Première séance du mercredi 05 mars 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Hommage à Ohad Yahalomi
- 2. Questions au gouvernement
- 3. Évaluation de la loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap
- Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure
- Mme Géraldine Bannier, rapporteure
- M. Salvatore Castiglione, rapporteur
- Mme Florence Herouin-Léautey (SOC)
- M. Corentin Le Fur (DR)
- M. Arnaud Bonnet (EcoS)
- Mme Blandine Brocard (Dem)
- Mme Béatrice Piron (HOR)
- Mme Constance de Pélichy (LIOT)
- Mme Soumya Bourouaha (GDR)
- M. Maxime Michelet (UDR)
- M. Matthieu Marchio (RN)
- Mme Julie Delpech (EPR)
- Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
- M. Pierrick Courbon (SOC)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Ayda Hadizadeh (SOC)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Sylvie Bonnet (DR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Josiane Corneloup (DR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Steevy Gustave (EcoS)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. François Ruffin (EcoS)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Emmanuel Mandon (Dem)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Emmanuel Mandon (Dem)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. François Gernigon (HOR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Max Mathiasin (LIOT)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Christophe Naegelen (LIOT)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Émeline K/Bidi (GDR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Yannick Monnet (GDR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Angélique Ranc (RN)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Anne Sicard (RN)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Anne Genetet (EPR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Bertrand Sorre (EPR)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- M. Lionel Vuibert (NI)
- Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
- Suspension et reprise de la séance
- 4. L’échec global de la reconquête de la qualité de l’eau potable
- Mme Adèle Veerabadren, inspectrice de l’environnement et du développement durable
- M. Dan Lert, président d’Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie
- Mme Pauline Cervan, chargée de mission réglementaire et scientifique à Générations futures, docteure en pharmacie et toxicologue
- M. Jean-Claude Raux (EcoS)
- Mme Adèle Veerabadren
- M. Dan Lert
- Mme Pauline Cervan
- M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem)
- Mme Adèle Veerabadren
- M. Dan Lert
- M. Max Mathiasin (LIOT)
- Mme Adèle Veerabadren
- Mme Pauline Cervan
- M. André Chassaigne (GDR)
- Mme Adèle Veerabadren
- M. Dan Lert
- M. René Pilato (LFI-NFP)
- Mme Pauline Cervan
- Suspension et reprise de la séance
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
- M. René Pilato (LFI-NFP)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- M. Jean-Claude Raux (EcoS)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- M. Max Mathiasin (LIOT)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- Mme Delphine Batho (EcoS)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- M. Gabriel Amard (LFI-NFP)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- M. Jean-Victor Castor (GDR)
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Hommage à Ohad Yahalomi
Mme la présidente
Nous avons tous été bouleversés par le mort de notre compatriote Ohad Yahalomi, dont le corps a été restitué la semaine dernière par le Hamas. Cet homme engagé, qui aimait le désert, la faune et la nature, qui militait en faveur de la paix, avait 49 ans le 7 octobre 2023, jour où il a été pris en otage.
Nous pensons à sa famille, à sa femme, à ses filles et à son fils Eitan, lui aussi pris en otage et libéré en novembre 2023, après cinquante et un jours de captivité. Nous pensons évidemment à sa mère, à sa sœur, à sa belle-mère, qui se sont mobilisées pour sa libération et qui l’espéraient encore il y a peu. Nous les avions rencontrées à l’Assemblée nationale, avec une délégation de parlementaires, le 8 octobre 2024. Elles nous avaient demandé de les soutenir.
Je voudrais donc, en hommage à notre compatriote Ohad Yahalomi, que nous observions ensemble une minute de silence.
(Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.)
2. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Financement de l’industrie de la défense
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Plassard.
M. Christophe Plassard
Depuis lundi, l’Europe vacille. Depuis lundi, les États-Unis, sous l’influence de leur président, l’ont abandonnée. Depuis lundi, l’Europe prend conscience qu’elle demeure, seule, maîtresse de son destin.
Nous l’avions déjà constaté en 2022 ; mais, plus que jamais, il faut relancer notre économie de guerre. La loi de programmation militaire, bien que respectée à l’euro près depuis 2017, doit être révisée, afin de garantir notre indépendance et notre souveraineté :…
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Christophe Plassard
…présentée à 420 milliards d’euros, elle avait cependant été votée à 413 milliards, ce qui représente une perte de 1 milliard par an.
Il faut faire de cette contrainte une opportunité.
Une opportunité, car nous sommes les seuls, en Europe, à disposer d’un modèle d’armée complet et cohérent, nous permettant de parler d’égal à égal avec les superpuissances, et d’assumer, sans arrogance, une forme de leadership.
Une opportunité, car nous sommes la seule puissance nucléaire européenne, autonome, et souveraine. Il n’est pas question de partager la décision d’appuyer sur le bouton. Le général de Gaulle avait déjà compris, en 1962, que nos intérêts vitaux ont une dimension européenne.
Une opportunité, car notre base industrielle et technologique de défense, forte de 4 000 entreprises et de 200 000 emplois, s’est hissée, en 2024, au second rang mondial des pays exportateurs.
Mais, pour protéger la France et l’Europe, nous avons besoin de financements.
En 2023, je proposais, dans un rapport sur l’économie de guerre, de multiples pistes : grand emprunt, livret dédié, fléchage des livrets réglementés ou encore labellisation des entreprises de défense.
J’ai soutenu ces idées lors des débats sur la loi de programmation militaire, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 puis dans une proposition de loi spécifique, sans qu’elles ne puissent aboutir. Le sujet reste entier, et les conclusions de mon rapport tristement d’actualité.
Monsieur le ministre de l’économie, ma question est double.
Révision de la LPM, projet de loi de finances rectificative dédié, nouvelles ressources, fléchage des livrets ou nouvelle offre d’épargne, fonds européens : quelles sont vos pistes de travail – et quel est, surtout, dans un contexte d’urgence, votre calendrier – pour apporter des financements à hauteur des enjeux de sécurité du pays et du continent ?
Et comment, pour soutenir cet effort, comptez-vous insuffler l’esprit de défense dans notre économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Vous avez raison : le nouvel ordre mondial auquel nous faisons face nous oblige à accentuer nos efforts en vue d’une souveraineté européenne et nationale, notamment en matière de défense. C’est une de nos priorités, sous l’autorité du président de la République et du premier ministre, pour les mois et les années à venir.
Notre action prendra plusieurs directions.
Nous allons d’abord travailler à mobiliser les financements européens. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé, hier, 800 milliards de fonds européens à destination de la BITD européenne.
M. Fabien Di Filippo
Ce sont les fonds des États européens !
M. Éric Lombard, ministre
Mais nous allons également mobiliser les financements français. Avec Sébastien Lecornu, ministre des armées, nous allons réunir le 20 mars, à Bercy, l’ensemble des investisseurs privés – assureurs, banques, fonds d’investissement. Il s’agira d’abord de modifier les règles de fonctionnement, qui, trop souvent, ne leur permettent pas d’investir dans le secteur de la défense, pourtant essentiel. Nous entendons mobiliser ainsi l’épargne privée.
Avec le premier ministre, enfin, nous travaillons à élargir le champ de la LPM, protégée dans le budget, pour nous préparer aux temps à venir. Nous présenterons à la nation, dans les semaines et les mois à venir, des propositions sur le financement de l’effort de défense qui nous attend, tout en respectant nos contraintes budgétaires – car l’indépendance nationale exige également que nous maîtrisions notre dette publique. (M. Jean Terlier applaudit.)
Filière de la chimie
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Le 7 juillet dernier, monsieur le premier ministre, je vous interrogeais sur le placement en redressement judiciaire de l’entreprise Vencorex, au Pont-de-Claix. Je vous alertais alors sur le risque d’effet domino sur la plateforme voisine de Jarrie, sur la fermeture partielle de l’entreprise Arkema et, au-delà, sur l’avenir de toute la filière française de la chimie, dans laquelle 6 000 emplois directs et indirects sont en péril.
L’annonce à ses salariés, par Arkema, de la fermeture totale de l’entreprise vient aujourd’hui confirmer nos craintes. Arkema vous en avait-elle informé ?
Ce n’est donc plus seulement une alerte, mais l’annonce d’un désastre social et industriel.
Vous nous avez répondu, la semaine dernière, que vous écartiez la nationalisation temporaire que nous proposions, et qu’aucune autre solution ne semblait envisageable.
M. Stéphane Peu
Il faut nationaliser !
Mme Marie-Noëlle Battistel
Les parlementaires isérois et drômois ont pourtant tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences de ces fermetures pour notre souveraineté industrielle, mais aussi militaire.
La fermeture d’Arkema et de Vencorex ferait chuter de 14 % la production de chlore. Ce secteur, pourtant stratégique, financé à hauteur de 80 millions d’euros par l’État, se retrouverait définitivement dépendant des importations.
Vencorex est un sous-traitant clé de la dissuasion nucléaire française. Son produit phare, un sel de haute qualité, est le seul que la direction générale de l’armement a validé pour la fabrication des carburants des missiles nucléaires et des boosters de la fusée Ariane 6.
L’hydrogène produit par Arkema, quant à lui, est essentiel à la fabrication des drones militaires.
Si ces entreprises venaient à s’effondrer, nous nous retrouverions très rapidement au bord d’une rupture critique de nos capacités d’approvisionnement, qui fragiliserait notre défense et notre autonomie.
Lundi, à cette tribune, vous avez affirmé, à juste titre, qu’il était nécessaire d’ouvrir le parapluie nucléaire français pour protéger l’Europe – parapluie dont vous vous apprêtez pourtant à scier le manche, en laissant mourir ces entreprises stratégiques.
Face à cette catastrophe annoncée, et alors même que nous devons, plus que jamais, protéger notre souveraineté industrielle, énergétique et militaire, continuez-vous à écarter la nationalisation temporaire de Vencorex, et maintenez-vous qu’aucune autre solution n’est envisageable ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Je salue votre engagement, ainsi que celui des autres élus isérois, sur ce dossier difficile et à propos duquel le ministre de l’industrie, Marc Ferracci, a déjà eu l’occasion de vous répondre, hier, lors du débat sur la souveraineté industrielle. Il annonce aujourd’hui, avec le commissaire européen Stéphane Séjourné, un plan de soutien à la filière automobile : l’industrie, vous le voyez, est une de nos priorités.
L’entreprise Vencorex, vous l’avez rappelé, a été placée en redressement judiciaire en septembre dernier, après que l’actionnaire, qui avait investi 400 millions d’euros, a annoncé renoncer à poursuivre.
M. Inaki Echaniz
On le sait, tout ça !
M. Éric Lombard, ministre
Vencorex a été fragilisée par une très vive concurrence et par un taux d’utilisation des capacités mondiales qui, de l’ordre de seulement 60 %, l’a évidemment mise en grande difficulté.
L’État, au cours des dix derniers mois, s’est mobilisé sans relâche pour une approche industrielle, territoriale et sociale, se penchant sur le cas des salariés et travaillant à soutenir l’activité industrielle au Pont-de-Claix.
Nous avons eu, avec le premier ministre et le ministre de l’industrie, plusieurs réunions de travail.
M. Boris Vallaud
Mais quel est votre calendrier ?
Mme Dieynaba Diop
Concrètement ?
M. Éric Lombard, ministre
Nous étudions toutes les solutions, nous envisageons toutes les possibilités.
En l’absence d’offre de reprise, après dix mois de recherches acharnées, il n’y a malheureusement pas de modèle économique pour cette société – et la nationalisation d’une entreprise sans modèle économique ne saurait être une solution.
M. Boris Vallaud
Pour des questions qui touchent à la souveraineté, il y a des solutions !
M. Éric Lombard, ministre
Vous mentionnez les questions sensibles liées au nucléaire et à la défense. Les travaux conduits avec les ministères concernés ont permis de sécuriser des ressources alternatives en approvisionnements critiques, pour le sel comme pour le chlore – pour ArianeGroup comme pour Framatome.
M. Inaki Echaniz
Ce n’est pas sérieux !
M. Éric Lombard, ministre
Le contexte géopolitique donne évidemment à ces questions une grande importance.
Enfin, nous accompagnons individuellement chaque salarié. Leurs compétences sont recherchées et un bassin industriel se développe au Pont-de-Claix. Nous continuerons à les soutenir.
M. Boris Vallaud
C’était un faire-part de décès !
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Vous ne m’avez rien appris, puisque je suis ce dossier de très près. Accepteriez-vous d’accompagner les salariés dans un éventuel projet de reprise de leur entreprise ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Insécurité
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri
Lundi, à Grenoble, un homme de mon âge a été atteint par trois balles – en plein jour, sous les yeux des passants.
Ce week-end, dans la même rue, un automobiliste a été sorti de force de son véhicule par plusieurs délinquants, avant que ces derniers n’incendient la voiture.
Il y a deux semaines, une bibliothèque municipale a été brûlée par les racailles.
Il y a trois semaines, une grenade explosait dans un bar du Village olympique, quartier qui m’a vu grandir, à une époque où il faisait encore bon vivre à Grenoble.
Ce temps-là, c’était l’avant Piolle – Éric Piolle, ce maire qui demande aux Grenoblois d’apprendre à vivre avec les trafiquants de drogue et qui, sans scrupule, déclare se foutre de la sécurité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.) Mais quelle honte !
M. Fabien Di Filippo
À Grenoble, on a les élus qu’on mérite !
Mme Hanane Mansouri
Grenoble, capitale des Alpes, est devenue capitale du crime.
Si les trafiquants de drogue, les racailles et les OQTF peuvent régner en toute impunité, c’est aussi parce qu’ils peuvent compter sur la complicité de ces élus de gauche (Exclamations sur les bancs du groupe SOC),…
Mme Ayda Hadizadeh et Mme Dieynaba Diop
Caricatures, mensonges !
Mme Cyrielle Chatelain et Mme Marie Pochon
C’est insupportable !
Mme Hanane Mansouri
…qui parlent de « sentiment d’insécurité » à chaque agression, chaque blessé, chaque mort. Mais le seul sentiment, chers collègues de gauche, c’est celui de se croire à Chicago ou à Bagdad. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Malheureusement, ce chaos ne se limite pas à Grenoble. À Nantes, le maire a troqué la place de première ville de France où il fait bon vivre pour celle de quarante-septième. À Bordeaux, le maire préfère se battre contre les sapins de Noël plutôt que de s’occuper de ses rues, devenues de véritables coupe-gorge.
Cette gestion calamiteuse des maires de gauche, aveuglés par leur idéologie (M. Inaki Echaniz s’exclame), prospère aussi grâce à l’inaction gouvernementale. Votre immobilisme face à la montée de la criminalité, monsieur le premier ministre, est coupable.
Comment tolérer que des maires aient le droit de laisser leurs villes aux mains des narcotrafiquants sans que l’État ne fasse rien pour démanteler ces réseaux ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Jean-Paul Lecoq
C’était une question contre les maires !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
L’an dernier, quarante-huit fusillades à Grenoble ont entraîné la mort de six personnes. Vous avez égrené une litanie d’exactions dont je suis informé et qui justifie l’urgence du vote par votre assemblée, dans quelques jours, de la proposition de loi sur le narcotrafic et la criminalité organisée. J’espère que tous les groupes politiques, comme au Sénat, seront au rendez-vous pour accorder à la République une première victoire législative. (« Non ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Je me suis rendu à Grenoble le 14 février pour y annoncer et justifier une nouvelle stratégie en trois temps : judiciaire, sécuritaire et administratif. Judiciaire d’abord, pour obtenir des résultats avec les services de renseignement, grâce à une collaboration très en amont avec l’autorité judiciaire : nous allons démanteler les réseaux pour livrer les criminels à la justice, en organisant plusieurs coups de filet permettant de retirer de la voie publique les responsables des réseaux. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe EPR.)
Stratégie sécuritaire ensuite : la police et la gendarmerie doivent occuper toute la voie publique, les transports en commun et la rue bien sûr, mais aussi fouiller dans chaque immeuble les caches d’armes, de drogue, de cigarettes et de contrebande.
La réponse administrative, enfin, consiste à taper l’écosystème au portefeuille : traquer le blanchiment, fermer les commerces mais aussi mener des enquêtes de patrimoine draconiennes en mobilisant tous les outils et les instruments dont l’État dispose.
Depuis mon déplacement à Grenoble, 9 trafics ont été démantelés, 152 interpellations ont été effectuées, 125 procédures de saisie de stupéfiants ont été lancées – permettant de saisir des kilos de cocaïne et de drogue – ainsi que 7 procédures de fermeture de commerce. Le lanceur de grenades présumé a été arrêté. Bien sûr, la sécurité est l’affaire de tous et nous sommes beaucoup plus efficaces quand les villes collaborent, quand elles disposent d’un vrai réseau de vidéosurveillance et d’une vraie police municipale. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Laurent Croizier applaudit également. – Murmures sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri
Les municipales arrivent à grands pas et les Français ont bien compris que ni la gauche ni le bloc central ne pouvaient agir pour protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Fabien Di Filippo
Dommage d’écrire sa réaction avant d’avoir entendu la réponse du ministre !
Industrie de l’armement
Mme la présidente
La parole est à M. José Gonzalez.
M. José Gonzalez
Ma question s’adresse surtout à monsieur le ministre des armées, mais tout autre ministre fera l’affaire. (Rires sur plusieurs bancs du groupe RN.) Elle concerne la souveraineté française en matière de fabrication et de livraison d’armes légères à nos troupes, nos forces armées, nos fantassins. Il s’agit des armes de poing et d’épaule, calibrées en 9 millimètres pour les armes de poing et 5,56 millimètres pour les armes d’épaule.
M. Pierre Cordier
M. Gonzalez s’y connaît en armes !
M. José Gonzalez
Or, dans ce domaine, nous sommes totalement dépendants des sociétés étrangères. En effet, lorsque nous avons abandonné en 2017 le Famas, le fusil automatique de la manufacture d’armes de Saint-Étienne, jugé obsolète,…
M. Emmanuel Mandon
Eh oui, un joyau industriel !
M. José Gonzalez
…un appel d’offres a été lancé. Notre société nationale Verney-Carron, la seule qui fabrique encore des armes de chasse et de guerre, qui a fait ses preuves depuis deux siècles et qui a d’ailleurs récemment signé un contrat avec l’Ukraine pour lui fournir environ 10 000 fusils d’assaut VCD 15 et 2 000 fusils de précision VCD 10 – ce qui prouve ses compétences –, n’a pas été retenue du fait d’un chiffre d’affaires insuffisant. Le gouvernement français ne l’a pas aidée.
Faute de solidarité nationale, nous sommes donc devenus dépendants de l’Allemagne, puisque nous lui achetons des fusils HK416 alors qu’elle se fournit pourtant en avions de chasse F-35 américains tout en lorgnant sur le bouton rouge de notre force de dissuasion nucléaire.
M. Sylvain Maillard
On est un peu perdu, là ! Nous ne sommes pas en commission !
M. José Gonzalez
Pendant ce temps, l’entreprise Verney-Carron du groupe Cybergun risque de passer aux mains d’un groupe étranger, le Belge FN Browning… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
M. Pierre Cordier
Et spécialiste des armées !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants
J’espère que je ferai l’affaire pour vous apporter une réponse. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Permettez-moi d’excuser M. le ministre des armées, qui ne peut être présent.
Nous n’avons pas attendu la guerre en Ukraine et encore moins l’élection de Donald Trump pour engager notre réarmement. Depuis 2017, le budget des armées a augmenté de 18 milliards d’euros, conformément aux lois de programmation militaire.
Mme Danielle Brulebois
Mais oui !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Si l’on prolonge cette trajectoire, le budget aura doublé en dix ans. Les orientations que nous avons prises collectivement sont les bonnes : la modernisation de la dissuasion, l’épaulement des forces nucléaires et conventionnelles, la souveraineté de notre industrie de défense et le futur porte-avions.
Pourtant, le contexte stratégique a changé depuis le vote de la dernière loi de programmation militaire et les menaces se sont précisées. Le ministre Sébastien Lecornu l’a longuement expliqué lundi dernier dans cet hémicycle : il faut accélérer notre réarmement, comme l’a clairement affirmé le président de la République.
Sur le volet industriel, la question qui se pose à nous est de savoir si nos industriels seront capables de fournir plus et plus vite pour nous-mêmes comme pour nos alliés. Je vous le dis clairement : l’effort de réarmement européen ne doit pas conduire à acheter massivement américain. Notre souveraineté passe aussi et surtout par la souveraineté industrielle.
M. Sylvain Maillard
Elle a raison !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Le travail engagé pour passer à une économie de guerre – et se mettre en ordre de bataille pour fournir plus et plus vite – porte déjà ses fruits. Les délais diminuent et les cadences augmentent, avec le triplement de la production des canons Caesar, des délais de production des radars Thales divisés par trois et des livraisons de missiles Aster multipliées par six. Onze projets de relocalisation sont lancés dans la filière poudre à Bergerac et la production d’imprimantes 3D à Bourges.
M. José Gonzalez
En attendant, on achète allemand !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Nos industriels sont en train de pivoter vers l’Europe. Il y a dix ans, 10 % de nos exportations étaient destinées aux pays européens ; en 2024, c’est plus de la moitié. Mesurons le chemin parcouru : la Grèce, la Serbie, la Croatie commandent des Rafale, les Pays-Bas des sous-marins, les coalitions se forment pour des achats communs de Mistral et de Caesar. Enfin, je vous annonce que nous réalisons un inventaire précis et que nous pourrons proposer à nos partenaires européens des matériels livrables… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Mmes Sophie Mette et Josy Poueyto applaudissent cette dernière.)
Diplomatie féministe
Mme la présidente
La parole est à Mme Graziella Melchior.
Mme Graziella Melchior
Dans quelques jours, le samedi 8 mars, nous célébrerons la Journée internationale des droits des femmes mais également le premier anniversaire de la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse. En effet, le 8 mars 2024, la France est devenue le premier pays au monde à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’avortement. Je voudrais que nous nous souvenions de ce qui, alors, nous avait amenés à exprimer cette volonté ici même, à l’Assemblée nationale.
Le signal d’alerte nous était venu des États-Unis quand, le 24 juin 2022, la Cour suprême annulait un arrêt fédéral qui garantissait depuis 1973 le droit d’avorter sur tout le territoire. L’écho avec l’actualité de ces derniers jours semble plus fort que jamais, alors que le président Trump met à mal toutes les bases constitutives de la paix que nous avons connue depuis 1945.
Nous prenons conscience de la fragilité de droits que nous pensions acquis, comme nous avions pris conscience de la fragilité du droit à l’avortement car, nous le savons, rien n’ébranle plus la liberté des femmes que les gouvernements autoritaires, que certains ici admirent. Dans ce monde où la brutalité semble s’imposer, notre pays, la France, doit continuer à porter haut les valeurs qui sont les siennes, notamment la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pionnière dans son histoire pour défendre les droits des femmes à de nombreux égards, la France doit continuer à faire entendre sa voix.
Madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, je vous sais pleinement engagée dans cette voie. La semaine prochaine, à New York, au siège des Nations unies, se tiendra la Commission de la condition de la femme. De quelle manière entendez-vous y faire entendre la voix de notre pays ? Plus largement, quelles actions souhaitez-vous entreprendre pour faire de la France un leader de la diplomatie féministe et comment inscrivez-vous cet objectif dans l’action globale du gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Il y a un an presque jour pour jour, l’Assemblée et le Sénat, réunis en Congrès à Versailles, faisaient le choix d’inscrire dans notre Constitution la liberté garantie aux femmes de recourir à l’avortement. C’était le fruit d’une démarche parlementaire transpartisane et de l’impulsion du président de la République qui avait souhaité que nous puissions être réunis en Congrès. En agissant ainsi, nous avons affirmé très clairement que dans notre pays, la liberté et la dignité des femmes devaient être des valeurs irréversibles. En effet, nous faisons le constat dans le monde entier que malheureusement, tout peut aller très vite quand il s’agit de régression. (Mme Mathilde Feld applaudit.)
Vous avez évoqué ce qui se passe aux États-Unis. Imaginez par exemple que pour avoir accès à la commande publique, les entreprises américaines doivent désormais affirmer, écrire et signer l’engagement qu’elles renoncent à toute leur politique de diversité, d’inclusion et d’égalité entre les femmes et les hommes : cela se passe aujourd’hui. Cela peut aussi aller très vite, lorsque des intégrismes religieux ou l’islamisme prennent le pouvoir : nous voyons à quel point ils cherchent à rendre les femmes invisibles et silencieuses, à les faire disparaître de l’accès à l’éducation et, tout simplement, de l’espace public.
La diplomatie féministe n’est donc pas un gadget, mais un levier supplémentaire pour réaffirmer des droits et des principes auxquels nous sommes particulièrement attachés, au sein d’une coalition où figurent des alliés comme le Canada, le Mexique ou la Colombie – États au sein desquels une société civile se bat pour garantir les libertés et les droits des femmes.
Enfin, alors que des manifestations auront lieu le 8 mars prochain pour faire progresser les droits en France, il serait inacceptable que certains cherchent à intimider, voire à interdire la participation du collectif « Nous vivrons ». Le féminisme est un bloc, il s’adresse à tous et reconnaît les droits et les libertés de toutes les femmes, partout dans le monde et ici aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Mme Émilie Bonnivard applaudit également. – Mme Mathilde Panot s’exclame.)
Situation de Vencorex
Mme la présidente
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Monsieur le premier ministre, soyez raisonnable, nationalisez Vencorex, au moins provisoirement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Une proposition de loi présentée par Mme Chatelain et soutenue par tous les élus du bassin grenoblois et les députés de gauche est prête ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Cette activité, qui existe depuis plus de cent ans, risque de fermer et d’autres avec elle par effet domino, comme Arkema et Rubis SA. En tout, 6 500 emplois sont menacés. C’est aussi notre souveraineté industrielle qui est en jeu dans des secteurs stratégiques comme la défense, le nucléaire et l’aérospatial. L’urgence appelle donc de la part de l’État une réponse rapide, transparente et à la hauteur de la situation, contrairement à la teneur de votre courrier du 21 février. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit également.)
Depuis des mois, vous restez sourd à toute proposition, y compris celle de la reprise de l’activité par les salariés. Pire, vous mentez ! Il n’est pas vrai que Framatome reprendra des centaines d’emplois, ni qu’Ariane est prête à changer de fournisseur. Vous préférez abandonner tout ce secteur, comme le reste de l’industrie française, à la concurrence,…
M. Sylvain Maillard
Oh là là ! Mais vous n’aimez pas le travail !
Mme Élisa Martin
…vous n’avez que faire de ce bassin d’emploi et je ne parle pas des enjeux écologiques qui semblent être le dernier de vos soucis. La grève dure depuis décembre et nous vous alertons depuis des mois. Maintenant que la décision de liquidation est imminente et que nous nous retrouvons, par votre faute, toutes et tous au pied du mur, quand et comment comptez-vous agir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Mme Marie-Noëlle Battistel applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Je fais suite à la réponse qu’Éric Lombard a déjà faite à votre collègue sur le même sujet. Vous l’avez dit, la situation est difficile s’agissant d’une entreprise pour laquelle l’ensemble des acteurs locaux et nationaux s’est mobilisé depuis dix mois. Je veux saluer, dans un esprit républicain et un esprit de mobilisation industrielle et économique collective, la recherche active de solutions qui a été menée par l’ensemble des acteurs.
Vous l’avez entendu dans la bouche d’Éric Lombard, l’actionnaire a fait le choix de ne plus supporter les pertes de l’entreprise après y avoir injecté lui-même 400 millions d’euros. Il nous faut reconnaître les surcapacités qui existent sur le marché puisque 60 % des capacités mondiales seulement sont actuellement utilisées pour fabriquer les molécules produites en Isère. La tâche est donc immense, à la fois pour la reconversion des salariés et pour que cette plateforme industrielle retrouve un avenir, dans l’intérêt du territoire.
S’agissant de l’avenir des salariés, qui est la priorité absolue, tout le gouvernement est mobilisé. La ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet, avec qui j’échangeais à l’instant, me confirme la très grande mobilisation de l’ensemble des acteurs publics, pour que nous trouvions, salarié par salarié, une solution de reconversion, leurs compétences industrielles étant précieuses – vous le savez – pour le territoire dont vous êtes élue.
Seconde priorité : la plateforme industrielle doit être consacrée à un autre projet économique (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP) doté d’une viabilité à long terme. Nous sommes toujours à la recherche de lieux pour installer des usines et attirer des investisseurs étrangers. Ce sera notre mobilisation, celle de tout le gouvernement, notamment de Marc Ferracci, ministre de l’industrie.
Mme la présidente
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Je vous écoute depuis des mois et je ne vois aucune solution émerger. Concrètement, que proposez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit également.) Quelle réponse concrète et transparente pouvez-vous apporter s’agissant de la nationalisation et de la reprise de l’activité par les salariés ? Les discours creux et sans fin, ça suffit : nous voulons des solutions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Accueil des scientifiques étrangers
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard
Aux États-Unis, l’accession à la présidence de Donald Trump et la nomination d’Elon Musk à la tête du département de l’efficacité gouvernementale menacent très sérieusement l’avenir de la recherche scientifique et des libertés académiques.
Ce nouveau maccarthysme prend la forme d’un autodafé numérique : les informations scientifiques sur les inégalités sociales, la santé, la biodiversité ou les études de genre sont censurées. Des pages web ont été supprimées, des scientifiques de renom licenciés, des collaborations internationales interdites et des agences scientifiques remises en question. La nouvelle administration américaine s’attaque aux libertés académiques et scientifiques en menant une offensive obscurantiste sans précédent.
L’internationale réactionnaire qui surgit méprise la raison car le but de la science est la recherche de la vérité. Dire la vérité est toujours révolutionnaire ! (Mme Mathilde Feld et M. Stéphane Peu applaudissent.)
Les événements américains sont une ultime alerte, qui doit nous pousser à considérer l’état de nos investissements dans la recherche. La communauté scientifique se mobilise pour défendre le rôle des sciences, moteur d’émancipation et de progrès social, et pour renforcer la culture scientifique au sein de la société. Le 7 mars, des actions seront menées sur tout le territoire, dans toutes les villes universitaires.
Le préambule de la Constitution de 1946 dispose ceci : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. » La communauté scientifique nous regarde. En ces temps où l’indifférence et le repli sur soi se généralisent, nous devons être au rendez-vous de l’histoire et faire preuve de solidarité internationale. Madame la ministre de l’éducation nationale, ma question est simple : la France restera-t-elle fidèle à l’héritage des Lumières en offrant l’asile aux membres de la communauté scientifique vilipendés outre-Atlantique ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – M. Charles Sitzenstuhl applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche
Ces dernières semaines, l’administration Trump a en effet pris des positions contraires au consensus scientifique, notamment dans les domaines du climat, de la biodiversité et de la santé, ce qui a suscité un émoi considérable au sein de la communauté scientifique. Des coupes budgétaires ont par ailleurs été annoncées et de grands programmes internationaux seront retardés, voire supprimés. Ainsi, la date de la désorbitation de la station spatiale internationale a été avancée, décision annoncée de façon presque unilatérale par Elon Musk.
Nous recevons des sollicitations innombrables dans des domaines très variés, allant des sciences humaines et sociales à l’ingénierie, en passant par l’intelligence artificielle. Comme l’ensemble de mes collègues européens, je crois à une recherche libre en parallèle de la recherche appliquée, qui est plus dirigée. Cette recherche doit être menée par la communauté scientifique, et jouir de libertés fondamentales, les libertés académiques et démocratiques.
M. Stéphane Peu
Alors accueillons-les !
M. Philippe Baptiste, ministre
Les dispositifs pour accueillir les scientifiques internationaux existent déjà– je pense aux contrats de chaire junior et senior. Il faut les renforcer et agir pour augmenter la part des scientifiques américains qui voudraient nous rejoindre. Cette discussion doit aussi avoir lieu au niveau européen ; vous pouvez compter sur moi pour relayer cette discussion au sein de l’Union européenne.
M. Stéphane Peu
Et au niveau français ?
Femmes dans les filières scientifiques
Mme la présidente
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller
Alors que les droits des femmes sont bafoués ou régressent dans certaines parties du monde, nous nous apprêtons à célébrer, le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes. Si, en France, nos droits sont préservés et progressent – je pense notamment à la constitutionnalisation de l’IVG l’année dernière, près de cinquante ans après la loi Veil –, je m’inquiète du recul de la place des jeunes filles dans les filières scientifiques. C’est pourtant un enjeu pour l’avenir des femmes et de notre pays. Les données de l’Académie des sciences et de l’Institut de France montrent que seulement 13 % des diplômes universitaires en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques sont obtenus par des femmes ; 49 % des lycéennes en terminale générale n’ont choisi aucun enseignement de spécialité scientifique. La place des filles est minoritaire dans les filières scientifiques des grandes écoles, comme Polytechnique, les Écoles normales supérieures et les écoles d’ingénieur du concours Mines-Ponts.
Il y a quelques semaines, notre pays organisait avec succès le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Parmi les difficultés soulevées, on a relevé l’invisibilisation des femmes dans ce secteur, comme dans d’autres secteurs économiques pourvoyeurs d’emplois. Par ailleurs, celles qui parviennent à intégrer ces milieux font face à de nombreuses difficultés : inégalités salariales, difficile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, les femmes accordant davantage de temps aux tâches domestiques.
Il est donc urgent de renforcer notre politique en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cela passera notamment par une meilleure intégration des filles, dès le plus jeune âge, dans les filières scientifiques. Une politique interministérielle menée avec le ministère du travail pour déconstruire les stéréotypes qui circulent sur certains secteurs d’activité ainsi que la valorisation de parcours inspirants de dirigeantes sont des pistes qui me semblent pertinentes pour corriger ces effets négatifs.
Comment le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes envisage-t-il d’apporter des réponses à cette problématique ? (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Je connais votre engagement sur le sujet des carrières scientifiques et numériques, ainsi que sur l’égalité. Vous pointez du doigt un sujet déterminant. Il ne s’agit pas seulement d’une question de justice et d’égalité, de principes et de valeurs, mais aussi d’attractivité et de souveraineté. Dans les domaines où il est crucial d’asseoir notre souveraineté – l’agriculture, la défense, l’industrie, le numérique –, nous manquons de main-d’œuvre, en particulier féminine. Cette question doit donc être abordée en priorité sous l’angle de la performance économique et de l’attractivité des métiers.
L’égalité se travaille dès le plus jeune âge. Je vous donnerai un seul chiffre, une donnée statistique : les petites filles décrochent en mathématiques non pas au collège, au lycée ou à l’université, mais entre le CP et le CE1 !
Mme Anne Le Hénanff
On ne peut pas dire qu’elles décrochent !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Elles ont alors entre 6 et 7 ans. Elles ne décrochent pas parce qu’elles ne seraient pas programmées pour apprendre les mathématiques, mais parce que la manière dont l’enseignement est délivré, la sollicitation ou non de leurs compétences ont un impact sur les représentations et sur le reste de leur vie – les compétences sollicitées, les carrières embrassées. Il faut donc continuer à travailler sur cette question avec la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale.
Vous l’avez dit, nous devons aussi travailler avec le ministère du travail sur les représentations des métiers et des filières. C’est un enjeu stratégique pour notre pays : ce sera une priorité interministérielle du plan Toutes et tous égaux en ce qui concerne les enjeux de souveraineté numérique, scientifique et technologique.
Il faut en finir dans notre pays avec une expression terrible : « Ce n’est pas pour toi. » Cette expression, trop de nos enfants l’entendent, que ce soit des filles ou des garçons, par exemple dans les zones rurales. Cette phrase assigne à résidence, empêche de développer son talent et ses compétences et brise des destins. Ensemble, nous devons la faire sortir de notre vocabulaire, afin que les petites filles puissent embrasser toutes les carrières possibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
Office français de la biodiversité
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon
Monsieur le ministre de l’intérieur, votre ligne est claire, vous le dites vous-même : c’est la tolérance zéro. Vous entendez agir avec fermeté afin de renforcer le soutien à nos policiers et à nos gendarmes et d’imposer enfin le respect de l’autorité républicaine. Pourtant, certaines infractions semblent n’avoir aucune importance à vos yeux – le commerce illégal du bois, l’usage illégal de certaines substances chimiques, les pollutions des eaux et du sol, le braconnage, le trafic d’espèces protégées. Ce dernier n’est sans doute qu’un détail : ce n’est après tout que la troisième activité de criminalité organisée transnationale la plus lucrative au monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Toutes ces infractions relèvent de la police administrative et judiciaire assurée par l’OFB, également chargé de la police sanitaire en lien avec la faune sauvage. Là encore, ce n’est probablement qu’un détail quand on connaît les drames sanitaires qui affectent nos cheptels.
Les autres missions de l’OFB sont bien connues : recherche scientifique, suivi des espèces, diagnostics sur l’état des milieux naturels – encore un maudit détail, alors que nous entrons dans la sixième période d’extinction des espèces.
Le vrai détail, c’est le contrôle des exploitations agricoles. Ceux-ci représentent moins de 3 000 contrôles, sur les 22 000 que l’OFB assure chaque année.
Le dernier détail, vous ne le mentionnez jamais : en un an, l’OFB et ses agents ont subi plus de quatre-vingt-dix actes de vandalisme, dont la destruction d’un bâtiment entier, ravagé par le feu à Brest. La voiture d’un chef de service a été sabotée dans le Tarn-et-Garonne. Les menaces et les insultes sont presque quotidiennes. Il y a dix jours, tous les agriculteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont reçu un courrier, signé par l’exécutif régional et son conseiller spécial, Laurent Wauquiez. Ce courrier appelait ouvertement à la suppression de l’OFB et au refus d’obtempérer face à ses agents. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Alexandre Dufosset
Très bien !
Mme Marie Pochon
Ces appels à la délinquance, à se soustraire au droit et à l’autorité de nos policiers, sont le signe d’une dangereuse radicalisation d’une partie de cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Ma question est donc simple : rappellerez-vous ces députés à l’ordre et apportez-vous votre soutien à tous les agents de police de ce pays ? Ou bien faites-vous de certains un simple détail, quitte à ce que l’autorité de l’État et la grandeur de l’État de droit en pâtissent ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Vous avez raison de mettre l’accent sur cette police de l’eau, de l’environnement et de la chasse, qui fait son travail en appliquant la loi. Elle lutte notamment contre les décharges sauvages et veille à ce que notre eau, l’eau potable que nous partageons tous et qui doit être protégée, soit préservée de la pollution. Cette police est essentielle.
M. Alexandre Dufosset
Pas du tout !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Nous soutiendrons systématiquement tous les agents de l’OFB, qui exercent leur travail au service des Françaises et des Français.
Il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’existence de l’OFB. Lorsque mes agents sont attaqués, le dépôt de plainte est systématique. La plainte est déposée par le directeur de l’OFB, qui agit sur mon instruction. Je dépose plainte moi-même lorsque les agents attaqués relèvent directement de mes services ; plusieurs agents des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement et des directions départementales des territoires et de la mer ont en effet aussi été menacés.
M. Alexandre Dufosset
Et les agriculteurs ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
J’ai également transmis à mes collègues du gouvernement Barnier une demande de poursuite et d’instruction de ces attaques, qui a été prise au sérieux, et j’ai réitéré l’exercice depuis, avec le nouveau gouvernement. Cette semaine, M. le premier ministre a assuré au directeur et à la présidente du conseil d’administration de l’OFB qu’il les soutenait complètement,…
M. Alexandre Dufosset
Il faut les désarmer !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et qu’il souhaitait que les préfets interviennent pour permettre de mener correctement tous les contrôles. Vous connaissez le travail que nous avons mené avec ma collègue Annie Genevard pour apaiser la situation et améliorer la qualité et la compréhension du droit de l’environnement, qui est un droit complexe ; il est facile de confondre celui qui applique ce droit et celui qui en est à l’origine. Nous sommes au côté de l’OFB et lui manifestons notre soutien… (Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice, dont le temps de parole est écoulé. – Mme Stella Dupont applaudit cette dernière.)
Maladies rares
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
Ma question s’adresse au ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. Ian Boucard
Excellent ministre !
M. Nicolas Turquois
Au sein du groupe Les Démocrates, nous sommes convaincus qu’il est possible de relever les défis sanitaires de notre temps tout en préservant les finances publiques. Pour cela, il nous faut investir massivement dans la recherche en santé publique, tout en réorientant rapidement notre système de protection sociale vers la prévention. Je pense à la sensibilisation au comportement à adopter en matière d’alimentation, de tabac ou d’alcool, mais aussi au développement des dépistages aux âges clés de la vie.
Nous saluons donc avec enthousiasme le quatrième plan sur les maladies rares, qui a été annoncé la semaine dernière. Prises isolément, ces maladies ne concernent que quelques centaines de personnes en France, parfois même quelques individus seulement. Dans leur ensemble, elles touchent toutefois 3 millions de personnes dans notre pays. Il faut parfois des années d’errance médicale avant qu’un diagnostic soit posé. Des milliers de familles souffrent de voir la santé de leur enfant se dégrader, sans connaître la cause de son affection ou la manière de la combattre. Les maladies rares sont aussi le combat quotidien d’un de nos anciens collègues, Philippe Berta, à qui je tiens à rendre un hommage appuyé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Ma question porte plus spécifiquement sur le dépistage postnatal précoce des maladies rares. Vous avez inscrit trois nouvelles maladies dans la liste de celles qui font l’objet d’un dépistage systématique, ce que nous saluons. Pouvez-vous préciser le calendrier de déploiement du dépistage de ces nouvelles maladies ? Je pense en particulier à l’amyotrophie spinale, dont l’issue est presque toujours fatale à court ou moyen terme, alors qu’un diagnostic précoce permet d’en prévenir la survenue. Chaque année, quelques dizaines de nouveau-nés en sont atteints. Chaque mois gagné permettra donc d’éviter à plusieurs familles la douleur insoutenable de perdre un enfant : faisons vite ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Votre question me donne d’abord l’occasion de rendre hommage à Philippe Berta et au travail que nous avons accompli au sein du groupe d’études de l’Assemblée sur les maladies rares.
Le 25 février dernier, nous avons, avec Catherine Vautrin et Philippe Baptiste, présenté le 4e plan national maladies rares, doté de 223 millions d’euros et bâti autour de trois objectifs : organiser des filières de l’échelle territoriale à l’échelle européenne, de manière à permettre à tous les patients – 3 millions de nos concitoyens, pour 7 000 maladies répertoriées – d’avoir accès aux soins ; utiliser l’intelligence artificielle pour accélérer la recherche et l’accès aux traitements, notamment la thérapie génique ; inclure dans le dépistage néonatal trois maladies supplémentaires, qui porteront à seize le nombre de pathologies dépistées.
Il nous faut rattraper notre retard, ce que je vais m’efforcer de faire avec les agences régionales de santé, maintenant que nous disposons d’un budget pour la sécurité sociale – sans vouloir polémiquer sur un sujet aussi grave, je rappelle que tout le temps perdu dans cet hémicycle a des répercussions sur le terrain, notamment sur les formations, les recrutements, les appels d’offres et la labellisation des laboratoires.
Deux régions, l’Occitanie et le Grand-Est sont déjà opérationnelles, et j’étais à Strasbourg vendredi pour m’assurer que la déclinaison sur le territoire national se faisait convenablement.
Chaque minute compte. Les arrêtés seront pris d’ici quelques semaines et j’espère que, d’ici l’été, nous pourrons généraliser le dépistage car ce sont 120 enfants qui naissent chaque année atteints d’amyotrophie spinale. Chaque cas diagnostiqué est un enfant malade en moins, un enfant qui échappera à la mort ou à un handicap lourd et sévère.
Je dis donc oui aux politiques de prévention ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Dilico
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy
Je veux vous parler du Dilico, ce nouvel acronyme qui dissimule le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales, symbole d’injustice et d’amateurisme, qui fait bondir tous les élus locaux. (MM. Julien Dive et Fabien Di Filippo applaudissent.)
Avec ce terme barbare, on demande à ceux qui seraient prétendument les plus riches de renflouer les caisses de l’État. Alors même que les collectivités n’ont jamais de déficit, il se pourrait que plusieurs régions, départements, intercommunalités et communes doivent à l’État des sommes parfois très importantes. Ainsi, Sully-sur-Loire, qui compte à peine plus de 5 000 habitants et où le taux de pauvreté est de 10 points supérieur à la moyenne nationale, pourrait perdre plus de 85 000 euros alors même qu’elle ne touche déjà plus de dotation globale de fonctionnement. Dans la communauté des communes giennoises, qui compte un peu moins de 25 000 habitants et qui, elle aussi, a un taux de pauvreté très supérieur à la moyenne nationale, on parle de plus de 300 000 euros, qui viendraient s’ajouter aux 310 000 qu’elle verse déjà au titre de la contribution au redressement des finances publiques. Alors, au vu de tels taux de pauvreté, ne me dites pas que le Dilico ne toucherait que les collectivités riches : ce n’est pas vrai !
Je parlais aussi d’amateurisme. Nous sommes début mars mais les services de l’État n’ont encore fourni aucune information aux collectivités. C’est inacceptable ! Comment peuvent-elles adopter leur budget et le faire fonctionner ? Vous mettez des pans entiers de services publics locaux en danger immédiat.
Mme Émilie Bonnivard
Eh oui !
Mme Constance de Pélichy
Après le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, la contribution au redressement des finances publiques, la suppression de la taxe d’habitation puis de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, voilà maintenant que l’État invente le Dilico. Il agit au coup par coup, empilant les mesures sans cohérence.
Monsieur le ministre, comment allez-vous accompagner les collectivités, privées de boussole, touchées par ce nouveau dispositif ? Quand seront-elles dûment informées et, plus largement, quelles relations l’État entend-il entretenir avec ces collectivités ? Sur le fondement de quelle confiance et avec quels moyens ?
L’élu local que vous êtes comprend parfaitement ce qui est en jeu, et nous comptons sur vous pour être à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et DR. – M. Arnaud Simion applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation
Le Dilico est un dispositif de lissage conjoncturel qui a été adopté par le Parlement…
M. Fabien Di Filippo
Non, uniquement par le Sénat !
M. François Rebsamen, ministre
Ce dispositif, défendu par le sénateur Sautarel, prend en compte deux critères, d’une part la richesse par habitant, d’autre part son potentiel fiscal.
Si les collectivités locales ont dû fournir un effort substantiel pour contribuer au redressement et à la maîtrise des finances publiques, cet effort a été sérieusement diminué puisqu’il a été ramené de 5 milliards d’euros à très exactement 2,2 milliards…
M. Kévin Pfeffer
Grâce à la censure !
M. François Rebsamen, ministre
Sur ces 2,2 milliards, 1 milliard est imputable au Dilico, là où on parlait auparavant de 3 milliards.
M. Jean-Paul Lecoq
Ça fait mal, quand même !
M. François Rebsamen, ministre
Cela montre bien que la participation des communes a considérablement diminué, y compris dans votre circonscription…
M. Julien Dive
Avant toute chose, Mme de Pélichy est députée de la nation !
M. François Rebsamen, ministre
Je me suis en effet permis de regarder ce qu’il en était et il s’avère que sur les 6,5 millions d’euros payés par le département, les communes que vous avez citées ont versé 800 000 euros, calculés à partir de la richesse et du potentiel fiscal par habitant.
M. Pierre Cordier
Ce n’est pas bien de faire ça ! On ne montre pas du doigt une circonscription, nous sommes députés de la nation !
M. François Rebsamen, ministre
Je me tiens à votre disposition pour vous fournir toutes les informations nécessaires, mais elles ont été communiquées à l’ensemble des associations d’élus et vous devez donc y avoir accès.
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jérémie Iordanoff.)
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
3. Évaluation de la loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L’évaluation de la loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation », demandé par le groupe Socialistes et apparentés dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l’organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d’abord les rapporteurs – qui ont établi une note mise en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale –, puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et rapporteure désignée par cette commission.
Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure
Monsieur le président, madame la ministre de l’éducation nationale, chers corapporteurs, chers collègues, je salue tout d’abord Michèle Victory, ancienne députée socialiste, qui est à l’initiative de cette loi du 16 décembre 2022 (Les députés du groupe SOC, tournés vers les tribunes du public, applaudissent) et nous fait le plaisir d’être à nouveau parmi nous aujourd’hui. Je remercie le groupe Socialistes et apparentés, qui a fait usage de son droit de tirage pour aborder les conditions de travail des assistants d’éducation, les AED, et des accompagnants d’élèves en situation de handicap, les AESH, un sujet d’une importance cruciale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.) En travaillant à l’écriture de sa proposition de loi, Michèle Victory s’était attelée à remédier à la précarité très marquée qui caractérise ces deux professions de l’éducation nationale. À cette fin, elle avait prévu une cédéisation dès l’embauche des AED et des AESH ainsi que l’introduction d’un coefficient de pondération des heures travaillées pour les AESH, en vue de lutter contre les temps partiels forcés, particulièrement fréquents dans cette profession.
La majorité présidentielle avait largement revu à la baisse l’exigence de cette proposition, de sorte qu’elle n’a plus permis le passage en CDI des AED et des AESH qu’au bout de six et trois ans respectivement. Quant au coefficient de pondération, il a été supprimé.
En ce qui concerne les AED, nous devons arrêter de considérer leur travail comme un job étudiant,…
Mme Danielle Brulebois
On les a cédéisés !
Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure
…car les chiffres ne trompent pas : seuls 30 % d’entre eux sont étudiants, essentiellement dans les établissements de centre-ville.
Nous pouvons et devons faire mieux. Alors que les missions des AED connaissent une extension constante, la précarité de leur statut ne saurait perdurer. Voici quelques propositions qui pourraient sensiblement améliorer leurs conditions de travail.
Pour que le métier d’assistant d’éducation soit enfin reconnu comme un vrai métier, il faut que ceux qui l’exercent puissent bénéficier d’une évolution de carrière. J’appelle de mes vœux l’instauration d’une grille salariale et de la possibilité pour eux d’accéder au CDI dès leur première année d’exercice. Les conditions d’accès au CDI en vigueur sont bien trop opaques et seuls 14 % des assistants d’éducation jouissent d’un tel contrat. Il faut appliquer des critères transparents et nationaux et obliger à motiver les refus de cédéisation. Les remontées de terrain en font état : on empêche trop souvent les AED d’accéder au CDI.
Grâce à la loi dont nous débattons, la proportion des AESH bénéficiant d’un CDI a triplé en trois ans, passant de 20 % en 2022 à 63 % début 2025.
Cependant, force est de constater que ce métier est toujours marqué par une très grande précarité et de mauvaises conditions de travail. Pour cette raison, il attire peu, alors même que nous manquons d’AESH.
Que faire ? Les auditions ont mis en lumière trois difficultés majeures affectant ce métier. La première a trait à la formation de ceux qui l’exercent. Il faut absolument qu’ils suivent leur formation initiale de soixante heures avant la prise en charge des élèves et que cette formation, bien trop théorique, soit remaniée. Il faut en outre leur proposer une véritable formation continue, tout au long de la carrière.
Deuxièmement, la question du nombre d’établissements scolaires dans lesquels les AESH doivent intervenir se pose. Un AESH, qui intervient dans trois établissements différents, ne peut pas tisser de liens avec le reste de l’équipe pédagogique. De plus, le temps de déplacement entre les établissements n’est pas comptabilisé dans son temps de travail. La création des pôles inclusifs d’accompagnement localisé, ou Pial, a clairement dégradé les conditions de travail des AESH – nous l’avons entendu dire à plusieurs reprises lors des auditions.
Troisièmement, la loi Vial n’a pas éliminé le temps partiel contraint.
M. Pierrick Courbon
Eh oui !
Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure
En effet, seuls 0,7 % des AESH travaillent à temps complet. Un travail payé en moyenne 820 euros net par mois ne saurait être attirant.
M. Emmanuel Mandon
C’est vrai !
Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure
Nous devons donc faire en sorte qu’ils soient employés à temps plein, en les faisant participer aux conseils pédagogiques et aux conseils de classe et en organisant des temps d’échanges réguliers entre eux et les parents des élèves qu’ils accompagnent ainsi que des concertations avec les enseignants au sujet des besoins des élèves. Le temps de travail des AESH doit être plein, définitivement.
Par ailleurs, leur grille salariale est quasiment inexistante : après trente-trois années de travail, un AESH ne gagne que 230 euros net de plus que lors de sa première année.
J’espère que nous trouverons une majorité pour agir et nous montrer à la hauteur de l’attente de ces professionnels. Agissons pour elles, pour eux et pour les enfants que notre école accueille chaque jour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Salvatore Castiglione, rapporteur
Parole juste !
M. Mickaël Bouloux
Excellent !
M. le président
La parole est à Mme Géraldine Bannier, rapporteure désignée par la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Géraldine Bannier, rapporteure
C’est la première fois depuis juillet dernier qu’il m’est donné de m’exprimer devant vous à cette tribune. Je suis heureuse de le faire au sujet de la précarité des AESH et des AED, avec lesquels j’ai longtemps travaillé.
Le changement de contrat des auxiliaires de vie scolaire, devenus AESH en 2014, s’est accompagné de mesures attendues de longue date, telle l’instauration d’une formation initiale de soixante heures, obligatoire depuis la rentrée 2018, ainsi que de nouvelles grilles indiciaires en 2021 et 2023. La dernière augmentation de leur rémunération, de 10 %, a pris la forme d’une indemnité de fonction. Le temps d’accompagnement hebdomadaire s’élève le plus souvent à vingt-quatre heures, soit une quotité de 62 % correspondant à un salaire net de 898 euros au 1er septembre 2023. Quant à l’AESH référent du Pial, il perçoit une indemnité annuelle de 660 euros par an depuis 2023, pour la même quotité horaire. À compter du 1er janvier 2024, cinq points d’indice majoré ont été octroyés pour chaque échelon de la grille indiciaire. La loi Vial, promulguée en mai 2024, impose à l’État de prendre en charge le financement des AESH pendant la pause méridienne.
Enfin, la loi Victory – je salue notre ancienne collègue – dont nous débattons aujourd’hui a permis qu’un CDI soit systématiquement proposé aux AESH au bout de trois ans d’exercice du métier. Quant aux assistants d’éducation, ils peuvent demander à bénéficier d’un CDI au bout de six ans, à la suite de l’adoption d’un amendement qu’ont défendu des députés de plusieurs bancs, dont je faisais partie.
La précarité des AESH demeure néanmoins tangible, essentiellement en raison de l’incomplétude de leurs contrats à temps partiel – 62 % des 1 607 heures annuelles pour 97 % de ces professionnels.
Pour y remédier, il faudrait pouvoir intégrer à leur temps de travail les heures effectuées en marge des seules périodes de présence en classe – soutien scolaire, aide aux devoirs, tâches d’appui à la vie scolaire et aux professeurs, participation aux conseils – afin d’accroître ce temps de travail dans l’établissement. Il est plus facile de le faire dans l’enseignement du second degré que du premier degré mais, avec de la volonté, on doit bien pouvoir trouver des tâches complémentaires à intégrer au service des AESH.
La revendication d’un temps de travail de vingt-quatre heures dans l’établissement rémunéré comme un temps de travail de trente-cinq heures paraît manifestement exagérée, dans la mesure où les tâches accomplies par les AESH en amont et en aval de leur présence en classe ne sont aucunement comparables à celles des professeurs, auxquels la part pédagogique revient d’abord et essentiellement. Il faut cependant pouvoir considérer qu’une trentaine d’heures de présence par semaine, en intégrant le bloc « sorties scolaires, concertation, formation », forme un temps complet, pour ceux qui le demandent.
Sans cela, il faudrait se résoudre à un triste constat : les femmes AESH – eh oui, ce sont souvent des femmes ! – employées par l’État subiraient l’effet « contrat court » bien connu des caissières qui en pâtissent ! L’État est pourtant le premier à dénoncer l’abus que constitue le recours aux contrats courts non désirés.
Par ailleurs, les grilles indiciaires doivent mieux refléter la progression de carrière : un certain effet d’écrasement doit être corrigé.
Il faut toujours privilégier l’investissement dans un seul établissement ou, si nécessaire, dans plusieurs établissements, à la condition qu’ils soient proches les uns des autres. Le traitement des AESH doit demeurer humain : il convient de préserver leurs temps de repas, de ne pas les obliger à se déplacer au coup par coup en cas d’absence courte d’un élève et prévoir leur remplacement en cas de congés longs et prévisibles, comme le congé maternité. Si déplacement il y a, la prise en charge kilométrique doit être effective et aussi rapide que possible.
Au regard des auditions, la formation des AESH semble aussi très perfectible. Il serait bon, en plus de leurs soixante heures de formation initiale, très dématérialisées, de prévoir la venue ponctuelle d’intervenants, en rapport direct avec telle ou telle problématique rencontrée au sein des classes.
Enfin, de manière globale, la politique inclusive que nous construisons mérite d’être constamment réinterrogée. Manifestement, la nature de certains handicaps très lourds rend très complexe l’accompagnement des jeunes concernés au sein des classes. Une prise en charge médico-sociale et des temps partagés avec ce qu’on appelle maladroitement le milieu ordinaire doivent sécuriser tout le monde et surtout mieux répondre aux besoins des jeunes en question.
S’agissant des assistants d’éducation, on pourrait sans doute proposer de les embaucher à l’issue de trois ans d’exercice du métier, afin d’homogénéiser leur situation et celle des AESH. Les critères déterminant l’embauche doivent être transparents et identiques sur l’ensemble du territoire.
Souvent, les AED sont encore étudiants – le ministère affiche sa volonté de solliciter ce vivier de recrutement –, mais leur âge moyen est passé à 31 ans. On peut s’en réjouir, car des personnels plus expérimentés intègrent désormais la communauté éducative et soutiennent ceux qui découvrent leur mission.
Pour conclure, on peut clairement saluer les avancées de la loi Victory tout en faisant le constat d’une précarité trop souvent subie, notamment par des AESH à qui un emploi à temps plein est trop peu accessible.
Enfin, je n’achèverai pas mon propos sans avoir salué tous ces AESH et AED que j’ai côtoyés pendant les seize années que j’ai passées à enseigner au collège et au lycée. Ils sont des membres irremplaçables de nos communautés éducatives – comme les personnels administratifs, techniques, ouvriers sociaux et de santé (Atoss) – ce dont atteste symboliquement la nouvelle appellation des salles des profs, rebaptisées « salles des personnels ». Travailler en commun pour lutter contre leur précarité doit rester une priorité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem, EPR, SOC et DR.)
M. le président
La parole est à M. Salvatore Castiglione, rapporteur désigné par la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
M. Salvatore Castiglione, rapporteur
Je tiens tout d’abord à souligner la qualité des échanges et des auditions menés en vue de la rédaction de notre rapport, puis remercier les différents intervenants et mes collègues rapporteurs. Un tel travail était nécessaire pour cerner les avancées contenues dans la loi du 16 décembre 2022 et mieux comprendre le rôle essentiel joué par les AESH et les AED.
Or si loi s’est révélée utile et a permis de limiter la précarité des métiers concernés, certains problèmes demeurent et doivent trouver rapidement des solutions.
Parmi ces problèmes, le fait que de nombreux enfants ne sont toujours pas accompagnés par un AESH, malgré les notifications des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). En outre, ces notifications sont publiées au compte-gouttes, de sorte que les actions qu’elles appellent ne peuvent être planifiées au moment propice : des problèmes d’organisation en découlent.
Par ailleurs, la rémunération de ces agents les place nettement sous le seuil de pauvreté : ils perçoivent 965 euros par mois, sur la base de 62 % d’un temps plein. Si le travail à temps partiel est parfois demandé par les accompagnants, il peut également être subi par certains.
À chaque rentrée scolaire, les AESH se voient proposer de signer un avenant tendant à modifier l’organisation de leur service. Ils en retirent inquiétude et instabilité, et l’attractivité de leur métier s’en trouve dégradée.
Le même accompagnant peut travailler le matin en école maternelle et l’après-midi en lycée professionnel. Cela exige d’adopter deux approches très différentes et rend le métier beaucoup plus difficile à exercer.
Enfin, et c’est un problème important, la formation de ces agents reste largement insuffisante et trop partiellement assurée. La formation initiale n’atteint pas toujours les soixante heures requises et n’a jamais lieu avant la prise de poste.
Ce constat des apports et limites de la loi du 16 décembre 2022 est largement partagé.
Pour ma part, je considère qu’il faut donner un vrai statut et une rémunération adaptée aux AESH, afin de rendre plus attirant ce métier si utile à la scolarité des élèves. Mais cela ne passe pas nécessairement par l’octroi du statut de fonctionnaire. Les agents déjà en poste ne doivent pouvoir être titularisé qu’à l’issue d’une procédure rigoureuse de validation des acquis de l’expérience ou du succès à un concours, voire d’une formation diplômante.
La rémunération est un autre enjeu essentiel. Pour améliorer celle des AESH, je défends l’augmentation de leur temps de travail en vue d’atteindre le temps plein, ce que trois mesures permettraient. La première est l’allongement de la durée des formations et leur planification en dehors de travail des agents, afin que les élèves en situation de handicap (ESH) restent accompagnés au moins 24 heures par semaine. Je propose d’ailleurs de rendre obligatoire le fait de suivre la totalité de la formation initiale ainsi qu’au moins trente heures de formation continue chaque année.
La deuxième mesure consisterait à associer davantage les AESH aux réunions pédagogiques, ce qui permettrait de mieux valoriser leur travail et leur rôle auprès des élèves et de faciliter les échanges réguliers avec les enseignants et les parents d’ESH.
Troisièmement, il faudrait rendre effectif l’accompagnement des élèves pendant la pause méridienne. Les handicaps ne disparaissant pas entre midi et 14 heures, nous avons besoin de personnels formés pour encadrer les ESH, y compris à ce moment.
J’ai également constaté, à l’occasion des auditions, que les Pial étaient loin de faire l’unanimité sur le terrain. Leur intervention a souvent pour conséquence d’aggraver les conditions de travail des AESH, qui doivent accompagner des enfants de plus en plus nombreux.
Selon moi, le profil, l’expérience et les souhaits des AESH devraient être pris en considération pour déterminer les élèves qu’ils seront amenés à accompagner. J’estime également que les interventions dans un établissement unique doivent être privilégiées partout où cela est possible afin de réduire le temps de déplacement des AESH et d’augmenter le temps de présence auprès des enfants. Lorsque cela s’impose, le Pial devrait toujours privilégier le critère de la proximité géographique.
Les mesures que je défends me paraissent aussi bien favorables aux AESH qu’aux élèves, aux classes et aux enseignants.
Quant aux AED, le renouvellement de leur contrat après trois années ne devrait être possible que sous la forme d’un CDI, comme c’est le cas pour les AESH. Le profil de ceux qui occupent ces postes a en effet changé : ils ne sont plus tous étudiants et leur moyenne d’âge dépasse aujourd’hui 30 ans. Il est donc essentiel de les fidéliser.
Je plaide comme mes collègues pour l’organisation d’une véritable formation initiale, obligatoire pour les AED, dont le volume et les contenus devraient être définis nationalement. Une offre adaptée de formation continue devrait également leur être proposée.
Pour conclure, la loi du 16 décembre 2022 a permis des avancées non négligeables pour améliorer le statut des AESH et des AED, mais il reste encore beaucoup à faire pour améliorer leurs revenus et leurs conditions de travail. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LIOT et SOC. – M. Philippe Gosselin applaudit également.)
M. le président
Nous allons à présent entendre les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Florence Herouin-Léautey.
Mme Florence Herouin-Léautey (SOC)
Trois ans après l’adoption de la loi du 16 décembre 2022, défendue par l’ancienne députée socialiste Michèle Victory, nous devons mesurer les avancées qu’elle a permises, mais aussi les limites qu’elle n’a pas su dépasser, en partie à cause des nombreuses modifications apportées au texte initial lors de son examen.
Nous pouvons unanimement constater que l’objectif principal de la loi, sortir de la précarité 125 000 AESH et 63 000 AED, n’a pas été atteint. Le passage en CDI des AESH a certes progressé de 21 % à 63 % et celui des AED de 2,6 % à 14 %, mais en toute sincérité, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce résultat.
Que vaut en effet la sécurité d’un emploi quand ceux qui l’occupent ne perçoivent que 50 % à 60 % d’un smic et que leur temps partiel n’est pas choisi ? Le processus de cédéisation, par ailleurs bienvenu, ne règle pas le problème des faibles rémunérations ou celui du manque de reconnaissance institutionnelle. Ces agents demeurent précaires et, alors qu’ils exercent un métier « de première ligne », viennent grossir les rangs des travailleurs pauvres en France.
Aujourd’hui, la norme, c’est qu’une AESH en CDI ne peut percevoir plus de 965 euros net par mois, c’est-à-dire une rémunération qui la classe bien en dessous du seuil de pauvreté. Un AED, quant à lui, ne gagne guère plus de 800 euros net. Cette situation n’est pas acceptable, elle est même indigne ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Boris Vallaud
Elle a raison !
Mme Florence Herouin-Léautey
Elle est indigne des missions qui leur sont confiées et de leur engagement pour accompagner nos enfants vers l’autonomie. L’accompagnement humain est en effet l’un des principaux leviers pour rendre effective l’école inclusive.
Ce sont des hommes et des femmes, mais surtout des femmes, dont dépendent les parents qui attendent de voir leur enfant prendre le chemin de l’école. Ce sont des hommes et des femmes, mais surtout des femmes, qui exercent un métier de lien humain qui, comme tant d’autres de cette catégorie, est aujourd’hui à la peine.
Sans elles, sans eux, l’école de la République, ouverte et inclusive, ne peut fonctionner. Nous leur devons d’élargir notre réflexion et je vous propose d’actionner deux leviers.
Penser le métier d’AESH sur le seul temps scolaire est une impasse. La récente circulaire intégrant le temps de la pause méridienne dans le temps d’exercice de leurs missions traduit une attention louable, mais qui tarde à se traduire en actes et n’aura que des effets marginaux.
Les besoins des élèves en situation de handicap doivent être appréhendés à tout moment de leur vie d’enfant, qu’il s’agisse du temps scolaire, périscolaire ou extrascolaire. Il y va de leur droit à la scolarité, à l’éducation et aux loisirs, de leur droit à vivre avec et comme les autres enfants, de leur place dans la société.
Il est donc nécessaire de renforcer la coopération entre les rectorats, les agences régionales de santé et les collectivités locales et d’ouvrir un véritable dialogue avec les communes, qui organisent directement les temps périscolaires et extrascolaires et assurent, grâce aux projets éducatifs territoriaux (PEDT), la continuité éducative pendant tous les temps de vie des enfants.
À partir de cette continuité éducative, il doit être possible de construire un cadre professionnel sécurisant, tant pour les AESH et les enseignants que pour les enfants et leurs familles.
L’autre levier incontournable est la formation – tous les orateurs l’ont dit. Les soixante heures de formation initiale ne sont pas de trop, vraiment, pour appréhender la diversité des handicaps moteurs ou psychiques, des troubles ou encore des difficultés comportementales. Pourtant, ces heures sont trop souvent sacrifiées.
Une telle situation porte atteinte à la qualité de l’accompagnement. Elle fragilise les professionnels et contribue à leur découragement. Une formation initiale renforcée doit donc impérativement être organisée à l’occasion de toute prise de poste. Quant à la formation continue, elle doit être effective, afin d’enrichir les compétences des AESH, de développer leur coopération avec les enseignants, qui est indispensable, et d’adapter les supports pédagogiques aux différents handicaps et besoins des élèves.
La situation des assistants d’éducation reste tout aussi critique. Alors qu’on avait au départ imaginé de confier ces missions de façon temporaire à des étudiants boursiers se destinant aux métiers de l’éducation, c’est une profession durablement intégrée au fonctionnement des établissements du second degré qui a fini par se constituer.
Pour ces agents, rien ne semble justifier que l’accès à un CDI ne soit possible qu’après six ans de travail en CDD. Ce délai doit être avancé à trois ans et la transformation du contrat fondée sur des critères transparents et objectifs.
L’absence de grille indiciaire prive ces personnels de toute perspective d’évolution salariale. Il convient d’intégrer à leurs missions ce que l’État attend d’eux, c’est-à-dire la lutte contre le harcèlement scolaire et la défense des valeurs de la République.
Nous ne devons plus considérer ces missions selon une logique comptable, mais reconnaître pleinement ces métiers comme indispensables, les intégrer à notre système éducatif, leur offrir une rémunération juste, permettant à ceux qui les exercent de vivre dignement de leur travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Corentin Le Fur.
M. Corentin Le Fur (DR)
Nous célébrons cette année les 20 ans de la loi « handicap » de 2005. Cette grande loi, voulue et soutenue par le président Chirac, a posé les bases de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Vingt ans après sa promulgation, les avancées sont incontestables, mais beaucoup reste encore à faire pour cette cause si essentielle.
Voir le verre à moitié vide et minimiser la portée de la loi de 2005 serait très injuste à l’égard de tous ceux qui l’ont rendue possible – j’ai évidemment une pensée émue pour le président Debré –, tandis que le voir à moitié plein et s’en contenter serait une faute vis-à-vis de toutes les personnes en situation de handicap.
Je me réjouis que notre débat porte sur la précarité des assistants d’éducation et des accompagnants des élèves en situation de handicap.
Ces AESH – très souvent des femmes – œuvrent chaque jour, dans des conditions parfois déplorables, pour faire de l’inclusion scolaire une réalité, mais vivent dans une grande précarité et sont souvent obligés de cumuler deux, voire trois boulots pour vivre décemment.
L’accès au CDI, permis par la loi du 16 décembre 2022, a certes amorcé un changement, mais la situation de ces agents reste très insatisfaisante et nous devons désormais passer à l’étape supérieure.
Les AESH comme les AED souffrent d’un même mal : le manque de reconnaissance, qui découle directement de l’absence d’un véritable statut.
M. Philippe Gosselin
Tout à fait !
M. Corentin Le Fur
Pourtant, les AESH comme les AED sont incontestablement des maillons essentiels de l’éducation nationale.
La réalité d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui : les AED ne sont plus seulement des étudiants qui occupent un petit boulot, tandis que les AESH sont devenus les piliers d’une inclusion scolaire à laquelle nous sommes tant attachés.
Au cœur de cette inclusion, il y a ces femmes qui, chaque jour, se battent pour que nos enfants aient accès à l’éducation. Au cœur de cette inclusion, il y a ce métier indispensable et pourtant si peu valorisé.
Sur la situation déplorable des AESH, personne ne peut plus fermer les yeux. Nous avons tous reçu ces agents dans nos permanences – permettez-moi d’avoir une pensée pour le collectif AESH en lumière de Lamballe, qui a fait un travail absolument remarquable. (Mme Ayda Hadizadeh applaudit.)
M. Philippe Gosselin
Vive Lamballe !
M. Corentin Le Fur
Nous avons tous entendu leurs témoignages poignants. Nous avons tous constaté la détresse des familles dont les enfants ne bénéficient pas de l’aide pourtant notifiée par les MDPH. Nous avons tous été interpellés et désormais, nous avons tous une responsabilité : celle d’agir !
Plus de 130 000 AESH accompagnent près de 470 000 enfants en situation de handicap. Ces professionnels sont soumis à des temps partiels contraints et perçoivent une rémunération indigne, bien souvent inférieure au seuil de pauvreté. Bien qu’elles exercent un métier exigeant, les AESH ne bénéficient pas de la reconnaissance et des garanties qu’offre un véritable statut. Or, faute de statut et de reconnaissance, nous manquons cruellement de professionnels.
La loi de finances pour 2025 a heureusement entériné la création de 2 000 nouveaux postes d’AESH, ce dont je remercie le gouvernement. Cependant, nous ne répondrons pas à l’appel des familles et aux besoins de leurs enfants en nous cantonnant à de telles mesures. Nous ne pouvons plus nous contenter d’ajouter des postes sans traiter la question de fond. Nous ne pouvons plus accepter que ceux qui accompagnent les plus fragiles de nos enfants vivent dans une grande précarité.
Défendre les AESH, c’est défendre la France qui travaille, défendre des femmes et des hommes qui, par leur engagement, font honneur à notre pays. C’est refuser la fatalité du handicap, c’est donner une chance à tous. Défendre les AESH, c’est avant toute chose réaffirmer une singularité française : l’attention portée aux plus fragiles, au premier rang desquels figurent nos enfants, « spontanément émerveillés » comme l’a écrit si justement Fernand Braudel, mais ô combien vulnérables.
Afin que tous nos enfants soient accompagnés et que le métier d’AESH soit mieux reconnu et valorisé, j’ai déposé une proposition de loi transpartisane, cosignée par plus de soixante-dix députés issus de dix groupes parlementaires, visant à doter la profession d’un véritable statut. Mes collègues Lepvraud et Abomangoli ont, de leur côté, entamé une démarche similaire. Je remercie ceux qui ont accepté de cosigner mon texte et invite tous ceux qui souhaiteraient le faire à me l’indiquer.
Pour les AESH, la création d’un vrai statut de fonctionnaire de l’éducation nationale est indispensable pour mettre fin à leur précarité, leur garantir une formation complète, définir clairement leurs missions et tenir un engagement clair et ambitieux en faveur d’une inclusion scolaire effective.
En ce vingtième anniversaire de la loi handicap, nous avons une occasion rare de dépasser les clivages politiques pour agir ensemble au service d’une grande cause. Faisons-le. Faisons honneur à notre mission et honneur à cette assemblée en légiférant au bénéfice de nos enfants, des AESH et de la grandeur de notre pays, laquelle se mesure aussi à l’aune de l’attention que nous sommes collectivement capables de porter aux plus fragiles. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR, EPR, SOC et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à M. Arnaud Bonnet.
M. Arnaud Bonnet (EcoS)
Alors que le gouvernement affiche sa volonté d’accélérer l’accessibilité en réunissant demain un comité interministériel sur le handicap, vingt ans après la loi de 2005, force est de constater que nous sommes loin du compte dans de nombreux domaines. Les retards accumulés dans l’accessibilité des espaces publics et collectifs illustrent le mépris avec lequel le sujet de l’inclusion des personnes en situation de handicap est traité dans la société.
Il en va évidemment de même dans l’éducation, où les problèmes sont d’autant plus accentués que, depuis des années, les ministres successifs de l’éducation nationale procèdent à des transformations de façade du système éducatif destinées à réaliser à des économies d’échelle. Les AESH et les AED comptent parmi ces personnels essentiels au fonctionnement de nos écoles. Qui pour affirmer que notre système éducatif fonctionnerait correctement sans eux ? Sans AESH, des dizaines de milliers d’enfants en situation de handicap ne pourraient être à l’école. Ces personnels rendent effectif le droit à l’éducation pour ces enfants. Pourtant, le ministère de l’éducation nationale ne cesse de les maintenir dans la précarité en leur versant des salaires très insuffisants, en leur imposant des temps partiels qui les empêchent d’exercer une activité complémentaire et en les baladant souvent d’établissement en établissement. Cette politique managériale est profondément néfaste aux AESH ainsi qu’aux enfants qu’ils et elles – surtout elles – accompagnent. Pour bien s’occuper d’un enfant, encore faut-il bien vivre soi-même.
De même, sans AED, il n’y aurait pas d’école. Ce statut a été pensé à l’origine pour que les étudiants puissent travailler en parallèle de leurs études. Or ces derniers ne représentent que 30 % des effectifs, comme l’a indiqué Mme Keloua Hachi. Les AED sont contraints à la précarité, à de faibles rémunérations et aux temps partiels. Au manque de considération et à l’absence de perspective de professionnalisation s’ajoute le refus de certains rectorats, malgré la loi bienvenue de 2022, de leur accorder des CDI. Depuis des années, les gouvernements laissent ces personnels dans la précarité, les traitant comme des seconds rôles.
L’absence de débat de politique générale sur le rôle conféré à l’école, ainsi que l’enchaînement des politiques néolibérales créent un système éducatif à plusieurs vitesses qui renforce les inégalités et entretient la précarité. La mission des AESH et des AED est pourtant essentielle : garantir le droit à l’éducation pour l’ensemble des élèves. Ces accompagnants sont au plus proche du quotidien des élèves, gagnant leur confiance et recevant leurs confidences.
La loi de 2022 a marqué une première étape sur la voie de leur reconnaissance mais demeure largement insuffisante. Les mobilisations régulières de ces derniers mois, au cours desquelles AESH et AED n’ont cessé de dénoncer leurs conditions de travail et de demander une meilleure reconnaissance de leur rôle fondamental, sont restées sans réponse. Puisque certains des responsables de cette situation sont présents, permettez-moi de répéter simplement quelques faits : malgré leur rôle fondamental, ces personnels sont payés en dessous du smic, voire en dessous du seuil de pauvreté, et subissent pour beaucoup des temps partiels imposés et des conditions de travail profondément dégradées.
La note qui sert de support au débat liste une partie de leurs revendications, que nous connaissons tous : de meilleures rémunérations, une meilleure sécurité de l’emploi, leur intégration dans les équipes pédagogiques et des formations de qualité.
L’accompagnement des élèves, la lutte contre les inégalités et la garantie du droit à une éducation de qualité pour tous méritent mieux que des effets de communication. Ces personnels que nous payons une misère méritent mieux, notamment que l’État reconnaisse leur rôle fondamental dans le système éducatif. Ils méritent que l’on cesse de considérer leur activité comme un sous-métier destiné à se faire un peu d’argent en attendant de trouver mieux. Politique sociale, école, droits des enfants : les accompagnants se trouvent au carrefour de tout ce que la société semble aujourd’hui dédaigner.
Si nous voulons réellement satisfaire l’ambition d’inclusion scolaire, nous devons les doter d’un véritable statut, garantissant la sécurité de l’emploi, une bonne rémunération – évoluant avec l’ancienneté et l’expérience –, une formation initiale et continue de qualité, ainsi que leur intégration dans le fonctionnement des établissements scolaires et dans l’accompagnement du développement des enfants.
À vrai dire, nous n’avons rien de grandiose à inventer pour atteindre ces objectifs. Il existe un statut qui garantit tout cela et qui permettrait à l’État de servir l’intérêt général en déployant partout ces professionnels : le statut de fonctionnaire, détricoté petit à petit. La création de corps de fonctionnaires est une revendication des syndicats, du personnel mobilisé ainsi que de certains des rapporteurs. Créer des corps de fonctionnaires, assortis de concours et d’un plan de titularisation des agents en poste, permettrait d’agir enfin à la hauteur des enjeux.
Évitons de faire de ce débat une énième déclaration de principes. Des propositions de loi ont déjà été déposées. J’appelle donc mes collègues ainsi que le gouvernement à s’en saisir afin que nous puissions enfin examiner les solutions possibles aux problèmes actuels. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, SOC et GDR. – Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Blandine Brocard.
Mme Blandine Brocard (Dem)
Nous avons tous ici conscience du rôle fondamental joué par les AESH dans le système éducatif. Ils incarnent la promesse républicaine d’une école inclusive, qui ne laisse aucun enfant au bord du chemin. Derrière cet idéal apparaît une réalité difficile : un métier encore trop souvent synonyme de précarité et d’incertitude.
La loi du 16 décembre 2022 a permis certaines avancées, notamment en facilitant la signature d’un CDI après trois années de CDD. Soyons honnêtes, cette évolution, bien qu’indispensable, reste toutefois insuffisante, les AESH continuant d’exercer dans des conditions instables avec des rémunérations trop faibles et un manque criant de reconnaissance.
Retournons-nous sur le chemin parcouru et voyons celui qu’il nous reste à prendre. Derrière les chiffres se cachent des réalités humaines : plus de 80 % des AESH restent en CDD et 98 % sont recrutés à temps partiel, avec une moyenne de 24 heures de travail hebdomadaire, soit seulement 62 % d’un temps plein. Leur rémunération, oscillant entre 800 et 965 euros net mensuels, demeure largement – répétons-le – en deçà du seuil de pauvreté, fixé à environ 1 330 euros en 2024. Comment la République peut-elle accepter que celles et ceux qui accompagnent les enfants les plus vulnérables peinent à joindre les deux bouts ? Quelle société acceptons-nous de construire si ceux qui consacrent leur vie à accompagner les plus fragiles vivent eux-mêmes dans la précarité ?
Reconnaissons cependant des avancées : la cédéisation plus rapide des AESH a permis de tripler la proportion de ceux bénéficiant d’un CDI, passée de 20,8 % en 2022 à 63,4 % en 2025. Mais restons lucides : ces CDI ne témoignent pas nécessairement d’une stabilité. Trop souvent, en effet, ces contrats ne garantissent ni un volume horaire suffisant ni une affectation pérenne. Le rattachement des AESH aux Pial entraîne des changements réguliers d’affectation, souvent sans concertation avec les intéressés, fragilisant encore davantage leur situation. Nous avons progressé mais nous sommes encore très loin du compte.
Un autre enjeu majeur concerne la formation. Comment peut-on exiger d’un AESH qu’il accompagne efficacement un enfant autiste ou un élève en situation de polyhandicap en le privant des clés pour ce faire ? La formation initiale de soixante heures est trop courte, souvent trop théorique, et dispensée après la prise de poste, tandis que la formation continue est quasi inexistante. Nous devons investir pour que ces professionnels montent en compétences – la qualité de l’inclusion est en jeu.
S’ajoute aussi un problème structurel de recrutement. Faute d’effectifs suffisants, trop d’enfants attendent encore un accompagnement qui ne vient pas. Les notifications de la MDPH se multiplient, mais les postes ne suivent pas. Cette situation pèse non seulement sur les élèves et leurs familles, mais aussi sur les AESH eux-mêmes, souvent contraints de suivre plusieurs enfants à la fois, au détriment évident de la qualité de l’accompagnement. Ce n’est pas toujours le faible nombre de postes qui est en cause, mais aussi leur répartition. À Limonest, à Montanay, entre autres, des enfants attendent ainsi un AESH pendant que le leur est envoyé ailleurs. Où est la logique ? Comment accepter que des élèves restent sans accompagnement, alors que des professionnels disponibles sont déplacés sans réelle justification ?
« Est-il normal d’accompagner deux élèves individualisés en même temps ? me demandait récemment l’une de ces AESH qui me contactent régulièrement. C’est illégal. Les notifications [des MDPH] ne sont pas respectées. Les Pial baladent les AESH de classe en classe, trois heures par semaine pour beaucoup. C’est un semblant d’accompagnement. » Nous ne pouvons pas nous contenter de cette situation. Nous devons aller plus loin, en nous montrant pragmatiques et responsables. Pour commencer, reconnaissons pleinement le métier d’AESH et renforçons leur formation initiale et continue afin que chaque accompagnant soit préparé aux défis spécifiques qui l’attendent. Assurons-leur ensuite des affectations plus stables et permettons à celles et ceux qui le souhaitent de travailler à temps plein. Enfin, revalorisons leur rémunération pour que ces professionnels puissent exercer leur mission dans des conditions dignes.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’en afficher le principe : l’inclusion doit être une réalité concrète, soutenue par des moyens à la hauteur de l’ambition annoncée. Nous avons le devoir d’agir avec détermination et dans un esprit de responsabilité. L’école inclusive ne peut reposer sur des fondations fragiles. Nous avons une obligation de résultat envers les élèves, envers les familles et envers celles et ceux qui rendent cette inclusion possible au quotidien. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – Mme Géraldine Bannier, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron (HOR)
Nous avons la responsabilité de remédier à la situation dans laquelle se trouvent les AESH et les AED. Au nom du groupe Horizons & indépendants, je soulignerai les avancées permises par la loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité de ces professionnels, tout en mettant en lumière les efforts à poursuivre afin de répondre pleinement aux attentes d’une profession qualifiée et attractive.
Cette loi a marqué une étape importante, en instaurant notamment un accès au contrat à durée indéterminée après trois ans pour les AESH et six ans pour les AED. Cette avancée a déjà des effets concrets : en janvier 2025, plus de 63 % des AESH sont en CDI, contre seulement 20 % à la fin de l’année 2022. La part des AED en CDI est plus faible, puisqu’elle s’établit à 14 %, mais elle a tout de même été multipliée par cinq sur la même période. Ces chiffres témoignent d’une dynamique encourageante et d’une volonté de reconnaître l’engagement de ces professionnels.
Toutefois, nous devons aller plus loin s’agissant des AESH. Ces professionnels font face à des difficultés telles que les modifications d’affectations, les horaires instables et parfois des baisses de volume horaire imposées. Ils doivent pouvoir accéder, quand ils le souhaitent, à des contrats à temps plein, conformément à l’engagement du président de la République. C’est dans l’intérêt des enfants, qui pourront ainsi participer par exemple aux activités périscolaires, et dans celui des familles et des travailleurs eux-mêmes. Pour y parvenir, leur emploi du temps pourrait inclure des heures dédiées aux activités périscolaires, à l’assistance à la direction ou encore à la concertation avec les enseignants lors des réunions pédagogiques.
Une grille salariale plus attractive, dès le début de carrière, est indispensable, tout comme une meilleure prise en charge des indemnités kilométriques. Il est également essentiel d’améliorer l’adéquation entre le profil des AESH et les élèves qu’ils accompagnent, et d’explorer leur intégration dans des dispositifs de remplacement en cas d’absences courtes, sans pour autant alourdir leur charge de travail.
Quant aux AED, leur rôle a considérablement évolué. Ils ne sont plus seulement des surveillants, mais aussi des accompagnants pédagogiques, notamment pour l’usage du numérique, le dispositif Devoirs faits ou encore le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (Phare). Pourtant, leur formation reste inégale et trop peu encadrée par des obligations nationales. Il est impératif de leur offrir une formation initiale et continue digne de ce nom. Par ailleurs, après trois ans d’exercice en CDD, les AED devraient, eux aussi, pouvoir obtenir un CDI fondé sur des critères clairs et appliqués de façon homogène dans toutes les académies. Une réflexion doit également être menée quant au transfert de leur gestion aux rectorats, afin de renforcer l’homogénéité de cette gestion et les mobilités choisies.
Enfin, il convient d’aborder ces deux professions ensemble, car elles constituent des piliers essentiels au bon fonctionnement de notre système éducatif. L’inclusion scolaire et la qualité du climat éducatif reposent en grande partie sur ces professionnels de terrain, qui accomplissent leur mission avec engagement et dévouement. Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous instaurer prochainement en faveur de ces personnels si importants pour notre école ?
M. le président
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy (LIOT)
Notre pays a fait le pari de l’inclusion de tous et de toutes au sein de l’école, pour permettre à chacun de grandir et d’apprendre avec les autres, quels que soient les différences et les handicaps. Si, en 2017, 300 000 enfants en situation de handicap étaient intégrés en milieu scolaire dit ordinaire, ils sont désormais 520 000, soit une augmentation de 73 %. Alors que nous célébrons les 20 ans de la loi de 2005, nous pouvons mesurer le chemin parcouru et souligner ces avancées indéniables, tout en rappelant les progrès nombreux qu’il reste à faire.
L’essentiel de l’accompagnement des élèves en situation de handicap est réalisé par les AESH, qui représentent désormais la deuxième profession de l’éducation nationale. Bien qu’essentielle, cette profession est encore peu valorisée, en dépit des avancées permises notamment par la loi de 2022, qui fait l’objet de ce débat. La précarité que connaît cette profession n’est acceptable ni pour les personnels, qui peinent à vivre de leur travail, ni pour les élèves, insuffisamment encadrés en raison du manque d’attractivité de ces métiers. En cause, bien sûr, la rémunération insuffisante des AESH, qui ne dépasse guère 950 euros en moyenne, au-dessous du seuil de pauvreté. Cette faible rémunération découle de la signature de contrats très majoritairement à temps partiel, qui ne sont pas toujours choisis.
Or il est très difficile pour celles et ceux qui le souhaiteraient de compléter ces revenus avec un autre emploi, les horaires scolaires étant très contraignants. C’est pourquoi, comme l’a indiqué le rapporteur Salvatore Castiglione, notre groupe appelle à augmenter leur quotité de travail. La prise en charge par l’État de l’accompagnement durant la pause méridienne, dont l’application s’est d’ailleurs révélée chaotique, ne peut suffire. Il faut intégrer les AESH aux réunions pédagogiques et prendre en compte le temps de préparation. Par ailleurs, lorsque certains AESH ont demandé à travailler davantage d’heures, les moyens n’étaient pas toujours disponibles – certains ont même vu leur temps de travail réduit à cause de restrictions budgétaires.
S’ajoute à cela la multiplication du nombre d’élèves à accompagner, souffrant de pathologies toujours plus diverses. Comment est-il possible d’accompagner jusqu’à huit élèves par semaine, scolarisés de la petite section à la terminale et qui connaissent des handicaps parfois très différents ? Sans oublier les rotations entre établissements et entre élèves à chaque rentrée, qui ne permettent pas un suivi solide et qui imposent une réadaptation constante aux élèves et aux AESH.
La formation de ces accompagnants ne compte que soixante heures, un chiffre trop faible et qui ne permet pas aux AESH d’aider toujours au mieux leurs élèves, d’autant que cette formation, pourtant cruciale, est rarement effectuée en totalité. Notre groupe constate donc avec incompréhension la diminution de 2 millions d’euros du budget consacré à cette formation dans la loi de finances pour 2025. Vous avez, lors du Comité national de suivi de l’école inclusive (CNSEI), annoncé un plan de formation renforcé pour les AESH – Comité auquel les AESH n’étaient même pas conviés, alors que sans eux, l’école inclusive n’est pas possible. Quelle forme prendra ce plan de formation ?
Un autre chiffre marquant concerne les 40 % de postes d’AESH non pourvus. C’est la preuve que sans répondre au manque d’attractivité, sans avancement de carrière, sans reconnaissance, l’augmentation du nombre de postes ne suffira pas. Je réitère les propositions déjà avancées cet automne : pourquoi ne pas mutualiser ces postes avec d’autres postes de la fonction publique territoriale ou hospitalière, afin d’atteindre un temps complet ? Comment faciliter les passerelles en proposant par exemple une année commune de formation aux métiers du soin ?
Permettre à tous nos enfants d’être accueillis dans de bonnes conditions et de bénéficier d’une éducation scolaire est une question de dignité. À ceux qui voudraient faire croire que cela coûte trop cher, je répondrai, quitte à être un instant cynique, qu’il s’agit aussi, à long terme, d’une question économique : conserver dans le système scolaire le plus grand nombre d’enfants, c’est permettre à ces futurs adultes de développer leur autonomie et de pouvoir prétendre ensuite à un emploi, plutôt que de rester dépendant de l’allocation adulte handicapé (AAH).
N’oublions pas les assistants d’éducation, qui constituent un pilier de l’accompagnement des élèves. S’ils ont vu certains aspects de leurs conditions de travail s’améliorer, leur situation de précarité financière n’est pas acceptable et leur temps de formation demeure trop court. Madame la ministre, vous avez fait de la lutte contre les violences scolaires et du rétablissement d’un climat scolaire de qualité l’une de vos priorités. Or les AED jouent un rôle essentiel en la matière. Comment comptez-vous mieux les reconnaître ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur et Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure, applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha (GDR)
On compte, dans notre pays, 140 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap. Ils et elles sont devenus ces dernières années les principaux acteurs de l’école inclusive. Grâce à l’action quotidienne de ces hommes et surtout de ces femmes, l’intégration des enfants et des adolescents au sein de l’éducation nationale se construit progressivement, conformément à la loi du 11 février 2005 qui garantit l’accession de tous les élèves à la vie sociale et à la citoyenneté. Néanmoins, le droit fondamental à la scolarité de tous les enfants est encore loin d’être respecté.
D’une part, comme le souligne Mireille Battut, présidente de l’association Ambition école inclusive, on compte environ 200 000 enfants en situation de handicap sans scolarité identifiée. D’autre part, la précarité des personnels, qu’ils soient accompagnants d’élèves en situation de handicap ou assistants d’éducation, explique les difficultés de beaucoup d’enfants à bénéficier de l’accompagnement et de l’encadrement auxquels ils ont droit.
La loi du 16 décembre 2022 a permis une amélioration relative de leurs conditions de travail. Le taux d’AESH en CDI a triplé, passant de 20,8 % à la fin de l’année 2022 à 63,4 % en janvier 2025. Pour les AED, elle est passée de 2,6 % à 14 % sur la même période. Ces personnels ont aussi bénéficié des mesures salariales successives depuis 2022. Enfin, la loi Vial du 27 mai 2024 prévoit que la rémunération des AESH accompagnant des élèves durant la pause méridienne soit prise en charge par l’État et non plus par les collectivités territoriales. En dépit de ces avancées, les conditions de travail de ces personnels demeurent très précaires. La rémunération des AESH, qui s’élève en moyenne à 800 euros net par mois, reste inférieure au seuil de pauvreté et ne comporte aucune perspective d’évolution salariale. Près de 98 % des AESH exercent à temps partiel, du fait de l’imposition de ce contrat par l’employeur. Leur quotité de travail moyenne est de 63,2 % d’un temps plein.
La rémunération de la pause méridienne, censée augmenter la quotité de travail, n’a pas eu les effets escomptés. Les AESH ayant la possibilité de travailler sur cette plage horaire étaient déjà rémunérés par les collectivités. En ce qui concerne les AED, 70 % exercent à mi-temps. Une partie de ces mi-temps est justifiée par le statut d’étudiant, mais les temps partiels subis sont nombreux et condamnent ce personnel à des rémunérations inférieures au seuil de pauvreté. Alors que les syndicats se mobilisent depuis des mois pour revendiquer une hausse des salaires, une reconnaissance d’un temps complet sur la base de vingt-quatre heures d’accompagnement pour les AESH, un statut sécurisant le parcours de ces professionnels et la fin des Pial, le gouvernement semble avoir fait le choix de l’immobilisme.
Certes, le ministère de l’éducation nationale a annoncé la création de 2 000 postes supplémentaires d’AESH pour l’année 2025, mais l’absence de mesures de revalorisation salariale risque de laisser ces nouveaux postes non pourvus. Et lorsqu’il se penche sur ces difficultés, le ministère oublie d’inviter les enseignants et les AESH, comme le 24 février dernier lors de la réunion du Comité national de suivi de l’école inclusive.
La révision du statut demeure le principal levier pour améliorer les conditions de travail de ces professionnels, contribuer à l’attractivité de ces métiers et accompagner correctement les élèves en situation de handicap. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a été à l’initiative d’une proposition de loi visant à créer un corps de fonctionnaires de catégorie B pour les AESH. Nous proposons également l’ouverture d’un concours externe couplé à un concours interne pour les AESH déjà en poste.
Afin de répondre au problème du temps de travail, il est urgent de préciser dans la loi que le temps de travail des AESH est de vingt-quatre heures par semaine. Il convient également d’instaurer un coefficient de pondération qui leur permette de bénéficier d’une rémunération complète pour un temps de présence inférieure à la durée légale de 35 heures. Enfin, notre groupe défend le renouvellement en CDI des AED ainsi que la création d’une grille salariale assurant une réelle évolution de carrière. Voilà, madame la ministre, quelques pistes concrètes amplement partagées par les professionnels et leurs représentants, à partir desquels nous pouvons commencer à travailler pour valoriser les compétences et les missions de ces professionnels indispensables à l’accompagnement quotidien de nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur et Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure, applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
Adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le texte devenu la loi du 16 décembre 2022 est de ces textes de consensus où la gravité de l’enjeu rassemble au-delà des clivages. Rien de plus naturel quand se pose la question de la scolarisation des enfants en situation de handicap.
Pour les AESH et les AED, cette loi fut incontestablement une avancée, mais insuffisante : elle n’a traité que du contrat, quand la première question à traiter est la rémunération. Celle-ci demeure trop faible en dépit de son augmentation : elle s’élève en moyenne à 965 euros net par mois pour les AESH et à 765 euros net par mois pour un mi-temps d’AED. Au-delà des primes et des indemnités, l’effort doit être poursuivi. Si la question de la rémunération concerne aussi bien les AESH que les AED, ne nous égarons pas en considérant ces deux métiers de manière indistincte. Je les évoquerai donc successivement.
S’agissant des AED, la focalisation sur le seul combat d’une généralisation de l’embauche en CDI nous amène à nous interroger. Si cette perspective peut légitimement être offerte à quelques profils – c’est déjà le cas aujourd’hui grâce à la loi –, en faire la norme, voire une norme précoce, semble discutable. En effet, à moyen terme, une telle démarche conduirait mécaniquement à vieillir et à fixer la population des AED, alors même que leur rôle au sein des établissements exige mobilité et adaptabilité – il doit être exercé par de jeunes gens, capables de jouer le rôle précieux d’intermédiaire entre les élèves et le personnel.
Le premier droit d’un AED, après celui à une rémunération décente, devrait être non pas l’accès à un CDI, mais le droit à la formation, aux fonctions exercées mais aussi à de futures fonctions, notamment pour ceux qui se tournent vers les métiers non enseignants de l’éducation. Plutôt qu’une carrière, nous pouvons faire de cette fonction spécifique un pont entre études et vie active, pour tant de jeunes, étudiants ou non, qui aspirent à l’autonomie et à l’affirmation. Voilà pourquoi nous pensons que le recrutement doit être prioritairement tourné vers les jeunes adultes et demeurer dans les mains des établissements, afin de rester au plus près des réalités du terrain.
S’agissant des AESH, je tiens d’abord à saluer à cette tribune le travail accompli par toutes les personnes qui remplissent ces missions difficiles et malheureusement trop peu valorisées, au service de nos enfants les plus fragiles. La loi du 16 décembre 2022 n’aura pas été sans conséquence positive pour elles : le taux d’AESH en CDI a triplé, passant de 20,8 % à 63,4 %. Mais il reste beaucoup à faire en matière de rémunération, de formation, de temps de travail, ou encore d’affectations. Affecter les AESH dans un nombre limité d’établissements situés sur un territoire raisonnablement délimité est une nécessité impérieuse.
Il est impossible d’aborder la situation des AESH sans s’interroger sur le modèle d’inclusion scolaire déployé depuis vingt ans. Les AESH ont-ils vocation à être, dans une solitude parfois désespérante, l’alpha et l’oméga de la politique d’inclusion, et sa principale, si ce n’est sa seule mesure ?
En septembre, la Cour des comptes s’interrogeait ainsi légitimement sur la maîtrise et la soutenabilité de la montée en charge du dispositif des AESH. Ce groupe professionnel constitue désormais le deuxième métier de l’éducation nationale, avec 128 466 accompagnants et 81 164 équivalents temps plein (ETP), soit plus que les professeurs agrégés ou que les professeurs d’enseignement professionnel.
Une montée en charge non pensée et non anticipée nous semble une fuite en avant menant à une impasse. Cela ne permettra ni de valoriser et former suffisamment les AESH, ni d’accompagner et d’inclure efficacement les élèves en situation de handicap, dont il est impératif de prendre en compte l’immense diversité.
Si les AESH sont une chance inestimable pour nombre d’enfants, ce dispositif ne saurait s’appliquer ni suffire à tous. Pour construire une société vraiment inclusive, ne cédons pas à l’illusion de l’école unique ; trouvons un chemin entre milieu ordinaire et milieu adapté pour garantir l’intérêt des enfants et la liberté des familles. Ce modèle existe notamment outre-Manche où, aujourd’hui, les familles se tournent davantage vers l’enseignement adapté, considérant que des structures spécifiques assurent une meilleure prise en charge.
Soutenons donc nos AESH sans défaillir. Mais pour les soutenir dans leur mission spécifique en milieu ordinaire, soutenons également nos instituts médico-éducatifs (IME) et nos établissements régionaux d’enseignement adapté (Erea), nos unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) et nos sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Ne fermons les yeux sur aucun des problèmes, du cruel manque d’infirmières scolaires dans les établissements au grave souci posé par l’absence de détection précoce en école maternelle.
Dans ce combat, une vue globale est indispensable. L’inclusion des élèves en situation de handicap a trop longtemps été un tabou pour que nous la laissions devenir aujourd’hui un totem. Ne nous contentons pas de chiffres ou de statistiques en hausse, qui peuvent masquer bien des échecs humains sur le terrain ; occupons-nous de toutes les réalités, si diverses, vécues par nos enfants, pour lesquelles aucun modèle unique ne saurait suffire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Matthieu Marchio.
M. Matthieu Marchio (RN)
Les AESH et les AED, invisibles aux yeux de beaucoup, sont pourtant les architectes de l’inclusion. Ils portent sur leurs épaules la lourde responsabilité d’offrir à chaque enfant en situation de handicap la chance de s’épanouir dans un système éducatif qui trop souvent les oublie. La loi du 16 décembre 2022, qui a permis quelques progrès, ne règle pas le problème fondamental du statut et des conditions de travail des AESH. Nous devons aller plus loin en revalorisant les salaires, en augmentant les quotités de travail, en les intégrant mieux dans les équipes éducatives et en sécurisant leurs affectations.
Le gouvernement nous avait promis une avancée majeure, une réforme structurelle qui offrirait davantage de stabilité, de reconnaissance et de justice pour ces travailleurs essentiels. Mais en réalité, cette loi n’a été qu’un début, un empilement de demi-mesures qui n’ont produit que de maigres effets.
Les AESH et les AED, qui sont indispensables au bon fonctionnement du système éducatif, restent pourtant cantonnés à un statut précaire, caractérisé par des contrats à durée déterminée, des salaires indécents et des conditions de travail dégradées. Les AESH sont toujours payés au lance-pierre : leurs salaires sont souvent bien inférieurs au smic. Beaucoup touchent entre 800 et 1 000 euros par mois, un montant dérisoire qui ne permet évidemment pas de vivre dignement. Comment accepter qu’une personne exerçant un métier aussi essentiel à l’inclusion scolaire soit contrainte de cumuler plusieurs emplois ou de dépendre des aides sociales pour survivre ?
Le temps partiel imposé est toujours la norme. On demande aux AESH d’accompagner des élèves en grande difficulté tout en leur refusant la possibilité de travailler à temps plein. Il en résulte des salaires encore plus bas et une instabilité permanente. Les Pial sont une catastrophe. Ce dispositif censé améliorer la gestion des AESH s’est transformé en un système chaotique où les accompagnants sont envoyés d’un établissement à l’autre, sans aucune logique ni considération pour l’élève ou l’accompagnant.
Les AED subissent eux aussi une précarité qui n’est guère acceptable. Ce sont eux qui assurent l’encadrement des élèves et qui gèrent la discipline dans les établissements en crise. Pourtant, ils restent cantonnés à des contrats précaires – des CDD de six ans maximum, sans aucune perspective d’évolution. Alors que leurs conditions de travail se détériorent, notamment dans les établissements sensibles où ils sont confrontés à une explosion des incivilités et des violences, le gouvernement se contente de belles paroles et de réformes cosmétiques au lieu de leur donner les moyens d’assurer leur mission.
Il ne cesse de vanter son engagement en faveur de l’école inclusive et de la lutte contre la précarité. Mais où sont les résultats ? Depuis l’adoption de la loi de 2022, la situation des AESH et des AED n’a pas changé. Le problème, c’est que la loi n’apporte finalement que de simples réparations. Le texte vise à donner l’illusion d’une avancée sans jamais s’attaquer aux véritables causes de la précarité. En vérité, ses dispositions n’ont pas été financées à la hauteur des besoins. Il était évident dès le départ que sans un engagement budgétaire fort, rien ne changerait. C’est exactement ce qui s’est produit : les AESH comme les AED continuent de souffrir d’un manque criant de moyens.
Face à cet échec, le Rassemblement national propose des solutions ambitieuses. Premièrement, nous préconisons la cédéisation immédiate au bout d’un an des AESH et des AED : il est temps de leur donner un véritable statut, des perspectives de carrière et des conditions de travail dignes. Deuxièmement, une revalorisation salariale significative est nécessaire : personne ne devrait exercer pour moins que le smic une mission essentielle à l’éducation et à l’inclusion scolaire. Troisièmement, il convient de mettre fin au temps partiel imposé : si un AESH souhaite travailler à temps plein, il doit pouvoir le faire, y compris sur le temps de pause méridienne. Quatrièmement, nous proposons de supprimer les pôles inclusifs d’accompagnement localisé, qui sont une nouvelle aberration bureaucratique nuisible à la qualité de l’accompagnement. Enfin, il convient d’offrir aux AESH et aux AED une véritable formation, pour permettre aux premiers de s’adapter à la grande variété des profils et aux seconds de faire face aux situations de violence et d’incivilité dans les établissements.
La loi de 2022, qui aurait pu être une avancée, est aujourd’hui un symbole de la mollesse du gouvernement et de son mépris pour ces travailleurs essentiels. Il est temps d’arrêter de traiter les AESH et les AED comme des variables d’ajustement budgétaire et de leur donner la reconnaissance qu’ils méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs du groupe UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Julie Delpech.
Mme Julie Delpech (EPR)
Le 11 février, nous célébrions les vingt ans de la loi de 2005, qui a inscrit dans le droit le principe essentiel selon lequel l’école doit accueillir tous les enfants, sans distinction. Depuis, nous avons franchi un cap historique : il y avait 100 000 élèves en situation de handicap en 2006, ils sont plus de 500 000 en 2024. Cette avancée, qui est une fierté nationale, repose avant tout sur des femmes et des hommes de l’ombre, trop souvent oubliés : les accompagnants d’élèves en situation de handicap et les assistants d’éducation.
Leur rôle dépasse largement l’assistance technique : ils sont des repères, des solutions, des visages familiers qui sécurisent, encouragent et rendent l’école accessible à ceux qui, sans eux, en seraient exclus. Pourtant, pendant trop longtemps, ils ont été laissés pour compte. Avant 2022, plus de 80 % des AESH étaient en CDD, contraints à un temps partiel subi, avec des salaires indécents, parfois inférieurs au seuil de pauvreté. Quant aux AED, leur statut, figé depuis 2003, les maintenait dans une précarité structurelle, sans la moindre perspective de CDI, alors même qu’ils participent activement à l’accompagnement éducatif et contribuent à l’amélioration du climat scolaire.
C’est en cela que la loi de 2022 a marqué un tournant. Grâce à elle, les AESH ont pu obtenir un CDI après trois ans au lieu de six et les AED ont enfin eu accès à un CDI après six ans d’ancienneté. L’impact a été immédiat : en deux ans, le taux de CDI a triplé pour les AESH, atteignant 63,4 %, et quintuplé pour les AED. Dans la foulée, l’État a repris la main sur le financement des AESH, ce qui leur a donné accès aux prestations sociales du ministère de l’éducation nationale et a mis fin à ce qui devenait une charge financière lourde pour les établissements. La loi Vial de 2024 a renforcé cette dynamique en prévoyant la prise en charge par l’État de la rémunération du temps méridien des AESH, ce qui a simplifié leur quotidien et clarifié leur rôle.
Ces avancées sont le fruit d’une volonté politique affirmée. Depuis 2017, nous avons fait de l’inclusion scolaire une priorité, en lui octroyant des moyens enfin à la hauteur de l’enjeu. Le budget concerné a doublé pour atteindre 4,6 milliards d’euros en 2025, ce qui a permis la scolarisation d’enfants toujours plus nombreux, le renforcement des dispositifs d’accompagnement et la montée en compétences des professionnels. Le nombre d’AESH a fortement augmenté et 2 000 nouveaux postes doivent encore être créés pour répondre aux besoins croissants.
Mais nous sommes réalistes : il reste encore du chemin à parcourir. Les AESH, même en CDI, restent sous-payés. Trop d’entre eux ne dépassent pas les 62 % d’un temps plein et leur salaire excède rarement 965 euros par mois. Quant aux AED, ils subissent des disparités criantes d’application de la loi selon les académies – certains se voient encore refuser un CDI alors qu’ils remplissent tous les critères.
Ce n’est pas tout : la formation des AESH reste insuffisante. Les soixante heures de formation initiale ne permettent pas de répondre aux besoins spécifiques des élèves qu’ils accompagnent. La formation continue, pourtant indispensable face à l’évolution des pratiques et des handicaps, est quasi inexistante. Leur intégration au sein des équipes pédagogiques reste, elle aussi, trop marginale. Ils devraient être pleinement associés aux conseils pédagogiques et aux réunions de suivi des élèves, et non relégués en périphérie du système éducatif.
La gestion des affectations constitue un autre problème majeur. Beaucoup d’AESH jonglent entre plusieurs établissements, avec des emplois du temps éclatés et des déplacements non rémunérés. Comment s’investir pleinement quand on passe plus de temps sur la route qu’auprès des élèves ?
Nous devons donc aller plus loin. L’amélioration du statut des AESH et des AED est une nécessité, mais nous ne pouvons ignorer les contraintes auxquelles elle est soumise. La création d’un corps spécifique dans la fonction publique doit tenir compte des équilibres budgétaires et assurer l’équité avec d’autres personnels, notamment enseignants, dont la charge de travail dépasse les seules heures de présence en classe.
En outre, la fonctionnarisation pose la question du temps de travail et de sa compatibilité avec la variabilité des besoins définis par les MDPH, en particulier dans les zones rurales.
Ces défis ne doivent toutefois pas être un frein à la réflexion : il faut offrir aux AESH et aux AED davantage de stabilité, de reconnaissance et de perspectives d’évolution, dans un cadre soutenable et adapté aux réalités du terrain. La revalorisation de la grille indiciaire des AED doit également être abordée afin de mieux reconnaître leur engagement.
Les députés du groupe Ensemble pour la République sont déterminés à poursuivre ces combats. Nous continuerons à défendre de meilleures conditions de travail et de rémunération, à exiger une formation renforcée et un véritable accompagnement des élèves en situation de handicap. L’école inclusive ne doit pas être un slogan, mais une réalité vécue sur le terrain par chaque enfant, chaque famille et chaque professionnel de l’éducation, afin qu’il ne s’agisse pas d’une promesse en l’air, mais d’une évidence. (Mme Marina Ferrari applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Murielle Lepvraud.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP)
Le constat est clair, et partagé : les AESH et AED demeurent des catégories de personnel précaires, mal reconnues et mal rémunérées. Invisibilisées dans nos politiques publiques, les AESH sont pourtant plus de 140 000 en France. Leur rôle est essentiel pour que les enfants en situation de handicap ne soient pas des élèves à part, mais bien des élèves à part entière. Elles – 90 % des AESH sont des femmes – constituent les rouages de la promesse d’inclusion et d’égalité contenue dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances. Mais il reste un long chemin à parcourir.
Les assistants d’éducation sont environ 62 000 et participent activement à l’encadrement et à la surveillance des élèves à qui ils procurent une assistance pédagogique. Pas moins de 98 % d’entre eux sont à temps partiel. La majorité des AED et des AESH vivent sous le seuil de pauvreté, malgré le rôle fondamental qu’ils jouent dans nos écoles, collèges et lycées.
Il était donc grand temps d’agir. À cet égard, la loi du 16 décembre 2022, dite Victory, que nous évaluons aujourd’hui, représente une avancée, comme le montre le triplement du nombre d’AESH passés en CDI depuis 2022. Mais elle reste timide.
Leurs conditions de travail demeurent en effet précaires et difficiles, d’autant qu’elles peuvent sensiblement varier d’une année à l’autre en fonction des établissements et des problèmes vécus par les élèves accompagnés. Or le refus de signer les avenants qui détaillent ces modifications peut mener au licenciement.
La cédéisation ne garantit donc en rien la sécurité de l’emploi. Pire, être contractuel dans la fonction publique, c’est avoir le statut le plus inconfortable qui soit.
De surcroît, il faut trois ans en CDD pour les AESH et six ans pour les AED avant d’obtenir un CDI. Quelle entreprise privée pourrait se permettre d’imposer de telles périodes d’essai ?
Il est vrai que la Macronie veut en finir avec les fonctionnaires et préfère disposer de contractuels corvéables à merci ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Non seulement les AESH et les AED ne sont pas fonctionnaires, mais leur situation contrevient à l’article L. 1221-2 du code du travail qui dispose que « le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail ». Maintenir les AESH et les AED dans une telle insécurité n’est donc pas acceptable.
Reconnaissons donc que nous ne les avons pas sortis de la précarité : ils subissent toujours des temps partiels imposés et vivent toujours majoritairement sous le seuil de pauvreté. Une telle situation est indigne de l’école de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Anne Stambach-Terrenoir et Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Exactement !
Mme Murielle Lepvraud
Le contenu initial de la proposition de loi de Mme Victory étaient d’ailleurs mieux disant que le texte final. Ainsi, elle prévoyait l’octroi d’une indemnité de sujétion aux AESH et AED qui exercent dans des établissements en réseau d’éducation prioritaire (REP) ou REP+. Cette disposition a été supprimée par deux amendements issus des groupes macronistes. Il aura fallu que la justice administrative y voie une rupture d’égalité pour qu’ils obtiennent cette prime. Notons d’ailleurs que son montant est inférieur de 36 % à celui perçu par les autres personnels, un écart parfaitement injustifié.
Les améliorations obtenues à la suite du vote de la loi du 16 décembre 2022 sont donc toutes relatives. En Macronie, les avancées se font toujours par petites touches, quand on ne provoque pas de grands reculs – surtout s’agissant des conditions de vie et de travail. On nous promet l’effondrement économique et une dette abyssale si l’on en demande trop. Pendant ce temps, la pénurie s’aggrave : ainsi, dans mon département des Côtes-d’Armor, plus de 180 élèves ne bénéficient pas de l’accompagnement requis – sans compter ceux qui attendent une place en structure spécialisée.
Les députés de La France insoumise souhaitent que les AED et les AESH soient reconnus à leur juste valeur (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) et proposent des mesures immédiates allant dans ce sens. Nous plaidons pour l’intégration à la catégorie B de la fonction publique, pour les AESH comme pour les AED, avec une grille indiciaire à la hauteur des besoins, afin de mettre fin aux CDD à répétition et aux temps partiels imposés. Les AESH doivent bénéficier d’un temps plein à 24 heures par semaine, qui prendrait en compte le temps de travail invisible que constituent les heures de préparation, de formation et de réunion.
Ma collègue Nadège Abomangoli et moi-même avons déposé dans ce but une proposition de loi cosignée par des députés de plusieurs groupes. L’idée fait son chemin, M. Le Fur en a parlé. Reste maintenant à voter le texte en commission, puis dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
II convient également de prévoir une véritable formation, comportant une formation initiale suivie avant la prise de poste et une formation continue définie à l’échelon national.
Nous ne devons plus tolérer la précarité institutionnalisée dans la fonction publique. Nos enfants méritent mieux, les AESH et AED aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
Je salue l’initiative du groupe socialiste et de la présidente de la commission, Mme Fatiha Keloua Hachi, d’avoir choisi de mettre à l’ordre du jour l’évaluation de la loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des AESH et des assistants d’éducation.
Je partage l’objectif et, lorsque j’étais première ministre, je l’avais fait mien lors du vote de la loi. Je remercie à mon tour Michèle Victory, qui a permis cet indispensable travail transpartisan.
L’inclusion n’est pas un slogan, c’est un engagement. Un engagement de l’école, de la République, de chacun d’entre nous. C’est dès l’école que tout se joue : l’avenir des enfants en situation de handicap, leur accès au savoir, leur autonomie, leur épanouissement.
Depuis 2017, nous avons fait des choix clairs : il y a sept ans, 2 milliards d’euros étaient consacrés à l’école inclusive. Aujourd’hui, nous investissons 4,5 milliards d’euros, soit plus du double. Cet engagement financier a permis d’étendre le maillage des dispositifs Ulis : il en existe désormais plus de 11 000, répartis équitablement entre le premier et le second degré.
M. Paul Vannier
Pas dans le privé, en tout cas !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Nous poursuivons leur développement avec 300 créations par an, un effort particulier étant consenti en direction du lycée professionnel pour que chaque jeune puisse bénéficier d’une formation et d’une insertion professionnelle adaptée.
Dans le cadre de la stratégie nationale relative aux troubles du neurodéveloppement, nous avons également développé avec l’appui du secteur médico-social, en maternelle et au niveau élémentaire, des unités d’enseignement pour enfants autistes, désormais présentes dans chaque département.
Nous consentons un effort continu pour soutenir les élèves en situation de handicap, grâce aux recrutements massifs d’accompagnants – qui sont à 97 % des accompagnantes. Au niveau national, nous sommes ainsi passés de près de 93 000 AESH en 2017 à 143 000 en 2024. Dès la rentrée 2025, 2 000 nouveaux postes seront ouverts, représentant près de 3 200 nouveaux recrutements.
Le métier d’AESH est désormais le deuxième du ministère de l’éducation nationale après celui de professeur. Au regard de leur nombre, comme de leurs missions, les AESH sont plus que jamais indispensables au succès de l’école inclusive.
Nous avons pris des mesures fortes pour renforcer l’attractivité du métier et leurs conditions de travail. La rémunération d’abord : depuis 2017, elle a été globalement revalorisée de plus de 40 %.
M. Paul Vannier
Elles vivent sous le seuil de pauvreté !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Une revalorisation progressive des grilles de rémunération est intervenue depuis 2022. En outre, une indemnité annuelle est versée aux AESH travaillant en REP et REP+. (Mme Anaïs Belouassa-Cherifi s’exclame.)
En septembre 2023, une enveloppe budgétaire a permis de rehausser la grille indiciaire. Les AESH perçoivent désormais une nouvelle indemnité de fonctions, et l’indemnité versée aux AESH référents – ceux qui aident leurs pairs – est également en hausse.
Enfin, comme pour l’ensemble des fonctionnaires, la valeur du point d’indice a été augmentée à deux reprises.
M. Paul Vannier
Et gelé à plusieurs reprises !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
D’autres mesures viennent compléter cet engagement : un meilleur remboursement des frais de transport domicile-travail, une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et une bonification de points d’indice majorée.
Sans compter l’indemnité d’éducation prioritaire, un ou une AESH peut désormais percevoir jusqu’à 1 614 euros net mensuels pour un temps complet. Mais nous le savons, trop peu accèdent à un temps complet. Augmenter leur temps de travail et, par conséquent, leur rémunération, c’est précisément l’un des objectifs de la loi Vial, qui permet aux AESH qui le souhaitent d’intervenir pendant la pause méridienne en étant rémunéré par l’État.
Les plus de 60 000 assistants d’éducation sont également un maillon essentiel dans la vie scolaire, assurant le lien entre les équipes pédagogiques et les élèves.
En 2025, 600 nouveaux postes d’AED seront créés, renforçant ainsi leur présence dans les établissements scolaires. Grâce à la loi du 16 décembre 2022, entre 2022 et 2024, leur rémunération a été revalorisée de 1 335 euros brut par an pour un temps complet, et ils ont bénéficié d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de 800 euros. Enfin, les AED perçoivent également une prime lorsqu’ils exercent dans un établissement de l’éducation prioritaire.
En complément de ces avancées salariales, nous avons cherché à stabiliser ces métiers. La loi du 16 décembre 2022 a ainsi permis de réduire de six à trois ans le délai pour l’accès des AESH au CDI. Elle a ouvert ce droit aux AED après six ans d’ancienneté – c’est le droit commun de la fonction publique. Près des deux tiers des AESH sont désormais en CDI, soit trois fois plus qu’avant la loi, quand cela concerne 14 % des AED.
Ces différentes mesures garantissent une meilleure stabilité dans l’accompagnement des élèves. Mais nous ne pouvons ignorer le chemin encore à parcourir : des difficultés persistent pour recruter en continu de nouveaux AESH afin de suivre les notifications des MDPH, qui tombent tout au long de l’année et connaissent, dans certains départements, des hausses de 15 %.
C’est aussi ce qui explique qu’au fil des notifications, un AESH puisse intervenir dans plusieurs établissements, ou qu’il soit amené à prendre son poste avant d’avoir suivi les soixante heures de formation prévues, la prise en charge de l’élève étant prioritaire – j’imagine que nous en serons tous d’accord.
Dans certains territoires, nous nous heurtons en outre à l’insuffisance du vivier de personnels. Par ailleurs, certains AESH, notamment des parents qui doivent prendre en charge leurs propres enfants, ne souhaitent pas augmenter leur temps de travail pendant la pause méridienne. (M. Paul Vannier s’exclame.) Mais je le dis clairement : aucun AESH n’a vu son temps de travail réduit pour des raisons budgétaires.
Un groupe de travail incluant les personnels concernés réfléchit actuellement à un nouveau cadre de gestion des AESH qui inclurait des solutions concrètes à ces difficultés. De même, une concertation est en cours pour revoir le cadre de gestion des AED, car celui-ci date de 2003 et ciblait initialement des étudiants, lesquels représentent désormais 30 % des assistants d’éducation.
L’effort pour faire de l’école inclusive une réalité ne se limite pas à la loi du 16 décembre 2022. Une société inclusive ne se décrète pas, elle se construit, et ce avec l’ensemble des acteurs : élus locaux, parents d’élèves, associations, organismes gestionnaires, professionnels du secteur médico-social. Si nous avons recruté massivement, stabilisé les métiers d’AESH et d’AED et engagé une revalorisation des rémunérations, nous devons aller plus loin. Il nous faut intensifier la formation des professeurs, tant initiale que continue, en y intégrant mieux l’accessibilité des savoirs et la différenciation pédagogique. La réforme des concours et des maquettes de formation doit pleinement prendre ces enjeux en considération. Les plans de formation académiques et départementaux doivent faire de l’inclusion un axe prioritaire. Le travail conjoint avec le secteur médico-social dans les écoles et établissements doit s’accompagner de formations croisées pour renforcer la coopération.
M. Paul Vannier
C’est McKinsey qui le dit ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Trop de familles se heurtent encore à des démarches complexes, à des délais interminables et à des ruptures de parcours inacceptables. C’est pourquoi, en septembre 2024, nous avons lancé dans quatre départements l’expérimentation des pôles d’appui à la scolarité (PAS). Leur objectif est clair : mieux coordonner les moyens, apporter des réponses plus rapides, éviter les ruptures de suivi, anticiper les besoins d’accompagnement et donc le recrutement, la formation et l’affectation des AESH. Dès la rentrée prochaine, de nouveaux territoires rejoindront l’expérimentation de ce dispositif dont la généralisation est prévue d’ici à 2027. En parallèle, les équipes mobiles d’appui médico-social continuent d’intervenir en amont pour prévenir les difficultés avant qu’elles ne deviennent des obstacles.
À l’heure où le bien-être et la sécurité des élèves représentent des enjeux majeurs, nous devons renforcer encore davantage les équipes de vie scolaire. Un climat apaisé, dans une école pour tous, est une exigence républicaine. C’est une promesse que nous devons tenir. Par la loi, bien sûr, mais aussi par un engagement collectif au plus près du terrain, avec tous les acteurs concernés, car chaque enfant, sans exception, doit trouver à l’école la place qui est la sienne : celle qui lui permet d’apprendre, de grandir et de s’émanciper. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierrick Courbon.
M. Pierrick Courbon (SOC)
Ce débat nous met au moins d’accord sur un point : il n’y aura pas d’école véritablement inclusive tant qu’on n’accordera pas une juste reconnaissance aux professionnels qui la font vivre au quotidien.
Reconnaître les accompagnants d’élèves en situation de handicap, c’est d’abord leur donner un vrai statut. La loi dont nous parlons est une première étape notable dans cette voie, mais nous devons aller plus loin en adoptant certaines mesures indispensables : la titularisation des AESH au sein de la fonction publique, la refonte de leur formation et la définition claire de leurs missions. Au vu des différentes propositions de loi déjà déposées ou en gestation, la titularisation fait l’objet d’un relatif consensus dans notre assemblée.
Sans attendre la concrétisation de cet objectif, qui prendra forcément du temps, nous devons nous atteler à la revalorisation des salaires, qui demeurent largement insuffisants et sont loin de refléter la réalité du travail accompli par les AESH. Pour créer des conditions de rémunération dignes et des carrières plus attractives, il est urgent de réévaluer la grille indiciaire existante, qui, couvrant trente-trois années de carrière, ne comporte que onze échelons. Au bout de trente-trois ans, les AESH ne gagnent que 413 euros brut de plus qu’en début de carrière.
Inutile d’aller chercher beaucoup plus loin : nous tenons là une raison majeure du défaut d’attractivité dont souffre cette profession essentielle. Dans leur évolution de carrière comme dans d’autres domaines, les AESH ne sont pas traités comme les autres agents publics ; aucun agent des catégories B ou C ne doit attendre aussi longtemps pour changer d’échelon. Il apparaît donc nécessaire de faire évoluer à la fois les deux paramètres que sont le niveau des échelons et leur durée.
Dans l’attente de la création d’un réel statut de la fonction publique pour les AESH – cela ne tardera pas, je l’espère –, je voudrais savoir quelles mesures le gouvernement entend instaurer dès maintenant pour revaloriser leur grille indiciaire. (Mmes Fatiha Keloua Hachi, rapporteure, et Ayda Hadizadeh applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Comme je l’ai déjà dit, je pense que le problème réside moins dans la grille indiciaire des AESH que dans la quotité de travail qui leur est proposée. Nous espérons donc que l’application de la loi Vial permettra d’augmenter le temps de travail de nombreux AESH. Surtout, il faut garder à l’esprit qu’obéir aux notifications des MDPH, l’une après l’autre, conduit à fractionner le travail des AESH entre plusieurs établissements, empêche d’anticiper leur formation et complique la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Nous devons pouvoir proposer aux AESH un emploi à temps plein, ce qui est difficilement compatible avec la course aux notifications. Je crois fermement que le travail mené par les pôles d’appui à la scolarité permettra d’anticiper les besoins, de mieux organiser l’activité des AESH au sein des équipes pédagogiques d’un établissement donné et d’augmenter ainsi leur quotité de travail.
C’est dans ce sens que nous devons travailler, au-delà des réflexions engagées depuis plusieurs mois avec les représentants de la profession pour améliorer la reconnaissance des acquis de l’expérience et les parcours professionnels des AESH.
M. le président
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC)
Je voudrais d’abord prendre un moment pour me réjouir du consensus qui nous réunit sur le sujet des AESH. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est urgent d’améliorer la situation des accompagnantes d’élèves en situation de handicap – ce sont majoritairement des femmes – et des assistantes d’éducation. Une telle convergence entre les différents groupes de notre assemblée est rare, il faut donc en profiter. Nous devons saisir toutes les occasions de nous unir et de travailler ensemble.
Madame la ministre, vous avez souligné la contradiction entre le système des notifications et les principes de gestion des personnels de l’éducation nationale. Elle doit nous conduire à dépasser l’approche quantitative pour adopter une approche qualitative : dans le cadre de la réforme envisagée, il convient aussi de travailler avec les MDPH sur la manière dont elles effectuent les notifications. Une évolution est nécessaire dans ce domaine. Nous recevons dans nos permanences non seulement des AESH, mais aussi de nombreux parents désespérés par la gestion des notifications. Pour réformer le statut des AESH, il est essentiel de prendre ce point en considération.
Par ailleurs, nous ne saurions attendre que la réforme du statut aboutisse pour résorber l’inégalité de traitement entre les AESH selon les territoires. Dans certains endroits, elles sont associées au travail des équipes pédagogiques ; dans d’autres, elles ne le sont pas. Dans certains cas, elles peuvent échanger avec les parents d’élèves ; dans d’autres, elles ne le peuvent pas. Il est urgent d’uniformiser leur situation et d’instaurer l’égalité entre toutes les AESH.
Enfin, la réforme ne doit pas laisser de côté les AED, qui luttent quotidiennement contre le harcèlement et pour l’intégration des élèves les plus en difficulté. Il faut réfléchir aussi à leur cas et travailler avec eux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. Corentin Le Fur applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je partage vos propos. Nous devons nous autoriser à remettre en question le mode de fonctionnement qui consiste à suivre les notifications au fil de l’eau. De nombreux élèves et parents doivent attendre plusieurs mois après la rentrée pour que la notification soit émise ; dans l’intervalle, l’élève va à l’école sans l’accompagnement dont il a besoin, voire n’y va pas du tout.
J’invite chacun des groupes parlementaires à participer aux évaluations que nous menons dans le cadre des PAS : elles doivent aboutir à un dispositif permettant d’anticiper les besoins dans chaque établissement. C’est dans l’intérêt des élèves et des parents comme dans celui des AESH, dont l’emploi du temps se trouve éclaté entre plusieurs établissements. Leur employeur, l’éducation nationale, doit être capable d’anticiper les besoins et de leur proposer une réelle formation avant leur prise de poste.
J’entends votre remarque relative à l’intégration variable des AESH au sein des équipes pédagogiques et des équipes de vie scolaire. Comme je le disais, l’école inclusive est l’affaire de tous, pas seulement celle des AESH ; c’est pourquoi j’ai demandé qu’une formation à la prise en charge des élèves en situation de handicap soit dispensée dans toutes les académies et dans tous les départements, ce qui devrait permettre d’intégrer pleinement les AESH dans les équipes pédagogiques.
Enfin, je partage votre opinion quant à l’importance du rôle des assistants d’éducation. Dans un contexte où la violence augmente au sein de la société et par conséquent dans les établissements scolaires, nous avons plus que jamais besoin des AED. Leur cadre d’emploi date de 2003 ; depuis cette date, le monde a bien changé, c’est pourquoi un travail est en cours pour faire évoluer ces dispositions.
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Bonnet.
Mme Sylvie Bonnet (DR)
Selon le panorama statistique des personnels de l’enseignement scolaire publié chaque année par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), la part des AESH au sein des personnels de l’éducation nationale est désormais de 10,8 %. Ils sont au nombre de 128 466 et représentent 81 164 ETP. Les AESH sont quasiment aussi nombreux que les professeurs de l’enseignement privé, premier degré et deuxième degré confondus.
Grâce à la loi du 16 décembre 2022, le nombre d’AESH disposant d’un CDI a triplé en un an. Toutefois, si le pourcentage des CDI est en hausse, celui des AESH à temps incomplet imposé par l’employeur, qui s’élève à 97,7 %, est resté dramatiquement stable. Pour l’immense majorité d’entre eux, ce temps incomplet entraîne un niveau très bas de rémunération : les AESH perçoivent en moyenne 900 euros net par mois, une somme inférieure au seuil de pauvreté.
À en croire le panorama statistique, les conditions de travail ne sont pas plus satisfaisantes. Seuls 21 % des AESH interrogés ont déclaré être satisfaits de leur niveau de rémunération, et 23 % de leurs perspectives de carrière. Enfin, le sentiment de valorisation du métier dans la société ne dépasse pas 24 %.
Ces données montrent malheureusement les insuffisances de la loi du 16 décembre 2022. En effet, la rémunération, les contrats et la reconnaissance ne sont pas au niveau des ambitions que nous devons avoir pour les AESH et pour les AED, qui se tiennent aux côtés des élèves en situation de handicap.
Les AESH de la Loire que j’ai rencontrés ces dernières semaines m’ont fait part de leurs difficultés à remplir leurs missions dans de bonnes conditions pour les enfants et pour eux-mêmes : fatigue, manque de formation, manque de reconnaissance envers les équipes enseignantes, incohérence des accompagnements mutualisés imposés par la MDPH. Dans un cours de physique-chimie, par exemple, comment pourrait-on reformuler et scripter pour quatre élèves en même temps ?
Madame la ministre, soutiendrez-vous la création d’un véritable statut pour les AESH, comme le proposent les députés de la Droite républicaine avec Corentin Le Fur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Les AESH avec lesquels j’ai échangé m’ont fait part des mêmes problèmes que ceux que vous avez rencontrés, madame la députée. Je mesure pleinement que la situation n’est pas satisfaisante. Il en est ainsi parce que les emplois du temps des AESH peuvent actuellement être éclatés entre plusieurs établissements et parce que nous sommes parfois amenés à recruter des AESH que nous n’avons pas eu le temps de former. Vous entendez sans doute comme moi, dans vos permanences, des parents qui attendent un AESH pour leur enfant. Si nous leur expliquons qu’il est parti en formation, vous imaginez bien que cela créera des difficultés.
Nous devons donc parvenir à un cadre d’emploi plus stable pour les AESH, en leur proposant des emplois à temps plein. Comme je l’ai dit, si un AESH peut exercer à temps plein, sa rémunération est de l’ordre de 1 614 euros net par mois. C’est nettement mieux que les 900 euros que touchent en moyenne les AESH qui travaillent, comme vous le savez, en moyenne à deux tiers de temps.
Avant de réfléchir à un statut de la fonction publique pour les AESH, la question qui nous est posée est celle de l’organisation globale de l’école inclusive, qui doit permettre de créer des emplois à temps plein, qualifiés, avec des perspectives professionnelles. Sur cette base, nous pourrons ensuite réfléchir au statut adéquat. C’est dans cet ordre-là qu’il faut aborder la question, en nous demandant comment passer du système de notifications au fil de l’eau des MDPH – dans lequel l’employeur, l’éducation nationale, court pour recruter des AESH alors que les parents attendent pendant de longs mois une accompagnante pour leur enfant – à une organisation qui permet l’anticipation des affectations et la formation de l’agent. Nous devons prioritairement travailler dans cette direction.
M. le président
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup (DR)
La loi du 16 décembre 2022 a créé une véritable dynamique en faveur de la transformation des contrats des AESH en CDI. Toutefois, cette dynamique se heurte à des limites importantes, notamment en ce qui concerne les conditions de travail. Le fait de modifier à chaque rentrée scolaire l’organisation de leur service, quant au lieu d’exercice, à l’emploi du temps, voire à la quotité de travail, remet en cause la stabilisation et la sécurisation des personnels qu’a permis le passage au CDI. Cette situation est préjudiciable tant pour les AESH que pour les enfants porteurs de handicap : alors qu’ils ont parfois été accompagnés pendant plusieurs années par la même AESH, qu’ils ont établi un lien de confiance avec elle tout à fait bénéfique, ils doivent s’adapter à quelqu’un d’autre. Où est l’intérêt de l’enfant ?
Les AESH sont également confrontés à la question épineuse de la quotité de travail – vous l’avez dit, madame la ministre –, qui correspond au temps scolaire et qui ne permet pas une rémunération effective suffisante : comme cela a été dit, beaucoup perçoivent entre 800 et 1 000 euros, soit un salaire qui ne permet pas de vivre décemment, alors qu’elles effectuent un travail remarquable et que, sans elles, il n’y a pas d’inclusion. Les temps de déplacement des AESH, du fait de la mutualisation dans le cadre des Pial, en particulier dans les territoires ruraux comme ma circonscription, sont souvent très importants. Or ils ne sont pas pris en compte, et même les indemnités kilométriques sont difficiles à obtenir.
Comme cela a également été souligné, la formation est essentielle, car l’AESH peut accompagner le matin un enfant porteur d’un handicap physique et l’après-midi un adolescent autiste. Très souvent, les soixante heures de formation initiale ne sont pas suivies ; elles ne le sont jamais avant la prise de poste.
Eu égard au rôle essentiel joué par les AESH, une meilleure reconnaissance de leur métier est indispensable. Nous devons leur conférer un véritable statut pour améliorer l’attractivité de leur métier et ainsi recruter les milliers d’AESH nécessaires pour répondre aux besoins des enfants porteurs de handicap. Nous sommes tous interpellés dans nos circonscriptions par des familles dont les enfants sont privés totalement ou partiellement d’AESH. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
Toutes les interventions dépassent le temps imparti, à savoir deux minutes. Je vous prie de bien vouloir garder un œil sur le chronomètre pour que nous puissions tenir ce débat dans les temps, car un second débat est prévu cet après-midi.
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Votre question rejoint la précédente. Nous ne devons pas avoir à choisir entre l’intérêt de l’enfant et la qualité de l’emploi que nous proposons aux AESH. Pourtant, nous nous trouvons actuellement dans une telle situation.
Certains d’entre vous ont évoqué le fait qu’une AESH peut voir son organisation et son emploi du temps bouleversés pour prendre en charge un enfant. En effet, il arrive qu’un enfant ait absolument besoin d’un accompagnement individuel, que la ressource ne soit pas disponible au sein de son établissement et que nous soyons amenés à demander à une AESH qui travaille dans le cadre d’un accompagnement collectif de venir prendre le relais pour éviter qu’il soit déscolarisé.
Pour répondre aux problèmes que vous avez évoqués et aux interpellations des parents d’élèves en situation de handicap et des AESH, nous devons réfléchir, avec les départements et les MDPH dont ils ont la charge, ainsi que les communes, à la façon dont on peut mieux organiser l’accompagnement des élèves en situation de handicap. C’est le sens des pôles d’appui à la scolarité que nous expérimentons actuellement pour anticiper l’accompagnement, au lieu d’attendre les notifications de la MDPH, et améliorer ainsi la prévisibilité pour les parents, les élèves et les AESH.
C’est dans ce sens que nous devons poursuivre la réflexion – je suis très preneuse des travaux que mène la commission sur le sujet – afin d’offrir à chaque élève un meilleur accompagnement et des perspectives professionnelles ainsi qu’un cadre de travail plus favorable aux AESH.
M. le président
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave (EcoS)
Aujourd’hui, je prends la parole pour celles et ceux qu’on ne voit pas, qu’on entend trop peu, mais sans qui l’école inclusive ne serait qu’un mensonge : les accompagnants des élèves en situation de handicap. Ils – ou plutôt elles – sont essentiels. Peut-on parler de justice sociale quand des femmes – car ce sont très souvent des femmes – doivent cumuler des emplois précaires pour survivre ? Moins de 1 200 euros par mois, des contrats à temps partiel, aucune reconnaissance, aucun avenir professionnel : voilà comment la République traite celles et ceux qui accompagnent nos enfants les plus vulnérables.
Madame la ministre, imaginez-vous passer une journée dans une école à Brétigny-sur-Orge à soutenir un enfant en détresse psychologique, un élève polyhandicapé, un adolescent autiste ? Considérez la patience, la douceur, l’énergie que cela exige… Imaginez-vous accomplir tout cela pour un salaire qui ne permet pas de vivre, devant le regard impuissant des enseignants ? Les AESH ne sont pas des variables d’ajustement, des aides que l’on sous-paie pour alléger la conscience de l’État, mais des éducateurs, des piliers de l’inclusion, des professionnels. Elles demandent simplement ce qui devrait être une évidence pour nous : un vrai statut, un salaire digne, des conditions de travail respectueuses.
Actuellement, 1 600 enfants de l’Essonne sont sans AESH ; ils attendent et souffrent avec leurs familles. Combien de temps continuera-t-on à leur dire qu’elles comptent moins que des économies budgétaires ? Quand on traite les AESH de cette façon, ce n’est pas seulement elles que l’on méprise, c’est l’ambition de l’école inclusive que l’on trahit.
Madame la ministre, ma question est simple : quand comptez-vous réformer le statut des AESH pour leur garantir un vrai contrat, une vraie reconnaissance et un vrai salaire ? Vous l’avez dit vous-même : l’inclusion ne doit pas être un slogan, mais un engagement, or un engagement, cela se prouve.
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Vous l’aurez compris, monsieur le député, nous ne parlons pas d’économies budgétaires alors que le budget consacré à l’école inclusive est passé de 2 milliards d’euros en 2017 à 4,5 milliards aujourd’hui. Si nous voulons avancer, accueillir effectivement dans les établissements scolaires tous les élèves en situation de handicap, y compris ceux qui sont actuellement en attente, et répondre à leurs besoins, il faut partir d’un diagnostic clair et établir les difficultés. Le système de notifications en continu, au fil des besoins, qui attribue des accompagnements selon des quotités représentant une fraction d’un emploi, entraîne de grandes difficultés et ne permet pas de construire des emplois de qualité, intégrés dans les équipes pédagogiques.
Il est donc nécessaire que nous réfléchissions tous ensemble. Et ce n’est pas seulement l’affaire de l’éducation nationale, mais aussi celle des MDPH et des départements qui en assurent la tutelle, ainsi que des mairies, car les élèves qui sont accompagnés dans leur scolarité ont aussi besoin d’un accompagnement dans le cadre périscolaire. C’est en travaillant tous ensemble, l’État, l’éducation nationale, la ministre en charge du handicap, les départements, les collectivités et les maires, que nous pourrons construire des emplois de qualité pour les AESH et un accompagnement de qualité pour les jeunes en situation de handicap.
Comme cela a été dit par Mme Hadizadeh, l’objectif consistant à améliorer la qualité d’accompagnement pour les élèves et celle de l’emploi pour les AESH peut tous nous rassembler. Travaillons-y conjointement.
M. le président
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin (EcoS)
Madame la ministre, j’écoute ce que vous dites sur les accompagnants et les accompagnantes d’enfants en situation de handicap : vous dites que vous allez « réfléchir », qu’il nous faut « réfléchir » à l’organisation du travail des AESH, que nous devons « poursuivre la réflexion sur leur salaire », mais cela fait des années, madame la ministre, que, sur vos bancs, vous réfléchissez ! Cela fait des années que nous menons des missions, que nous produisons des rapports – celui que j’ai rédigé, « Pour la reconnaissance des métiers du lien », ou celui de Sébastien Jumel, parmi d’autres.
Cela fait sept ans que vous faites de l’école inclusive low cost, à bas coût, une école qui engendre une grande souffrance pour les enfants, qui ne sont pas suivis ou mal suivis, pour les parents, qui attendent, pour les enseignants, qui se débrouillent comme ils peuvent dans leur classe, et bien sûr pour les AESH elles-mêmes.
Évidemment, avec un salaire de 800 euros en moyenne, on est sous le seuil de pauvreté, mais surtout le sens du métier est cassé. « On n’accompagne pas dans la durée », me dit Valérie, « en voyant les élèves progresser ». On fait du « saute-mouton » : « on saute d’un élève à l’autre, d’une classe à l’autre, d’un établissement à l’autre. »
Que se passe-t-il ? Il y a trop d’élèves avec des dys – dysgraphies, dyslexies –, troubles de l’autisme, qui affluent dans les écoles. Quelles solutions avez-vous trouvées ? Alliez-vous garantir aux accompagnantes, pour les attirer, un salaire, des horaires, une carrière ? Non, vous avez décidé de leur faire suivre non plus un ou deux enfants, mais quatre, cinq, six, sept, jusqu’à onze enfants ! Vous avez explosé les emplois du temps des AESH. Vous avez rebaptisé ce saucissonnage d’un noble nom : « mutualisation ». Ça faisait solidaire, progressiste, mais c’est bidon. C’est juste une politique du chiffre, une politique d’affichage. Cette mutualisation n’est pas seulement un échec, mais une maltraitance de tout le monde.
Alors, quel bilan tirez-vous des Pial et de la mutualisation ? Quand vous déciderez-vous à mettre les milliards indispensables pour sortir du bricolage, du bidouillage, et pour faire des AESH un vrai métier ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Ce débat mérite mieux que des caricatures. Alors que le nombre d’élèves accompagnés est passé de 150 000 en 2005 à 520 000 en 2025, que le budget est passé de 2 milliards en 2017 à 4,5 milliards cette année, que nous avons augmenté de 40 % la rémunération des AESH – je ne prétends pas qu’une rémunération de 1 600 euros net par mois, à deux tiers de temps, est satisfaisante –, nous pouvons dire que nous avons progressé en matière d’école inclusive et que nous ne sommes pas simplement en train de lancer des groupes de réflexion, comme vous le laissez entendre.
Certains peuvent laisser penser qu’il y a des réponses magiques, qu’on s’y prend vraiment très mal à l’éducation nationale, qu’il est très simple de réagir à des notifications qui tombent au fil de l’eau et de prendre en charge en urgence des élèves en difficulté qui, sinon, ne pourraient pas être scolarisés.
M. François Ruffin
Quel bilan tirez-vous des Pial et de la mutualisation ? C’est ça, ma question !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
On peut aussi reconnaître que le problème est compliqué, qu’il implique l’éducation nationale, les départements à travers les MDPH et les maires, avec qui nous devons bâtir des solutions. C’est par un travail collectif et transpartisan, comme cela a été fait à l’époque par Mme la députée Victory, que nous pourrons avancer et apporter de vraies réponses à nos jeunes, ainsi qu’aux AESH.
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Mandon.
M. Emmanuel Mandon (Dem)
Ce débat arrive alors que nous nous trouvons à la croisée des chemins et où nous devons faire des choix pour garantir l’effectivité d’une école inclusive.
Nous soutenons tous les objectifs très ambitieux et humanistes de la loi de 2005, dont nous célébrons actuellement les 20 ans. Ce texte a permis d’esquisser le cadre législatif qui garantit aux élèves en situation de handicap leur scolarisation et leur accompagnement en milieu ordinaire.
Les chiffres actuels montrent qu’en vingt ans, le nombre d’enfants intégrés au dispositif a augmenté de 220 %, ce qui a logiquement entraîné une augmentation des effectifs d’AESH de plus de 50 %. Ces derniers forment désormais le second métier de l’éducation nationale. Si les chiffres, évidemment positifs, montrent qu’il y a bien une dynamique, le sujet reste sérieux et complexe. Madame la ministre, de manière très objective, vous avez reconnu le chemin qu’il reste à parcourir et les problèmes qui se posent dans nos territoires, notamment en matière de recrutement.
Nous voulons tous améliorer la prise en charge des élèves et la réponse à leurs besoins, lutter contre les ruptures de parcours et apporter des réponses plus rapides. Nous souhaitons également nous répondre aux attentes des AESH, en termes de rémunération, de formation initiale et continue…
Je rejoins également tout ce qui a été dit cet après-midi en faveur d’emplois de qualité, car de nombreux témoignages de terrain nous reviennent. Dans mon département de la Loire, au sein de l’académie de Lyon, pourtant bien organisée et bienveillante à l’égard de l’école inclusive, je constate que les conditions de travail sont dégradées et que trop d’agents sont envoyés dans des établissements différents.
Ma question est simple : alors qu’il est question de remplacer les Pial par des pôles d’appui à la scolarité, pourriez-vous nous en dire davantage sur la généralisation de ce dispositif, qui permettra d’entrer dans l’acte II de l’école inclusive ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Nous visons une généralisation des pôles d’appui à la scolarité, sous réserve de l’évaluation du dispositif. Cette démarche me semble bonne qui consiste à expérimenter une mesure, à l’évaluer et, le cas échéant, à l’adapter, avant de la généraliser si les résultats sont convaincants.
Les pôles d’appui à la scolarité sont expérimentés depuis la rentrée dernière. Les enseignants spécialisés – je voudrais rendre hommage à leur travail, car ils sont capables de déployer une pédagogie adaptée à chaque élève – sont entourés par des acteurs et des professionnels du médico-social qui effectuent une évaluation « à 360 degrés » du jeune en situation de handicap. Ils peuvent intervenir, sur sollicitation d’un établissement, pour définir les bonnes modalités d’accompagnement du jeune en situation de handicap – matériel pédagogique, pédagogie adaptée ou sollicitation d’une AESH. Finalement, on n’a pas besoin d’une notification de la MDPH pour bénéficier d’un accompagnement par une AESH. Plus on anticipera ce besoin d’accompagnement, plus on pourra recruter à temps les AESH, prendre le temps de les former et, ainsi, offrir de bonnes conditions de travail et d’accompagnement à nos jeunes.
Il faut que l’évaluation du dispositif soit menée, et que nous puissions ensuite partager ses conclusions. Je pense cependant que c’est en favorisant cette organisation qui anticipe, qui porte un regard pluridisciplinaire sur les difficultés rencontrées par les jeunes et qui propose un accompagnement global, que nous répondrons à l’exigence de l’école pour tous.
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Mandon pour une seconde question.
M. Emmanuel Mandon (Dem)
Je ne développerai pas cette seconde question, car Mme la ministre l’a anticipée et y a déjà bien répondu. Permettez-moi seulement de dire que nous nous inscrirons dans cette démarche pragmatique, qui suit l’évolution des enjeux éducatifs – Dieu merci, nous avons progressé.
La recherche d’autonomie, qui était l’objectif de la loi, a abouti à de très belles réussites. Lorsque c’était possible – et c’est ce qui se passe généralement – elle a permis à l’élève de progresser. Saluons aussi le travail des professionnels, quels qu’ils soient, qui ont permis de dégager de belles perspectives. Nous souhaitons que les parlementaires puissent être associés à ce travail transpartisan, notamment sur le terrain et, peut-être, dans le cadre de nos académies.
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je vous confirme que je souhaite naturellement que la représentation nationale soit associée à ces évaluations.
M. le président
La parole est à M. François Gernigon.
M. François Gernigon (HOR)
Avec 140 000 professionnels mobilisés, les accompagnants d’élèves en situation de handicap constituent désormais le deuxième métier de l’éducation nationale. Leur rôle est essentiel pour garantir l’inclusion des élèves en situation de handicap. D’importantes avancées ont été réalisées ces dernières années, notamment grâce à la loi du 16 décembre 2022, qui a permis aux AESH d’accéder à un CDI après trois années d’activité.
Plus récemment, la loi du 27 mai 2024 et le décret du 14 février 2025 ont simplifié leur cadre administratif, en confiant à l’État la gestion de leur rémunération pendant la pause méridienne. Malgré ces progrès, l’accès à un temps plein reste un enjeu crucial. La durée de travail de la plupart des AESH est encore limitée à des temps partiels contraints, souvent inférieurs à vingt-quatre heures hebdomadaires, ce qui pèse sur leur rémunération et leur stabilité. En parallèle, leur emploi du temps fragmenté, réparti sur plusieurs établissements, génère des heures perdues en déplacement et un manque de reconnaissance du travail accompli.
Ce constat est partagé des enseignants aux familles, qui soulignent l’impact de ces conditions sur la continuité de l’accompagnement des élèves, ainsi que sur la difficulté à recruter et à fidéliser les AESH expérimentés. Comment pouvons-nous désormais aller plus loin ? Envisagez-vous des mesures pour faciliter l’accès à un temps plein, notamment par une meilleure organisation du temps de travail, et – pourquoi pas – par la prise en charge de l’intégralité du temps périscolaire ? Cela permettrait aux parents de préserver leur temps de travail.
En outre, la formation des AESH est un enjeu essentiel. Ces professionnels accompagnent des élèves aux besoins très variés, parfois en situation de polyhandicap ou avec des troubles du spectre autistique. Comment pourrait-on renforcer la formation continue, afin de garantir une prise en charge adaptée et efficace ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Votre question rejoint les précédentes. Je vois comme vous des situations qui peuvent paraître ubuesques, comme deux AESH exerçant chacune deux mi-temps dans deux établissements qui peuvent se croiser sur la route en milieu de journée pour intervertir leur lieu de travail. On voit très bien qu’il y a des marges de progrès pour éviter de multiplier le nombre d’élèves accompagnés par chaque AESH et les lieux de prise en charge des jeunes en situation de handicap. Il y a donc une réflexion à mener.
C’est le sens de l’expérimentation engagée grâce aux pôles d’appui à la scolarité, afin que l’emploi du temps des AESH ne soit pas défini par des notifications qui viennent au fil de l’eau et qui les empêchent bien souvent, parce que tout se fait dans l’urgence, de bénéficier des soixante heures de formation prévues en amont de la prise de poste.
Votre question renvoie à la réflexion que nous devons mener collectivement à partir des réalités territoriales afin de construire une organisation qui permette d’anticiper les besoins, d’instaurer un accompagnement global pour les jeunes et de délivrer des formations en amont de la prise de fonctions et tout au long du parcours professionnel des AESH, compte tenu de la diversité des situations de handicap qu’elles sont amenées à prendre en charge. Ce travail est en cours, parallèlement à la réflexion engagée sur les parcours professionnels de nos AESH.
Je tiens à rendre hommage au travail engagé par Mme la ministre Genetet, que je vois désormais siégeant parmi vous. Nous essayerons d’en tirer le meilleur profit.
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin (LIOT)
La loi du 16 décembre 2022 a permis aux accompagnants d’élèves en situation de handicap de conclure un contrat à durée indéterminée après trois ans d’exercice et aux assistants d’éducation après six ans d’exercice. Par ailleurs, ils ont bénéficié récemment d’une légère revalorisation de leur rémunération.
En plus de la question de la pérennité de l’emploi se pose celle de l’augmentation du temps de travail, afin d’atteindre un niveau de rémunération décent. L’État a créé une indemnité de fonction de 1 529 euros brut par an, pour une AESH exerçant à temps complet. Combien d’heures par semaine représente un temps complet pour une AESH ? Combien d’entre elles travaillent à temps complet ? Elles sont en général à 62 % du temps de travail, ce qui signifie un salaire inférieur à 1 000 euros par mois.
Que ce soit en Guadeloupe ou dans les autres territoires ultramarins frappés par la vie chère, où les produits de première nécessité sont 30 à 40 % plus coûteux que dans l’Hexagone, comment une personne peut-elle vivre et faire vivre sa famille, avec un salaire inférieur à 800 ou 900 euros par mois ? Peut-on augmenter le temps de travail ? S’il s’agit du facteur bloquant, peut-on détacher, au moins partiellement, le temps de travail du montant de leur rémunération ?
Il y a aujourd’hui plus de 520 000 élèves en situation de handicap pour 140 000 AESH. Si l’on veut que chaque élève bénéficie d’un accompagnement adapté et personnalisé, il faut rendre la profession plus attractive. Il est donc indispensable que les AESH et les assistants d’éducation reçoivent un salaire décent, à la fois digne et attractif.
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Votre question rejoint les précédentes. Je ne me satisfais pas plus que vous de voir des AESH toucher 62 % d’un salaire qui pourrait apparaître suffisant, mais qui ne l’est pas. C’était le sens des réflexions qui avaient conduit à la loi Vial relative à la possibilité, pour les AESH qui le souhaitaient, de prendre en charge les élèves pendant la pause méridienne. Nous devons réfléchir à la manière d’augmenter leur temps de travail.
Concernant cette pause, les chiffres ne sont pas encore définitivement établis : ils semblent un peu plus élevés que nous ne l’avions prévu. Cela ne constituera toutefois pas une solution satisfaisante pour l’ensemble des AESH, d’une part parce que la prescription d’un accompagnement durant le temps scolaire ne couvre pas toujours la pause méridienne, d’autre part parce que certains AESH ont eux-mêmes des enfants et ne souhaitent pas travailler à ce moment de la journée. Il convient donc de continuer de réfléchir à la manière d’éviter le fractionnement, a fortiori entre plusieurs établissements, de leur emploi du temps, ainsi qu’à celle d’articuler la prise en charge du jeune lors du temps scolaire et celle qui a lieu en dehors, par exemple lors des activités périscolaires.
J’ai évoqué le fait que cette réflexion incombait à l’État, notamment au ministère de l’éducation nationale et au ministère chargé des personnes handicapées ; doivent également s’impliquer les collectivités locales, au premier rang desquelles les communes et départements, puisque ces derniers ont la responsabilité des MDPH. C’est à ce travail collectif que nous devons tous nous consacrer.
M. Emmanuel Mandon
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen (LIOT)
Dans les établissements du second degré des Vosges, en 2020, nous comptions 1 373 élèves accompagnés par des AESH. En 2024, ils étaient 1 887, soit 514 élèves accompagnés supplémentaires en quatre ans. En 2020, 54 AESH supplémentaires étaient recrutées dans le département, puis 30 en 2023 : au total, à la rentrée 2024, elles étaient 797 pour s’occuper de 1 887 élèves, soit un ratio de 2,36 élèves par AESH.
À mesure que les années passent, nous constatons tous et toutes, dans tout le territoire, une forte hausse du nombre des jeunes concernés ; les recrutements, eux, n’augmentent pas autant qu’ils le devraient pour couvrir ces besoins et assurer un accompagnement correct. Nombreux sont les parents qui viennent nous voir afin de déplorer cette situation, et de réclamer un recrutement massif et rapide d’accompagnants.
En réalité, le problème ne se réduit pas au manque de personnel : même s’il convient de saluer des avancées, le métier d’AESH, comme l’ont rappelé nos collègues, reste financièrement précaire, avec une rémunération très généralement inférieure au seuil de pauvreté. En vue de recruter davantage, ainsi que de pérenniser ces recrutements, une revalorisation des grilles salariales serait indispensable, d’autant qu’elle s’inscrirait dans une démarche de reconnaissance du dévouement dont ces accompagnants font preuve à l’égard de nos enfants. De même, il importe de faire évoluer leurs contrats vers le temps plein, bien plus cohérent si l’on considère leurs missions actuelles.
Que comptez-vous faire pour permettre une meilleure prise en charge des élèves tout en tenant compte de la nécessité d’améliorer le statut, les conditions de travail, la rémunération des AESH ? Quelle est la prochaine étape du gouvernement ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Votre question rejoint celles précédemment posées. Il est exact, comme je l’évoquais tout à l’heure, que le nombre des jeunes en situation de handicap que nous devons prendre en charge s’accroît. Nous sommes passés, pour cet accueil en milieu scolaire, de 150 000 jeunes en 2005 à 520 000 jeunes aujourd’hui, établissements médico-sociaux inclus. C’est évidemment une bonne chose, signifiant à la fois que l’on repère mieux les situations de handicap et qu’accèdent à la scolarité des jeunes qui en auraient été privés naguère. Nous souhaitons que cela se fasse pour un maximum de jeunes au sein des établissements scolaires, ou le cas échéant, lorsque la situation le nécessite, dans les établissements médico-sociaux. Le nombre des AESH, je le répète, a également crû : 70 % des jeunes concernés bénéficient d’un accompagnement individuel ou collectif, selon les notifications des MDPH.
Votre département, monsieur le député, est au nombre des territoires dans lesquels nous rencontrons de vraies difficultés de recrutement. Ce métier connaît un problème d’attractivité : nous avons évoqué la façon d’améliorer la qualité des emplois, le temps de travail, et d’offrir de véritables perspectives d’évolution professionnelle. Tel est le sens du travail effectué au sein du ministère, mais auquel, encore une fois, j’invite chacun à contribuer, en particulier les maires et les conseils départementaux qui gèrent notamment les MDPH.
M. le président
La parole est à Mme Émeline K/Bidi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR)
Madame la ministre, je me permets de vous interpeller plus particulièrement au sujet de La Réunion. En dépit de la loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des AESH, la profession compte toujours une majorité de femmes et reste marquée par la précarité, les temps partiels et les bas salaires. La note diffusée à l’occasion de ce débat fait état d’une évolution positive, que l’on ne peut nier ; mais à La Réunion, et plus largement outre-mer, les besoins sont particulièrement importants.
Les parents et les enfants attendent quelquefois plus d’un an une décision. Parfois, lorsque la notification est faite, le même délai s’écoule encore avant qu’un ou qu’une AESH n’intervienne vraiment – souvent sans couvrir le nombre d’heures initialement prévu. Parents et professionnels se plaignent de dysfonctionnements fréquemment dus aux nouveaux Pial : mutualisations à outrance, affectations dans plusieurs établissements – primaire et secondaire confondus, avec des enfants souffrant de pathologies très diverses –, manque de spécialisation, de formation, sans parler des problèmes de prise en charge durant la pause méridienne. Des AESH m’ont raconté avoir dû se former sur leurs deniers personnels afin de s’occuper de certains élèves ; d’autres, à la demande de professeurs démunis, les prennent en charge, dès lors que le besoin a été identifié, sans attendre la décision de la MDPH !
Madame la ministre, vous devez relever un double défi : garantir aux enfants handicapés une école inclusive et un accompagnement de qualité, assurer aux AESH des conditions de travail dignes, les deux n’étant nullement incompatibles. Quelles mesures entendez-vous prendre pour réussir ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Vous avez bien résumé notre défi : répondre au plus vite aux besoins des élèves, des familles, et en même temps développer une capacité d’anticipation telle que nous puissions offrir aux accompagnants – lesquels, vous l’avez dit, sont souvent des accompagnantes – des emplois de qualité.
Sur le chemin de l’école pour tous, nous en sommes arrivés à une étape qui mérite que l’on réfléchisse à une organisation permettant d’éviter les situations que vous avez décrites, en d’autres termes la souffrance, l’angoisse des intéressés qui attendent la réponse de la MDPH au-delà du délai normal – dans les trois mois, selon la règle, mais dans beaucoup de départements, c’est en effet loin d’être le cas.
Tel est le sens des PAS : absolument rien n’impose à l’éducation nationale, qui dispose de la capacité d’évaluer les besoins, d’attendre la notification de la MDPH pour entamer un accompagnement et apporter une réponse à un jeune. C’est en ce sens que je souhaite avancer dans le cadre de l’élargissement de l’expérimentation. J’espère que l’académie de La Réunion sera, comme je le crois, de celles dans lesquelles nous créerons un PAS à partir de la prochaine rentrée : cela nous permettra de vérifier ensemble que cette nouvelle organisation correspond bien au double défi que vous avez mentionné.
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR)
Vous nous dites, madame la ministre, qu’il ne faut pas parler d’économies budgétaires, que vous avez accru les moyens. Je ne le nie pas ; reste que la question n’est pas de savoir si vous les avez augmentés, mais s’ils sont suffisants et adaptés. Force est de constater que ce n’est pas le cas.
Nombre de postes d’AESH, nous le disons depuis le début de cette discussion, ne sont pas pourvus, faute de candidats ; or ces vacances de postes sont souvent dues au fait que l’inspecteur d’académie a épuisé le potentiel budgétaire dont il dispose. Ainsi, à Neuilly-le-Réal, commune rurale de ma circonscription, Ilan, âgé de 9 ans, ne fera peut-être pas sa rentrée lundi prochain : son AESH est en arrêt maladie. Le maire, les agents municipaux, sont fortement mobilisés ; les parents veulent bien sûr le meilleur pour leur enfant ; la grande absente reste l’éducation nationale, qui nous répond ne pouvoir recruter de remplaçant. Au mieux, il serait possible de déplacer des moyens, c’est-à-dire d’en priver un autre enfant : vous conviendrez que ce n’est pas là une solution satisfaisante.
Pourtant, le 7 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes enjoignait au recteur de l’académie, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d’assurer le remplacement d’une AESH dont le congé maladie avait entraîné la déscolarisation d’un élève de 7 ans. Cette décision de justice rappelle que l’éducation nationale a l’obligation de pourvoir à de tels remplacements.
Alors que le nombre des accompagnants notifiés croît plus vite que celui des postes, le gouvernement se révèle incapable de prendre de toute urgence les mesures qui permettraient d’accroître concrètement l’attractivité du métier : rappelons que le salaire moyen net s’y élève à 800 euros, que nombre de ces professionnels, essentiels à l’école inclusive, ne parviennent à boucler leurs fins de mois qu’en cumulant plusieurs emplois.
Allez-vous enfin entendre leurs revendications, celles des familles, et doter l’école inclusive de moyens suffisants et adaptés ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je peux vous assurer que nous n’essayons pas de faire des économies sur l’école inclusive. Au moment de prévoir les créations de postes pour la rentrée 2025, nous avons essayé d’anticiper les notifications. Il faut admettre qu’en la matière, nous avons parfois des surprises – des hausses de 15 %, de 20 %, dans certains départements, contre 4 % dans d’autres qui ne partaient pas de beaucoup plus bas, ce qui nous amène à nous interroger au sujet de l’homogénéité du système. Il n’est pas évident de pourvoir des postes en vue de répondre à des besoins aussi imprévisibles !
C’est pourquoi j’ai répondu à votre collègue députée de La Réunion que l’on ne peut continuer, si j’ose dire, à courir derrière les divers cas de figure qui se présentent. Vous avez insisté sur les remplacements : je veux bien que chacun se mette à nous rappeler cette exigence en formant des recours, mais je suis parfaitement consciente de ce que représente l’absence d’un enseignant devant les élèves, d’un AESH auprès d’un jeune handicapé. Si nous connaissons des difficultés de recrutement, je ne suis pas persuadée que les astreintes nous faciliteront la tâche. Essayons donc ensemble de trouver des solutions, dans l’intérêt aussi bien des jeunes concernés que des personnels de l’éducation nationale.
M. le président
La parole est à Mme Angélique Ranc.
Mme Angélique Ranc (RN)
Depuis longtemps déjà, les accompagnants d’élèves en situation de handicap souffrent d’un statut précaire. Si la loi du 16 décembre 2022 a cherché à améliorer leurs conditions de recrutement, elle n’est pas parvenue pour autant à leur rendre justice. C’est pourquoi je souhaite revenir sur plusieurs points qui affectent les conditions de vie des AESH et l’attractivité de cette profession.
Le premier concerne l’immobilité professionnelle de ces agents. En effet, lorsqu’une AESH change de secteur géographique, son contrat n’est pas forcément reconduit à l’identique ni avec la même quotité horaire. Devant le risque d’une rémunération revue à la baisse en cas de changement de département, nombre d’entre elles préfèrent alors conserver leur travail et se retrouvent victimes d’une véritable paralysie géographique.
Le deuxième point a trait à leurs congés, qui ne leur sont pas toujours accordés. Conformément à la loi, une AESH a normalement droit à deux jours de fractionnement, c’est-à-dire à deux jours de congé supplémentaires. Or, dans les faits, les employeurs ne les leur accordent pas toujours et préfèrent déduire ces deux jours supplémentaires des obligations de service hebdomadaire ou des heures connexes. En principe, le droit au fractionnement est encadré par plusieurs décrets. Toutefois, ses modalités d’application peuvent être précisées par des circulaires et des accords locaux, qui varient en fonction des académies et des établissements. C’est pourquoi il serait nécessaire d’encadrer ce droit, afin qu’il soit effectif pour toutes les AESH, quel que soit l’académie ou l’établissement dans lequel elles travaillent.
Enfin, le troisième point concerne leur rémunération. En effet, les AESH sont rémunérées sur la base de 62 % d’un temps plein : pour vingt-quatre heures hebdomadaires, cela correspond à une rémunération mensuelle d’environ 840 euros net. Vous conviendrez que cette somme est largement insuffisante pour vivre. Nombre d’entre elles sont donc contraintes d’exercer un travail supplémentaire ou de se reposer sur le salaire de leur conjoint, voire de changer de carrière afin de ne plus subir des conditions de vie aussi misérables.
Ces trois points contribuent fortement à rendre la profession peu attractive. C’est pourquoi j’ai souhaité vous interpeller : quels leviers comptez-vous utiliser afin de régler les problèmes d’immobilité géographique, de jours fractionnés et de rémunération ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je vous remercie, madame la députée, de rejoindre notre débat. Il y a manifestement un petit problème de compréhension : les AESH ne sont pas rémunérées sur la base de 62 % ! Il se trouve que leur temps de travail est, en moyenne, de 62 %, mais elles sont bien sûr rémunérées en fonction du temps durant lequel elles travaillent.
Comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer avec vos collègues, le débat porte précisément sur la manière d’améliorer notre organisation, afin de permettre aux AESH d’avoir des emplois du temps plus adaptés et de bénéficier de quotités de travail plus importantes, avec des affectations moins éclatées sur le territoire, au sein d’un nombre limité d’établissements : cela permettra de réduire leurs temps de déplacement et de leur proposer des emplois de meilleure qualité. C’est tout le défi que nous essayons de relever. Cela passe notamment par ce que j’évoquais avec vos collègues, à savoir l’anticipation des besoins, grâce aux pôles d’appui à la scolarité.
En ce qui concerne l’hypothèse que vous avez mentionnée d’une baisse du temps de travail liée à un changement d’affectation, je suis preneuse d’éléments, si vous en avez. Le contrat de travail stipule un temps de travail défini, c’est-à-dire un nombre d’heures ; il ne peut pas être modifié sans l’accord de l’AESH. Je vous invite donc à me transmettre les éléments dont vous disposez, pour que je m’efforce d’y répondre. Autant l’organisation du travail peut être amenée à évoluer en fonction des besoins des jeunes dont une AESH s’occupe, autant le volume horaire de travail, lui, ne devrait pas changer.
M. le président
La parole est à Mme Anne Sicard.
Mme Anne Sicard (RN)
L’application de la loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation reste le véritable défi à relever pour garantir un accompagnement éducatif de qualité. Ces accompagnants sont encore trop souvent confrontés à des contrats précaires, à des bas salaires et à une absence de perspective d’évolution de carrière. Pourtant, ces professionnels jouent un rôle crucial dans l’inclusion scolaire, souvent sous-estimé, et le manque de personnel qualifié reste un problème.
Pour répondre aux besoins croissants des élèves en situation de handicap, il faut recruter davantage et mieux, même si la situation s’est améliorée entre 2022 et 2025. Pour cela, il faut en finir avec la précarité des contrats à durée déterminée et les temps partiels. Si la loi de 2022 vise effectivement à promouvoir les contrats à durée indéterminée, il faudrait raccourcir les délais pour y accéder : obtenir un CDI après une première période de trois ans s’agissant des AESH et de six ans s’agissant des AED, c’est trop long ! Sans perspective d’évolution de carrière digne de ce nom et sans augmentation des salaires, ces métiers n’attireront pas.
Par ailleurs, si l’on ajoute à la précarité de ces accompagnants scolaires les conséquences alarmantes de la diminution des ressources allouées au handicap par les collectivités, en raison de la forte augmentation des tarifs horaires de la prestation de compensation du handicap (PCH), il ne fait décidément pas bon être en situation de handicap sous l’ère Macron !
Antoine de Saint-Exupéry disait : « Si tu diffères de moi, […], loin de me léser, tu m’enrichis. » Telle pourrait être la devise des accompagnants. Toutefois, que fait l’État pour aider efficacement à l’accompagnement des plus faibles ? Aussi, afin de garantir l’application et la pérennité de la loi du 16 décembre 2022, êtes-vous prête, madame la ministre, à renforcer le statut des AESH et des AED par une cédéisation plus rapide, en accordant les financements nécessaires ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Vous ne serez pas surprise si je vous dis que je ne partage pas votre point de vue. Depuis 2017 et le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, nous sommes passés de 320 000 enfants en situation de handicap accueillis dans les établissements scolaires à 520 000. C’est donc un réel progrès pour les jeunes concernés et leurs familles. Vous connaissez sans doute, comme moi, des parents qui sont dans l’angoisse de ne pas pouvoir scolariser leur enfant : passer de 320 000 enfants accueillis à 520 000 constitue, je le répète, une avancée considérable.
Certes, nous n’avons pas parcouru la totalité du chemin et il faut aller plus loin encore. Nous y travaillons, main dans la main, avec Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre chargée de l’autonomie et du handicap. Il faudrait certainement assurer davantage la prise en charge des élèves en situation de handicap, y compris, pour certains d’entre eux, dans des établissements médico-sociaux. On estime à 30 000 le nombre d’élèves actuellement accueillis dans les établissements de l’éducation nationale qui pourraient relever du médico-social. Nous devons donc certainement pouvoir aller plus loin.
En ce qui concerne les moyens consacrés à l’école inclusive, c’est-à-dire l’école pour tous, nous sommes passés de 2 à 4,5 milliards d’euros – je l’ai répété à plusieurs reprises, mais vous n’étiez pas là. Je peux donc vous assurer que le gouvernement partage cette préoccupation, que le président de la République soutient depuis 2017. Nous y consacrons les moyens nécessaires et déployons toute l’énergie possible pour améliorer la situation des AESH. Permettez-moi de rendre de nouveau hommage à la députée Michèle Victory, rapporteure de la proposition de loi à l’origine de la loi de décembre 2022, qui nous a permis d’avancer sur ces sujets. Je n’affirme pas que nous sommes parvenus au bout du chemin ; néanmoins, nous avons largement progressé.
M. le président
La parole est à Mme Anne Genetet.
Mme Anne Genetet (EPR)
Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir rappelé tout ce qui a déjà été réalisé en matière d’accompagnement des élèves en situation de handicap. J’ai d’ailleurs une pensée pour toutes les familles qui ambitionnent d’amener leurs enfants au plus haut niveau, ainsi que pour les enfants qui sont porteurs d’un handicap invisible – c’est parfois difficile à vivre et l’on ne s’en rend pas toujours compte. Vous venez de rappeler les moyens qui ont été déployés et je souhaite insister sur la revalorisation de ces métiers difficiles mais tellement importants pour nos jeunes et l’avenir de notre pays.
Ma question porte sur l’attractivité du métier d’AESH. Nous savons qu’il est difficile de trouver des personnels, pour les différentes raisons qui ont été évoquées au cours de ce débat. C’est pourquoi nous pourrions réfléchir à des pistes d’amélioration, afin de leur permettre de compléter leur activité au sein des établissements scolaires, de diversifier leurs compétences ou encore de développer leur formation initiale et continue. Ainsi, les AESH pourraient compléter leur formation en assumant également des fonctions d’assistant d’éducation – il me semble que cela a été évoqué partiellement –, ou en accompagnant la réussite scolaire pour des missions plus ponctuelles.
Par ailleurs, en matière d’avancement de carrière, ne pourrait-on pas valoriser davantage leurs acquis de l’expérience, afin de leur permettre d’accéder à des concours pour devenir enseignant ou conseiller principal d’éducation ou postuler à certains métiers du soin – je pense aux métiers d’aide-soignant ou d’auxiliaire de puériculture ? L’éducation nationale, qui est déjà forte de plus de 134 000 AESH, pourrait ainsi leur proposer l’évolution de carrière à laquelle ces personnels peuvent prétendre, grâce à l’expérience acquise.
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Vous connaissez parfaitement, chère Anne Genetet, le travail qui a été engagé, avec l’ambition d’offrir aux AESH, dans la continuité de la proposition de loi de Mme Victory, un temps de travail le plus complet possible, tout en revalorisant leur rémunération. Je le répète : depuis 2017, la rémunération des AESH a été revalorisée de plus de 40 %. Nous partageons donc tous la préoccupation d’améliorer la situation et l’attractivité de ce métier.
L’accès à un temps plein et, dans la mesure du possible, au sein d’un même établissement constitue un enjeu très important. Nous devons faire en sorte que les AESH, qui interviennent parfois dans plusieurs établissements – parce que les notifications des MDPH y ont conduit – et subissent des temps de trajet parfois longs, puissent sortir de situations difficiles à vivre. Je l’ai rappelé tout à l’heure : il existe des situations assez ubuesques, dans lesquelles des AESH se croisent sur la route pour intervenir chacune le même jour dans deux établissements identiques. Il faut donc œuvrer, avant tout, à mieux structurer leur temps de travail. Ensuite, il faudra sans doute réfléchir à d’autres pistes de missions qu’elles seraient à même de remplir, afin d’être en mesure de proposer un temps complet à toutes celles qui le souhaitent et de sortir des temps partiels subis, qui sont trop fréquents dans cette profession.
Enfin, je partage vos propos quant à une meilleure reconnaissance des acquis de l’expérience – cela fait partie des travaux en cours. Je crois beaucoup, de façon générale, à la validation des acquis de l’expérience, dont il serait nécessaire de faire bénéficier les AESH, afin de leur permettre de poursuivre leur vie professionnelle vers d’autres métiers, notamment du médico-social, pour lesquels elles disposeront certainement de toutes les compétences.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Sorre.
M. Bertrand Sorre (EPR)
Les accompagnants d’élèves en situation de handicap jouent un rôle essentiel dans la vie des établissements scolaires et je tiens à saluer, à mon tour, leur professionnalisme et leur engagement indéfectible. Étant moi-même un ancien professeur des écoles en Segpa, je peux témoigner de leur engagement au quotidien et de l’importance de leur action.
La loi du 16 décembre 2022 a apporté des avancées significatives pour les AESH, notamment avec la hausse très importante du nombre de personnels bénéficiant d’un CDI. Nous partions de tellement loin – vous l’avez souligné, madame la ministre. Je tiens à saluer l’engagement du président de la République depuis 2017, ainsi que des gouvernements successifs.
Par ailleurs, la rémunération des personnels a été revalorisée. À cette augmentation s’ajoute une indemnité de fonction, ainsi qu’une prime de 10 % pour les AESH référents. L’État a également pris en charge la pause méridienne, jusqu’alors financée par les collectivités territoriales, permettant ainsi aux AESH d’accéder, et c’est une nouveauté, aux prestations sociales de l’éducation nationale.
Cependant, malgré ces avancées notables, malgré les 2 000 postes supplémentaires inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2025, la précarité demeure une réalité pour une partie d’entre eux. En effet, leur revenu net mensuel reste souvent inférieur au seuil de pauvreté. Cette situation est principalement due à la quotité de travail, directement liée au rythme scolaire, ce qui empêche de percevoir une rémunération suffisante.
En outre, de nombreux AESH déplorent un manque de formation initiale et continue tout au long de leur carrière, alors que celle-ci est essentielle pour s’adapter aux évolutions du métier et aux besoins, toujours différents, de chaque élève. C’est pourquoi, madame la ministre, au-delà des mesures de rémunération que vous entendez prendre, ma question porte sur le sujet crucial de la formation. Envisagez-vous de renforcer et d’élargir l’offre de formation initiale et continue pour ces personnels ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Le principal enjeu, c’est que les AESH bénéficient bien des soixante heures de formation auxquelles ils ou elles peuvent prétendre avant leur prise de fonction. Cela renvoie à nos échanges sur la nécessité d’anticiper les besoins et de ne pas découvrir des notifications au fil de l’année alors que les parents impatients de voir arriver l’accompagnant ou l’accompagnante de leur enfant ne comprendraient pas que l’AESH qu’ils attendent parte se former.
Ce qui, au-delà, me paraît très important, c’est que les membres de l’équipe éducative, comme ceux de l’équipe de vie scolaire, puissent partager un certain nombre de formations. Nous devons travailler ensemble : l’éducation nationale – avec ses personnels de santé scolaire –, les AESH, les équipes médico-sociales, les professeurs.
Les formations sur la prise en compte des situations de handicap, ouvertes aux enseignants, doivent également pouvoir bénéficier aux AESH. J’ai adressé des instructions en ce sens aux recteurs et aux directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen). Ils devront s’assurer que ces formations sont proposées et partagées dans chaque académie et dans chaque département afin que les élèves en situation de handicap soient pris en charge de manière globale.
M. le président
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP)
Vingt ans après la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la France ne se donne toujours pas les moyens d’avoir une école inclusive.
À la rentrée, première école que je visite : une élève inscrite mais déscolarisée, faute d’accompagnement ; une enseignante qui interrompt son cours pour s’occuper, comme elle peut, de cette autre élève qui va d’une classe à l’autre, sans activité, pour la même raison. Deuxième école que je visite : les AESH y sont passées, en un an, de sept à deux. Les élèves qui ont besoin d’un accompagnement individuel à temps complet n’ont droit qu’à quelques heures dans la semaine, les autres n’ont plus rien.
Cette réalité, nous l’observons tous dans nos circonscriptions. La pénurie d’accompagnantes, pourtant, n’est pas une fatalité : elle est la conséquence directe des conditions de travail indignes de ce métier pourtant essentiel. Les AESH, pour 98 % d’entre elles, se voient imposer un temps partiel et leur revenu est nettement inférieur au seuil de pauvreté.
En Italie, tous les professeurs sont formés à des pratiques inclusives, disposent d’un matériel adapté et de l’appui d’un enseignant spécialisé, affecté dans leur classe. En France, on demande aux AESH d’accompagner des enfants avec tous les types de handicap, après une formation indigente de seulement soixante heures, en distanciel. C’est honteux – nous parlons d’accompagnement humain.
Plutôt que de prendre de vraies mesures de professionnalisation, le gouvernement a choisi de gérer la pénurie par la mutualisation des moyens avec les Pial. Résultat : des conditions de travail encore dégradées – deux heures dans un établissement et trois dans un autre, sans prise en compte des temps de trajet, sans aucune continuité dans l’accompagnement des élèves, sans considération pour la difficulté d’intervenir dans des situations très différentes. Magnifique optimisation, qui aggrave le sentiment de la perte de sens du métier !
Les solutions, pourtant, on les connaît : prendre en compte le travail invisible de préparation, d’autoformation et de coordination avec les enseignants par un temps plein de vingt-quatre heures, créer un statut de fonctionnaire avec une formation digne de ce nom et des perspectives d’évolution, réduire les effectifs des classes pour qu’il soit possible d’y pratiquer la différenciation pédagogique. C’est le sens de la proposition de loi de Nadège Abomangoli et Murielle Lepvraud.
Quels sont vos arguments, madame la ministre, pour vous opposer à ces mesures de bon sens – en dehors de raisons budgétaires à courte vue ? La maltraitance institutionnelle subie pas les AESH, les enfants et leurs parents coûte bien plus à notre société que les économies que l’on réalise sur leurs dos. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Steevy Gustave applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Ce qui me frappe, chaque fois que j’entends des députés de La France insoumise parler de notre école, de l’école de la République, c’est la description apocalyptique qu’ils en font.
Mme Clémence Guetté
Venez dans nos circonscriptions !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Vous semblez vous employer en permanence à rompre la confiance des Français envers l’école publique ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Et cela me choque, au nom de tous nos professeurs, de tous les personnels de l’éducation nationale, qui font le maximum pour accompagner au mieux nos jeunes et leur permettre de s’émanciper.
Mme Anne Stambach-Terrenoir
C’est de leur souffrance que nous parlons !
Mme Clémence Guetté
Vous ne faites pas le maximum !
Mme Zahia Hamdane
Quelles sont vos solutions ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Nous sommes passés de 2 milliards d’euros consacrés à l’école inclusive en 2017 à 4,5 en 2025 : est-ce là ce que vous appelez des économies budgétaires ? Passer de 90 000 AESH en 2017 à 143 000 aujourd’hui, est-ce cela des économies ?
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Et la formation ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Sur les notifications, je vous invite à revoir la répartition des missions. Ce sont les MDPH qui notifient les accompagnements – le cas échéant mutualisés – et l’éducation nationale y répond. Vous n’étiez pas là, madame la députée,…
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Si, elle était là !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
…mais j’ai déjà eu l’occasion de le dire : je souhaite que nous anticipions et que nous prenions en charge les élèves en situation de handicap sans avoir à attendre les notifications. Nous avons commencé à le faire à la dernière rentrée avec les pôles d’appui à la scolarité. Je souhaite que nous développions cette approche à la rentrée prochaine, en vue d’une généralisation en 2027. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Anne Stambach-Terrenoir
On va faire en fonction des moyens et non des besoins ! C’est scandaleux !
M. le président
La parole est à Mme Anaïs Belouassa-Cherifi.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP)
La loi du 11 février 2005 édictait un principe clair et louable : les élèves en situation de handicap doivent être scolarisés dans des milieux dits ordinaires. Deux décennies plus tard, la réalité est loin de ces belles promesses. À la rentrée 2024, ce ne sont pas moins de 20 000 élèves en situation de handicap qui se sont retrouvés sans établissement scolaire, tandis que des milliers d’autres se voient limités dans leur accès à l’éducation. L’école inclusive, lorsqu’elle se heurte à un manque criant de moyens, reste un idéal inaccessible.
L’insuffisance du nombre d’AESH est le principal problème. Ces professionnels, indispensables au succès de l’inclusion scolaire, sont sous-payés, précarisés, insuffisamment nombreux. Le développement des pôles inclusifs d’accompagnement localisés les amène à devoir s’occuper de plusieurs enfants en même temps dans plusieurs établissements – au détriment de ces enfants.
Si la loi de 2022 a permis de tripler le nombre d’AESH en CDI, le quotidien de ces personnes n’en est pas modifié pour autant, pas plus que leur rémunération ou leurs perspectives de carrière.
Si l’on veut une école véritablement inclusive, les AESH, préalablement à leur prise de poste, doivent recevoir une formation complète sur tous les types de handicap.
Neuf AESH sur dix, il faut le rappeler, sont des femmes, exerçant bien souvent à temps partiel et rémunérées en moyenne 900 euros par mois, ce qui les situe bien au-dessous du seuil de pauvreté.
Il est urgent de revaloriser ce métier. Notre intention n’est pas de noircir le tableau, mais de vous alerter, madame la ministre, sur ces réalités qui sont, partout, celles des élèves et des AESH.
Je voudrais donc vous entendre sur ces trois points fondamentaux : l’évolution de la rémunération des AESH, leur formation en amont et tout au long de leur carrière, et leur intégration, primordiale, aux équipes pédagogiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Steevy Gustave applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je vous rejoins dans l’idée que nous avons fait une partie du chemin. Nous avons augmenté considérablement les moyens consacrés à l’école inclusive, ce qui nous permet d’accueillir désormais 520 000 jeunes en situation de handicap. Parmi eux, 30 000 devraient en toute logique être accueillis dans des établissements médico-sociaux : des places seront créées dans ces derniers, à cet effet, la rentrée prochaine. Les jeunes y seront mieux accompagnés, sans que ne soit rompu le lien avec les établissements scolaires – nous serons alors vraiment dans une société inclusive.
Nous devons bien évidemment progresser encore et aller au-delà des avancées rendues possibles par la loi de décembre 2022. Nous devons mieux anticiper les besoins d’accompagnement des jeunes, sans les découvrir au fil des notifications des MDPH. C’est le rôle des pôles d’appui à la scolarité que nous avons créés, qui nous permettront d’anticiper le recrutement et la formation des AESH.
Nous devons, enfin, réfléchir à une organisation qui nous permettra de proposer différentes missions, au sein d’un même établissement, aux AESH.
Je peux vous assurer de ma détermination à mener ce travail à bien.
M. le président
La parole est à M. Lionel Vuibert.
M. Lionel Vuibert (NI)
La lutte contre la précarité des AESH mérite toute notre attention et tout notre engagement : il y va de la dignité et du bien-être de nos enfants et de ceux qui les accompagnent.
Dans mon département, les Ardennes, on recense 2 400 élèves en situation de handicap. Près de la moitié d’entre eux bénéficie d’une notification d’accompagnement, à temps plein ou à temps partiel, individuelle ou mutualisée. Les hommes et les femmes qui les accompagnent, que l’on appelle parfois « les invisibles de l’éducation », jouent un rôle essentiel dans l’éducation et dans l’épanouissement de ces enfants. Dans les Ardennes, 559 AESH sont actuellement en activité, pour seulement 338 équivalents temps plein – contrats qui, pour près de la moitié d’entre eux, sont des CDD.
Ces chiffres, s’ils sont encourageants en comparaison de la situation qui prévalait avant 2022, révèlent toutefois la préoccupante précarité de la majorité de ces professionnels : des accompagnants qui doivent cumuler plusieurs emplois pour pouvoir joindre les deux bouts, des assistants d’éducation qui peinent à obtenir des situations stables.
La loi de 2022 a été un premier pas dans la reconnaissance de leur travail ; nous devons néanmoins interroger son efficacité. Les accompagnants sont les piliers de l’inclusion scolaire. Nos enfants peuvent bénéficier, grâce à eux d’un accompagnement adapté : il est de notre devoir de garantir qu’ils disposent des moyens nécessaires pour exercer leurs missions dans de bonnes conditions.
La lutte contre la précarité des AESH et des assistants d’éducation est un enjeu de justice sociale. Ensemble, faisons en sorte que la loi de 2022 ne soit pas qu’un point de départ, mais un véritable tremplin vers un système éducatif toujours plus juste et inclusif. Les mesures prises ont-elles réellement amélioré les conditions de travail et la rémunération des accompagnants ? Les formations, indispensables, sont-elles accessibles et adaptées ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
La loi de décembre 2022 a rendu possibles d’incontestables progrès. C’est grâce à elle que les deux tiers des AESH bénéficient aujourd’hui d’un CDI. Dans le même temps, Bertrand Sorre l’a rappelé, nous avons pris de nombreuses mesures de revalorisation de la rémunération des AESH – à temps plein, elle serait de 1 600 euros net par mois. Demeure malheureusement, et c’est ce qui nous occupe aujourd’hui, le problème de la quantité de travail. Avec une charge de travail de 24 heures hebdomadaires, dans le premier degré, multipliée par 36 semaines, et en ajoutant les semaines de formation auxquelles ont droit les AESH, on arrive seulement à ce fameux deux tiers de temps – on ne peut s’en satisfaire.
Nous devons donc travailler à organiser mieux encore notre système, pour mieux former les AESH, qui doivent devenir des membres à part entière des équipes éducatives et travailler en coordination avec leurs collègues. Ces derniers – professeurs et acteurs de la vie scolaire – devraient pouvoir bénéficier également de formations à la prise en charge des élèves en situation de handicap.
Il faut que nous reconnaissions enfin la juste place de ces hommes et de ces femmes – nombreux et surtout nombreuses – au sein de l’éducation nationale. C’est tout le sens de mon engagement.
M. le président
Le débat est clos.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président
La séance est reprise.
4. L’échec global de la reconquête de la qualité de l’eau potable
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L’échec global de la reconquête de la qualité de l’eau potable. »
Ce débat a été demandé par le groupe Écologiste et social. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d’organiser le débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses, puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une durée d’une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Adèle Veerabadren, inspectrice de l’environnement et du développement durable, coautrice du rapport « Prévenir et maîtriser les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l’eau destinée à la consommation humaine », à M. Dan Lert, président d’Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie, et à Mme Pauline Cervan, chargée de mission réglementaire et scientifique à Générations futures, docteure en pharmacie et toxicologue.
La parole est à Mme Adèle Veerabadren, inspectrice de l’environnement et du développement durable.
Mme Adèle Veerabadren, inspectrice de l’environnement et du développement durable
Puisque j’ai l’honneur de commencer, je ferai un état des lieux de la situation en vous présentant le rapport commandé fin 2023 à trois inspections générales, celles de l’agriculture, de la santé et de l’environnement. Je représente l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, mais je parlerai également au nom de mes collègues. Ce travail conjoint nous a permis de croiser les regards sur un sujet complexe et transversal, qui touche à la fois l’environnement, la santé et l’agriculture – c’est ce qui en fait toute la richesse.
Le rapport est très dense, mais nous avons fait le choix de le restreindre à quarante pages – la norme pour tous nos rapports – en y adjoignant des annexes très précises et documentées, qui ont vocation à approfondir, chacune de manière autonome, les sujets abordés.
La rédaction du rapport est intervenue dans un contexte particulier : le déclassement du métabolite R471811 du chlorothalonil le 29 avril 2024, déclaré non pertinent pour les eaux destinées à la consommation humaine. Il nous a fallu adapter le rapport en conséquence.
Comment avons-nous réalisé l’état des lieux ? Nous avons analysé les données d’observation de la qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine – les deux extrêmes donc.
Pour les eaux brutes, je rappelle que les pesticides sont à l’origine du déclassement de 83 % des masses d’eaux souterraines – soit un pourcentage important.
Pour les eaux destinées à la consommation humaine, nous nous sommes appuyés sur le bilan réalisé par la direction générale de la santé (DGS) en 2022, qui ciblait cinq molécules à l’origine des non-conformités. Je rappelle que la non-conformité correspond à un dépassement du seuil de 0,1 microgramme par litre pour chacune de ces molécules : la chloridazone desphényl, la chloridazone méthyl-desphényl, le métolachlore ESA, l’atrazine déséthyl déisopropyl et l’atrazine déséthyl.
Nous nous sommes ensuite focalisés sur l’année 2023 et sur trois métabolites : le chloridazone desphényl, le chloridazone méthyl-desphényl et le chlorothalonil R471811. En 2023, nous avons eu la confirmation que la contamination par ces métabolites était générale, d’où le choix de les cibler. Nous avons aussi choisi de nous concentrer sur certains territoires, notamment lors de nos déplacements – nous avons toujours à cœur d’aller sur le terrain dans le cadre de nos missions. Nous avons sélectionné l’Aisne, le Calvados, en particulier la plaine de Caen, et la Charente-Maritime, principalement la plaine de l’Aunis.
Le rapport comporte de nombreuses cartes, notamment en annexe, qui permettent de visualiser très clairement les territoires concernés par les dépassements des seuils réglementaires. Certaines portent sur les eaux brutes, d’autres sur celles destinées à la consommation humaine.
La gestion des non-conformités soulève de plus en plus de problèmes pour les personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau, mais aussi pour les services de l’État, notamment parce que l’expertise est instable, comme en attestent les changements de statut du chlorothalonil-R471811 et des métabolites du S-métolachlore, ce qui oblige à adopter une gestion différenciée. La mise en œuvre des règles de gestion pour les métabolites non pertinents est difficile puisque les seuils de non-pertinence varient pour chaque substance. De même, la gestion de la non-conformité des eaux brutes est rendue complexe par une réglementation peu claire. L’analyse conclut que certaines eaux ne peuvent plus être rendues potables.
Le dispositif de traitement administratif des non-conformités n’est pas soutenable et le nombre de demandes à traiter est très important. Le retour à la conformité à l’issue de six années – c’est ce qui est exigé actuellement – est peu réaliste.
Les plans d’action sont très en deçà des enjeux ; l’information à destination des consommateurs est insuffisante. Elle est très complexe à mettre au point : même nous, qui avons été au cœur du sujet pendant plus de six mois, avons du mal à appréhender tous les chiffres sur lesquels il faut communiquer ! On peut comprendre la difficulté pour un citoyen non averti.
M. le président
Je vous prierai de conclure.
Mme Adèle Veerabadren
Le dispositif de protection des captages et des aires d’alimentation des captages est complexe et peu efficace. Plusieurs points sont à revoir – nos recommandations ont été reprises dans la proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l’eau potable, ce qui nous a réjouis. Il faut travailler sur les zones soumises à contraintes environnementales (ZRCE), mais aussi renforcer le levier régalien afin de réduire l’usage des produits phytosanitaires et de mieux protéger les captages et leurs aires d’alimentation.
M. le président
La parole est à M. Dan Lert, président d’Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie.
M. Dan Lert, président d’Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie
Eau de Paris, régie publique de la Ville de Paris, fournit de l’eau potable à 3 millions d’usagers. Elle dispose du premier laboratoire français consacré à l’eau, qui bénéficie chaque année d’un investissement de 1,3 million d’euros pour soutenir ses capacités de recherche. Le développement de cette recherche et des capacités analytiques permet de détecter de plus en plus de polluants dans les ressources en eau.
La récente mission d’inspection fait état d’une dégradation généralisée des ressources en eau à l’échelle européenne et d’un échec relatif des politiques de protection menées depuis plusieurs décennies en France. Un tiers des captages d’eau potable ont fermé ces quarante dernières années. Le constat est aujourd’hui partagé : les substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS) et les métabolites de pesticides sont omniprésents dans notre environnement. Ils contaminent les sols, l’air que nous respirons et notre alimentation – c’est une bombe sanitaire et environnementale. Les scientifiques affirment que cette pollution est l’une des plus importantes que l’humanité ait eu à affronter.
Pour les services des collectivités chargés de l’alimentation en eau potable, cette pollution de la ressource a pour conséquence une augmentation des traitements de potabilisation et des coûts de fonctionnement et d’investissement. Le coût estimé de l’élimination des PFAS des eaux potables et usées européennes s’élève à 238 milliards d’euros par an, soit le PIB de la Grèce. Ces dépenses alourdissent la facture d’eau potable des usagers : le consommateur final paie seul le coût de cette dépollution, ce qui va à l’encontre du principe pollueur-payeur, pourtant cher au cœur du législateur.
L’eau potable est l’un des produits alimentaires les plus contrôlés. À Paris, grâce à nos contrôles et à nos traitements, nous garantissons une eau 100 % conforme aux normes sanitaires en vigueur. Chaque jour, nos équipes réalisent plus de 1 000 analyses, ce qui va bien au-delà des exigences réglementaires. Eau de Paris réalise en moyenne dix contrôles entre le point de prélèvement à la source et le robinet des Parisiens.
L’arbre ne doit pas cacher la forêt. L’eau du robinet représente une très faible part de l’exposition globale aux pesticides et au PFAS – 5 % pour les métabolites de pesticides, de 1 à 20 % pour les PFAS, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Le reste de l’exposition aux pesticides passe par l’alimentation et l’air. Nous retrouvons des PFAS partout dans l’environnement et dans les objets du quotidien. Prenons l’exemple de l’acide trifluoroacétique (TFA), une molécule de la famille des PFAS issue notamment de la dégradation de pesticides : une étude récente montre des teneurs en TFA dans les jus d’orange jusqu’à quarante fois supérieure à celles observées dans l’eau potable. Il est donc urgent d’intervenir à la source de la pollution en interdisant les produits les plus nocifs.
L’approche défendue par Eau de Paris repose sur deux piliers complémentaires : la prévention à la source et le traitement curatif par des usines spécialisées. La prévention à la source est la meilleure réponse sur le long terme car elle permet d’agir non seulement sur la qualité de l’eau mais aussi sur tous les autres facteurs d’exposition – la qualité des aliments, de l’air et des sols. Cette méthode fonctionne : Eau de Paris démontre qu’en accompagnant les agriculteurs qui exercent leur activité à proximité des aires de captage, on réduit sensiblement les pollutions de l’eau.
La régie publique a créé en 2020 un régime d’aides spécifiques de paiement pour services environnementaux (PSE), après notification à la Commission européenne. Ce dispositif permet d’accompagner les agriculteurs volontaires exerçant leur activité dans les aires d’alimentation des captages pour la production d’eau potable. Le budget alloué s’élève à 46 millions d’euros, dont 80 % proviennent de l’agence de l’eau Seine-Normandie. Les contrats sont signés pour six à sept ans. Cette approche préventive démontre son efficacité : entre 2019 et 2023, les surfaces cultivées en agriculture biologique sur les aires d’alimentation ont été multipliées par quatre, passant de 2 800 à 11 800 hectares. Grâce à la conclusion de ces contrats avec les agriculteurs volontaires, nous avons réduit la quantité de pesticides utilisés en 2023 de 77 %, soit l’équivalent de 55 tonnes de substances actives non utilisées. La prévention de la pollution coûte trois fois moins cher que le traitement curatif.
S’agissant des vingt PFAS qui intégreront la liste des substances recherchées par les contrôles sanitaires d’ici à 2026, les résultats publiés par Eau de Paris ont permis de rassurer : l’eau distribuée est parfaitement conforme. Malheureusement, il existe des milliers d’autres PFAS potentiellement néfastes dans l’environnement, par exemple le TFA, dont la présence est attestée dans l’eau distribuée à Paris. Le laboratoire de Paris a suivi cette molécule au titre de ses activités de recherche – il ne fait pas partie des vingt PFAS qui devront obligatoirement être recherchés.
Nous demandons aux autorités sanitaires de fixer des seuils adaptés à la protection de la santé. Plus les normes réglementant les PFAS seront renforcées, plus le coût des traitements sera élevé. C’est pourquoi Eau de Paris agira en justice pour obliger les industriels qui produisent ces substances à assumer leurs responsabilités ; il faut faire appliquer le principe pollueur-payeur. Une plainte contre X sera déposée au pénal dans ce cadre. En complément, un travail est engagé avec la Ville de Paris et les autres collectivités pour lancer une action collective afin d’obtenir réparation de ce préjudice écologique.
M. le président
La parole est à Mme Pauline Cervan, chargée de mission réglementaire et scientifique à Générations futures, docteure en pharmacie et toxicologue.
Mme Pauline Cervan, chargée de mission réglementaire et scientifique à Générations futures, docteure en pharmacie et toxicologue
Les résultats du rapport présenté par Mme Adèle Veerabadren étaient prévisibles ; ils sont aussi en deçà de la réalité. Le risque de contamination de l’eau par les métabolites de pesticides est bien connu : la réglementation exige une évaluation des risques de contamination des eaux souterraines par le pesticide dont on demande l’autorisation avant que le produit soit mis sur le marché. La concentration prévisible de pesticides dans les eaux souterraines est estimée à l’aide de modèles mathématiques.
Dès 2004, la Commission européenne a alerté les États membres au sujet des métabolites du S-métolachlore et leur a demandé de « prêter une attention particulière au risque de contamination des eaux souterraines » par ces substances. En 2023, soit près de vingt ans plus tard, le S-métolachlore a été interdit en raison de ces risques, qui ont été confirmés. Une alerte similaire, remontant à 2006, concerne les métabolites du chlorothalonil, à l’origine de la majorité des cas actuels de non-conformité – ces métabolites n’ont été recherchés systématiquement qu’à partir de 2023.
On peut donc affirmer que l’usage des pesticides est autorisé en toute connaissance de cause : on connaît les risques de pollution des ressources en eau. La bonne nouvelle, c’est que comme ces risques sont connus et évalués, il est possible d’identifier les substances les plus susceptibles de contaminer les eaux souterraines et de donner la priorité aux interdictions d’utilisation des pesticides dans les aires de captage qui ciblent ces substances.
La mauvaise nouvelle, en revanche, c’est qu’on peut aussi affirmer que la contamination des eaux souterraines, et donc de l’eau potable, par les métabolites est largement sous-estimée. Les exemples du S-métolachlore et du chlorothalonil l’illustrent bien : alors que les risques de contamination sont connus depuis vingt ans au moins, le suivi des métabolites dans les eaux brutes et potables n’a été mis en place qu’en 2014 pour les métabolites du S-métolachlore et qu’en 2023 pour ceux du chlorothalonil. Cela explique que les cas de non-conformité aux normes réglementaires aient explosé ces dernières années : on est passé de 3,9 millions de personnes concernées en 2020 à 17 millions en 2023, sachant que l’évolution de ces chiffres reflète davantage l’évolution dans l’effort de recherche et le suivi de nouveaux métabolites qu’une détérioration soudaine de la qualité de l’eau.
Même si de plus en plus de métabolites sont recherchés, Générations futures a montré, dans un rapport publié en octobre dernier, que cette pollution est encore largement sous-estimée. Nous avons épluché une centaine de dossiers de produits autorisés en France et évalués par l’Anses, et nous avons identifié cinquante-six métabolites susceptibles de contaminer les nappes au-delà de 0,1 microgramme par litre qui ne font l’objet d’aucune surveillance, que ce soit dans les eaux brutes ou dans l’eau potable.
Si tous ne sont pas forcément problématiques, certains sont néanmoins persistants dans l’environnement, considérés comme pertinents par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) – ce qui signifie qu’ils constituent potentiellement un risque pour la santé des consommateurs – ou encore pressentis à des concentrations très élevées dans les eaux souterraines d’après les calculs de l’Anses.
Ces métabolites devraient donc, en toute logique, faire l’objet d’un suivi, mais il n’en est rien. C’est le cas par exemple du Dipa – diisopropylamine –, un métabolite de l’herbicide triallate, qui est persistant, pertinent selon l’AESA et qui, d’après les calculs de l’Anses, pourrait se retrouver dans nos nappes à plus de 40 microgrammes par litre.
Un autre métabolite en particulier permet d’illustrer les lacunes de la surveillance, c’est le TFA, que M. Lert vient d’évoquer. C’est un métabolite commun de plusieurs pesticides fluorés, qui appartient à la famille des PFAS. Or on sait, depuis plusieurs années, que certains pesticides se dégradent en PFAS, lesquelles sont très mobiles dans les sols, très solubles dans l’eau, ce qui leur permet de contaminer les eaux souterraines à des teneurs très élevées. Ainsi, les données disponibles depuis 2017 dans le dossier d’évaluation de l’herbicide flufénacet indiquent clairement que ce dernier se dégrade en TFA et que l’usage de cette substance entraîne une contamination des nappes au-delà de 10 microgrammes par litre. Pourtant, le flufénacet est toujours autorisé, même s’il devrait bientôt être interdit.
J’ajoute que le TFA cumule toutes les propriétés qui justifierait qu’on le recherche. Il est extrêmement persistant, il est désormais considéré comme pertinent par la Commission européenne et par l’Anses, et les modélisations indiquent un risque de contamination des eaux souterraines supérieur à 10 microgrammes par litre. Il n’est pourtant recherché nulle part en France, ni dans les eaux souterraines ni dans les eaux de surface ou les eaux potables.
Je voudrais revenir, enfin, sur le déclassement des métabolites du chlorothalonil et préciser que la réglementation n’exige pas qu’on étudie la toxicité des métabolites. De ce fait, quand on les retrouve dans l’eau potable, les autorités sont bien en peine de pouvoir dire s’ils constituent un risque ou non.
M. le président
Il faudrait conclure, s’il vous plaît.
Mme Pauline Cervan
Après la découverte de chlorothalonil dans l’eau potable, l’Anses a déclassé ses métabolites et les a jugés non pertinents sur la base de données fournies par Syngenta, qui ne sont pas des données toxicologiques, mais des données in vitro. Il n’y a donc pas eu d’études sur l’animal, ce qui pose des questions sur la manière dont sont évalués les métabolites.
M. le président
Nous en venons aux questions.
La première sera posée par M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (EcoS)
Je tiens tout d’abord à vous remercier vivement tous les trois pour votre participation à ce débat, organisé à l’initiative du groupe Écologiste et social.
Je vous suis reconnaissant de nous avoir montré la partie immergée de l’iceberg des métabolites de pesticides, d’avoir pointé notre échec collectif et de nous avoir indiqué la voie à suivre en démontrant que des solutions existaient et fonctionnaient.
Vos propos liminaires montrent que le constat est aussi partagé qu’alarmant sur la qualité actuelle et future des eaux. Moins de 27 % des masses d’eau de surface et 69 % des eaux souterraines sont en bon état chimique.
Depuis les années 1980, plus de 14 000 captages d’eau ont été fermés, dont plus d’un tiers à cause d’une pollution aux pesticides – ce n’est pas une stigmatisation, mais un fait. En 2023, plus d’un quart de la population a consommé une eau du robinet contaminée aux pesticides et à leurs métabolites.
Cette situation est bien le résultat d’un échec global et collectif. Il ne s’agit pas de quelques situations isolées, mais d’un phénomène généralisé, qui touche tous les territoires. Les substances massivement présentes dans notre eau peuvent être issues de produits déjà interdits, mais qui perdurent des dizaines d’années ; d’autres, que l’on s’est enfin décidé à rechercher, comme le TFA, doivent de toute urgence être considérées comme un problème de santé publique ; sans parler, enfin, des dizaines de métabolites de pesticides à risque qui ne font, eux, l’objet d’aucune surveillance sanitaire.
Comment en finir avec la procrastination ou la capitulation, et quels sont les freins à des actions concrètes et immédiates ? Quelles mesures prioritaires identifiez-vous, madame Veerabadren, pour la protection des captages d’eau ? Comment expliquez-vous, madame Cervan, les manquements ou les délais en matière d’analyse des eaux alors que la population est de plus en plus inquiète pour sa santé ? Enfin, monsieur Lert, comment l’État et la loi peuvent-ils mieux soutenir les gestionnaires de l’eau dans leur action ?
M. le président
La parole est à Mme Adèle Veerabadren.
Mme Adèle Veerabadren
Notre rapport recommande de renforcer le dispositif de déclaration d’utilité publique et de recourir aux zones soumises à contraintes environnementales pour hâter la reconquête de la qualité de l’eau sur les aires d’alimentation de captage – nous avons un outil qui existe déjà ; il faudrait le renforcer, par exemple en instaurant une obligation. Nous disposons de leviers régaliens pour interdire ou limiter l’usage des substances actives et des produits phytosanitaires en fonction des périmètres, ce qui permettrait d’envisager un compromis avec le milieu agricole.
Il est également possible de jouer sur la fiscalité des produits phytosanitaires et d’améliorer les contrôles. Enfin, des actions peuvent être menées sur le foncier avec les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Quant aux opérations d’animation, il faut les renforcer.
Il ne s’agit pas de dire que rien n’est fait, mais d’approfondir ce qui existe déjà, par exemple en accompagnant les agriculteurs vers des cultures à très faible intrant, voire vers l’agriculture biologique.
M. le président
La parole est à M. Dan Lert.
M. Dan Lert
Le dispositif d’accompagnement et d’aide financière aux agriculteurs proposé par Eau de Paris, que j’ai décrit tout à l’heure, et plus généralement la prévention à la source mériteraient d’être développés au niveau national. Pour cela, nous pensons nécessaire d’agir à plusieurs niveaux. D’abord, en interdisant l’utilisation des principales substances polluantes sur les aires d’alimentation et de captage – c’est l’objet de la proposition de loi sur les PFAS qui a été adoptée par votre assemblée le 20 février dernier. Je salue évidemment cette avancée, mais la protection des aires d’alimentation et de captage doit être encore être renforcée, notamment grâce à la proposition de loi sur l’eau potable déposée par le député Jean-Claude Raux.
Il faut par ailleurs accompagner la transition agricole afin de réduire l’usage des pesticides et des nitrates dans les aires de captage. Cet accompagnement doit être pluriel, à la fois technique, financier mais également commercial, car il s’agit d’offrir aux exploitations agricoles des débouchés garantissant leur viabilité. La politique agricole commune (PAC) peut devenir un levier d’accompagnement de cette transition.
M. le président
La parole est à Mme Pauline Cervan.
Mme Pauline Cervan
L’excuse plus ou moins officielle souvent avancée pour justifier les délais dans la surveillance est l’indisponibilité des méthodes d’analyse, notamment des étalons analytiques nécessaires aux laboratoires. Cette difficulté est en réalité très facilement surmontable dans la mesure où la réglementation exige que les fabricants de pesticides fournissent ces étalons analytiques dès lors qu’on le leur demande. Il suffirait donc que la communication soit meilleure entre l’Anses d’une part, qui évalue les risques et connaît donc les métabolites à risque, et la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS) d’autre part, chargées du contrôle sanitaire. Les métabolites identifiés et les étalons obtenus, il n’y aurait plus d’excuse pour ne pas effectuer de surveillance.
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem)
Il y a un peu plus d’un an, le gouvernement m’a confié une mission sur les PFAS, à la suite de laquelle j’ai rendu un rapport, qui a été suivi par la proposition de loi interdisant le rejet des PFAS.
La révélation de la pollution de l’eau de la métropole de Lyon par les PFAS a apporté un nouvel éclairage sur la question de la qualité de l’eau potable, et j’aimerais que vous nous livriez votre analyse sur ce que je qualifierai d’effet cocktail. Lorsque l’on boit de l’eau, à Paris ou partout en France, on retrouve dans son verre une infinité de choses, outre les PFAS : pesticides, antibiotiques, hormones, œstroprogestatifs… En tant qu’inspectrice de l’environnement ou président d’Eau de Paris, quels sont les éléments que vous recherchez, sachant que, moins qu’une PFAS ou un pesticide en particulier, c’est surtout l’effet cocktail qui peut être à l’origine de cancers ou d’une stérilité ?
Nous sommes désormais alertés sur les PFAS et le TFA, et je m’en félicite, mais je souhaiterais savoir si les analyses de l’eau incluent, dans une appréhension plus globale de la qualité de l’eau, la recherche, par exemple, d’antibiotiques – eu égard notamment au développement de l’antibiorésistance – ou, comme je viens de le mentionner, la recherche d’œstroprogestatifs impliqués dans la stérilité.
Certes, la loi que nous avons adoptée interdit les rejets de PFAS, mais reste le problème de la pollution historique, pour laquelle vous chiffrez la décontamination à 238 milliards d’euros annuels. Qu’en est-il de l’eau traitée après prélèvement, que ce soit par charbon actif ou par osmose inversée ? À combien s’élève le coût pour la mairie de Paris, sachant que l’Anses devrait bientôt fournir les valeurs toxicologiques de référence ?
M. le président
La parole est à Mme Adèle Veerabadren.
Mme Adèle Veerabadren
L’effet cocktail est effectivement très significatif. Notre rapport devait cibler les métabolites de pesticides, ce qui explique que nous nous soyons focalisés sur eux, mais, en réalité, on retrouve dans l’eau une multiplicité de molécules – elles seraient comme la partie immergée de l’iceberg, qu’on ne voit pas, mais qui n’en est pas moins dangereuse. C’est la raison pour laquelle les suivis exigent un travail très important sur les bio-indicateurs, car ils permettent une approche fondée non pas sur le ciblage de la molécule source, mais sur les effets induits, qui participent de l’effet cocktail. Le recours accru à cette méthodologie basée sur les bio-indicateurs est d’ailleurs l’une des recommandations de notre rapport.
Le problème principal aujourd’hui est de parvenir, à l’échelle européenne, à la détermination de métriques communes pour obtenir des seuils consensuels. Il a été compliqué de s’entendre sur une métrique applicable aux masses d’eau pour l’application de l’actuelle directive-cadre sur l’eau ; développer de nouveaux indicateurs implique de développer de nouvelles métriques, et c’est ce qui achoppe aujourd’hui. Il faut néanmoins persévérer dans cette voie car, si on veut agir sur les effets, il faut d’abord les mesurer par bio-indication.
M. le président
La parole est à M. Dan Lert.
M. Dan Lert
Le laboratoire d’Eau de Paris développe ses capacités d’analyse et de recherche pour l’ensemble du spectre de l’eau potable. La recherche porte notamment sur les méthodes d’analyse, qui deviennent de plus en plus fiables et permettent de progresser dans la connaissance et le traitement des multiples polluants – vous avez parlé des résidus médicamenteux – que nous retrouvons dans l’eau.
Quant aux coûts de traitement, ils croissent au fur et à mesure qu’augmente le nombre de molécules à éliminer pour la conformité de l’eau. Ainsi, nous avons constaté, dans notre usine d’Orly, qu’il avait fallu augmenter la fréquence de renouvellement des charbons actifs permettant d’éradiquer les polluants pour maintenir une eau 100 % conforme aux normes sanitaires.
Les autres techniques de traitement – je veux parler de l’osmose inverse basse pression, donc des membranes d’ultrafiltration – ne constituent pas une solution idéale car leur empreinte environnementale est considérable. On ne sait pas encore quoi faire des déchets issus de ce procédé : pour l’instant, les concentrats sont rejetés par les usines dans l’environnement, en particulier dans les fleuves ou les réseaux d’assainissement, où nous ne les traitons pas.
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin (LIOT)
Les missions d’information et les commissions d’enquête se succèdent à l’Assemblée nationale et au Sénat au sujet de l’eau, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de celle qui est mise en bouteille. Il y a encore un an, quand on nourrissait un doute concernant l’eau du robinet, on achetait, dans la mesure du possible, de l’eau en bouteille et on ne se posait aucune question sur sa qualité : par définition, on la supposait assurée.
Mais, depuis la révélation du scandale des eaux minérales naturelles Nestlé, la suspicion est partout et se porte sur les industriels comme sur les acteurs publics de l’eau ou encore les autorités de contrôle de l’État. Si les industriels, qui puisent l’eau dans les roches ou les nappes phréatiques profondes, en sont venus à installer certains filtres pour garantir que l’eau qu’ils commercialisent soit propre à la consommation, que peut-on dire de l’eau de ville, qui provient des eaux de surface, bien plus sujettes aux pollutions tout en étant soumises à des normes strictes ?
Ces normes sont-elles suffisantes pour pallier la présence de tous les résidus de nitrates, pesticides, métaux, chlordécone, PFAS et autres bactéries ? Toutes nos villes disposent-elles d’infrastructures de traitement et de désinfection, de personnels qualifiés et de la capacité de mener les contrôles sanitaires nécessaires pour garantir à nos concitoyens une eau potable saine ? Des contrôles obligatoires sont-ils prévus après chaque épisode climatique susceptible de polluer les eaux superficielles ? Nos collectivités peuvent-elles assurer les financements et les investissements que suppose une eau potable de qualité ?
M. le président
La parole est à Mme Adèle Veerabadren.
Mme Adèle Veerabadren
Bien que le ministère de la santé soit concerné au premier chef par cette question, je m’exprimerai au nom de mes collègues. Il existe de nombreux garde-fous destinés à préserver la qualité de l’eau, notamment à la suite d’événements climatiques intenses. Ainsi, des contrôles inopinés et particuliers ont lieu.
En revanche, les procédés actuellement utilisés ne permettent pas de traiter l’ensemble des molécules. Nous constatons que le traitement des molécules que nous suivons, pour ne parler que d’elles, est très difficile. Je pense encore à ce fameux chlorothalonil-R471811, métabolite du chlorothalonil, qui nous a conduits à nous poser de nombreuses questions dans le cadre de notre mission. Il s’agit d’une molécule de taille très réduite, dont la masse molaire est très faible et qui échappe donc aux traitements actuellement employés. Il faudrait avoir recours à des techniques de nanofiltration poussées pour remédier à cette difficulté. Il est donc possible que cette molécule s’introduise dans l’eau potable et que nous en buvions.
L’urgence est criante. C’est la raison pour laquelle nous nous réunissons et nous formulons des recommandations. Le traitement des substances concernées doit se faire en amont et il faut les interdire lorsqu’elles font peser sur la santé humaine un risque avéré.
Je dois toutefois modérer mon propos. Les chances d’être exposé à ces molécules et à un tel risque sont limitées s’agissant de l’eau potable, de l’ordre de 10 %, alors qu’elles sont bien plus importantes s’agissant de l’air. Ainsi, les produits phytosanitaires, notamment lorsque les agriculteurs les épandent par pulvérisation, représentent un risque bien plus important.
M. le président
La parole est à Mme Pauline Cervan.
Mme Pauline Cervan
Vous abordez à juste titre la question des eaux en bouteille. Elles ne sont pas exemptes de pollution chimique, en particulier aux PFAS. Des analyses ont ainsi permis d’y découvrir du TFA. Il a également fallu retirer du marché certaines de ces eaux parce qu’elles violaient plusieurs normes relatives aux pesticides. Elles sont en outre affectées par la pollution au plastique, du fait du transfert de microplastique. Y recourir est donc loin d’être recommandé !
Concernant le caractère plus ou moins suffisant des normes, la question se pose au sujet des PFAS. Actuellement, la norme s’établit à 0,1 microgramme par litre pour la somme de vingt PFAS. La communauté scientifique la conteste : d’autres pays ont adopté des seuils bien moins élevés. En effet, les PFAS sont toxiques à des doses très faibles. Il est à peu près certain que cette norme sera revue à la baisse car elle n’est pas assez protectrice.
M. le président
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR)
Le rapport d’inspection publié en juin dernier sur les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l’eau destinée à la consommation humaine a mis en évidence « l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau ».
La mission d’inspection a insisté sur la nécessité de mettre en place d’urgence des « mesures préventives ambitieuses » en matière de reconquête de la qualité de l’eau, dans un contexte marqué par une inquiétante dégradation de la qualité de l’eau potable en raison de pollutions dues à divers pesticides et à leurs métabolites, aux PFAS ou encore à la dégradation des canalisations en PVC fabriquées entre les années 60 et 80, qui concernent d’abord les communes rurales.
Les collectivités doivent donc faire face, d’une part, aux coûts de traitement des eaux polluées, mais aussi, d’autre part, aux coûts, très importants, de renouvellement des canalisations.
Or les agences de l’eau, pour l’essentiel, choisissent d’agir en vue de résoudre les problèmes de connexion et d’interconnexion des réseaux sans penser aux petites communes rurales, qu’elles ne subventionnent plus. En conséquence, dans ces communes, les réseaux d’adduction d’eau se dégradent, car les collectivités locales ou les syndicats intercommunaux ne sont pas en mesure de les entretenir.
S’il faut affronter, en amont, le problème que pose la pollution, il est également nécessaire d’accompagner les petites communes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
M. le président
La parole est à Mme Adèle Veerabadren.
Mme Adèle Veerabadren
L’équilibre entre approche curative et approche préventive est crucial. La prévention est incontournable et nous devons lui consacrer nos efforts, mais à très court terme, malheureusement, il faut envisager d’adopter l’approche curative. C’est notamment le cas parce que nous retrouvons encore dans l’eau certaines molécules interdites depuis plusieurs années. Dans les eaux souterraines, les métabolites présentent une rémanence très significative.
Les choix de financement des six agences de l’eau françaises, qui s’inscrivent dans une perspective préventive et non curative, sont plutôt défendables. Nous les avons examinés et nous avons rencontré les représentants des agences afin d’aborder cette question et de déterminer quels leviers d’action étaient à notre disposition. En réalité, les logiques auxquelles elles obéissent ne sont pas aussi binaires qu’on peut le penser : tout dépend des bassins et des contextes – notamment parce que certains bassins abritent davantage de communes rurales que d’autres. Les décisions de financement des agences suivent un principe de solidarité, selon lequel les communes rurales doivent aussi bénéficier de soutiens. Souvent, ces décisions visent à instaurer un système incitatif : les agences de l’eau sont prêtes à financer certaines actions curatives si les collectivités s’engagent à prendre des mesures préventives. De fait, c’est ce qui se produit dans bien des cas.
La règle générale que suivent les agences n’exclut donc pas une mesure de souplesse, car les collectivités qui subiront le plus cruellement l’augmentation du prix de l’eau au mètre cube sont précisément les petites collectivités. Les effets des choix de financement relatifs aux collectivités de plus grande taille peuvent être distribués, de sorte que le coût supporté par chaque individu y est bien plus faible. Cette question est abordée en détail dans l’annexe du rapport consacrée au coût des approches curatives.
M. le président
La parole est à M. Dan Lert.
M. Dan Lert
L’approche que défend Eau de Paris repose sur deux piliers : la prévention à la source des pollutions et le traitement curatif des pollutions résiduelles. Il s’agit d’une position réaliste, qu’il est essentiel d’adopter pour affronter les pollutions aux PFAS, aux pesticides et aux résidus médicamenteux. Elle nous a permis d’obtenir des résultats s’agissant des aires d’alimentation et de captage de la ville de Paris. Nous y travaillons avec les agriculteurs, car ces aires sont très éloignées de Paris – elles se situent en Bourgogne, dans l’Yonne ou encore en Normandie. Nous protégeons 17 300 hectares en aidant 115 exploitants agricoles à vivre mieux de leur métier.
Le coût de ces traitements est appelé à augmenter de manière inexorable compte tenu des pollutions que nous observons dans les eaux brutes qui alimentent Paris. Il faut prendre garde aux techniques de traitement utilisées, non seulement du point de vue de leur impact environnemental, mais aussi de leur coût. Celui des membranes d’ultrafiltration évoquées plus tôt représente un triplement ou un quadruplement de la consommation énergétique des usines de potabilisation de l’eau. Tout cela aura des effets sur la facture des usagers des réseaux d’adduction d’eau. Il faut donc intégrer ces facteurs à notre réflexion afin de maîtriser l’augmentation des tarifs de l’eau et permettre à chacun d’accéder à une eau potable de qualité.
M. le président
La parole est à M. René Pilato.
M. René Pilato (LFI-NFP)
Qui peut fournir la liste complète des molécules à rechercher et, parmi elles, des molécules produites du fait d’une dégradation, par exemple dans le cas d’une incinération ? Faut-il les interdire à la source ?
Vous évoquez l’agriculture, mais le secteur industriel rencontre la même difficulté : on peut se demander si, pour certifier une usine avant qu’elle ne rejette de l’eau, il ne faudrait pas imposer un traitement à la sortie de l’usine, afin qu’elle ne rejette pas d’eau, polluée ou non, dans les cours d’eau. Il serait assez simple de le faire.
Je reviens, enfin, au traitement de l’eau. Les charbons actifs que nous ne savons plus traiter, remplis de polluants, sont de plus en plus nombreux. Un de mes collègues déposera une proposition de loi relative à une incinération à 1 400 degrés permettant de minéraliser les PFAS. J’en déposerai une autre visant à ce que les incinérateurs puissent vitrifier les PFAS en pratiquant une telle incinération. Qu’en pensez-vous ?
M. le président
La parole est à Mme Pauline Cervan.
Mme Pauline Cervan
Je répondrai d’abord à la première question, au sujet de la liste des substances à suivre. S’agissant des pesticides, la constitution d’une telle liste devra être menée à bien avec le concours de l’Anses, qui évalue les dossiers et sait quelles substances sont autorisées et quels métabolites se forment. Il conviendrait que cette agence collabore à ce sujet avec la DGS et les ARS.
Pour ce qui est des PFAS, on ne peut se limiter aux vingt PFAS évoquées par la directive « eau potable ». Il faut élargir la liste de celles que l’on recherche, car il en existe bien d’autres. Il conviendrait à tout le moins d’y inclure le TFA.
J’en viens aux normes applicables aux rejets des industries. Il est clair qu’aucune réglementation ne s’impose à elles, s’agissant en particulier des PFAS, comme l’ont montré les analyses effectuées en application de l’arrêté du 20 juin 2023 relatif à l’analyse des PFAS dans les rejets aqueux des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), relevant du régime de l’autorisation, qui oblige ces installations à mener chaque mois, pendant trois mois consécutifs, une campagne d’analyse des PFAS présents dans ces rejets.
Je pense en particulier à un site de BASF, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, qui a rejeté en une journée 87 kilos de TFA directement dans la Seine. D’une manière générale, les rejets des ICPE ne font l’objet d’aucune réglementation, exception faite du perfluorooctane sulfonate (PFOS), l’un des PFAS les plus dangereux, pour lequel une valeur limite d’émission a été fixée.
La proposition de loi votée il y a quelques jours est intéressante en ce qu’elle prévoit, du fait de l’adoption d’un amendement défendu par M. Isaac-Sibille, de réduire à terme la quantité de PFAS autorisée dans les rejets aqueux des industries. Il s’agit d’une contribution majeure à la limitation des émissions à la source de PFAS.
De nombreuses questions demeurent au sujet des incinérateurs. Un arrêté prévoit d’analyser leurs rejets atmosphériques afin d’y détecter la présence de PFAS. C’est en cours mais cela pose divers problèmes car les méthodes d’analyse très récentes ne permettent pas encore de tout prendre en compte.
On sait que l’incinération constitue une source potentielle d’émissions de PFAS et on ne pourra faire l’économie d’une meilleure connaissance des rejets atmosphériques des incinérateurs mais aussi des usines.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
Je remercie nos invités pour leur participation à nos travaux. Avant de commencer la seconde phase de ce débat, je suspends la séance pour cinq minutes.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Merci pour l’organisation de ce débat, qui me fournit l’occasion de présenter les priorités de mon ministère en matière de qualité de l’eau.
C’est un fait, la qualité de notre eau potable s’est dégradée au cours des quarante dernières années. Il s’agit d’une menace insidieuse, associée à des risques d’impacts multiples et de long terme.
Ces impacts concernent la santé publique, évidemment, mais également notre environnement, avec des atteintes à la viabilité des écosystèmes, dans un contexte d’effondrement de la biodiversité. Ils peuvent aussi affecter l’économie, avec des répercussions indirectes sur de nombreuses filières – l’agriculture, la pêche, la conchyliculture ou le tourisme. Par exemple, la dégradation de la qualité de l’eau affecte directement la ressource halieutique et peut provoquer l’interdiction de mise sur le marché de certains produits, comme les coquillages, ce qui déstabilise brusquement des entreprises de notre territoire. En outre, cette dégradation pèse sur les rendements agricoles et nuit régulièrement à l’attractivité touristique.
Enfin, cette dégradation a logiquement des conséquences sur la production d’eau potable et sur l’accès à cette ressource. Un tiers des 15 000 captages d’eau fermés depuis 1980 en France l’ont été en raison de la dégradation de la qualité de l’eau. C’est d’ailleurs la première cause d’abandon des captages.
Pourquoi la qualité de l’eau de ces captages s’est-elle dégradée ? Dans 40 % des cas, des teneurs excessives en nitrates ou en pesticides étaient en cause. De plus, les effets du dérèglement climatique peuvent accentuer les pollutions en les concentrant.
Or vous le savez : d’une part les abandons de captages réduisent l’accès aux ressources en eau potable, au point que certaines agglomérations de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne comptent plus qu’un seul captage, et d’autre part, l’exercice de préservation des captages d’eau potable est difficile. Difficile, car le nombre de captages à protéger est très important, difficile car les moyens humains nécessaires sont colossaux, et difficile car les blocages territoriaux rendent les dialogues parfois complexes.
Il est crucial d’accélérer le déploiement de mesures efficaces pour protéger cette ressource vitale. C’est ce que nous faisons, en agissant sur plusieurs leviers.
Le premier levier consiste à limiter les pollutions diffuses d’origine agricole ou industrielle et celles liées à l’assainissement.
S’agissant des pollutions agricoles diffuses, cela passe par l’adaptation des pratiques et à la transition agroécologique des systèmes agricoles, dans une perspective de réduction de l’usage d’intrants. À cette fin, nous pouvons nous appuyer sur les mesures du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, qui soutiennent les pratiques agricoles à bas niveaux d’intrants sur les aires d’alimentation des captages. Nous nous appuyons également sur l’évaluation des PFAS rejetés dans l’eau par les industriels, sur l’amélioration des connaissances sur les captages d’eau potable contaminés aux PFAS et sur l’interdiction des produits contenant des PFAS dont les risques pour notre santé et notre environnement sont prouvés. Nous avons d’ailleurs débattu de ce sujet il y a quelques jours avant que vous adoptiez une proposition de loi qui concrétisait tout un travail mené au niveau ministériel et interministériel, dans la continuité du plan « PFAS ».
Concernant plus spécifiquement la qualité de l’eau, qui préoccupe de nombreux Français, j’ai demandé à l’Anses de lancer une campagne exploratoire afin de mesurer la concentration de PFAS dans l’eau que nous buvons : trente-quatre PFAS seront recherchés dans plusieurs centaines d’échantillons et nous attendons beaucoup de cette étude.
Je tiens ici à saluer l’adoption, le 20 février, avec le soutien du gouvernement, de la proposition de loi déposé par M. Arnaud Thierry.
Enfin, nous nous appuyons plus largement sur le plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), dont l’un des principaux axes, que je présenterai dans quelques jours dans sa version finalisée, est justement la qualité de la ressource en eau.
Le second levier est la protection, à titre préventif, des captages d’eau potable contre les pollutions. Voici quelques chiffres, afin de vous aider à vous le représenter : la protection des captages représente un coût estimé entre 500 euros et 5 000 euros de l’hectare, selon les mesures prises. Toutefois, ce coût peut être réduit de 30 % si la protection est précisément ciblée et clairement définie dans le temps.
Soyons clairs : le coût de l’inaction serait beaucoup plus important que le coût de la prévention. Les actions curatives représentent déjà un coût certain et récurrent, pour une durée indéterminée, de 1 milliard d’euros par an. La dépollution liée à l’atrazine a par exemple coûté plus de 300 millions d’euros sur plusieurs décennies.
Autre impact économique à prendre en compte et qui démontre la nécessité d’agir : le coût de la fermeture et du déplacement de captages peut dépasser 10 millions d’euros.
Je suis pleinement convaincue de l’importance d’investir dans la protection des captages, pour réduire durablement leur pollution, pour éviter des coûts de traitement récurrents très élevés et pour garantir notre souveraineté et notre indépendance en matière d’eau potable. Souveraineté et indépendance : deux mots d’actualité, alors que nous traversons des moments géopolitiques complexes.
Les chiffres que je viens de citer prouvent qu’une approche préventive paraît économiquement plus viable qu’une approche curative. La prévention est déjà engagée depuis quinze ans, grâce à des actions de protection soutenues par le financement des agences de l’eau, qui portent particulièrement sur les 1 100 captages dits prioritaires.
Toutefois, alors que les molécules recherchées sont de plus en plus nombreuses, la politique appliquée depuis quinze ans devra évoluer. Elle devra se transformer pour être plus efficace.
Il faut être pragmatique : à ce jour, nous n’avons sécurisé grâce aux aires d’alimentation de captages que 1 500 des 33 000 captages que compte notre pays. Notre ambition est claire, mais il convient d’engager les moyens nécessaires à une action plus systématique.
Afin de gagner en efficacité, nous privilégions une approche ciblée sur les captages dont la situation est la plus sensible. Aujourd’hui, nous sommes capables de déterminer les parcelles les plus contributrices à la pollution des captages. C’est d’ailleurs l’objet du travail du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui peut identifier, dans toute une aire de captage, les points de vulnérabilité, par lesquels une pollution particulièrement rapide de l’eau est possible.
De nombreux acteurs de terrain travaillent à cette prévention. Ils mesurent les risques encourus du fait d’une dégradation de la qualité de notre eau, notamment le risque qui pèse sur notre capacité à assurer une alimentation en eau potable à un coût raisonnable.
Le gouvernement a fixé, dans le plan « eau », l’objectif nouveau de protéger ou récupérer les captages à forts enjeux et dont la qualité est menacée. C’est dans ce cadre que s’inscrit la feuille de route de la protection des captages, sur laquelle je travaille depuis mon passage au ministère de l’agriculture et que je devrais publier dans les prochaines semaines.
Cette feuille de route permettra la publication d’un arrêté de définition des captages sensibles, d’un guide à destination des préfets comportant des règles de gestion adaptées à différents cas et d’outils financiers d’accompagnement des changements de pratiques.
J’ajoute que la qualité de l’eau sera l’un des principaux thèmes de la Conférence nationale sur l’eau annoncée par le premier ministre François Bayrou dans sa déclaration de politique générale. Pour simplifier, cette conférence traitera à la fois des enjeux liés à la qualité et à la quantité des eaux.
Je conclus en vous disant que l’eau est le meilleur indicateur de notre santé climatique. Vous pouvez donc compter sur ma mobilisation pleine et entière pour améliorer la qualité de notre ressource en eau grâce à une action environnementale et sanitaire d’ampleur,.
Je vous remercie d’avoir organisé ce débat utile. Il permettra de rappeler l’état de la science, les enjeux liés au sujet, les actions déjà engagées et celles qui restent à mener. Je salue également les parlementaires qui sont engagés sur le sujet, notamment le député Jean-Claude Raux, qui a déposé une proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l’eau potable – elle n’a pas pu être examinée en séance mais, comme vous le savez, nous l’avons regardée avec bienveillance.
M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. René Pilato.
M. René Pilato (LFI-NFP)
En 2020, la Cour des comptes soulignait l’échec des plans Écophyto et appelait l’État à exercer ses compétences normatives et régulatrices pour influer sur les modes de production et sur les filières.
En juin 2024, un rapport d’inspection interministériel, commandé par les ministères de la santé, de l’agriculture et de la transition écologique, soulignait l’échec global de la préservation de la qualité de l’eau destinée à la consommation. Il préconisait l’interdiction en urgence de l’usage des pesticides dans les aires de captage d’eau souterraine les plus polluées. Ce rapport acte donc l’échec des politiques d’accompagnement non contraignantes.
Le bilan est alarmant : 43 % des prélèvements d’eau du robinet seraient contaminés par des PFAS et Nestlé, avec la complicité de l’État, a triché en traitant l’eau dite minérale pour qu’elle soit potable et conforme aux normes avant de la mettre en bouteille, ce qui est interdit. Encore un scandale sanitaire qui révèle que le fric passe avant la santé des gens et la préservation des écosystèmes.
Le coût du traitement des pollutions est payé par les ménages et non par les responsables. Depuis des années, le gouvernement est attendu sur une réforme du principe pollueur-payeur qui prévoirait l’augmentation de la taxe pour pollution diffuse. Quand agirez-vous ?
En octobre 2024, la ministre de la transition écologique avait annoncé une nouvelle feuille de route sur la protection des captages. Nous sommes en mars 2025 et n’avons toujours rien. Quand allez-vous tenir parole ? Dans quelques semaines, dites-vous.
L’être humain est constitué à 65 % d’eau. En attendant que cette dernière redevienne un bien commun sur tout le territoire, l’État doit protéger les captages par la contrainte. Il y va de la santé de la population française, dont tous les corps contiennent, entre autres substances, du glyphosate et des PFAS, avec des conséquences délétères pour la santé. Les non-décisions deviennent criminelles.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Notre objectif est en effet de réaliser un point d’étape dans les prochaines semaines, à l’occasion de la Conférence nationale sur l’eau, voulue par le premier ministre, concernant la mise en œuvre du plan « eau », qui incluait les redevances pour pollutions diffuses. Nous préciserons alors quelles mesures ont été prises, lesquelles restent à prendre, et avec quels moyens financiers. En complément est prévue une feuille de route sur les aires de captage et la qualité des eaux, qui a d’ailleurs vocation à se décliner territorialement, ces sujets devant être abordés au plus près du terrain. Là encore, c’est l’affaire de quelques semaines – pour être précis, ce sera d’ici à la fin du mois plutôt que d’ici à l’été.
M. le président
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (EcoS)
Se servir un verre d’eau du robinet est aujourd’hui un geste du quotidien que l’on fait en toute insouciance ; cela pourrait ne plus aller de soi à l’avenir.
Pourra-t-on encore boire de l’eau non polluée en France ? C’est la seule question qui vaille. L’échec global à préserver la qualité de l’eau est la conclusion majeure du rapport conduit par trois inspections générales. Ce constat nous a conduits à déposer une proposition de loi pour préserver durablement la qualité de l’eau potable, et à tenir le présent débat.
Vous le savez comme nous, la reconquête de la qualité de l’eau s’apparente au mythe de Sisyphe poussant son rocher. Depuis des décennies, de lois – en 1964, 1992, 2006 – en Grenelle, d’assises en Varenne agricoles, jusqu’aux plans « eau » et à la future conférence que vous évoquez, nous réaffirmons nos ambitions, nous prenons des engagements, nous planifions. En vain. Les ambitions ne se concrétisent jamais, les engagements ne sont pas respectés et la planification est toujours reportée. Nous capitulons et nous laissons faire par manque de courage politique.
Chaque substance découverte complexifie et renchérit les traitements, sans parler des impasses techniques auxquels nous confrontent les PFAS. Demain, les collectivités se retrouveront devant un mur d’investissements, les usagers devront faire face à une flambée du prix de l’eau, et les territoires à un creusement des inégalités.
Si l’action publique n’est pas à la hauteur, c’est qu’elle repose sur le bon vouloir. La détection puis l’interdiction des produits prennent toujours beaucoup trop de temps. Qui assumera les conséquences environnementales, sanitaires, financières ? Qui expliquera que l’eau du robinet est impropre à la consommation ? Qui prétendra qu’il ou qu’elle ne savait pas ? Il est temps d’agir en sanctuarisant les zones de captage déjà vulnérables. Serez-vous la ministre qui saura enfin protéger notre prétendu bien commun ? Quelles recommandations du rapport des inspections suivrez-vous au plus tôt ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Le rapport en question comporte treize recommandations, qui peuvent être classées en trois grands paquets. Le premier relève plutôt du ministère de la santé : il concerne les connaissances scientifiques dont nous disposons pour mesurer la qualité de l’eau, l’enjeu consistant à définir des valeurs toxicologiques de référence (VTR). Ce travail est en cours, notamment au sein de l’Anses.
Le deuxième paquet a trait aux traitements curatifs, qui font l’objet d’aides de la part des agences de l’eau. Ces aides favorisent la dépollution, à une condition : que l’aire de captage traitée fasse aussi l’objet d’un travail de prévention afin d’éviter toute repollution future.
Le troisième paquet de recommandations concerne l’accompagnement des collectivités locales, afin de sécuriser les aires de captage. Ce sera l’objet de la feuille de route que j’évoquais. Nous estimons nécessaire d’adopter l’approche la plus efficace possible, à la hauteur de nos moyens, ce qui suppose de s’appuyer sur les études du Cerema qui sait déterminer, pour chaque aire de captage, les endroits à traiter prioritairement. Parfois, pas de chance, l’ensemble de l’aire de captage est vulnérable ; d’autres fois certaines parties seulement sont dans ce cas, sur lesquelles nous devons concentrer les efforts. Nous procédons territoire par territoire pour déterminer les sources de pollution, avant que des mesures soient prises, pilotées par le préfet…
M. le président
Merci de conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Désolé, monsieur le président, je n’avais pas vu que j’avais dépassé mon temps de parole. Je m’arrête là.
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem)
L’eau potable peut contenir des PFAS ou des pesticides, mais comptez-vous approfondir les contrôles ? L’eau contient également des antibiotiques, des hormones et d’autres substances : comment surveillez-vous tout cela, sachant qu’il faut tenir compte d’un « effet cocktail » et qu’il ne s’agit donc pas de déterminer la seule présence de telle ou telle molécule. Tout étant toxique passé un certain seuil, il s’agit de connaître la valeur toxicologique de référence de chacune des molécules.
L’Anses, on le sait, travaille notamment sur les PFAS, dont le seuil de contamination est actuellement fixé à 100 nanogrammes par litre. Pensez-vous que la VTR de chaque PFAS est vouée à diminuer ? Si ce devait être le cas, quels traitements prévoyez-vous ?
Enfin, si les grandes collectivités peuvent assumer le coût de la dépollution, c’est moins le cas des petites, quand bien même les industriels mettraient la main à la poche. Nous avons évoqué ce point lors de l’examen de la proposition de loi relative aux PFAS, il y a dix jours : comment le gouvernement compte-t-il aider les petites collectivités à dépolluer l’eau destinée à la consommation humaine ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous posez tellement de questions qu’en deux minutes ma réponse ne sera sans doute pas satisfaisante. S’agissant du contrôle de l’eau, nous allons plus loin sur le terrain que ce que prévoit la directive « eau potable », car les ARS se sont naturellement adaptées en élargissant la liste des substances à rechercher un peu au-delà des vingt molécules prévues – il conviendra d’ailleurs d’adapter la directive pour rechercher davantage de molécules dans les points de captage à l’avenir, tout en laissant aux ARS la latitude nécessaire pour aller encore plus loin.
Nous procédons désormais à une évaluation systématique des rejets de PFAS et nous avons soumis à un certain nombre de prescriptions les 200 sites qui en rejettent de manière avérée dans les milieux. Nous fournirons d’ici à l’été une base de données contenant l’ensemble des résultats d’analyses, y compris celles de l’eau potable. La population sera ainsi parfaitement informée – en fait, l’information est déjà disponible mais seuls les spécialistes peuvent y accéder facilement.
Il est également prévu de mesurer la présence des perturbateurs endocriniens susceptible d’interférer avec le système hormonal. Il est vrai que nous avons moins de données en la matière. Nous le reconnaissons avec humilité : nous devons renforcer nos moyens d’analyse scientifique lorsqu’il est établi que les risques existent qui appellent une action rapide – d’autres sujets peuvent peut-être être traités de façon décalée.
Il nous faut aussi des moyens humains, c’est-à-dire des personnes avec des compétences, au sein de l’Anses comme ailleurs sur le territoire, ainsi que des moyens financiers. En France, un seul laboratoire était capable d’effectuer des mesures concernant PFAS, et nous ne disposions pas de méthode au niveau européen, pour mesurer leur présence dans l’atmosphère. On voit bien qu’il y a encore du travail à faire.
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin (LIOT)
Je vous remercie pour ce beau débat sur cette question cruciale. Les pertes d’eau potable liées aux fuites sont estimées à 20 % dans les réseaux de distribution de l’Hexagone. Ce taux peut atteindre 50 % dans certaines petites villes aux réseaux vétustes et mal entretenus. En Guadeloupe, seulement 32 % de l’eau arrive au robinet, selon une étude réalisée en 2022. Ce triste record s’accompagne de « tours d’eau » dans les quartiers, lesquels sont tour à tour alimentés en eau. Certains jours, voire plusieurs jours de suite, il n’y a pas d’eau au robinet.
Cela dure depuis des dizaines d’années. Sans compter qu’à chaque événement climatique majeur – on l’a aussi vu à Mayotte –, il n’y a plus d’eau du tout. Il semble que l’on redécouvre à chaque fois la situation. Rien n’est anticipé : les stocks de bouteilles d’eau ne sont pas directement accessibles et il faut plusieurs jours pour les obtenir et les distribuer à la population.
Ces problèmes ont des conséquences délétères sur la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi sur les entreprises, le tourisme, les écoles, lesquelles sont obligées de fermer un mois supplémentaire par an, si l’on cumule tous les jours de fermeture liés aux coupures d’eau. Le gouvernement, qui incitait en 2021 à la création du syndicat unique de l’eau en Guadeloupe, et qui a choisi de nommer un sous-préfet chargé de coordonner et de piloter les dossiers relatifs à l’eau et à l’assainissement, peut-il nous dire quand nous aurons de l’eau au robinet, tous les jours, sans coupure ? Il arrive que nous nous battions contre la chlordécone et les pollutions, mais, en l’occurrence, nous en sommes seulement à demander de l’eau.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous avez raison de souligner la situation dans les territoires d’outre-mer, dont certains connaissent des pertes d’eau pouvant atteindre 60 %, en moyenne, sur un territoire. C’est gigantesque ! L’assainissement n’est parfois pas du tout satisfaisant ; il n’est pas au niveau de l’Hexagone. Certains phénomènes propres à ces territoires, comme les cyclones, accroissent la vulnérabilité des réseaux. Citons aussi l’absence de moyens d’intervention évoquée par le ministre d’État Manuel Valls à propos de La Réunion, où les groupes électrogènes n’étaient pas disponibles pour redémarrer les stations d’eau après le passage du cyclone Garance. Il a d’ailleurs annoncé qu’il allait prendre ce problème à bras-le-corps. En Guyane, les marées entraînent aussi un phénomène de salinisation qui complexifie encore la situation.
Vous avez raison, une politique ad hoc et des investissements massifs sont nécessaires pour assurer la potabilisation, la sécurisation des réseaux d’eau et de l’assainissement, et pour renforcer les moyens d’intervention en période de crise.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC)
La question de la ressource en eau, de sa qualité comme de sa quantité, de sa protection et de son partage est devenue très prégnante. Je poserai deux questions précises.
La première concerne l’action des commissions locales de l’eau (CLE), chargées d’élaborer et de suivre le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage). Dans les bassins versants, les exigences ont été renforcées par le plan « eau » présenté par le président de la République à Serre-Ponçon, le 30 mars 2023. Les CLE contribuent à l’élaboration des politiques de l’eau dans les territoires, mais se trouvent limitées par des moyens financiers beaucoup trop faibles pour assurer des missions toujours plus larges. Les CLE œuvrent en faveur de la protection des captages, du partage de la ressource, de la gestion du multi-usages et de la mesure de la capacité des sources, souvent très peu connue dans les territoires. Le financement des CLE est uniquement assuré par les collectivités ainsi que par les agences de l’eau qui rémunèrent les chargés de mission. Or les collectivités rencontrent de plus en plus de difficultés à financer ces CLE, ce qui est très dommageable pour la surveillance de la ressource et de la qualité de l’eau.
Seriez-vous favorable à ce que la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) puisse financer le fonctionnement des CLE ? Je travaille sur cette proposition.
Ma seconde question, en écho à une autre déjà posée sur le sujet, concerne l’application du principe pollueur-payeur pour financer la dépollution des sites. Ma circonscription fournit un exemple avec le site de Vencorex : l’entreprise quitte la plateforme chimique sans avoir provisionné un seul euro, ni pour le démantèlement, ni pour la dépollution, laissant ainsi le site pollué à la charge des collectivités.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Comme vous le savez, certains financements des CLE sont assurés par les agences de l’eau, dont le budget doit augmenter en 2026 : l’augmentation de leurs taxes est en cours, certaines agences devant encore valider cette augmentation en conseil d’administration. Elle est nécessaire si l’on veut financer l’ensemble des actions du plan « eau ».
S’agissant de la taxe Gemapi, je reste vigilante car beaucoup de demandes d’augmentation me parviennent de la part des collectivités locales, qui souhaitent financer de très nombreuses actions liées à l’eau.
Dans mon département, très touché par les inondations, on se demande si une augmentation de cette taxe ne permettrait pas de financer les ouvrages permettant de se protéger des crues. Pas plus tard qu’hier, le Comité national du trait de côte (CNTC) proposait également d’augmenter cette taxe pour financer la lutte contre l’érosion côtière. Vous faites également une proposition valide que la taxe Gemapi pourrait effectivement financer.
Tout cela montre surtout que la multitude des enjeux liés à l’eau – à sa qualité et au financement du petit et du grand cycle de l’eau – requiert des investissements considérables, qu’il s’agit de rendre visibles afin d’identifier ensuite les sources possibles de financement.
Dans ce cadre, la question de la solidarité et celle du principe pollueur-payeur se posent. Cependant, comme on a pu l’observer récemment avec l’augmentation de la redevance pesant sur les industriels qui consomment de l’eau potable, des laiteries ont vu leurs factures multipliées par quatre ou cinq et se trouvent dans l’incapacité de les régler du fait de leur modèle économique. Le principe utilisateur-payeur ou pollueur-payeur ne peut donc malheureusement pas être appliqué de façon systématique.
Les sujets que vous abordez seront au cœur de la Conférence nationale sur l’eau. Je reste prudente et je ne peux pas affirmer que nous obtiendrons en 2025 toutes les réponses attendues. Cependant, je souhaite que cette année, nous terminions de déployer le plan « eau », en établissant des financements solides et une maquette crédible pour le projet de loi de finances pour 2026, avec une visibilité correcte à trois ou quatre ans. Je souhaite également que nous déroulions la feuille de route relative à la qualité de l’eau, en posant les fondements du financement du petit et du grand cycle de l’eau, compte tenu de l’effet du dérèglement climatique. À mon avis, vous n’êtes pas près de cesser de travailler sur ce sujet dans les cinq ans qui viennent.
M. le président
La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho (EcoS)
Les solutions de gestion de l’eau à la parcelle, proposées notamment par le Cerema, ne varient guère de celles avancées depuis le Grenelle de l’environnement, en 2007 : elles ont échoué. Le rapport d’inspection souligne la nécessité d’actionner d’autres leviers, d’ordre régalien : d’une part l’interdiction de certaines substances, d’autre part la protection réelle des aires de captage, notamment en faisant en sorte que les exploitations qui s’y trouvent passent à l’agriculture biologique.
Je poserai deux questions brèves. Premièrement, alors que nous sommes plusieurs ici à suivre depuis longtemps les questions liées à la politique de l’eau, nous ne disposons d’aucune information concernant la Conférence nationale de l’eau que vous évoquez, et qui est potentiellement intéressante. Je suis l’élue d’un territoire qui se trouve pris dans un conflit majeur quant à l’usage de l’eau. Qu’est-ce que cette Conférence nationale ? Quand se tiendra-t-elle et avec qui ? J’imagine que l’idée n’est pas de faire de l’entre-soi et de réunir uniquement des gens qui pensent tous la même chose.
Deuxièmement, comment pouvons-nous aider le ministère de l’écologie à gagner des arbitrages dans le contexte actuel ? Faut-il rappeler à quel point la ressource en eau potable constitue un enjeu critique pour les temps qui viennent ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous avez raison : les solutions de gestion de l’eau à la parcelle ne sont pas nouvelles. Seulement, ont-elles vraiment été déployées de façon systématique ? Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu la volonté de la part des ministres d’agir en ce sens, mais les travaux du Cerema mettent en évidence que l’action politique, sur le terrain, a connu des hauts et des bas en la matière.
Concernant la Conférence nationale sur l’eau, la vision qu’en avait le premier ministre Michel Barnier différait sans doute de celle du premier ministre François Bayrou. Mon premier objectif est d’aller jusqu’au bout du plan « eau ». Il convient de ne pas passer sans cesse d’un dispositif à un autre et de s’assurer, au contraire, que l’on mènera bien à son terme ce plan lancé par mon prédécesseur Christophe Béchu. Il comportait de nombreuses mesures importantes qui ont été déclinées dans chaque comité de bassin, dans le cadre d’une gouvernance qui fonctionne avec les collectivités locales et les préfets coordonnateurs de bassin. Mon second objectif est d’établir une feuille de route pour la qualité de l’eau. Nous sommes en train de parachever notre réflexion mais la Conférence devrait se tenir à la fin du mois, qui marquera le deuxième anniversaire du plan « eau ».
Pour aider le ministère de l’écologie, je crois que la prise de conscience des collectivités locales est décisive. Lorsque je discute avec Intercommunalités de France, certains présidents d’agglomération s’inquiètent de ne plus disposer que d’un seul point de captage. Chacun comprend bien qu’une population de 250 000 habitants qui dépend d’un seul point de captage se trouve dans une situation de grande vulnérabilité, si un accident survenait ou si une pollution plus sournoise venait à progresser. C’est pour moi le levier principal, qui met en mouvement les collectivités locales, donc le Sénat, avec une écoute attentive de la part de l’Assemblée nationale.
Je suggère donc de partir de là, en s’appuyant sur la Conférence nationale de l’eau qui rassemblera des acteurs très engagés et qui auront sans nul doute des choses à dire.
M. le président
La parole est à M. Gabriel Amard.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP)
Nous étions plusieurs députés à réclamer, à l’époque, un débat parlementaire sur la transposition par ordonnance de la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.
Force est de constater que nous étions fondés à souhaiter davantage de transparence dans cette transposition, puisque les collectivités locales, dès lors qu’elles sont autorités organisatrices des services d’eau potable, se sont trouvées, du fait de l’engagement de la France vis-à-vis de Bruxelles, dans l’obligation de réaliser des diagnostics avant le 1er janvier 2025.
Corapporteur, dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, de la mission flash sur les conséquences pour les collectivités territoriales de la transposition de la directive susmentionnée, j’ai pu constater que dans la majeure partie de notre pays, les diagnostics relatifs à la précarité dans l’accès à l’eau, définie comme l’impossibilité de garantir entre 50 et 100 litres d’eau par jour et par personne, ne sont pas réalisés – que cette précarité soit due à des raisons sociales, à un non-raccordement, à l’absence d’eau à certaines périodes de l’année ou à une mauvaise qualité de l’eau.
Ma première question est donc la suivante : qu’envisagez-vous pour faire en sorte que ces diagnostics soient réalisés, conformément à l’engagement européen de la France ?
Deuxième question : alors que les industriels français envoient en Belgique leurs charbons actifs chargés en PFAS, qu’en est-il des charbons actifs qui doivent être régénérés ou détruits après qu’ils se sont chargés en PFAS lors des opérations de potabilisation de l’eau ? Il n’existe pas de filière française de régénération et de destruction des charbons actifs chargés en PFAS. Que prévoyez-vous en la matière ?
Enfin, j’appelle votre attention sur le fait que, alors que les PFAS sont présents dans de nombreux secteurs, c’est l’usage domestique de l’eau qui finance la majeure partie des recettes des agences qui doivent réaliser les travaux de dépollution. La redevance reste à 0 % pour les agriculteurs, alors que…
M. le président
Merci de conclure !
M. Gabriel Amard
…des PFAS sont présents dans l’agriculture chimique. Pour les industriels, elle est toujours plafonnée à un niveau qui ne permet pas de lever des recettes suffisantes. Pourtant, comme cela a été dit, les collectivités locales seront confrontées à un mur d’investissements pour engager la destruction des PFAS.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous posez plusieurs questions. Les diagnostics sont progressivement réalisés, dans le cadre des plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE). Ils ne le sont peut-être pas au rythme que l’on espérerait, mais l’objectif de la feuille de route sur la qualité de l’eau est précisément d’accélérer ce travail.
Par ailleurs, vous avez souligné à juste titre l’absence de filière française de traitement des charbons actifs. C’est un sérieux problème, que j’ai bien identifié, mais auquel je n’ai pas de solution immédiate à apporter. C’est sans doute un enjeu à traiter au niveau européen. J’évoquais le fait, à propos des PFAS, qu’un seul laboratoire en France soit capable de conduire les analyses adaptées – ce qui explique le délai qui a été nécessaire pour les mener. De même, aucune méthodologie européenne n’était établie pour mesurer les PFAS dans les voies aériennes. Peu de pays européens disposent des laboratoires requis ; les États-Unis sont, sur ce point, bien plus en avance que nous.
Vous savez que nous sommes quelques États à défendre une vision ambitieuse en matière de PFAS. Mes collègues de plusieurs pays du Nord ont signé un papier au Conseil environnement d’octobre 2024. Je venais alors d’être nommée ministre avec mon portefeuille actuel. Nous les avons rejoints en pensée – le papier était déjà publié mais nous soutenons cette initiative. Je rencontrerai demain la commissaire européenne à l’environnement, Jessika Roswall. Même si je l’avais déjà alertée sur ce sujet mezza-voce, je le ferai de nouveau.
S’agissant des redevances, j’ai apporté un éclairage notamment sur les évolutions de la redevance pour pollutions diffuses (RPD) en lien avec la feuille de route relative à la qualité de l’eau. Dans le cas d’acteurs économiques qui ne génèrent pas toujours une marge extraordinaire – cela dépend – et qui souffrent d’une concurrence importante, en particulier en ce moment, nous devons comme toujours chercher un équilibre.
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
Dans la continuité de la précédente intervention et de votre réponse, j’évoquerai la redevance pour pollutions diffuses. À l’automne 2023, le gouvernement prévoyait dans le projet de loi de finances pour 2024 d’augmenter cette redevance d’environ 20 %. Cette taxe, qui est l’application du principe pollueur-payeur, répond à l’inquiétude grandissante des collectivités locales.
Nous avons le sentiment que le gouvernement a enterré quelque peu cette redevance, comme c’est malheureusement le cas bien souvent pour les outils en matière d’écologie. Pourtant, elle permet aux agences de l’eau d’agir directement à la source des pollutions, en accompagnant notamment les agriculteurs et agricultrices dans la transition agroécologique de leurs pratiques.
La demande d’accompagnement est réelle. L’agence de l’eau Loire-Bretagne a dû par exemple refuser toute nouvelle demande dès juillet 2024 – elle rattrape en 2025 les projets qui n’ont pas pu être financés l’année dernière.
M. Gabriel Amard
Tout à fait !
Mme Cyrielle Chatelain
C’est mon collègue Jean-Claude Raux qui a appelé mon attention sur ce point très problématique.
J’ai deux questions. Croyez-vous à une augmentation de la redevance comme le demandent les collectivités ? Vous avez commencé à répondre sur ce sujet, mais nous souhaiterions une réponse plus précise. Si ce n’est pas le cas, quelles nouvelles sources de financement le gouvernement compte-t-il mobiliser face au mur d’investissements nécessaires pour protéger la ressource en eau, distribuer une eau de qualité et accompagner les collectivités face à ce défi ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
J’ai effectivement commencé à répondre à cette question. Vous le savez, la redevance sur la consommation d’eau potable a bien augmenté. Pour certains acteurs, l’augmentation a été bien supérieure à 20 %, ce qui aujourd’hui pose problème et nous conduira à nous pencher de nouveau sur la question.
Nous avions une proposition d’amendement dans l’optique de la commission mixte paritaire, qui a malheureusement été écartée, ce qui fait que certains acteurs paient cinq ou six fois la facture alors qu’ils n’ont pas les reins suffisamment solides – ce sont souvent des petits industriels de l’agroalimentaire. Il faut aussi avoir en tête l’impact de la redevance, qui est important.
S’agissant des agriculteurs, la discussion a été repoussée. Je souhaite la reprendre avec ma collègue Annie Genevard, dans un contexte où l’enjeu est aussi qu’ils aient la capacité à payer. La concertation devra prendre en compte les rendez-vous qui ont peut-être été manqués d’un point de vue financier. Je pense par exemple aux paiements pour services environnementaux (PSE) qui n’ont pas forcément été au niveau attendu compte tenu des investissements réalisés par les agriculteurs, ou encore aux mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) – de nombreux agriculteurs qui s’étaient engagés se sont retrouvés en déséquilibre économique, eu égard aux efforts réalisés. De manière plus générale, je pense à la situation de la filière bio, au sein de laquelle on observe un déconventionnement non négligeable d’agriculteurs engagés.
À un moment, il est nécessaire de dire « voilà le chemin qu’on vous propose » et de s’y tenir. Tant qu’on n’a pas construit un dispositif dans lequel les engagements financiers vis-à-vis des agriculteurs seront respectés – alors qu’ils prennent le risque de voir leur rendement diminuer ou celui de ne pas trouver de marchés –, on ne sera pas crédible. C’est cette conversation-là qu’on doit avoir aussi, ce qui soulève plus largement la question de la PAC.
M. le président
La parole est à M. Jean-Victor Castor.
M. Jean-Victor Castor (GDR)
Je parlerai de la Guyane. Vous avez évoqué tout à l’heure la salinisation, mais le vrai problème en Guyane, c’est l’accès à l’eau potable et l’orpaillage illégal. Après le scandale du chlordécone aux Antilles, la Guyane vit celui de l’intoxication au mercure. Nous en avons déjà parlé en commission du développement durable. J’espère que vous ne me renverrez pas à M. Valls comme vient de le faire le ministre Rebsamen.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Un petit peu ! (Sourires.)
M. Jean-Victor Castor
Au moment où je vous parle, les garimpeiros opèrent dans un affluent qui aboutit directement dans l’aire de captage de la plus grande station de production d’eau potable de Guyane, qui alimente l’ensemble de l’agglomération de l’île de Cayenne. Aucune mesure n’a été prise – aucune.
Ensuite, en Guyane, depuis très longtemps, d’après l’agence régionale de santé, 48 % de la population desservie était alimentée par une eau présentant des concentrations en aluminium supérieures à la limite réglementaire – il s’agit d’eau potable ayant fait l’objet d’un traitement par la Société guyanaise des eaux.
Il y a donc deux problèmes en matière d’eau potable, outre le fait que de nombreux habitants n’y ont tout simplement pas accès. Quels changements radicaux de politique publique opérerez-vous sachant que le ministère des outre-mer n’a pas du tout les moyens financiers de tels changements ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Oui, je vous renverrai vers mon collègue Manuel Valls, mais je répondrai aussi directement à votre question. Je vous renvoie vers Manuel Valls parce qu’au fond, pour les outre-mer, son ministère est la tour de contrôle qui s’appuie sur chacun des ministères techniques et les moyens de ces derniers pour conduire les politiques publiques.
M. Jean-Victor Castor
C’est une tour qui ne contrôle pas grand-chose !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Dans certains domaines, ce ne sera pas le ministère des outre-mer qui apportera un appui financier. Pour citer un exemple très concret, nous recherchons des contributions importantes pour financer le plan « eau » à Mayotte. Ces ressources viennent bien du budget de mon ministère – elles sont prélevées sur l’ensemble des agences de bassin de l’Hexagone en vertu du principe de solidarité.
L’accès à l’eau potable relève d’une politique d’infrastructures. S’agissant de la qualité de l’eau, vous évoquez, au-delà des produits phytosanitaires, l’orpaillage illégal et certaines activités de nature plus industrielle, si j’ose dire. Ma position n’a pas changé. Lorsque j’étais ministre de la transition énergétique, j’ai lancé avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) un inventaire du sous-sol de la Guyane pour permettre au territoire de connaître ses ressources et de poser les premiers jalons d’une reconquête de ces dernières au moyen d’une mine responsable, c’est-à-dire fondée sur des processus exempts de traitements et de rejets néfastes sur le plan environnemental. On sait faire de la mine responsable dans le monde : Eramet sait le faire, les acteurs européens savent le faire.
Je ne parle pas de la dimension sociale, qui doit évidemment aussi être contrôlée. En Guyane, des personnes entrées clandestinement sur le territoire pratiquent l’orpaillage illégal dans des conditions dramatiques.
Je soutiens totalement mon collègue sur tout projet qui concernerait la mine responsable, qui s’appuierait sur des capitaux permettant aux Guyanais de bénéficier des retombées économiques de ce développement et sur des préconisations environnementales visant à protéger la ressource en eau et la qualité des écosystèmes guyanais.
C’est le chemin que nous devons emprunter. Le BRGM a posé les prémices. Le code minier a été réformé afin de faciliter l’intervention en matière de mines. J’ai défendu au niveau européen le Critical Raw Materials Act, qui soutient aussi des politiques de cette nature. Nous n’allons pas agir dans la minute qui suit, mais des fondements sont en train d’être posés. Je serai évidemment aux côtés de mon collègue. Enfin, nous examinerons plus précisément les pollutions que vous évoquez pour nous assurer que les mesures correctes sont prises.
M. le président
Le débat est clos.
5. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heure trente :
Questions sur le thème : « Valoriser la France qui travaille ».
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra