Première séance du mardi 14 janvier 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Cessation de mandat d’un député et reprise de mandat d’une députée
- 2. Déclaration du gouvernement et débat
- M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
- M. Stéphane Peu (GDR)
- M. Éric Ciotti (UDR)
- M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
- M. Gabriel Attal, (EPR)
- Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
- M. Boris Vallaud (SOC)
- M. Laurent Wauquiez (DR)
- Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
- M. Marc Fesneau (Dem)
- M. Sylvain Berrios (HOR)
- M. Stéphane Lenormand (LIOT)
- Mme Émeline K/Bidi (GDR)
- M. Sacha Houlié (NI)
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mme la présidente
Avant de commencer, je vous souhaite une excellente année, ainsi qu’à vos proches, à vos collaborateurs et à l’ensemble des fonctionnaires de l’Assemblée nationale, sans lesquels nous ne pourrions travailler. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et applaudissent.)
1. Cessation de mandat d’un député et reprise de mandat d’une députée
Mme la présidente
J’informe l’Assemblée nationale que j’ai pris acte, en application de l’article L.O. 176 du code électoral, de la cessation du mandat de député de M. Christophe Mongardien le 13 janvier 2025 à minuit et de la reprise de l’exercice du mandat de députée de Mme Maud Bregeon, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin le 13 décembre 2024.
2. Déclaration du gouvernement et débat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle une déclaration du gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique. (Les députés du groupe Dem et de nombreux députés des groupes EPR et HOR se lèvent et applaudissent. – Quelques députés du groupe DR applaudissent également.)
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Le gouvernement, par ma voix, se joint aux vœux que vous avez formulés à l’égard de la représentation nationale et de tous les fonctionnaires qui servent dans cette maison.
En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable. (Murmures.) Sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons ou à ce qu’ils croient que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. Pas moins de 84 % des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. (« Eh oui ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il m’arrive même de me demander où les 16 % restants puisent leur optimisme. (Sourires. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. François Bayrou, premier ministre
Eh bien, au risque de vous surprendre, j’y vois un atout : quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers, mais quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – M. Florent Boudié applaudit également.)
Le gouvernement dispose d’un deuxième atout décisif. C’est le besoin, l’exigence, l’injonction que le pays nous assigne : retrouver la stabilité.
Mme Ségolène Amiot
Non, la démocratie !
M. François Bayrou, premier ministre
Tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils nous enjoignent de joindre nos forces pour forcer les issues.
Un grand pays, un pays digne de ce nom, est un pays capable de regarder en face ses chances – nous croyons qu’elles sont grandes – et ses difficultés qui ne le sont pas moins. Les sujets d’inquiétude sont innombrables, mais il en est un, criant, qui émerge avec force : le surendettement du pays. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu’est le désendettement, pardon, le surendettement et quelles incertitudes et difficultés il suscite. Depuis la guerre, la France n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
La faute à qui ?
M. François Bayrou, premier ministre
J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite sans tenir compte de ce surendettement et sans se fixer pour objectif de le contenir et de le réduire.
Un député du groupe LFI-NFP
Merci, Bruno Le Maire !
M. François Bayrou, premier ministre
Pourquoi cette situation nous oblige-t-elle tous, collectivement ? C’est parce que tous les courants politiques dits de gouvernement y ont eu part. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, la France était l’un des pays les moins endettés du monde : sa dette s’élevait à peine à plus de 20 % de la production nationale. En 1995, ce rapport était de 52 % ; l’endettement a donc progressé de plus de 30 points en quatorze ans.
M. Aurélien Rousseau
Merci Balladur !
M. François Bayrou, premier ministre
À la fin des années 1990, la santé économique de la France, sur tous les points, était nettement supérieure à celle de l’Allemagne. Son commerce extérieur était largement excédentaire et son endettement inférieur à celui de ses voisins. Puis en 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les courbes se sont brutalement infléchies et ont commencé une descente que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre 2007 et 2012, sous Nicolas Sarkozy, l’endettement s’est accéléré, augmentant de 25 points de produit intérieur.
M. Pierre Cordier
Il y a eu la crise de 2008, quand même !
M. François Bayrou, premier ministre
Entre 2012 et 2017… (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.) Il y en aura pour tout le monde, je vous le promets ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – « Pas pour nous ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Entre 2012 et 2017, sous François Hollande, l’endettement a augmenté de 10 points. Enfin, depuis 2017, sous Emmanuel Macron, il a augmenté de 12 points. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.)
M. Laurent Jacobelli
Les chiens ne font pas des chats !
M. François Bayrou, premier ministre
Je n’en fais pas un motif d’accusation, car j’en connais les raisons. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, c’était l’alternance : il fallait que les Français, comme on disait à l’époque, y trouvent leur compte. Pour Nicolas Sarkozy, c’est la crise des subprimes. Emmanuel Macron a fait face, coup sur coup, à une cascade de crises jamais vue et jamais imaginée. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, GDR et sur quelques bancs du groupe RN.) En voici la liste : à partir de 2018, les gilets jaunes,…
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas une crise, ça !
M. François Bayrou, premier ministre
…puis le covid-19, qui a mis le pays à l’arrêt,…
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
…puis la guerre en Ukraine, qui a provoqué l’inflation et l’explosion du prix de l’énergie. J’affirme donc que tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et Dem.)
M. Emeric Salmon
Ça, c’est vrai !
M. François Bayrou, premier ministre
J’affirme également que tous les partis d’opposition, en demandant sans cesse à cette tribune des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur quelques bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
Ça, c’est faux !
M. François Bayrou, premier ministre
Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. Cela est d’autant plus grave que nous avons basculé dans un monde nouveau et dangereux : nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force.
M. Aurélien Le Coq
C’est profond !
M. François Bayrou, premier ministre
Le 24 février 2022, au vu et au su de la planète et avec l’indulgence de certains courants d’opinion, une des principales puissances géographiques et militaires du monde, la Russie de Vladimir Poutine, a jeté son dévolu sur un pays souverain, l’Ukraine, pour l’annexer. Un pays de la taille de la France. C’est un fait sans précédent sur le sol européen depuis soixante-quinze ans.
Cette agression a été un signal : celui du règne de la force brutale. C’était rampant, c’est désormais affiché. Immédiatement et significativement, l’Iran et la Corée du Nord ont apporté leur soutien à l’agression de Vladimir Poutine. Ce sont les autres maillons de cette chaîne de puissances décidées à ne plus se laisser arrêter par des règles que nous respections et dont ils contestent désormais la légitimité même.
Naturellement, les dirigeants chinois ne sont pas en reste. En faisant à juste titre l’éloge d’un monde multipolaire, la Chine tisse en réalité le réseau de sa domination économique, technologique, diplomatique et militaire. L’excédent commercial chinois vient de franchir le cap des 1 000 milliards de dollars. C’est le résultat d’une stratégie programmée depuis dix ans, dont la visée est de remplacer purement et simplement notre industrie.
M. Damien Maudet
Heureusement que vous étiez haut-commissaire au plan !
M. François Bayrou, premier ministre
Pour défendre ces règles bafouées, nous avions un grand allié, les États-Unis. Or ceux-ci ont choisi, par d’autres voies – heureusement pas par la violence –, la même politique de puissance et de domination : l’offensive monétaire, la captation de la recherche mondiale, la poursuite de l’application extraterritoriale de leur droit, la domination technologique par des entreprises de taille planétaire et le pouvoir que tout cela donne d’intervenir dans la vie démocratique d’autres États.
Ce nouvel ordre mondial, ou plutôt ce nouveau désordre mondial, qui menace tous les équilibres et toutes les règles de la décence, est incarné sans complexe par certaines figures comme celle de M. Elon Musk. Le président réélu des États-Unis lui-même, fait inédit, articule des menaces d’annexion de territoires souverains : le Groenland, le canal de Panama et même le Canada.
Il est temps de regarder les choses en face. C’est à nous de signifier à ces grandes puissances qui nous sommes car, si nous ne sommes pas capables d’exprimer notre détermination, elles l’oublieront et le négligeront. (M. le premier ministre interrompt son propos.)
M. Pierre Cordier
C’est déjà fini ?
M. François Bayrou, premier ministre
Les pages de mon discours sont un peu mélangées, parce que je suis un néophyte. Je suis donc bien obligé d’apprendre ce métier. (Sourires.)
Dans le nouveau monde de la force brutale, la France a ses atouts : sa diplomatie, la force et la présence de son armée, l’engagement de ses militaires auxquels je veux rendre ici hommage. (Applaudissements sur tous les bancs.) Ils nous protègent collectivement dans un monde brutal.
Je tiens également à évoquer le sort de nos concitoyens retenus en otage par le Hamas ainsi que celui de tous les otages français dans le monde, dont nous exigeons la libération. (Mêmes mouvements.)
Cependant, pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager avec le monde entier, l’Europe doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu’elle devrait être. Une seule condition est pour cela nécessaire : nous devons accepter de nous définir et de nous affirmer ensemble.
La construction d’une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation est la question qui domine notre vie publique depuis 1945. À cette construction ont contribué, chacun à leur manière, le général de Gaulle, Jean Monnet, Robert Schuman, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. (Murmures sur les bancs du groupe RN.) Tous ont partagé la conviction selon laquelle l’indépendance de la France tient à celle de l’Europe et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l’Europe qui est capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie, agriculture, à égalité avec les États-Unis et la Chine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons de toutes nos forces le rapport présenté récemment par Mario Draghi, dont nous tirons la conclusion que nous devons nous battre tous ensemble pour un investissement à la hauteur de nos besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Toutefois, l’Europe est travaillée elle aussi par des ferments inutiles de division. Si nous ne reconstruisons pas notre unité, comme le président de la République le fait jour après jour, en renforçant à la fois la place de la France en Europe et la vision française de ce que doit être l’Europe, nous serons contraints à la soumission. Je salue le fait que toutes les sensibilités rassemblées au sein de l’équipe gouvernementale sont unies par cette conviction commune. C’est dans cet esprit que j’ai constitué notre équipe gouvernementale. Elle reflète l’union des grandes sensibilités du pays…
Une députée du groupe LFI-NFP
C’est faux !
M. François Bayrou, premier ministre
…avec de l’expérience et de l’enracinement, et s’appuie sur de fortes personnalités. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette équipe défend un message : comme aux heures où le sort même de notre nation est en question, l’intérêt général oblige à dépasser les préférences partisanes pour que le pays se ressaisisse.
Je doterai chaque ministre d’une feuille de route ; chacune sera communiquée et partagée avec les commissions compétentes du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental. En effet, je soutiens que la société civile organisée doit avoir pleinement voix au chapitre. Dans un instant, j’illustrerai notre confiance entière dans les partenaires sociaux : elle est centrale, car je crois qu’ils ont entre les mains une part décisive de l’avenir national. (Mêmes mouvements.)
L’équipe gouvernementale reflète des choix révélateurs. L’éducation nationale est à sa place, c’est-à-dire à la première place. (Mêmes mouvements.) Elle est confiée à une personnalité, Élisabeth Borne,…
Une députée du groupe LFI-NFP
Elle n’y connaît rien !
M. François Bayrou, premier ministre
…ancienne première ministre, exemple de méritocratie républicaine et de service de l’État (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elle sera assistée de l’ancien président du Centre national d’études spatiales et spécialiste des universités.
M. Sébastien Chenu
Spécialiste de rien du tout !
M. François Bayrou, premier ministre
Les outre-mer viennent ensuite. L’engagement dans les outre-mer n’a jamais été porté aussi haut dans aucun gouvernement de notre histoire. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
C’était le programme de Marine !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai considéré que les outre-mer et nos compatriotes qui y vivent, à un moment de notre histoire commune qui présente tant de risques et de dangers, devaient être promus au rang de toute première préoccupation de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.) Je remercie Manuel Valls, ancien premier ministre, d’avoir accepté d’en prendre la lourde et passionnante responsabilité. (Mêmes mouvements. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe EPR
Il aime la République, lui, au moins !
M. François Bayrou, premier ministre
Les questions de sécurité sont brûlantes pour nos concitoyens. J’ai souhaité une coopération étroite entre les ministères de la justice et de l’intérieur pour leur confier la restauration de l’autorité de l’État, qui est indissociablement celle de l’État de droit. Deux ministres d’État, chacun avec son tempérament, mais dont on sait la résolution commune, mèneront à bien cette action. La réponse au narcotrafic ou à la délinquance des mineurs, sur laquelle Gabriel Attal et son groupe ont déposé une proposition de loi, ainsi que la présence des forces de sécurité sur le terrain, à travers de nouvelles brigades de gendarmerie, par exemple, devront confirmer à nos concitoyens que l’État de droit n’est pas l’État de faiblesse. (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.) Nous devrons précisément être sans faiblesse pour lutter contre le terrorisme et tous les séparatismes. De même, chacun d’entre nous le sait, il faudra repenser notre projet pénitentiaire à travers un plan d’urgence se fondant sur une nouvelle approche mieux adaptée aux différents types de détention.
Pour tous les pans de l’action du gouvernement, aussi bien dans les domaines économique, social, territorial, écologique, culturel ou agricole, que pour les armées, l’Europe et les affaires étrangères, la transformation publique ou les sports, chacun de ses membres agira avec le sens de la responsabilité que le moment que nous traversons exige. Nous devons en effet faire face à trois échéances.
D’abord, nous devons répondre à l’urgence : il faut nous ressaisir pour adopter sans tarder les deux budgets, de l’État et de la sécurité sociale. En effet, nous payons tous au prix fort la précarité budgétaire, qui affecte aussi bien les entreprises et les investisseurs que les familles, les contribuables ou les emprunteurs.
Une députée du groupe LFI-NFP
À qui la faute ?
M. François Bayrou, premier ministre
Nous devons relever un deuxième défi, celui de rétablir les conditions de la stabilité, qui impose de se réconcilier, ce dont le pays a tant besoin, et ce que ses citoyens ne cessent de réclamer.
Enfin, le troisième défi s’inscrit dans le long terme : notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes qui sont devant nous, et non à certains à l’exclusion des autres. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Clémence Guetté
Parlez plus fort, on ne comprend rien !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais bien que ce n’est pas là votre habitude, mais je vous conseille de ne pas crier, car les micros sont coupés et on ne vous entend pas. (Mêmes mouvements.)
Mme Clémence Guetté
On n’est pas au conseil municipal, ici !
M. Pierre Cordier
Il ne faut pas leur répondre, monsieur le premier ministre !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous devons d’abord nous ressaisir. Si nous sommes dans une situation de blocage, ce n’est pas seulement sur un plan financier, mais aussi sur un plan politique. Le budget de la sécurité sociale a été censuré, le budget de la nation entièrement a été repoussé en première lecture à l’Assemblée, puis son examen a été interrompu au Sénat. Tous les secteurs d’intervention publique sont entravés : éducation, sécurité, santé, solidarité, agriculture, commerce extérieur. Des milliers de recrutements, par exemple dans la justice, sont suspendus.
M. Erwan Balanant
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
Les mesures de soutien à la Nouvelle-Calédonie sont empêchées. Le déploiement de la loi de programmation militaire est entravé. Le fonds Vert des collectivités est bloqué. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Les investisseurs s’inquiètent. L’épée de Damoclès de la motion de censure paraît avoir installé la précarité au sommet de l’État.
M. Alexis Corbière
La faute à Macron !
M. François Bayrou, premier ministre
Au cœur de ce blocage, il y a notre incapacité à vivre le pluralisme, à être en désaccord sans constamment nous menacer du pire. Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Il est temps de changer de logiciel démocratique, donc de méthode, pour se confronter mais aussi se respecter et trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l’on est. Le lieu de la diversité où ces différences se transforment en capacité d’action, c’est le Parlement. C’est précisément sur ces bancs que, grâce à l’expression des différences, nous parvenons à dégager une volonté, une stratégie et des plans d’action pour le pays.
La première urgence est de répondre à la question des retraites qui occupe le débat public depuis longtemps. (« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous voyons combien cette question continue de tarauder notre pays.
M. Aurélien Le Coq
En fait, tout le monde est d’accord !
M. François Bayrou, premier ministre
Le déséquilibre du financement du système de retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés. Je résume les chiffres que nous avions établis au commissariat au plan en 2021 (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), en rappelant que la situation s’est probablement aggravée depuis. Notre système de retraites verse chaque année quelque 380 milliards d’euros de pensions.
Un député du groupe LFI-NFP
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
D’après le principe du système par répartition que nous affichons, chaque année, les actifs devraient assumer le versement de ces pensions. Or les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
Combien d’exonérations ?
M. François Bayrou, premier ministre
Cette somme s’obtient en additionnant les cotisations salariales et patronales du privé et du public, estimées au même taux, et les impôts versés par les contribuables et affectés aux retraites. Faites le calcul, restent 55 milliards, versés par le budget des collectivités publiques, au premier chef le budget de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards.
M. Ugo Bernalicis
Combien : 40 ou 45 milliards ? Il faut savoir !
M. François Bayrou, premier ministre
Or, ces 40 ou 45 milliards annuels, nous n’en avons pas le premier centime. Chaque année, cette somme, le pays l’emprunte. Autrement dit, il a choisi de mettre à la charge des générations qui viennent ou qui viendront une partie du montant des pensions que nous versons aux retraités actuels.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Mais non !
M. François Bayrou, premier ministre
Les retraites représentent 50 % des plus de 1 000 milliards de dette supplémentaires accumulés par notre pays ces dix dernières années.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
Jamais nous n’avons fait l’effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants, nos propres enfants, que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Entendez-moi bien, je ne dis pas que la dette soit toujours immorale. Si nous construisons des infrastructures ou finançons la recherche, il est légitime que nous partagions la charge de ces investissements avec ceux qui utiliseront ces équipements ou profiteront de ces connaissances. S’endetter pour construire une université ou un hôpital dont l’usage, par les générations qui viennent, durera cinquante ou quatre-vingts ans est légitime. En revanche, la dette est injuste et elle est insupportable si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Loin d’être seulement un problème financier ou social, cette dette est d’abord un problème moral. Quand on est l’héritier d’une famille, on peut toujours refuser l’héritage qui comporte trop de dettes ; mais quand on est citoyen d’un État, on ne le peut pas.
M. Alexis Corbière
L’État, ce n’est pas une famille !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce problème social et moral, le gouvernement n’entend pas le laisser sans réponse. La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.) Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites.
M. Philippe Gosselin
Pas tout à fait personne !
M. François Bayrou, premier ministre
En même temps, nombre de participants à ces discussions – notamment les organisations du dialogue social et les organisations syndicales – ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et qu’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – MM. François Hollande et Aurélien Rousseau applaudissent aussi. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
La démarche s’appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander à la Cour des comptes une mission flash de quelques semaines, afin de nous donner l’état actuel et précis du financement du système de retraites. Le gouvernement communiquera son résultat à tous les Français. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de notre automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou – pas même l’âge de la retraite –, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Danielle Simonnet
Est-ce qu’il y aura un vote ?
M. François Bayrou, premier ministre
Plusieurs partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée.
M. Emeric Salmon
Parce qu’elle n’est pas juste aujourd’hui ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ces pistes méritent toutes d’être explorées. Toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent : rien n’est fermé. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Une délégation permanente sera donc créée. Je la réunirai dès vendredi.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Extraordinaire !
M. François Bayrou, premier ministre
Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des comptes. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Si, au cours de ce conclave – c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes –, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou avant, et si nécessaire, par une loi. Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Après les retraites, le budget. L’adoption d’un budget est indispensable pour les Français, pour l’action de la France, pour son image et pour son crédit. Cette orientation vers un retour à l’équilibre, qui sera pluriannuelle et respectueuse de nos engagements européens, passera nécessairement par des efforts de l’État lui-même. Nous ne changerons pas l’objectif de retour à 3 % de déficit public en 2029.
Un député du groupe LFI-NFP
Avec Macron, on ne change rien !
M. François Bayrou, premier ministre
Cette contrainte se présente dès maintenant : les prévisions de croissance, en particulier à la suite de la crise née du vote de la motion de censure, ont toutes été revues à la baisse.
Mme Mathilde Panot
C’est aussi lié à l’évolution de la démographie !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous ne voulons pas ignorer ces avertissements. Le gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025. Avant la censure, celle-ci était de 1,1 % ; nous la fixons à 0,9 %, conformément aux prévisions de la Banque de France. Il sera proposé de fixer l’objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB.
M. Thibault Bazin
C’est encore très optimiste !
M. François Bayrou, premier ministre
Des économies importantes seront proposées. Pour la suite, c’est un puissant mouvement de réforme de l’action publique qu’il faut conduire. Il faudra trouver des méthodes d’organisation de l’État qui ne requerront pas d’augmentation de nos dépenses publiques. Il nous faut repenser tous nos budgets, non pas à partir du prolongement de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à conduire. Ces budgets redéfinis et repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer dès le printemps. (Mme Maud Petit applaudit.) C’est un effort dont personne ne devra s’exclure, chacun à sa manière, dans l’exercice quotidien de ses missions.
Cet exercice devra interroger notre organisation. Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR et Dem.) Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d’entre eux, comme France Travail, mais ces 1 000 agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux et sérieux peut difficilement se satisfaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et Dem.)
Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. C’est la fonction du Parlement, qui s’exprimera à son degré le plus éminent : contrôler et évaluer. Cet effort devra être prolongé et inventif. Il devra être soutenu dans le temps, parce que souvent, la réforme prend du temps et, au début, coûte cher.
J’annonce la création d’un fonds spécial, entièrement dédié à la réforme de l’État. Il sera financé en réalisant une partie des actifs, en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique. L’objectif est de pouvoir investir, par exemple, dans le déploiement de l’intelligence artificielle dans nos services publics. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Ces sommes ne pourront pas être utilisées pour des dépenses courantes, pour abonder tel ou tel budget ; elles resteront donc uniquement consacrées à ces efforts de réorganisation. Cette manière de rendre actif un patrimoine aujourd’hui inactif nous permettra peut-être un jour d’initier le scénario de réduction de notre endettement.
Deuxième grand objectif, se réconcilier. J’ai la certitude que nous avons devant nous une grande œuvre de réconciliation : réconcilier les Français entre eux, réconcilier les Français avec leur État et leurs élus, et réconcilier les Français avec les entreprises. L’unité du pays, nous ne la ferons pas à coups d’incantations. Elle passe par l’association effective de tous, de manière continue, aux affaires qui les concernent. Cette association porte un nom qu’on utilise souvent sans lui donner sa vraie portée : c’est la démocratie – pas seulement la démocratie électorale, avec ses surenchères et ses éléments de langage. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe LFI-NFP
Et le résultat des urnes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Marc Sangnier, philosophe qui siégea après la guerre sur ces bancs, a défini la démocratie comme l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. Or il n’y a pas de citoyens conscients et responsables si l’on ne partage pas avec eux les vérités les plus fondées, même les plus brutales.
Mme Alma Dufour
Et si on ne respecte pas leur vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. François Bayrou, premier ministre
La politique du gouvernement, c’est la vérité partagée. Le gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre et non pas comme les sujets d’une monarchie, qui n’auraient d’autre choix que d’obéir ou de se révolter. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous ne laisserons aucun problème hors de notre champ. Pour chacun d’entre eux, nous partagerons les diagnostics avec les Français, afin d’établir la délibération sur des bases indiscutables.
Un député du groupe EcoS
C’est audacieux !
M. François Bayrou, premier ministre
Selon moi, la démocratie, c’est aussi la question de la Ve République : concilier la capacité d’action de l’État avec le pluralisme. Cette capacité d’action passe par une coopération entre les pouvoirs. De ce point de vue, le Parlement a des prérogatives qui doivent être pleinement respectées – et elles le seront.
M. Alexis Corbière
Alors, on vote !
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Censure !
M. François Bayrou, premier ministre
Je pense, en particulier, à son pouvoir d’initiative, qu’il ne manquera pas d’exercer sur des sujets importants dans notre société, comme la fin de vie. Notre société n’est plus enfermée dans l’impasse de la bipolarisation – et c’est heureux. On sait à présent que, sur un sujet donné, il n’y a pas que deux options définies à l’avance.
Mme Émilie Bonnivard
C’était mieux avant !
M. François Bayrou, premier ministre
Il y a plusieurs sensibilités, en contraste, qui ne s’excluent pas. À mes yeux, le but de la démocratie n’est pas qu’une idée triomphe sur les autres ; c’est que les différentes sensibilités puissent vivre ensemble. Pratiquement, la question est celle de la reconnaissance du pluralisme.
Un député du groupe LFI-NFP
Et la reconnaissance des élections ?
M. François Bayrou, premier ministre
Dans la vie politique française actuelle, il y a une pluralité de courants – peut-être cinq ou six principaux. Je respecte la réflexion de ceux qui estiment que cela doit être source d’affrontements – je connais bien Jean-Luc Mélenchon, depuis longtemps.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Nous aussi ! Vous ne nous achèterez pas comme ça !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais qu’il est un homme cultivé et un esprit stratège, mais je n’approuve pas la stratégie, définie très précisément et explicitement, qui consiste à « tout conflictualiser », à faire de tout sujet un conflit. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean-Michel Jacques
C’est irresponsable !
M. François Bayrou, premier ministre
Je me dis qu’à voir nos divisions, ceux qui veulent soumettre notre pays doivent se frotter les mains. Depuis longtemps, depuis des siècles, d’Henri IV aux grands républicains, notre pays reconnaît la tolérance et la laïcité, c’est-à-dire l’idée qu’on n’a pas besoin, parce qu’on croit quelque chose, d’obliger les autres à abandonner leurs idées. Acceptées depuis longtemps en matière religieuse et philosophique, ces idées peuvent aussi s’imposer dans la vie politique.
M. Bastien Lachaud
Ça n’a rien à voir avec la laïcité !
M. François Bayrou, premier ministre
Si, ça a tout à voir. Ce qu’on appelle la laïcité – dont la racine grecque signifie « faire un seul peuple » – a droit de cité aussi bien dans la vie politique que dans la vie religieuse et philosophique. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Plusieurs députés des groupes LFI-NFP et EcoS
N’importe quoi !
M. François Bayrou, premier ministre
Faire un seul peuple, c’est reconnaître que le pluralisme est légitime. Ce dernier doit être organisé. Je suis un défenseur des partis politiques et des syndicats…
Mme Marie Pochon
Ça s’appelle l’État de droit !
M. François Bayrou, premier ministre
…et souhaite qu’ils puissent être un jour reconnus comme des mouvements d’utilité publique. Ils doivent pouvoir se financer sans avoir besoin de passer par des stratégies de contournement. C’est pourquoi je souhaite la création d’une banque de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Philippe Gosselin applaudit aussi.)
L’objectif est que le financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de banques privées, mais puisse éventuellement, et en recours, être le fait d’organismes publics, placés sous le contrôle du Parlement.
Mme Sophia Chikirou
Vous l’avez déjà promis en 2017 !
M. François Bayrou, premier ministre
Je suis partisan, quand je vois l’état de la démocratie américaine, que nous échappions à cette contrainte : la vie politique tenue par l’argent.
M. Alexis Corbière
C’est une farce !
M. François Bayrou, premier ministre
L’argent a sa place, notamment dans le monde des affaires, mais il ne doit pas diriger les consciences, ni prendre le pas sur la libre volonté des citoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR.) C’est pourquoi la banque de la démocratie traitera le problème du financement de ces organisations, de vos organisations. Il faut également que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus.
M. Erwan Balanant
Bravo !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est la seule règle qui permettra à chacun d’être lui-même, authentiquement, et non prisonnier d’alliances insincères. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Hervé de Lépinau
Quel aveu !
M. François Bayrou, premier ministre
Je propose que nous avancions concernant la réforme du mode de scrutin législatif. Chacun exprimera alors sa position : il y a une option à prendre sur ce principe, une discussion à avoir sur ses modalités. On voit bien quels sont les principaux choix. C’est mon opinion que ce mode de scrutin doit rester enraciné dans les territoires, qu’il ne doit pas créer plusieurs catégories de citoyens ayant des droits différents. Cette adoption du principe proportionnel pour la représentation du peuple dans nos assemblées nous obligera en outre probablement, comme l’a dit le président du Sénat, à reposer la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Enfin, la démocratie suppose un accès à une information fiable. Les conclusions des états généraux de l’information, lancés par le président de la République, devront être traduites. De même, la réforme de l’audiovisuel public, bien commun des Français, devra être conduite à son terme.
Une députée du groupe LFI-NFP
Oh là là !
M. François Bayrou, premier ministre
Je voudrais ensuite parler de l’État. (M. Jean-Paul Lecoq s’exclame.) Je suis le premier à mesurer la qualité de notre fonction publique. Nous le constatons à chaque catastrophe : la présence de l’État force le respect. Je le répète, ce que plusieurs d’entre nous, comme Mme la présidente, ont vu à Mayotte force le respect. Reste que notre bureaucratie est trop lourde, incroyablement nuisible au développement du pays.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. François Bayrou, premier ministre
Un document récemment publié, fondé sur les études du centre de réflexion Bruegel, montre que le poids des normes, qui pénalise la croissance, est de 0,8 % du PIB en Italie, 0,3 % en Espagne, 0,17 % en Allemagne et de près de 4 % en France, soit dix fois plus que chez nos voisins. Cette contrainte dont chacun connaît la lourdeur constitue un frein insupportable à l’activité de notre pays, de toutes ses disciplines. Le gouvernement s’engagera donc dans un puissant mouvement de débureaucratisation.
Le projet de loi de simplification de la vie économique, dont l’examen a commencé, devra être adopté rapidement ; mais il faut agir plus en profondeur et dans la durée. Selon quelle méthode ? Je n’en connais qu’une : rendre du pouvoir au terrain. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Laurent Croizier applaudit.) Grâce à France Expérimentation, les acteurs de terrain devront redéfinir eux-mêmes, en partenariat avec l’État, les simplifications, suppressions, allégements d’obligations, utiles dans le domaine de l’agriculture, par exemple. Les collectivités locales doivent avoir une place centrale dans ce projet. Elles assurent 70 % de l’investissement de notre pays, beaucoup plus que l’État ! Quand l’activité fléchit, c’est cet effort de leur part qui soutient le bâtiment, les travaux publics, l’équipement de nos villes. Ce sont elles qui soutiennent l’implantation d’entreprises, se tiennent aux côtés des associations, maintiennent le tissu social dans ses dernières mailles.
Cet effort d’investissement est précieux pour le pays. (Mme Nathalie Oziol s’exclame.) Mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l’eau, l’assainissement, le statut et la protection des élus. Les initiatives parlementaires en ce sens devront aboutir. Sur le plan financier, l’effort demandé aux collectivités sera ramené, comme proposé lors des débats parlementaires, de 5 milliards initialement à 2,2 milliards en 2025. J’ai tout à fait confiance dans la capacité des élus à mener cet effort.
Avoir confiance dans la responsabilité des collectivités suppose aussi de tenir compte des spécificités de certaines. C’est le cas, qui me tient à cœur, pour la Corse ; c’est le cas, que nous allons explorer et travailler, pour les collectivités d’outre-mer. S’agissant de la Corse, un calendrier a été fixé, conformément aux orientations déterminées par le président de la République, afin d’aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025 : ce calendrier sera respecté.
Soutenir l’esprit d’entreprise, tel est le chantier suivant. Il existe chez nous un réflexe nuisible, déjà ancien : prendre pour cible, dans le débat, les entreprises, plus spécialement les entreprises françaises, et en particulier celles qui réussissent le mieux à l’exportation. Les entreprises que l’on dit multinationales sont en réalité celles qui, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, ont réussi à être sélectionnées pour la compétition mondiale. Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse. (Mme Nathalie Oziol et M. Aurélien Le Coq s’exclament.)
J’ai la conviction que, dans toutes les conditions fixées par la démocratie sociale, nous devons faciliter la tâche de nos entreprises. Elles doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR), sans quoi nous nous retrouverions dans la situation que décrit la fable de La Fontaine intitulée « La poule aux œufs d’or ».
M. Pierre Cordier
Et « La cigale et la fourmi » ?
M. François Bayrou, premier ministre
Vous le savez, le propriétaire d’une poule qui pondait un œuf d’or chaque matin « crut que dans son corps elle avait un trésor. / Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable / À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, / S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien ».
L’entreprise produit les richesses et l’emploi, pour tout le pays, grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés ; mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, elle cesse de produire. Le trésor est dans l’activité, la créativité, la souplesse. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – M. Philippe Juvin applaudit également.) Cette œuvre de réconciliation à laquelle nous sommes appelés ne deviendra possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose la lucidité et le courage que je décrivais à l’instant : une nouvelle promesse française.
Je vous propose là d’examiner une œuvre de refondation républicaine. Cette promesse française, c’est celle qui offre à chacun les conditions de sa dignité, en tant que citoyen et en tant que personne. Pour cela, la France ne s’en remet pas à la seule loi du marché. Elle a toujours porté en elle un idéal de fraternité et de solidarité.
Un député du groupe GDR
Jusqu’à Macron !
M. François Bayrou, premier ministre
La solidarité envers chacun, quels que soient son milieu de naissance, son accent, sa couleur de peau, sa condition d’origine, c’est pour tous la possibilité de s’affirmer, d’avoir une deuxième chance si l’on échoue, une troisième chance si l’on rencontre encore des difficultés. C’est l’intuition fondatrice que le président de la République a défendue en 2017 et dont je veux réaffirmer ici la nécessité.
La promesse française, c’est aussi l’attention portée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’un combat de civilisation, que nous devons mener ici et ailleurs, partout où les femmes subissent l’intolérable. Je pense en particulier au sort des Afghanes et des Iraniennes, enfermées vivantes (Applaudissements prolongés sur tous les bancs) : interdiction d’aller à l’école, à l’université, de chanter, de sortir de chez soi. Chez nous, cette égalité suppose une lutte sans merci contre les violences sexuelles ou sexistes, mais aussi pour l’égalité salariale et professionnelle.
Mme Marie-Charlotte Garin
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
Je voudrais m’arrêter un instant à un mouvement que nous avons tous connu et, à mon sens, négligé : celui des gilets jaunes. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Il y a six ans, sur nos ronds-points, ils dénonçaient l’état de notre société, tel qu’ils le ressentaient : la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), ceux qui passent à la télévision et ceux qui regardent l’écran, ceux qui appartiennent aux milieux de pouvoir, par exemple aux arrondissements centraux de Paris, et les autres (Mme Mathilde Panot s’exclame),…
M. Sylvain Maillard
On n’attaque pas Paris !
M. François Bayrou, premier ministre
…qui se sentent oubliés, négligés. Je suis certain que la promesse française suppose que nous puissions abattre le mur séparant les uns des autres. C’est la raison pour laquelle il nous faudra reprendre l’étude des cahiers de doléances présentés par les gilets jaunes (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR. – M. Philippe Brun applaudit également), de manière que s’expriment dans notre société (Brouhaha)…
M. Ugo Bernalicis
Et après ?
M. Thibault Bazin
Au moins, cela servira à quelque chose !
M. François Bayrou, premier ministre
J’imaginais que vous pouviez adhérer à cette idée ! De manière que s’expriment dans notre société, disais-je, les attentes, souvent les plus inexprimées, des milieux sociaux exclus du pouvoir.
Chercher une forme d’harmonie, c’est aussi accepter d’évoquer les craintes et les réalités que, dans notre pays, suscite l’immigration. Cela ne date pas d’hier. La misère, les conflits, les bouleversements climatiques se conjuguant, l’immigration est devenue une question brûlante sur toute la planète. Elle l’est pour ceux qui supportent les vagues migratoires, pour ceux qui craignent d’être menacés par de prochaines vagues ; les réseaux sociaux attisent cette crainte tous les jours. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe LFI-NFP
C’est surtout M. Retailleau qui attise les haines !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai la conviction profonde que l’immigration, qui, je le répète, se développe sous toutes les latitudes, est une question de proportion. L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Que trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejet apparaissent. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Mme Sophie Taillé-Polian
N’importe quoi !
Un député du groupe LFI-NFP
Jean-Marie Le Pen s’est réincarné !
M. François Bayrou, premier ministre
Telle est exactement la situation que nous connaissons à Mayotte, où les illégaux…
Mme Marie Mesmeur
Ce ne sont pas des illégaux, mais des humains !
M. François Bayrou, premier ministre
…représentent 80 000 habitants sur 300 000. C’est comme si Paris intra-muros comptait 500 000 illégaux établis dans des bidonvilles : nos compatriotes mahorais ne le supportent pas. Nier que cette immigration illégale soit pour la société mahoraise un facteur de déstabilisation, c’est se voiler la face, se mentir et leur mentir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
Bien sûr, la différence de niveau de vie entre Mayotte et les Comores est considérable : la richesse par habitant est dix fois moins élevée aux Comores qu’à Mayotte, où le niveau de vie est déjà quatre à cinq fois inférieur à celui de la métropole.
Une députée du groupe LFI-NFP
Et vous trouvez cela normal ?
M. Bastien Lachaud
Hexagone ! Pas métropole ! Mayotte est un département !
M. François Bayrou, premier ministre
Mayotte est un département et nous n’avons pas le droit de laisser se développer dans un département français un désordre aussi profond que celui qui déchire actuellement la société mahoraise. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Voilà pourquoi il est de la responsabilité du gouvernement de maintenir et de faire respecter l’ordre, à Mayotte comme en métropole.
Bien sûr, dans l’humanité, c’est la misère qui pousse les gens à fuir leur pays : nous le savons bien, nous les Basques, les Béarnais, les Bretons qui avons, au XIXe siècle, fourni tant de contingents d’émigrés.
M. Inaki Echaniz
Bravo !
M. François Bayrou, premier ministre
Néanmoins, la volonté de protéger et d’appliquer nos lois doit être sans faille, tout en étant respectueuse de ceux que les vagues de la vie ont conduits jusqu’à nous. Respecter ces personnes, c’est les intégrer dans un ordre dans lequel elles peuvent se reconnaître. Il est donc de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de retour dans leur pays de ceux dont la présence met en péril, par leur nombre, la cohésion de la nation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Comment faire, alors que 93 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne sont pas exécutées ? Arrêtons-nous un instant sur ces chiffres : sur 140 000 OQTF prononcées chaque année, 7 % seulement sont exécutées – 93 % ne le sont donc pas. Leur absence d’exécution découle d’ailleurs moins de la volonté du gouvernement que du refus des pays d’origine d’accueillir leurs ressortissants lorsqu’ils sont obligés de quitter notre territoire.
M. Thibault Bazin
Comme l’Algérie !
M. François Bayrou, premier ministre
Si nous ne résolvons pas cette question, toutes nos déclarations d’intention seront vaines. Cette politique ferme que doivent mener les ministères de l’intérieur et de la justice suppose également l’action de tous les autres ministères. C’est pourquoi je réactiverai le comité interministériel de contrôle de l’immigration. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Je sais que les parlementaires ne manqueront pas de prendre des initiatives à ce sujet. Il nous appartiendra de les articuler avec la nécessaire transposition du pacte européen sur la migration et l’asile. Nous devrons aussi renforcer l’aide publique au développement, en retrouvant dès 2026 une trajectoire dynamique. (Mme Sabrina Sebaihi s’exclame.)
Notre cap, c’est l’intégration.
M. Emeric Salmon
Non, c’est l’assimilation !
M. François Bayrou, premier ministre
Notre cap, c’est l’incorporation à la nation de ceux qui sont amenés à la rejoindre : par le travail, qui crée des liens et donne la reconnaissance ; par la langue, qui est une patrie ; par l’apprentissage et l’acceptation des modes de vie et des valeurs qui nous guident dont, en particulier, le respect de la liberté des femmes et de ceux qui croient différemment ou qui ne croient pas.
En revanche, nous serons sans faiblesse vis-à-vis de tous ceux qui prônent l’inverse. La République n’existe que si elle se fait respecter. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Emeric Salmon
Mme Vautrin dit l’inverse !
M. François Bayrou, premier ministre
Je ne me lancerai pas dans un catalogue de mesures, comme c’est souvent le cas lors des déclarations de politique générale. (« Si ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Néanmoins, les grandes politiques doivent être inspirées par l’idée du long terme, l’esprit du plan, que je veux voir présents dans tous les ministères. Il ne peut y avoir ni partage des grands choix avec les citoyens, ni débat sérieux au Parlement sans vision de long terme.
C’est particulièrement évident s’agissant de grandes questions qui engagent nos orientations sur plusieurs décennies, telles que la transition écologique. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Contrairement à ce que certains pensent, l’écologie n’est pas le problème, mais la solution – c’est en tout cas cette approche que nous privilégions.
Mme Sandrine Rousseau
Ce sont de belles paroles, mais il faut de l’argent !
M. François Bayrou, premier ministre
La France a engagé son effort en matière d’adaptation au changement climatique – sujet crucial – mieux et davantage qu’aucun autre pays au monde. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Cette ardente obligation doit être poursuivie et amplifiée : nous devons planifier la transition en finalisant notre stratégie bas-carbone, en préservant la biodiversité et en produisant de façon décarbonée, grâce à des technologies nouvelles. Je pense notamment à la politique énergétique, qui a pour but de rendre accessible à tous une énergie décarbonée. Pour y parvenir, la production d’électricité d’origine nucléaire est un axe essentiel, tout comme la géothermie, réservoir inépuisable, sous nos pieds, de calories gratuites et de frigories. (M. Romain Daubié applaudit.)
Nous devons saisir la question de l’eau à bras-le-corps, à travers une grande conférence nationale déclinée dans les régions.
La transition écologique, c’est aussi favoriser les mobilités les mieux adaptées, de l’hydrogène au plan Vélo, qui doit être poursuivi avec les moyens qui lui sont nécessaires.
Dans la refondation de notre projet, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche sont également des sujets essentiels.
Mme Julie Laernoes
Vous n’avez plus rien à dire sur l’énergie ? C’est déjà fini ?
Mme Danielle Simonnet
C’est particulièrement court en matière d’écologie !
M. François Bayrou, premier ministre
L’une des fiertés de ma vie est d’avoir été un enseignant de l’éducation nationale et d’avoir des enfants qui sont eux-mêmes enseignants. L’une des fiertés de ce gouvernement est d’avoir placé le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche au premier rang et de l’avoir confié à une femme au parcours exemplaire, qui se trouve en ce moment au Sénat, en train de lire cette déclaration de politique générale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe RN.)
Toutefois, comment accepter que l’école française, qui était la première du monde, soit désormais classée au rang qui est le sien en mathématiques comme en lecture ? Les enseignants de l’université dépeignent des étudiants de première année, qui viennent de passer treize, quatorze ou quinze ans sur les bancs de l’école, ne parvenant pas à écrire un texte simple, compréhensible, avec une orthographe acceptable. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Dieynaba Diop
Arrêtez de réduire les heures d’enseignement chaque année !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est pour moi le plus grand de nos échecs, dont sont victimes en particulier les plus faibles. Car ceux qui sont issus des milieux qui n’ont pas les codes, ceux qui ne connaissent personne, comme on dit,…
Mme Marie Mesmeur
C’est l’école de la République ou pas ?
M. François Bayrou, premier ministre
…et n’ont accès ni à l’influence, ni au pouvoir, se voient écartés sans recours, faute d’avoir les armes nécessaires pour affronter la traversée des formations supérieures. J’ajoute que l’obligation d’orientation précoce les perturbe et les met en danger.
Un député du groupe LFI-NFP
Supprimez Parcoursup !
M. François Bayrou, premier ministre
Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse. (Brouhaha sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Vouloir sélectionner précocement, sans que l’esprit et les attentes aient mûri, est une erreur, ou en tout cas une faiblesse. Notre système scolaire et universitaire doit accepter, si ce n’est favoriser, les réorientations et les changements de formation.
Mme Marie Mesmeur
Supprimez Parcoursup ! Et réformez les bourses, enfin !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez raison, la question de Parcoursup se pose ; c’est précisément ce que je suis en train d’expliquer. Il faut ouvrir les portes, sans doute en inventant une année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
Mme Marie Mesmeur
Il faut y octroyer de l’argent !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce qu’on appelait autrefois la propédeutique, c’est-à-dire la préparation à un enseignement dont on ne maîtrise ni les bases ni les compétences, devrait devenir une préoccupation majeure dans l’organisation du système éducatif. En écartant certains jeunes dès la classe de seconde, on rend à la nation le plus mauvais des services. Combien sur ces bancs étaient, à 13, à 14 ou à 15 ans, davantage en rupture d’école que dans un parcours de succès scolaire ? Combien ont trouvé dans la vie des chemins jusqu’alors inimaginables pour eux ? Ce qui est regrettable dans notre système éducatif, c’est que les choses se jouent très tôt, trop tôt même, pour ceux qui n’appartiennent pas aux milieux les plus favorisés. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Alexis Corbière
C’était le projet d’Attal avant !
M. François Bayrou, premier ministre
Ma conviction est que les gisements de progrès sont du côté des enseignants. Tous ici, nous avons en mémoire les visages et les voix d’enseignants qui nous ont révélés à nous-mêmes, qui, parce que leur regard s’est posé sur l’enfant que nous étions, ont changé notre vie. Ces enseignants magnifiques existent et ils sont nombreux. Mais l’organisation de l’éducation nationale ne parvient pas à les repérer, ou les repère si peu, et les trésors de pédagogie qu’ils ont élaborés sont perdus.
Permettez-moi de rappeler l’intuition fondatrice que le président de la République a présentée au pays en 2017 : combattre l’assignation de la naissance (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem), du quartier, de la religion, de la consonance du nom, de l’accent, des difficultés nées de familles éclatées, de l’adolescence solitaire (M. Ugo Bernalicis s’exclame) et offrir à tous ceux-là, tout au long de la vie, de nouvelles chances.
M. Aurélien Le Coq
C’est combien d’argent en plus pour l’université ?
M. François Bayrou, premier ministre
Parmi les combats à mener, il faut promouvoir la lecture contre le monopole des écrans. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Vincent Descoeur
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais qu’un chemin est possible, notamment en formant davantage nos professeurs afin de mieux les préparer. Je suis conscient des difficultés, car les écrans ont pris le pas sur tout autre mécanisme de transmission des connaissances. Néanmoins, il s’agit d’un enjeu national et je proposerai d’y répondre en mobilisant toutes les compétences créées au profit de la lecture, telles que, par exemple, l’intelligence artificielle. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Enfin, il nous faudra poursuivre la grande réforme de l’enseignement professionnel engagée par les gouvernements précédents.
La culture joue également un rôle essentiel dans la promesse française. La défense et l’affirmation d’une politique culturelle est une politique sociale. L’émerveillement partagé devant la beauté d’un monument, d’une ville que l’on restaure, d’une pièce de théâtre ou d’un concert : tout cela élève, rend fier et rassemble. C’est pourquoi la défense du beau, madame la ministre de la culture, est un devoir de l’État. Cela passe par une politique du patrimoine ambitieuse, car le patrimoine est l’une de nos principales fiertés. Cela passe aussi par un soutien à la création.
Permettez-moi d’évoquer, dans cette promesse française, les outre-mer. Nous avons présenté le plan Mayotte debout lors de notre venue sur l’île. C’est un plan ambitieux non seulement pour traiter de l’urgence, mais aussi pour refonder Mayotte. J’ai mentionné la crise migratoire que connaît ce département : un débat doit être ouvert sur ce sujet, notamment sur les conditions nouvelles d’exercice du droit du sol – que vous avez évoquées, madame la présidente, dans vos vœux.
Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, qui doit construire son avenir. Les événements de mai 2024 ont plongé ce territoire dans un profond marasme. Je souhaite que le processus politique reprenne, avec des négociations qui devront aboutir à la fin du trimestre.
J’inviterai en janvier les forces politiques à venir à Paris pour ouvrir ces négociations, en demandant au ministre des outre-mer de suivre particulièrement ce dossier. Je crois là encore que femmes et hommes de bonne volonté sauront trouver des voies novatrices pour le bien de tous les Calédoniens. Mais je pense à tous nos outre-mer, qui sont une fenêtre ouverte sur le monde, que nous vantons souvent, et qui nous enrichissent par leur identité propre. Chaque territoire a sa situation, ses chances et ses difficultés. Nous définirons pour chacun un plan de développement et de financement, dans le cadre d’un nouveau comité interministériel des outre-mer que le ministre d’État préparera avec les élus de ces territoires.
Venons-en maintenant à la méthode que nous suivrons pour retrouver la production, l’innovation et l’industrie. On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule ses tapis rouges à nos ingénieurs du numérique et de l’intelligence artificielle. Nous sommes, nous Français, des géants de la recherche informatique, algorithmique et automatique ; ne nous laissons pas devenir des nains de la nouvelle économie, qui sera précisément fondée sur le numérique. Il en est de même pour l’espace ou les énergies décarbonées.
M. Aurélien Le Coq
Et les licenciements chez Thales ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le gouvernement est attaché à la trajectoire d’investissement dans la science définie par la loi de programmation de la recherche. Cette dernière se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi dans les entreprises.
M. Aurélien Le Coq
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle – dont je ne sais si elle est intelligente ni si elle est artificielle, mais elle est un changement d’être pour notre humanité – doit entrer dans sa troisième phase. Cette stratégie ambitieuse pour la diffusion de l’intelligence artificielle dans l’industrie, l’action publique, la formation et la recherche, s’appuie sur un programme d’investissement dans les infrastructures. Le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris en février, traduira cette ambition.
Dans ces domaines, il nous faut définir des politiques de filière, produit par produit, en partant des faiblesses et des manques de notre balance commerciale. Chaque filière réunira les grandes entreprises, les sous-traitants, l’État et les régions autour d’un enjeu de production. Les géants mondiaux présents sur notre sol et qui ont des racines en France – Dassault Systèmes, Safran, Total, Airbus, Saint-Gobain ou Danone – ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment pour les produits et les secteurs dont nous sommes absents.
Retrouver la production, c’est aussi tourner nos regards vers l’agriculture. Je veux avoir un mot particulier pour les filières agricoles. Quand nous évoquons leur crise, nous voyons ce qui saute aux yeux : la crise des revenus et le sentiment qu’ont nos agriculteurs de ne pas être respectés. À l’origine de cette situation, il y a une crise morale : les agriculteurs, les paysans – le monde dont je viens –, avaient jusqu’à il y a peu la certitude d’être les meilleurs connaisseurs et les meilleurs défenseurs de la nature. Aujourd’hui, on les accuse de nuire à la nature, et c’est une blessure profonde. Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation ; c’est donc une faute. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Julien Dive
Qu’allez-vous faire ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le principal enjeu pour notre agriculture est celui de l’égalité des armes. À l’intérieur même de l’Europe, on impose à nos agriculteurs des normes et des obligations qui ne sont pas imposées à nos voisins européens, et je ne parle même pas de ceux qui sont très au-delà de nos frontières (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR), en particulier en Amérique du Sud – je fais évidemment référence à l’accord avec le Mercosur.
M. Sébastien Chenu
C’est votre construction !
M. François Bayrou, premier ministre
De très grandes injustices risquent aussi d’être commises dans la gestion des ressources en eau. Je ne suis pas d’accord pour qu’on assimile la gestion de l’eau de surface au pompage des nappes profondes, comme si c’était la même chose. (M. François Jolivet applaudit.) Nos agriculteurs vivent cela comme une injustice. Sur la question de l’eau, j’ai dit que je souhaitais que des conférences soient organisées au plan national et régional pour définir une stratégie de long terme.
M. Jean-Paul Lecoq
Il ne faut pas supprimer les agences de l’eau !
M. François Bayrou, premier ministre
Toutes ces questions seront traitées dans la loi d’orientation agricole. Je m’engage à ce que pour les entreprises agricoles, comme pour les entreprises et les familles, nous remettions en question les pyramides de normes en donnant l’initiative aux usagers. Ceux que l’on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles – et s’il faut des remises en cause, nous les conduirons avec eux dans un temps bref. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’obligation de revaloriser le travail est évoquée sur tous les bancs. Je souhaite qu’une concertation sur le travail et les salaires aborde la qualité de la vie au travail, la rémunération et le sens du travail, la santé au travail, la prévention et la prise en charge des arrêts de travail, ainsi que la situation des travailleurs pauvres et l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il faudra poursuivre les efforts en matière de revalorisation salariale, notamment par la mise en place de dispositifs d’épargne salariale, d’intéressement et de participation dans tous les secteurs.
Enfin, le territoire français doit être plus équilibré. En 1947 paraissait un livre qui a fait beaucoup de bruit à l’époque, Paris et le désert français. Aujourd’hui, il y a Paris, les grandes métropoles et le désert français ; et à chaque étape, il y a un gouffre. Le reste du tissu national, éloigné géographiquement, disparaît médiatiquement et politiquement. L’aménagement du territoire est l’une des grandes questions devant nous. Il touche aux conditions de vie de nos concitoyens, aux services publics, aux transports et au logement. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Maillard
Et pourtant, Paris va mal !
M. François Bayrou, premier ministre
Le grand ministère que nous avons construit autour de François Rebsamen incarne l’objectif qui est le nôtre : que chaque personne ait sa chance et que chaque territoire ait sa reconnaissance et sa chance.
Un député du groupe EcoS
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Tant d’esprits, de volontés, d’initiatives, de capacités provinciales et issues des quartiers périphériques ont le sentiment, ou plutôt la certitude, d’être écartés et oubliés…
Je veux m’arrêter sur le sujet du logement. Si l’on ne peut pas se loger, on ne peut pas se faire reconnaître. Nous avons besoin d’une politique du logement repensée et de grande ampleur. Je salue les efforts menés par les précédents gouvernements pour lever les contraintes en matière de construction de logements. Nous pouvons aller plus loin encore en réduisant les délais, en allégeant les demandes d’autorisation, en favorisant la densification et en facilitant les changements d’usage.
Mme Justine Gruet et M. Philippe Gosselin
Et le ZAN ?
M. François Bayrou, premier ministre
Cela suppose de relancer l’investissement locatif et l’accession à la propriété et de soutenir les élus bâtisseurs par un système d’encouragement à l’investissement, y compris privé.
M. Philippe Gosselin
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
Quant au transport, qui est la condition même de l’égalité des droits sur le territoire, nous avons devant nous de nombreux défis en matière de financement des infrastructures et des équipements nouveaux. Pour se préparer à les relever, une conférence sur son financement durable sera organisée avec les collectivités locales et les professionnels.
La santé, qui est l’une des toutes premières préoccupations des Français, que ce soit en urgence ou au quotidien, se situe au cœur de notre modèle social. Nous avons tous été confrontés, pour nous ou pour un proche, à l’impossibilité de trouver un médecin généraliste, un spécialiste, un dentiste pour se faire soigner. Quant à l’hôpital, il connaît aussi une crise, en particulier financière, plus que préoccupante. L’absence d’une vision pluriannuelle des ressources consacrées à notre système de santé le prive de facto de la capacité à se doter de projets à moyen et à long terme et complique ainsi sa capacité à anticiper les besoins de santé futurs des Français. Il faut passer, madame la ministre, d’une logique budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
M. Aurélien Le Coq
Cela fait vingt ans qu’on nous l’explique !
M. François Bayrou, premier ministre
Il faut aussi retravailler sur l’enjeu clé de la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front le travail sur la question – jusqu’ici irrésolue – de la formation des soignants.
Je confirme que la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme l’avait décidé mon prédécesseur Michel Barnier (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR) – je l’ai soutenu et lui adresse mon amitié. Dans ce cadre, pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui permettra d’améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles.
M. Jérôme Guedj
Enfin quelque chose !
M. François Bayrou, premier ministre
À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et consultations ne sera pas reprise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Aurélien Rousseau
Ah !
M. François Bayrou, premier ministre
Le sport est, comme la culture, un puissant facteur de cohésion, d’épanouissement et de fierté. Nous avons vécu une année olympique historique et avons devant nous le projet Alpes 2030. Nous savons que c’est à l’école que se joue l’avenir du sport. Dans le cadre des parcours de soins pour les maladies chroniques, nous proposerons par exemple une nouvelle offre dans les maisons sport-santé. Cent mille bilans d’activité physique seront proposés aux personnes atteintes de telles maladies.
Nous devons aussi nous mobiliser en faveur de la politique du handicap, alors que nous allons fêter le vingtième anniversaire de la loi de 2005. L’école pour tous est en crise ; il faut l’améliorer, la politique de l’école inclusive ayant atteint une masse critique. Un comité interministériel du handicap sera organisé dans les meilleurs délais, et je tiens à confirmer à l’Assemblée nationale le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR, EcoS et Dem. – Plusieurs députés des groupes EcoS, SOC et GDR se tournent vers M. Sébastien Peytavie.)
Mme Sandra Regol
Bravo Sébastien Peytavie !
M. François Bayrou, premier ministre
Dans le cadre de la grande politique démographique qui s’impose à nous, il nous faut avancer sur la question du grand âge. L’objectif de permettre aux personnes de bien vieillir en ayant le choix de leur domicile suppose l’ouverture d’un dialogue avec le Parlement et les départements. Je réaffirme aussi la priorité qui s’attache pour moi à la protection de l’enfance.
Mme Isabelle Santiago
Ah !
Mme Dieynaba Diop
Et le repas à 1 euro ?
M. François Bayrou, premier ministre
La création du haut-commissariat à l’enfance inscrira cette politique dans la continuité.
Parmi les personnes en situation de précarité, il y a aussi des étudiants, en particulier lorsqu’ils doivent se loger dans des grandes villes où les loyers dépassent les moyens de leurs familles. C’est pourquoi la carte universitaire et le réseau des universités sont non seulement une question académique, mais une grande question sociale. Nous lancerons parallèlement la construction de 15 000 logements par an pendant trois ans, en mobilisant le foncier disponible de l’État.
Voilà le projet que nous appelons la promesse française. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous n’avons pas le droit, au nom de nos passions politiques, d’hypothéquer la vie de nos concitoyens. Ils attendent des actes, et c’est sur nos actes qu’ils jugeront de nos paroles, de nos promesses et de nos indignations. C’est sur nos actes qu’ils nous jugeront, tout simplement.
M. Fabien Di Filippo
Quels actes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le but de cette déclaration de politique générale est de permettre à nos concitoyens de passer de la plus extrême inquiétude à la conviction que, même si nous ne sommes pas certains de les résoudre tous, nous traiterons tous les problèmes qui se posent avec toutes nos forces et tous nos moyens. Nous n’allons pas d’un seul coup passer de l’ombre à la lumière.
Mme Dieynaba Diop
Ça c’est sûr !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous n’allons pas vivre le grand soir. Mais si nous parvenons à nous faire entendre de vous, élus de la nation, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu mais raisonnable. C’est ce projet que j’ai voulu présenter devant vous. Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c’est la vie. Pierre Mendès France – la référence n’est pas choisie au hasard – aurait dit : « Il n’y a pas de politique sans risque, il n’y a que des politiques sans chance ». Ce sont ces chances que nous voulons saisir. J’ai foi dans le peuple français et dans ses représentants. Je sais les ressources d’intelligence, de bravoure et de droiture de notre nation lorsqu’elle choisit de surmonter l’épreuve.
J’ai la certitude que notre peuple et notre pays, avec leur histoire, ont la capacité de se ressaisir. Je n’en veux que deux preuves vérifiables : nous sommes aujourd’hui le plus jeune des pays européens, en dépit du fléchissement de notre démographie qu’il nous faudra mesurer et corriger ; sur le plan de la croissance, au cours des quarante dernières années, la France a été devant l’Allemagne, en particulier lors des sept dernières années. (Mme Danielle Brulebois applaudit.) Nous sommes un peuple de ressources, à la condition qu’il trouve l’unité qui si souvent lui manque. Il l’a trouvée bien des fois au cours de son histoire ; c’est à nous aujourd’hui que cette mission, cette charge et cette chance reviennent. (Les députés des groupes EPR et Dem se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Une députée du groupe LFI-NFP
Vous êtes illégitime !
Mme la présidente
Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes. La parole est à M. Stéphane Peu. Chers collègues, merci à ceux d’entre vous qui quittent l’hémicycle de le faire en silence !
M. Stéphane Peu (GDR)
Après vous avoir écouté attentivement, nous devons d’emblée vous dire notre déception, même si nous ne nous attendions pas à grand-chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Gérard Leseul et Mme Julie Ozenne applaudissent également.) Il faut reconnaître que votre tâche n’était pas aisée puisque votre gouvernement, comme celui de M. Barnier, est le produit de l’aveuglement du président de la République, de son refus de considérer et d’admettre le vote des Français de juin et juillet derniers. Ils ont pourtant massivement rejeté les politiques menées depuis 2017 : l’injustice fiscale, la dégradation des services publics, la précarisation du travail, la smicardisation du salariat et les attaques répétées contre notre modèle social sont vécues à juste titre comme un affaiblissement de la France.
Au moment où le monde traverse un épisode réactionnaire sans précédent, où la logique guerrière s’installe sur tous les continents, où certains multimilliardaires prétendent se substituer aux démocraties et aux États pour diriger les affaires du monde, les Français ont le sentiment que notre pays est aux abonnés absents et s’inquiètent, dans ce monde anxiogène, du silence de la France. (Mme Soumya Bourouaha et M. Emmanuel Maurel applaudissent.) Notre peuple est plein d’angoisse et de colère. Il ne cesse d’exprimer ses attentes et de réclamer de l’écoute, mais rien n’y fait, même pas son vote. Emmanuel Macron s’obstine, s’isole et se complaît dans l’autosatisfaction. C’est dans ce déni, qui n’est rien d’autre que l’expression d’un mépris du peuple, que résident les causes de la crise politique que connaît notre pays.
Mme Clémence Guetté
Tout à fait !
M. Stéphane Peu
C’est donc d’un changement majeur de cap politique que notre pays a besoin ; mais à ce stade, vous n’en prenez pas la direction. Au contraire, vous adressez deux premiers signaux qui nous inquiètent. Le premier est la composition de votre gouvernement, dont plus de la moitié des membres appartenaient au gouvernement censuré de Michel Barnier et dont les deux tiers ont été membres, à un moment ou à un autre, d’un gouvernement sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le second est votre choix étonnant et décevant de ne pas rouvrir le débat budgétaire, en poursuivant la navette des lois de finances présentées par le gouvernement Barnier (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe EcoS), ce qui interdit à notre assemblée la construction d’un budget nouveau, socialement plus juste, qui préserve les plus fragiles et assure la justice sociale dans notre pays. Ce choix nous interdit d’augmenter les recettes du budget (Mêmes mouvements) en renforçant la fiscalité sur le capital et les plus hauts revenus sans augmenter les impôts des Français. Il nous interdit également de doter nos hôpitaux publics et nos écoles des ressources dont ils ont urgemment besoin. (Mêmes mouvements.) Nous craignons que votre statu quo politique continue à nourrir l’instabilité dans notre pays.
M. Antoine Léaument
C’est vrai !
M. Stéphane Peu
Vous le savez et vous avez pu le constater ces derniers jours, les députés communistes sont constants et seront toujours prêts au dialogue. Nous ne refuserons jamais de discuter et de négocier pour gagner des avancées sociales au service de nos concitoyens. À cet égard, après vous avoir écouté au sujet des retraites, nous regrettons votre refus de convoquer une conférence sociale – notre souhait nous semblait pourtant une espérance raisonnable. En cas d’échec de ce que vous nommez le conclave, nous vous demandons donc que sur la base de ses travaux, le Parlement puisse travailler collectivement à un projet de loi abrogeant et remplaçant la réforme Borne de 2023, sans recourir au 49.3. Il ne peut y avoir de statu quo sur ce sujet.
Enfin, toujours sur le plan social, les Français s’inquiètent beaucoup, et à juste titre, de la question de l’emploi. Nous demandons au gouvernement de prendre l’initiative d’une table ronde des partenaires sociaux pour stopper l’hémorragie en cours des 300 000 emplois menacés par 300 plans sociaux. Nous avons bien d’autres sujets de préoccupation : les salaires et le pouvoir d’achat, l’avenir de l’école, de l’hôpital public ou des territoires dits d’outre-mer. Dans ces domaines, le contenu des lois de finances constituera l’heure de vérité : nous jugerons alors la sincérité de votre déclaration et de vos intentions. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti (UDR)
Monsieur le premier ministre, nous nous connaissons depuis longtemps. Des moments politiques nous ont réunis, comme votre soutien à Édouard Balladur, votre combat contre l’erreur historique de la création de l’UMP,…
M. Antoine Léaument
La bataille d’Alésia, aussi !
M. Éric Ciotti
…mais peut-être plus encore vos alertes sur la dette, votre attachement à l’histoire de France et aux territoires de notre nation. D’autres moments, hélas beaucoup plus nombreux, nous séparent, notamment votre contribution déterminante à la victoire de François Hollande en 2012 et surtout d’Emmanuel Macron en 2017,…
M. Sylvain Maillard
C’était bien, ça !
M. Ludovic Mendes
Mieux vaut soutenir Macron que Le Pen !
M. Éric Ciotti
…à chaque fois contre la droite, et surtout contre la France.
Mme Christine Arrighi
Vous n’êtes pas la France !
M. Éric Ciotti
Par là même, vous portez une responsabilité écrasante et lourde dans le bilan de leur échec et dans le déclin accéléré de notre nation. Après treize ans de hollandisme et de son fils spirituel macroniste, le bilan est en effet terrifiant : la dette publique atteint 3 300 milliards d’euros – 118 % du PIB –, les taux d’intérêt s’envolent et la signature de la France se dégrade de façon affolante. Les déficits dépassent allègrement les 6 %, l’économie française entre en récession, les faillites et les plans sociaux explosent et le chômage repart à la hausse.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est faux ! Mensonges !
M. Éric Ciotti
La France aura emprunté cette année 340 milliards d’euros et elle emprunte plus cher que la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne, naturellement – avec presque 1 point d’écart.
Vous l’avez dit vous-même et les Français le vivent chaque jour : l’ensauvagement gangrène notre société. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) L’insécurité est devenue le quotidien de millions de Français. Chaque jour, on compte 3 homicides, 1 000 agressions violentes, 600 cambriolages, 330 vols avec armes : une France « Orange mécanique » nourrie par le flux grandissant d’une immigration de masse de plus en plus incontrôlée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.) Pas moins de 3,5 millions d’étrangers sont entrés légalement sur notre territoire depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Mme Christine Arrighi
Ça faisait longtemps !
M. Éric Ciotti