.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Frantz Gumbs.

    M. Frantz Gumbs (Dem)

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    Les dernières statistiques de la direction de l’administration pénitentiaire, publiées en février, établissent la densité carcérale à environ 130 % au niveau national et à 144 % dans les outre-mer. Ce chiffre s’élève à 177 % dans la maison d’arrêt de Basse-Terre, en Guadeloupe, compétente pour accueillir les détenus de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin : 229 détenus y sont écroués, pour 129 places. Les conditions matérielles d’hébergement y sont attentatoires à la dignité des détenus, comme le jugeait déjà le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, lors de sa visite en 2010. Quinze ans plus tard, la situation s’est encore dégradée. Certes, des travaux d’envergure pour la reconstruction de la maison d’arrêt sont en cours, mais le nouveau projet ne prévoit que 200 places, soit moins que le nombre actuel de détenus.
    J’évoquerai le cas particulier des détenus originaires de Saint-Martin, qui représentent environ 25 % des détenus de la prison de Basse-Terre. Leur situation est d’autant plus difficile qu’ils ne reçoivent guère de visites ; en effet, ils sont trop éloignés de leur île d’origine, ce qui ne favorise pas leur réinsertion sociale. La plupart s’expriment d’ailleurs difficilement en français car l’anglais saint-martinois est la langue la plus parlée sur cette île. À leur sortie, ces détenus doivent se rendre à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, situé à 60 kilomètres de Basse-Terre, et trouver 200 euros pour parcourir en avion les 250 kilomètres qui les séparent de Saint-Martin.
    La politique pénitentiaire actuelle n’est pas suffisamment efficace : face à l’urgence et à la gravité de la situation, quelles nouvelles mesures sont envisagées pour en finir avec la surpopulation carcérale ?
    Pour améliorer la prise en charge des détenus saint-martinois et favoriser leur réinsertion, ne faudrait-il pas recourir plus fréquemment à des peines alternatives, telles que le TIG, en incitant les entités publiques et privées locales à devenir structures d’accueil ? Ne faudrait-il pas que Saint-Martin dispose de son propre lieu d’incarcération ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Le garde des sceaux est tout à fait conscient de la situation particulièrement alarmante dans laquelle se trouve la maison d’arrêt de Basse-Terre ; il partage votre préoccupation.
    Pour limiter la surpopulation carcérale, la construction et la modernisation des infrastructures demeurent la priorité. Des travaux d’envergure pour la reconstruction de la maison d’arrêt de Basse-Terre sont en cours et prévoient 200 places, soit 80 places supplémentaires, ce qui fera baisser la tension à l’intérieur de cet établissement en assurant de meilleures conditions de détention.
    Toutefois, nous reconnaissons que la seule augmentation de la capacité pénitentiaire ne suffira pas. Là encore, la promotion des solutions alternatives à l’incarcération doit être poursuivie, en particulier à Saint-Martin, dont l’éloignement d’avec la prison de Basse-Terre doit être pris en compte pour favoriser la resocialisation des détenus à leur sortie. En effet, nous sommes conscients des difficultés supplémentaires que rencontrent les détenus originaires de Saint-Martin avec, outre l’éloignement, la barrière linguistique.
    Afin de mieux prendre en charge ces personnes, le ministère de la justice s’engage à proposer l’accès à des programmes d’accompagnement adaptés, comme la formation et l’éducation à la langue française ou à une autre langue. Ces dispositifs jouent un rôle crucial pour la réinsertion des prisonniers.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Salvatore Castiglione.

    M. Salvatore Castiglione (LIOT)

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    Je voudrais revenir sur la livraison illicite de colis dans les lieux de détention, contre laquelle l’administration pénitentiaire a toujours lutté. Ces projectiles se sont modernisés : fini –⁠ ou presque – le lancer par-dessus les murs des prisons,…

    Mme Ségolène Amiot

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    Non, ce n’est pas fini !

    M. Salvatore Castiglione

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    …place aux livraisons par drone dans les cours, qui compliquent le travail des surveillants pénitentiaires et occasionnent des nuisances dont se plaignent les riverains.
    Je suis conscient que la lutte contre ces projections sauvages, de plus en plus sophistiquées, est difficile. Pourriez-vous, cependant, nous indiquer de quelle manière le ministère de la justice s’y prend pour les endiguer ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    La prolifération des drones au-dessus des établissements pénitentiaires représente un effet un défi nouveau. La position du ministère de la justice est intransigeante. Plusieurs mesures ont été prises pour détecter, caractériser et neutraliser ces appareils. Depuis 2016, l’administration pénitentiaire participe à un groupe de réflexion, sous la conduite du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) : il s’agit de détecter les drones, mais également leurs télépilotes, et d’empêcher ainsi leur progression sur le domaine pénitentiaire.
    Après deux marchés successifs de lutte antidrone, en 2019 et en 2021, soixante-dix dispositifs ont été commandés ; ils seront déployés avant la fin de l’année. Cinquante sites ont été équipés à ce jour et sont d’ores et déjà opérationnels. Ces dispositifs couvrent six bandes de fréquences, ce qui permet de répondre à 95 % des menaces de drones.
    Les criminels tentent toujours d’innover, nous devons essayer d’aller aussi vite, voire plus vite qu’eux : l’État mobilise les meilleures technologies et s’appuie sur des entreprises françaises spécialisées afin de concevoir des solutions de plus en plus performantes. Soyez-en assuré : nous ne laissons aucun angle mort et nous sommes particulièrement vigilants.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Ségolène Amiot.

    Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP)

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    La littérature scientifique nous prouve que l’ouverture d’un nouvel établissement ne fait pas diminuer la surpopulation carcérale –⁠ au contraire, le nombre des incarcérations augmente.
    Quel est le sens de la peine quand 30 % des détenus seraient plutôt à leur place dans un centre de soins psychiatriques ? Quel est le sens de la peine quand la surpopulation carcérale ne permet plus aux détenus d’accéder à une activité ou à un travail –⁠ seulement 30 % des hommes et 23 % des femmes travaillent ? Quel est le sens de la peine quand ils n’ont pas accès à la formation, quand les mineurs ne sont pas éduqués ? Quel est le sens de la peine quand ils n’ont pas même accès aux soins ? Ce sont pourtant là des droits fondamentaux.
    Quelles solutions envisagez-vous pour que, sans plus attendre, ces droits soient respectés, tout en assurant la sécurité et la santé des agents pénitentiaires ? Pensez-vous qu’il faudrait instaurer, comme nous le proposons pour les établissements de santé, un ratio minimum entre le nombre de détenus et le nombre d’agents ? On pourrait ainsi inciter, voire contraindre, à la mise en œuvre des outils de régulation carcérale.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Sophie Primas, ministre déléguée

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    Au risque de me répéter, je pense que la solution aux problèmes que vous soulevez fort légitimement réside dans la différenciation des peines. Il faut examiner le cas des détenus en fin de peine, distinguer selon la gravité des peines et des infractions : on pourra ainsi faire baisser la tension sur la population carcérale et, du même coup, celle qui s’exerce sur les services et sur les personnels.
    Le ministère de la santé travaille à améliorer la prise en charge des cas les plus difficiles en matière psychiatrique, afin de mieux accompagner les prisonniers et les personnels.
    Nous allons également renforcer les moyens alloués aux personnels du Spip, en charge de la réinsertion et de l’accompagnement.
    Enfin, nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale à améliorer l’offre de cours pour les adolescents incarcérés, dont Mme Simonnet soulignait tout à l’heure l’insuffisance.
    Il faut faire feu de tout bois : différencier les peines, travailler à faire baisser la charge, construire des prisons, améliorer le service, mieux collaborer avec les ministères de l’éducation nationale et de la santé. Tous ces chantiers sont ouverts.

    Mme la présidente

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    Le débat est clos.

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
    Débat sur le thème : « Dans un contexte d’évolution démographique, quels enjeux pour notre politique familiale ? » ;
    Débat sur le thème : « Le devenir de la filière automobile en France et en Europe ».
    La séance est levée.

    (La séance est levée à douze heures trente-cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra