Première séance du mercredi 06 novembre 2024
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au Gouvernement
- Indemnisation des incorporés de force en Alsace
- Politique de l’emploi
- Régulation des réseaux sociaux
- Suppression de 4 000 postes d’enseignants
- Souveraineté alimentaire
- Fermeture de bureaux de poste
- Inquiétudes des entreprises
- Situation assurantielle dans les outre-mer
- Lutte contre le narcotrafic
- Prévention des inondations
- Lutte contre le narcotrafic
- 2. Report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
- M. François-Noël Buffet, ministre des outre-mer
- M. Florent Boudié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Arthur Delaporte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 3. Projet de loi de finances pour 2025
- Première partie (suite)
- Première partie (suite)
- M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Après l’article 13 (suite)
- Rappel au règlement
- Après l’article 13 (suite)
- Rappel au règlement
- Après l’article 13 (suite)
- Amendements nos 2701, 2344, 491, 2003, 1980, 2346, 2347, 2349, 949, 2351, 3210, 2382, 3313, 2334, 3607, 2630, 2607, 2015, 2377, 2302, 2386, 1527, 3294, 3433, 3582, 3030, 1715, 3044, 1368, 3287, 1719, 1528, 1136, 2699, 1753, 2551, 3374, 2428, 3611, 934, 2372, 2375 et 2359
- Sous-amendement nos 3731, 3732, 3733
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au Gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Indemnisation des incorporés de force en Alsace
Mme la présidente
La parole est à Mme Louise Morel.
Mme Louise Morel
Monsieur le ministre délégué auprès du ministre des armées et des anciens combattants, ce n’est pas sans émotion que je prends la parole, tant le sujet que je souhaite évoquer parle au cœur de chaque famille d’Alsace et de Moselle. Depuis des décennies, les interpellations se succèdent sur la considération que la France a témoignée aux incorporés de force des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, mais les réponses n’ont pas apporté l’apaisement.
Pour celles et ceux qui l’ignorent encore, les incorporés de force, ce sont 130 000 hommes qui ont été contraints de revêtir l’uniforme allemand pendant la seconde guerre mondiale et de se battre contre leur patrie. Trente mille d’entre eux sont morts, 30 000 sont revenus blessés de guerre ou invalides et 10 000 ont été portés disparus.
Le sort que notre république leur a réservé après la guerre n’est pas digne. Nous avons voulu oublier qu’ils ont été des victimes de l’histoire nationale, oublier qu’ils n’avaient pas le choix ; oublier leur héroïsme – ils ont été nombreux à recevoir la médaille de la Résistance intérieure ; oublier les drames que cela a entraînés dans chaque famille, et je pense avec émotion à leurs veuves et à leurs orphelins.
Dans quelques jours, nous commémorerons le 11 Novembre et célébrerons le 80e anniversaire de la libération de l’Alsace.
Aurons-nous enfin le courage de reconnaître que l’incorporation de force est un crime ? Elle l’est, car l’Alsace et la Moselle ont été annexées de fait, non de droit.
Le Gouvernement acceptera-t-il enfin d’enseigner cette histoire de manière permanente dans les manuels scolaires de notre pays ?
M. Pierre Cordier
Surtout que la seconde guerre mondiale est déjà presque effacée dans les mémoires !
Mme Louise Morel
L’histoire de l’Alsace et de la Moselle, ce n’est pas de l’histoire locale, c’est la grande histoire de la France !
Enfin, quelles actions concrètes comptez-vous mener pour indemniser les orphelins de cette tragédie ?
Les témoins courageux de cette histoire sont de moins en moins nombreux. Près de quatre-vingts ans après la fin de la guerre, ils méritent des réponses claires. (Applaudissements sur de nombreux bancs de tous les groupes.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué auprès du ministre des armées et des anciens combattants.
M. Jean-Louis Thiériot, ministre délégué auprès du ministre des armées et des anciens combattants
Je vous remercie d’avoir évoqué ce sujet, qui est une plaie douloureuse dans notre histoire nationale. Nous savons quel enfer ce fut pour les Alsaciens et les Mosellans, incorporés de force dans la Wehrmacht, d’avoir été obligés, sans avoir le choix, de porter les armes de l’Allemagne contre leur pays et contre leur patrie.
Évidemment, c’est une tragédie absolue. Notre pays – la « France de l’intérieur » comme on dit en Alsace – en est conscient.
En termes symboliques, des efforts sont faits. L’État soutient ainsi le projet de construction à Schirmeck d’un mur portant les noms des disparus et des morts. Il faut des réparations symboliques, mémorielles. Je ne peux être que favorable à ce que cette histoire, qui fait partie de l’histoire de la seconde guerre mondiale, soit enseignée dans les manuels.
Pour ce qui est de l’indemnisation, on a évidemment envie d’apporter un soulagement à ces personnes. Cependant, un traité a déjà été signé avec l’Allemagne à ce sujet, en 1981. L’incorporation a été reconnue comme une faute allemande : la France n’est pas responsable de ce qui est arrivé aux « malgré-nous ».
S’agissant des orphelins, les enfants des 110 000 soldats tombés pendant la campagne de France n’ont jamais été indemnisés. Je ne vois pas comment je pourrais justifier que l’on indemnise uniquement les orphelins des incorporés de force. On ne peut pas réparer une injustice de l’histoire par une autre injustice. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Politique de l’emploi
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane Viry
Alors que des pertes d’emplois ainsi que des fermetures de sites et de magasins sont annoncées, le taux de chômage ne baisse plus – les prévisions laissent même à penser que, hélas, il va augmenter.
Depuis des mois, partout en France, des entreprises peinent à recruter, quels que soient leur secteur d’activité ou leur taille. Alors que nous connaissons une pénurie de main-d’œuvre, des offres d’emploi ne sont pas pourvues. L’exaspération des dirigeants d’entreprise croît.
Cela, vous le savez, est préjudiciable à nos entreprises, à notre économie, à ces hommes et à ces femmes qui sont durablement au chômage et qui aspirent à trouver leur place dans la société par le travail.
Ce paradoxe, qui dure, nous amène à nous interroger.
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre s’est dit convaincu que les partenaires sociaux étaient capables d’engager des négociations décisives sur l’emploi des seniors et sur l’assurance chômage.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles sont les attentes du Gouvernement envers ces négociations ? Le plein emploi fait-il encore partie des priorités d’action du Gouvernement ? Où en est la volonté de faire la France du travail pour tous ?
Si descendre sous le plafond de 7 % de chômage paraît difficile, lutter contre le chômage de masse et de longue durée doit être un objectif prioritaire. Entendez-vous modifier les paramètres de l’assurance chômage ? Si oui, lesquels et selon quelles modalités ? Le Gouvernement considère-t-il l’assurance chômage comme étant au service de la politique de l’emploi ?
Enfin, quelle est son ambition pour celles et ceux qui sont durablement éloignés du marché de l’emploi ? Quelles politiques d’insertion compte-t-il mener pour leur redonner une place dans la société, par le travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l’emploi
Vous énoncez un triple paradoxe, qu’il nous faut traiter. Notre taux de chômage, de 7,3 %, reste bas par rapport à ce que nous avons pu connaître,…
M. Pierre Cordier
À mon avis, il va évoluer dans les prochaines semaines !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
…mais il est supérieur à la moyenne de l’Union européenne, alors que 500 000 emplois ne sont pas pourvus.
Notre taux de chômage est élevé car le taux d’activité des jeunes et des seniors est particulièrement bas. Je sais que cette question vous est chère.
Avec le Premier ministre, nous avons relancé la question de l’assurance chômage et celle de l’emploi des seniors par le dialogue social. Je n’entends pas préempter les négociations qui se déroulent actuellement, et qui doivent trouver un aboutissement mi-novembre. Elles concernent notamment les bornes d’âge, les entretiens de mi-carrière, les formations, le recrutement pour les seniors, les retraites progressives. Nous en reparlerons.
Pour ce qui concerne les offres d’emploi non pourvues, nous disposons d’un dispositif de formation professionnelle très riche mais complexe, qui devrait gagner en lisibilité. Il serait bon que les financements publics de ces dispositifs soient fléchés vers les besoins en main d’œuvre des entreprises et vers les métiers en tension.
Enfin, concernant les politiques d’insertion des personnes éloignées de l’emploi, je sais que vous êtes attentif à la quarantaine d’expérimentations menées pour mieux accompagner les bénéficiaires du RSA. Les résultats sont encourageants : plus de 40 % des allocataires ont trouvé un emploi dans les six mois. C’est ce que nous voulons généraliser.
Je serai heureuse de discuter plus avant avec vous des négociations sur les seniors et l’assurance chômage mi-novembre, lorsqu’elles seront finalisées.
Régulation des réseaux sociaux
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Thiébaut.
M. Vincent Thiébaut
« TikTok m’a encouragée à mettre fin à mes jours, en donnant des astuces pour acheter des médicaments ou des produits à utiliser pour se faire du mal » : ces mots sont ceux d’une jeune adolescente de 17 ans, qui a tenté de mettre fin à ses jours en raison du harcèlement scolaire, largement accentué par des contenus qui, sur TikTok, font la promotion du suicide, de l’automutilation ou des troubles alimentaires.
Cette jeune fille n’est pas la seule. Récemment, deux adolescentes de 15 ans ont mis fin à leurs jours après avoir fait part de leur mal-être sur TikTok. Ces contenus en ont appelé d’autres. Pris au piège de l’enfermement algorithmique, ces jeunes sont tombés dans une spirale infernale.
Lundi 4 novembre, ces passages à l’acte ont poussé les familles des deux adolescentes ainsi que cinq autres familles à assigner le réseau social TikTok devant la justice. Leur objectif est de faire reconnaître sa responsabilité dans la dégradation de la santé mentale et physique de leurs enfants.
Nous connaissons, par diverses études, le poids de l’enfermement algorithmique chez les jeunes et les conséquences dramatiques auxquelles il peut mener.
Ces dernières années, plusieurs lois, dont celle que l’on doit au président Marcangeli, ont permis d’avancer pour protéger notre jeunesse des dangers du numérique.
À l’heure où la santé mentale est la grande cause nationale, où de nombreux jeunes et moins jeunes sont victimes des contenus néfastes des réseaux sociaux, pourriez-vous nous indiquer les actions à mener ? Que comptez-vous faire pour obliger les plateformes à revoir leurs systèmes de modération et de recommandation ?
C’est une question de santé mentale et de protection de notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, DR et UDR ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Gil Avérous, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative
Vous l’avez souligné, les réseaux sociaux peuvent présenter des dangers réels pour notre jeunesse, en particulier pour les plus jeunes, qui s’y connectent massivement.
M. Pierre Cordier
Même Donald Trump va sur TikTok !
M. Gil Avérous, ministre
Selon une étude de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, menée en 2021, les jeunes fréquentent les réseaux dès 8 ans et demi, et on peut craindre qu’ils ne s’y connectent encore plus tôt aujourd’hui.
La représentation nationale a pris des mesures pour faire face à ces dangers. Je pense notamment à l’instauration d’une majorité numérique à 15 ans ainsi qu’aux dispositions pour mieux prévenir et poursuivre les délits en ligne, tels que le cyberharcèlement. Je veux rappeler aussi le numéro unique pour les jeunes victimes de harcèlement et de violences numériques, le 3018.
Il importe que ces mesures, que vous avez votées, soient appliquées avec force et que, si elles ne le sont pas, des sanctions soient prises, y compris contre les réseaux sociaux les plus puissants.
Touchant ce sujet de société, il faut que tout le monde agisse et que nous ayons une vue d’ensemble. Tout d’abord, nous devons, pour être efficaces face aux plateformes, nous faire entendre au niveau européen : j’aborderai ce point lors du Conseil éducation, jeunesse, culture et sport qui se tiendra les 25 et 26 novembre. Ensuite, il s’agit du quotidien de nos jeunesses, dans leur diversité : chaque minute passée au sein d’une équipe de sport, d’une association, entre jeunes ou de manière intergénérationnelle, est une minute gagnée pour faire nation ensemble. Il convient donc d’encourager les pratiques collectives.
Enfin, ce phénomène met en cause notre capacité à comprendre les aspirations des jeunes, à dialoguer avec eux, à leur donner des perspectives ; c’est pourquoi j’ai nommé Hugo Huet président du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, en lui demandant de faire de ces échanges, y compris dans les territoires ruraux et ultramarins, une priorité. Je tiens à vous assurer que nous serons particulièrement attentifs, à la fois au titre de la grande cause nationale pour 2025 qu’est la santé mentale et à celui du plan d’action pour la jeunesse qu’élaboreront mes services, en relation avec la représentation nationale, dans les prochains mois.
Suppression de 4 000 postes d’enseignants
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
En l’absence de la ministre de l’éducation nationale, j’adresserai ma question au Premier ministre. Si un jour, comme je l’espère et l’y invite, il se rend dans ma ville de Saint-Denis, il pourra lire au fronton d’une école cette phrase gravée dans la pierre : « De l’instruction naît la grandeur des nations. »
M. Pierre Cordier
De qui est-ce ?
M. Stéphane Peu
Que s’est-il passé pour que la France se retrouve le mauvais élève de l’OCDE, avec les effectifs par classe les plus élevés et les professeurs les moins bien payés ? Comment comprendre, au vu de ce terrible constat, que le budget prévoie la suppression de 4 000 postes d’enseignants, dont plus de 3 000 dans le premier degré, le niveau le plus déterminant pour l’avenir des élèves et où, par rapport aux autres pays, nous accusons le plus grand retard ? La baisse démographique invoquée par le ministère de l’éducation nationale devrait au contraire nous fournir l’occasion de nous remettre à niveau (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS), de sortir l’école de la crise dans laquelle elle s’enfonce, afin de combattre l’assignation sociale et de donner à nos enfants, d’où qu’ils viennent, où qu’ils vivent, les mêmes chances de s’émanciper, de devenir des citoyens à part entière. Cette ambition républicaine ne représente pas une charge mais un investissement pour l’avenir.
Ma question sera simple : la semaine dernière les députés ont voté le rétablissement des 4 000 postes que vous comptiez supprimer. Vous engagez-vous devant la représentation nationale à respecter ce vote et à renoncer à ces suppressions jusqu’au terme du parcours législatif du projet de loi de finances ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel.
M. Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel
Je n’ignore pas votre engagement : nous faisions encore partie, il y a quelques semaines, de la même commission et nous connaissons mutuellement nos valeurs s’agissant de l’école. Je vous remercie d’autant plus de votre question qu’elle nous permettra de réaffirmer des éléments importants.
Le Premier ministre l’a dit, l’école, au sein de notre action, constituera une priorité ; c’est pourquoi nous vous proposons de lui accorder un budget de 63 milliards d’euros, le plus élevé de son histoire. Tout n’est pas parfait, tout reste même perfectible, mais en ce moment où les contraintes budgétaires sont lourdes et où la démographie scolaire baisse, vous l’avez rappelé, il s’agit d’un choix budgétaire fort pour soutenir cette école à laquelle nous croyons tous. Nous pourrons ainsi accomplir davantage, notamment diminuer les effectifs moyens par classe, agir en faveur du handicap – 2 500 emplois, dont 500 postes d’enseignants, seront créés dans ce but – et des lycées professionnels, auxquels vous connaissez mon attachement.
Dans les jours à venir, le débat budgétaire donnera à chacun l’occasion d’exprimer ce qu’il souhaite pour notre école : les parlementaires pourront proposer des évolutions, manifester leur volonté par leurs votes, et j’ai hâte que nous puissions en parler tous ensemble.
M. Pierre Cordier
Je vous mettrais dix-huit sur vingt, monsieur le ministre !
M. André Chassaigne
Ne nous prenez pas pour des perdreaux de l’année !
Souveraineté alimentaire
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Vaginay.
Mme Sophie Vaginay
Madame la ministre de l’agriculture, votre arrivée à ce poste avait fait espérer des actions décisives en vue d’enrayer l’agonie de notre agriculture, mais les prêts de court terme que vous proposez ne font qu’ajouter un nouveau sparadrap sur une plaie béante. Un monde s’effondre : la surtransposition des normes européennes en vertu d’un zèle réglementaire bien français finit par rendre l’exercice de l’agriculture tout simplement invivable. Alors qu’ils luttaient déjà pour survivre, nos exploitants, asphyxiés par des réglementations qui vont bien au-delà de celles imposées au niveau européen, affrontent les mains liées une concurrence déloyale.
Les prix s’effondrent, notamment avec l’afflux massif de blé ukrainien ; nos produits doivent rivaliser avec des importations affranchies des normes sanitaires, sociales, environnementales. Il ne s’agit plus de concurrence, mais d’un massacre ! Comme si cela ne suffisait pas, le spectre du Mercosur plane : un projet d’accord de libre-échange remontant à près de trente ans menace de sacrifier définitivement notre souveraineté alimentaire sur l’autel des grands marchés mondialisés. Pendant ce temps, nos éleveurs, déjà étranglés par des revenus dérisoires, voient l’ours et le loup se répandre partout dans les campagnes ; mais ils redoutent moins ces prédateurs que l’Office français de la biodiversité, devenu pour eux un cauchemar administratif. L’OFB doit disparaître (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR ainsi que sur quelques bancs du groupe RN) : l’agriculture française n’a pas besoin d’un flicage constant, mais d’une confiance retrouvée.
M. Pierre Cordier
Ce n’est pas faux !
Mme Sophie Vaginay
Il est grand temps que la France se fasse entendre. Nous devons dire non au Mercosur, protéger nos fermes, défendre notre souveraineté alimentaire.
Mme la présidente
Merci, chère collègue.
Mme Sophie Vaginay
Oserez-vous enfin prendre position ? (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe UDR ainsi que plusieurs députés du groupe RN applaudissent cette dernière.)
Mme la présidente
Je suis désolée mais les orateurs doivent respecter le temps imparti.
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
Vous abordez de nombreux sujets ; je vais tenter de vous répondre le mieux possible en deux minutes.
Je ne reviendrai pas sur les multiples aspects – crise sanitaire, crise de rendement – de la crise que vous avez évoquée. La question des normes est soulignée par tous nos agriculteurs : trop de normes…
M. Pierre Cordier
Surtransposées, surtout !
Mme Annie Genevard, ministre
…qu’ils ne comprennent plus, qui entravent leur travail et jettent un soupçon permanent sur leur activité professionnelle. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR, HOR et UDR.) Il n’est plus possible de continuer ainsi : c’est pourquoi, sous l’égide de M. le Premier ministre, nous avons pris une mesure de simplification très attendue par le monde agricole, consistant en un contrôle administratif unique – pas plus d’un contrôle administratif par exploitation et par an. (Mêmes mouvements.) Cela devrait, je le répète, répondre aux attentes des exploitants. Par ailleurs, j’ai conscience que règne entre ces derniers et l’OFB une énorme incompréhension…
Mme Marie-Christine Dalloz
Ah, oui !
Mme Annie Genevard, ministre
…à laquelle j’entends remédier dans les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.) La concurrence déloyale est un autre problème majeur : l’agriculture n’échappe pas à la globalisation. S’agissant du Mercosur, nous avons eu l’occasion, à de multiples reprises, de le dire très clairement : pour nous, c’est non. (Mme Mathilde Panot s’exclame.)
M. Pierre Cordier
Tu ne connais rien à l’agriculture, Mathilde Panot !
Mme Annie Genevard, ministre
Si le traité était signé, les importations en provenance des États du Mercosur feraient à nos denrées une concurrence directe ; en outre, elles sont produites grâce à des substances néfastes pour la santé et dont l’usage, à juste titre, nous est interdit. Nous devons impérativement faire valoir ces arguments auprès des pays européens susceptibles de rejoindre la position de la France…
Mme la présidente
Merci, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
…et j’espère que le Parlement français pourra se prononcer clairement à ce sujet. Enfin, concernant la prédation,…
M. Fabien Di Filippo
C’est très clair !
Fermeture de bureaux de poste
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Rimbert.
Mme Catherine Rimbert
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
La Poste, pilier de notre service public, reçoit chaque année près de 600 millions d’euros pour assurer des missions essentielles : aménagement du territoire, distribution de la presse, service postal universel. Or en dépit de cette enveloppe, elle s’effondre sous nos yeux ! Les chiffres sont accablants : depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, plus de 1 000 bureaux de poste ont fermé, laissant de nombreux territoires ruraux et périurbains, comme dans ma circonscription du Vaucluse, sans accès à ce service vital.
Malgré la mobilisation des agents, des postiers, en vue d’améliorer le service au public, leur présence décline, faute de vision stratégique de l’État face à la concurrence de multinationales telles que les Gafam. Les Français voient bien que leur Poste, à laquelle, comme à d’autres services publics de proximité, ils restent très attachés, est en perdition. Que faites-vous ? Vous tentez de réduire de 50 millions le soutien de l’État, avant que le Premier ministre ne rétropédale sous la pression des petites communes. Au lieu d’assumer vos échecs, vous préférez diffamer le Rassemblement national : au mois de juin, en pleine campagne électorale, l’actuelle ministre déléguée Marina Ferrari soutenait que le RN voulait « liquider La Poste », tentant ainsi d’instrumentaliser un service public à des fins politiques (M. Jean-François Coulomme s’exclame) tout en le laissant sombrer sous le poids de votre inefficacité.
Notre parti propose des solutions concrètes afin de sauver La Poste ; vous voulez la démanteler petit à petit, en faisant payer la facture aux Français, aux territoires ruraux. Sous ce gouvernement, les services publics de proximité disparaîtront encore un peu plus de nos campagnes. Pouvez-vous donc nous dire quelles mesures vous comptez prendre pour que La Poste retrouve ses missions au service de tous ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Pierre Cordier
Et de La Poste !
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
En entendant le début de votre question, j’ai cru que vous alliez m’interroger au sujet de l’avenir de La Poste (« C’est bien la question ! » sur plusieurs bancs du groupe RN), la manière dont la transformer pour que ce service public reste présent en zone rurale, en montagne, dans le Vaucluse, où vous avez été élue, en Haute-Savoie, où je l’ai été ; en somme le déploiement du réseau France Services, créé par cette majorité et soutenu par le Premier ministre.
En réalité, cette question portait sur un point au sujet duquel j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer devant votre assemblée. Je le dis de concert avec Laurent Saint-Martin : le budget pour 2025 ne prévoit pas de modifier d’un centime la compensation que l’État verse à La Poste au titre de ses missions de distribution postale et d’aménagement du territoire. Pour beaucoup de nos compatriotes, vous l’avez souligné à juste titre, il s’agit là du service public le plus immédiatement accessible : 97 % de la population française réside à moins de 5 kilomètres d’un bureau de poste. Soyez assurée qu’en complément de France Services, qui sera soutenu et développé, le Gouvernement est profondément attaché à ces milliers de points postaux. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Un député du groupe RN
Aucune réponse !
Inquiétudes des entreprises
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois
Ma question s’adresse également au ministre chargé de la souveraineté industrielle : alors que nous avions réussi à instaurer un climat économique porteur et dynamique, à faire reculer le chômage jusqu’à 5 % dans mon département, le Jura, je souhaite l’alerter de la dégradation qu’y subissent la trésorerie et le moral des artisans, commerçants, patrons de TPE, PME ou entreprises de taille intermédiaire. Les difficultés évoquées sont nombreuses : coût de l’énergie et de la décarbonation, taxe carbone, lourdeur des charges, concurrence des pays asiatiques, protectionnisme des grandes puissances, dénigrement de la plasturgie et de la chimie. L’industrie de transformation, très importante dans le Jura comme partout en France, consomme beaucoup d’électricité : avec la fin, prévue en 2025, de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, elle aurait besoin au plus vite de visibilité et de stabilité concernant le prix de cette énergie.
M. Pierre Cazeneuve
Très bien !
Mme Danielle Brulebois
Certains signaux doivent nous alerter : la construction, par exemple, est en chute libre. La Fédération française du bâtiment, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la Confédération des petites et moyennes entreprises, les chambres consulaires tirent la sonnette d’alarme au sujet du ralentissement de l’activité et de la baisse des commandes.
M. Pierre Cordier
La sonnette d’alarme, cela fait deux ans que nous la tirons aussi !
Mme Danielle Brulebois
Quand le bâtiment va, tout va, dit la sagesse populaire ; quand il ne va plus, c’est inquiétant.
M. Pierre Cordier
Fallait en parler à Bruno Le Maire !
Mme Danielle Brulebois
Au cœur des préoccupations actuelles figurent certaines mesures du projet de loi de finances pour 2025 : hausse des taxes et de la fiscalité, réduction des allègements de charges dont font l’objet l’apprentissage et les bas salaires. Signalons toutefois une bonne nouvelle : si longtemps promis et attendu, le projet de loi de simplification de la vie économique, visant, comme l’indique son intitulé, à simplifier de manière drastique les charges et normes administratives, figure désormais à notre ordre du jour. La commission spéciale chargée de l’examiner, dont je fais partie, entamera ses travaux demain.
Nous avons donné un cap à la réindustrialisation de notre pays et permis de créer 2 millions d’emplois. L’urgence est de garder cette boussole et de rétablir la confiance des acteurs du monde économique. Qu’entendez-vous leur dire afin de les rassurer ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
Je vous remercie de votre question. Nous avons siégé ensemble sur les bancs de la commission des affaires économiques et je connais votre engagement, également en tant que membre titulaire du Conseil national de l’industrie sous la précédente législature, pour soutenir l’emploi industriel, les TPE, les PME et l’ensemble des entreprises françaises.
Nous sommes face à une situation conjoncturelle mondiale particulièrement délicate et les récents résultats électoraux aux États-Unis nous appellent, comme l’a souligné le Premier ministre, à travailler davantage ensemble, en Européens, pour soutenir la croissance et la compétitivité européennes. Nous devons le faire sans naïveté aucune. C’est pourquoi la France a inspiré l’évolution des droits de douane sur les véhicules asiatiques, afin de préserver les entreprises qui font face à une concurrence très agressive et hostile.
Ces dernières années, la majorité à laquelle nous appartenons – même si c’est sous une autre forme désormais – a soutenu des réformes indispensables pour le pays et pour les entreprises, qui ont créé des emplois. Cette politique de l’offre doit se poursuivre car elle est la seule à même de favoriser la création d’emplois, l’activité et la croissance en France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Pierre Cazeneuve
Eh oui !
M. Antoine Armand, ministre
S’agissant des allégements de charges que nous proposons, et pour reprendre les propos du Premier ministre, nous le faisons surtout parce qu’augmenter de 100 euros une personne payée au Smic coûte en définitive 450 euros.
M. Fabien Di Filippo
Quatre cent trente-cinq !
M. Antoine Armand, ministre
Clairement, cela n’incite pas à augmenter les salaires, alors que nous en avons pourtant besoin pour accroître le pouvoir d’achat. Nous le faisons aussi dans un contexte financier délicat : nous avons bien conscience de l’impact de cette mesure d’allégement sur les finances publiques c’est pourquoi, comme l’a rappelé le Premier ministre, nous sommes prêts à ce qu’elle évolue – nous y travaillons à vos côtés. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Situation assurantielle dans les outre-mer
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.
M. Jean-Philippe Nilor
Depuis des années, des décennies, des siècles,…
M. Pierre Cordier
Des millénaires !
M. Jean-Philippe Nilor
…les propositions des députés dits d’outre-mer ne cessent de s’évaporer dans cet hémicycle. Même lorsqu’ils sont adoptés, nos amendements sont régulièrement balayés par de violents 49.3 ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Nous avions pourtant prévenu et mis en garde contre les risques d’explosion et de déflagration sociales. Ces alertes ayant été, comme d’habitude, ignorées avec condescendance, le résultat est là ! La Kanaky…
M. Pierre Cordier
C’est un nouveau pays que je ne connais pas !
M. Fabien Di Filippo
M. Nilor n’a pas la République au cœur !
M. Jean-Philippe Nilor
…et la Martinique sont secouées par des mobilisations puissantes, émaillées de dégradations, de pillages et de saccages. Au bout du compte, ce sont non pas les grosses entreprises détenues par les faiseurs de vie chère qui ont été touchées mais, paradoxalement, les TPE et les PME.
Lourdement frappées par ces sinistres, elles pourraient subir une double peine, en raison de la posture des assureurs. En effet, face à des montants d’indemnisation jugés prohibitifs, ces derniers ont décidé d’exclure des nouveaux contrats les dommages dus aux émeutes et aux mobilisations populaires. Dans la foulée, des entreprises martiniquaises ont été inondées de notifications de résiliation à l’échéance de leurs contrats d’assurance, soit le 31 décembre 2024.
Dans un contexte de vie déjà très chère, toute nouvelle souscription sera non seulement moins avantageuse mais aussi plus coûteuse. Ainsi, privées de protection, les entreprises verraient leur capacité d’emprunt et d’investissement définitivement condamnée. Plus grave encore, des assureurs menacent de déserter les outre-mer si l’État ne trouve pas de solutions, ainsi que l’affirmait le 7 octobre dernier le président de Generali.
L’instauration d’un fonds de garantie « émeutes » relevant de votre responsabilité, quelles mesures concrètes envisagez-vous face au risque de voir nos territoires se transformer en déserts assurantiels, ce qui aurait des conséquences dramatiques sur les entreprises, les collectivités et les personnes ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
Vous avez rappelé les conditions exceptionnelles que vivent l’ensemble des territoires ultramarins et l’addition de difficultés sociales, d’ordre public ou liées aux catastrophes naturelles, autant de sujets qui posent la question de l’assurance. Vous avez cité certaines déclarations et je peux vous assurer qu’en tant que ministre de l’économie et des finances, je suis ce dossier avec la plus grande attention. Je le dis clairement ici, sous l’autorité du Premier ministre et en lien avec mon collègue des outre-mer : les compagnies d’assurances resteront présentes dans l’ensemble de nos territoires, parce que la France est partout là où elle doit être et qu’elle sera au rendez-vous en la matière. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Dans un premier temps, je souhaite qu’une déclaration commune de l’État et des assureurs soit publiée en ce sens, dans les plus brefs délais, afin que le dialogue reprenne et que des solutions structurelles soient instaurées.
Bien sûr, le maintien de l’ordre est un préalable, la question de l’assurance se posant en second lieu. Ce sujet devra faire l’objet d’un débat plus large, car il n’est pas possible d’assurer, simplement et immédiatement, les conséquences des émeutes – cela n’existe pas dans le modèle assurantiel public et nous devrons y travailler.
Ensuite, il y a les catastrophes naturelles : sous l’autorité du Premier ministre, nous renforcerons non seulement le volet préventif – que vous connaissez sous le nom de fonds Barnier et qui passera de 225 millions à 300 millions l’année prochaine –, mais également le volet dit curatif, grâce au plan national d’adaptation au changement climatique qui a été présenté.
Enfin, si vous me permettez un dernier mot sur la vie chère, je voudrais rappeler l’engagement du Gouvernement et de l’État en faveur de l’ensemble des collectivités et des acteurs, qu’il s’agisse de l’octroi de mer, de la TVA à taux nul sur soixante-neuf familles de produits ou de l’assurance donnée par les acteurs privés en matière de marges arrière notamment. L’État et moi-même restons à votre disposition.
M. Pierre Cazeneuve
C’est très clair !
Lutte contre le narcotrafic
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.
M. Mickaël Bouloux
Mexicanisation, narcoracaille, opérations Place nette : les propos sont forts, le verbe se veut haut. Pourtant, la répression ne peut être la seule réponse, même si elle est nécessaire. Le narcotrafic s’étend désormais, dans le sang, à tout le territoire national, des pays des océans à nos villes, à nos territoires ruraux.
Face à une violence de plus en plus décomplexée, la lutte contre le narcotrafic doit devenir une cause nationale qui peut nous unir. Il faut s’intéresser aux racines du trafic de drogue, qui repose notamment sur l’exploitation des mineurs et implique des jeunes de plus en plus jeunes. Il faut s’intéresser également à l’argent généré. Le Gouvernement doit prendre sa part.
Or le manque de moyens nécessaires à la police, à la justice, aux douanes, aux services d’enquêtes spécialisées pour toucher réellement les narcotrafiquants au portefeuille est criant ! Et ce n’est pas tout. Il faut aussi réinvestir la politique de la ville, lutter contre la pauvreté, terreau privilégié du narcotrafic (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC), soutenir les services de santé afin d’aider les consommateurs de drogue à en sortir et redonner, enfin, des moyens à l’éducation nationale pour nos enfants ! (Nouveaux applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – Mme Sabrina Sebaihi applaudit également.)
Hier, lors de la séance des questions au Gouvernement, vous avez précisé que des annonces gouvernementales seront faites ce vendredi. Ces annonces devront être systémiques ! La lutte ne doit pas se limiter à des opérations Place nette, certes nécessaires, mais de court terme ! Toutes les politiques publiques sont concernées.
Ces annonces ne devront pas, non plus, se substituer à un examen législatif. Les travaux transpartisans menés au Sénat par nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc sont salués de toute part. Une proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est déjà sur la table. Qu’attend le Gouvernement pour inscrire ce texte à l’ordre du jour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations.
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations
Vous avez évoqué, dans des termes que je partage, un phénomène qui se répand dans notre pays et que le ministre de l’intérieur a qualifié, à juste titre, de narcotrafic, ainsi que la nécessité de lutter contre le narcobanditisme. Vous avez raison, nous avons besoin de la mobilisation générale de l’ensemble de la société pour venir à bout de ce fléau, qui se répand avec une forme d’ultraviolence dans tous les territoires, les centres-villes, les quartiers et même les campagnes. Un fléau qui frappe des jeunes, de plus en plus jeunes, et qui entraîne une délinquance également de plus en plus jeune. Cet extrême rajeunissement de la délinquance liée au narcotrafic doit tous nous interpeller et tous nous mobiliser ; nous ne laisserons pas, impuissants, une génération être sacrifiée, avec d’un côté des enfants victimes et de l’autre des enfants soldats.
Mme Sabrina Sebaihi
Quelles sont les solutions, alors ?
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État
Je le dis parce que les trafiquants de drogue arment désormais des enfants pour se faire la guerre entre eux et servir leurs intérêts pécuniaires et financiers.
M. Raphaël Arnault
Ce sont des capitalistes !
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État
Permettez-moi d’ajouter que, sous l’autorité du Premier ministre, un travail est engagé en ce moment même…
Mme Sabrina Sebaihi
Le travail a déjà été fait !
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État
…et, dès demain, une nouvelle réunion de travail regroupera le Premier ministre, ainsi que les ministres de l’intérieur et de la justice, pour avancer sur ce sujet. Des annonces seront faites, à l’occasion d’un déplacement commun du garde des sceaux et du ministre de l’intérieur, à Marseille, ce vendredi.
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État
Notre mobilisation doit être sans faille ; ce n’est un sujet ni partisan ni idéologique. Les victimes, les vies brisées, les drames humains n’ont pas d’étiquette politique ni de parti pris. Nous devons tous être mobilisés : nous le devons à nos concitoyens et à nos enfants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.
M. Mickaël Bouloux
Nous devons vraiment examiner la proposition de loi du Sénat contre le narcotrafic. L’implication des socialistes, élus nationaux comme locaux, sera entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Prévention des inondations
Mme la présidente
La parole est à M. François-Xavier Ceccoli.
M. François-Xavier Ceccoli
Les événements météorologiques extrêmes qui ont meurtri la région de Valence, en Espagne, il y a quelques jours à peine, ont rappelé que la prévention du risque inondation devrait constituer une priorité pour les pouvoirs publics, afin d’éviter de nouvelles catastrophes et de préserver des vies humaines. Je n’oublie pas que le territoire national a également été durement touché, notamment l’Ardèche et la Côte d’Azur, dans une moindre mesure heureusement.
Si la valeur d’une seule vie humaine reste inestimable, nous ne pouvons détourner le regard des populations sinistrées qui ont vu leurs habitations détruites ; des exploitations agricoles aux récoltes ruinées, lorsqu’elles n’ont pas tout perdu, y compris leur bétail ; des entreprises qui ont vu leur outil de travail dévasté.
La main de l’homme a parfois sa part de responsabilité dans ces catastrophes, en raison d’une imperméabilisation irraisonnée des sols, voire de constructions en zones inondables.
Mme Sabrina Sebaihi
Comme quoi le ZAN est utile !
M. Pierre Cordier
Madame habite en ville, sans doute ?
M. François-Xavier Ceccoli
Il n’en demeure pas moins que tant les collectivités locales que les particuliers ont le devoir de procéder à un entretien régulier et efficace des cours d’eau, afin d’éviter des épisodes destructeurs et de protéger les populations.
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’excès de normes, ainsi que la lourdeur de certaines dispositions réglementaires découragent, voire empêchent la réalisation de travaux pourtant essentiels.
Mme Justine Gruet
Eh oui !
M. François-Xavier Ceccoli
Je pense notamment à l’ensemble des actions d’entretien du lit mineur et plus particulièrement à la prévention de la formation d’embâcles et de tout barrage naturel susceptible de dévier l’écoulement des eaux.
La hausse des températures, notamment sur le pourtour méditerranéen, donc la multiplication de phénomènes tels que la goutte froide ou l’épisode cévenol nous obligent à réagir, sous peine de subir la réplique d’événements dramatiques tels que ceux vécus dernièrement par l’Espagne, dont les images insoutenables nous ont tous profondément bouleversés.
Ma question est donc la suivante : pouvez-vous nous confirmer que le Gouvernement entend ce constat, et qu’il envisage de revoir et d’assouplir la réglementation en la matière pour y remédier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques
Vous avez raison de souligner le caractère répétitif des aléas climatiques auxquels nous faisons face. Vous y voyez la main de l’homme. C’est vrai, ces aléas climatiques sont non seulement dus au dérèglement climatique lié aux activités humaines – ce qui nous impose de baisser très rapidement nos émissions de gaz à effet de serre –, mais ils sont aussi accentués par des aménagements humains qui ont imperméabilisé les sols, densifié les centres urbains et qui entraînent, de ce fait, des dégâts plus importants encore.
Face à cela, il faut agir, c’est-à-dire anticiper, élever notre niveau de gestion du risque – c’est tout l’enjeu du plan national d’adaptation au changement climatique –, prévoir, agir pendant la crise et réparer ensuite. Cela veut dire aussi travailler spécifiquement sur les cours d’eau. Je l’ai constaté en tant qu’élue du Pas-de-Calais et en tant que ministre chargée de ces sujets depuis un an. Dans le Pas-de-Calais, nous avons mené 600 travaux d’urgence visant à faciliter la circulation de l’eau. Les zones humides sont des zones de captage en cas d’inondations ; le fait de prévoir des zones d’expansion ou encore la plantation de haies permettent de freiner ces phénomènes.
Nous avons simplifié les procédures. Dans 90 % des cas, les travaux structurants ne se heurtent pas à des problèmes de procédure ; dans le Pas-de-Calais, il est difficile de trouver des entreprises pour les exécuter. Nous devons parvenir à un équilibre entre la protection de la nature et le développement urbain afin de concilier les deux. Vous pouvez compter sur nous pour simplifier lorsque cela a une utilité, mais surtout pour avancer et protéger les Français.
Lutte contre le narcotrafic
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, qui est absent. Je vous fais part du désarroi des habitants du quartier de Bagatelle à Toulouse, qui m’ont écrit le 11 octobre. Je tiens leur courrier à la disposition du Gouvernement. « La fusillade meurtrière du 8 septembre 2024 à la place de la Loire dans le quartier de Bagatelle, faisant trois victimes, a créé un effet domino, poussant les trafiquants à étendre leur emprise sur de nouveaux territoires, aggravant ainsi la sécurité dans notre rue Jules-Amilhau. Nous ne pouvons plus tolérer cette insécurité grandissante qui menace notre santé, notre bien-être et notre qualité de vie. Nous demandons instamment que des mesures fortes et rapides soient prises pour éradiquer ce fléau et rétablir la paix dans notre quartier. Une présence policière renforcée, des opérations de démantèlement régulières des points de deal et des actions de prévention à long terme sont indispensables. »
Monsieur le ministre chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, plutôt que votre réponse de tout à l’heure, quand comptez-vous élaborer un grand plan national et européen de lutte contre le trafic de drogue, axé sur la traçabilité des revenus criminels et la coordination communautaire ? Quand rendrez-vous systématiques les enquêtes patrimoniales pour aller plus loin dans le gel et la saisie des avoirs des trafiquants ? Quand consacrerez-vous de vrais moyens à la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, avant de lancer l’idée d’un énième dispositif ? Quand cesserez-vous de mettre à genoux la police judiciaire par vos réformes inconséquentes ? Quand réimplanterez-vous une véritable police nationale de proximité ? Quand définirez-vous une stratégie de réduction de la demande par la prévention et les politiques de santé publique ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations.
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations
Je vous prie d’excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui sera au Sénat pour faire le même exercice dans quelques instants. Je m’exprimerai en son nom. Il a eu l’occasion de parler de ce sujet et malheureusement de se déplacer dans plusieurs territoires où le narcotrafic a fait des ravages, apportant son lot de drames et de victimes. Je l’ai dit au Sénat, la proposition de loi de M. Étienne Blanc et de M. Jérôme Durain visant à sortir la France du piège du narcotrafic, évoquée tout à l’heure, constitue une base de travail très sérieuse et solide pour avancer sous l’autorité du Premier ministre – le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice y travaillent main dans la main.
Ce travail aboutira prochainement : des annonces relatives au plan d’action contre le narcotrafic sont attendues d’ici à quarante-huit heures. Je vous demande un peu de patience sur ce sujet qui nécessite, je le répète, une mobilisation générale. Nous devons sortir d’une grande hypocrisie collective. Il existe un lien direct entre la consommation de drogue et les drames, les violences et les tragédies que vous évoquez. Acheter de la drogue dans notre pays, c’est armer les trafiquants. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe LIOT.) Nous avons besoin de cette mobilisation générale mais aussi de responsabiliser les consommateurs de drogue.
Mme Sabrina Sebaihi
Les addictions, ça se soigne !
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État
Ce sujet n’est ni de droite ni de gauche : c’est un sujet de vie ou de mort. Nous devons tous être mobilisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme Justine Gruet
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi
Ce que les habitants du quartier de Bagatelle et de nombreux autres quartiers de villes de France demandent, ce n’est pas de la communication, ce ne sont pas des opérations Place nette XXL, ce ne sont pas des propos caricaturaux et mensongers tels que ceux tenus à Poitiers ce week-end pour masquer votre inaction ; ce sont des actes concrets pour restaurer leur sécurité et un cadre de vie apaisé pour leurs enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Pierre Cordier
Vous voulez légaliser ?
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi organique adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (nos 483, 525).
La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. François-Noël Buffet, ministre des outre-mer
Au mois de mars dernier, après un avis du Conseil d’État rendu le 25 janvier 2024, la commission des lois du Sénat, que je présidais, a adopté un premier projet de loi organique reportant les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, dans la perspective de modifier le corps électoral prévu par l’accord de Nouméa. Après l’adoption dans les mêmes termes par les deux assemblées et la validation du Conseil constitutionnel, ce projet de loi organique a permis de reporter au plus tard au 15 décembre prochain les élections provinciales. Dans les semaines qui ont suivi, le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour ces mêmes élections a certes été adopté en des termes identiques par les deux assemblées, mais a déclenché une crise d’une gravité exceptionnelle sur le sol calédonien – chacun se rappelle les événements du 13 mai et leurs conséquences.
Je salue l’engagement et le professionnalisme des forces de l’ordre et des services publics en Nouvelle-Calédonie, comme l’ensemble des Calédoniens, dans ce moment particulièrement difficile. Dans ce contexte, la volonté du Gouvernement a été clairement exprimée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale : une nouvelle période doit maintenant s’ouvrir, consacrée à la reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie et à la recherche d’un consensus politique concernant son avenir institutionnel, en posant comme préalable le report des élections des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Plutôt que faire un décompte des erreurs passées, il me semble indispensable de nous tourner vers l’avenir : nous le devons à tous les Calédoniens comme à l’ensemble de nos concitoyens.
Une sortie de crise durable et prospère doit, à l’évidence, être dessinée avec beaucoup de respect et d’humilité. Outre les enjeux économiques et sociaux, devront alors être abordés l’organisation et les compétences des pouvoirs locaux, la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales, ainsi que différents autres sujets de nature institutionnelle. La voie est à l’évidence étroite, plus encore qu’elle ne l’était ces dernières années, et ne pourra s’élargir que si la volonté de vivre ensemble et la recherche sincère des modalités de ce vivre-ensemble l’emportent sur les autres considérations. C’est pourquoi, dans un souci de responsabilité et afin de traduire les engagements pris, le Gouvernement a fait le choix d’inscrire à son ordre du jour une proposition de loi déposée par le groupe Socialiste, écologiste et républicain du Sénat et d’engager la procédure accélérée sur ce texte. Le Gouvernement se félicite de l’engagement des parlementaires issus de tous les bancs au sujet de la Nouvelle-Calédonie, à commencer par les présidents des deux chambres qui ont accepté de se rendre très prochainement en Nouvelle-Calédonie pour œuvrer à la reprise du dialogue entre tous les Calédoniens.
L’objet du texte qui nous réunit cet après-midi est simple : il prévoit le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie à une date non fixée, mais ne pouvant aller au-delà du 30 novembre 2025 – limite fixée par le Conseil d’État. Si le Parlement ne votait pas ce report, les élections devraient se dérouler avant le 15 décembre prochain et selon le corps électoral actuellement en vigueur. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a émis à une très large majorité – quarante-sept voix pour, une contre, deux abstentions – un avis favorable à ce report. En d’autres termes, nos compatriotes tant indépendantistes que non indépendantistes ont voté pour les dispositions figurant dans la proposition de loi. De même, ce texte a été adopté à l’unanimité au Sénat le mercredi 23 octobre dernier – signe de la volonté collective des parlementaires de construire avec le Gouvernement des solutions consensuelles et si possible transpartisanes pour la Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil d’État a considéré que le report des élections était justifié par un motif d’intérêt général, qu’il présentait un caractère exceptionnel et transitoire et que le délai de report était raisonnable : le cadre juridique est donc parfaitement respecté. Pour toutes ces raisons et grâce au travail des rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat – ces derniers ont sécurisé juridiquement le texte en mentionnant le fait que les mandats des élus de Nouvelle-Calédonie devaient être eux aussi prolongés –, le Gouvernement est favorable à l’adoption de la proposition de loi organique qui vous est soumise.
Le territoire de Nouvelle-Calédonie est engagé depuis les accords de Matignon signés en 1988 et l’accord de Nouméa en 1998 dans un processus institutionnel exceptionnel, fait de réussites mais aussi de difficultés, parfois très grandes. Comme je l’ai déclaré à plusieurs reprises, la Nouvelle-Calédonie vit un moment crucial : serons-nous capables de lui apporter le soutien qu’elle mérite sur le plan économique pour relancer l’activité, l’emploi et éviter les crises sociales ? Elle devra aussi se mobiliser pour réfléchir à son avenir institutionnel et elle mérite toute notre attention. Le fait de reporter les élections provinciales et du Congrès contribuera à apaiser la situation et à permettre que s’ouvre – c’est en tout cas l’espoir du Gouvernement – un nouvel espace constructif de discussion et de débat. (M. Nicolas Metzdorf applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Florent Boudié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
La proposition de loi organique que nous examinons vise à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, au plus tard le 30 novembre 2025. Elle a été déposée sur le bureau du Sénat par plusieurs membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain, adoptée en première lecture par la Haute Assemblée, puis par la commission des lois de l’Assemblée nationale la semaine dernière. Nous avons choisi, comme au Sénat, d’adopter une démarche pluraliste, avec la nomination de deux rapporteurs, Arthur Delaporte et moi-même. C’est avec ce même état d’esprit pluraliste que nous devrons aborder la période qui s’ouvrira après l’adoption du texte, afin de dégager ensemble les solutions politiques nécessaires.
Le report proposé des élections est bien sûr lié à la grave crise économique, budgétaire et sociale que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis le mois de mai 2024. Les troubles insurrectionnels ont débuté avec l’examen, puis le vote par notre assemblée, les 13 et 14 mai, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province. Les émeutes ont atteint une intensité maximale au cours des deux semaines qui ont suivi. Le bilan humain est d’une gravité exceptionnelle : treize morts – dont deux gendarmes – et des centaines de blessés, sans compter les personnes décédées faute d’avoir pu accéder à des soins adaptés. L’économie calédonienne est profondément atteinte : 750 entreprises et 6 000 emplois directs ont été détruits, ainsi que de très nombreux bâtiments publics et privés.
Six mois plus tard, la situation sécuritaire s’est améliorée et une forme de désescalade s’est engagée, mais la crise n’est pas pour autant résolue, loin de là. Le premier obstacle à l’organisation des élections dès décembre prochain tient à l’urgence économique et sociale. L’ensemble des acteurs locaux auditionnés par vos rapporteurs, toutes sensibilités confondues, partagent le constat du caractère dramatique de la situation locale, allant jusqu’à craindre des émeutes de la faim dans les prochaines semaines si rien n’était réglé. Un consensus semble exister sur le fait que la crise sociale – pas les élections – est au cœur des préoccupations de la population et que le temps doit être donné au dialogue entre l’État et les acteurs calédoniens pour rechercher des solutions sociales, économiques, politiques et institutionnelles.
Le deuxième obstacle à l’organisation des élections le mois prochain tient à l’impossibilité de tenir des élections à cette date dans de bonnes conditions matérielles. La circulation routière, par exemple, n’est pas garantie sur l’ensemble des axes, notamment sur la route du sud ou route du Mont-Dore, ce qui ne favorise pas l’organisation de réunions ou de débats démocratiques. En outre, le couvre-feu vient à peine d’être assoupli.
Le troisième obstacle est celui du périmètre du corps électoral, pour lequel le consensus reste la seule issue possible. L’organisation des élections d’ici au 15 décembre 2024 serait incompatible avec la nécessité de rouvrir rapidement le dialogue entre Calédoniens sur ce sujet crucial, qui touche aussi à la question de la citoyenneté.
M. Florent Boudié, rapporteur
Enfin, la plupart des acteurs locaux estiment que l’organisation d’une campagne électorale pourrait raviver les clivages entre Calédoniens, alors que le territoire a par-dessus tout besoin d’écoute, de dialogue et d’unité d’action.
Au-delà de l’urgence, la proposition de loi organique soumise à notre examen s’inscrit pleinement dans le cadre posé par le Conseil constitutionnel s’agissant des modifications de la durée des mandats. Le Conseil y pose en effet trois conditions. Premièrement, ces modifications doivent permettre aux électeurs d’exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable. Deuxièmement, elles doivent revêtir un caractère exceptionnel et transitoire, ce qui est le cas. Troisièmement, elles doivent correspondre à un but d’intérêt général, ce qui est évidemment le cas eu égard à la situation en Nouvelle-Calédonie.
Nos collègues sénateurs ont adopté trois amendements. Deux reprennent les recommandations formulées par le Conseil d’État et le troisième répond à une demande unanime des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie concernant le renouvellement de ses instances internes.
C’est dans ce contexte que la commission des lois de notre assemblée a choisi d’adopter sans modification le texte transmis par le Sénat. Le rapporteur Arthur Delaporte et moi-même vous proposons de faire le même choix en séance.
Mme la présidente
La parole est à M. Arthur Delaporte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Arthur Delaporte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Est arrivé ce qui est arrivé : la folie, la passion, le chaos, nous a-t-on dit, et demain peut-être les émeutes de la faim. Un pays dégradé, à vif, où la fiscalité ne rentre plus, au bord de l’asphyxie, telle est la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai. En notre nom à tous, je pense à ces vies bouleversées, à ces privés d’emploi qui tentent de survivre, à celles et ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés et à leur famille, aux enfants qui ne vont plus à l’école, à celles et ceux qui subissent des violences intrafamiliales – redoublées dans ce contexte – ou qui connaissent l’extrême pauvreté.
La proposition de loi organique et le contexte terrible dans lequel elle s’inscrit ayant été présentés, je dirai quelques mots des perspectives ouvertes par ce texte. Ce report, s’il est voté, constituera pour la Nouvelle-Calédonie une étape importante, mais pas une fin en soi. Dans les mois à venir, les Calédoniens devront écrire la suite de l’accord de Nouméa, qu’il s’agisse de la relation avec la France, de l’organisation interne du territoire, du corps électoral ou encore des futures modalités d’exercice du droit à l’autodétermination et donc de la poursuite du processus de décolonisation. Toutes les réponses restent à trouver. Comme l’écrivait Isabelle Merle, « La Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans ces zones d’ombre de l’histoire française : un passé colonial longtemps mal assumé et souvent refoulé. » C’est ce qui nous occupe aujourd’hui.
Les attentes envers l’État sont très fortes. Nous avons entendu des mots sévères sur sa responsabilité profonde dans le déclenchement de la crise, que M. le ministre a lui-même évoquée. Sont en cause l’obstination à dégeler le corps électoral malgré l’absence de consensus, l’abandon du dossier par Matignon ou encore l’envoi tardif des renforts de sécurité sur place. Toutefois, il faut noter que la méthode employée par le nouveau gouvernement a le mérite de trancher avec les errements qui ont conduit au 13 mai. L’annonce du retrait de la réforme constitutionnelle par Michel Barnier et le soutien à cette proposition de loi organique, déposée par les sénateurs socialistes, visant le report des élections provinciales et du renouvellement du Congrès – position que, soit dit en passant, les socialistes défendaient déjà au printemps –, sont de bon augure. Serait-ce un retour à la méthode inaugurée par Michel Rocard, faite de concertation, de consensus et de respect mutuel ?
Dans ce contexte, l’État peut et doit redevenir un tiers de confiance impartial, garant auprès des partenaires locaux de la continuité du processus de reconstruction socio-économique et du processus politique, comme il l’a été lors des accords de Matignon en 1988, puis de Nouméa en 1998. Toutefois, c’est aux Calédoniens qu’il revient de construire un projet d’avenir partagé et c’est dans l’archipel que doivent se poursuivre les discussions. Bien sûr, rien n’est fait, mais les échanges que nous avons eus lors des auditions nous donnent un espoir raisonnable. La volonté d’accord semble partagée.
Le 22 octobre, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a rendu un avis favorable sur la présente proposition de loi avec quarante-sept voix pour, une seule voix contre et deux abstentions. Les auditions que nous avons menées et qui impliquaient des acteurs politiques de tous bords confirment cet avis. Pour les élus indépendantistes comme Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe Union nationale pour l’indépendance (UNI) au Congrès, ce report offre « une nouvelle opportunité de [se] retrouver autour de la table pour pouvoir discuter ». Les non-indépendantistes nous ont également rappelé qu’avant le 13 mai, des discussions entre les parties prenantes calédoniennes avaient déjà permis de clarifier les positions, voire de trouver des terrains d’entente sur un grand nombre de sujets.
Ce souhait quasi unanime de profiter du report des élections pour discuter de l’avenir est cependant fragile. Il faut notamment mentionner les réserves des élus de l’Éveil océanien, plus circonspects sur la capacité des élus actuels à trouver un accord. Je demeure néanmoins convaincu que cet accord est possible.
Pour finir, permettez-moi de dire quelques mots du rôle de notre assemblée dans ce processus. Les deux présidents de chambre se rendront en Nouvelle-Calédonie du 9 au 14 novembre. Ce déplacement au format inédit revêt une force symbolique évidente en raison de l’autorité personnelle et morale des deux présidents, mais il doit aussi contribuer à « dresser la table », c’est-à-dire à rétablir le dialogue tripartite et à faire en sorte que chacune des sensibilités calédoniennes se sente écoutée – dresser la table, mais pas établir le menu ni rédiger les conclusions ; de cela, les Calédoniens seront maîtres.
Au cours des semaines et des mois à venir, la représentation nationale devra rester mobilisée, avec humilité et dans l’écoute. Je vous invite donc à adopter à l’identique cette proposition de loi. La période qui s’ouvre sera déterminante pour « refonder le contrat social entre toutes les communautés », selon les mots de Lionel Jospin évoquant l’accord de Nouméa. Gageons que les discussions d’aujourd’hui y participeront. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – M. Florent Boudié, rapporteur, applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Il existe un célèbre proverbe kanak qui dit : « Avant de cueillir une feuille, il faut demander la permission à l’arbre. » Aujourd’hui, je souhaite vous raconter l’histoire d’un gouvernement impatient qui n’a pas su écouter l’arbre, qui s’est précipité pour arracher la feuille, quand il aurait suffi d’attendre la conclusion d’un accord pour la cueillir sans dégâts. Cette histoire, c’est celle d’un gouvernement qui a cherché à faire passer en force un projet de loi constitutionnelle visant à réformer le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky, au sujet duquel nous l’avions pourtant alerté pendant des mois. Depuis le mois de mai, treize personnes ont trouvé la mort et le coût des violences s’élève à 2,5 milliards d’euros. Voilà le glorieux bilan du précédent gouvernement.
Je souhaite évoquer aussi un autre proverbe, légèrement remanié, qui fut prononcé à cette même tribune : « tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu [sapes la solidarité], on t’apprend à la respecter ». Le gouvernement précédent a cassé : il a brisé trente-six années de réconciliation et d’accord mutuel ouvertes par les accords de Matignon puis de Nouméa. Il est temps de réparer et d’emprunter le chemin de l’écoute et du dialogue. Le gouvernement précédent a sali : il n’a laissé sur le chemin de son projet de loi constitutionnelle que violence et incompréhension. Il est temps de nettoyer et de reconstruire un territoire mis à feu et à sang pendant plusieurs mois. À force de réclamer l’autorité, d’imposer des projets de manière verticale, on sape la solidarité, on sape le dialogue et surtout on ne construit rien. Le précédent gouvernement porte une lourde responsabilité dans les violences survenues au cours des derniers mois.
Les récents événements nous rappellent que ce n’est pas le nombre de gendarmes déployés qui redonnera sécurité et tranquillité aux habitants, mais bien une solution politique passant par un consensus sur le dégel du corps électoral. Or comment parvenir à une situation apaisée alors que des militants kanak sont encore incarcérés dans l’Hexagone, à 17 000 kilomètres de chez eux ? Monsieur le ministre, puisque le juge doit à nouveau se prononcer sur le cas de deux d’entre eux, il est urgent d’envisager leur rapatriement en Nouvelle-Calédonie, car vous faites ici usage de méthodes coloniales d’un autre temps qui font honte au pays des droits de l’homme.
Après neuf mois d’âpres débats sur la Nouvelle-Calédonie-Kanaky, le nouveau gouvernement semble chercher à emprunter le chemin de la responsabilité, de l’écoute et du dialogue. La rhétorique du précédent gouvernement consistait à dire : « Si vous ne trouvez pas d’accord, nous voterons un dégel que nous avons décidé unilatéralement. » Aucune négociation n’était possible dans cette configuration qui laissait aux loyalistes tout loisir de ne pas chercher de consensus, se sachant assurés du dégel au bout du compte. Le groupe Écologiste et social votera pour le report des élections, mais ne fera preuve d’aucune naïveté quant à la fragilité de la situation, qui met en danger la perspective d’un compromis. Nous devons nous assurer que les parties prenantes puissent aboutir à un accord commun sur l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Cette fois-ci, pas de passage en force, pas de brutalité.
Nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie-Kanaky expriment également une forte inquiétude quant aux suites données au pacte nickel. Le sujet est de la plus haute importance, mais dans l’Hexagone, il peine à franchir le mur du son médiatique. Le pacte nickel proposé par l’ancien ministre de l’économie a été refusé par les autorités calédoniennes en avril car il autorisait l’exportation de nickel brut, alors que sa transformation sur place est essentielle pour l’indépendance économique du territoire. L’enjeu est considérable : le secteur représente 25 % de l’emploi local et le nickel constitue un des métaux stratégiques de l’Union européenne. Ne soyons pas dupes, l’autonomie et l’avenir politique de la Nouvelle-Calédonie ne peuvent advenir sans la garantie d’une indépendance économique effective. C’est pour cette raison que la doctrine nickel constituait déjà le deuxième pilier de l’accord de Nouméa. Le devenir de la filière du nickel doit donc faire l’objet de négociations transparentes entre les parties, au même titre que le corps électoral.
Les compromis politiques demandent du temps, parfois beaucoup de temps. Le report des élections n’est pas une solution miracle et ne permettra pas de résoudre, comme par magie, tous les problèmes. J’insiste sur la nécessité d’associer aux discussions toutes les parties prenantes et de parvenir à un accord unanime, sans passage en force. Les derniers mois nous ont plus que jamais rappelé qu’on ne joue pas aux apprentis sorciers avec les institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau
Depuis près de six mois, la Nouvelle-Calédonie est en proie à des tensions politiques, sociales et économiques inédites. Les émeutes qui s’y déroulent prennent leur source dans des problématiques plurifactorielles.
M. Bastien Lachaud
La colonisation ?
M. Éric Martineau
Face à ces enjeux, la recherche d’un processus d’apaisement est une urgence ; la reconstruction d’un avenir institutionnel stabilisé est une urgence ; la recherche d’un destin commun est un impératif. En effet, les dégâts subis par les infrastructures publiques et privées s’élèvent à plus de 2 milliards d’euros, et treize décès en lien direct avec les émeutes sont à déplorer. Le taux de chômage atteint des records et l’usine de la province Nord, qui exploitait le nickel, a fermé. Les violences sur le territoire ont conduit à l’instauration de l’état d’urgence dès le 16 mai et au renforcement des forces de sécurité sur place.
Le groupe Les Démocrates tient à exprimer son soutien aux familles ainsi qu’aux forces de l’ordre mobilisées en permanence, qui ont su répondre avec professionnalisme à l’urgence de la situation.
Nous le savons, le contexte de l’archipel reste encore très instable, comme l’illustre le maintien du couvre-feu depuis les émeutes de mai. Face à cette crise, nous devons être prudents et humbles, car même si nous mesurons la gravité de la situation, nous ne la vivons pas au quotidien. Nous ne prétendons pas pouvoir la résoudre en quelques semaines, loin de nous cette idée.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux le report des élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie au 30 novembre 2025. Il serait irresponsable d’envisager la tenue des élections dans le contexte actuel. Leur report est dans l’intérêt des Calédoniens. Il permettra de se consacrer à la reconstruction économique et sociale de l’archipel et à la recherche d’un consensus politique concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
À cette fin, le déplacement de Yaël Braun-Pivet et de Gérard Larcher dans le cadre d’une mission de concertation doit permettre d’instaurer un dialogue politique sincère entre les différentes parties prenantes, en vue d’un accord politique pérenne. Nous sommes persuadés que les présidents des deux chambres sauront engager les discussions permettant de sortir de cette impasse et de proposer aux Calédoniens une solution trouvée en concertation avec les élus locaux.
La proposition de loi organique a été largement votée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie fin octobre, estimant qu’elle offrait une possibilité de sortie de crise. Cela constitue un signe d’espoir.
Examiné en commission des lois la semaine dernière, le texte a été adopté par la quasi-totalité des groupes politiques. Pour le groupe Les Démocrates, le report des élections provinciales est une première étape sur le chemin de l’apaisement. Nous considérons que les conditions sont réunies pour adopter ce nouveau report au 30 novembre 2025 au plus tard.
Le motif d’intérêt général est patent, et la durée totale de prorogation des mandats, qui est de dix-huit mois au maximum à compter du 12 mai 2024, ne sera pas dépassée.
Vous l’aurez compris, la disposition soumise à notre vote donnera davantage de temps aux parties prenantes pour arriver à une solution politique basée sur le dialogue et le respect. Au regard du climat économique et social encore très tendu, le groupe Les Démocrates, constatant que le dispositif proposé satisfait aux exigences constitutionnelles, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Nicolas Metzdorf applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jiovanny William.
M. Jiovanny William
S’administrer de manière efficace sur le plan local, rechercher avec constance les conditions nécessaires à l’émancipation politique afin d’assurer et de renforcer la liberté d’autrui, ces préoccupations résonnent profondément en moi. Ces enjeux devraient évidemment nous interpeller et nous concerner en toutes circonstances.
Initialement programmées le 12 mai 2024, les élections pour renouveler l’ensemble des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ont été reportées au 15 décembre 2024. Cependant, la précipitation pour organiser les élections n’a fait qu’aggraver une situation déjà délicate, exacerbant l’incompréhension d’un peuple face à des institutions prématurément ébranlées au cours des dernières années. L’incompréhension, souvent associée à une volonté manifeste de ne pas appréhender les réalités des peuples géographiquement éloignés et historiquement différents, constitue un problème, hélas persistant, dans notre approche.
Paul Valéry écrivait que l’histoire est le fardeau de l’avenir. Il est impératif que la France prenne enfin les mesures nécessaires pour remédier au poids de ce fardeau et enraye cette discrimination structurelle. Écouter les populations, éviter de les stigmatiser et les traiter avec tout le respect qui leur est dû constituent des obligations morales. Plutôt que de les entraver, nous devons les accompagner ; plutôt que de recourir à la violence, il convient d’opter pour l’écoute et le respect au sein de l’État de droit.
Il est donc proposé, à travers ce projet de loi organique, de reporter la date des élections des membres du Congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie au 30 novembre 2025 au plus tard. Ce délai d’un an offre une occasion précieuse de favoriser l’apaisement, de renouer le dialogue, d’engager des négociations constructives, et d’adopter des mesures préparatoires dans le respect des intérêts de chacune des parties prenantes. Cette approche ayant pour objectif de garantir la légalité du processus, conformément à l’avis du Conseil d’État, est en adéquation avec la volonté du peuple calédonien – c’est d’une importance capitale.
Nous reconnaissons la nécessité d’instaurer des garde-fous aux reports successifs tout en préservant un cadre de négociation serein. Néanmoins, il convient d’être plus que jamais vigilants et de considérer prioritairement les intérêts de la population, qui a connu trop de pertes en vies humaines, de destructions et de temps perdu. La France ne saurait se permettre de manquer ce tournant historique.
En conséquence, le groupe Socialistes et apparentés votera la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Mme Sabrina Sebaihi applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere
Le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler son attachement à la Nouvelle-Calédonie et la nécessité de trouver un consensus sur son avenir institutionnel. Ce territoire unique par la richesse de son histoire et par sa place dans la République française nous exhorte à rétablir un dialogue apaisé et respectueux de toutes les parties prenantes. La crise qui a commencé en mai 2024 n’a que trop duré. Selon l’Institut de la statistique et des études économiques (ISEE) de la Nouvelle-Calédonie, 10 000 emplois ont déjà été perdus dans le secteur privé depuis mars 2024, soit un salarié sur six. Par ailleurs, les prix alimentaires ont encore augmenté de 6 % entre 2023 et 2024, ce qui contribue à aggraver les problèmes de pouvoir d’achat de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie. Pour ces différentes raisons et pour les motifs que je développerai par la suite, la proposition de loi organique nous paraît aller dans le bon sens.
Atteindre un consensus est en effet nécessaire pour pérenniser la paix civile fondée il y a plus de trente ans. Les mots des accords de Matignon-Oudinot, plus que jamais d’actualité, devront constituer la ligne directrice de nos travaux : « Pour que la paix civile soit établie de manière durable, la vie publique doit être fondée sur le respect mutuel et organisée selon les principes nouveaux. »
La construction de ce nouveau chemin impose de l’apaisement. Le groupe Horizons & indépendants souhaite à cet égard saluer l’action des forces de sécurité…
M. Bastien Lachaud
Et des milices aussi ?
M. Jean Moulliere
…qui contribuent au maintien de l’ordre public en Nouvelle-Calédonie et permettent aux habitants de retrouver le calme dans leur quartier. Nous relevons par ailleurs avec satisfaction que la situation se stabilise et que le couvre-feu a pu être allégé du fait de l’amélioration progressive des conditions de sécurité depuis plusieurs semaines sur l’ensemble du territoire.
Toutefois, renouer durablement avec l’ordre public requiert avant tout de rétablir la cohésion du peuple calédonien. Comme en 1998, l’État doit être prêt à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie, celle d’un accord global tenant compte de l’irréversibilité des accords de Matignon ainsi que de la volonté du peuple calédonien de rester au sein de la République française.
Enfin, le rétablissement de cette cohésion nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs. Dans la continuité du déplacement du ministre chargé des outre-mer, la prochaine mission de la présidente Braun-Pivet et du président Larcher en Nouvelle-Calédonie va, à nos yeux, dans le bon sens. Elle contribuera en effet à la recherche d’une solution politique sur place, avec la proximité et l’engagement nécessaires à l’établissement d’une solution concertée.
Dans ce contexte, il apparaît au groupe Horizons & indépendants que cette proposition de loi organique, en prévoyant le report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, représente un cadre favorable pour avancer ensemble sur le chemin du consensus. En effet, ce report, soutenu par la majorité des acteurs politiques locaux, offrira le temps nécessaire à la création d’un consensus. Tous les Calédoniens ont besoin que la démocratie se déploie dans un climat apaisé et constructif.
La question du dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie demeure un enjeu démocratique essentiel qui, dans le respect de toutes les sensibilités, devra être abordé à travers le dialogue et la concertation nécessaires. Il faut reconnaître que les évolutions démographiques sur l’île sont telles que, si les personnes exclues de cette liste représentaient près de 7,5 % des électeurs en 1999, cette proportion s’élève désormais à 19,3 %, soit près d’un cinquième des électeurs. Dans l’avis du 7 décembre 2023, le Conseil d’État a rappelé qu’il était nécessaire de revenir à un corps électoral provincial glissant, les dispositions actuelles comportant « des dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage » qu’il convient de modifier « afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps ».
Le groupe Horizons & indépendants votera donc en faveur de cette proposition de loi organique. Il appelle de ses vœux la construction d’un accord respectueux de chacun et des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Nous sommes amenés à discuter d’une proposition de loi organique venant du Sénat et visant à reporter une nouvelle fois les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. En premier lieu, je tiens à rappeler quelques éléments de contexte : ces élections devaient initialement se dérouler au printemps dernier. À l’initiative du ministre de l’intérieur de l’époque, un premier report de ces élections provinciales a été voté par la loi organique du 15 avril dans le but de tenir compte de la révision constitutionnelle en cours d’examen visant au dégel du corps électoral, dont le vote final au Congrès devait initialement avoir lieu à la fin du mois de juin.
Nous connaissons malheureusement la suite. Lors du vote au sein de cette assemblée du projet de loi constitutionnel en faveur du dégel électoral, des émeutes, des dégradations, des blessures et treize morts – deux dans les forces de l’ordre et onze dans la population – se sont produites en Nouvelle-Calédonie. J’ai ici une pensée émue pour les victimes et leurs proches ainsi que pour tous ceux qui ont vécu des dégradations. J’exprime mon soutien aux peuples – au pluriel – qui composent le territoire de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. À ces drames s’ajoute une crise économique et sociale, avec la perte de plus de 6 000 emplois, ainsi que des dégâts et des destructions qui ont touché des services publics essentiels.
Le groupe LIOT tient à souligner la responsabilité de l’ancien gouvernement dans la situation actuelle. Nous l’avions alerté sur les risques qu’entraînerait le fait de lier le dégel constitutionnel du corps électoral et le report des élections. Nous avions rappelé la nécessité d’attendre un accord global avant d’agir. Toute réforme en Nouvelle-Calédonie doit se faire par le consensus. Il s’agit certes d’une voie difficile et étroite, toutefois c’est la seule qui puisse préserver la paix et la concorde. L’unilatéralisme n’est jamais la bonne méthode ; nous voyons bien qu’ici cela ne fonctionne vraiment pas, car c’est justement la méthode consistant à avancer à marche forcée, soutenue par une partie seulement de la population, qui a conduit à la crise actuelle.
Je tiens à rappeler quelques éléments que l’on oublie parfois. Colonie française depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie ne devient un territoire d’outre-mer qu’en 1946. Après des affrontements entre indépendantistes et loyalistes ayant mené à des drames humains, les accords de Matignon en 1988 rétablissent la paix civile et définissent une organisation institutionnelle. Ce compromis prévoyait sur dix ans des moyens de développement et à terme un référendum sur l’autodétermination. Face à cette échéance, l’accord de Nouméa de 1998 a repoussé l’organisation de trois référendums au-delà de 2014. L’accord reconnaît la colonisation et la légitimité du peuple kanak et accorde une autonomie très forte à la Nouvelle-Calédonie.
Lors des trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le non l’a emporté, avec 56 % des voix en 2018, 53 % en 2020 et 96 % en 2021. Ce dernier résultat est lié au boycott des indépendantistes qui ont, en vain, demandé un report de cette élection car la campagne électorale ne pouvait se tenir durant la période de deuil liée à la crise sanitaire. Ces derniers ne reconnaissent évidemment pas le dernier référendum. Force est de constater que, depuis 2021, l’État français s’est comporté comme juge et partie et a abandonné sa neutralité. Tout s’est passé en fait comme si l’État retrouvait sa vision coloniale d’antan, faisait fi du droit international, des recommandations de l’ONU qui, je le rappelle, classe l’archipel comme territoire à décoloniser, et bien sûr du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (M. Bastien Lachaud applaudit.)
Désormais, il est temps pour l’État d’assumer la responsabilité de ses choix. Notre groupe s’inquiète de voir que le budget 2025 ne prévoit aucun crédit pour l’organisation de ces nouvelles élections. Nous appelons également l’exécutif à prendre en compte les demandes d’aide du Congrès calédonien, ainsi que le plan de reconstruction transpartisan voté par ce dernier.
Nous accueillons avec bienveillance l’initiative parlementaire d’une mission de concertation menée par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, qui doivent se rendre dans l’archipel ce week-end. Espérons que toutes ces bonnes volontés trouveront le chemin de l’apaisement et de la concorde entre les deux peuples qui composent la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Prenons garde, cependant, à la cacophonie qui pourrait nous mener au chaos.
Pour conclure, notre groupe se rallie pleinement aux constats du Sénat : il n’est pas possible de tenir un scrutin, car le temps du vote n’est pas encore venu. Laissons à l’archipel le temps de se reconstruire, afin que les responsables locaux reprennent les négociations en vue d’un accord. Le Congrès calédonien a donné un avis favorable à cette proposition de loi organique. Face à l’urgence de la situation, notre groupe votera pour ce texte adopté à l’unanimité au Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. Éric Martineau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Tjibaou.
M. Emmanuel Tjibaou
Nous sommes appelés à nous prononcer sur le report des élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Ce scrutin, attendu depuis la mi-année, a déjà été reporté, afin de laisser libre cours aux négociations pour la sortie institutionnelle de l’accord de Nouméa. À la suite du passage en force du projet de loi constitutionnelle, les événements du 13 mai ont meurtri dans notre chair l’héritage de l’accord de Nouméa : trente ans de paix sociale ont cramé avec les carcasses des voitures.
M. Nicolas Sansu
C’est exact !
M. Emmanuel Tjibaou
En tant que parlementaires, nous sommes tous comptables de cette situation qui nous a rappelé les heures les plus sombres de l’histoire du Caillou. Nous sommes aussi responsables, parce que nous avons foi en la capacité de chacun d’entre nous d’être acteur de la reconstruction économique, qui nécessite de la visibilité, et de la reprise du dialogue, comme la représentation nationale l’a fait en 1988 et en 1998, au moment des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa. Les parlementaires ont accompagné le processus en autorisant la ratification des accords dans cette enceinte.
En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le temps est une valeur essentielle. Donnez-nous du temps pour apaiser la situation, reprendre le dialogue et faire aboutir le processus de décolonisation, comme prévu dans l’accord de Nouméa.
Avant moi, mes collègues ont porté cette revendication de justice, d’équité et d’impartialité de l’État dans le règlement définitif de la question coloniale en Kanaky. Je les en remercie, de même que je remercie tous ceux d’entre vous qui ont émis des alertes avant la crise.
À l’aube de cette nouvelle page de l’histoire décoloniale de la France, prenons en compte la réalité de la manière dont nos peuples sont considérés. Nous souhaitons être respectés et écoutés. La restriction du corps électoral témoigne des équilibres sur lesquels les accords de paix ont été forgés. Ces équilibres, permis par les accords de Matignon-Oudinot et confortés par les accords de Nouméa, sont aujourd’hui fragilisés. Au nom des élus du Congrès qui ont voté à la quasi-unanimité le report de ces élections, je vous demande d’agir avec nous, pas sans nous, pour la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour l’ensemble des outre-mer.
Il est temps de refermer la parenthèse coloniale dans notre pays. En tant que peuple colonisé depuis cent soixante-dix ans, nous sommes fatigués de répéter que nous n’aspirons qu’à une seule chose : recouvrer la liberté, aux côtés des Calédoniens qui continuent de croire à la conjugaison du nous, dans le cadre du projet de citoyenneté que nous avons porté ensemble.
Nous avons ouvert à nos compatriotes le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit à l’autodétermination. Nous assumons ce droit et le revendiquons dans cette enceinte, afin d’écrire une nouvelle page. Si un accord est signé, le Parlement devra approuver sa ratification. Nous sommes en train de vivre cette première étape. Ne décidez pas à notre place ; agissez avec nous. Le groupe GDR est favorable à cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC, EcoS et LIOT. – M. Éric Martineau et M. Philippe Vigier applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Vaginay.
Mme Sophie Vaginay
Le groupe UDR soutient cette demande de report des élections en Nouvelle-Calédonie. Ce report n’est pas souhaitable en soi, car dans un État de droit – à Nouméa comme à Paris –, les élections doivent se tenir aux dates et dans les modalités prévues, conformément aux résultats des consultations menées auprès de la population de Nouvelle-Calédonie.
Il ne peut y avoir de doute sur l’égalité entre les citoyens au sein de la République française : tous les Néo-Calédoniens doivent pouvoir voter selon les mêmes règles de résidence et de nationalité. Il faudra assurer le dégel effectif du corps électoral, car le principe d’égalité ne peut pas être à géométrie variable. C’est le sens des décisions des Néo-Calédoniens, consultés à trois reprises dans le cadre des accords de Nouméa.
Aujourd’hui, il n’y a d’autre choix que ce report, tant la politique erratique et brutale du Président de la République vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie a conduit ce territoire dans une impasse de violence. La Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de scènes insurrectionnelles : émeutes, incendies – 290 maisons ont été brûlées –, pillages et agressions ont conduit à la déclaration de l’état d’urgence dès le 16 mai et au déploiement d’importants effectifs de forces de l’ordre.
Ces émeutes ont fait au moins treize morts et de très nombreux blessés chez nos forces de l’ordre. Les gendarmes, en particulier, ont payé un lourd tribut face à la violence aveugle – je tiens à les saluer et les assurer de notre entier soutien et de notre admiration. Elles ont également provoqué une crise économique profonde. Le haut-commissariat a évalué le coût des dégâts à 2,3 milliards d’euros : 750 entreprises ont été entièrement détruites, la perte de PIB est estimée à 30 %, et le chômage, déjà très élevé, explose – près d’un tiers des effectifs salariés du pays sont désormais sans emploi. Les conséquences sociales sont dramatiques : début octobre, on recensait 50 % d’impayés dans le parc des logements sociaux.
De nombreux équipements publics ont aussi été détruits : écoles, hôpitaux, dispensaires médicaux et autres bâtiments administratifs. Les acteurs de terrain, notamment les membres du comité interinstitutionnel reçus par le président Ciotti à l’Assemblée nationale le 2 octobre dernier, disent craindre de véritables émeutes de la faim, si rien n’est fait.
Le temps est donc à l’urgence : il faut dire halte au feu et tout faire pour apaiser la situation dans ce territoire de la République française. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’est prononcé très majoritairement pour ce report. J’espère que notre assemblée, pour une fois, se montrera unanime pour soutenir les Néo-Calédoniens.
Le temps de la refondation doit venir rapidement. Celle-ci doit être profonde, afin de créer les conditions de la confiance, sans laquelle aucun territoire ne peut se reconstruire et se développer. Gardons-nous de reproduire les erreurs du passé, l’éloignement et le mépris ; soyons à l’écoute, rendons-nous sur place, en vue d’une coconstruction avec les acteurs locaux. C’est là un message d’espoir. Sachons nous hisser à la hauteur des enjeux en poursuivant ce travail transpartisan au service des Néo-Calédoniens qui, comme tous les Français, méritent notre engagement plein et entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Rambaud.
M. Stéphane Rambaud
Cette proposition de loi organique vise à reporter les élections des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie au 30 novembre 2025 au plus tard, alors que l’archipel est marqué par de graves émeutes et une dégradation profonde de la situation économique et sociale, elles-mêmes directement provoquées par une réforme constitutionnelle menée à la hâte et sans consensus par le précédent gouvernement.
Mme Sabrina Sebaihi
Vous avez voté pour !
M. Stéphane Rambaud
La Nouvelle-Calédonie a traversé des périodes de blocage et d’incertitude, exacerbées par les trois référendums successifs sur la question de l’indépendance. En 2018, 2020 et 2021, la majorité des Néo-Calédoniens ont choisi de rester au sein de la République française, signifiant clairement leur attachement à la France. Au lieu de respecter cette volonté et de travailler avec les élus locaux afin de construire un avenir commun, le Gouvernement a préféré s’engager dans des décisions précipitées. Cette précipitation et l’absence de concertation ont provoqué une explosion de tensions : de violentes émeutes – treize vies fauchées –, des milliers de familles touchées et une économie locale à genoux. (M. Davy Rimane s’exclame.) L’état d’urgence a dû être déclaré le 16 mai 2024, afin de rétablir un semblant de calme. À cela se sont ajoutées des ingérences de puissances étrangères qui, en réponse à des positions prises par la France, ont cherché à exploiter cette crise et à attiser un climat insurrectionnel.
La situation actuelle, marquée par la méfiance et l’instabilité, est la conséquence directe de cette gestion arrogante et déconnectée des réalités locales. Une fois de plus, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis en croyant pouvoir imposer sa vision depuis Paris, sans tenir compte de la complexité de la situation sur le terrain. Cette crise n’est pas le fruit du hasard ; elle est la conséquence d’un entêtement à vouloir tout décider en haut lieu, sans écouter ceux qui, chaque jour, œuvrent pour la cohésion sur l’archipel. Ces décisions prises à l’emporte-pièce participent à la fragmentation de la République et affaiblissent davantage le lien de confiance entre l’État et ses territoires.
Face à cette situation, la proposition de loi organique vise à reporter au 30 novembre 2025 l’élection des membres des assemblées provinciales et du Congrès. Ce report n’est pas un aveu de faiblesse, mais une garantie que les élections se tiendront dans un climat apaisé et propice à l’expression démocratique. En effet, comment envisager un scrutin serein alors que les blessures des récentes émeutes sont encore vives et que la confiance dans les institutions est ébranlée ? Ce report doit être également l’occasion de renouer le dialogue, de reconstruire la confiance et de permettre aux différents acteurs politiques de la Nouvelle-Calédonie de se rassembler autour d’un projet commun.
Comme l’a justement souligné Marine Le Pen (Exclamations sur les bancs des groupes Dem et EcoS), la solution à long terme passe par l’organisation d’un référendum dans quarante ans. Cette perspective offrirait un horizon clair et stable à l’archipel, tout en réaffirmant son intégration dans la République et son lien indéfectible avec la nation.
C’est dans ce contexte que le Marine Le Pen a reçu une délégation interinstitutionnelle et transpartisane…
M. Arthur Delaporte, rapporteur
Comme tous les groupes !
M. Florent Boudié, rapporteur
Tout le monde l’a fait !
M. Stéphane Rambaud
…de Nouvelle-Calédonie, le 3 octobre. Lors de cette rencontre, elle a notamment insisté sur la nécessité, vu l’augmentation de la contribution française au budget de l’Union européenne, de mobiliser également des fonds européens…
M. Arthur Delaporte, rapporteur
Vous en avez voté la suppression !
M. Stéphane Rambaud
…pour soutenir la reconstruction de l’archipel et accompagner la transition énergétique, indispensable à sa filière nickel.
Notre présidente de groupe a réaffirmé sa détermination à œuvrer en faveur d’une solution institutionnelle stable et durable. Le Rassemblement national est pleinement engagé à promouvoir des solutions concrètes, tant économiques que sociales, au service de l’intérêt de tous les Calédoniens et d’une Nouvelle-Calédonie rassemblée et pacifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
Je ne peux utiliser ce pupitre que des menuisiers de l’Assemblée nationale viennent de modifier – je les ai vus l’incliner dans un reportage consacré à notre institution – sans remercier toutes les petites mains qui favorisent notre travail au quotidien et leur rendre hommage. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
Je dois aussi faire un petit rappel juridique et politique à certains collègues qui se sont exprimés avant moi : quand on se prévaut de l’accord de Nouméa, donc de la Constitution puisque cet accord est constitutionnalisé, on le respecte à la lettre. Or l’accord précise que les signes identitaires, dont le nom de la Nouvelle-Calédonie, sont choisis par une majorité des trois cinquièmes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Jusqu’à nouvel ordre, officiellement, le nom de la Nouvelle-Calédonie, c’est Nouvelle-Calédonie ; ce n’est ni Kanaky, ni Kanaky-Nouvelle-Calédonie, pas plus que Nouvelle-Calédonie-Kanaky.
Mme Émilie Bonnivard
Eh oui !
Mme Danièle Obono
Nous, on y ajoute le mot « Kanaky » !
Mme Marie Mesmeur
C’est comme ça, que ça vous plaise ou non !
M. Jean-François Coulomme
Ça suffit, la cancel culture !
M. Nicolas Metzdorf
Il faut respecter le choix des Calédoniens et la Constitution de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, RN, DR et UDR.)
La proposition de loi du groupe sénatorial socialiste arrive au bon moment puisque nous ne sommes pas aujourd’hui en état d’organiser des élections dans de bonnes conditions en Nouvelle-Calédonie. Celles dans lesquelles se sont tenues les dernières élections législatives, marquées par des suspicions de fraudes dans plusieurs bureaux de vote, étaient très mauvaises.
Il n’est par ailleurs nul besoin d’aviver les tensions localement ; il nous faut, au contraire, tenter à nouveau de négocier sur l’extension du corps électoral comme sur tous les sujets concernant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Je voudrais témoigner du plein engagement du camp non indépendantiste, qui s’exprime à travers moi bien que je parle au nom du groupe Ensemble pour la République, dans la recherche d’un accord politique global. Depuis 2021, jamais les non-indépendantistes n’ont boycotté les négociations ; jamais, ils n’ont quitté la table des discussions ; jamais, ils n’ont contesté le résultat d’un vote démocratique ; ils ont toujours été présents pour faire des propositions afin de trouver des solutions avec les indépendantistes et avec l’État.
Je dois aussi rappeler que si le projet de loi constitutionnelle dont tout le monde semble considérer qu’il est responsable des émeutes…
Mme Sabrina Sebaihi
C’est parce que le Gouvernement est passé en force !
M. Nicolas Metzdorf
…est arrivé au Sénat et à l’Assemblée nationale, c’est parce qu’entre 2021 et 2023, aucun accord n’avait été trouvé entre les partenaires. Pour trouver un accord, il faut être deux à la table des négociations. Trop souvent, l’un des partenaires historiques de l’accord de Nouméa a été absent lors des négociations,…
M. Jean-Paul Lecoq
Il y a peut-être des raisons à cela !
M. Nicolas Metzdorf
…nous empêchant de trouver un accord politique. Nous sommes évidemment partisans du dialogue et de la discussion, mais chacun doit faire sa part du chemin.
Je voudrais aussi m’adresser à l’État, au ministre : j’entends souvent dire que l’État se doit d’être impartial. Il devait l’être, en effet, avant la tenue des trois référendums puisqu’il ne devait soutenir ni le oui, ni le non, s’agissant d’un choix souverain du peuple calédonien.
M. Bastien Lachaud
Ce n’est pas ce qu’il a fait !
M. Nicolas Metzdorf
Mais l’État ne peut plus être impartial quand il s’agit de faire respecter le résultat d’un vote démocratique ; il ne peut plus être impartial entre tenants de la France et de l’indépendance puisque les Calédoniens ont choisi, par trois fois, la France…
M. Jean-Victor Castor
C’est faux !
M. Nicolas Metzdorf
…et que les résultats ne sont contestés par aucune instance internationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Jean-Victor Castor
C’est faux !
M. Nicolas Metzdorf
L’État ne peut être impartial, ajouterai-je, non pas entre indépendantistes et non-indépendantistes, mais entre les démocrates et ceux qui veulent le chaos – car parmi les indépendantistes, il y a des démocrates. Vous ne pouvez être impartial, monsieur le ministre, entre ceux qui cassent et ceux qui construisent.
Mme Danièle Obono
Et les milices ?
Mme Émilie Bonnivard
Respectez l’orateur !
M. Nicolas Metzdorf
Vous ne pouvez l’être entre ceux qui veulent le dialogue…
M. Raphaël Arnault
Les milices armées qui tirent sur les gens ?
M. Nicolas Metzdorf
…et ceux qui ne le veulent pas.
Mme la présidente
S’il vous plaît !
M. Nicolas Metzdorf
Ce n’est pas seulement le maintien de la Nouvelle-Calédonie française qui se joue, mais le respect de la démocratie et de l’État de droit en Nouvelle-Calédonie.
M. Raphaël Arnault
À la matraque !
M. Nicolas Metzdorf
Votre responsabilité est grande, monsieur le ministre : aux yeux des Calédoniens, vous n’êtes pas seulement un ministre, vous ne représentez pas seulement le Gouvernement, ni même l’État ; vous êtes le visage de la France, pour laquelle ils se sont tant battus et dont ils espèrent encore que les valeurs seront respectées, même à 22 000 kilomètres de Paris. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, RN, DR, Dem, HOR et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
Pendant des millénaires, l’archipel de Kanaky-Nouvelle-Calédonie a été habité par une population mélanésienne, organisée de façon coutumière : les Kanaks. Le peuple premier, à qui revient le premier des droits sur cette terre. En 1774, James Cook lui donne son nom colonial. La colonisation européenne entraîne le déclin démographique des Kanaks. La Nouvelle-Calédonie devient officiellement une colonie française en 1853 quand Napoléon III en ordonne la prise de possession.
Pensée dès l’origine comme colonie de peuplement, elle sera d’abord utilisée comme colonie pénitentiaire : y seront déportés notamment les communards et les insurgés kabyles contre la colonisation de l’Algérie. S’y installent aussi des colons français libres, attirés par des promesses de terres, puis des travailleurs asiatiques incités à venir participer à l’exploitation minière – des « victimes de l’histoire » pour reprendre l’expression employée par les indépendantistes kanaks à Nainville-les-Roches.
Dans l’histoire des colonisations, celle de Kanaky-Nouvelle-Calédonie est particulièrement violente : les autorités y procèdent à des spoliations foncières massives au détriment des chefferies kanak ; l’ignoble code de l’indigénat y est appliqué ; un groupe de Kanaks est présenté dans un zoo humain à l’exposition coloniale de 1931. Aucune indignité ne sera épargnée à ce peuple.
Les insurrections kanak contre la colonisation, dont celle de 1878, sont sauvagement réprimées. La tête du chef Ataï a même été envoyée à Paris, et ne sera restituée à ses descendants qu’en 2014.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer. L’abolition de l’indigénat ne met pas fin au système colonial : il faut attendre 1957 pour que le droit de vote universel y soit appliqué. En 1972 encore, Pierre Messmer, Premier ministre, ordonne à son secrétaire d’État aux DOM-TOM d’organiser je cite « l’immigration massive de citoyens français métropolitains » pour éviter le danger indépendantiste « en améliorant le rapport numérique des communautés ». La colonie de peuplement perdure, encore et toujours. Ce fait est reconnu par l’ONU.
Les accords de paix de Matignon-Oudinot, puis, après la guerre civile des années 1980, ceux de décolonisation de Nouméa avaient, enfin, permis de dessiner un destin commun et de trouver une voie pour l’émancipation des Calédoniens.
Le système colonial n’est, en effet, pas un passé lointain et révolu : il se matérialise ici et maintenant dans des inégalités économiques, sociales et politiques qui ne doivent rien au hasard.
Mme Danièle Obono
Exactement !
M. Bastien Lachaud
Les principales victimes ? Jeunes, sans qualification et kanak. Fracture sociale et fracture ethnique se recoupent : sept chômeurs sur dix sont kanak, comme le sont 71 % des pauvres, 69 % des jeunes sans emploi ni formation et 90 % des détenus de la prison de Nouméa, alors que les Kanaks ne représentent que 40 % de la population calédonienne.
Ainsi, quand Emmanuel Macron veut dégeler, unilatéralement et de force, le corps électoral, c’est cette terrible histoire coloniale qu’il réactive. Il est le seul et unique responsable de la crise politique, économique et sociale qui nous ramène quarante ans en arrière. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Le pays est au bord du gouffre. On craint des émeutes de la faim.
Il faut maintenant retrouver la voie de la paix, ce qui nécessite des gestes politiques forts de la part du Gouvernement : le respect de l’accord de Nouméa, le retour à l’impartialité de l’État, l’assurance que le projet de dégel unilatéral est définitivement abandonné et la libération des prisonniers politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Marc Pena applaudit également.)
La question des prisonniers politiques ne peut pas être éludée en renvoyant à une procédure judiciaire. Quand a-t-on pu imaginer incarcérer à l’autre bout du monde des responsables politiques, autrement que dans le cadre d’une justice coloniale ?
Mme Sophia Chikirou
Exactement !
M. Bastien Lachaud
Le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), Christian Tein, est en prison à Mulhouse sous des chefs d’accusation grotesques et au mépris de tous ses droits, ce que la Cour de cassation vient d’ailleurs de reconnaître. Acteur incontournable de futures négociations, il doit, comme les autres prisonniers politiques kanak, sortir de prison et pouvoir rentrer chez lui. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Max Mathiasin applaudit également.)
Le texte que nous examinons vise à reporter les élections provinciales. Puisque le Congrès calédonien s’est massivement prononcé pour ce report, nous ne pouvons que suivre son avis : le groupe de La France insoumise ne s’opposera pas au report des élections.
M. Philippe Gosselin
Quand même !
M. Bastien Lachaud
Reste que la méthode du passage en force est totalement désavouée. Il faut ouvrir une nouvelle séquence politique. Les discussions entre les acteurs calédoniens doivent permettre d’aboutir à un accord global. C’est seulement dans le cadre d’un tel accord, consensuel, que la définition d’un nouveau corps électoral serait envisageable pour les élections provinciales dans la perspective de l’émancipation pleine et entière de ce territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin
Merci, madame la présidente, de présider cette séance. Je sais l’intérêt que vous portez à la Nouvelle-Calédonie, territoire où vous vous rendrez en compagnie du président du Sénat d’ici quelques jours, témoignant de l’intérêt de toute la nation pour tous ses territoires, qu’ils soient proches ou lointains, hexagonaux ou ultramarins.
Je ne me lancerai pas dans un réquisitoire tel que celui que nous venons d’entendre. Je reprendrai avec plus de modération quelques éléments qui caractérisent la situation de la Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs décennies : avec ses ombres, mais aussi ses lumières, le bilan est bien plus contrasté que l’image que certains veulent en donner ici. (M. Nicolas Metzdorf applaudit. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Oui, le choix d’un destin commun a bien été réaffirmé ; non, l’opposition n’est ni permanente, ni aussi caricaturale que l’image que certains veulent bien en donner. (Nouvelles exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) J’en veux pour preuve l’expression « victimes de l’histoire », qui signifie qu’un peuple n’est pas seul reconnu victime – si victime il devait y avoir – mais qu’existent des éléments intrinsèquement mêlés en un terreau devenu, pour une part, commun.
Outre ces traits historiques, le contexte actuel est celui d’une forte tension : les émeutes et les manifestations qui ont débuté à partir du 13 mai ont mis le pays à feu et à sang. Il y a eu des morts – treize, dont deux victimes chez les forces de l’ordre – et plus de 750 militaires, policiers et gendarmes blessés. C’est aussi une économie exsangue, un corps social qui se cherche, un nickel en décrépitude : l’usine du Nord de Koniambo fermée, une autre démantelée par ses propres salariés, par ceux-là mêmes à qui elle aurait pu bénéficier en quelque sorte, une troisième dont le sort est en suspens. Demain, se produiront, peut-être, des émeutes de la faim – je n’en conteste pas la possibilité.
Il s’agit d’une crise sociale, économique, et peut-être plus grave encore, d’une crise de confiance. La confiance dans l’avenir constitue l’élément psychologique le plus à même d’apaiser les passions et de permettre de construire ensemble.
Dans un tel cadre, la présente proposition va de soi. Compte tenu du caractère instable et précaire de la situation, les élections provinciales ne peuvent être organisées dans l’immédiat. Je rappelle que ce sont les élections les plus importantes pour ce territoire : elles déterminent la composition du Congrès et, par extension, du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Il apparaît donc sage de les reporter d’un an, en espérant que d’ici là, les conditions de leur tenue, sinon de leur succès, seront réunies.
Cela dit, le texte que nous examinons s’insère dans un cadre bien plus large. La confiance, je le disais, doit être restaurée, et un accord global reste à construire – j’ai l’impression, de ce point de vue, que nous avons dégringolé plusieurs marches par rapport au palier que nous pensions avoir atteint, faute d’être arrivés à destination !
Plusieurs sujets devront être à nouveau abordés. Les aspects économiques et sociaux sont essentiels, bien sûr, et il faudra intégrer le nickel dans nos réflexions. Mais le sujet qui devra être traité en priorité, c’est celui, certes compliqué, du corps électoral : on ne peut pas envisager un statu quo en la matière. C’était déjà vrai lorsque les accords de Matignon puis de Nouméa ont été signés : on ne peut pas indéfiniment bloquer ce qui correspond aujourd’hui à presque 20 % des habitants de l’archipel inscrits sur la liste électorale générale. C’est du reste ce qu’a écrit le Conseil d’État dans ses avis du 7 décembre 2023 et du 25 janvier 2024.
Toutes les exigences constitutionnelles sont satisfaites pour que ces élections aient lieu. Le Congrès lui-même s’est prononcé en leur faveur par quarante-sept voix sur cinquante-quatre, et une seule contre ; nous nous devons de le suivre et surtout d’assurer tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, quels qu’ils soient, de notre soutien, en réaffirmant notre confiance, malgré tout, dans l’avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Arthur Delaporte, rapporteur.
M. Arthur Delaporte, rapporteur
Je veux revenir rapidement sur quelques interrogations soulevées par les différents orateurs. Je commence par la fin : la question du nickel, que M. Gosselin et nombre d’entre vous ont évoquée. Monsieur le ministre, puisque vous êtes là, j’en profite pour vous dire que les attentes quant à l’avenir de la filière, relayées par nos collègues, sont immenses. C’est l’un des piliers de l’emploi en Nouvelle-Calédonie, responsable de 25 à 30 % du PIB du territoire.
Plusieurs milliers de salariés du secteur sont au chômage partiel ; ils représentent une proportion importante des personnes concernées par ce dispositif. L’État doit prendre des engagements car – je le dis aux collègues qui n’auraient pas lu le rapport – le chômage partiel s’arrête à la fin de l’année et il faut de la visibilité, sachant qu’en Nouvelle-Calédonie, le chômage n’est indemnisé que pour une durée maximale de neuf mois. Je sais qu’une telle règle est un rêve pour certains d’entre vous mais cela risque en l’occurrence de produire une situation gravissime, d’autant qu’il n’existe aucun filet de sécurité supplémentaire – il n’y a pas de RSA en Nouvelle-Calédonie.
L’État doit être au rendez-vous sur cette question mais aussi en matière budgétaire. Nous avons entendu les collectivités, monsieur le ministre – et vous aussi, j’imagine, lors de votre déplacement : elles sont financièrement exsangues. Les annonces que vous avez faites hier en évoquant des avances remboursables ne constituent pas – je parle ici à titre personnel – une solution soutenable. J’en profite pour répondre à Nicolas Metzdorf : certes, les facteurs qui ont conduit à la situation présente sont multiples, mais on ne peut nier que c’est au moment de l’examen par notre assemblée du projet de loi constitutionnelle visant à modifier le corps électoral que la crise a éclaté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Parce qu’il n’a pas voulu voir ce qui arrivait, l’État porte une responsabilité évidente !
Ce système d’avances remboursables, donc, contribue à endetter les Calédoniens et donc à leur faire payer le poids d’une responsabilité qui est éminemment partagée car l’État, évidemment, a fauté. Ce ne peut donc être la réponse principale. Les 70 millions d’euros de subventions que vous avez annoncées ne seront pas suffisants : il faudra ouvrir des perspectives supplémentaires.
Je veux enfin donner deux derniers éléments de réponse. Monsieur Molac, vous avez dit – mais peut-être était-ce un abus de langage – qu’il y avait « deux peuples » en Nouvelle-Calédonie.
M. Paul Molac
Ce n’était pas un abus de langage !
M. Arthur Delaporte, rapporteur
Mais non ! Il n’y a pas « deux peuples » en Nouvelle-Calédonie. Il y a une citoyenneté calédonienne, à laquelle la liste électorale donne accès. Dans les années 1980 et notamment lors de la table ronde de Nainville-les-Roches, on reconnaissait déjà qu’en Nouvelle-Calédonie, les victimes de l’histoire se trouvent de tous les côtés. Les déportés du bagne nous le rappellent : l’histoire de l’archipel ne se résume pas à une image schématique. Finalement, les victimes sont partout,…
M. Nicolas Metzdorf
C’est bien !
M. Arthur Delaporte, rapporteur
…même s’il existe – je vous réponds, monsieur Metzdorf – un héritage colonial évident…
M. Nicolas Metzdorf
Nous l’avons reconnu !
M. Arthur Delaporte, rapporteur
…qu’il faut regarder en face. Non, la décolonisation n’est pas finie ; oui, il y a du racisme ;…
M. Nicolas Metzdorf
Il y a aussi du racisme antiblanc !
M. Arthur Delaporte, rapporteur
…et oui, comme l’a rappelé M. Lachaud, il y a une situation d’inégalité profonde que subissent encore largement les populations kanak.
Notre objectif, ce n’est pas de faire monter la mayonnaise autour de ces tensions : ce que nous voulons – je pense l’avoir entendu sur tous les bancs –, c’est retrouver le chemin de la paix. M. Tjibaou l’a dit avec beaucoup de force tout à l’heure et je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus, comme l’ensemble des acteurs que nous avons auditionnés : il faut cesser de se servir de ces débats pour alimenter les tensions. Notre rôle, c’est de participer à l’apaisement et je compte sur notre responsabilité collective pour avancer sur ce point.
M. Philippe Gosselin
Oui, il ne faut pas en faire un psychodrame national !
Mme la présidente
La parole est à M. Florent Boudié, rapporteur.
M. Florent Boudié, rapporteur
Je veux d’abord dire que je partage tout ce qu’a dit, y compris à titre personnel, Arthur Delaporte. En commission des lois, j’avais eu l’occasion de dire qu’il fallait aborder la question calédonienne avec gravité et beaucoup d’humilité. Avec mon collègue corapporteur, nous avons, au cours des dernières semaines, documenté la situation économique et sociale ; nous avons réuni des éléments statistiques et des données précises sur ce que vivent les Calédoniens sur l’archipel. Mais ce n’est pas une réalité que nous vivons directement. Nos députés calédoniens – pardonnez-moi cette expression –, eux, peuvent en parler avec les habitants sur place. Nous devons donc faire preuve de beaucoup d’humilité.
Au fond, il en est aujourd’hui, en novembre 2024, comme il en était lorsqu’à cette tribune, le 29 juin 1988, dans sa déclaration de politique générale, Michel Rocard avait appelé chacune et chacun à « rétablir la paix des cœurs […] et des âmes ». Ce n’est pas une formule politique, c’est vrai, mais la politique doit parfois puiser sa force dans des réflexions bien plus profondes qu’elle ne l’est elle-même. C’est encore avec humilité que j’évoque ainsi Michel Rocard.
Madame la présidente, la mission que vous allez conduire avec le président Larcher, dans trois jours, sur l’archipel, est très attendue – je sais que vous en êtes parfaitement consciente. C’est une chance que nous devons saisir, en tant que membres de la représentation nationale : en cette occasion, vous ne représenterez pas l’État – pardon, monsieur le ministre – et c’est une liberté essentielle aux yeux de tous les Calédoniens. Votre rôle sera de « dresser la table » du dialogue, pour reprendre l’expression utilisée par Jean-Pierre Djaïwé, président de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), et Virginie Ruffenach, vice-présidente du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, avant d’être reprise par Arthur Delaporte. Il s’agira de mettre autour de la table toutes les parties prenantes, y compris l’État !
Faut-il refaire le passé ou regarder dans le rétroviseur ? Je ne le sais pas. Ce que je sais, c’est que nous devons, dans les semaines et les mois qui viennent, appuyer toutes les initiatives qui donneront – qui rendront – à l’État sa totale impartialité, sa capacité à garantir pleinement le dialogue qui doit être renoué pour permettre la reconstruction. Voilà l’urgence, et je prends notes des éléments complémentaires que vous avez avancés, monsieur le ministre, concernant le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Le dialogue ne partira pas de rien ! Dans le chemin qui se trouve devant nous, il y a la question centrale de l’autodétermination. Les mots « colonisation » et « décolonisation » figurent dans l’accord de Nouméa,…
M. Arthur Delaporte, rapporteur
Bien sûr !
M. Florent Boudié, rapporteur
…et nous devons l’assumer ! Ce ne sont pas des gros mots : c’est l’histoire. Ce sont des sujets qui concernent les Calédoniens et dont il faut parler. J’ai bien entendu ceux qui disent : « ne décidez pas à notre place ».
Cette question de l’autodétermination renvoie à celle du corps électoral et donc de la citoyenneté : peut-être l’élaboration d’un code de la citoyenneté sera-t-elle nécessaire ! La question des réformes internes à la Nouvelle-Calédonie est également primordiale, tout comme celle de la relation à la France, qui sera au cœur des discussions.
Sur tous ces points, des discussions avaient été engagées avant le début des émeutes, le 13 mai. Je ne sais pas si elles doivent reprendre sur ce fondement mais ce qui est certain, c’est que le report des élections au plus tard au 30 novembre 2025 ouvre un chemin d’espoir et de dialogue. Voilà ce qui nous attend. (M. Arthur Delaporte, rapporteur, et M. Philippe Gosselin applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre
Au terme des interventions de chacun des groupes, je veux faire quelques observations. Je salue l’unanimité à venir sur le vote de ce texte qui n’est pas une fin mais un nouveau départ pour la Nouvelle-Calédonie. Il faut vraiment en avoir conscience ! Je ne vais pas reprendre tout ce qui a été dit mais beaucoup de choses absolument justes ont été parfaitement exprimées.
Vous évoquiez, monsieur le rapporteur Delaporte, la question économique ; elle est fondamentale et urgente. La question du nickel est indissociable de l’avenir du territoire.
M. Philippe Gosselin
Totalement !
M. François-Noël Buffet, ministre
L’usine du Nord est fermée, tout comme celle de Thio, et la SLN – Société Le Nickel – ne fonctionne pas à plein. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourra s’écrire sans une action très forte en faveur de la filière nickel,…
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. François-Noël Buffet, ministre
…qui doit être relancée dès à présent. Sans trahir de secret, je peux dire que des contacts sont établis avec certains groupes qui s’y intéressent ; les choses pourraient vite évoluer et nous devons être proactifs.
M. Philippe Gosselin