Première séance du mercredi 15 janvier 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Relations entre la France et l’Algérie
- Réforme des retraites
- Rémunération du travail
- Réchauffement climatique
- Stratégie pluriannuelle de santé
- Usine de canne à sucre de Marie-Galante
- Situation des urgences
- Éducation nationale
- Relations entre l’Algérie et la France
- Situation sécuritaire à Mayotte
- Crédits des ministères régaliens
- 2. Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ?
- Mme Hélène Laporte, rapporteure
- M. Stéphane Travert, rapporteur
- M. David Taupiac, rapporteur
- M. Emmanuel Blairy (RN)
- M. Charles Sitzenstuhl (EPR)
- Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP)
- M. Dominique Potier (SOC)
- M. Julien Dive (DR)
- M. Benoît Biteau (EcoS)
- M. Pascal Lecamp (Dem)
- Mme Béatrice Bellamy (HOR)
- Mme Martine Froger (LIOT)
- M. Yannick Monnet (GDR)
- M. Vincent Trébuchet (UDR)
- Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
- M. Robert Le Bourgeois (RN)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. David Magnier (RN)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Jean-Luc Fugit (EPR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Christophe Marion (EPR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Christophe Bex (LFI-NFP)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Laurent Alexandre (LFI-NFP)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Mélanie Thomin (SOC)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Peio Dufau (SOC)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Fabien Di Filippo (DR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Guillaume Lepers (DR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Marie Pochon (EcoS)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Julie Ozenne (EcoS)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Hubert Ott (Dem)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Géraldine Bannier (Dem)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. David Guerin (HOR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Bertrand Bouyx (HOR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Jean-Pierre Bataille (LIOT)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Olivier Serva (LIOT)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Nicolas Sansu (GDR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Yannick Monnet (GDR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Éric Michoux (UDR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- M. Bartolomé Lenoir (UDR)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Véronique Besse (NI)
- Mme Annie Genevard, ministre
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Après l’élection de Donald Trump, concrétiser la souveraineté européenne
- M. Laurent Mazaury (LIOT)
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- Mme Hanane Mansouri (UDR)
- M. Guillaume Bigot (RN)
- M. Pieyre-Alexandre Anglade (EPR)
- M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP)
- Mme Sandrine Runel (SOC)
- Mme Virginie Duby-Muller (DR)
- Mme Dominique Voynet (EcoS)
- M. Bruno Fuchs (Dem)
- M. Bertrand Bouyx (HOR)
- M. Michel Castellani (LIOT)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe
- M. Michel Castellani (LIOT)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Nicolas Sansu (GDR)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Maxime Michelet (UDR)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- Mme Manon Bouquin (RN)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Frank Giletti (RN)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- Mme Eléonore Caroit (EPR)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- Mme Brigitte Klinkert (EPR)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Aurélien Taché (LFI-NFP)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Julien Gokel (SOC)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Julien Gokel (SOC)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Frédéric Petit (Dem)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- M. Bertrand Bouyx (HOR)
- M. Benjamin Haddad, ministre délégué
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Relations entre la France et l’Algérie
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
Monsieur le premier ministre, savez-vous que la guerre d’Algérie est terminée depuis soixante-trois ans et que la France coloniale l’a perdue parce que c’était une guerre criminelle et injuste ? Pourquoi cherchez-vous à la raviver ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hervé de Lépinau
Quelle honte !
M. Pierre Cordier
Tiens ? M. Lachaud a mis un costume et une cravate pour poser sa question !
M. Bastien Lachaud
Bien sûr, quand des influenceurs font des appels au meurtre contre des opposants politiques au gouvernement d’Alger, il faut engager les poursuites judiciaires adéquates en France – mais vous en faites le prétexte à une surenchère insupportable et irresponsable ! Vous multipliez les menaces et les provocations contre Alger, notamment à propos du Sahara occidental, en contradiction avec le droit international. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous stigmatisez des millions d’Algériens, de binationaux, de Français d’origine algérienne. Le vocabulaire arrogant et guerrier que vous employez n’a rien à faire dans les relations internationales. Les pires fantasmes de l’extrême droite que vous alimentez n’ont rien à faire dans le débat public. (Mêmes mouvements.) Vous osez affirmer que l’accord franco-algérien de 1968 accorderait un privilège à l’immigration algérienne. C’est un pur mensonge ! Vous osez parler de rente mémorielle à propos de l’Algérie, comme si le fait d’avoir subi 132 ans de colonisation et de souffrance était un cadeau. (Mêmes mouvements.) « Les belles heures de la colonisation », comme ose les désigner votre ministre de l’intérieur… C’est révoltant !
M. Alexandre Dufosset
Nul !
M. Bastien Lachaud
En réalité, c’est l’algérophobie qui est votre rente politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
M. Pierre Cordier
Nous avons plus de copains algériens que toi !
M. Bastien Lachaud
Vous soufflez sur les braises des haines passées, vous attisez la xénophobie, l’islamophobie et le racisme, dans l’espoir d’exciter l’opinion publique et de masquer vos échecs. C’est répugnant !
Et qui en paye le prix ? C’est la France, que vous discréditez, isolez et abaissez ; ce sont les peuples français et algériens, que vous fracturez et opposez ; c’est la paix civile, que vous menacez.
Quand allez-vous cesser cette folle escalade ? Quand allez-vous en finir avec les postures néocoloniales ? Quand allez-vous construire enfin avec l’Algérie une relation diplomatique apaisée, fondée sur le respect mutuel et l’amitié entre des peuples frères ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Mme Soumya Bourouaha applaudit également.)
Plusieurs députés du groupe RN
Honteux !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
« La relation entre la France et l’Algérie n’est pas simplement une relation bilatérale comme les autres. C’est une relation d’intimité profonde. » C’est ainsi que le président de la République la qualifiait en août 2022, au moment où il signait avec le président algérien une feuille de route qui déterminait les termes de notre coopération. Or, pour coopérer, il faut être deux – et les raisons qui ont conduit les autorités algériennes à adopter une posture d’hostilité n’ont rien à voir avec l’Algérie ni avec ses intérêts. La France est un pays souverain, qui choisit les termes de ses alliances avec d’autres pays. Ce que la France entend construire avec le Maroc n’enlève rien à ce qu’elle entend construire avec l’Algérie.
Le 9 janvier, un influenceur connu sous le pseudonyme de Doualemn a été frappé par un arrêté ministériel d’expulsion après s’être livré à des appels au meurtre sur les réseaux sociaux.
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Reconduit à la frontière, il a été renvoyé par l’Algérie alors même qu’il détenait un passeport biométrique.
M. Emeric Salmon
Pourquoi l’acceptons-nous dans ce cas ? Il aurait dû repartir en Algérie !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Il s’agit d’une violation des textes qui régissent notre relation. C’est un précédent que nous considérons comme grave.
Cet individu est aujourd’hui détenu dans un centre de rétention administrative et la question est judiciarisée.
À cet épisode regrettable s’ajoute la détention de notre compatriote Boualem Sansal, dont les raisons sont considérées par la France comme parfaitement infondées. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RN, EPR et HOR.)
Le président de la République et le premier ministre réuniront dans les prochains jours les ministres concernés pour évaluer les suites à donner et les mesures à prendre. J’ai pour ma part signalé que j’étais prêt à me rendre à Alger pour traiter de toutes les questions, au-delà de celles qui ont fait l’actualité ces dernières semaines. Ni l’Algérie ni la France n’ont intérêt à ce que s’installe une tension durable entre nos deux pays voisins, deux grands pays de la Méditerranée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Faure.
M. Olivier Faure
Monsieur le premier ministre, nous sommes dans l’opposition mais nous avons fait un choix : celui de néanmoins rechercher un compromis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Pierre Cordier
Pas beaucoup d’applaudissements parmi les Insoumis…
M. Olivier Faure
Au cours de la semaine passée, nous avons beaucoup discuté avec vos ministres et avec vous-même et cherché à avancer sur nombre de questions qui touchent à la vie quotidienne des Français : la santé, le service public, les jours de carence… Autant de sujets qui les inquiètent et sur lesquels vous êtes en partie revenu hier, lors de votre déclaration de politique générale.
Vous le savez : la clé de voûte de cette discussion est la réforme des retraites, cette réforme restée comme une blessure à la fois sociale et démocratique. Le départ à la retraite des Françaises et des Français va être progressivement reporté, jusqu’à l’âge de 64 ans. Ce sont les classes populaires, les femmes, les personnes avec des carrières longues, hachées, pénibles, qui seront les premières pénalisées.
Vous avez déclaré hier que cette réforme pouvait être « plus juste ». Voilà un point d’accord entre nous car la réforme est selon nous terriblement injuste.
M. Antoine Léaument
Abrogation !
M. Olivier Faure
Vous avez annoncé une conférence sociale ; c’est un premier pas. Cette conférence devra, en toute sincérité et transparence, tout mettre sur la table : l’âge légal de départ à la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité du travail, les carrières des femmes, les sources de financement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Je vous le dis : elle ne pourra pas se clore par un retour à la réforme de 2023. (Mêmes mouvements.) Pour les socialistes, le statu quo n’est pas possible. (M. Antoine Léaument s’esclaffe.) Dans l’hypothèse où syndicats et patronat ne trouveraient pas d’accord,…
M. François Cormier-Bouligeon
Faites-leur confiance !
M. Olivier Faure
…il reviendra à la démocratie parlementaire de s’exprimer. Dans ce cas, le Parlement doit avoir le dernier mot. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Voilà notre position. Elle est claire. Elle est publique.
À ce stade, le compte n’y est pas. Vous le savez : votre réponse à cette question conditionnera notre vote sur la motion de censure demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Monsieur le premier secrétaire du parti socialiste, nous avons en effet pris le temps et fait l’effort réciproque d’examiner ensemble s’il était possible de progresser dans le cadre des relations qui existent entre les différents groupes de cette assemblée et le gouvernement.
Il y a un premier cercle, celui des groupes qui participent au gouvernement. Il y a un autre cercle, défini par ceux-là mêmes qui le composent comme celui des groupes radicalement opposés à la démarche du gouvernement. (Plusieurs députés du groupe LFI-NFP lèvent la main.)
M. Antoine Léaument
C’est nous !
M. François Bayrou, premier ministre
Et puis il y a un cercle intermédiaire, composé de groupes qui sont dans l’opposition mais qui décident cependant de saisir toutes les possibilités de progression. C’est dans ce cadre que nous avons discuté.
Il y a eu beaucoup de sujets de discussion. Nous avons abordé par exemple la question de l’évolution de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie…
Mme Clémentine Autain
Combien ?
M. François Bayrou, premier ministre
…et celle du budget de la santé, qui ont forcément des conséquences sur les hôpitaux.
S’agissant de la réforme des retraites,…
M. Antoine Léaument
Abrogation !
M. François Bayrou, premier ministre
…nous avons décidé de demander aux partenaires sociaux et au gouvernement, qui a la responsabilité de l’emploi public, de se réunir pour examiner les voies de progression identifiées après la réforme qu’Élisabeth Borne, après tant d’autres chefs du gouvernement, a conduite – je signale au passage que votre groupe ou votre courant de pensée, bien que s’étant opposé aux réformes précédentes, n’est jamais revenu dessus, car la réalité s’impose à nous tous. ( « Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Je vais vous répondre clairement. Cette conférence sociale permettra, nous le croyons, de déboucher sur un accord. Nous le croyons parce que nous croyons, tout comme vous, j’imagine, à la capacité des partenaires sociaux à progresser. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR.) La démocratie sociale est un des piliers de la démocratie française…
M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
…et je peux attester, à la suite des conversations qu’ils ont eues avec moi, que les partenaires sociaux sont déterminés à avancer. Ils ont eux aussi identifié des marges de succès.
Il y a donc trois possibilités.
Mme Mathilde Panot
Abrogez la réforme !
M. François Bayrou, premier ministre
La première est qu’un accord se dégage.
M. Thomas Cazenave
C’est ce que nous voulons.
M. François Bayrou, premier ministre
Il fera alors l’objet d’un texte soumis au Parlement.
S’il n’y a aucune sorte d’accord, c’est la réforme précédente qui continuera à s’imposer. (Vives protestations sur les bancs du groupe SOC.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Et voilà !
M. François Bayrou, premier ministre
Excusez-moi mais c’est la moindre des choses !
Il peut néanmoins arriver, et c’est même probable, qu’on se trouve dans une situation où des marges de progression, des mouvements, des changements, des adaptations auront été identifiés sans qu’il y ait un accord général. Si c’est le cas, nous proposerons un texte qui reprendra ces adaptations et nous le soumettrons à l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
Il n’y a rien de plus simple, de plus clair, de plus franc. (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Arthur Delaporte
C’est incompréhensible !
Mme Mathilde Panot
Continuez de parler, vous ne vous rendez compte de rien !
Mme la présidente
Madame Panot !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous ne pouvons considérer à l’avance que les partenaires sociaux sont incapables de progression – je crois exactement le contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.) Je prends l’engagement devant vous que si nous identifions des possibilités de changements positifs, dans lesquels on discernerait des progrès, nous les présenterons au Parlement dans le cadre d’un projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
Rémunération du travail
Mme la présidente
La parole est à M. Corentin Le Fur.
M. Corentin Le Fur
Monsieur le premier ministre, depuis que je suis élu, ma priorité, et celle des députés de la Droite républicaine, est de défendre ceux qui travaillent et de mieux rémunérer le travail.
J’ai la chance d’être l’élu d’un très beau territoire, la circonscription de Loudéac-Lamballe, où l’on trouve de l’emploi, mais souvent dans des métiers difficiles et offrant de petits salaires.
C’est avant tout pour ces gens-là que je me suis engagé politiquement :…
M. Fabien Di Filippo
Bravo !
M. Corentin Le Fur
…pour les ouvriers et les ouvrières de l’agroalimentaire, qui font les trois huit ; pour les artisans du bâtiment, qui bossent dehors par tous les temps ; pour les agriculteurs, qui ne comptent jamais leurs heures ; pour les aides-soignantes et les infirmières, pour les aides à domicile, pour les accompagnants d’élèves en situation de handicap ; pour tous ceux qui se lèvent tôt, qui travaillent ou qui ont travaillé toute leur vie et qui doivent pouvoir vivre décemment. Hélas, tous ont le sentiment que travailler plus rime avec payer plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Cette France du travail, elle me le dit tous les jours, trouve que le travail ne rapporte pas assez. Trop souvent, ceux qui travaillent ont le sentiment d’entretenir ceux qui ne veulent pas travailler. (« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
La solidarité est nécessaire, elle est l’honneur de la France, mais elle ne doit pas être dévoyée par l’assistanat. En France, le travail doit payer, et il doit payer plus que les revenus de l’assistance.
M. Jean-Pierre Vigier
Exactement !
M. Corentin Le Fur
C’est pourquoi, avec mes collègues de la Droite républicaine, nous avons déposé une proposition de loi visant à envoyer un signal fort aux Français en sortant les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) En effet, faire des heures sup’ revient trop souvent à renchérir le coût de la cantine scolaire des enfants ou empêcher l’accès à un logement social ou à une bourse scolaire.
M. Fabien Di Filippo
Il faudrait aussi geler les aides sociales.
M. Corentin Le Fur
Pour que ceux qui travaillent un peu plus ne soient pas systématiquement pénalisés justement parce qu’ils travaillent, nous devons voter ce texte.
Monsieur le premier ministre, dans votre discours de politique générale vous avez évoqué la nécessaire revalorisation du travail et je vous en remercie, maintenant place aux actes ! Acceptez-vous de soutenir cette proposition de loi de bon sens, en faveur de la France qui travaille ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Merci pour votre question qu’une niche parlementaire à venir nous permettra de traiter en détail. Permettez que je rappelle les termes du débat que nous aurons.
Les heures supplémentaires sont exonérées d’impôt sur le revenu depuis 2019. Il s’agit d’un progrès, qui va dans le sens que vous voulez, comme nous tous : que le travail paie et qu’il paie davantage. Le plafond d’exonération a été porté de 5 000 à 7 500 euros en 2022 et il n’est pas question de revenir sur cette augmentation.
Vous souhaitez aller plus loin en modifiant le calcul du revenu fiscal de référence, mesure qu’il nous faut étudier, mais qui n’aurait aucun effet à court terme sur les impôts payés. Votre question porte plutôt sur la prise en compte des heures supplémentaires dans les prestations reçues. Nous chiffrerons le coût d’une telle mesure, car nous avons besoin de clarté : l’État est-il capable de le prendre en charge ?
Votre question me donne aussi l’occasion d’évoquer un sujet important pour les habitants de votre circonscription et pour tous les Français : le premier ministre a annoncé hier que ce gouvernement lancerait une concertation sur les carrières et les salaires afin que le travail paie et qu’il paie davantage et cela tout au long de la vie de sorte que nos compatriotes retrouvent des perspectives d’amélioration de leur niveau de vie au fil des années. Tel était l’enjeu de la désmicardisation de notre pays – je sais que plusieurs groupes parlementaires y sont très attachés – et nous poursuivrons dans cette voie.
Je conclus en vous disant que, dans le projet de loi de finances pour 2025, tel que le gouvernement veut le reprendre, aucun impôt acquitté par les Français de classe moyenne et de classe populaire n’augmente. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) Nous mettons à jour le barème de l’impôt sur le revenu ; le prélèvement forfaitaire unique reste inchangé ; les impôts que paient les Français n’augmenteront pas, c’est au contraire par une baisse franche de la dépense, de plus de 30 milliards d’euros, que nous parviendrons à réduire le déficit en 2025. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
Réchauffement climatique
Mme la présidente
La parole est à M. Benjamin Lucas-Lundy.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Monsieur le premier ministre, hier vous avez parlé de dette et annoncé vos intentions austéritaires qui mettront à mal nos services publics ; vous avez épousé les thèmes et les termes du RN pour évoquer l’immigration ; vous avez baragouiné des propositions incompréhensibles sur l’avenir de nos retraites pour finalement faire comprendre à tous qu’avec vous, ce sera le bilan d’Emmanuel Macron, rien que le bilan d’Emmanuel Macron, tout le bilan d’Emmanuel Macron. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Vous avez disserté pour promettre le retour des cumulards. Vous avez mélangé les AESH et les enseignants. Tout cela pendant une heure et vingt-quatre minutes.
M. Pierre Cazeneuve
C’est nul !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Mais vous n’avez trouvé qu’une minute montre en main et trois banalités au compteur pour évoquer le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, celui qui conditionnera tous les autres, celui qui met en péril notre environnement, celui qui est un sujet majeur de sécurité nationale et de tensions géopolitiques, celui qui a un impact d’une incroyable brutalité sur la vie quotidienne de nos concitoyens – nous l’avons vu à Mayotte, détruite par le cyclone –, et sur la vie de tous les habitants de la planète, dont aucun ne peut se sentir épargné, comme nous le constatons en Californie.
S’agissant du climat, de la biodiversité, de l’environnement, nous ne nous satisferons pas de digressions sur les bicyclettes à Pau ou de poncifs éculés. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Fatiha Keloua Hachi et M. Inaki Echaniz applaudissent aussi.)
M. Alexis Corbière
Exactement !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Après une année 2024, reconnue comme la plus chaude de l’histoire du monde, alors que les climatonégationnistes pullulent désormais de la Maison blanche jusque sur les plateaux de CNews, il faut rompre avec les dogmes obsolètes du vieux monde, rompre avec la religion du libre-échange, avec cette passion morbide pour les fossiles.
Combien de forêts incendiées, d’espèces décimées, de récoltes sacrifiées, de paysages défigurés, de régions inondées, de communes privées d’eau, de familles prises au piège de leurs passoires thermiques, vous faudra-t-il pour ouvrir les yeux et les oreilles ?
Monsieur le premier ministre, « Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte » écrivait Émile de Girardin. Vous ne semblez pas en mesure, politiquement et personnellement, de prévoir les réponses aux grands défis de l’avenir pour la nation, pas plus qu’aux urgences du quotidien des Français, voilà pourquoi vous courez à votre perte. Nous ne voulons pas que le pays y coure avec vous. Nous vous censurerons. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Mme Fatiha Keloua Hachi applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Vous avez raison de souligner que les combats pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre et contre l’effondrement de la biodiversité constituent des priorités absolues. Pour l’avoir bien écoutée, je crois que c’est exactement ce qui est dit dans la déclaration de politique générale.
Mme Julie Laernoes
Vous vivez dans un monde parallèle ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Biodiversité, baisse des émissions de gaz à effet de serre, production énergétique reposant sur nos pieds, le nucléaire et les énergies renouvelables, notamment la géothermie,…
Mme Julie Laernoes
Le mot « renouvelables » n’a pas été prononcé !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…– pour une fois, on parle de chaleur et de froid renouvelables, sans se limiter à l’électricité ; utilisation de mobilités douces pour permettre aux gens de se déplacer de façon décarbonée ; traitement de l’urgence du logement tout en veillant à réduire son impact environnemental. (Les exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS vont crescendo jusqu’à couvrir la voix de Mme la ministre.) Peut-être avez-vous été inattentif, quant à moi, j’ai fait le compte, point par point et secteur par secteur, des enjeux auxquels nous aurons à faire face. Vous parlez du bilan du président de la République… (Mme Mathilde Panot s’exclame.)
Mme la présidente
Chers collègues, s’il vous plaît, un peu de silence. Madame Panot !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et des députés de la majorité, qui depuis sept ans, ont mené ce combat. Pour ma part, je fais un constat : nous sommes au rendez-vous de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, nous avons même rattrapé le retard accumulé en la matière au cours de la législature 2012 – 2017, sous le président d’alors. (Les exclamations se poursuivent jusqu’à la fin de l’intervention de Mme la ministre.)
Mme Julie Laernoes
C’est irrattrapable !
M. Antoine Léaument
Vous êtes à la ramasse !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Nous avons une planification qui fonctionne, la France figurant parmi les cinq pays en pointe sur ces sujets, qu’il s’agisse de l’adaptation aux effets du changement climatique ou de la baisse des émissions. Pour la première fois sont placés sous une même ombrelle les différents leviers permettant de lutter contre le réchauffement que constituent les puits de carbone, la forêt ou l’océan. (Exclamations ininterrompues sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme Sandra Regol
Si vous croyez en votre message, démissionnez !
Stratégie pluriannuelle de santé
Mme la présidente
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille
L’Insee a publié hier le bilan démographique du pays pour l’année 2024. Le constat est clair, avec une bonne et une mauvaise nouvelle : la mauvaise est une baisse inquiétante des naissances, la bonne une hausse de l’espérance de vie, qui accélère cependant le vieillissement de notre population.
Un système de santé obéit à un cycle long. Ses acteurs – établissements hospitaliers, médico-sociaux, innovations thérapeutiques – ont besoin d’investissements de long terme.
Nous avons l’obligation d’anticiper ces besoins futurs. Comme l’a indiqué hier le premier ministre, nous devons passer « d’une logique budgétaire annuelle, à une logique de financement pluriannuel ».
Cette nouvelle approche nécessite que le Parlement et le gouvernement se mettent d’accord sur des objectifs de santé, des priorités, et des moyens pour les atteindre. Pour ce faire, un document, la stratégie nationale de santé, existe déjà, qui fixe les priorités sur dix ans. Notre groupe plaide depuis longtemps pour qu’elle puisse être présentée et débattue au Parlement en amont des débats sur le budget de la sécurité sociale. Les priorités seraient alors fixées, notamment en faveur de la prévention qui doit devenir la porte d’entrée de notre système de santé. Il conviendrait ensuite d’élaborer une loi de programmation pluriannuelle. (M. Philippe Vigier applaudit.)
Il s’agit là d’une approche radicalement différente et nouvelle de la santé car s’appuyant autant sur les besoins que sur les ressources. Je sais qu’au-delà de notre groupe, cette vision fait consensus. Vous trouverez sur ces bancs un large soutien transpartisan pour accompagner une telle démarche et promouvoir une politique systémique et – j’ose le terme – industrielle de prévention, visant la production de comportements favorables à la santé.
Monsieur le ministre de la santé, comment comptez-vous mettre en œuvre la feuille de route décidée par le premier ministre en vue d’adopter une stratégie pluriannuelle de besoins et de ressources consacrées à notre santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Merci d’avoir posé cette question : nous avons partagé, tout au long de l’examen du projet de loi de finances de la sécurité sociale, le souci d’adopter des politiques permettant de protéger les Français et de prendre soin de nos soignants. Bien qu’un seul exercice ne suffise pas pour mener à bien l’ensemble de ces missions, nous nous fixons trois priorités.
La première consiste à répondre aux crises sanitaires et à prévenir certaines crises potentielles. Je ne reviens ni sur la situation difficile de Mayotte, ni sur le chikungunya à La Réunion, ni sur les cas sporadiques de Mpox en France hexagonale, ni sur l’épidémie de grippe en cours, à laquelle nous faisons face grâce à la volonté des soignants.
Deuxièment, nous avons un problème démographique : depuis 1970, la France compte 10 millions d’habitants en plus pour un même nombre de soignants. Il nous faut donc une prévision pluriannuelle, construite dans le temps, afin de former plus de médecins, mieux former les soignants et éviter leur fuite à l’étranger.
Troisièmement, la prévention doit être au cœur de nos préoccupations – vous l’avez très bien dit. Il faut en fixer les objectifs, déterminer qui en supportera le financement et quels en seront les meilleurs effecteurs. Il convient naturellement de le faire en accord avec les soignants, mais aussi de territorialiser ces questions– en accord avec le premier ministre, j’y avais insisté lors de la passation de responsabilités avec mon prédécesseur. En effet, les élus locaux – municipaux, départementaux, régionaux – seront de précieux alliés pour déployer ces politiques de prévention ; ces dernières nous permettront de diminuer le nombre d’affections de longue durée, qui pèsent de tout leur poids sur le financement d’un modèle social que nous souhaitons tous préserver. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Usine de canne à sucre de Marie-Galante
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva
Dans ma circonscription, l’usine de sucrerie et rhumerie de Marie-Galante connaît de sérieux tumultes financiers. Et pour cause : l’État central ne respecte pas ses engagements, pourtant pris le 26 juillet 2023 par le préfet de l’époque, la région, le département et le directeur de l’usine, sous l’égide du ministre délégué chargé des outre-mer de l’époque, M. Jean-François Carenco. À ce jour, les engagements de l’usine concernant la bonne réalisation des travaux de mise aux normes des rejets aqueux ont été tenus. Le préfet aussi bien que le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Guadeloupe considèrent que les 4,8 millions d’euros manquants doivent être versés. Or votre direction de cabinet, madame la ministre de l’agriculture, semble s’opposer au paiement de ce solde.
Cette rétention des subventions dont l’usine est injustement privée met en grave péril plus de 1 200 emplois sur une île déjà fortement éprouvée par le chômage, les sargasses et la double insularité. Les Marie-Galantais sont sacrifiés sur l’autel du « fantchouisme » technocratique. Je regrette d’ailleurs que dans les rangs de votre ministère, certains se comportent davantage en fossoyeurs qu’en serviteurs de l’agriculture guadeloupéenne !
Le triste portrait que je dresse de l’agriculture guadeloupéenne doit être complété par l’évocation des filières de diversification, notamment végétales. L’année dernière, la filière coco a été écartée des filières bénéficiaires des financements de l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer issus du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité. Des centaines d’agriculteurs ont été durement ébranlés par cette mesure.
Je conclurai mon propos par deux questions : quand l’État versera-t-il à l’usine les subventions manquantes afin que l’entreprise poursuive une activité pérenne ? Quand la filière coco sera-t-elle réintégrée dans celles qui bénéficient des financements de l’Odeadom ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
L’État est au rendez-vous de la filière sucrière, pour laquelle il a versé plus de 86 millions d’euros chaque année, la sucrerie de Marie-Galante en ayant perçu près de 17 millions depuis dix ans. Une convention a été signée entre l’État et la sucrerie, celui-ci subventionnant celle-là à raison de 1,6 million chaque année en échange de la réalisation de certains investissements.
En 2019, l’entreprise effectuait encore des rejets polluants ; elle n’avait pas réalisé les travaux demandés. En 2020 et 2021, aucun investissement n’a été réalisé non plus, ce qui explique la suspension de la subvention pour ces trois années. Depuis, elle s’est acquittée des investissements demandés ; l’État a donc repris le versement de 1,6 million d’euros par an pour 2023 et 2024, somme qui augmentera en 2025 et 2026.
Cela étant, je ne vous cache pas qu’à la faveur de votre question, je découvre le sujet. J’ai été moi-même députée – vous le savez puisque nous avons souvent dialogué sur ces bancs ; je sais à quel point le rôle d’un député est de défendre son territoire et singulièrement les entreprises qui s’y trouvent.
M. Pierre Cordier
Exactement !
Mme Annie Genevard, ministre
C’est la raison pour laquelle je vous propose que nous nous rencontrions pour faire un point précis sur ce dossier, mais aussi sur celui de la filière coco. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR et LIOT.)
Situation des urgences
Mme la présidente
La parole est à Mme Nathalie Colin-Oesterlé.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé
En Moselle, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville a déclenché le plan Blanc, entraînant la déprogrammation totale de l’activité – toute l’hospitalisation n’est plus consacrée qu’aux urgences – et le rappel de soignants épuisés, privés de congés. En Meurthe-et-Moselle, les urgences de l’hôpital de Val de Briey ont dû fermer pendant les vacances de Noël, faute de personnel, 50 % des postes de médecins urgentistes étant vacants.
Dans tout le pays, ce sont quatre-vingt-sept plans Blancs qui ont été déclenchés. Ces dispositifs, qui devraient être exceptionnels, deviennent la norme ; ce n’est pas acceptable. Partout, des patients attendent des heures sur un brancard, au péril de leur vie. Partout s’observe un manque cruel de soignants.
À Longjumeau, c’est une femme de 20 ans qui est décédée d’un arrêt cardiaque après avoir attendu des heures sur un brancard. À Villeneuve-Saint-Georges, c’est une femme de 26 ans qui est morte dans une salle d’attente bondée. À cela s’ajoutent les agressions intolérables que subissent les soignants, comme la semaine dernière encore, à Annemasse, où certains d’entre eux ont été violemment attaqués et blessés. Nous leur réitérons notre plein soutien et espérons que justice sera rendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
En 2024, le groupe Horizons avait défendu et fait adopter à l’unanimité une proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. L’inscrire à l’ordre du jour du Sénat serait un message fort, entendu par tous les soignants. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre de la santé !
La crise des urgences s’aggrave chaque année et cet hiver tout particulièrement, au gré d’une épidémie de grippe très virulente. Des solutions existent : favoriser le développement des centres de soins non programmés pour désengorger les urgences ; développer le numérique en santé ; régionaliser les formations ; renforcer l’incitation à l’installation.
La santé doit rester une absolue priorité de votre gouvernement. Comment comptez-vous agir pour mettre fin à l’enchaînement de crises que nous connaissons ? Quels moyens allez-vous déployer pour éviter de nouveaux drames et pour garantir un accès rapide et digne aux soins d’urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe DR. – M. Mathieu Lefèvre applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Je vous remercie pour votre question qui me permet d’aborder plusieurs sujets. Je veux tout d’abord prendre un moment pour exprimer mon empathie à l’égard des familles des personnes décédées, comme vous l’avez dit, sur des brancards. Le médecin que je suis, ministre de la santé, ne peut naturellement pas se satisfaire, comme vous tous ici, de telles situations. Toute la lumière sera faite sur ces cas mais il faut aussi en tirer les conséquences.
Notre système de soins connaît une situation de tension très forte. Vous l’avez dit : il a besoin de réformes qui doivent être structurelles et nécessitent du temps. Ce ne sont pas des ministres dont la durée d’exercice n’excède pas quatre mois qui pourront les mener à bien. Il faut donc que le Parlement soit raisonnable car la santé n’a pas de couleur politique : elle n’est ni de droite, ni de gauche, ni du centre, et c’est la priorité absolue de nos concitoyens. Il faut donc d’abord former plus et mieux ; nous pouvons le faire, vous le savez.
C’était d’ailleurs l’objectif de la proposition de loi que j’avais déposée en décembre 2023, qui visait à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, et qui avait obtenu votre assentiment. Il s’agissait aussi de pouvoir rapatrier tous les étudiants en santé, en médecine (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR. – M. Mathieu Lefèvre applaudit également) , ceux qui se trouvent actuellement en Roumanie, en Belgique ou en Espagne, pour qu’ils puissent venir achever leurs études dans les facultés de notre pays. Nous allons nous y employer, le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et moi-même, puisque nous partageons cette philosophie.
Le deuxième point que votre question soulève, c’est naturellement la grippe. Comment s’organiser par rapport à de telles épidémies ? Là aussi, il faut inscrire notre action dans le temps long : nous devons déjà anticiper la campagne de vaccination de 2026, en commençant à l’organiser d’ici quelques semaines. Mon ministère est mobilisé pour adopter l’approche adéquate en matière de stratégie vaccinale. La vaccination ne doit pas faire oublier l’importance des gestes barrières, mais se pose aussi la question de l’obligation vaccinale : pour qui, comment, pourquoi ? Peut-on se satisfaire d’un si faible nombre de patients et de soignants vaccinés ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR et HOR. – MM. Mathieu Lefèvre et Éric Martineau applaudissent également.)
Éducation nationale
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
L’école de la République va mal. C’est le résultat logique, je dirais même prévisible, de sept années de politiques austéritaires (Exclamations sur quelques bancs des groupes EPR et Dem) , de suppressions de postes, d’abandon des personnels, des élèves et de leurs familles.
M. Laurent Croizier
C’est faux !
Mme Soumya Bourouaha
Pourtant, en octobre dernier, le gouvernement Barnier annonçait la suppression de 4 000 postes d’enseignants. La semaine dernière, la nouvelle ministre de l’éducation nationale a dit « se battre » pour permettre la création de postes d’enseignants à la hauteur des besoins. Nous attendions donc des annonces ambitieuses pour l’école lors de votre discours de politique générale, monsieur le premier ministre. Qu’en a-t-il été ? Rien. Seule la création de 2 000 postes d’AESH a été brièvement mentionnée, cette annonce ayant déjà été formulée par le précédent gouvernement. Rien de nouveau, donc, d’autant que ce recrutement ne remplace en rien celui d’enseignants, les rôles respectifs auprès des élèves étant fondamentalement distincts.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Eh oui !
Mme Soumya Bourouaha
Vous n’êtes pas non plus revenu sur la réforme du choc des savoirs, pourtant unanimement rejetée par les enseignants,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
Mme Soumya Bourouaha
…par les personnels et par les parents d’élèves, car synonyme de tri social et scolaire.
Rien non plus sur la reconnaissance du métier d’enseignant. Ils sont les piliers de notre modèle éducatif ; pourtant, leur métier connaît une grave crise d’attractivité. Un chiffre illustre très bien ce constat : au début des années 1980, un enseignant était recruté en moyenne à 2,3 smic. Il l’est aujourd’hui à 1,2 smic : c’est vertigineux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Enfin, la dissolution de l’Assemblée a mis un terme brutal aux discussions entre les représentants des syndicats et ceux du ministère de l’éducation nationale quant à la nécessité d’un plan de rattrapage pour l’école en Seine-Saint-Denis. Il y a urgence à les reprendre.
Monsieur le premier ministre, vos réponses floues aux interventions des différents groupes, hier, n’ont pas dissipé notre inquiétude ni celle des enseignants. Voici donc ma question : allez-vous revenir sur la suppression de 4 000 postes prévue par le précédent gouvernement ? (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Alexandre Dufosset
Et des 49.3 !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
Il me paraît difficile de soutenir que l’éducation nationale a connu, ces sept dernières années, une politique austéritaire, quand on sait que son budget a augmenté de 15 milliards d’euros depuis 2017. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Demandez ce qu’ils en pensent aux enseignants !
M. François Cormier-Bouligeon
C’est la réalité : 15 milliards en plus, quand même !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Cependant, je partage tout à fait votre point de vue sur la nécessité d’agir pour notre école. C’est bien le sens de mon engagement dans ce gouvernement : je suis convaincue que l’éducation nationale, c’est l’avenir de notre jeunesse,…
M. Bastien Lachaud
Que de belles paroles !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
…et que nous devons tout faire pour permettre à chaque jeune de trouver la voie de sa réussite. Évidemment, cela suppose de doter le ministère de moyens suffisants, de disposer de professeurs en nombre suffisant,…
Mme Mathilde Panot
Vous ne connaissez pas bien le sujet !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
…pour accompagner au mieux les élèves et pour apporter une réponse adaptée à ceux qui sont en difficulté, tout en stimulant les bons élèves. C’est ce à quoi je souhaite m’employer.
Vous avez mentionné les effectifs du ministère et vous m’avez entendue dire que je souhaitais pouvoir bénéficier d’effectifs supérieurs à ceux qui étaient prévus dans le budget initialement présenté par le précédent gouvernement.
M. Bastien Lachaud
Vous n’arrivez même pas à recruter !
Mme Mathilde Panot
Et les 4 000 suppressions de postes ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Le premier ministre aura l’occasion de s’exprimer très prochainement à ce sujet (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) et j’ai bon espoir que nous puissions réellement progresser, en améliorant le taux d’encadrement dans chaque académie pour obtenir des classes moins chargées, et ainsi mieux répondre aux besoins de chaque élève.
M. Pierre-Yves Cadalen
Vous ne répondez pas à la question !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Je présenterai également les répartitions par académie dans le cadre des discussions avec les organisations syndicales, vendredi prochain ; nous reviendrons très prochainement sur l’évolution globale des effectifs.
M. Pierre-Yves Cadalen
Question simple, réponse confuse !
Relations entre l’Algérie et la France
Mme la présidente
La parole est à M. Gérault Verny.
M. Gérault Verny
Monsieur le premier ministre, votre ministre de l’intérieur a légitimement pointé la volonté de l’Algérie d’humilier la France. Ce pays emprisonne arbitrairement notre concitoyen Boualem Sansal et refuse de reprendre ses délinquants.
Ma question sera simple : allez-vous, oui ou non, révoquer l’accord de 1968 qui offre des privilèges exorbitants aux Algériens ?
Mme Léa Balage El Mariky
Mais arrêtez !
M. Gérault Verny
Jusqu’à quand la France acceptera-t-elle d’être bafouée par l’Algérie ? Ce pays a refusé une fois de plus de reprendre l’un de ses ressortissants expulsé par décision souveraine, allant jusqu’à qualifier notre démarche d’« abus de pouvoir ». De quel droit un État étranger ose-t-il humilier la République française sur son propre sol ?
Pendant ce temps, un romancier français de 80 ans, Boualem Sansal, croupit en prison dans des conditions indignes, privé de soins et de droits.
L’influenceur algérien Imad Tintin a dit, je le cite : « Je le jure devant Allah, il faut brûler vif, tuer, violer sur le sol français. Si je vous retrouve, je vous achève ». (« C’est honteux » sur les bancs du groupe RN.)
M. Hervé de Lépinau
C’est un copain de Lachaud !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous lui faites de la publicité ? Il y a des enfants dans le public et vous relayez des choses pareilles ?
M. Gérault Verny
Pourtant, face à ce mépris constant, votre gouvernement reste, au-delà des mots, inerte, laissant l’Algérie profiter de privilèges insensés. De quoi avez-vous peur ? L’Algérie, c’est le PIB des Hauts-de-Seine !
L’accord du 27 décembre 1968, véritable scandale juridique, offre aux Algériens des facilités d’entrée, de séjour et de regroupement familial. Pire, l’élite algérienne bénéficie de passe-droits grâce à l’accord de 2007. Ce à quoi nous faisons face, ce n’est rien d’autre que l’arrogance d’un régime autoritaire qui méprise nos lois et notre souveraineté.
Vous avez tous les outils en main pour agir immédiatement : une simple instruction à nos postes diplomatiques, au consulat algérien, suffit à supprimer la délivrance de visas. Blocage total des visas tant que l’écrivain français Boualem Sansal n’est pas libéré !
De plus, il est intolérable que l’échange de lettres de mai 2007, qui accorde une exonération de visa aux détenteurs de passeports diplomatiques algériens, reste en vigueur : cet accord doit être dénoncé. Enfin, alors que l’accord entre l’Union européenne et l’Algérie sera renégocié en février, la France doit cesser de plier. L’Algérie quémande des avantages supplémentaires ? Qu’elle commence par respecter ses engagements en reprenant ses ressortissants expulsés !
Si nécessaire, dénonçons… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés des groupes UDR et RN applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Vous avez eu raison (« Ah ! » sur les bancs des groupes RN et UDR) de rappeler la fuite en avant antifrançaise de l’Algérie. (Mme Anne-Laure Blin applaudit.) Depuis l’été dernier et la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental,…
M. Jean-Paul Lecoq
Reconnaissance honteuse et non conforme au droit international !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…cette hostilité – qui avait débuté bien avant, je souhaite le souligner – a pris une forme très agressive ; elle s’est concrétisée, il y a quelques semaines, par l’arrestation et la détention inacceptable, inhumaine, de Boualem Sansal. Je veux lui témoigner mon amitié, bien sûr, mais aussi le plein soutien de notre gouvernement dirigé par François Bayrou.
M. Alexandre Dufosset
Il faut des actes !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Et puis il y a cette affaire de l’influenceur algérien. Vous avez rappelé ses propos, comme Jean-Noël Barrot l’avait fait précédemment ; eux aussi sont absolument inadmissibles. Dès que nous en avons eu connaissance, nous les avons signalés sur la plateforme Pharos, qui a supprimé la vidéo, puis nous avons localisé et interpellé cet individu ; j’ai pris moi-même un arrêté d’expulsion. Ce n’est pas la France qui ne respecte pas le droit dans cette affaire ; c’est l’Algérie.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je rappelle que cet individu est un multirécidiviste,…
M. Hervé de Lépinau
C’est un copain de Lachaud !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…condamné six fois, dont deux pour des affaires de stupéfiants, et qu’il cumule d’ailleurs, pour toutes ces condamnations, plus de onze années de prison.
M. Emeric Salmon
Il en a fait combien sur les onze ? Zéro ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Voilà l’individu algérien auquel nous avons affaire ! L’Algérie, après cet arrêté d’expulsion, a refusé de recevoir un de ses ressortissants, alors qu’il était en possession d’un passeport biométrique et que le droit international – la convention de Chicago de 1948 et l’avenant de 1994 à l’accord de 1968 – est très clair à ce sujet. Comment un grand pays peut-il s’honorer de détenir une personne âgée, malade, dans ses geôles ? Comment un tel pays peut-il piétiner le droit international ?
M. Jean-Paul Lecoq
Montrez l’exemple !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Toutes les mesures nécessaires, individuelles et plus générales, doivent être mises sur la table.
M. Alexandre Dufosset
Rien n’est fait, visiblement !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
C’est ce que le président de la République et le premier ministre, qui nous réuniront dans quelques jours, auront à décider. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Situation sécuritaire à Mayotte
Mme la présidente
La parole est à Mme Anchya Bamana.
Mme Anchya Bamana
Monsieur le premier ministre, c’est avec une immense tristesse que je vous exprime la détresse des Mahorais à la suite de Chido, puis Dikeledi. À ces cataclysmes naturels s’ajoute hélas une catastrophe sécuritaire qui s’abat sur la population. Les délinquants règnent en terrain conquis.
En effet, dans notre chaos généralisé, les besoins pour reconstruire les bidonvilles génèrent sur toute l’île une violence décuplée et devenue insupportable : assassinat d’un jeune homme à coups de couteau ; viol d’une femme sous le regard impuissant de son mari ; vols et pillages quotidiens des maisons en présence de leurs habitants traumatisés.
Les bidonvilles ont été reconstruits à toute allure. Pourtant, de nouveaux squats apparaissent. Le plus symbolique est celui du lycée Bamana. Cet établissement a servi de centre d’hébergement au plus fort de Chido, pour mettre à l’abri des personnes vulnérables, dont des migrants sans papiers. À l’heure où je vous parle, ces derniers sont en train de piller l’établissement.
Comme le lycée Henri-IV pour Paris, le lycée Bamana est un immense symbole de notre histoire singulière au sein de la nation. Quel Parisien accepterait que le prestigieux lycée Henri-IV soit ainsi dégradé ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Un mois après Chido, ce squat indigne profondément les Mahorais. Cette situation ne peut durer. Hier, vous avez affirmé ici même : « La République n’existe que si elle se fait respecter. » Quand allez-vous faire évacuer le lycée Bamana ? À quand les reconduites à la frontière des illégaux qui nous détruisent ? Êtes-vous prêt à décréter l’état d’urgence sécuritaire à Mayotte ? Attention, nous ne sommes pas loin d’une guerre civile ! (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Jean-Paul Lecoq
Ce n’est pas le ministre des outre-mer !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Vous portez par votre voix la parole de nos compatriotes mahorais. Je m’associe à votre propos et leur adresse des mots de compassion après Chido et l’épisode de tempête qui vient de frapper un territoire devenu fragile.
Au-delà des violences climatiques, ce territoire est effectivement frappé par des violences sécuritaires. Ce n’est pas récent, vous le savez parfaitement, mieux que moi sans doute ; c’est le cas depuis des mois, voire des années.
On m’a rapporté les événements auxquels vous faites allusion. Le dernier en date est l’attaque et le cambriolage de deux maisons, dont l’une était abandonnée, par plusieurs centaines d’individus. C’était en réalité un guet-apens, dans lequel quatre policiers ont été blessés hier. Nous avons riposté dès ce matin, en interpellant douze individus : grâce à des drones, nous avions détecté précisément les personnes participant à ces menées non seulement subversives mais extrêmement violentes.
Oui, il faut régler la question de la sécurité. Je vous rappelle que nous avons dépêché désormais 960 policiers, plus de 1 200 gendarmes, une partie du Raid et du groupe d’appui opérationnel. Ils sont à l’œuvre, mais sont aussi, vous le savez, au four et au moulin.
Il faudra traiter les causes racines. Onze des douze individus interpellés ce matin sont des étrangers en situation irrégulière ; ce n’est pas acceptable.
M. Hervé de Lépinau
Et alors, que fait-on ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il faut reconstruire les protections qui ont été détruites, notamment par Chido. Nous devons d’abord mieux anticiper la détection, en employant tous les moyens nécessaires – aéronefs, drones, système satellitaire. En utilisant le rocher de Mtsamboro, nous gagnerons quarante-cinq minutes pour nos intercepteurs, qui seront tout près des kwassa-kwassa. Nous installerons des centres et locaux de rétention administrative.
Je l’ai dit, il faut s’attaquer aux causes racines. Dans le cadre de la niche du groupe DR sera présenté un texte visant à durcir l’accès au droit du sol. C’est fondamental. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Philippe Gosselin
Oui, ce sera lors de la niche du groupe DR !
Crédits des ministères régaliens
Mme la présidente
La parole est à M. Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre
Madame la ministre chargée des comptes publics, dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a utilement rappelé que, parmi les dépenses publiques, il fallait distinguer celles qui ne sont pas efficaces – que vous souhaitez à raison réduire – et celles qui préservent l’avenir des Français. Au groupe Ensemble pour la République, autour de Gabriel Attal, nous considérons que les dépenses visant à assurer la sécurité de nos compatriotes font partie des investissements indispensables de la nation.
M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !
M. Mathieu Lefèvre
C’est l’occasion pour nous de rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, chaque jour, risquent leur vie pour la nôtre, ainsi qu’à tous ceux qui veillent sur nous. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.) Policiers, policiers municipaux, gendarmes, militaires, pompiers, greffiers et magistrats sont la fierté de la nation ; les Français savent ce qu’ils leur doivent.
Depuis sept ans, le président de la République a fait le choix de réarmer notre pays face aux menaces internes et externes auxquelles il fait face. Les moyens de nos armées ont été doublés ; ceux de notre justice ont été considérablement renforcés ; un effort massif a été consenti pour donner à nos forces de l’ordre les moyens de leur action.
Aucun Français ne comprendrait que cet effort soit mis entre parenthèses. Disons-le clairement : si nous dépensons trop, ce ne sera jamais à cause de notre sécurité. Il n’y aura jamais un euro de trop pour rétablir l’ordre et l’autorité, défendre nos frontières face à l’immigration clandestine, assurer la souveraineté du pays et fournir une réponse pénale implacable. Ces missions n’ont pas de prix, et nous devons donner à Bruno Retailleau, à Gérald Darmanin et à Sébastien Lecornu les moyens de leur courageuse action.
Ma question est très simple : les lois de programmation des ministères des armées, de l’intérieur et de la justice que nous avons adoptées seront-elles respectées dans le budget qui vient, en dépit des conséquences irresponsables de la censure sur notre sécurité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et HOR. – Exclamations sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Comme vous, je tiens tout d’abord à remercier de leur engagement sans faille, déterminé et constant – chaque jour et chaque nuit – tous les agents publics engagés dans les armées, au ministère de la justice et au ministère de l’intérieur.
Vous l’avez souligné, les lois de programmation adoptées depuis 2017 ont eu un effet massif et inédit : 16 milliards supplémentaires pour les armées ; 6 milliards de plus pour l’intérieur ; 3 milliards de plus pour la justice. C’est une très bonne chose, parce que nous avions besoin de ce réarmement et de cette modernisation face à des défis que mes collègues du gouvernement viennent d’exposer de nouveau devant nous.
Les lois de programmation sont évidemment un référentiel démocratique majeur. Néanmoins, nous sommes déjà le 15 janvier 2025, et la censure a un coût évident, lié à ses effets juridiques et mécaniques. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe EPR.) Nous sommes en service minimum.
Mme Ségolène Amiot
Arrêtez de gouverner avec des gouvernements provisoires !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Juridiquement, nous n’avons pas le droit d’engager de nouvelles dépenses, de nouveaux investissements, de nouveaux recrutements.
Mme Ségolène Amiot
Supprimez la démocratie, ce sera plus rapide !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Mécaniquement, nous sommes donc en train de décaler les recrutements et les investissements. Dans le cadre de la loi spéciale, nous ne pouvons pas faire autrement. Ce décalage s’applique à tous les ministères et affecte, je dois vous l’avouer, les ministères régaliens : celui de la justice, celui de l’intérieur, celui des armées.
L’urgence est donc qu’un budget soit adopté pour que nous puissions revenir au rythme normal prévu par les lois de programmation que vous avez soutenues et votées. Il nous faut un budget pour que ces lois de programmation puissent continuer de s’exprimer pleinement.
M. Emeric Salmon
Présentez donc un budget !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Parce que nous ne voulons pas raboter les crédits alloués au régalien, ce qui serait irresponsable, nous allons consentir un effort massif de réduction des dépenses de fonctionnement de l’État, le plus grand effort jamais engagé à cette fin depuis vingt-cinq ans.
M. Mathieu Lefèvre
Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Dans les prochains mois, nous allons réaliser des économies à hauteur de 32 milliards dans l’ensemble de la dépense publique : l’État, les collectivités – que je remercie – et la sphère sociale. C’est un effort difficile – je veux que les Français prennent conscience de la difficulté – que nous allons accomplir tous ensemble pour être en mesure d’assurer l’essentiel, notamment notre sécurité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Xavier Breton.)
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
2. Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ?
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ? », demandé par le groupe Rassemblement national dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l’organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d’abord les rapporteurs – qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l’Assemblée – puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Hélène Laporte, rapporteure désignée par la commission des affaires économiques.
Mme Hélène Laporte, rapporteure
Où en sommes-nous ? Tel est le thème de notre débat. Il y a un an, à la surprise de ceux qui espéraient que le monde agricole français se résignerait à mourir silencieusement des conséquences de décennies de relégation au dernier rang des priorités politiques, la colère éclatait dans nos campagnes. À quoi d’autre fallait-il s’attendre ?
En pleine crise de compétitivité, le budget pour 2024 alourdissait les charges des agriculteurs en augmentant l’imposition du gazole non routier (GNR), ce qui entraînerait une flambée des coûts des carburants agricoles.
Aucune initiative n’était engagée pour revenir sur les surtranspositions pénalisant nos agriculteurs face à leurs concurrents européens : ainsi, à la suite de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interdisant l’utilisation de semences traitées avec des néonicotinoïdes, le gouvernement en place se refusait à envisager une réautorisation de l’acétamipride.
Au travers des accords avec le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Chili, le libre-échange progressait, aggravant la concurrence déloyale infligée à nos agriculteurs par des pays n’appliquant aucune de nos normes. L’impact dévastateur des importations ukrainiennes à droits de douane suspendus, la poursuite des négociations avec le Mercosur, bref tout allait dans le sens d’une fragilisation croissante de nos filières.
L’écologisme extrémiste, tirant profit de procédures administratives complexes et redondantes, bloquait des projets indispensables, comme celui de Sainte-Soline.
En réponse à ce message clair des professions agricoles, il n’y avait plus d’autre choix que de promettre un changement radical de politique en corrigeant le tir sur l’imposition du GNR, en apportant de modestes restrictions aux importations – en particulier sur la volaille ukrainienne – et en promettant diverses mesures pour alléger les contraintes pesant sur l’activité agricole.
La loi d’orientation agricole, si attendue pour répondre au défi du renouvellement des générations, consacrer la souveraineté alimentaire et simplifier les démarches, créa une déception majeure en ajoutant de nouvelles contraintes et en ignorant une question centrale qui demeure pendante : quel revenu pour nos agriculteurs ?
Quant aux mesures fiscales et sociales espérées, on a organisé leur échec en les repoussant de plusieurs mois avant de les intégrer à un budget inacceptable pour les Français et pour lequel le gouvernement n’avait pas de majorité.
M. Charles Sitzenstuhl
Qui a censuré le PLFSS ?
Mme Hélène Laporte, rapporteure
En dépit d’une opposition sans cesse affichée, le processus d’adoption d’un accord avec le Mercosur s’est poursuivi cette année et l’on prépare déjà les esprits, ainsi que le portefeuille des agriculteurs propriétaires des futures exploitations ruinées à son entrée en vigueur. Je m’interroge sur la réalité de notre opposition.
Aujourd’hui, le cadre légal qui permettra le renouveau de l’agriculture française reste à bâtir. Il faut bien entendu diminuer définitivement l’imposition du GNR, pérenniser et renforcer le dispositif relatif aux travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TODE), alléger la taxation du foncier agricole et des transmissions d’exploitations mais aussi prévoir des dispositifs pour aider réellement l’élevage.
Si elles sont nécessaires, ces réformes ne sont pas pour autant suffisantes. Elles demeurent de modestes ajustements d’un cadre législatif qui, en l’état, mène nos filières à la catastrophe. Le chantier que nous devons ouvrir est plus large et plus profond.
Il est unanimement admis que nous devons rétablir pour nos agriculteurs une situation de concurrence non faussée à l’intérieur de l’espace européen, en mettant fin à l’ensemble des surtranspositions de textes européens inscrites dans notre droit national.
Il est urgent qu’une majorité soit trouvée pour réautoriser l’acétamipride. Les producteurs de noisettes du Lot-et-Garonne, qui fournissent 60 % de la production nationale, attendent un engagement gouvernemental ferme sur ce sujet d’une actualité brûlante : en 2024, 6 500 tonnes de pertes évitables ont été subies sur les récoltes, soit la moitié de la production. Madame la ministre, alors que je vous interpelle depuis des mois sur la question de l’acétamipride, il se trouve que, par un heureux hasard, la proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur est enfin inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Vous engagez-vous à la soutenir ?
À l’extérieur de l’Europe, nous devons non seulement rejeter une fois pour toutes le désastreux accord avec le Mercosur…
M. Pierre Cordier
Il n’y a pas de doute quant à la position d’Annie Genevard sur le Mercosur !
Mme Hélène Laporte, rapporteure
…mais aussi engager un processus de révision des accords en vigueur dans tous les cas où leurs clauses s’opposent à l’intérêt de nos filières. Je pense notamment à l’accord nous liant au Maroc, qui prévoit des exonérations de droits de douane sur l’importation de tomates, y compris pendant la saison estivale.
Nous devons régler définitivement la question des relations commerciales avec l’industrie et la grande distribution afin de garantir à nos producteurs la possibilité de vendre le fruit de leur travail au juste prix, objectif que les lois Egalim successives ont pour l’heure échoué à atteindre.
Nous devons radicalement alléger les procédures d’autorisation des installations agricoles, notamment hydrauliques, afin que les projets nécessaires soient menés à bien. Nous devons enfin réformer notre modèle assurantiel pour faire face efficacement aux risques climatique et épizootique qui constituent des défis majeurs pour les décennies à venir.
Madame la ministre, combien faudra-t-il d’auditions avec l’ensemble des représentants agricoles et de débats tels que celui d’aujourd’hui pour que ces chantiers avancent enfin ? Le monde paysan français mérite ces réformes d’envergure, tout comme notre pays mérite de retrouver son rang de grande puissance agricole qu’il n’aurait jamais dû perdre. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur désigné par la commission des affaires économiques.
M. Stéphane Travert, rapporteur
Les années 2023 et 2024 ont été marquées par un mouvement de contestation agricole sur la quasi-totalité du continent européen. Cette mobilisation – sans précédent dans les dernières années – a mis en lumière des revendications légitimes relatives, entre autres sujets, à la trésorerie des exploitations, à la hausse des charges, à la réglementation et à la concurrence. S’y sont ajoutées une multiplication d’accidents climatiques et une succession mortifère d’épizooties qui ont touché de trop nombreux élevages.
Si les revendications sont différentes d’un pays européen à l’autre, il n’en demeure pas moins que nous faisons face à des crises structurelles et conjoncturelles qui abîment la compétitivité des exploitations françaises et auxquelles nous devons trouver des solutions efficaces.
Force est de constater que la situation politique actuelle, marquée par l’instabilité – sur laquelle il n’y a nul besoin de s’épancher – et les reports successifs qui en découlent suscitent des inquiétudes croissantes. À quelques semaines du salon de l’agriculture, il est impensable que tout ce qui avait été engagé et promis par les gouvernements précédents ne trouve pas rapidement une traduction concrète.
Madame la ministre, je vous sais totalement mobilisée et engagée pour résoudre cette équation infernale et redonner confiance à nos filières agricoles. Vous nous trouverez à vos côtés pour être force de proposition et agir en médiateurs de terrain pour traduire et expliquer nos objectifs communs. L’esprit de responsabilité doit guider notre travail pour construire des politiques agricoles qui contribuent à maintenir la France au premier rang européen et chercher ainsi la voie de l’excellence.
Vous avez répondu aux crises conjoncturelles générées par la maladie hémorragique épizootique (MHE), la fièvre catarrhale ovine (FCO) et l’influenza aviaire qui perdurent. Pouvez-vous nous rappeler où en sont les dispositifs de soutien à la trésorerie consécutifs aux inondations et les dispositifs d’aide aux filières en difficulté, notamment la filière biologique ? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la mise en place des prêts bonifiés de deux à trois ans et les prêts de consolidation garantis par l’État ?
Compte tenu de mon expérience et des échanges permanents que j’ai entretenus avec la profession agricole et agroalimentaire, je souhaite à présent aborder ce qui me semble devoir être fait dans les domaines structurel, réglementaire et législatif.
En premier lieu, il convient de voter au plus vite le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOA) très attendus par le monde agricole. Il est grand temps que le Sénat s’empare enfin de ce texte, adopté par l’Assemblée en mai dernier, pour traiter notamment les sujets de formation, de simplification et de renouvellement des générations.
Il y a lieu également d’assurer la compétitivité économique de nos exploitations à travers la planification de la production et la fixation d’objectifs ambitieux pour tendre vers la souveraineté alimentaire. La simplification des aides à la trésorerie et les mesures fiscales demeurées en suspens du fait des crises politiques successives sont très attendues par les organisations représentatives des agriculteurs.
Il convient encore de remettre sur le métier un plan Écophyto nouvelle génération en réformant la séparation de la vente et du conseil, et en renouvelant l’expérimentation des drones pour le soin aux cultures difficilement accessibles.
Vous le savez, notre crédibilité devant les Français dépend beaucoup des résultats concrets qui seront obtenus pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires sans pour autant placer nos agriculteurs dans des situations de concurrence déloyale vis-à-vis de nos partenaires. Cela implique l’interdiction des surtranspositions et la recherche de solutions durables. Madame la ministre, quels sont vos objectifs de progrès avec l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, et de solutions partagées pour répondre aux interrogations légitimes de nombreuses filières qui ne disposent plus de voie alternative solide pour produire ?
Je veux ici réaffirmer l’importance de conserver le caractère européen des procédures d’homologation des produits qui assurent de facto la souveraineté végétale, étant précisé qu’une association comme Valhor est en pointe sur ce sujet.
Nous devons apporter de la stabilité et de la vision à long terme : l’État doit se positionner comme un facilitateur de l’action des filières. Compte tenu des épisodes répétés de risques climatiques, l’État, quand il soutient l’installation des nouvelles générations d’agriculteurs, doit leur assurer la visibilité sur des objectifs et des moyens de production ainsi que sur les débouchés commerciaux. Je préconise donc de renégocier tous les plans de filière afin que des engagements soient pris en matière d’organisation et de gouvernance, de segmentation des marchés intérieurs et de positionnement à l’export.
Permettre aux acteurs de garder la main sur leur propre destin, c’est aussi, sept ans après la première session des états généraux de l’alimentation, ouvrir une nouvelle phase de discussion pour fixer un cap, des solutions, des objectifs de production, de pratiques agronomiques et de partage de la valeur.
La France doit œuvrer à la réforme indispensable de la politique commerciale européenne.
Enfin, pour protéger nos filières dans le marché intérieur et sans nous opposer aux accords de libre-échange, nous réitérons notre volonté de signer des accords qui respectent nos standards sanitaires et nos normes de production. Nous tenons cette ligne depuis 2017 et nous n’avons pas varié d’un pouce sur ce sujet.
Confiance, dialogue et respect, c’est le triptyque sur lequel nous bâtirons des solutions pour une agriculture performante et durable qui nourrisse les Français et les rende fiers. J’ai dit. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR .)
M. le président
La parole est à M. David Taupiac, rapporteur désigné par la commission des affaires économiques.
M. David Taupiac, rapporteur
Un an après le début de la mobilisation historique des agriculteurs, la crise est loin de faiblir – contrairement à ce que pourrait laisser croire l’intitulé du débat. Elle s’enkyste et la colère demeure.
Le monde agricole est percuté par plusieurs crises – économique, climatique et sanitaire –, auxquelles s’ajoute, selon les filières, une situation conjoncturelle 2024 très mauvaise, avec des récoltes globalement médiocres.
Si je prends l’exemple de la filière viticole dans le Sud-Ouest, les chiffres sont édifiants : la récolte 2024, historiquement basse, accuse une diminution de 6,3 % par rapport à 2023 et de 23,8 % par rapport à la moyenne décennale ; l’excédent brut d’exploitation des viticulteurs a été divisé par cinq en quatre ans ; 40 % des viticulteurs sont désormais en danger du point de vue de leur situation financière contre 11 % il y a quatre ans ; le modèle économique est altéré puisque les rendements comme les prix sont en baisse.
Les auditions des syndicats agricoles que nous avons menées dans le cadre de la préparation de ce débat ont abouti au constat qu’environ un tiers des mesures promises aux agriculteurs ont été appliquées. L’instabilité politique des derniers mois a suspendu la concrétisation du reste des engagements.
Le premier ministre nous a annoncé ne pas vouloir revenir sur les promesses faites en 2024, notamment les mesures fiscales, inscrites dans les projets de budget 2025, de simplification ou de réponse à l’urgence sanitaire et économique. Dont acte, car le monde agricole attend, s’agissant de ces mesures, de la visibilité, un engagement et un calendrier, sachant que les solutions en matière de revenu, de moyens de production et de simplification sont sur la table depuis longtemps.
Cependant, jusqu’à présent, la logique de textes conjoncturels, fortement liés au contexte politique et proposés en réponse aux différentes mobilisations, ne permet pas de discerner une vision d’ensemble alors que les chantiers demeurent nombreux.
Or la convergence des enjeux agricoles, climatiques et environnementaux est plus évidente que jamais. Les aléas climatiques sont devenus, pour un grand nombre de filières, des certitudes mettant en relief un système assurantiel à bout de souffle deux ans seulement après la dernière réforme.
Les crises sanitaires – de la grippe aviaire, de la MHE ou de la FCO – se succèdent, touchant une grande partie de l’élevage français.
M. Pierre Cordier
Il y a aussi la question des loups !
M. David Taupiac, rapporteur
Elles nécessitent qu’au-delà de l’accompagnement ponctuel, on crée un fonds pour mieux prévenir les crises dans le secteur de l’élevage au lieu de se contenter d’en amortir les chocs. Les assises sanitaires que vous-même, madame la ministre, avez annoncées sous le précédent gouvernement auront-elles lieu ?
Plus que l’accumulation de mesures diverses et variées, il faut donner un calendrier, un cap, une méthode et repenser les politiques de dialogue et d’accompagnement. L’exemple récent du versement des aides PAC – politique agricole commune – a illustré la différence de temporalité entre l’affirmation politique et la réalité vécue par les agriculteurs, notamment s’agissant des Maec (mesures agroenvironnementales et climatiques).
D’autre part, les chantiers majeurs que sont l’encadrement du foncier agricole, la réforme des aides à l’installation, le revenu des agriculteurs et la question du prix et du rééquilibrage des relations commerciales sont tous à l’arrêt. La prochaine PAC intégrera le revenu des agriculteurs dans ses objectifs. Il est urgent que le gouvernement s’empare de ce sujet.
Reste la question des normes environnementales, notamment la concurrence déloyale subie par notre agriculture face à des pays moins respectueux de l’environnement. Si nous ne pouvons laisser des filières comme la noisette sans solution face à la concurrence européenne, nous ne devons pas nous tromper d’objectif : il faut proposer non seulement des prix rémunérateurs mais également un accompagnement dans la transition agroécologique, une harmonisation des normes environnementales à l’échelle européenne et l’instauration de mesures miroirs dans le cadre des accords commerciaux entre l’Europe et des pays tiers.
L’agriculture bio, fortement développée dans notre région occitane, a subi ces trois dernières années une importante crise de la consommation, entraînant une baisse des prix qui a affecté la filière de manière majeure. L’attractivité et la souveraineté des filières biologiques doivent donc être soutenues par une valorisation dans l’environnement alimentaire des Français, par des aides aux collectivités pour atteindre un taux de 20 % de produits bio dans la restauration collective, par un basculement temporaire d’une partie des aides à la conversion en aides au maintien avec la création de Maec bio, et par une meilleure répartition de la valeur dans le cadre d’une révision des lois Egalim.
Un an après, le bilan est donc en demi-teinte. Si certaines mesures ont permis une première avancée pour les agriculteurs, l’absence de calendrier et d’engagement politique constant sur des chantiers majeurs ne peut masquer la faiblesse actuelle de notre modèle agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
M. le président
Nous allons entendre à présent les orateurs des groupes. La parole est à M. Emmanuel Blairy.
M. Emmanuel Blairy (RN)
Bientôt huit ans de macronisme : quel bilan pour nos agriculteurs ? Il est catastrophique. Notre modèle agricole prend en pleine face des décisions absolument contraires au bon sens et à la rigueur que notre pays a connus par le passé.
Au début du XVII e siècle, Maximilien de Béthune, ministre des finances d’Henri IV – tiens tiens ! – déclarait : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France. » Quatre siècles plus tard, l’agriculture est devenue la mamelle d’ajustement d’une économie mondialisée, que les gouvernements utilisent comme un outil au gré des vents économiques, jusqu’à épuisement.
Faut-il rappeler que 70 000 exploitations ont fermé depuis le début de l’ère Macron ? Si vous voulez réellement que nous évoquions aujourd’hui le bilan en matière d’agriculture, je vous parlerai hélas du bilan humain. Le rapport « Charges et produits » de la MSA (Mutualité sociale agricole) pour 2024 indique que « les consommants de soins du régime agricole de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes ».
Les coûts de production explosent et l’inflation normative met en péril des filières ancrées depuis des siècles, tandis que leur faible rémunération les expose parfois à une grande précarité et au doute.
Par ailleurs, la concurrence internationale représente une véritable trahison pour nos agriculteurs. L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur signé en décembre dernier menace frontalement nos paysans. À plusieurs reprises, madame la ministre, nous avons contrôlé votre action à ce sujet – et je dois dire qu’elle est nulle.
Rappelons aussi que votre budget 2025 prévoyait une coupe de 13,5 % sur la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales . Par conséquent, je crois pouvoir dire que la censure a protégé nos paysans. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Emmanuel Blairy
Vous avez d’ailleurs tenté de faire croire que la censure votée par le Rassemblement national allait priver le monde agricole des aides promises dans le budget 2025.
M. Pierre Cordier
C’est pourtant la vérité !
M. Emmanuel Blairy
Non seulement cette affirmation est fausse, mais elle illustre aussi une volonté délibérée de détourner l’attention de vos propres échecs. En ce début du mois de janvier, vous avez affirmé que toutes les aides sociales et fiscales promises seraient délivrées « en temps et en heure ».
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Si un budget est voté !
M. Emmanuel Blairy
C’est en réalité ce que nous-mêmes avions dit et promis aux agriculteurs dès le 4 décembre dernier, avec Marine Le Pen. Toute cette mascarade du Gouvernement a conduit certains syndicats à dégrader des permanences parlementaires de députés du Rassemblement national, qui sont pourtant les seuls à proposer des solutions pour nos agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Mathilde Feld
Ils ne sont pas les seuls !
M. Pierre Cordier
Ça vous a bien gênés !
M. Emmanuel Blairy
Nos exploitants attendent non des coups politiques mais des actes concrets, ambitieux et immédiats pour leur permettre de vivre dignement. Face à ces enjeux, le Rassemblement national appelle à une refonte totale de notre politique agricole, ce qui suppose d’instaurer des prix garantis, d’imposer un moratoire immédiat sur les traités de libre-échange, de donner à nos paysans la priorité nationale dans la commande publique et enfin de stopper l’inflation normative.
Mettez-vous à la place des agriculteurs, qui ont déjà le sentiment d’être harcelés, lorsqu’ils voient débarquer l’OFB, l’Office français de la biodiversité, que certains ici, notamment à gauche, voudraient transformer en O-FBI, sorte une police de l’écologie punitive. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Karen Erodi
Vous ne voulez tout de même pas l’anarchie ?
M. Pierre Cordier
Ça, c’est vrai : il faut supprimer l’OFB !
M. Emmanuel Blairy
Madame la ministre, je vous demande que l’on emploie de nouveau l’OFB à des missions cynégétiques – délaissées à 85 % – et laisse enfin nos paysans tranquilles.
La réponse passera aussi nécessairement, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, par une loi ambitieuse qui devra traduire une vision claire pour assurer la souveraineté alimentaire de la France tout en garantissant une transition équitable vers une agriculture durable et toujours plus compétitive.
Avant de conclure, chers collègues, je vous pose une question très simple : voulez-vous que l’agriculture devienne un musée ? Car là réside le véritable enjeu. Offrons à nos paysans toutes les conditions de réussite pour que jamais ils ne finissent dans un musée. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Pierre Cordier
Il ne faut surtout pas parler de Bruno Le Maire !
M. Charles Sitzenstuhl (EPR)
Je n’étais pas à son cabinet à l’époque !
Il y a un an, les agriculteurs de France sortaient de leurs fermes pour hurler leur détresse. Les motifs de cette colère étaient nombreux : faiblesse des revenus, excès de bureaucratie, transition écologique trop rapide au goût de certains ou encore bifurcation écologique insuffisante pour d’autres. Tous partageaient en tout cas un sentiment de déconsidération et une perte de sens, ainsi que je l’ai souvent entendu de la bouche des paysans, chez moi, en Alsace.
En janvier 2024, le premier ministre nouvellement nommé, Gabriel Attal, n’a pas attendu pour réagir face à la crise. Soixante-dix engagements furent pris après des discussions avec les syndicats agricoles pour parer à l’urgence. Au moment de quitter ses fonctions, en septembre 2024, 67 % de ces engagements étaient pleinement tenus, 19 % des mesures avaient atteint un niveau avancé de déploiement et 14 % des projets étaient lancés avec un planning précis. En d’autres termes, le travail a été fait.
C’est également sous le gouvernement de Gabriel Attal que fut enfin mise en discussion la loi d’orientation agricole. Celle-ci visait à reconnaître l’agriculture comme activité d’intérêt général majeur, à réduire les délais de recours contre les projets agricoles ou encore à soutenir le renouvellement des générations. Ce texte fut voté par l’Assemblée nationale le 28 mai dernier.
Et depuis ? Rien. Huit mois ont passé. Cela fait donc huit mois que la loi d’orientation agricole dort au Sénat, à la plus grande stupéfaction de nos agriculteurs. Tout le monde comprend aisément que la dissolution ait empêché une finalisation de ce texte cet été mais pourquoi ne s’est-il rien passé cet automne ? Pourquoi le gouvernement Barnier n’a-t-il pas remis le texte en discussion ?
Au groupe Ensemble pour la République, nous déplorons les retards pris sur ce projet de loi. Comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, il était possible de terminer l’examen de la loi d’orientation agricole à l’automne. Alors, nous le répétons aujourd’hui : cette loi doit être votée au plus vite, avant la fin de l’hiver 2025.
Pour demeurer une grande puissance agricole, la France doit rester une puissance de production. Pour nourrir, il faut produire. Dès lors, la décroissance agricole ne peut constituer l’horizon de l’agriculture européenne. C’est pourquoi les capacités de production exceptionnelles de la France, qu’il s’agisse des céréales, des produits laitiers, du sucre ou du vin – secteurs pour lesquels, je le rappelle, nous sommes très largement exportateurs – doivent être impérativement protégées.
S’agissant des viandes ou des fruits et légumes – pour lesquels nos taux d’autoapprovisionnement oscillent entre 80 et 100 % –, des fragilités sont indéniables, nous le savons tous. Il faut faire mieux mais la situation n’est pas toujours aussi catastrophique que certains le font croire. Il est de la responsabilité du ministère de l’agriculture d’accompagner en priorité les filières d’élevage et de fruits et de légumes pour les moderniser et les rendre plus performantes. Madame la ministre, nous attendons vos réponses à ce propos.
Enfin, je souhaite vous interpeller sur la question des engrais, sujet traditionnellement moins évoqué à l’Assemblée nationale et qu’il faut pourtant aborder. L’année dernière, dans le cadre de la commission d’enquête sur la souveraineté alimentaire que j’ai eu l’honneur de présider, de nombreux experts nous ont alertés sur la forte dépendance extérieure de la France en matière d’approvisionnement en engrais.
Pour réduire nos dépendances, deux réponses sont possibles. La première, assez logique, consiste à aider encore les agriculteurs à utiliser moins d’engrais, à y avoir recours de façon raisonnée – ce qu’ils font déjà en partie. La deuxième consiste à renforcer le tissu industriel français s’agissant du secteur des engrais. À cet égard, l’annonce de la fermeture d’un site de production de l’entreprise Yara, en Loire-Atlantique – dont la presse s’est fait l’écho – n’est pas un bon signal. L’ancien ministre Marc Fesneau avait annoncé un plan de reconquête sur la question des engrais. Ma question est donc simple : où en est le travail de l’État, de votre ministère, sur ce dossier ?
La colère couve toujours dans les fermes de France. Les agriculteurs veulent des actes. Le gouvernement doit agir sans tarder. Nous sommes là, nous sommes prêts, nous attendons vos décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Mathilde Hignet.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP)
Il y a un peu plus d’un an, les agriculteurs et les agricultrices manifestaient partout en France pour faire entendre leur colère. Accords de libre-échange, faibles revenus, charges administratives : les difficultés s’accumulent dans les fermes.
Cette colère n’est pas récente. En 2014, la fin des quotas laitiers, donc de la régulation de la production, a créé le chaos. Déjà, des milliers d’agriculteurs s’étaient dirigés vers la capitale sur leurs tracteurs pour exprimer leurs inquiétudes quant à la diminution des revenus agricoles.
Cette colère persiste parce que les difficultés du monde agricole sont profondes. Elles sont le fruit d’une course à la production qui fait oublier tout le reste : le consommateur, l’environnement et surtout le producteur.
Produire plus, plus vite, moins cher, quelles que soient les conséquences : voilà le mantra qui détruit les fermes.
M. Pierre Cordier
Il faut bien nourrir la planète !
Mme Mathilde Hignet
Rien de ce qui est contenu dans le projet de loi d’orientation agricole ou dans les budgets prévus pour 2025 ne répond véritablement aux racines de cette colère. Le problème, c’est le dogme économique libéral dans lequel est enfermée l’agriculture française et qui ne permet pas de produire à des prix rémunérateurs.
Cette incertitude économique empêche les jeunes de s’installer. Pourquoi emprunter des centaines de milliers, voire des millions d’euros pour reprendre une exploitation viticole dans le Bordelais, alors que le résultat courant avant impôt s’y est effondré de 213 % entre 2022 et 2023 ?
Huit mille treize euros : c’est le résultat moyen annuel d’un viticulteur, toujours dans le Bordelais. Voilà où nous en sommes ! Voilà le résultat d’une politique de surproduction ! On a dit aux viticulteurs : produisez ! Les Chinois, les Américains boiront votre vin. Mais cela ne fonctionne plus. Sans planification de la production, les magiciens fous du marché sèment le chaos et font mourir les producteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Cordier
Vous voulez réinstaurer les kolkhozes et les sovkhozes !
Mme Mathilde Hignet
Je n’oublie pas l’accord d’association UE-Mercosur, dont la signature en catimini et en quatrième vitesse par Mme von der Leyen est un crachat à la figure des agriculteurs. Nous verrons qui aura le courage de dire stop à cet accord mortifère lors du vote sur notre proposition de résolution, qui s’y oppose sans ambiguïté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Cordier
Nous nous y opposerons clairement.
Mme Mathilde Hignet
Alors qu’un agriculteur sur deux partira à la retraite dans la décennie à venir, que 200 fermes disparaissent chaque semaine en France et que les importations de produits alimentaires ne cessent d’augmenter, que prévoyez-vous pour l’agriculture française ?
Depuis sept ans, la Macronie démontre qu’elle ne nourrit aucune vision pour l’agriculture familiale – c’est un argument de plus pour censurer la politique d’Emmanuel Macron. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Les lois Egalim ne garantissent pas efficacement un prix rémunérateur aux agriculteurs et le gouvernement refuse de réguler le marché.
Au problème du renouvellement des générations, il répond par des fermetures de classes dans les lycées agricoles. J’en profite pour saluer le mouvement social initié par l’ensemble des organisations syndicales des personnels des lycées agricoles bretons face à la diminution excessive du nombre d’heures, qui met en péril la formation des futurs agriculteurs. (Mêmes mouvements.)
Grippe aviaire, FCO, MHE : on attend que le drame arrive, que des milliers d’éleveurs soient touchés pour accélérer la recherche sur les vaccins.
Aux crises sanitaires comme aux aléas climatiques, le gouvernement répond toujours trop peu, trop tard. Les seules solutions apportées ? Des aides mal calibrées et des exonérations de cotisations sociales qui diminuent le budget de la MSA, premier interlocuteur des agriculteurs en difficulté.
Quant à vous, au Rassemblement national, vous n’avez pas davantage de vision pour l’agriculture que la Macronie. Entre la parole et les actes, nous avons du mal à savoir ce que vous souhaitez vraiment. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Karen Erodi
Ne criez pas !
Mme Mathilde Hignet
Permettez-moi de trouver ironique que vous proposiez un tel débat dans l’hémicycle. Tandis que Jordan Bardella vante les mérites de notre terroir lors d’une foire agricole, vous proposez en commission des finances la suppression des financements de l’Inao, l’Institut national de l’origine et de la qualité, qui gère l’ensemble des signes d’identification de la qualité et de l’origine des produits, alors même que les AOP, les appellations d’origine protégées, et autres indications analogues constituent un levier formidable de valorisation de nos produits et de digne rémunération des producteurs, sur le marché intérieur comme à l’export. Je rappelle quelques chiffres : le prix de 1 000 litres de lait jouissant de l’AOP Comté tourne autour de 650 euros, tandis que le prix moyen de 1 000 litres de lait en France est d’environ 450 à 470 euros.
Quand Marine Le Pen promet un plan de soutien à l’agriculture biologique, Jean-Philippe Tanguy parle du bio comme d’une croyance magique. L’agriculture bio constitue pourtant bel et bien une solution pour décarboner notre agriculture et faire face aux enjeux du changement climatique.
Il y a la parole et il y a les actes. Le Rassemblement national a beau communiquer sur sa défense des agriculteurs, ses votes n’en soutiennent pas moins clairement le système en place, qui mène à la disparition des paysans et des fermes. La preuve ? Vous n’avez pas voté la proposition de loi visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole.
Le monde agricole est à bout de souffle. Je le vois dans ma famille, dans mon village, à l’occasion de mes déplacements. Il est à bout de souffle car il n’y a plus de bras, plus de jeunes qui veulent s’installer ; car il y a trop de travail et de charge mentale dans les fermes ; car ces dernières sont trop chères, les prix trop bas, les aides mal réparties.
Vous voulez une vision : nous en avons une, au service des paysans et paysannes, des ouvriers de l’agriculture et de l’agroalimentaire, des jeunes qui veulent s’installer. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Cordier
C’est une vision soviétique !
M. le président
La parole est à M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier (SOC)
Je félicite tout d’abord les rapporteurs pour la note qu’ils ont rédigée et le débat qu’il nous est permis d’avoir aujourd’hui.
Je salue avec gravité l’ensemble de nos collègues et amis agriculteurs, dans toutes les régions de France et toutes les filières, qui ont subi les épizooties, un climat déchaîné et une conjoncture économique qui a conduit leurs exploitations dans de graves impasses. Je leur adresse l’expression de notre solidarité face à ces souffrances et rends hommage de façon républicaine, unanime et éclectique à l’ensemble des agriculteurs qui s’engagent avec force dans le syndicalisme et, par cet intermédiaire, dans les élections consulaires, à un moment où la société est démobilisée et le syndicalisme en panne.
Le mouvement qui a animé nos campagnes à la fin de l’année 2023 et en 2024 a été pour le moins paradoxal. Né d’une crise économique touchant les régions les plus pauvres, il s’est achevé par des demandes de dérégulation environnementale concernant, pour l’essentiel, les filières jusqu’alors les plus prospères. Je ne cesse de m’étonner de ce virage que d’autres plus savants, sociologues ou politologues, analyseront.
À cet instant, avec respect et amitié pour les uns et les autres – en particulier pour vous, madame la ministre, et pour le premier ministre –, je veux simplement dire qu’il est assez grave que, dans notre pays, un discours de politique générale mette en cause des fonctionnaires comme ceux de l’OFB. (« Ce ne sont pas des fonctionnaires ! » sur quelques bancs du groupe RN.) Par leur fonction même, ils sont des forces de l’ordre garantissant le respect du droit de l’environnement.
M. Emmanuel Blairy
Ce ne sont pas des forces de l’ordre !
M. Dominique Potier
S’ils sont armés, c’est précisément pour défendre ce droit, qui est aujourd’hui une des formes des droits humains. Ils ne font qu’appliquer des lois que nous avons votées dans cette enceinte. C’est donc bien tout l’édifice de l’État de droit qui est en jeu lorsque des fonctionnaires sont mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions. Que l’ensemble des mesures environnementales soient traitées… (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Pouvons-nous nous respecter dans cet hémicycle ?
M. le président
Je vous prie de ne pas interrompre l’orateur. Monsieur Potier, vous avez seul la parole.
M. Dominique Potier
Il est important de respecter chacun. Il en va de même des chercheurs de l’Anses et de la mission dévolue à cette agence. J’ai déjà exprimé auprès de vous, madame la ministre, nos réserves et, pire, nos craintes relatives à toute forme d’encadrement de la mission indépendante de l’Anses, qui a constitué l’un des facteurs de progrès les plus importants, s’agissant notamment du retrait des molécules cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, ou CMR, de catégorie 1 et 2.
Pour traiter ces questions environnementales, nous devons faire preuve d’humanité et favoriser la simplification sans pour autant briser les règles qui garantissent la santé de nos écosystèmes et, par là même, notre prospérité à terme, tant sur le plan agricole que sur celui de la survie de l’humanité en général.
Ce qui, dans cette crise agricole, m’a surtout étonné est que nous laissions entièrement de côté certains angles morts : le foncier, le partage de la valeur, le coût des facteurs de production en amont, l’allocation des aides publiques, la régulation des marchés, la concurrence des pays tiers et celle qui se fait jour autour de la biomasse et du solaire, notamment entre les secteurs de l’énergie et de l’alimentaire.
Je vous le redis, madame la ministre, et je le dis à tous nos collègues : dans le moment démocratique original que nous traversons, les socialistes veulent être force de proposition, de réconciliation, afin que tous les membres de l’arc républicain trouvent des solutions ensemble. Je le pense du fond du cœur. Nous sommes prêts au dialogue et avons par le passé fait valoir des propositions, parfois en vain, parfois avec succès.
Je rappelle notre revendication historique d’une loi foncière visant à permettre le renouvellement des générations. Madame la ministre, dans votre région, vous avez une expérience extraordinaire d’une telle régulation foncière, facteur de prospérité. Faisons-la valoir à l’échelon national.
Dans le cadre de la révision du PSN, le plan stratégique national, il faut renforcer les associations et organisations de producteurs.
Nous militons pour que l’observatoire des prix intègre le secteur amont et permette de réguler des concurrences pour le moins déloyales et des situations de monopole, dans le domaine de la pharmacie comme dans celui du machinisme, qui nous semblent inquiétantes.
Nous proposons une inversion de la charge de la preuve pour le commerce international. Au-delà de la première dénonciation de l’accord UE-Mercosur, nous proposons une solution systémique pour que tous les produits importés dans notre territoire jouissent d’une certification garantie par un organisme tiers afin qu’ils respectent les normes européennes.
Nous avions adressé au ministre du budget une demande de révision de la fiscalité, pour que nous puissions évaluer la justesse de l’allocation des aides fiscales qu’augmentera le projet de loi de finances et savoir si elles constitueront un levier efficace en matière d’installation, d’effet social de répartition et d’effet économique, écologique et agroécologique.
Pour finir, je veux souligner combien, dans le contexte singulier qui est le nôtre et face à la crise actuelle, nous sommes engagés aux côtés des uns et des autres dans la recherche de moyens qui concilient souveraineté alimentaire, revenus agricoles et respect de nos écosystèmes. Ce respect et le confortement des moyens de la nature constituent la garantie, demain, de notre production. Si nous voulons défendre notre productivité, notre capacité à nous nourrir et à nourrir 10 milliards d’êtres humains partout sur la planète, il faudra protéger partout les écosystèmes et, à cette fin, assurer que les interactions entre la société et le monde paysan et entre les différents acteurs de ce monde obéissent à des impératifs de justice.
M. le président
La parole est à M. Julien Dive.
M. Julien Dive (DR)
Avant de verser ma contribution au présent débat, je souhaite revenir sur un épisode qui s’est déroulé aujourd’hui. À sept heures du matin, sur les ondes de France Inter, un agent de l’OFB a, publiquement et de manière indigne, osé comparer les agriculteurs français à des délinquants, à des dealers ! Cette provocation, par un fonctionnaire de l’État, est inacceptable et je demande qu’une réaction officielle du gouvernement soit prononcée à son encontre. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et plusieurs bancs du groupe RN.) Cet incident est évocateur : comment ne pas y voir le poison lent du dogme qui gangrène cet établissement ? Il est temps de le remettre en question !
Le titre de notre débat – « Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ? » – laisse supposer que la crise est derrière nous. De qui se moque-t-on ? Celle-ci bat son plein !
L’agriculture française est prise dans un engrenage de crises profondes et multiples qui menacent sa survie et son avenir. Il ne s’agit pas seulement de la conjoncture de 2024, marquée par les épizooties et des récoltes catastrophiques, et qui a mis en lumière cet état de fait, mais bien de décennies de renoncements et d’évitements. Les entraves administratives et fiscales, l’absence de perspectives structurelles et un système épuisé par des rustines successives ont fini par étouffer une filière qui est pourtant l’une des forces vives de notre nation.
L’état des lieux de l’année 2024 est implacable : les agriculteurs ont subi la pire récolte de blé depuis quarante ans. Par rapport à 2023, cette récolte a connu une chute dramatique de 16 %, tandis que la viticulture a vu sa production amputée de 21 %. Les élevages ne sont pas épargnés : des épizooties, comme la FCO ou la MHE, ont ravagé des troupeaux entiers, mettant en péril des exploitations déjà fragiles. Ces événements climatiques et sanitaires, qui pourraient sembler exceptionnels, sont devenus la norme.
À cela s’ajoutent des menaces géopolitiques et macroéconomiques : les accords de libre-échange, comme l’accord d’association UE-Mercosur, qui risquent d’inonder nos marchés de produits ne respectant pas nos normes, la concurrence des supercultures ukrainiennes et notre dépendance chronique aux engrais importés, qui entraîne une perte de souveraineté, pèsent lourdement sur la compétitivité de nos exploitations.
Face à ces enjeux, la réaction politique aurait dû être à la hauteur. En 2023, j’ai initié, avec mes collègues du groupe LR, un tour de France agricole, un temps d’écoute et d’échange qui a permis de construire un « Livre blanc pour l’avenir de l’agriculture », présenté en février 2024. Ce document comporte soixante propositions visant à faire de l’agriculture une priorité nationale et à inscrire la souveraineté alimentaire au rang de cause nationale. Trois axes structurent ce projet : assurer une juste rémunération aux agriculteurs, réduire la lourdeur normative qui étouffe nos exploitants, accompagner les modèles économiques pour garantir leur résilience.
Ce Livre blanc explore les angles morts du projet de loi d’orientation agricole – dont je salue l’auteur, le ministre Marc Fesneau. Nous nous sommes pleinement investis dans son examen afin de l’améliorer et d’apporter de premières réponses, urgemment requises, à la crise agricole. Le groupe LR, dont j’étais l’orateur, a voté ce projet de loi, contrairement par exemple au groupe RN.
Il est paradoxal que ceux qui demandent aujourd’hui un débat sur le bilan de la crise agricole soient suffisamment hypocrites pour bloquer un projet de loi prévoyant des mesures fortes en faveur de la souveraineté agricole tout en étant les premiers à entraver toutes les annonces relatives à l’agriculture, en mêlant leurs voix à celles du groupe LFI-NFP pour censurer un premier ministre porteur d’une vision pour l’agriculture. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Les conséquences des reports successifs du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 ont empêché l’adoption de mesures indispensables. Nos collègues ont donc la lourde responsabilité d’avoir, par leur action, compromis le soutien à la transmission des exploitations agricoles, la pérennisation du dispositif TODE, les aides ciblées destinées à renforcer la compétitivité des filières en élevage comme en grande culture (Exclamations sur les bancs du groupe RN) , la réforme du calcul des retraites agricoles sur les vingt-cinq meilleures années… Bref, ils ont sabordé tous les outils législatifs qui devaient permettre d’affronter urgemment une situation critique et de soutenir des acteurs essentiels de notre souveraineté alimentaire. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme Hélène Laporte
Vous vouliez être ministre, vous ne l’avez pas été !
M. Julien Dive
Seule la volonté politique peut encore enrayer l’hémorragie. La loi d’orientation agricole doit être adoptée sans délai pour répondre aux attentes des exploitants et relancer les investissements. Parallèlement, la proposition de loi visant à lever les contraintes du métier d’agriculteur, déposée par Laurent Duplomb au Sénat, prévoit des réponses pragmatiques sur les normes phytosanitaires et les distorsions de concurrence. Mais toutes ces mesures, bien que nécessaires, ne suffiront pas : il est également essentiel de renforcer les dispositifs Egalim et de réguler les négociations commerciales afin de garantir une répartition équitable de la valeur au sein des filières. En tant que corapporteur de la mission d’évaluation de la loi Egalim 2, j’ai pu constater que des déséquilibres persistaient dans les relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Notre groupe sera ainsi à l’origine d’une initiative parlementaire, au printemps prochain, pour renforcer le partage de la valeur au sein de la chaîne.
Les agriculteurs n’attendent ni compassion ni excuses, ils exigent seulement que les engagements pris aient force de loi. Pour en faire à nouveau des acteurs fiers et sereins de notre souveraineté alimentaire, il faut non seulement des lois votées, mais aussi une volonté politique qui ne fléchit pas face aux pressions extérieures. C’est donc maintenant au Parlement d’assumer pleinement sa responsabilité. L’urgence doit être gérée avec détermination, mais cela ne revient pas à définir un cap. C’est pourquoi je réclame un grand rendez-vous de la France avec son histoire agricole. Nous avons besoin d’un programme ambitieux, comparable à celui par lequel Pisani a transformé notre agriculture au siècle dernier. Ce programme doit inscrire notre agriculture dans une ère nouvelle, celle d’une agriculture durable, souveraine et fière de ses racines. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme Justine Gruet
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Benoît Biteau.
M. Benoît Biteau (EcoS)
Nous devons cesser d’opposer l’écologie et l’économie.
La crise du revenu qui dure depuis un an maintenant plonge les agriculteurs dans une profonde détresse et provoque une colère légitime. Elle est le fruit de politiques publiques éculées et anachroniques, dont les dérives ont transformé une crise conjoncturelle en crise structurelle, mettant en danger la pérennité des fermes et donc notre souveraineté alimentaire. Nous sommes évidemment tous concernés ! La menace qui pèse sur notre souveraineté alimentaire, donc sur le revenu des agriculteurs, ne vient pas des normes ou de l’interdiction de certains pesticides, mais du dérèglement climatique, de la récurrence sans précédent d’épisodes météorologiques extrêmes de sécheresse, de canicules ou d’inondations – le récent cyclone à Mayotte en est une illustration –, tandis que l’effondrement de la biodiversité rend les productions agricoles plus sensibles aux risques sanitaires et que les accords de libre-échange font entrer en concurrence tous les paysans de la planète.
Le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité sont donc des questions incontournables auxquelles nous devons répondre si nous voulons bénéficier d’une souveraineté alimentaire durable. Or si l’agriculture dépendante des pesticides et des engrais de synthèse constitue une partie du problème, l’agroécologie peut au contraire devenir la solution en permettant à l’agriculture de se réinventer autour des vertus de l’agronomie.
Les accords de libre-échange fragilisent, précarisent les agriculteurs, ici et là-bas, mais affectent aussi la santé des mangeurs, réduits à consommer une nourriture produite selon des standards de production douteux. Ils tendent également à accélérer les phénomènes de dérèglement climatique et d’effondrement de la biodiversité car ils induisent, partout sur la planète, une spécialisation par zone en contradiction avec des principes fondamentaux de l’agronomie tels que la rotation des cultures.
Face à de tels constats, les politiques publiques, y compris les réglementations, seront déterminantes. Non seulement la référence à l’agronomie, en nous éloignant du recours aux pesticides et aux engrais de synthèse, œuvre à la préservation du climat et de la biodiversité, mais elle contribue aussi à réduire significativement les coûts de production, qui grèvent les revenus des agriculteurs. Sortir de la spécialisation des zones de production peut certes conduire à réduire nos capacités d’exportation, mais notre dépendance sera également réduite si nous cessons d’importer massivement des produits dont nous pouvons assurer la production localement.
Nous devons donc modifier en profondeur nos politiques publiques. Forts du constat que 12 % des surfaces en Europe, celles dont l’exploitation relève encore d’une agriculture paysanne, familiale, agroécologique, produisent 32 % de la production agricole totale, ce qui contredit complètement l’idée selon laquelle l’agriculture productiviste serait le support de notre souveraineté alimentaire, il nous faut répartir les aides publiques de la politique agricole commune non plus par unité de surface mais par unité de main-d’œuvre. Cela nous ferait sortir d’une situation très inquiétante où 20 % seulement des grosses structures foncières captent 81 % des aides publiques de l’Union européenne. Ces aides publiques doivent aussi prévoir un paiement pour service environnemental, rémunérant les pratiques des acteurs qui prennent soin de l’intérêt commun, de la santé, du climat et de la biodiversité, comme c’est le cas par exemple de l’agriculture biologique, pourtant oubliée de la distribution des aides publiques. Une telle rémunération reviendrait à réorienter les politiques publiques, aujourd’hui consacrées à des solutions curatives destinées à réparer les dégâts de l’agriculture productiviste, vers des politiques d’anticipation et de prévention.
Si les aides publiques constituent une part légitime du revenu des agriculteurs, et représentent surtout un filet de sécurité face à la volatilité des cours mondiaux, on ne doit pas pour autant négliger les outils permettant de construire des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Il faut également revenir aux outils de régulation des volumes, balayés hier par une logique ultralibérale dont les effets de dumping ont frappé de plein fouet les paysans du Nord comme ceux du Sud. Se nourrir est pourtant un besoin primaire qui ne peut faire l’objet de cyniques démarches spéculatives.
Nous ne pouvons donc plus, la main sur le cœur, nous prétendre solidaires des agriculteurs tout en différant encore davantage la nécessaire transformation de ces politiques publiques. En nous satisfaisant de réponses purement cosmétiques, simples pansements sur une jambe de bois, nous nous engagerions dans une fuite en avant dont nous serons tous les victimes à plus ou moins brève échéance. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Harold Huwart applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Pascal Lecamp.
M. Pascal Lecamp (Dem)
Quand j’ai lu l’intitulé de ce débat, ma première pensée a été de m’interroger sur le sens de l’expression « crise agricole ». Celle-ci, vous le savez comme moi, ne se limite pas aux manifestations de l’hiver 2024, mais représente une tendance de fond : c’est la perte de la souveraineté en volailles, en ovins et en bovins ; la diminution drastique du nombre d’exploitations et du cheptel ; le creusement de l’écart entre le revenu moyen des Français et celui des agriculteurs ; l’isolement de ces derniers dans une France marquée par l’exode rural. C’est enfin la prise de conscience progressive que nous leur avons demandé trop longtemps de produire d’une certaine manière et qu’il est désormais indispensable de les accompagner dans les transitions nécessaires, y compris face aux changements climatiques qui terrassent les exploitations. Tout cela a mené à une expression de colère et de détresse. J’espère que nous la comprenons tous, que nous en sommes tous solidaires. Les Françaises et les Français, eux, le sont.
Les réponses à cette détresse et à cette colère ont d’ailleurs commencé à être apportées avant : je pense à ce que Marc Fesneau avait entrepris dès sa prise de fonction, qu’il s’agisse du plan « loup » et de la préservation du pastoralisme,…
M. Pierre Cordier
Les mesures prises dans le cadre du plan « loup » étaient insuffisantes !
M. Pascal Lecamp
…du soutien à la viticulture, de la simplification de la PAC, mais aussi de la révision des normes nationales ou encore des plans de souveraineté consacrés aux fruits et légumes ou à l’élevage. Dès les premières manifestations, le gouvernement de l’époque avait accéléré son action et approfondi les réponses apportées aux difficultés du monde agricole. Avec le premier ministre, Gabriel Attal, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau avait ainsi renouvelé le dialogue avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), les Jeunes Agriculteurs, la Coordination rurale, la Confédération paysanne et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), même si ce dialogue existait déjà avant les mouvements de l’hiver et s’il perdure aujourd’hui – l’échange est quasi quotidien avec l’ensemble de ces forces. Dès 2022, Marc Fesneau avait entamé un grand cycle de concertations sur les thèmes de l’installation, de la transmission et de la transition, ainsi que sur celui de l’enseignement et de la recherche. L’écoute ne fait donc pas de doute, mais au-delà, il y a aussi la volonté de faire : les engagements ont été nombreux au cours de l’année écoulée, en matière fiscale comme en matière sociale, mais aussi au sujet du revenu, de l’accompagnement au départ ou à l’installation, de la fin des interdictions sans solution, et j’en passe. Je veux particulièrement saluer ici le travail mené par Marc Fesneau et par Annie Genevard sur le versement des aides PAC, le contrôle unique ou les prêts garantis.
Mais en tant que législateurs, nous sommes bien placés pour savoir que les ministres, sans une assemblée fonctionnelle, ne peuvent pas tout faire.
M. Pierre Cordier
C’est vrai.
M. Pascal Lecamp
Sans un gouvernement de plein exercice, l’Assemblée nationale, quant à elle, ne peut rien faire. Or l’un et l’autre ont manqué en 2024, année historique à cet égard. La dissolution a ainsi interrompu nos travaux sur au moins deux sujets urgents : le revenu des agriculteurs, sur lequel planchaient les députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard dans le cadre de la loi Egalim, ainsi que la souveraineté agricole et le renouvellement des générations, au cœur du projet de loi d’orientation dont j’avais l’honneur d’être un des rapporteurs. Comme l’a rappelé Stéphane Travert, ce dernier texte a pourtant été voté ici même en première lecture – par 272 voix contre 232 – avant d’être balayé par la tempête politique. Dans l’effarement général, nous partions tous en campagne électorale et tout était remis en question. Et comme si cela ne suffisait pas, la censure du gouvernement, en décembre, a condamné d’autres mesures d’urgence contenues dans le PLF ou dans le PLFSS : lutte contre la décapitalisation du cheptel bovin, pérennisation du dispositif TODE, essentiel à notre compétitivité, prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour la retraite de nos agriculteurs, et j’en oublie.
Nous en sommes là : nous avons été empêchés et nous nous sommes empêchés. Je le regrette amèrement. Mais l’important est surtout que les agriculteurs le regrettent amèrement. Dans une année caractérisée par la MHE, par les FCO 3 et 8 et par des pluies diluviennes, nous ne pouvons plus faire partie des problèmes des agriculteurs : nous, parlementaires, devons faire partie des solutions.
Faisons ensemble le choix de la stabilité, le choix du compromis ; adoptons le projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi d’orientation agricole ; luttons contre l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur ;…
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. Pascal Lecamp
…portons une nouvelle vision de la PAC auprès de la Commission européenne. Hier, lors de sa déclaration de politique générale, le premier ministre a dit qu’il fallait « l’égalité des armes ». Il a raison. Il a également dit que c’est sur nos actes que nos concitoyens jugeraient de nos paroles. Alors travaillons. Continuons d’écouter nos agriculteurs, bien sûr, mais surtout agissons pour eux. Nos comportements politiques les ont fortement affectés l’an passé, eux sans doute plus encore que toute autre catégorie professionnelle. Sachons le reconnaître et sachons faire autrement.
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Bellamy.
Mme Béatrice Bellamy (HOR)
Quelle année ! Un hiver de mécontentements, un printemps pluvieux, un été de récoltes difficiles et un automne rempli d’attentes en partie déçues. 2024 aura apporté son lot de désarroi et d’inquiétudes dans un secteur où l’on était déjà très soucieux.
Il y a tout juste un an, une partie de la profession agricole quittait les chemins de la plaine pour exprimer partout en France une colère justifiée.
Les éleveurs ont traversé des crises successives, de la grippe aviaire à la fièvre catarrhale ovine. Permettez-moi de penser ici aux éleveurs et agriculteurs de mon département, la Vendée, particulièrement touchés. Les pertes animales et économiques marquent la profession dans sa chair, son portefeuille et son moral.
La mobilisation de l’État a permis de déployer plusieurs campagnes de vaccination sur l’ensemble du territoire. Elles auront endigué la contamination et contribué à prévenir d’autres vagues de transmission des maladies. Cela n’en reste pas moins un traumatisme de voir son élevage dépeuplé et de constater qu’il ne permet plus d’assurer la trésorerie nécessaire au bon fonctionnement de la ferme.
Les aléas climatiques se sont ajoutés aux épizooties pour aggraver la situation. Des mesures de soutien ont rapidement été déployées pour l’ensemble de la profession, y compris pour les producteurs labélisés Agriculture biologique. Des prêts bonifiés ou de consolidation ont permis de rendre plus soutenable l’effort auquel ont été soumis les agriculteurs.
C’est dans ce contexte tendu, avec des exploitants fatigués et des trésoreries parfois exsangues, que la dissolution a suspendu l’examen du projet de loi d’orientation agricole, tellement attendu. Le groupe Horizons se réjouit de son inscription à l’ordre du jour du Sénat à partir de la fin du mois. Ce texte va permettre de faire figurer dans la loi de nombreuses mesures élaborées en concertation avec les syndicats et de faire avancer des chantiers pour le moment laissés en l’état.
Par ailleurs, je ne doute pas que nous arriverons dans les prochaines semaines à établir un budget pour 2025. Plus qu’impératif, c’est vital ! Là encore, toutes les filières de production et de transformation sont attentives à nos travaux. Nous sommes sous le regard constant de femmes et d’hommes qui attendent, qui espèrent et qui croient encore à la politique. Ne les décevons pas !
Plusieurs dispositifs fiscaux sont attendus. Je pense aux leviers pour la transmission des exploitations, au relèvement du taux de dégrèvement appliqué à la taxe foncière sur les propriétés non bâties et à la suppression de la hausse progressive de la fiscalité appliquée au GNR. Par ailleurs, des mesures d’ordre social permettront de soulager le quotidien des agriculteurs. La réforme du calcul de leurs pensions de retraite est ainsi impérative, tandis que la pérennisation du dispositif dit TODE, qui facilite l’emploi de main-d’œuvre par les exploitations, constitue une excellente nouvelle.
Il faut le dire : il y a eu des avancées, négociées et actées, qui sont sur le point d’être validées au Sénat ou devant notre assemblée dans les semaines à venir. Je salue les mesures déjà en vigueur, comme le principe du contrôle unique, mis en place par Mme la ministre au mois de novembre.
Nous ne devons pas baisser la garde. Je sais Mme la ministre garante des travaux en cours. Je pense ici à l’accord avec le Mercosur et aux clauses miroirs qui devraient être appliquées afin que notre agriculture puisse être davantage compétitive, mais surtout davantage respectée.
M. Pierre Cordier
Exactement !
Mme Béatrice Bellamy
Ce mot de respect est tellement important qu’on ne comprendra rien au monde paysan sans l’avoir au cœur.
C’est dans cet esprit de justice que nos collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard ont œuvré pour assurer aux agriculteurs une meilleure rémunération. Dans le cadre d’une mission parlementaire, leurs travaux ont porté sur une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire des lois Egalim et, plus globalement, des négociations commerciales. Leur rapport a été rendu le 10 octobre et mon groupe s’interroge sur les suites qui lui seront données. Madame la ministre, quelles orientations pouvez-vous donner à la représentation nationale pour poursuivre ce travail et tendre vers une meilleure rémunération des agriculteurs ?
Permettez-moi de terminer en prenant pour exemple une entreprise familiale de ma circonscription, la minoterie Bertrand, située à La Chaize-le-Vicomte, que j’ai visitée lundi. Les membres de son équipe se démènent chaque matin pour livrer de la farine à des boulangers et à des industriels de l’agroalimentaire. Ils sont volontaires, travailleurs et passionnés, mais ils réclament de la simplification. Ils demandent qu’on arrête l’empilement de normes et de petites taxes. Où en est le choc de simplification, indispensable pour l’ensemble de la filière agricole ? Il est essentiel, comme le sont les agriculteurs pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger (LIOT)
La crise qui a traversé le monde agricole au printemps dernier a fait l’objet, de la part du précédent gouvernement, d’engagements et de promesses qui n’ont toujours pas trouvé de concrétisation satisfaisante. La situation sanitaire, le projet de loi d’orientation agricole, le système assurantiel, l’attractivité du métier, le renouvellement des générations : la liste des sujets d’actualité s’allonge, tandis que la mobilisation du monde agricole ne tardera pas à reprendre de plus belle si elle n’est pas entendue.
Il n’y a plus de temps à perdre pour sortir de cette crise. Répondre aux difficultés auxquelles les agriculteurs sont confrontés doit désormais être une priorité car leur ampleur met en péril, parfois gravement, les exploitations et, par conséquent, l’écosystème agricole tout entier.
Toutes filières confondues, nos agriculteurs ont dû faire face à de nombreux aléas durant l’été : d’abord la sécheresse, qui a considérablement diminué les récoltes de céréales, avec une chute de 23,9 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années ; ensuite la décision unilatérale de Lactalis, motivée par des questions de rentabilité, de réduire sa collecte de lait, qui a obligé les producteurs à trouver des débouchés de substitution ; enfin la baisse de la production viticole qui, en raison d’épisodes printaniers de gel ou estivaux de grêle, pourrait être inférieure de 10 à 16 % par rapport à celle de 2023.
M. Pierre Cordier
Sans compter la baisse de la consommation !
Mme Martine Froger
De leur côté, les éleveurs font face en même temps à trois épizooties qui ne font qu’aggraver la crise profonde du secteur. Dans mon département de l’Ariège, celle-ci s’est traduite par la disparition d’un quart des exploitations spécialisées en cinq ans. La préservation du pastoralisme devient une gageure tant les contraintes qui pèsent sur son avenir, au premier rang desquelles la prédation, ne trouvent pas de réponses concrètes.
M. Pierre Cordier
Exact !
Mme Martine Froger
Certes, les récentes annonces gouvernementales vont dans le bon sens – je pense notamment à la gratuité de la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine. Elles étaient attendues et devront concerner l’ensemble des épidémies qui touchent nos élevages.
D’autres questions perdurent, comme celle de la sécurisation des montants des aides de la PAC 2024 afin que ceux-ci ne soient pas revus à la baisse en raison de la FCO. Pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que le calcul de la PAC 2025 sera basé sur le chargement de début 2024, afin de ne pas pénaliser davantage les éleveurs touchés par l’épidémie qui, dans le cas contraire, subiraient une double peine ?
Enfin, l’objectif d’autonomie alimentaire est essentiel pour garantir notre souveraineté. L’échec des lois Egalim, qui se sont succédé sans impact réel, impose de changer de logique. Nous devons prendre un tournant et instituer des prix minimums d’entrée. C’est la seule façon de garantir un revenu digne à nos paysans et de ne pas mettre à mal le renouvellement des générations d’agriculteurs. Comment en effet encourager les jeunes à reprendre des exploitations si leur activité ne leur permet pas de vivre dignement ? Ce tournant est fondamental. Si nous n’y prenons pas garde, nos campagnes se videront et nous deviendrons dépendants des exportations d’autres pays producteurs, avec ce que cela comporte comme risque d’instabilité, qu’il s’agisse de la quantité, de la qualité ou sur du coût des approvisionnements. Il y va de notre souveraineté alimentaire, à l’heure où les tensions internationales sont plus fortes que jamais.
En plus des problèmes de rémunération, les agriculteurs subissent depuis de nombreuses années l’inflation des normes, la surtransposition des directives communautaires, ainsi qu’une pression fiscale et une charge administrative sans équivalent dans l’Union européenne. Cette lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et vient affaiblir notre compétitivité sur un marché où la concurrence internationale est exacerbée. À cela s’ajoutent les effets d’accords internationaux défavorables – celui avec le Mercosur est l’illustration frappante du phénomène – ainsi que les retards dans le versement des aides promises, le tout dans un contexte inflationniste.
Là encore, les revendications des agriculteurs sont légitimes. Il faut d’abord une simplification réelle qui les libère des tracas administratifs, suivie d’un choc de compétitivité qui permette de réguler et de faire face aux importations ne répondant pas aux normes en vigueur pour les exploitations françaises.
Les enjeux sont immenses. Mais il importe surtout de redonner aux membres de notre jeunesse l’envie de s’installer comme exploitants et de faire confiance aux agricultrices et aux agriculteurs qui font vivre nos villages. C’est ainsi que nous permettrons à notre pays de garantir sa souveraineté alimentaire et que nous aurons l’assurance de bien vivre dans nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR)
Il est difficile d’avoir en quelques minutes un débat de fond sur les suites de la crise agricole, même si je comprends que le choix de ce thème a sans doute quelque chose à voir avec les élections professionnelles en cours.
Je commencerai par dire que, contrairement à ce que laisse penser l’intitulé de ce débat, nous ne nous situons pas « un an après la crise agricole ». Malheureusement, les difficultés qu’affrontent les agriculteurs, les paysans, viennent de loin. Et non seulement elles ne sont pas levées, mais elles risquent de s’aggraver. D’abord parce qu’elles résultent de grands choix politiques passés qui ont considérablement affaibli notre agriculture : ouverture et dérégulation des marchés, spécialisation et concentration des productions, captation croissante de la valeur ajoutée par les géants de l’agrofourniture, du négoce, de l’agroalimentaire ou de la distribution.
L’alignement progressif de la politique agricole commune comme des politiques agricoles nationales sur ces grandes orientations libérales a une lourde responsabilité dans l’effondrement du nombre d’exploitations au cours des quarante dernières années et dans le fait qu’une majorité d’agriculteurs n’arrivent pas à vivre du fruit de leur travail. Faut-il rappeler que notre pays comptait 1,2 million d’exploitations en 1980 alors qu’il n’en existait plus que 380 000 en 2020 ? Dans l’Allier, grande terre d’élevage, depuis une décennie, une centaine d’exploitations disparaissent chaque année. Le néolibéralisme est de très loin le plus féroce prédateur d’agriculteurs. Il l’est d’autant plus que cette dérive de la PAC s’est doublée d’une folle politique commerciale de l’Union européenne, avec des accords de libre-échange, comme celui envisagé avec le Mercosur, où l’agriculture est plus que jamais considérée comme une simple monnaie d’échange.
Toute analyse sincère des causes de la crise agricole, toute ambition sincère de reconquérir notre souveraineté alimentaire devrait partir de ce constat et des réorientations politiques profondes qu’il rend indispensables. Pour les députés communistes, on ne peut lutter contre les grands maux qui touchent les paysans sans se défaire d’abord de ce libéralisme forcené. Il est impossible de construire une politique agricole efficace – une politique au service de la rémunération du travail agricole, de l’installation puis du maintien des exploitations et d’une agriculture durable – sans se doter à nouveau des outils qui ont fait leurs preuves par le passé : organisation des marchés et de la production, encadrement des prix et intervention directe sur la chaîne de valeur, notamment pour lutter contre les logiques de rentabilité de l’agrofourniture, du secteur bancaire, des industriels et de la grande distribution.
L’autre exigence fondamentale tient évidemment dans la refondation d’une politique agricole et alimentaire vraiment commune. Notre collègue André Chassaigne a présenté il y a quelques jours devant la commission des affaires européennes de notre assemblée une communication sur l’état des lieux des plans stratégiques nationaux en matière agricole. S’il y a beaucoup à dire sur les choix retenus dans le PSN français, son rapport pointe surtout les conséquences du renforcement de la subsidiarité de la PAC, qui se fait au détriment des exigences véritablement communautaires. Petit à petit, la politique européenne n’a plus de commune que le nom. Sa fragmentation sert habilement à légitimer son affaiblissement ainsi que la disparition de ses outils d’intervention, et à abaisser les protections dont pourraient bénéficier nos agriculteurs face à leurs concurrents internationaux. Ces choix facilitent le travail de sape que mène la Commission en faveur de la conclusion des accords de libre-échange. Nous considérons que la refondation de la PAC, avec pour priorité la maîtrise de la souveraineté alimentaire européenne, est une urgence absolue. C’est surtout le seul moyen de renverser la domination de la politique commerciale de l’Union européenne.
Je terminerai cette brève intervention en évoquant le défi que constitue le changement climatique pour les agricultures française et européenne. Je suis convaincu que nous n’aurons pas une agriculture durable sans transformer les systèmes agricoles. Nous ne pourrons pas nous adapter à la vitesse des changements dans les conditions de production sans une ferme volonté d’accélérer la transition agroécologique et sans un accroissement significatif du nombre de paysans et d’exploitations. Pour relever ce défi, il faut se fixer des buts clairs et ambitieux. Planification, programmation, création d’outils publics de prévention et de gestion des risques, déspécialisation, fixation d’objectifs d’installations : voilà des orientations politiques toujours insuffisamment prises en compte, y compris dans le dernier projet de loi dit d’orientation agricole. J’espère en tout cas que nous aurons l’occasion de replacer ces grands enjeux dans le débat agricole à venir. (M. Nicolas Sansu applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet (UDR)
En lisant le titre de la note préparée en amont du présent débat, je me suis demandé si son titre n’était pas ironique : « Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ? » Ces derniers sont sûrement ravis d’apprendre que la crise qu’ils vivent a non seulement commencé il y a une petite année, mais surtout qu’on appelle « crise » le ramdam de leurs tracteurs sur nos autoroutes, alors qu’ils souffrent en silence depuis des décennies.
Je ne joue pas sur les mots, contrairement à ce que vous pourriez penser : l’absence de solution à la crise agricole vient précisément de l’incapacité des gouvernements successifs, ou plutôt de leur refus d’en sonder les causes précises dans le long terme. Cela explique sans doute que vos alliés, madame la ministre, paniqués, aient accusé la censure d’être responsable de tous les maux des agriculteurs, omettant de préciser que nous avons censuré un budget qui prévoyait une baisse de 14 % des crédits du secteur, et dont les principales bonnes mesures – sur le GNR, les retraites ou le TODE – ne seront pas affectées par un report de deux mois.
Le chaos n’a donc pas eu lieu. La preuve : vous êtes toujours en poste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDR.) Si je reconnais votre engagement et votre désir, apparemment sincère, d’apporter des solutions à nos agriculteurs, je déplore que votre action se limite pour l’instant à de trop légères mesures budgétaires. De nombreuses pistes ont été évoquées par mes collègues, notamment au sujet des revenus : sur les 8,41 euros de l’heure que gagne un agriculteur, seul 34 % proviennent directement de l’agriculture. Au-delà de la PAC post-2027, plus juste – sur laquelle nous attendons que vous vous engagiez avec détermination –, il sera indispensable de s’attaquer résolument à l’injustice des prix agricoles, que les différentes lois Egalim n’ont pas su corriger.
Permettez-moi de me concentrer sur deux sujets à propos desquels votre action manque pour l’heure de vision et de volonté politiques.
Le premier, c’est celui de la protection des agriculteurs contre toute forme de concurrence déloyale. Qu’avez-vous trouvé à répondre à l’annonce provocatrice de Mme Ursula von der Leyen concernant l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? Bien qu’existent encore des moyens de nous y opposer, nous n’avons pas entendu un seul mot du président de la République à ce sujet. Pourquoi refusez-vous de faire de l’excédent de notre contribution au budget de l’Union européenne un moyen de pression ? Quel travail d’influence menez-vous auprès des autres pays européens pour atteindre la minorité de blocage ? Un ancien vice-président de la Commission européenne nous rappelait non sans ironie qu’il faut toujours mettre un Français à la tête d’une organisation internationale, car les Français sont les seuls à ne jamais y défendre les intérêts de leur pays.
M. Pascal Lecamp
N’importe quoi !
M. Vincent Trébuchet
Défendrez-vous les intérêts de nos agriculteurs avec détermination ? L’accord avec le Mercosur ne constitue évidemment que la partie émergée de l’iceberg : il faut d’urgence entamer un processus de révision de l’ensemble des accords existants, à commencer par celui avec le Maroc.
La concurrence déloyale s’exerce également au sein de l’UE. Pourquoi l’État français impose-t-il à ses agriculteurs des interdictions et des surcoûts qui les fragilisent face à leurs concurrents européens ? Rappelons que la France est la seule à interdire l’acétamipride, un néonicotinoïde pourtant autorisé jusqu’en 2033 dans l’Union européenne pour cultiver notamment la betterave et la noisette.
M. Pierre Cordier
Il est vrai que les surtranspositions sont allées trop loin !
M. Vincent Trébuchet
Interdire aux exploitants de faire correctement leur travail tout en leur allouant quelques aides compensatoires est un pur non-sens économique, comme l’est aussi le fait d’exiger davantage d’eux que de nos voisins, à qui nous ouvrons grand nos marchés. Ce n’est pas seulement injuste, c’est suicidaire.
Le deuxième sujet qui paraît manquer de vision et de volonté politiques, c’est la lutte contre l’écologisme radical. Il est en effet urgent de redonner confiance aux agriculteurs en les valorisant, en les reconnaissant comme les premiers gardiens de l’environnement. Ce matin même, un agent de l’OFB estimait que lui et ses collègues n’étaient plus les bienvenus sur les exploitations. « C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités pour empêcher le deal », a-t-il dit. Les exploitations agricoles seraient-elles devenues de nouveaux territoires perdus de la République ?
Mme Marie Pochon
Vous voulez désarmer la police ?
M. Vincent Trébuchet
Au-delà de l’anecdote, il est inacceptable que des agents non formés à la police de l’eau, munis de leur arme, interviennent dans des exploitations, allant jusqu’à engager des poursuites judiciaires contre des agriculteurs qui nettoient leur cours d’eau pour prévenir les inondations ! Ce scandale humain se double d’un scandale budgétaire : le budget de l’OFB s’élève à 700 millions d’euros, soit le montant du coup de rabot imposé au secteur agricole dans le budget pour 2025. Le contrôle unique que vous proposez pour remédier à la situation…
M. Pierre Cordier
Qui est salué par tout le monde !
M. Vincent Trébuchet
…s’avère totalement inadapté. Tant que le problème de la surtransposition des normes n’est pas réglé, les agriculteurs ont besoin d’un moratoire sur les contrôles. Le premier ministre semble avoir pris conscience de ces enjeux : agira-t-il ?
L’agriculture n’est pas une dépense mais un investissement. Une bonne politique agricole doit libérer l’énergie des agriculteurs, anticiper les crises qui les touchent et leur donner les moyens de s’adapter. Parce qu’ils sont des chefs d’entreprise, ils savent mieux que nous la politique qui leur convient. Samedi dernier – tout un symbole ! –, ils ont pourtant été tout bonnement empêchés d’accéder à Paris. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Il est parfois difficile de distinguer, dans le fracas de l’actualité, les revendications bruyantes des suppliques essentielles. Les bouleversements immenses qui traversent nos sociétés compliquent un peu plus encore ce travail de hiérarchisation. Il est pourtant des crises qui, par la profondeur de leurs causes et l’ampleur de leurs conséquences, méritent une attention supérieure de la nation et de ses représentants. C’est à l’évidence le cas de la crise agricole. Pour le comprendre, il suffit de s’en remettre à l’histoire : sans maîtrise de l’agriculture, pas de civilisations humaines ; sans agriculture productive, pas de développement économique ; sans agriculture prospère, pas de stabilité politique. Quand l’agriculture tousse, toute la société en est malade.
Notre agriculture est malade, malade d’une accumulation froide de normes qui pèsent de tout leur poids sur les épaules des agriculteurs, malade d’une logique décroissante qui réussit l’exploit de vider de son sens le premier métier de l’homme, malade d’une souveraineté qui menace de s’égarer dans les limbes d’un libre-échange débridé. Devant ce constat, je sonne la mobilisation générale. La responsabilité commande que nous agissions désormais à l’unisson pour apporter le remède qui convient. La santé et la pérennité des exploitations et celles de l’agriculture française sont des enjeux vitaux qu’on ne peut laisser hypothéqués par des calculs partisans.
Le gouvernement a commencé ce travail en déployant des mesures d’ampleur face aux crises conjoncturelles qui ont percuté l’agriculture française en 2024. Je remercie les trois rapporteurs de cette séance de contrôle, Stéphane Travert, Hélène Laporte et David Taupiac, pour leur travail. Ils ont très bien décrit la situation : nos élevages et nos exploitations ont en effet été frappés de plein fouet par la diffusion de maladies vectorielles et des épisodes climatiques violents – Mme Froger l’a rappelé. Ces phénomènes ont durement affecté le moral et la trésorerie des agriculteurs. Aussi fallait-il que la réponse de l’État soit rapide et forte. Face à l’urgence sanitaire, elle a reposé sur deux jambes : une jambe vaccinale, avec la mise à disposition gratuite de près de 12 millions de doses contre la FCO 3 ; et une jambe indemnitaire, avec un fonds d’urgence exceptionnel de 75 millions d’euros, d’abord destiné à indemniser les pertes directes ovines et bovines induites par la FCO 3, que j’ai ensuite étendu aux pertes ovines liées à la FCO 8, tandis que fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) couvrait les pertes bovines.
Comme M. Lecamp, je remercie mon prédécesseur, Marc Fesneau, d’avoir commencé ce travail.
M. Pierre Cordier
Avec un train de retard, quand même !
Mme Annie Genevard, ministre
Face à l’urgence économique induite par les inondations, les sécheresses et les grêles qui ont frappé le territoire national du nord au sud, le gouvernement a déployé des mesures de soutien – des aides à la reconstruction à la suite des inondations ainsi que des aides en faveur de l’agriculture biologique – qui, dans un cadre budgétaire serré, ont représenté un effort public de près de 310 millions d’euros, témoignant de la priorité absolue donnée aux agriculteurs. En fin d’année dernière, j’ai également annoncé un important dispositif d’aide à la trésorerie destiné aux agriculteurs dont les exploitations souffrent de difficultés tant structurelles que conjoncturelles – liées notamment aux épisodes climatiques – afin qu’ils bénéficient de prêts préférentiels, bonifiés ou garantis par l’État. (Mme Marie Pochon s’exclame.) Je
Mme Hélène Laporte
Soyez honnête, madame Genevard !
M. Alexandre Dufosset
Vous disiez le contraire la semaine dernière !
Mme Annie Genevard, ministre
Mes propos impliquaient que le budget soit adopté ! Comment pouvez-vous penser qu’il revient au même d’avoir ou de ne pas avoir un budget ? Révisez un peu vos tablettes budgétaires !
Cependant, mon travail ne saurait s’en tenir à la conjoncture : ces derniers mois, j’ai redoublé d’effort pour combattre les crises structurelles qui affectent notre agriculture : parmi elles, M. Dive a évoqué la question du revenu, qui dépend évidemment des charges, des volumes et des prix. La future loi Egalim tentera d’y répondre.
Mme Marie Pochon et Mme Hélène Laporte
Quand ?
Mme Annie Genevard, ministre
Vous le savez : avant le mois d’avril, puisque nous devrons alors prolonger l’expérimentation des mesures prévues par la précédente loi Egalim permettant une revalorisation du prix d’achat en amont.
M. Yannick Monnet
On navigue à vue !
Mme Annie Genevard, ministre
Je me bats en premier lieu contre la crise de sens qui touche le monde agricole. Pour y remédier, la solution tient en trois mots : simplifier, simplifier et encore simplifier !
M. Christophe Bex
Censure, censure, censure !
Mme Annie Genevard, ministre
La sédimentation des réformes menées ces trente dernières années a conduit à enserrer le métier d’agriculteur dans un empilement kafkaïen de normes et d’interdictions parfois contradictoires qui freinent l’initiative et la production, diminuant de ce fait les revenus. Le premier ministre en a parlé hier dans sa déclaration de politique générale.
Mme Sophia Chikirou
Qui dirige ce pays depuis sept ans ?
Mme Annie Genevard, ministre
Il est impératif de sécuriser l’accès des agriculteurs aux moyens de production essentiels, sans lesquels aucune alimentation n’est possible, à savoir la terre – qui comprend les engrais, qu’évoquait M. Sitzenstuhl –, et l’eau – y compris les moyens de son traitement lorsqu’il est nécessaire. J’en conviens avec M. Travert, cette question doit nécessairement être abordée au niveau européen.
Contraindre un agriculteur à moins produire est tout aussi absurde que de contraindre un médecin à moins soigner. Cela génère une perte de sens croissante dans les professions agricoles. Chacun se doit de mesurer cette situation avec gravité, tant elle se traduit parfois cruellement. Si un suicide est un drame, un suicide par jour est une tragédie. Or c’est la réalité d’une partie du monde paysan.
Parce que je veux être la ministre de la simplification, je poursuivrai le travail acharné contre la surtransposition. Dans un marché ouvert comme le nôtre, interdire en France une substance autorisée partout ailleurs en Europe place nos agriculteurs dans une situation de concurrence intenable…
Mme Sophia Chikirou
Ce n’est pas ça, le problème !
Mme Annie Genevard, ministre
…avec, au bout du chemin, la mort de nos productions et l’attrition de notre diversité.
Madame Laporte, je sais les problèmes immenses posés par les surtranspositions dans votre département. Vous le savez parfaitement : l’acétamipride a un statut particulier puisque son interdiction résulte d’une disposition législative.
Avant les interdictions, nous devons miser sur les solutions. C’est la raison pour laquelle, dès mon arrivée au ministère, j’ai souhaité relancer le comité des solutions créé par ma collègue Agnès Pannier-Runacher. Le budget que vous aurez la charge de voter reconduira le financement du Parsada, le plan d’action stratégique qui vise à préparer la sortie de certaines molécules.
Monsieur Potier, nous n’avons jamais envisagé de contourner les décisions de l’Anses. La loi ne le permet pas. En revanche, nous demanderons à l’agence de privilégier les filières dépourvues de solutions, de la même manière qu’est prioritaire, aux urgences, un malade dont le pronostic vital est engagé.
Madame Bellamy, simplifier suppose de réduire la pression administrative. Le chantier est immense ; nous y avons apposé la première pierre.
Avec le contrôle administratif unique, quoi que vous en disiez, monsieur Trébuchet, les agriculteurs ne seront soumis qu’à un seul contrôle par exploitation et par an, et à un contrôle administratif – le terme a son importance. Cette mesure était attendue par les agriculteurs et je l’ai mise en œuvre. De nombreuses autres mesures seront concrétisées comme promis, qu’il s’agisse des nitrates ou des calendriers réglementaires pour les travaux des champs, trop rigides.
La deuxième grande crise structurelle à affronter est la crise climatique. Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur Taupiac : face à un phénomène mondial, il convient d’abord de prendre des mesures d’adaptation. C’est l’objet du plan « agriculture climat Méditerranée », doté de 50 millions d’euros, lancé par mon prédécesseur et dont j’assure la mise en œuvre opérationnelle. Son démarrage est réussi puisque trois mois après son lancement, vingt-cinq aires agricoles de résilience climatique ont été labellisées dans le pourtour méditerranéen. L’objectif est d’en constituer une cinquantaine. Grâce à ce plan, ces aires bénéficient, pour les filières les plus touchées par le dérèglement climatique, d’un accompagnement financier favorisant la diversification.
De même, l’accès à l’eau pour l’irrigation des cultures ou l’abreuvement des animaux constitue un impératif majeur, auquel il faut répondre dans le cadre d’une gestion raisonnée de la ressource. Tel est le rôle du fonds hydraulique, doté de 20 millions d’euros en 2024, qui a permis de financer quarante-huit projets de gestion innovante de l’eau – j’ai annoncé les lauréats l’année passée. Je souhaite que ce fonds soit reconduit en 2025.
La troisième grande crise structurelle à affronter est la perte de souveraineté alimentaire. Il s’agit d’un combat matriciel. L’heure est venue de la reconquête, car nous ne pouvons nous satisfaire qu’un poulet sur deux et qu’un fruit ou légume frais sur deux consommés en France n’y soient pas produits. La souveraineté alimentaire n’est pas un concept : il s’agit de décider où sera produite l’alimentation de nos enfants. Cela suppose de protéger nos agriculteurs des accords commerciaux déloyaux, d’une part en promouvant, comme je le fais à Bruxelles lors de chaque négociation, l’utilisation de clauses miroirs, d’autre part en nous opposant aux accords que nous jugeons déséquilibrés.
Monsieur Trébuchet, vous demandez quelle est mon action à l’échelle internationale, mais il ne vous aura pas échappé que l’accord avec les pays du Mercosur, contre lequel la France s’est prononcée très clairement, ne dépend pas seulement de nous. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Alexandre Dufosset
Prenez l’initiative !
M. Théo Bernhardt
On est sous tutelle !
Mme Annie Genevard, ministre
Je me suis déplacée à l’étranger et j’ai rencontré chacun de mes homologues européens pour les convaincre et exposer les raisons qui nous conduisent à rejeter cet accord.
Mme Marie Pochon
Les bras m’en tombent ! Cela fait vingt ans que les négociations ont commencé, vous vous réveillez trop tard !
Mme Annie Genevard, ministre
D’autres ministres mènent également ce travail et le président de la République comme le premier ministre se sont clairement exprimés à ce sujet. Nous faisons tous ce travail, il s’agit d’une position commune à l’ensemble de la représentation nationale – peu de sujets font l’objet d’une telle unanimité. C’est la France qui a lancé le mouvement contre l’accord avec le Mercosur et il faut espérer que ce mouvement prospère. Espérez-le avec nous plutôt que de nous accuser !
Plusieurs députés du groupe RN
Nous l’espérons !
Mme Annie Genevard, ministre
Face aux milliers de tonnes de viande et de sucre qui pourraient se déverser dans notre pays au mépris de nos normes de production, la France se dressera comme un mur. Je le répète, je mène un travail de conviction acharné auprès de mes homologues européens. J’ai rendu visite au ministre polonais de l’agriculture, qui a annoncé quelques jours après, avec le premier ministre polonais, le rejet de l’accord avec le Mercosur par son pays. Nous parviendrons – j’en ai la conviction – à trouver une minorité de blocage ou à empêcher une majorité d’adoption.
Par ailleurs, pour assurer notre souveraineté alimentaire, il faut s’attaquer de front au problème central du renouvellement des générations. Le vieillissement de la population agricole est un sujet de préoccupation majeur. C’est la raison pour laquelle il conviendra d’adopter au plus vite le projet de loi d’orientation agricole, que vous avez considérablement enrichi en première lecture et qui sera examiné en février au Sénat. Monsieur Sitzenstuhl, le retard pris dans l’examen de ce texte est dû premièrement à la dissolution, deuxièmement à la suspension estivale, troisièmement à l’arrivée du budget dans le calendrier parlementaire, qui laissait seulement quatre jours disponibles au Sénat pour l’examiner.
M. Charles Sitzenstuhl
Non !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous en expliquerez avec le président du Sénat, puisque vous semblez connaître mieux que lui les disponibilités de la chambre haute.
L’autonomie du Parlement a rendu impossible d’inscrire à l’ordre du jour les dix jours, voire l’unique semaine, nécessaires à l’examen du texte au Sénat. J’ai pris le premier créneau disponible et je trouve fort de café que l’on m’accuse de retarder l’inscription de ce texte à l’ordre du jour sénatorial, alors que je n’ai cessé de demander cette inscription. Vous n’ignorez pas, monsieur Sitzenstuhl, que l’examen du budget s’impose – pour ce qui est de son adoption, c’est une autre affaire, et il appartiendra aux censeurs de bien réfléchir aux conséquences de leurs actes dans quelques semaines. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Jean-Paul Lecoq
Les permanences sont déjà payées ! Vous nous enverrez vos milices de la FNSEA !
Mme Annie Genevard, ministre
Ce texte propose un véritable choc d’attractivité, avec l’ambition de former 30 % d’apprenants supplémentaires d’ici à 2030 ; il permettra de créer le réseau France Services agriculture, qui simplifiera l’installation des agriculteurs et la transmission de leurs exploitations. Il est essentiel, monsieur Monnet, madame Hignet, d’installer convenablement les jeunes pour maintenir les exploitations.
Cependant, ce qu’attendent les agriculteurs par-dessus tout, c’est qu’aux crises conjoncturelles et structurelles qui les frappent durement nous n’ajoutions pas une nouvelle crise politique. Le bilan est déjà trop lourd. Cela fait maintenant plus d’un an qu’ils se sont vu promettre la pérennisation du dispositif d’emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi, dit TODE, une revalorisation de leurs pensions de retraite, des dégrèvements sur la fiscalité foncière, ainsi qu’une exonération de la réintégration de la dotation pour épargne de précaution en cas de sinistre climatique, pour ne citer que quelques engagements.
Mme Marie Pochon
Et les prix planchers ?
Mme Annie Genevard, ministre
Nous ne sommes pas favorables aux prix planchers !
Mme Marie Pochon
C’était une promesse !
Mme Annie Genevard, ministre
La responsabilité aurait commandé que nous parlions de la mise en œuvre de toutes ces mesures au passé et que les agriculteurs puissent dès à présent en bénéficier, compte tenu des difficultés qu’ils connaissent. Le mouvement de protestation en cours, qui fait suite à un premier mouvement d’ampleur en janvier dernier, ne doit pas être interprété comme une deuxième sommation, mais comme la dernière. Ne laissons pas les agriculteurs payer le prix d’une nouvelle crise, qui en ferait les otages d’une bataille politicienne – cela n’engendrerait chez eux que ressentiment et colère. Ceux qui s’en rendraient complices ne pourraient plus prétendre en être les soutiens ou les représentants.
Monsieur Blairy, nous parlons de presque un demi-milliard d’allégements de charges. Sans le vote du budget, ces aides ne parviendront pas au monde agricole. L’heure est désormais à l’action ; il est de notre devoir de respecter le contrat moral que nous avons passé avec le monde paysan, en gravant ces mesures dans le marbre. C’est la seule voie possible pour substituer au vent de colère qui s’est engouffré dans le cœur des agriculteurs il y a un an un vent d’espoir et de foi retrouvée en l’avenir. Pour reprendre les mots du ministre Travert, confiance, dialogue et respect s’imposent. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR. – M. Pascal Lecamp applaudit également.)
M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes. Aucune réplique n’est possible.
Nous commençons par les questions du groupe Rassemblement national. La parole est à M. Robert Le Bourgeois.
M. Robert Le Bourgeois (RN)
L’élevage français est en crise. Où que l’on regarde, les éleveurs le disent et désespèrent de se faire un jour entendre. Une incessante culpabilisation à propos des conséquences environnementales de l’élevage, ainsi que la signature de traités de libre-échange – avec le Canada, la Nouvelle-Zélande et désormais le Mercosur –, ont renforcé l’hostilité envers les éleveurs, qui se trouvent soumis à une concurrence totalement déloyale. C’est leur survie qui a été placée sur la table des négociations, envoyant le message d’un terrible mépris. Les conséquences sont dramatiques : la MSA dénombre presque deux suicides par jour et 2 400 tentatives de suicide par an ; le nombre d’éleveurs a chuté de 60 000 en dix ans, toutes filières confondues ; le cheptel français a perdu 116 000 vaches laitières en 2023. Dès lors, comment s’étonner qu’un agriculteur sur cinq envisage de cesser son activité dans l’année qui vient ?
Comme si cela ne suffisait pas, la mort de l’élevage français emporte de graves conséquences. Les abattoirs et les filières de transformation se trouvent menacés. Les prairies et les alpages poursuivent leur recul lent mais certain, au profit de surfaces embroussaillées ou cultivées, favorisant le ruissellement des eaux et rendant plus difficile la valorisation de produits non utilisables pour l’alimentation humaine et l’enrichissement des sols. Sur ce dernier point – les agriculteurs de ma circonscription me le disent –, la baisse de l’apport en fumier constitue un problème qu’on ne réglera pas avec les seuls engrais chimiques.
Finalement, la mort de l’élevage français porte un coup de poignard dans le dos à notre souveraineté alimentaire – c’est la raison pour laquelle le groupe Rassemblement national soutiendra les mesures d’urgence qui seront présentées. Madame la ministre, quand cesserez-vous de conditionner la survie des éleveurs à un marché international qui les écrase et à une Union européenne qui les méprise ? Quand leur garantirez-vous enfin un revenu décent et l’exception agriculturelle qu’ils réclament ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je suis élue d’une terre d’élevage. Je connais bien le monde de l’élevage, je le soutiens et je le défends. Il constitue l’identité de nos territoires et il est fondamental de le conserver. Je n’ignore rien des facteurs qui le fragilisent, que vous avez relevés : décapitalisation des cheptels et difficultés structurelles lorsque les crises sanitaires s’accumulent, comme c’est le cas en ce moment. Nous connaissons une avalanche invraisemblable de problèmes sanitaires : FCO 3, FCO 8, MHE, à quoi s’ajoutent l’influenza aviaire et la fièvre porcine. La situation est catastrophique. Je n’irai pas pour autant jusqu’à parler de mort de l’élevage français : la France est un très grand pays d’élevage, qui assure par exemple son autosuffisance en lait.
Nous devons redoubler de vigilance car, comme vous l’avez souligné, l’affaiblissement de l’élevage entraîne le recul des prairies, alors qu’elles constituent des puits de carbone aussi efficaces que les forêts. Je vous rejoins lorsque vous déplorez la mise en cause de l’élevage, qui est insupportable : une idéologie décroissante fait de l’élevage la source de tous les maux environnementaux et je la récuse avec la plus grande fermeté.
S’agissant de la concurrence déloyale, il est vrai que l’agriculture sert de variable d’ajustement dans tous les accords de libre-échange, en particulier l’élevage, qui se trouve exposé à l’agneau néo-zélandais, au bœuf du Ceta (Accord économique et commercial global) et à la volaille du Mercosur. L’élevage est systématiquement la cible des accords internationaux, ce qui les rend doublement inacceptables.
M. le président
La parole est à M. David Magnier.
M. David Magnier (RN)
Un an après la crise agricole, dans l’Oise, où se trouve ma circonscription, et plus largement dans l’ensemble des Hauts-de-France, une tragédie silencieuse se joue. Des familles entières et des générations d’agriculteurs voient leur travail sacrifié et leur avenir menacé. Les betteraviers, ces hommes et ces femmes qui façonnent nos paysages et nourrissent notre pays, sont aujourd’hui en détresse. La culture de la betterave sucrière, pilier économique de la région, est à l’agonie parce que nous lui avons retiré les moyens de lutter contre la jaunisse virale. Depuis l’interdiction des néonicotinoïdes, ces agriculteurs sont livrés à eux-mêmes face aux ravages des pucerons. Le gouvernement, conscient des difficultés, avait proposé une aide ponctuelle – bien insuffisante – aux producteurs affectés par la jaunisse en 2023.
Les rendements s’effondrent. Dans les Hauts-de-France, Tereos réclame une diminution de 10 à 15 % des surfaces de betteraves.
M. Julien Dive
C’est faux !
M. David Magnier
Cette tendance alarmante menace l’économie de toute la filière. Pendant ce temps, onze pays européens, dont la Belgique et l’Allemagne, ont maintenu un usage encadré des néonicotinoïdes. La France, elle, préfère importer, notamment d’Ukraine, des betteraves produites dans des conditions environnementales déplorables quand nos betteraviers, véritables sentinelles de l’environnement, respectent des standards qui sont parmi les plus stricts au monde.
Nous avons importé, en 2023, jusqu’à 700 000 tonnes de betteraves ukrainiennes : voilà l’absurdité. Nos agriculteurs, au nom de l’écologie, subissent des interdictions, pendant que le gouvernement importe ce qu’il n’autorise pas à produire ici. Où est la cohérence ?
« Un an après la crise agricole », dites-vous. Vraiment ? L’agriculture française, en réalité, est en souffrance depuis bien plus longtemps, situation qui s’aggrave chaque année. Dans combien de temps appliquerons-nous enfin la règle « pas d’interdiction sans solution » ? Dans combien de temps mettrons-nous fin à des interdictions nationales que nous sommes les seuls à pratiquer, isolant ainsi nos agriculteurs ? Pourquoi imposer à la France des normes toujours plus strictes, hors de toute transposition européenne, créant ainsi d’insupportables distorsions de concurrence ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Benoît Biteau
La solution, c’est l’agronomie, pas les pesticides !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez raison de rappeler l’importance de la filière sucrière, autre filière d’excellence française. La France est un des leaders européens en matière de production de sucre – production elle-même mise en concurrence avec celle des pays du Mercosur.
M. Julien Dive
Et avec la production ukrainienne !
M. Benoît Biteau
Demandez à M. Aurélien Rousseau !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez évoqué les maladies qui affectent la production de betterave sucrière, notamment la jaunisse du puceron, pour laquelle, avec la filière, nous recherchons des solutions : 10 millions d’euros y ont été consacrés. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a proposé des dispositions alternatives aux produits phytosanitaires qui se sont avérées partiellement efficaces. Le bilan de cette année et de l’année précédente a été positif, sauf pour les productions de plantes porte-graines, qui ont été attaquées : cela vient limiter la portée rassurante de mon propos.
Il est évident que le retrait de certaines substances pose de nombreux problèmes. Les cinq familles de néonicotinoïdes ont été interdites, ici, par la loi – par les parlementaires. Quatre de ces familles ont été interdites dans toute l’Europe – il ne saurait donc être question de les autoriser de nouveau. Mais une de ces familles – celle des acétamiprides – est autorisée partout en Europe et interdite en France uniquement. C’est un débat que nous aurons en temps voulu, lors de l’examen de futurs textes.
M. Pierre Cordier
Il faudrait peut-être revenir là-dessus !
Mme Annie Genevard, ministre
Pour ma part, je n’accepte en aucune façon le principe des surtranspositions. Surtransposer, c’est mettre la France en concurrence frontale avec d’autres pays européens et attacher des boulets aux pieds de nos entrepreneurs agricoles : ce n’est pas possible.
M. le président
La parole est à M. Jean-Luc Fugit.
M. Jean-Luc Fugit (EPR)
Nous pensons comme vous, madame la ministre, que, dans un contexte marqué par la succession des crises sanitaires et des aléas climatiques, et alors que la question du revenu des agriculteurs reste centrale, notre agriculture doit continuer à s’engager dans une transition lui permettant de s’adapter tout en assurant la compétitivité des exploitations et le renouvellement des générations.
Je voudrais aborder deux sujets ayant trait à la question sanitaire. Nos agriculteurs, ces entrepreneurs du vivant, doivent veiller en permanence à la santé de leurs élevages et de leurs cultures.
Face aux crises sanitaires de type MHE ou fièvre catarrhale ovine qui se sont succédé à un rythme soutenu ces derniers mois dans les filières d’élevage, l’État a su être aux côtés des éleveurs et leur permettre de surmonter les situations dramatiques provoquées par les épizooties. Mais nos éleveurs ne sont pas pour autant totalement rassurés et posent certaines questions.
Vous avez ainsi annoncé, en novembre dernier, que le FMSE porterait un programme d’indemnisation des pertes directes liées, pour les ovins, à la FCO 8. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes sur ce point précis ? Comment envisagez-vous l’accompagnement des élevages afin d’éviter une reprise des épidémies de type FCO au printemps prochain ? Les assises nationales du sanitaire animal, que vous lancerez dans deux semaines, auront-elles l’ambition de définir tous les volets d’une véritable politique de vaccination ?
Nous savons que vous êtes engagée auprès de nos agriculteurs des filières végétales. Sachez cependant que nos arboriculteurs se trouvent dans des situations inextricables, qui peuvent les décourager et les conduire à l’abandon de leur activité. Comment, madame la ministre, apaiser ce climat et apporter des solutions concrètes ? Comment comptez-vous aider nos producteurs à retrouver les mêmes conditions de traitement des végétaux que leurs homologues des pays voisins ? Les arboriculteurs de mon territoire, dans le Rhône, m’indiquent qu’il n’y a plus de filière de formation initiale dédiée à leur secteur d’activité : quelle réponse pouvez-vous leur apporter ?
Soutiendrez-vous enfin, lors de l’élaboration du budget, le renforcement des crédits alloués au plan de souveraineté de la filière fruits et légumes, comme notre groupe l’avait proposé par la voie d’un amendement que j’ai défendu et qui a été adopté en commission, il y a quelques semaines ? (M. Charles Sitzenstuhl applaudit.)
M. Charles Sitzenstuhl
C’est très important !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Votre intervention comporte trois questions. Sur les fièvres catarrhales ovines et leur indemnisation, tout d’abord. Pour la FCO 3, le guichet des avances a été ouvert. Le guichet du solde, quant à lui, sera ouvert dans quelques jours pour la FCO 3 et pour la totalité de l’indemnisation des animaux touchés par la FCO 8. Les premiers versements auront lieu dans quelques semaines.
Ce calendrier s’explique par le travail que nous avons mené avec les professionnels, qui ont adapté leurs demandes au fil du temps. À chaque nouvelle demande, afin de mieux répondre à leurs attentes, il a fallu réétudier les implications et procéder aux analyses de probabilité d’intervention. Nous espérons pouvoir délivrer rapidement les indemnisations, si possible avant le vote du budget ; mais vous connaissez les contraintes des mesures adoptées.
Au sujet de la reprise des épidémies, maintenant : nous sommes extrêmement vigilants. On ne peut pas rester là à attendre la prochaine épidémie : tous nos budgets ne suffiraient pas à payer les vaccins et à verser des indemnisations. Nous devons trouver ensemble une autre stratégie : meilleure anticipation, meilleure prévention, meilleure prophylaxie. C’est le sens des assises du sanitaire qui se tiendront le 30 janvier.
Sur le comité des solutions, enfin : j’ai toujours dit que c’était une bonne approche, je l’ai repris à mon compte et poursuivi. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il faut, comme au grand soir, abandonner tout ce qui a été fait auparavant – au contraire. Mais, à mon sens, ce comité n’a pas apporté toutes les réponses attendues au sujet des situations d’urgence des filières en impasse de traitement. En Europe, 540 usages sont autorisés qui ne le sont pas en France. Parmi eux, l’Anses en étudie une centaine afin de savoir si nous ne pourrions pas les utiliser. Il y a des réponses, mais nous n’y avons pas encore accès.
M. le président
La parole est à M. Christophe Marion.
M. Christophe Marion (EPR)
Depuis un an maintenant, les agriculteurs demandent de l’équité et de la justice. Ils veulent que les contraintes et les normes qui pèsent sur eux s’imposent également aux produits européens et extraeuropéens que nous importons – c’est particulièrement le cas dans le domaine des produits phytosanitaires. Le gouvernement a pris conscience de cette urgence en lançant dès le mois de mars un cycle de réunions de travail visant à répondre aux difficultés qu’ils rencontrent dans la protection de leurs cultures. Ce cycle de réunions était centré sur les produits faisant déjà l’objet d’une interdiction – complétant ainsi les actions engagées, notamment par le plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures, le Parsada –, ainsi que sur la stratégie Écophyto 2030.
Une telle démarche visait à traiter les difficultés rencontrées par les agriculteurs confrontés à la concurrence d’États membres qui, eux, avaient accès à des produits interdits en France. À l’époque, Agnès Pannier-Runacher était même allée plus loin en n’excluant pas de saisir la Commission européenne de situations de sous-transposition dans certains États membres. En juillet, le ministère de l’agriculture indiquait que 101 solutions autorisées ailleurs en Europe étaient en cours d’examen par l’Anses afin de remplacer des molécules sur le point d’être interdites.
Face aux menaces pesant aujourd’hui sur les productions d’endives, de chicorée, de noisettes, face à la volatilité du prosulfocarbe qui menace la production de sarrasin – notamment le sarrasin bio –, vous avez relancé le comité des solutions et rappelé que 146 millions d’euros étaient consacrés, cette année, au financement de vingt-sept projets de recherche. Tout cela est très bien, mais les agriculteurs peinent à voir, concrètement, les incidences de ces différentes annonces dans les cours de ferme, alors même que les substances actives, quand elles continuent d’être utilisées, deviennent de plus en plus inefficaces en raison des faibles doses autorisées. Quels sont les fruits des mesures annoncées depuis presque un an ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Votre question est fondamentale. Il ne se passe pas une journée, depuis ma prise de fonction, sans qu’une filière me sollicite, parfois dans une urgence et une détresse terribles, pour m’exposer les difficultés qu’elle rencontre en l’absence de traitement contre les insectes ravageurs ou les maladies. Les agriculteurs ont besoin premièrement de visibilité, deuxièmement d’équité, troisièmement de solutions leur permettant de se projeter dans l’avenir.
J’agis pour cela à trois niveaux. Il faut, tout d’abord, répondre aux situations d’urgence que rencontrent certaines filières pour leur permettre, lorsqu’il n’y a pas d’autre solution, de passer une campagne. Je pense à la filière de l’endive, à celle de la cerise et à celle de la noisette. Mes services conduisent, avec elles, des travaux pour adapter les itinéraires techniques et délivrer les autorisations de 120 jours, grâce à la direction générale de l’alimentation (DGAL), dont je tiens à saluer les travaux. Sur ce sujet, j’ai eu l’occasion de rassurer des producteurs.
Il faut ensuite, autant que possible, rendre disponibles pour nos producteurs les produits dont disposent nos voisins européens. Je l’ai dit : des solutions existent au niveau européen. Des pays examinent, pour le compte des autres et en responsabilité, la pertinence du maintien de certaines substances. Quand ces pays référents déterminent qu’une substance est autorisable, nous devrions l’autoriser en France : c’est la logique et le bon sens mêmes. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour que ces questions soient traitées au niveau européen, afin que nous n’encourrions pas le risque terrible des surtranspositions.
Le dernier pilier est celui permettant de proposer aux agriculteurs des solutions alternatives opérationnelles et économiquement viables.
Mme Anne-Laure Blin
Tout à fait !
Mme Annie Genevard, ministre
C’est le Parsada, un plan stratégique apprécié des filières. Son budget s’élève à 146 millions en 2024 et prévoit le financement de cinquante projets de recherche sur cinq ans, dont trente ont déjà reçu un accord de financement. Je vous confirme que le financement du Parsada sera maintenu.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex (LFI-NFP)
Cela a été dit, l’année 2024 a été rude pour nos agriculteurs et nos agricultrices : je les salue.
Je vais me concentrer sur un sujet qui a fait l’objet de quelques travaux et dont vous n’avez pas parlé : l’agrivoltaïsme. Nous nous opposons aux projets dans ce domaine car ils favorisent la prédation du capital, le déclin de nos exploitations et la misère des agriculteurs. Les enjeux financiers et écologiques de cette filière sont considérables. Faute de mieux, il faut l’accompagner et la planifier.
Une installation photovoltaïque est dite agrivoltaïque lorsqu’elle est située sur la même parcelle qu’une production agricole. Ces installations, dont le potentiel économique est énorme, concernent très peu d’agriculteurs. Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie de 2018, il était prévu que 44 gigawatts d’énergie photovoltaïque soient disponibles en France d’ici à 2028 – soit 40 000 hectares, dont 400 dans mon département, la Haute-Garonne. Les sommes en jeu sont gigantesques : certains agriculteurs se voient proposer des loyers annuels de 6 000 euros par hectare, soit en moyenne 80 000 euros pour un parc de 20 hectares.
L’autre problème réside dans la difficulté de conserver la valeur créée sur le territoire et au service des producteurs. Le modèle actuel, en Haute-Garonne, ne bénéficierait qu’à 20 agriculteurs sur 5 000, alors qu’il y a plus de 1 200 sollicitations d’opérateurs. La valeur générée, bien supérieure au loyer proposé, échappe totalement aux agriculteurs et aux territoires – parfois à hauteur de 90 %.
À défaut d’interdire ce type de projet et à la lumière de ces éléments, absents des rapports sur l’agrivoltaïsme, le gouvernement envisage-t-il de déterminer une nouvelle clé de répartition des profits pour les producteurs et les collectivités ? S’assurera-t-il que la valeur créée par les installations profite au niveau local ? Enfin, accompagnera-t-il les agriculteurs et les agricultrices dans leur projet et prévoira-t-il la réversibilité des installations et leurs modalités de financement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vous rejoins : jamais l’agriculture ne doit devenir un sous-produit de l’énergie. La fonction première de la terre est de produire l’alimentation qui nourrit la population.
Cela ne signifie pas qu’on ne doit pas réfléchir aux énergies renouvelables en milieu rural et agricole. Ce n’est peut-être pas le cas chez vous mais, chez moi, la surface des toitures agricoles est immense et favorable au développement du photovoltaïque.
M. Christophe Bex
On ne parle pas des toitures, là !
Mme Annie Genevard, ministre
Oui, bien sûr, l’agrivoltaïsme est différent, puisqu’il s’agit de photovoltaïque au sol. On a beau nous dire que les animaux peuvent paître sous les panneaux, il s’agit tout de même d’une concurrence entre les fonctions agricole et énergétique.
M. Nicolas Sansu
Bien sûr !
M. Pierre Cordier
Très bien !
Mme Anne-Laure Blin
Exactement !
Mme Annie Genevard, ministre
Les énergéticiens sont très habiles pour appâter les agriculteurs, particulièrement dans les territoires où l’agriculture ne fournit pas de revenus suffisants. Le choix est terrible pour l’agriculteur, entre une activité ancestrale à laquelle il est attaché mais qui ne le rémunère pas et des installations qui lui assureront un revenu plus décent.
Il ne faut pas placer l’agriculteur devant ce choix très difficile, et nous n’avons pas à le juger. Il faut rechercher un équilibre entre agrivoltaïsme et agriculture. Je suis réaliste : interdire l’agrivoltaïsme n’est pas possible, mais il ne faut jamais abdiquer la fonction nourricière de l’agriculture au bénéfice des énergies renouvelables. Le prix à payer serait terrible.
M. Pierre Cordier
Très bien ! Bravo !
M. Christophe Bex
Il faut légiférer !
M. le président
La parole est à M. Laurent Alexandre.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP)
Il y a un an, nos agriculteurs criaient leur colère. Aujourd’hui, leur mobilisation reste juste, d’autant que beaucoup de promesses n’ont pas été tenues. Il s’agit de leur vie, mais aussi de la souveraineté alimentaire de la France et du renouvellement des générations agricoles – 80 % des exploitations ont disparu en quarante ans. Pour que les campagnes restent vivantes, pour nous nourrir tout en protégeant le vivant, nous avons besoin de paysans qui vivent dignement de leur travail, puis de leurs pensions.
Je souhaite vous interroger sur le traité avec le Mercosur et sur les petites retraites agricoles.
La signature de ce traité par la présidente de la Commission européenne est une trahison des intérêts agricoles de l’Europe et de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous payons les ambiguïtés d’Emmanuel Macron, qui a soutenu les négociations en faveur de ce traité en 2019 – il le qualifiait alors de bon accord.
Mme Marie Pochon
Eh oui !
M. Laurent Alexandre
En 2023, le ministre macroniste du commerce extérieur le disait aussi : il fallait conclure cet accord.
Mme Marie Pochon
C’est vrai !
M. Laurent Alexandre
Aujourd’hui, le traité n’est pas encore ratifié. C’est pourquoi mon groupe parlementaire a proposé une résolution visant à refuser sa ratification, ainsi que toute méthode qui contournerait les parlements nationaux pour l’adopter. Cette résolution a été adoptée en commission des affaires européennes le 3 décembre et sera prochainement inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Ce sera l’occasion de doter la France d’une position claire et cohérente.
Mme Andrée Taurinya
Nous ne lâcherons rien !
M. Laurent Alexandre
Quelle est votre position ? Qu’allez-vous concrètement faire pour empêcher la ratification du traité avec le Mercosur ?
Quant aux retraites agricoles, elles sont deux fois plus faibles que la moyenne des pensions – et souvent inférieures à 800 euros. Les mesures prises sont insuffisantes et ne concernent que les nouveaux pensionnés. Les retraités non-salariés agricoles ayant commencé à travailler avant le 1 er septembre 2023 en sont exclus, contrairement aux anciens salariés du régime général, qui en bénéficient. Ce traitement est inacceptable après une vie de dur labeur. C’est pourquoi nous proposons d’augmenter la pension majorée de référence, le minimum contributif et le plafond pour l’ensemble des non-salariés agricoles. Vous engagez-vous à laisser les députés voter ces propositions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Grâce au texte présenté à l’initiative de Julien Dive et Pascal Lecamp, le calcul de la pension s’appuiera enfin sur les vingt-cinq meilleures années de revenus, dans une logique de convergence progressive, comme une partie de la profession le souhaitait. Ces nouvelles dispositions législatives s’appliqueront aux pensions liquidées à partir de 2026, mais, bien sûr, seulement si le budget est adopté.
M. Pierre Cordier
Eh oui, il faudra le voter !
Mme Annie Genevard, ministre
Réfléchissez donc bien au moment du vote…
M. Alexandre Dufosset
Il faudra le voter !
Mme Annie Genevard, ministre
La question du revenu est fondamentale. Le revenu agricole est conditionné par le montant et le volume des charges – le budget que vous avez censuré comportait près d’un demi-milliard de réductions de charges. Il est également conditionné par les volumes produits, ce qui suppose de l’eau – sans eau, pas d’agriculture. Vous devriez donc dire à certains de vos amis de cesser de s’opposer systématiquement aux projets hydrauliques agricoles. (M. Alexandre Dufosset s’exclame.) Il est aussi conditionné par l’accès au foncier et par la possibilité de traiter les productions attaquées. Enfin, il est conditionné par les prix, régulés par les lois Egalim, qui visent à protéger la matière première agricole dans la construction des prix.
M. Laurent Alexandre
Et le Mercosur ?
Mme Annie Genevard, ministre
Comme tous les représentants de la classe politique française, du président de la République au Parlement en passant par le premier ministre, j’ai eu maintes occasions de m’exprimer contre cet accord de libre-échange. Ce n’est pas un bon accord pour l’agriculture, et c’est la raison pour laquelle nous le combattons.
M. le président
La parole est à Mme Mélanie Thomin.
Mme Mélanie Thomin (SOC)
Il est urgent d’assurer aux agriculteurs et à nos éleveurs une rémunération juste et digne tout en apportant des solutions concrètes aux défis croissants qu’ils rencontrent – transmission d’exploitation, crises sanitaire et climatique, partage du foncier. Dès le mois d’avril, vous avez annoncé vouloir parachever l’édifice Egalim – les lois du 30 octobre 2018, du 18 octobre 2021 et du 30 mars 2023. Vos services ont affirmé, en outre, que vous souhaitiez garantir le respect des principes de construction du prix en amont et sanctuariser la matière première agricole.
Pour le monde agricole, fier de produire et de proposer des produits de qualité – qui ne sont pas toujours valorisés par les transformateurs et la grande distribution –, les dispositions actuelles d’Egalim sont largement insatisfaisantes.
Dans la loi Egalim 3, une mesure est fondamentale : la prise en compte des indicateurs de prix fixés par les interprofessions. Or ces indicateurs sont insuffisamment contraignants et ne garantissent pas une véritable équité entre les différents acteurs de la chaîne. Pourtant, cette mesure permettrait de préserver le coût de la matière première agricole.
Malgré l’obligation légale d’un contrat de vente entre agriculteurs et industriels pour l’achat des produits agricoles, force est de constater que les contrats sont inexistants, déséquilibrés ou non respectés – les sanctions mériteraient d’être renforcées.
Vous l’avez très bien dit : nos producteurs sont les premières victimes des concurrences déloyales, amplifiées par les traités de libre-échange comme celui avec le Mercosur, que nous combattons ensemble.
Dans la restauration collective, de nombreux appels d’offres continuent de privilégier les viandes bovines et les volailles importées, malgré l’obligation légale d’utiliser 50 % de produits durables et de qualité. Dans une dynamique interministérielle, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire doit prendre ses responsabilités et promouvoir l’utilisation de produits d’origine française dans la restauration collective, en particulier quand il s’agit de celle de l’État – je pense à l’enseignement supérieur et aux armées.
Comment envisagez-vous de réguler des déséquilibres commerciaux avérés et dénoncés ? Nos paysans se battent pour un revenu digne. Pour les socialistes, ce combat est prioritaire.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vous remercie pour cette question sur un sujet essentiel. Il a fait l’objet d’un rapport des députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard et d’un autre des sénateurs Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet. Nous attendons les conclusions de la mission d’évaluation de la loi Egalim 2, créée par la commission des affaires économiques, et dont les corapporteurs sont Julien Dive, Harold Huwart, Richard Ramos et Aurélie Trouvé – avant qu’elle ne devienne présidente de la commission. Nous attendons ces dernières conclusions pour affiner notre position sur Egalim.
L’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte de 10 % (SRP + 10) s’achève et il vous faudra bientôt, à nouveau, légiférer. Évidemment, la recherche de l’équilibre fonde la démarche d’Egalim : la juste rémunération de la matière première agricole est au cœur du dispositif, mais la transformation doit aussi y trouver son compte.
Vous avez raison, il faut renforcer le poids et la fiabilité des indicateurs de production. Cela permettra de sanctuariser la matière première agricole, y compris lors des discussions entre industriels et distributeurs.
Enfin, n’oublions pas l’échelon européen pour les négociations commerciales et le cadre réglementaire. La révision des textes européens sur l’organisation commune de marché, ainsi que celle de la directive sur les pratiques commerciales déloyales de 2019, ouvrent des opportunités pour transposer les principes d’Egalim – contractualisation écrite, négociation par des organisations professionnelles à l’échelon européen. Nous devons impérativement les promouvoir et sortir le producteur de son isolement pour l’inviter à rejoindre les organisations de producteurs. Ainsi, il sera mieux armé pour faire valoir ses intérêts.
M. le président
La parole est à M. Peio Dufau.
M. Peio Dufau (SOC)
Vous connaissez la situation particulièrement préoccupante des éleveurs, notamment ceux du nord du Pays basque, confrontés à une succession inédite d’épizooties, toutes filières confondues : grippe aviaire chez les volailles, MHE ou tuberculose chez les bovins, FCO chez les ovins.
En fin d’année dernière, après que leurs troupeaux ont été décimés, les éleveurs d’ovins ont été confrontés à des perturbations dans les exportations de leurs agneaux de lait vers l’Espagne. En effet, la circulation de la FCO a mis à mal le partenariat entre la France et l’Espagne, bloquant pendant trente jours les exportations d’animaux vivants vers les abattoirs en l’Espagne, alors que seuls six prélèvements étaient positifs. Or l’Espagne est un marché majeur pour la filière ovine du Pays basque, qui a adapté son organisation afin qu’une majorité d’agneaux soient disponibles pour les fêtes de fin d’année en Espagne.
Dès à présent, il faut préparer la campagne 2025. Ces crises ont un impact économique, social et environnemental. Il est donc urgent de repenser notre stratégie de prévention et de gestion des risques sanitaires.
Où en sommes-nous du renforcement de la production des vaccins pour la prochaine campagne ? Nos agriculteurs ne veulent plus revivre de rupture de stock. Le manque de coordination entre la recherche publique et la production de vaccins privés et entre l’activité vétérinaire libérale locale et les mesures nationales et départementales face aux épidémies fait échec à une lutte efficace contre les épizooties.
Que pensez-vous de ces mesures de bon sens, qu’il faudrait déployer en lien avec les éleveurs et les instances locales ? Trois mots pour résumer mon intervention : anticipation, coordination et adaptation aux réalités locales et aux modes d’élevage. Il faut agir avec discernement et efficacité.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vos questions ont principalement trait aux crises sanitaires, notamment à la FCO – FCO de sérotype 3 au nord et FCO 8 au sud, même si la distinction s’efface peu à peu. Cette crise sanitaire majeure n’est d’ailleurs pas sans lien avec la crise climatique – les insectes piqueurs, vecteurs de ces maladies, prolifèrent en raison du réchauffement climatique.
Nous devons faire preuve de détermination car les éleveurs, en particulier dans la filière ovine, sont désespérés par la situation, certains n’osant même pas ouvrir la porte de l’étable le matin, de peur d’avoir à compter les cadavres. C’est une source de détresse qui remet en cause la pérennité des filières, le pastoralisme et donc l’entretien des prairies et de nos paysages. Les conséquences de ces épidémies sont multiples : elles détruisent de la valeur dans la ruralité, elles décapitalisent des cheptels et portent atteinte à la souveraineté alimentaire. Ce sujet retient donc toute mon attention.
Au fond, ce que demandent les éleveurs, ce n’est pas d’être indemnisés, mais de ne pas avoir à être indemnisés. Je veille cependant à ce qu’ils reçoivent dans les meilleures conditions les indemnisations qu’ils attendent – nous y reviendrons.
Pour enrayer ce mouvement mortifère, il nous faut travailler autrement : c’est le sens des assises du sanitaire, auxquelles j’ai convié un large rassemblement de chercheurs, de vétérinaires, d’éleveurs et d’acteurs des filières concernées. Nous devons mettre en commun nos réflexions et esquisser une stratégie, ce qui ne nous dispensera pas d’une réflexion au niveau européen.
La MHE nous vient en effet d’Espagne, le troisième variant de la FCO des pays du Nord. Les maladies vectorielles se rient des frontières, ce qui complique les choses. On nous annonce l’apparition de nouveaux variants de la FCO – 12, 3 –, mais on ne sait pas s’ils seront mortels ou altéreront la santé des animaux. Débloquer des millions de doses de vaccin sans savoir si elles seront utilisées ne relève pas non plus d’une bonne stratégie. Nous devons travailler tous ensemble afin de donner des perspectives aux éleveurs, qui sont très marqués par ces attaques épizootiques.
M. le président
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Fabien Di Filippo (DR)
Au risque d’être redondant, j’insisterai moi aussi sur les dégâts causés par la fièvre catarrhale ovine et sur les mesures d’urgence – je ne parle pas des assises – attendues par nos éleveurs, qui, pour certains, ne savent pas s’ils pourront continuer à exploiter leur élevage au printemps prochain. Le 9 janvier 2025, on recensait 9 315 foyers de FCO 3 sur le territoire. La maladie continue de progresser, engendrant des conséquences dramatiques pour les cheptels – hausse de la mortalité, de la morbidité, des avortements et de l’infertilité.
Malheureusement, au début de cette épizootie, la réactivité des pouvoirs publics n’a pas été à la hauteur. Le gouvernement démissionnaire a attendu la mi-août pour lancer une campagne de vaccination alors que la présence de la FCO avait été détectée dès le mois de juin.
M. Pierre Cordier
C’est juste !
M. Fabien Di Filippo
La vaccination n’a été étendue à l’ensemble du territoire que le 3 octobre pour la filière ovine et le 10 novembre pour la filière bovine. Cette situation est inacceptable. L’impact économique de la FCO est extrêmement élevé pour nos éleveurs. Aux pertes directes liées à la mortalité animale s’ajoutent les avortements, la baisse de production, mais aussi les pertes indirectes liées au décalage des naissances, au coût de la vaccination, aux frais vétérinaires et d’équarrissage.
Le ministère de l’agriculture a déployé une aide d’urgence avec le fonds abondé de 75 millions d’euros que vous avez évoqué. Mais l’impact économique de la FCO, toutes filières confondues – lait, viande bovine et ovine –, se chiffre à 80 millions d’euros de pertes directes et indirectes depuis le mois d’août, rien que pour la région Grand Est : 50 millions liés à la mortalité animale, 22 millions à la baisse de productivité et plus de 10 millions aux frais vétérinaires supplémentaires. L’enveloppe débloquée est donc clairement insuffisante.
Par ailleurs, les critères d’éligibilité sont bureaucratiques et kafkaïens ; ils rendent l’accès à cette aide impossible pour de trop nombreux éleveurs, pourtant durement touchés. En Moselle, seuls 54 éleveurs ont été indemnisés, alors que 115 dossiers avaient été déposés. Dans l’ensemble de la région Grand Est, plus d’un tiers des demandeurs ont été éconduits. Si je vous interpelle à ce sujet, madame la ministre, c’est parce que nous risquons d’être confrontés à des décapitalisations massives. C’est ni plus ni moins la souveraineté alimentaire de la France de demain qui est en jeu.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
La région Grand Est est particulièrement touchée par l’épidémie de FCO 3. S’agissant du retard pris par les pouvoirs publics, en particulier par mon ministère, je rappellerai que les vaccins contre la FCO ont été commandés à un moment où nous savions que l’épidémie allait arriver en France, mais avant même l’apparition du premier cas sur le territoire. Toutefois, commander des vaccins à un laboratoire ne suffit pas : il faut que les chaînes de production soient disponibles et prêtes à produire. Les doses de vaccins contre la MHE et la FCO 8 à notre disposition sont peu nombreuses faute de souveraineté vaccinale française. Nous disposons d’un seul laboratoire – peut-être deux –, lequel veut être sûr d’écouler tous ses vaccins. Il faut en outre que les lignes de production soient disponibles.
En ce qui concerne la FCO 3, l’État n’a pas été en reste. Les vaccins ont été commandés pendant l’été par le gouvernement démissionnaire, le plus tôt possible, avant même que l’Anses donne son feu vert. Cette décision n’a certes pas suffi à enrayer la propagation de la maladie, mais nous disposons encore de stocks, alors que les vaccins ont été mis à disposition gratuitement.
S’agissant de la FCO 8, comme nous n’avions pas suffisamment de vaccins pour immuniser tous les animaux, nous avons érigé une barrière sanitaire. Dans le cas de la MHE, nous nous retrouvons avec des vaccins inutilisés. La question de la vaccination recouvre des enjeux si nombreux qu’il est crucial de l’aborder dans le cadre des assises du sanitaire.
En matière d’indemnisation, nous travaillons avec les professionnels. Ce sont eux qui ont décidé qu’il fallait concéder des avances, que tous les élevages n’ont pas demandées. Comme le dit l’adage, nous compterons les bouses à la fin de la foire : nous constaterons lors du versement du solde le niveau d’indemnisation et le nombre d’éleveurs indemnisés.
M. le président
Merci de conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
C’est à ce moment-là que nous pourrons tirer des conclusions. Votre région a des particularités qui doivent être prises en compte, et j’y veillerai, croyez-le bien.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Lepers.
M. Guillaume Lepers (DR)
Depuis des années, nos agriculteurs souffrent et nous alertent sur la situation de leurs exploitations. Depuis votre arrivée au ministère de l’agriculture, vous les avez rencontrés et entendus, et vous avez commencé à prendre une série de mesures qui vont dans le bon sens. Certaines, notamment les mesures financières, devaient s’appliquer dès le début de cette année. Ces avancées pour nos agriculteurs ont malheureusement été retardées par la censure, fruit de calculs politiciens.
Parmi les revendications des agriculteurs figure la question de la surtransposition des normes européennes. Nous formons un marché commun, régi par des règles censées être communes à tous les pays membres ; hélas, la France multiplie les normes nationales restreignant l’activité des agriculteurs. Cette surtransposition crée une concurrence déloyale dont souffrent les agriculteurs français : les 300 producteurs de noisettes du Lot-et-Garonne peuvent en témoigner.
En raison de l’interdiction en France de l’acétamipride, ils ne peuvent plus protéger leur production contre la punaise diabolique. Pourtant, le 15 mai dernier, l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) a prolongé l’autorisation de ce produit dans l’Union européenne jusqu’en 2033. Résultat de son interdiction en France : 50 % de pertes dans les récoltes, une filière structurée en danger et des centaines d’emplois menacés. Comble de l’absurdité, la filière doit importer des noisettes traitées par ce même produit pour conserver ses marchés.
Madame la ministre, comment comptez-vous mettre fin à la situation de concurrence déloyale que subissent tous les agriculteurs français du fait de la surtransposition des normes ? Plus généralement, quelle stratégie envisagez-vous de suivre pour simplifier la vie administrative du monde agricole ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Nous avons en partage le souci de la filière de la noisette. J’ai reçu ses représentants et vous m’avez alertée sur sa situation à de multiples reprises, avec d’autres députés. C’est une très belle filière française, qui produit une petite part des noisettes consommées par les Français, lesquels en sont très friands – nous figurons parmi les plus gros consommateurs de noisettes d’Europe. Nous n’en produisons pas suffisamment pour assurer notre souveraineté alimentaire dans cette filière. Les producteurs connaissent des difficultés immenses en raison du balanin et de la punaise diabolique, qui mettent en péril la pérennité de la filière, voire sa survie.
Vous avez évoqué l’acétamipride, le traitement qui conviendrait à cette production. Le Parlement, qui est souverain, aura à se prononcer sur cette question lors de l’examen d’une proposition de loi déposée par les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville. Ils recommandent, dans ce texte, de revenir sur l’interdiction de l’un des cinq néonicotinoïdes qui n’ont pas été interdits en Europe, d’une part en raison de la nature du produit – question qu’il nous faudra explorer –, d’autre part en raison de son caractère presque indispensable pour un certain nombre de productions.
Dans l’attente d’une éventuelle nouvelle autorisation de cette substance, nous cherchons d’autres solutions avec la filière. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé la création d’un groupe de travail au sein du ministère, auquel j’associerai les producteurs de votre région, notamment la coopérative Unicoque, qui réunit 300 producteurs. Nous travaillerons avec eux sur la question du préjudice économique et sur les solutions alternatives dans l’attente de l’autorisation du produit dont ils espèrent le retour.
M. le président
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (EcoS)
Depuis maintenant plus d’un an, dans le contexte d’une mobilisation sociale agricole sans doute la plus importante depuis trente ans, les agriculteurs dénoncent un modèle qui ne fonctionne plus et l’impossibilité de vivre de leur métier. Les écologistes sont solidaires de leur lutte pour vivre dignement.
Depuis trente ans, ceux qui nous gouvernent ont choisi de placer le modèle agricole sur la voie de l’industrialisation, de la compétitivité à outrance et du libre-échange dérégulé. Quels ont été les bénéfices de ce choix ? La productivité a augmenté et on peut aujourd’hui consommer des produits du monde entier sans avoir jamais mis les pieds dans une ferme. Quel en a été le coût ? En dix ans, 100 000 fermes ont disparu, les prix agricoles se sont écroulés, le monde agricole souffre de la crise inflationniste et de la spéculation sur les produits alimentaires, les campagnes se vident, les rendements sont affectés par les changements climatiques, la biodiversité s’effondre et un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Vous ne pouvez pas en même temps réduire les normes, promouvoir l’alignement par le bas au nom de la sacro-sainte productivité, tout en demandant à nos agriculteurs l’excellence. Vous ne pouvez pas en même temps refuser d’encadrer les surprofits de l’agro-industrie, laisser signer les accords de libre-échange, refuser les paiements pour services environnementaux (PSE) et laisser les prix agricoles s’effondrer, tout en assurant la protection de l’excellence agricole française, celle qui préserve nos capacités à produire demain.
En 2024, au Salon de l’agriculture, le président de la République promettait des prix planchers aux agriculteurs. Une promesse, encore une, instantanément balayée par votre alliance des droites, qui s’est opposée à notre proposition de loi au profit d’une loi Egalim 4, jamais advenue, et de négociations commerciales aux contours inchangés encore cette année.
Le revenu agricole doit être le paramètre central de la fixation des prix, et non une variable d’ajustement. Que comptez-vous faire face à l’impérieuse nécessité de prix dignes pour celles et ceux qui nous nourrissent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Comment pouvez-vous déplorer les effets dont vous chérissez les causes ? La famille politique à laquelle vous appartenez ne cesse de défendre une vision décroissante de l’agriculture !
M. Benoît Biteau
C’est absolument faux !
Mme Karen Erodi
Non !
Mme Annie Genevard, ministre
Mais si, c’est absolument vrai ! Vous êtes partisans d’une inflation normative sans fin ni freins, et c’est la raison pour laquelle nos agriculteurs rencontrent de telles difficultés de production. Vous parlez d’agriculture industrielle, d’agriculture productiviste…
Mme Marie Pochon
Je n’ai pas parlé de ça !
Mme Annie Genevard, ministre
Allez en Ukraine, en Pologne ou aux États-Unis : là-bas, vous verrez une industrie agricole et une agriculture productiviste ! Notre agriculture est à taille humaine, et c’est l’une des plus vertueuses au monde, sinon la plus vertueuse. Vous ne cessez de déplorer la perte de revenus, mais c’est précisément votre vision qui en est la cause !
M. Benoît Biteau
Nous ne sommes pas au pouvoir, madame Genevard !
Mme Annie Genevard, ministre
Si vous voulez vraiment travailler à améliorer les revenus des producteurs, cessez de promouvoir cette inflation normative qui leur fait perdre le sens même de leur activité. Vous ne m’entendrez jamais dire qu’il faut supprimer toutes les normes, toutes les règles. Mais quand vous refusez l’accès à l’eau à un producteur, vous le condamnez à la mort économique, c’est la simple vérité. Pourquoi ne l’entendez-vous pas ?
Donc, s’il vous plaît, madame la députée, ne nous imputez pas les difficultés de l’agriculture dès lors que, précisément, c’est contre elles et contre votre vision que nous luttons.
Pour ce qui est des accords de libre-échange, je ne sais sur quel ton vous dire que nous refusons ceux qui portent atteinte à notre souveraineté alimentaire et qui organisent une concurrence parfaitement déloyale.
M. le président
La parole est à Mme Julie Ozenne.
Mme Julie Ozenne (EcoS)
Je tiens tout d’abord à apporter mon entier soutien à l’Office français de la biodiversité et à ses policiers – ils en ont vraiment besoin. (M. Christophe Bex applaudit.)
Davantage d’abandon, voilà le bilan pour la majorité des agriculteurs et des agricultrices un an après le début des plus grandes mobilisations que la profession ait connues depuis des décennies : 86 % d’entre eux sont inquiets pour la viabilité de leur ferme en raison des conséquences du changement climatique ; 90 % sont prêts à accélérer leur transition vers des pratiques agro-écologiques. C’est ce que révèle la grande consultation du Chic Project. À cette inquiétude, à cette demande d’accompagnement, comment a-t-on répondu ? Avec davantage de dérégulation, des reculs environnementaux en pagaille et rien pour sécuriser les revenus.
Depuis un an, votre rôle, madame la ministre, aurait dû consister à agir avec clairvoyance pour le bien-être de la majorité des agriculteurs, en particulier des plus vulnérables. Au lieu de quoi vous n’avez fait que céder à l’intimidation d’une minorité, à l’intimidation de ceux qui tirent les ficelles d’un modèle agricole à bout de souffle et qui met sur le carreau la majorité des paysans.
Allez-vous donc protéger nos agriculteurs face à la financiarisation des terres agricoles ? Allez-vous les défendre face à des projets aberrants et contre lesquels ils n’ont aucun moyen d’être compétitifs ? Je pense à la multinationale néerlandaise Agro Care qui veut construire à Isigny-le-Buat, dans le sud de la Manche, une usine de fabrication hors sol de tomates, lesquelles seront perfusées aux engrais chimiques et au gaz sur une surface équivalente à quarante-six terrains de football.
Allez-vous continuer de céder aux intimidations ou tiendrez-vous le cap d’une transition dont les agriculteurs ont tant besoin, en réorientant les financements publics dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. Benoît Biteau
Bravo, madame Ozenne !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
En ce qui concerne le prétendu recul environnemental de la France, je rappelle que notre pays s’est engagé à une moindre utilisation d’intrants phytopharmaceutiques, phytosanitaires, et je suis convaincue qu’il n’y reviendra pas. C’est une marche en avant. Reste qu’il faut se préparer au retrait des substances et à leur remplacement par des solutions alternatives – c’est le sens du Parsada, évoqué tout à l’heure. Reste qu’il faut mobiliser la recherche fondamentale – je crois beaucoup à tout ce qu’elle peut nous apporter.
Mais il faut aussi traiter l’urgence. Ainsi, diriez-vous, les yeux dans les yeux, à un producteur : « Tes productions sont endommagées parce qu’on t’a interdit un traitement, mais ce n’est pas mon problème puisque l’environnement s’en trouvera amélioré » ?
Mme Julie Ozenne
Trois suicides, madame, dans cette branche !
Mme Annie Genevard, ministre
Leur diriez-vous vraiment cela, les yeux dans les yeux ? Moi, non.
Mme Julie Ozenne
Trois suicides !
Mme Annie Genevard, ministre
C’est la réalité de certaines filières.
Mme Julie Ozenne
La réalité, ce sont les suicides, madame !
Mme Annie Genevard, ministre
Là où je vous rejoins, monsieur Biteau, c’est sur les vertus de l’agronomie : elle apporte en effet de nombreuses solutions. Néanmoins, quand un organisme est malade, on peut admettre le principe de son traitement – à condition que celui-ci n’obère pas la santé humaine.
M. Benoît Biteau
Pourquoi est-il malade ? Voilà la question !
Mme Annie Genevard, ministre
En ce qui concerne le soutien aux plus vulnérables, après une enveloppe de 30 millions d’euros, nous avons abondé le budget de la MSA de 20 millions, soit 50 millions d’euros au total, afin de permettre des exonérations supplémentaires de charges. Nous veillons de près aux plus fragiles : hier, j’ai réuni les représentants de la dizaine d’associations qui s’occupent des agriculteurs en grande difficulté et en grande détresse.
M. le président
Merci, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je travaille beaucoup avec eux parce que, comme vous, je suis préoccupée au plus haut point par l’important taux de suicides dans le monde agricole.
M. le président
Je vais être obligé de serrer un peu la vis en ce qui concerne le temps de parole, aussi bien pour les questions que pour les réponses, afin que nous puissions en terminer avec les deux débats d’ici à la fin de la séance.
La parole est à M. Hubert Ott.
M. Hubert Ott (Dem)
Il est désormais essentiel de reconnaître que les agriculteurs, partout en France, jouent un rôle crucial, qui va bien au-delà de la production alimentaire. Ils façonnent les paysages, interagissent avec la biodiversité – souvent de façon positive –, participent à la gestion de ressources vitales telles que l’eau et contribuent concrètement à la lutte contre le changement climatique. Pourtant, ce travail si indispensable reste méconnu car insuffisamment valorisé et, surtout, mal récompensé.
Dans ce cadre, l’agriculture de montagne mérite une attention particulière. Les territoires concernés, souvent complexes à exploiter, sont pourtant le théâtre d’une résilience exceptionnelle : les agriculteurs y assurent une gestion inventive de l’eau, maintiennent des pièges à carbone naturels et empêchent l’érosion des sols, tout en contribuant à la pérennité de paysages, qui sont à la fois un grand patrimoine et une protection contre les effets du changement climatique. Ce travail environnemental repose presque exclusivement sur leur engagement et sur des dispositifs européens comme les Maec.
Ces services rendus par les agriculteurs sont essentiels mais leur reconnaissance, j’y insiste, reste insuffisante. Comment la France entend-elle peser davantage au niveau européen pour renforcer et élargir ces dispositifs, car il est désormais plus que souhaitable de valoriser financièrement ce travail gratuit effectué au bénéfice de tous ?
Il est par ailleurs urgent de simplifier certaines contraintes, en particulier administratives, qui alourdissent leur quotidien. Envisagez-vous, en la matière, des mesures concrètes ? Il s’agit en effet de mieux soutenir les agriculteurs dans leur double mission : produire tout en façonnant l’environnement de manière vertueuse.
Enfin, l’accord Mercosur, récemment signé, va à contre-courant de ces objectifs en autorisant des importations qui ne respectent pas nos standards. Cet accord est un signal négatif envoyé à nos agriculteurs et je tiens à exprimer ma ferme opposition à ce choix. Merci, madame la ministre, pour vos réponses et pour vos actions destinées à défendre l’agriculture française.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vais tâcher de respecter le temps qui m’est imparti, monsieur le président.
Je suis très attachée à l’agriculture de montagne – activité économique matricielle de la montagne – puisque, dans le cadre de l’acte II de la loi montagne, j’ai travaillé très spécifiquement sur le sujet. On ne vantera jamais assez les externalités positives de cette agriculture – je pense au pastoralisme.
Je suis d’accord avec vous : la nature est l’outil de travail des paysans. Ils n’ont donc aucun intérêt à l’abîmer. Ils sont les premiers intéressés à la conservation de l’eau et à la qualité des sols – ressources vitales. Je le répète : les agriculteurs sont les premiers entrepreneurs du vivant, n’en déplaise à ceux qui voudraient laisser entendre le contraire.
Je suis bien sûr favorable au développement des Maec, qui permettent de compenser les surcoûts liés aux changements de pratiques. Elles font partie du deuxième pilier de la PAC, vous le savez, qui suppose l’écoconditionnalité. Je ne peux donc qu’encourager, j’y insiste, les Maec, essentielles pour l’avenir de notre agriculture.
Vous évoquez ensuite les normes. Vous savez mon engagement quotidien pour simplifier la vie des agriculteurs : mise en place du contrôle administratif unique, adaptation de l’administration aux dates des travaux agricoles, etc. Avec les organisations syndicales agricoles, j’ai lancé les rendez-vous mensuels de la simplification : l’objectif est de venir méthodiquement à bout de tous les freins à la production dès lors qu’ils ne sont pas justifiés.
Vous êtes revenu à raison sur le Mercosur. La position de la France est constante : l’accord tel qu’il a été négocié est inacceptable, singulièrement en ce qui concerne notre agriculture.
M. le président
La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme Géraldine Bannier (Dem)
Hier, dans son discours de politique générale, le premier ministre a évoqué la crise morale des agriculteurs – vous parlez de crise de sens, madame la ministre –, accusés de nuire à la nature. Aussi entends-je vous interroger sur les mesures concrètes de simplification qui pourraient être rapidement appliquées par les exploitations. Les agriculteurs, on le sait, croulent sous les normes, au point que la situation est devenue bien difficile à vivre, même pour les jeunes générations pourtant davantage formées et aguerries aux contraintes administratives.
Un agriculteur de mon territoire – une terre d’élevage, elle aussi –, jeune retraité, m’expliquait il y a quelques jours le choc qu’il avait ressenti en se retrouvant brutalement au tribunal face à une instruction de soixante-dix pages concernant la préservation des mésanges bleues sur son exploitation. Il n’a finalement pas été pénalisé, mais l’expérience l’a profondément marqué. Il m’a également parlé de son fils, jeune agriculteur installé, qui a subi un contrôle entre huit heures et dix-neuf heures. De telles situations ne peuvent que susciter angoisse et nuits difficiles.
On sait qu’un travail a commencé, en lien avec les préfectures. Mais, concrètement, qu’a-t-on simplifié ? Une analyse des normes est-elle prévue afin de déterminer celles qui seraient contradictoires ou inadaptées à des situations particulières ? Des dérogations peuvent-elles être accordées ? Comment peut-on accompagner plus humainement les agriculteurs ? Merci pour votre éclairage, madame la ministre. La multiplication des normes a profondément transformé le travail quotidien des agriculteurs. Je ne serai pas plus longue car les agriculteurs aiment la parole brève et efficace. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Merci pour votre concision, madame Bannier.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez raison, madame Bannier, les agriculteurs veulent des actes et pas des mots. Le principe du contrôle administratif unique est que le préfet du département réunit une mission interservices administratifs (Misa) destinée à coordonner les plans de contrôle, de sorte qu’il n’y ait pas plus d’un contrôle par an et par exploitation. Nous ne nous sommes toutefois pas arrêtés là.
Les acomptes des aides PAC seront versés à tous les agriculteurs, même quand ils sont contrôlés – jusqu’à présent, il fallait en effet attendre la fin du contrôle pour que soit délivré l’acompte. Les informations Telepac relatives à l’admissibilité des parcelles seront désormais doublées d’un envoi par courriel – c’est tout bête, mais quand l’agriculteur est sur ses parcelles, il disposera ainsi d’un document papier auquel se référer.
En ce qui concerne le programme d’actions national nitrates, j’ai demandé aux préfets de région de mobiliser tout le champ des dérogations qui leur est offert et d’engager, en outre, mesure très demandée par les agriculteurs, un processus de révision des plans d’action régionaux (PAR), avec pour objectif, dans les quatre mois, de rendre ces plans plus lisibles et plus compréhensibles – les intéressés n’y comprennent rien, or comment appliquer ce qu’on ne comprend pas ? Il s’agit de rendre les PAR plus efficaces au regard de leurs objectifs environnementaux.
En ce qui concerne la gestion de l’eau, un guide pédagogique, préparé en lien avec la profession, sera par ailleurs diffusé à l’attention des agriculteurs pour faciliter leur compréhension de la réglementation qui s’applique à l’entretien des cours d’eau et des fossés, lesquels font l’objet de contrôles et de mises en cause fréquents.
Pour ce qui est des cultures, nous préparons avec le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, un projet de décret visant à demander à l’Anses, dans le respect de ses prérogatives et de son indépendance, de donner la priorité aux mesures les plus susceptibles de toucher les filières.
Monsieur le président, je vous demande une faveur, celle de dépasser mon temps de parole, car j’en suis à un point capital.
M. le président
Elle vous est accordée, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Merci beaucoup. S’agissant des relations entre l’OFB et le monde agricole, nous avons rédigé, avec le ministère de la transition écologique, une circulaire visant à ce que ses agents fassent tout pour renouer le dialogue avec les agriculteurs. La déclaration tenue ce matin à la radio par un agent de l’OFB n’améliorera sans doute pas leurs relations, mais il faudra, à un moment ou à un autre, retrouver le chemin du dialogue. Nous avons proposé que les agents de l’OFB agissent dans le cadre du contrôle administratif unique. Nous avons également suggéré l’usage d’une caméra piéton afin que la tension baisse – ainsi que nous l’avons fait avec les policiers et les pompiers.
Pour ce qui est des installations classées, une circulaire aux préfets est en préparation avec le ministère de la transition écologique, visant à raccourcir les délais et à privilégier les contrôles à vocation pédagogique pour les jeunes.
S’agissant de la déconcentration des décisions relatives aux travaux agricoles, nous voulons déléguer au niveau local la fixation des dates les concernant.
Enfin, j’ai demandé à l’administration de créer un système numérique qui permette aux agriculteurs de ne pas répéter des heures durant, d’un service à l’autre, la saisie des mêmes informations. Une seule fois doit suffire.
M. le président
La parole est à M. David Guerin.
M. David Guerin (HOR)
Il y a urgence non seulement à reprendre le projet de loi d’orientation agricole – il sera examiné au Sénat dans les prochaines semaines et c’est une bonne chose –, mais aussi à fixer des caps précis et des stratégies de production. Au-delà de ces mesures indispensables pour soulager les agriculteurs, notamment en matière de trésorerie, parce que le monde agricole traverse une crise grave et profonde, la question est de savoir quelle agriculture nous voulons pour demain.
Notre souveraineté alimentaire n’est plus assurée. Il y a encore une dizaine d’années, nous exportions des poulets de chair ; aujourd’hui, plus de la moitié des poulets consommés en France sont importés. En 1984, des quotas laitiers ont été instaurés pour limiter la production ; aujourd’hui, nous importons du lait.
Cette question recouvre non seulement les enjeux économiques, fonciers, sanitaires, de renouvellement des générations et d’attractivité du métier, mais aussi les enjeux d’aménagement de nos territoires, démographiques, du maintien de la vie dans les zones rurales et de l’entretien de nos paysages.
La profession est en danger tant la lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et affaiblit notre compétitivité. Alors que les charges sociales et les normes environnementales sont toujours plus lourdes, les crises sanitaires, climatiques et politiques se succèdent de plus en plus fréquemment. Les agriculteurs sont trop souvent à bout de forces : la prédation et les épidémies affaiblissent les éleveurs ; en 2024, les rendements des céréaliers ont été très faibles et les vendanges catastrophiques.
Nos agriculteurs ont trop souvent le sentiment d’être seuls face aux défis du quotidien, sans parler des défis de demain. Ils se sentent mal compris et ont l’impression d’être la variable d’ajustement des autres secteurs, en particulier du commerce et de la grande distribution. Leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur et le pays méconnaît leur rôle fondamental.
Le groupe Horizons & indépendants place l’agriculture et chaque agriculteur au cœur de la ruralité et ne veut plus baisser les bras. Nous devons avoir de l’ambition pour l’agriculture française.
M. le président
Merci de poser votre question, cher collègue.
M. David Guerin
Quelles sont les lignes directrices que vous souhaitez donner au projet de loi d’orientation agricole – un texte que vous prenez en cours de route –, notamment pour redonner de la visibilité aux agriculteurs, cette profession qui en a tant besoin ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous évoquez le projet de loi d’orientation agricole : j’ai participé au débat qui a précédé son adoption et j’ai défendu un certain nombre d’amendements. Je souhaite que son examen par le Sénat se poursuive dans les mêmes conditions. Dès le 4 février, les sénateurs pourront enrichir le texte, mais il sera impératif d’aller vite, afin qu’il soit adopté le plus tôt possible.
L’examen du texte au Sénat sera l’occasion d’en sécuriser les acquis : la fin du tout-correctionnel en matière agricole, la suppression du diagnostic des sols pour éviter les contentieux incessants des ONG militantes, la suppression des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) afin d’empêcher la financiarisation des terres agricoles, l’adaptation de la réglementation des haies, la reconnaissance des agricultrices, le rétablissement de la parité entre enseignements public et privé, surtout la création de France Services agriculture, FSA, un guichet unique à destination des repreneurs et des cédants.
S’y ajoutent un certain nombre de dispositions qui, je l’espère, inscriront l’agriculture au bon niveau stratégique, à hauteur de l’importance que nous lui accordons. Il est essentiel de placer l’agriculture à sa juste place dans la hiérarchie des activités utiles à la nation, notamment pour la reconquête de notre souveraineté alimentaire.
Vous avez cité le cas de la filière volaille, qui illustre bien notre perte de souveraineté. Rappelons qu’un poulet sur deux vendus en France est produit dans un autre pays. En outre, 80 % du poulet consommé dans la restauration hors domicile n’est pas produit en France. La perte de souveraineté est majeure, mais tout le monde refuse d’avoir des poulaillers près de chez soi. Il faudra que les Français s’interrogent sur leur schizophrénie en la matière.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Bouyx.
M. Bertrand Bouyx (HOR)
Il y a un an, le monde agricole français et européen exprimait sa colère à travers une mobilisation sans précédent, en réponse à la hausse des coûts de production, à la lourdeur des démarches administratives et au très controversé traité du Mercosur. Soixante-dix engagements ont été pris afin de répondre aux attentes des agriculteurs, visant notamment à mieux reconnaître leur métier, à redonner de la valeur à notre alimentation et à simplifier leur quotidien. Tous ces engagements sont en cours de mise en œuvre.
Certes, le projet de loi d’orientation agricole reprendra bientôt son chemin législatif, mais la censure du gouvernement, en décembre dernier, a empêché les agriculteurs de bénéficier d’un grand nombre de mesures concrètes. Je pense notamment au calcul des pensions de retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenu d’activité, à l’augmentation de 20 % à 30 % du taux d’exonération de la taxe foncière sur les terres agricoles, ou encore au renforcement des dispositifs favorisant la transmission à un jeune agriculteur. Ces mesures étaient attendues par la profession dans un contexte particulièrement difficile. La profession souffre depuis des années et a besoin que ses revendications soient entendues.
Nous devons défendre notre agriculture, nos paysans, nos terroirs et nos paysages. Les dossiers urgents sont nombreux et la crise agricole que traverse notre pays ne peut plus souffrir d’un retard dans l’action. Après la reprise de la mobilisation, je ne doute pas que les agriculteurs bénéficieront du soutien ferme du gouvernement.
À quelles échéances et selon quel calendrier l’application concrète de ces mesures aura-t-elle lieu ? Nous devons reprendre le travail au plus vite. Quand pouvons-nous espérer voir le projet de loi d’orientation agricole adopté ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je répondrai d’abord à votre deuxième question. Je salue Mme Nicole Le Peih et M. Pascal Lecamp, qui attendent avec une impatience que je partage l’adoption du projet de loi d’orientation agricole, dont ils ont été les rapporteurs diligents.
Vous m’interrogez également au sujet du budget. Il faut qu’il soit adopté le plus vite possible. Avec le ministre de l’économie et la ministre des comptes publics, nous avons pris des dispositions pour que le budget s’applique rétroactivement dès son adoption. Le 31 décembre dernier, nous avons publié un communiqué de presse en ce sens – il était très important de faire une déclaration à ce sujet.
Concernant l’agriculture, nous espérons pouvoir délivrer rapidement les aides d’urgence – indemnisation des élevages, prêts de soutien à la trésorerie –, mais, à l’exception du dispositif sur le GNR, valable jusqu’en 2025 et qui ne sera donc pas affecté par une interruption, l’amélioration de la couverture du TODE, grâce à l’adoption d’un amendement, et le demi-milliard d’allègements sociaux et fiscaux devront attendre l’adoption du budget. C’est dramatique ! Et je ne mentionne pas les appels à projets et les crédits d’intervention… Actuellement, le ministère ne peut lancer aucun appel à projets et ne peut engager aucun crédit pour intervenir dans les filières. Nous sommes dans une situation de blocage.
Vos collègues du Rassemblement national affirment qu’il s’agit d’un mensonge et que la censure n’a rien changé. Je les invite à l’expliquer aux filières, aux producteurs, aux agriculteurs et aux éleveurs !
M. le président
La parole est à M. Jean-Pierre Bataille.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT)
Ma question rejoint celles de MM. Dufau et Di Filippo. Toutefois, en tant que conseiller régional des Hauts-de-France, je souhaite appeler votre attention sur cette région. Depuis un an, nos agriculteurs réclament une véritable écoute et des actions concrètes de la part du gouvernement. Plus que jamais, ils ont besoin d’un choc de simplification administrative, d’évolutions fiscales adaptées et de meilleures conditions de travail – vous l’avez souligné. Malheureusement, de nombreuses mesures législatives et réglementaires attendent de pouvoir être appliquées.
Dans les Hauts-de-France, la situation est rendue critique par l’apparition du sérotype 3 de la FCO. Le 9 janvier, 2 589 foyers avaient été identifiés depuis août 2024, affectant gravement les troupeaux ovins et bovins. Les mesures qui ont été prises – zones régulées, stratégies vaccinales, fonds d’indemnisation de 75 millions d’euros – atteignent leurs limites. L’indemnisation exclut les pertes de jeunes animaux, âgés de moins de 12 mois, et résultant d’avortements, alors que la mortalité des jeunes bovins a augmenté de 45 % dans l’Aisne et dans le Nord. De plus, les pertes indirectes – baisse de production laitière, frais vétérinaires, absence de revenus liés aux veaux et aux agneaux – ne sont pas prises en compte. Les éleveurs des Hauts-de-France subissent ainsi une double peine : impact direct de la maladie et dispositifs inadaptés.
Madame la ministre, envisagez-vous d’élargir l’indemnisation aux pertes de jeunes animaux et aux pertes indirectes, de renforcer la surveillance de la circulation des maladies et d’accélérer la mise à disposition de vaccins adaptés ? Il semblerait que les régions atteintes par le sérotype 3 pourraient être contaminées par le sérotype 8. Faudra-t-il une double vaccination ou bien existe-t-il un vaccin combiné ?
Enfin, pourrez-vous apporter des réponses rapides au sujet de l’éligibilité des exploitations concernées aux aides couplées animales, du règlement des acomptes des exploitations éligibles et de la campagne de vaccination 2025 ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Encore et toujours les crises sanitaires, mais vous avez raison, c’est un sujet brûlant. Sachez que notre méthode suppose de travailler en permanence avec les éleveurs et que toutes les décisions sont prises en concertation avec eux. Qu’il s’agisse des critères, des cibles ou des modalités de versement, nous travaillons en permanence avec les éleveurs. Aucune décision n’a été prise sans leur aval.
La France est le seul pays européen, à ma connaissance, qui assure le financement de la vaccination et l’indemnisation de la mortalité. La Belgique a envisagé cette dernière, mais nous sommes les seuls à l’appliquer. Sans budget, ce dispositif ne tiendra pas indéfiniment.
Non seulement il y a les pertes liées à la mortalité, en particulier dans la filière ovine, mais il y a les pertes liées à la fertilité et aux avortements dans des proportions hors-norme. Nous suivons tout cela attentivement.
Nous essayons d’avancer pas à pas, toujours en lien avec les intéressés, qui sont des sources précieuses d’information et auprès desquels nous vérifions constamment que les mesures prises sont bien celles qu’ils attendent.
M. le président
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva (LIOT)
La cercosporiose, surnommée « cancer de la banane », est un champignon ravageur qui menace sévèrement la pérennité des bananeraies en Guadeloupe et en Martinique. Véhiculées par le vent, les spores de ce champignon se propagent rapidement dans l’ensemble de nos territoires. Sans intervention efficace, cette maladie peut détruire une plantation en moins de trente jours. Pourtant, des solutions innovantes, telles que l’utilisation de drones pulvérisateurs pour l’épandage de fongicides biologiques, ont montré leur efficacité, notamment en Europe. Ces dispositifs permettent une application précise des traitements à proximité des feuilles, améliorant ainsi leur efficacité tout en réduisant la pénibilité pour les travailleurs.
Les techniques utilisées aujourd’hui ne permettent pas de lutter efficacement contre la propagation de ce champignon destructeur. Les atomiseurs à dos d’homme pèsent plus de 40 kilos. Je les ai moi-même essayés à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, à la demande des agriculteurs. Le traitement par canon de pulvérisation se révèle non seulement insuffisant pour traiter la partie supérieure des feuilles, où l’on trouve pourtant une concentration importante du cancer de la banane, mais présente aussi un risque élevé de dérives.
Cependant, en France, la réglementation en vigueur assimile les aéronefs pilotés à des engins d’aviation civile et interdit, contrairement à d’autres pays européens, leur usage dans le cadre d’activités agricoles. Cette situation crée une inégalité concurrentielle et entrave la modernisation de nos pratiques agricoles. Par ailleurs, nos producteurs disposent d’un nombre plus restreint de substances actives pour lutter contre la cercosporiose que ceux d’Amérique centrale et latine – tiens, ceux du Mercosur ! L’efficacité des traitements qu’ils appliquent s’en trouve donc limitée.
Que comptez-vous faire pour lever ces freins administratifs et technologiques qui condamnent nos bananeraies et pour garantir la pérennité d’une filière essentielle à l’économie et à l’emploi des territoires ultramarins, la Guadeloupe et la Martinique notamment ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
La filière de la banane est très affectée par la cercosporiose, dont le traitement serait bien plus efficace s’il était dispensé par drone plutôt que depuis le sol. Cela pour des raisons évidentes : depuis le sol, on atteint moins facilement les sommités de la plante ; en outre, les agriculteurs sont mieux protégés d’éventuelles projections du produit phytosanitaire lorsque celui-ci est répandu en hauteur pour ruisseler jusqu’au pied de la plante.
Le député Jean-Luc Fugit a déposé une proposition de loi visant à autoriser l’épandage par drone. Nous avons commencé à l’examiner au mois de novembre, lors d’une séance qui n’a pas été prolongée après minuit, alors qu’il restait seulement six amendements à discuter. La censure du Gouvernement est intervenue juste après… Nous reprendrons au plus tôt la discussion de ce texte, car il est utile : contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’utilisation des drones permet de mieux cibler la dispersion du produit, dans l’intérêt de la santé de l’agriculteur, des sols et de l’environnement.
M. Olivier Serva
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Dans les départements ruraux comme celui du Cher, d’où je viens, la majorité de nos agriculteurs et de nos paysans sont en difficulté. Aux problèmes structurels créés par une agriculture soumise à des accords de libre-échange délétères et destructeurs comme celui avec le Mercosur ou par des conditions d’exploitation qui favorisent la concentration s’ajoutent des catastrophes climatiques qui mettent à mal la production, le revenu et le moral des agriculteurs.
Dans cette situation, il importe de reconnaître la diversité des exploitations agricoles et de réorienter la PAC pour mieux prendre en compte l’urgence climatique et répondre au double enjeu de la souveraineté alimentaire et de la sécurisation du revenu des paysans et exploitants. Dans ce cadre et pour que tous les paysans et les agriculteurs, quelle que soit leur production, soient acteurs de la transformation progressive de notre modèle agricole, le gouvernement ne doit pas seulement garantir un prix rémunérateur, il doit aussi favoriser plus de démocratie et de participation.
Bien que les prochaines élections soient désormais trop proches pour l’envisager rapidement, ne serait-il pas temps de revoir les règles de représentation au sein des chambres d’agriculture et d’aller vers la proportionnelle intégrale ? Il faut respecter le choix de tous les exploitants, ce qui n’est pas le cas lorsque la liste arrivée en tête se voit attribuer 50 % des sièges à pourvoir : cette règle constitue moins un gage de stabilité qu’un outil de maintien de l’ordre établi, de plus en plus contesté par les exploitants.
C’est dans le même esprit que nous œuvrerons contre la captation de la valeur ajoutée par les géants de l’agrofourniture, du négoce, de l’agroalimentaire et de la grande distribution. C’est ainsi que nous parviendrons à transformer notre modèle agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
J’entends que vous voulez transformer le modèle agricole, mais il me semble que nous devrions d’abord chercher à le préserver, à le protéger et à le pérenniser. En effet, notre agriculture connaît aujourd’hui de multiples dangers, que vous avez d’ailleurs rappelés. Vous évoquez la réorientation de la PAC : ce sera le prochain combat à mener.
M. Nicolas Sansu
Ma question portait sur les élections aux chambres d’agriculture !
Mme Annie Genevard, ministre
Certes, mais vous n’avez pas parlé que de cela. Vous avez bien parlé de réorienter la PAC ? Permettez que je vous réponde sur ce point. La nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2025, doit permettre de protéger le revenu des agriculteurs. Le revenu étant le premier pilier de cette politique, nous devrons continuer de la faire reposer sur deux piliers. Nous devrons aussi la doter d’un budget suffisant et, enfin, la simplifier. Tous les pays européens se sont accordés sur ces orientations.
Vous avez évoqué la diversité des productions ; c’est un point très important. Fragiliser une culture – celle de la noisette a été évoquée plus tôt –, c’est réduire cette diversité. Or l’agriculture française est extraordinairement diverse et sa diversité constitue un trésor qu’il nous faut protéger.
La question des règles de représentation syndicale m’a évidemment été posée. Les cinq principales organisations syndicales – FNSEA, Jeunes Agriculteurs (JA), Coordination rurale, Confédération paysanne et Modef –, que j’ai toutes reçues et écoutées, souhaitent leur évolution, mais chacune selon des modalités différentes. J’ai décidé de ne pas réviser ces règles à quelques semaines des prochaines élections aux chambres d’agriculture : cela ne se fait pas, pas plus dans le cadre d’élections générales que d’élections professionnelles.
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR)
Je souhaite revenir sur le coup de poignard porté au monde agricole par la présidente de la Commission européenne, qui a signé, le 6 décembre dernier, l’accord entre l’UE et le Mercosur. Non seulement le contenu de cet accord est dramatique et totalement contradictoire avec la volonté affichée de renforcer la durabilité de l’agriculture européenne et notre souveraineté alimentaire, mais le coup de force d’Ursula von der Leyen témoigne du fossé grandissant entre les différents intérêts des pays membres autant que du délitement de la coopération européenne en matière agricole.
Certes, cette signature ne vaut pas ratification, mais, en coulisse, le plan semble si bien rodé que le travail de vérification juridique et de traduction a débuté avant que le projet d’accord ne soit soumis au vote du Conseil – un vote à la majorité qualifiée –, puis à celui du Parlement européen – un vote à la majorité simple.
Le 26 novembre dernier, notre assemblée s’est largement prononcée pour le rejet de cet accord. Comme une large part des agriculteurs européens, toute la profession agricole française s’y oppose. Lors de ce débat, vous avez confirmé que la France était non seulement prête à faire usage de son droit de veto au Conseil européen, mais également qu’elle refuserait tout découpage de l’accord en deux parties, l’une politique et l’autre commerciale, pour éviter une adoption sans vote des parlements nationaux.
Où en sommes-nous dans la construction du rapport de force européen avec les États prêts à constituer une minorité de blocage au Conseil ? Comment entendez-vous agir, avec le gouvernement, pour empêcher la présidente de la Commission de mépriser les agriculteurs européens et français en poursuivant, comme si de rien n’était, la mise en application de cet accord ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous évoquez l’accord entre l’UE et le Mercosur et les modalités de son éventuelle adoption. La signature de cet accord par Ursula von der Leyen à Montevideo ne marque pas la fin du processus d’adoption de ce texte, mais le début d’un parcours qui l’amènera devant le Conseil, puis devant le Parlement européen.
En définitive, deux cas de figure pourraient se présenter. Si l’accord n’était pas scindé, il ne pourrait être adopté qu’à l’unanimité. Autant dire d’emblée que cette condition ne sera pas satisfaite, car l’Autriche, la Belgique, l’Italie – du moins je l’espère –, la Pologne et d’autres pays se sont prononcés contre l’accord ou ont indiqué qu’ils s’abstiendraient. Je ne suis pas devin et je ne connais pas la stratégie d’Ursula von der Leyen,…
M. Jean-Paul Lecoq
Il sera scindé, comme le Ceta !
Mme Annie Genevard, ministre
…mais je suppose que l’accord peut être scindé en un accord commercial et un accord-cadre. Dans cette hypothèse, il s’agirait soit de constater une minorité de blocage, déterminée selon des règles précises – un tiers des pays membres, un tiers de la population communautaire –, soit d’empêcher l’adoption de l’accord à la majorité – l’abstention trouverait alors tout son intérêt.
Je me bats non pour des compensations, mais bien pour que cet accord ne soit pas conclu. Certaines dispositions, relatives à des productions industrielles ou même agricoles, sont intéressantes, et vous observerez que les filières concernées restent, par solidarité, très discrètes. En revanche, d’autres dispositions sont mauvaises, notamment celles relatives aux filières sucre, volaille et éthanol. C’est pourquoi nous devons continuer d’affirmer notre opposition ferme à l’accord.
M. le président
La parole est à M. Éric Michoux, pour le groupe UDR.
M. Éric Michoux (UDR)
Ma question porte sur l’application tous azimuts du principe de précaution en matière agricole, parfois jusqu’à détruire des filières d’excellence. Je veux notamment vous parler de la volaille de Bresse, la plus belle des volailles du monde, et de son marché de Louhans.
Il y a vingt ans, la filière produisait 1 400 000 volailles, contre 800 000 seulement aujourd’hui. Depuis 2000, le nombre d’éleveurs a été divisé par deux. L’une des raisons de cette situation est l’application absurde du sacro-saint principe de précaution, devenu principe d’inaction, d’immobilisme et parfois de régression.
L’exemple de l’arrêté préfectoral pris par Didier Lallement pour fermer le marché de Louhans est éclairant. Face à l’apparition d’un foyer isolé de grippe aviaire touchant les oiseaux migrateurs au sud de Moscou, le gouvernement a décidé de mesures de protection généralisée des élevages. Bien que le risque de contamination des volailles par les oiseaux migrateurs ait été négligeable, il a considéré que le principe de précaution imposait de renforcer les mesures de surveillance et de protection. En pratique, on a donc fermé le marché de Louhans et imposé le maintien des volailles dans leurs élevages ! Le rassemblement d’oiseaux vivants dans les foires, les marchés et les expositions a été suspendu sur l’ensemble du territoire.
À cause de quelques oiseaux à Moscou, on ferme le marché de Louhans. Chaque année, c’est la même chose ! Voilà une illustration éclatante des conséquences dévastatrices de l’application du principe de précaution.
Madame la ministre, vous avez fait de la pause dans l’application des normes un cheval de bataille, ce qui mérite d’être salué. Seriez-vous prête, dans une logique transpartisane, à abolir un principe de précaution qui nuit gravement à l’initiative économique, à l’agriculture et à l’industrie, et à lui préférer un principe de responsabilité ou un principe de bon sens ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous faites le défenseur de votre territoire, de la belle volaille de Louhans et de sa foire – vous m’en avez déjà parlé –, mais soyons clairs : la résurgence de l’influenza aviaire porte en elle les germes de désordres et de dangers majeurs ! En 2021, il a fallu abattre tous les canards. Pourquoi ? Car ils véhiculent la maladie.
Pourquoi est-il question d’oiseaux migrateurs ? Vous soulignez que les oiseaux repérés en Russie sont peu nombreux, mais le problème qu’ils posent n’est pas négligeable pour autant. Sans confinement, les volailles pourraient être contaminées par les oiseaux migrateurs, ce qui provoquerait une flambée épidémique que nous ne maîtriserions pas. En 2021, il a fallu consacrer plus de 1 milliard d’euros au sauvetage de la filière du canard en France.
Vous faites non de la tête,…
M. Éric Michoux
En effet !
Mme Annie Genevard, ministre
…mais sachez que la résurgence de l’influenza aviaire est la conséquence d’un défaut de biocontrôle. Sachez aussi que notre politique sanitaire et notre filière sont regardées par des pays où flambe l’influenza aviaire. Nous devons donc être très vigilants, car si nous n’y prenons pas garde, toute la filière pourrait en souffrir. Vous viendriez alors me supplier d’indemniser ses acteurs, par crainte qu’il n’y ait plus aucun producteur de volailles à l’avenir !
M. Éric Michoux
On a déjà perdu la moitié des producteurs !
M. le président
La parole est à M. Bartolomé Lenoir.
M. Bartolomé Lenoir (UDR)
Une nation qui n’est plus capable de nourrir son peuple n’est ni libre ni indépendante. Plus que jamais, notre souveraineté alimentaire est stratégique. Les agriculteurs travaillent non seulement pour leur famille, mais aussi pour la France.
Comment tolérer que les agents de l’OFB se rendent armés dans leurs exploitations ? Quel est ce pays qui traite ainsi ceux qui le servent ?
Répondre à la crise que traversent les agriculteurs est une urgence, pour eux-mêmes, mais aussi pour la France. Il faut agir dès maintenant pour qu’ils ne meurent pas – c’est bien de cela qu’il s’agit –, mais cette réponse doit être massive, afin que dans cinq, dix ou vingt ans les agriculteurs puissent encore vivre dignement de leur travail, sans avoir à demander de l’aide.
Les agriculteurs ne prennent pas plaisir à manifester : leur appel est celui d’un peuple qui ne veut pas mourir ! Il faut traiter le fond du problème, sans quoi notre État surendetté ne parviendra pas à panser ses plaies. Que ferez-vous pour que les bureaucrates des administrations françaises et européennes posent enfin leurs crayons et se concentrent sur le dépistage plus précoce de la FCO et de la MHE ? Sans cela, les agriculteurs seront encore en crise à l’automne prochain !
Que ferez-vous pour qu’Ursula von der Leyen et ceux qui dirigent l’Europe la servent au lieu de la trahir ?
Sans cela, demain, les agriculteurs seront encore en crise. De par notre histoire, le lien qui existe entre les Français et leurs agriculteurs est unique au monde. L’élevage et la culture font partie de notre identité. Quand la France se résoudra-t-elle à les défendre pour que, dans vingt ans, nos enfants puissent encore s’émerveiller en apercevant dans le lointain un agriculteur qui laboure son champ ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous posez la question de la souveraineté. Pas plus que vous, je ne peux me satisfaire qu’en France, la moitié des fruits et légumes, et même 70 % des fruits consommés, n’y soient pas produits. Notre perte de souveraineté alimentaire est dramatique car, l’alimentation étant stratégique, elle peut devenir une arme. On l’a bien vu à propos du blé dans le conflit russo-ukrainien.
Nous nous sommes habitués à vivre dans un monde en paix, à accéder à l’alimentation en tout lieu du territoire, sans nous soucier de sa provenance, mais qu’arriverait-il si, demain, nous ne devions compter que sur nous-mêmes ? Rappelez-vous ce qui est arrivé pendant la crise du covid : nous n’avions pas de vaccins ! Tout ce qui nous fait perdre de la souveraineté nous met en danger et nous fragilise. Or l’alimentation est tellement vitale qu’on doit y prêter une attention toute particulière.
Je ne peux donc que partager votre souci de la souveraineté alimentaire. Cette question est liée à celle de la concurrence déloyale, que nous créons en nous imposant des normes et en surtransposant, mais aussi en important des produits de pays extracommunautaires qui utilisent des substances que nous avons interdites sur notre sol depuis bien longtemps. Je pense par exemple au Brésil, où l’usage d’hormones de croissance et d’antibiotiques est autorisé. Lutter contre la concurrence déloyale, c’est aussi œuvrer pour notre souveraineté.
Il nous faut également redonner du sens : la crise agricole est aussi une crise du sens, sur laquelle je veux insister, alors que nous approchons de la fin de ce débat. Cette crise est très profonde. À force de taper sur nos agriculteurs, on en vient à créer chez eux un doute sur le fondement même de leur travail, ce qui est absolument dramatique. Il faut assurer les agriculteurs de notre confiance, de notre fierté et de notre soutien.
M. le président
La parole est à Mme Véronique Besse.
Mme Véronique Besse (NI)
Je souhaite revenir sur la question des contrôles sur les exploitations agricoles, qui faisait partie des revendications lors des manifestations de l’hiver dernier.
Si l’annonce d’un contrôle administratif unique va dans le bon sens, les contrôles dans les exploitations restent toujours source d’anxiété pour les agriculteurs. Il faut trouver les moyens de passer d’un système de suspicion permanente à un système de confiance. Un récent rapport du Sénat a mis en lumière les lacunes des contrôles effectués par l’Office français de la biodiversité. Il soulève notamment la question du port de l’arme par les agents de l’OFB, qui est une source de crispation. Le premier ministre a d’ailleurs évoqué ce sujet dans sa déclaration de politique générale.
Par ailleurs, certaines sanctions sont disproportionnées et entretiennent ce climat de méfiance vis-à-vis de notre agriculture. Pour ne prendre qu’un seul exemple, une taille de haie en dehors des périodes autorisées peut conduire à une peine de 150 000 euros d’amende et de trois ans d’emprisonnement !
Nos agriculteurs ne peuvent pas être traités comme des voyous. Ils ont besoin de sérénité et d’un retour au bon sens dans les décisions politiques, dans les règlements et leur application. Madame la ministre, comment comptez-vous contribuer concrètement à redonner confiance à nos agriculteurs ? Quelles évolutions dans les contrôles et les sanctions allez-vous mettre en œuvre ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Un contrôle mal effectué fait que l’agriculteur perd un peu plus confiance dans les pouvoirs publics et dans son avenir, parce qu’il se sent soupçonné et qu’il a peur. Quelqu’un me disait, lorsqu’on voit arriver un gendarme ou un policier et que l’on n’est pas un délinquant, on est rassuré ; mais quand on est agriculteur et qu’on voit arriver des agents de l’OFB, on a peur. Cela en dit long sur les conséquences d’un contrôle car méconnaître l’interdiction d’une pratique peut valoir de lourdes peines. Je ne reviens pas sur l’exemple des haies, que vous avez évoqué : une amende de 150 000 euros est au-delà du raisonnable. Cela étant dit, c’est ce que les parlementaires ont voté : l’OFB applique la loi.
Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons publié une circulaire relative à l’OFB, qui est sous la cotutuelle de nos deux ministères. Il faut protéger la biodiversité, mais il importe aussi que l’OFB renoue un dialogue normal avec les agriculteurs. Certains agents de l’OFB savent très bien s’y prendre, d’autres non. Et certains agriculteurs, parce qu’ils ont des difficultés, qu’ils sont inquiets ou qu’on leur fait toujours des reproches, peuvent réagir. Il importe de renouer le dialogue entre les deux parties : c’est ce que nous avons clairement demandé à l’OFB dans notre circulaire.
Le contrôle administratif unique inclut l’OFB. Le premier ministre a évoqué la question de l’armement dans sa déclaration de politique générale. C’est une police, elle est armée, mais on peut comprendre que ces armes crispent énormément nos agriculteurs, qui ne sont pas des délinquants.
M. le président
Je vous remercie, madame la ministre. Le débat est clos.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
3. Après l’élection de Donald Trump, concrétiser la souveraineté européenne
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Après l’élection de Donald Trump, concrétiser la souveraineté européenne ».
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, pour une durée de cinq minutes chacun, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury (LIOT)
Nous voici réunis dans un contexte international particulièrement complexe, après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et à cinq jours de sa prise de pouvoir.
Alors que sa première élection et la possibilité de son retour auraient déjà dû nous pousser à renforcer la cohésion européenne et à prendre nos responsabilités, en tant qu’États membres, sa réélection représente un tournant pour les relations internationales et nous oblige de nouveau – et rapidement – à réfléchir à l’avenir de l’Europe et à la manière dont nous devons réaffirmer concrètement notre souveraineté.
Notre souveraineté européenne n’est pas seulement un principe politique, mais un impératif stratégique, compte tenu de la tendance de Trump à l’unilatéralisme et à la remise en question des alliances traditionnelles. Nous aurions dû y réfléchir, sans attendre qu’une épée de Damoclès nous y pousse.
Le premier axe de la politique à mener, c’est le renforcement de notre défense collective. Pour garantir notre sécurité, nous devons mener une véritable politique de défense européenne. Avons-nous oublié les leçons du passé dans nos relations avec nos alliés américains ? Avons-nous oublié qu’ils ne sont entrés dans la première guerre mondiale qu’en avril 1917, et dans la seconde en décembre 1941, seulement après l’attaque japonaise de Pearl Harbour ?
La guerre en Ukraine nous rappelle encore à cette nécessité, au-delà des concurrences internationales au sein de l’Europe, en matière d’industrie de défense. Cela implique de renforcer notre coopération militaire, via des initiatives telles que la Coopération structurée permanente (CSP) et l’Agence européenne de défense (AED). En investissant dans nos propres capacités de défense, aux côtés de nos industriels, et en développant une Europe de la défense, nous réduirons notre dépendance vis-à-vis des forces militaires américaines et nous privilégierons ainsi nos propres intérêts stratégiques.
Deuxième axe : promouvoir une autonomie économique. L’économie est au cœur de notre souveraineté. Nous devons réduire notre dépendance envers les acteurs extérieurs, notamment dans des secteurs clés tels que l’énergie, la technologie et les ressources stratégiques. Pour ce faire, il est vital de soutenir le développement d’une industrie européenne forte, d’encourager l’innovation à tous les niveaux, de favoriser l’essor des start-up, mais aussi de passer à une logique commerciale de grande envergure et de ne pas réserver nos recherches innovantes en la matière aux seuls laboratoires et à la recherche fondamentale.
Troisième axe : établir une politique commerciale cohérente. L’Union européenne, en tant que premier bloc commercial mondial, doit défendre les valeurs qui lui sont chères dans ses accords commerciaux. Nous devons nous assurer que nos partenaires respectent nos normes sociales et environnementales, ces normes que nous nous imposons à nous-mêmes, notamment à nos agriculteurs et à nos industriels. Il ne suffit pas d’ouvrir nos marchés ; nous devons le faire en veillant à ce que nos relations commerciales reposent sur des principes éthiques durables et réciproques, tout en protégeant nos intérêts économiques.
Quatrième axe : réaffirmer notre identité et nos valeurs, et agir sur la scène internationale. Notre souveraineté s’enracine dans des valeurs communes : la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme. Au moment où des tendances autoritaires émergent sur la scène internationale, nous devons rester fermes dans notre engagement à promouvoir ces valeurs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe. Celle-ci doit s’affirmer comme un acteur clé face aux enjeux globaux que sont la lutte contre le changement climatique, la régulation des flux migratoires ou la sécurité internationale.
Cinquième axe : le numérique. Il semble que l’élection de Donald Trump ait eu pour conséquence un revirement de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, Instagram et WhatsApp, qui a décidé d’arrêter le programme de fact checking . Si, pour le moment, cette décision ne concerne que les États-Unis et si des règlements européens nous protègent, nous devons nous investir davantage dans ce domaine. Nous ne pouvons rester sous l’emprise de plateformes qui visent des objectifs politiques de plus en plus liberticides et haineux. L’Union européenne doit réagir et proposer des moyens de communication sûrs et vérifiés, concurrentiels à l’échelle mondiale, avec un hébergement souverain.
Chers collègues, la première élection de Donald Trump a été une occasion manquée pour l’Europe de s’interroger sur son modèle. Cette nouvelle élection doit être pour nous l’occasion de définir des axes prioritaires et de retrouver une capacité à agir de manière autonome et unie.
Renforcer la souveraineté européenne est un devoir, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures, qui attendent de nous une Europe forte, juste et résiliente. Le modèle européen est le plus abouti au monde ; si nous pouvons en critiquer certains aspects, il est de notre devoir de le défendre et de démontrer sa force et ses qualités.
C’est pourquoi je vous invite à nous engager dans cette voie et à faire de notre souveraineté un atout. C’est en agissant collectivement, avec détermination et vision, que nous pourrons faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain.
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Le 5 novembre, les électeurs des États-Unis ont fait le choix d’élire Donald Trump à la tête de l’exécutif. Ses décisions auront des effets non seulement sur la population vivant aux États-Unis, mais également dans le monde – sur les marchés et sur les peuples, autant que sur le droit international.
Si l’on en croit ce que l’on a vu ces dernières semaines, Donald Trump va faire... du Donald Trump. Les Nations unies ? Pour quoi faire ? L’écologie et le dérèglement climatique ? Ça n’existe pas ! Les guerres ? On les réglera en vingt-quatre heures. Un problème ? Une solution : les puissants États-Unis.
Alors qu’il n’est pas encore installé à la Maison-Blanche, Donald Trump annonce sans ménagement des volontés expansionnistes : à lui le Groenland et le canal de Panama – tout en évoquant subtilement le Canada et le golfe du Mexique… Non content d’afficher son mépris du droit international, qui fixe les règles de la souveraineté territoriale et l’intangibilité des frontières, il agite le drapeau de la force armée et des sanctions financières. Balayé d’un revers de la manche, aspiré comme une vulgaire poussière, le droit international n’est qu’un détail pour lui – mais pour moi, ça veut dire beaucoup.
Les normes internationales doivent servir de fil rouge, de règle du jeu pour que chacun ait les mêmes chances et les mêmes contraintes. C’est, en quelque sorte, un point d’égalité entre tous les êtres humains sur Terre. L’établissement des frontières suit des règles internationales strictes.
Pourtant, M. Trump pense qu’on peut acheter un territoire et un peuple – et gare à ceux qui lui répondraient : « Nous ne sommes pas à vendre » ; il leur rétorquerait : « Si vous n’acceptez pas, je vous y contraindrai ! » La volonté de Trump d’annexer des territoires est finalement dans l’air du temps. Et qui s’y opposera ?
On voit mal comment le président de la République française pourrait agir alors qu’il reconnaît, par un retournement historique de position, la marocanité du Sahara occidental ; qu’il ne fait rien face à Israël qui réduit en cendres tout principe de droit international – il se contente d’un petit communiqué de France diplomatie disant « C’est pas bien » et passe à autre chose. Pour être crédible, il faut être ferme et, surtout, constant !
Le droit international est une boussole. Preuve en est, s’en éloigner nous fait retomber dans les abîmes du colonialisme et du « deux poids deux mesures ».
Cela étant, la France n’est pas la seule à rompre avec ses positions historiques en écrasant le droit international. En 2019, l’administration Trump avait déclaré que les colonies juives de Cisjordanie n’étaient pas illégales selon le droit international, contredisant ainsi des décennies de politique américaine. Avec une diplomatie américaine qui prend position contre l’État de Palestine, déshumanise les Palestiniens et légitime un droit de réponse disproportionné de la part d’Israël, quelle place pour la paix ?
Selon Trump, le dérèglement climatique n’existe pas. C’est bien simple, l’accord de Paris et les autres normes internationales protégeant l’environnement l’embêtent – pour parler poliment. Il veut s’en défaire. Or nous avons un devoir envers les générations futures, celui de leur laisser une planète au mieux vivable. Si nous ne faisons rien, la plus grosse dette que nous laisserons à nos enfants sera de ne pas avoir investi suffisamment pour préparer l’avenir. C’est valable pour le climat de manière générale, mais également pour les droits sociaux et pour la paix.
Pour couronner le tout, les États-Unis envisagent de réduire le montant de leur cotisation à l’ONU. Pourtant, nos interlocuteurs nous l’ont rappelé lors de notre mission d’information sur la crise de cette organisation, l’ONU est la seule instance internationale où tous les pays, sans exception, peuvent se parler et où ils ont tous la même possibilité de s’exprimer.
Pour en revenir au nerf de la guerre capitaliste, l’argent, la menace d’une guerre commerciale est à l’ordre du jour, et cette fois-ci elle n’est pas uniquement adressée à la Chine. L’Union européenne pourrait être ciblée. Pourtant, nous aurions pu nous en prémunir depuis le premier mandat de Trump. Nous connaissions sa politique de toute-puissance ; nous aurions pu prendre des mesures pour retrouver notre souveraineté industrielle afin de sauvegarder nos emplois et de sauver un peu de notre pouvoir d’achat.
Les politiques étrangères ont des effets sur la vie quotidienne : voilà pourquoi elles doivent être au cœur de nos préoccupations – et voilà pourquoi nous devons prendre le temps d’en discuter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri (UDR)
La réélection de Donald Trump a été le plus grand moment démocratique de l’année 2024 en Occident, les voix de pas moins de 77 millions d’Américains s’étant portées sur sa candidature. Les Américains ont rappelé à quel point ils étaient attachés à leur patrie, à leur pays, ainsi qu’à leur identité. Alors que la gauche exaltait, par opportunisme électoral, les différences sexuelles, culturelles et ethniques (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) , Donald Trump rappelait que peu importent ces différences, car c’est l’Amérique, en tant que communauté de destin, qu’il convient de préserver.
Notre président, Éric Ciotti, fut l’un des seuls à avoir le courage de soutenir publiquement la candidature de Donald Trump.
Mme Sandrine Runel
Ah ça ! Bravo !
Mme Hanane Mansouri
Le nihilisme de l’administration démocrate, témoignant parfois d’un atavisme pour la guerre, a conduit ses dirigeants à mener une guerre par procuration en Ukraine. Cette gauche rappelle la nôtre, propriétaire du monopole humaniste, applaudissant à la remise en 2009 du prix Nobel de la paix à Obama (Mme Dominique Voynet applaudit) , alors que celui-ci laissait un pays directement engagé dans huit champs de bataille à travers le monde.
Force est de constater que Donald Trump, lors de son premier mandat, n’a engagé aucun conflit militaire majeur et que le nombre de soldats américains mobilisés a été divisé par deux. Des résultats bien plus nobles que toutes les homélies humanistes de la gauche, bonne donneuse de leçon mais bien mauvaise pour les appliquer quand on lui confie le pouvoir.
C’est aussi Donald Trump qui a permis les accords d’Abraham, qui ont mené à une reconnaissance de l’État d’Israël par de nombreux pays arabes. Il faut reconnaître que ce rapprochement était inédit et que ces temps de paix paraissent aujourd’hui bien lointains…
Nous regrettons sincèrement que la France n’ait plus la crédibilité ni l’influence diplomatique nécessaires pour en faire autant. La suppression du corps diplomatique, voulue par Emmanuel Macron, n’y est pas pour rien.
Alors que les États-Unis vivaient l’an passé un grand moment démocratique, la classe politique française donnait de notre démocratie un spectacle plutôt risible, voire, disons-le, vraiment médiocre.
Aujourd’hui, nous échangeons à propos de la « concrétisation » du projet européen. Intéressant, mais de quoi s’agit-il ? (Mme Karen Erodi s’exclame.) Des États-Unis d’Europe ? Ce serait une tragédie, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, contrairement aux États-Unis d’Amérique, il n’existe aucune communauté de destin à l’échelon européen. L’Europe est une civilisation partagée, composée de vingt-sept nationalités différentes. Broyer nos différences dans un modèle fédéral serait porter atteinte à l’immense diversité culturelle européenne. Pire, ce serait brader les intérêts de la France, puisque nous n’avons aucun poids diplomatique au sein de l’Union européenne – en témoigne le naufrage de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.
Cet accord met en péril notre souveraineté alimentaire et nos filières agricoles – et pour quoi ? Pour favoriser la croissance des industries chimique et automobile allemandes ! L’accord avec le Mercosur est la quintessence de l’impuissance française à Bruxelles – comme dans tous les domaines où nos intérêts sont vitaux. Dans l’intérêt de la France et des Français, l’agriculture doit être une affaire d’État !
L’Union européenne doit être un outil pour favoriser ses États membres et se plier à leur souveraineté, notamment en matière régalienne, à l’instar de la gestion de l’immigration et de la défense de nos frontières. À l’heure du grand déclin de notre influence en Europe, est-il bien raisonnable de donner plus de pouvoir à Bruxelles ? Comment expliquer aux Français qu’ils alimentent de leur poche un budget européen servant à favoriser des pays qui versent moins qu’eux ?
C’est pourquoi le groupe UDR s’opposera à la poursuite du transfert de compétences nationales vers l’Union européenne, ainsi qu’à tout autre élargissement. Si la France doit continuer de coopérer avec ses partenaires européens, l’impératif d’indépendance nationale nous impose de faire émerger des solutions par nous-mêmes. C’est à cette condition que nous renouerons avec notre destin de grande puissance occidentale.
Sachez qu’à l’UDR, nous n’obéirons pas à la mise au pas fédéraliste voulue par le président de la République, car notre pays porte une grandeur qui lui est propre et dont nous sommes fiers.
Pour conclure, je dirai à mes collègues de gauche : si vous tremblez tant à l’idée que Donald Trump défende seulement les intérêts des États-Unis, choisissez Marine Le Pen dans l’isoloir aux prochaines élections : c’est elle qui incarne la défense des intérêts de notre si beau pays ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – Exclamations sur les bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Jean-Paul Lecoq
Vous avez mal regardé : nous ne tremblons pas, nous résistons !
Mme Hanane Mansouri
En votant pour Macron ?
M. le président
Merci de ne pas vous interpeller, chers collègues.
La parole est à M. Guillaume Bigot.
M. Guillaume Bigot (RN)
Paniqués par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, certains appellent de leurs vœux l’avènement d’une souveraineté européenne. Répondons-leur tout de suite que ce qu’ils veulent est à la fois illégal et illégitime.
L’article 3 de notre Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La suite fait écho à la Déclaration de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Vouloir la souveraineté européenne, c’est donc assumer une forfaiture !
Les représentants du peuple que nous sommes n’ont aucun droit à disposer d’une souveraineté inaliénable. Je vous le rappelle, chers collègues : nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’abdiquerons certainement pas au profit d’une bureaucratie européenne ! Vouloir la souveraineté européenne, c’est s’exclure de l’arc républicain – et, qui plus est, le faire au profit d’un leurre.
« Concrétiser la souveraineté européenne » revient, si les mots ont un sens, à avouer qu’elle n’existe pas ; c’est poursuivre un mirage. L’Europe n’est pas un peuple, l’Union européenne n’est qu’une organisation internationale qui monte sur ses ergots pour jouer à l’État… Ersatz d’État, en vérité, sans peuple, sans légitimité, sans impôt, donc sans armée et sans force ! Vous dites à ce grabataire qu’est Bruxelles : « Lève-toi et marche ! » – mais cela ne marche pas.
D’ailleurs, au sein de l’Union actuelle, à chaque fois que nous voulons agir « en Européens », nous devons nous synchroniser avec vingt-six autres pays n’ayant ni la même politique, ni la même culture, ni les mêmes intérêts ; chaque fois, nous devons passer sous les fourches caudines de la Commission, que de Gaulle décrivait déjà en 1965 comme un « aréopage technocratique, apatride et irresponsable ». Nous sommes ici à la jonction d’une question d’efficacité et d’une question de légitimité, puisque la Commission européenne allie la lourdeur de la bureaucratie soviétique à la lâcheté de la Société des nations (SDN).
La Commission doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un secrétariat, un organe technique. Oh, je sais bien : seule, la France serait trop petite pour nager dans le grand bain de la mondialisation. L’argument est matraqué quotidiennement depuis 1992 – mais répéter mille fois un mensonge n’en fera jamais une vérité ! Le succès de pays plus petits que nous, tels que la Suisse, Singapour ou la Corée du Sud, qui ne sont protégés par aucune organisation supranationale, souligne que la souveraineté est d’abord affaire d’indépendance, de cohésion et de volonté.
Bruxelles ne sait que ligoter les États les uns aux autres, les lester de normes et les livrer pieds et poings liés à la concurrence internationale.
Depuis l’élection de Donald Trump, nous assistons à un spectacle saisissant : les anciens vassaux de l’Amérique se dressent contre leur ancienne idole. Tous ceux chez qui la soumission à Washington relevait d’une seconde nature se mettent soudain à dénoncer l’insupportable ingérence des nouveaux dirigeants américains dans les affaires du Vieux Continent. Tous ces laquais de l’Amérique qui se retournent contre leur ancien maître, voilà de quoi surprendre.
Thierry Breton et Emmanuel Macron nous expliquent qu’Elon Musk et Donald Trump mettent en péril l’indépendance de l’Europe. Mais où étaient-ils lorsque l’ambassade des États-Unis finançait et diffusait le communautarisme dans nos banlieues ? Ceux qui ont appointé des cabinets américains comme McKinsey, en leur confiant des données du gouvernement français, qui ont déposé les données de santé des Français dans le cloud de Microsoft, qui ont vendu nos turbines à General Electrics feignent de découvrir l’extraterritorialité et, in fine , l’impérialisme d’une Amérique, dont ils étaient, hier encore, les premiers promoteurs.
S’alarmer des effets du réseau social X, n’est-ce pas dérisoire lorsque l’on sait que le Patriot Act oblige les entreprises américaines à transmettre au gouvernement des États-Unis les données collectées à l’étranger ?
La souveraineté ressemble à la charité : elle commence par soi-même. Commençons par redevenir souverains et nous aurons peut-être une chance d’entraîner nos alliés et voisins européens.
Nous ne sommes pas contre l’Europe, mais nous voulons une Europe des réalités : une Europe démocratique et pragmatique. Avant Maastricht, nous faisions le Concorde et Ariane ; à présent, l’UE est fière d’attacher les bouchons aux bouteilles en plastique !
Il faut passer de la méthode Monnet, ce grand patriote américain dont les cendres mériteraient d’être transférés au cimetière d’Arlington, à la méthode Airbus : celle d’une coopération flexible et efficace entre nations souveraines. Comme le voulait le général de Gaulle : « L’Europe ne se fera pas contre les nations, mais avec elles. » C’est cette Europe-là que nous voulons et, d’ailleurs, il ne peut y en avoir d’autres. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Pieyre-Alexandre Anglade.
M. Pieyre-Alexandre Anglade (EPR)
Dans cinq jours, Donald Trump deviendra officiellement le 47 e président des États-Unis. Avant même d’entrer en fonction, le président élu a, ces dernières semaines, fait plusieurs déclarations qui appellent notre attention, bien qu’elles n’aient rien de surprenant : depuis une décennie, les États-Unis nous font comprendre que leurs préoccupations concernent essentiellement leur sécurité, leur économie et leur relation concurrentielle, potentiellement conflictuelle, avec l’Asie, en particulier la Chine. Nous devons l’entendre car cette tendance ira en s’accentuant.
L’Union européenne et ses États membres, dont la France, se trouvent donc à un tournant historique et stratégique majeur. Ce tournant, nous allons devoir le négocier rapidement, avec lucidité, détermination et ambition.
Ouvrons les yeux : autour de nous, les menaces se multiplient. La Russie n’est pas seulement belliqueuse avec l’Ukraine. Désormais, elle représente plus qu’une menace pour l’Europe ; elle mène une guerre sournoise, dissimulée, une guerre hybride faite de désinformation, de manipulations, de déstabilisations, dont nous mesurons chaque jour les effets sur nos démocraties.
La Chine, quant à elle, mène une guerre économique aux entreprises européennes. Les conflits du Proche-Orient, dont nous ne savons encore quels seront les développements, menacent aussi notre sécurité. Enfin, les patrons de grandes plateformes américaines s’immiscent ouvertement dans la vie démocratique de plusieurs pays européens et accusent l’UE « d’institutionnaliser la censure ».
Dans ce monde devenu extrêmement incertain, nos démocraties sont des proies potentielles et notre Union est plus vulnérable que jamais. Un choix crucial s’offre à nous. Soit nous nous montrons en mesure de bâtir rapidement une Europe souveraine, capable de défendre ses valeurs et ses intérêts face aux pressions extérieures, une Europe qui s’affirme comme une puissance économique, industrielle, technologique, numérique, climatique, militaire et diplomatique ; soit nous subirons les choix des grands empires qui ne respectent plus aucune règle, si ce n’est celle du plus fort ; notre Union sera alors démantelée, nos libertés et nos valeurs anéanties.
Mais ne succombons pas aux discours déclinistes : nous disposons de moyens pour résister et nous imposer comme une puissance globale.
Les outils sont là, à portée de main, encore faut-il vouloir s’en saisir. Je le dis car la semaine passée, face aux déclarations du président élu américain et aux ingérences d’Elon Musk, la Commission européenne n’a pas été à la hauteur du moment : pas un mot, pas une image, un silence assourdissant. Nous ne pouvons continuer à nous comporter en « paillassons » quand l’Europe est mise au défi. L’enjeu est trop grand. Le monde est féroce, l’histoire s’accélère et elle ne nous attendra pas. Commençons donc par faire respecter nos règles – je pense au règlement relatif à un marché unique des services numériques (DSA), que nous avons adopté collectivement, souverainement.
L’Europe a beaucoup fait ces dernières années pour continuer d’avancer. Il faut pourtant mettre les bouchées doubles, car nous sommes aujourd’hui confrontés à un vrai risque de décrochage par rapport aux États-Unis d’Amérique et à la Chine. Si nous voulons l’éviter, nous devons accélérer sur trois axes.
Le premier vise à assurer notre sécurité en poursuivant la construction d’une véritable défense européenne, qui repose sur une base industrielle et technologique de défense (BITD). Les Européens ne doivent plus déléguer leur défense et leur sécurité ; c’est une question d’indépendance.
Le deuxième axe, c’est de mener des politiques industrielles beaucoup plus assumées, qui reposent sur un marché unique fort, mais aussi sur davantage d’investissements dans les technologies d’avenir : l’intelligence artificielle, le quantique, les biotechnologies, les technologies propres, la défense – au fond, tous les domaines qui feront la richesse, l’indépendance, la souveraineté des pays et des organisations de demain.
Le troisième axe consiste à pratiquer une politique commerciale moins naïve, qui prenne en compte nos intérêts stratégiques et le climat. À cet égard, nous, Français, avons eu raison de nous battre contre l’accord avec le Mercosur ; nous devons aussi saluer la décision de la Commission sur les véhicules électriques chinois. Sans loyauté des échanges, il est impossible de produire de manière compétitive sur le sol européen.
Un dernier mot sur la politique étrangère et la situation en Ukraine. Aujourd’hui encore, ce pays a été la cible de Poutine : près de 120 missiles et drones ont été lancés sur ses infrastructures civiles. Frapper une cible civile constitue un crime de guerre. La Russie de Vladimir Poutine s’est donc une fois encore comportée en criminelle de guerre.
Cette guerre nous concerne au premier chef, car elle concerne la sécurité internationale et la sécurité immédiate des Européens et des Français. Par conséquent, il nous faut continuer d’apporter un soutien résolu à la résistance ukrainienne.
M. le président
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP)
On nous invite à discuter du thème suivant : « Après l’élection de Trump, concrétiser la souveraineté européenne ». Une remarque, d’abord, quant au libellé du sujet : il n’y a pas et il n’y aura pas, ni virtuellement ni réellement, ni à court ni à moyen terme, de souveraineté européenne, attendu que selon l’article 3 de la Constitution, « La souveraineté nationale appartient au peuple. »
À la rigueur, on peut chercher les indices d’une volonté, de la part des États européens, de se rendre moins dépendants des États-Unis. Ce serait déjà beaucoup et je souhaite bon courage à qui entreprendrait cette quête, puisque tout montre que la tutelle de ce puissant protecteur n’est guère remise en question sur le Vieux Continent.
Certes, le retour de Donald Trump au pouvoir ne permet plus vraiment de faire semblant : notre allié, si bienveillant et altruiste, ne l’est peut-être pas tant que ça et cherche avant tout à garantir ses intérêts et sa position de numéro un mondial.
Mais, à vrai dire, Donald Trump ne fait que radicaliser les fondamentaux de la politique étrangère états-unienne. L’impérialisme ne varie pas et ce serait une naïveté coupable d’imaginer que les gouvernements européens s’associeront désormais pour le contrecarrer.
La première présidence de Donald Trump avait déjà suscité ce genre d’espérances. À l’époque, la Pologne avait tout bonnement proposé 2 milliards d’euros, hors coût de fonctionnement, pour héberger une base américaine sur son territoire.
Et aujourd’hui, voyez comment l’intimidation et les provocations s’empilent et sont récompensées : en 2019, Donald Trump prétendait acheter le Groenland ; voilà qu’il menace de l’annexer ! Le premier ministre danois lui répond benoîtement que les Américains n’ont pas besoin d’aller si loin que cela et qu’ils pourront bien y installer des bases militaires.
Quasi-ministre, Elon Musk couvre d’opprobre le premier ministre britannique, dont le ministre des affaires étrangères se refuse à « condamner son plus proche allié ».
Donald Trump veut-il reprendre le contrôle du canal de Panama ? Silence poli dans la salle. Envisage-t-il l’annexion du Canada ? On proteste, mais c’est le premier ministre canadien qui tombe.
Il y a moins de deux ans, la revue nationale stratégique (RNS)
Le chantage au financement de l’Otan reprend comme jamais. Récemment, une ribambelle de membres de think tanks affirmaient devant l’assemblée parlementaire de l’Otan qu’il faudrait investir dans la défense 3 %, voire 3,5 % du PIB, moyennant quoi tout irait pour le mieux. Ils étaient loin du compte : Donald Trump réclame 5 % ! Et le nouveau secrétaire général de l’Otan, le Néerlandais Mark Rutte, de lui emboîter le pas : les récalcitrants n’ont pas de plan B et devraient se soumettre, sans quoi ils devront consacrer 10 % de leur PIB à leur défense. Ils paieront donc ce tribut.
Combien de fois les pays européens se sont-ils humiliés dans l’espoir de conserver les bonnes grâces des États-Unis ou de gagner une position plus forte sur le continent ? Aujourd’hui que l’Union européenne s’ingère dans la défense des nations, en contravention flagrante avec les traités, la négociation autour du programme européen pour l’industrie de la défense (Edip) fournit une énième leçon de choses. Laissera-t-on l’argent de l’Union européenne financer des entreprises d’armement états-uniennes ? Le suspense est à son comble. Le ministre des armées a affirmé que la France ne lâcherait rien. À la bonne heure ! On peut aisément en déduire que c’est la France qui sera lâchée par les autres pays.
Les Français savent, au moins depuis la crise de Suez, que, dans les relations internationales, il n’y a pas d’amis, que des intérêts. Mais depuis quinze ans, tout ce qui contribue à la souveraineté française est considéré comme la manifestation d’un particularisme chauvin, une sorte d’irrédentisme poussiéreux.
Renoncement après renoncement, la voix de la France s’éteint et nos marges de manœuvre se restreignent. On sacrifie au mirage de la défense européenne les fleurons de notre industrie. Pour avoir un char franco-allemand, nous perdrons bientôt la capacité de faire un char tout court.
C’est une tout autre voie qu’il faut emprunter, celle du non-alignement. Elle seule permettra à la France de plaider pour la paix et l’intérêt général humain. Le monde a besoin de cette France indépendante, qui refuse d’être embrigadée dans la guerre qui se prépare entre les États-Unis et la Chine. Le monde a besoin d’une France qui, lorsqu’elle plaide pour le droit international, n’est pas sans cesse renvoyée à ses allégeances, à ses dépendances et aux doubles standards qu’elles imposent.
À l’heure des cyclones, des incendies meurtriers, de la course aux armements, le monde a besoin d’une France capable de construire, avec celles et ceux qui ne se résignent pas au désastre, un chemin de coopération et de paix. Pour substituer cette logique à celle de la compétition universelle du capitalisme fauteur de guerres, nous affirmons que la France doit disposer des moyens de son indépendance : consolider sa base industrielle et technologique de défense ; affronter les multinationales ; relocaliser l’industrie au lieu de la laisser dépecer, comme c’est le cas avec le groupe Atos ; investir dans la recherche et l’enseignement supérieur ; reconstituer un corps diplomatique fort ; rendre la parole aux citoyens dans les débats sur la défense.
Le mot est galvaudé et pourtant il n’a jamais été si vrai : nous sommes à la croisée des chemins. Les moyens d’un sursaut sont là. Il faut une volonté, sans quoi ce sera le déclin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Runel.
Mme Sandrine Runel (SOC)
Le 9 novembre 2016, l’élection de Donald Trump fut un premier séisme car, dans une époque plutôt favorable aux Démocrates, personne n’avait anticipé l’arrivée d’un des plus riches hommes d’affaires à la tête des États-Unis.
Donald Trump avait mené une campagne échappant à toute convention politique, démarrant très fort avec l’annonce de la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique. En 2024, il s’est surpassé, son argument principal étant de « stopper le délire transgenre » et d’en finir avec « le diktat du wokisme » – une extrême droite qui rappelle la nôtre.
Ces propos réactionnaires sur l’immigration, l’environnement, l’économie, ces propos qui menacent la liberté des Américains nous inquiètent. Car quand on touche aux droits, c’est la démocratie qu’on malmène ; nous ne savons que trop bien comment cela peut finir.
Alors que faire après cette réélection ? D’abord, dire nos craintes pour nos sociétés et nos valeurs. La Commission européenne se doit de répondre à ces craintes en réaffirmant sa souveraineté.
Il faut, en premier lieu, agir pour la paix. Nous avons affaire à un président qui menace, pour la première fois de l’histoire, les frontières souveraines d’un autre pays de l’Otan, le Danemark, en convoitant le Groenland.
Nous avons affaire à un président qui peut, s’il le décide, contraindre l’Ukraine à entamer des discussions de paix avec Vladimir Poutine et de facto entériner la perte des territoires occupés.
L’armée de Donald Trump est vaste ; elle est surtout invisible. Grâce à l’empire de son allié et désormais acolyte Elon Musk, le duo gagnant de la testostérone a accès à une plateforme de communication mondiale qui lui permet de relayer des discours de haine et des informations non vérifiées, se muant en outil de promotion de l’extrême droite partout en Europe. Ce n’est peut-être pas encore le cas en France, mais je ne doute pas que des contacts ont été pris. Preuve en est qu’Éric Zemmour se rendra à son investiture, accompagné de son ancienne – et peut-être future – partenaire, Marion Maréchal-Le Pen.
Cette dynamique ne va pas en s’améliorant : le réseau social X a récemment mis fin à son programme de fact checking , se plaçant clairement en infraction avec la régulation européenne sur la modération des contenus en ligne. Pourtant, l’Union européenne s’est dotée d’outils réglementaires permettant de concilier liberté d’expression et valeurs démocratiques. Il faut s’en saisir pour défendre nos citoyens et nos libertés.
Mais dans l’urgence, c’est X que nous devons massivement quitter, car notre débat politique vaut mieux que leurs réseaux. (M. Hendrik Davi et Mme Dominique Voynet applaudissent.) J’appelle donc, comme nombre de députés l’ont fait ici, à quitter X le lundi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump.
Cependant, les craintes ne s’arrêtent pas là. Le retour de Donald Trump à la présidence du pays qui est le deuxième plus gros pollueur au monde est un danger pour la planète et notre environnement. Considérant ses déclarations en faveur de la relance du forage ou ses menaces de quitter à nouveau les accords de Paris, l’élection de Trump est une catastrophe climatique. Elle l’est d’autant plus que nous venons de vivre l’année la plus chaude jamais mesurée. L’Union européenne doit donc de toute urgence intervenir sur l’échiquier politique international pour exiger le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Surtout, en tant que femme européenne, je suis révoltée à l’idée que mes sœurs d’outre-Atlantique tremblent pour leurs droits. Les propos sexistes, misogynes et anti-IVG de Donald Trump doivent nous rappeler que l’extrême droite, par définition, revient toujours sur les droits sociaux et les avancées sociales gagnées au cours des décennies précédentes. Ce sont d’abord les droits sociaux des femmes, des personnes les plus précaires, des étrangers et des malades qui sont remis en cause. L’extrême droite érige des murs ; elle divise, elle fracture. C’est ce que fera Trump en Europe si nous le laissons agir. Il servira de modèle aux conservateurs européens, à Giorgia Meloni, à Viktor Orbán et à l’ensemble des députés européens d’extrême droite.
Soyons honnêtes, résister aux élans réactionnaires ne sera pas facile. Mais nous ne tremblons pas ; nous résistons. Il est plus que jamais nécessaire de se saisir de cette occasion pour relancer la construction européenne, renforcer la coopération de l’Union et élargir le socle des Vingt-Sept face au risque que représente le retour de forces plus nationalistes, plus isolationnistes et moins interventionnistes.
Nous devons nous rappeler les objectifs des pères fondateurs : l’Union européenne est une alliance pour la paix. Alors, protégeons-la des réactionnaires outre-Atlantique comme de certains assis parmi nous. Nous nous trouvons à un tournant de l’histoire, au cours duquel l’Europe doit rester force de progrès social, défenseure du modèle démocratique et garante de l’État de droit. Notre histoire nous oblige.
M. le président
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller (DR)
Le retour au pouvoir de Donald Trump provoque chez les Européens de multiples interrogations et parfois des inquiétudes légitimes. Pourtant, si nous réussissons à nous saisir de l’occasion, ce peut être le moment de concrétiser la souveraineté européenne. Avec un président américain qui conçoit les relations internationales comme un rapport de force permanent, il est temps pour nous de sortir d’une forme de naïveté et d’impuissance stratégique.
Un personnage a également pris la lumière depuis le 5 novembre 2024, jour de la victoire de Donald Trump : Elon Musk. Entrepreneur visionnaire dans les secteurs de l’automobile, du spatial et des télécoms, mais aussi patron controversé de la plateforme X, anciennement Twitter, il joue un rôle diplomatique inédit et mal défini, et pèse dans la guerre informationnelle. Ses interventions sur X ou ses publications semblent artificiellement amplifiées par des algorithmes ; son soutien affiché à certains partis politiques pose de sérieuses questions et menace nos démocraties. Nous devons rester vigilants face à ce qui pourrait être perçu comme de l’ingérence politique, d’autant plus que nous avons souvent du mal à savoir s’il exprime une position officielle du gouvernement américain ou s’il intervient uniquement en son nom et pour défendre les intérêts de ses entreprises.
Cette situation met donc directement en question notre souveraineté numérique, car les plateformes que nous utilisons majoritairement en Europe, qu’il s’agisse de réseaux sociaux, de moteurs de recherche ou de services en ligne, proviennent presque exclusivement des États-Unis. À l’exception notable de TikTok, dont l’utilisation pose d’autres questions, notre espace numérique est dominé par des acteurs américains. L’Union européenne a pris des mesures importantes pour réguler ses outils numériques, comme le DSA, le DMA, règlement sur les marchés numériques, ou le règlement sur l’intelligence artificielle.
Cependant, ces initiatives restent fragmentées et se concrétisent parfois trop lentement ; par conséquent, un soutien clair et massif aux entreprises numériques européennes et françaises est indispensable. Cela implique de promouvoir des solutions alternatives souveraines aux plateformes américaines et d’investir davantage dans la cybersécurité.
La souveraineté numérique ne peut toutefois être envisagée isolément : elle est aussi liée à notre capacité de protéger nos infrastructures critiques. Cela m’amène à évoquer notre souveraineté en matière de défense.
L’idée d’une défense européenne reste largement inaboutie. Seule l’Otan garantit pour l’heure une protection collective sur notre continent, mais nous savons que Donald Trump, comme lors de son premier mandat, exercera des pressions pour que les pays européens augmentent leur budget militaire, à défaut de quoi les États-Unis se désengageront.
Grâce à la vision du général de Gaulle, la France bénéficie d’une indépendance militaire unique en Europe, permise notamment par la dissuasion nucléaire. Nous avons également su développer une industrie de défense innovante et compétitive, ce dont témoignent des succès notables comme le Rafale, vendu à la Grèce et à la Croatie, ou les sous-marins issus du programme Barracuda, adoptés par les Pays-Bas.
Pourtant, nos partenaires européens continuent de privilégier l’achat de matériel américain, affaiblissant ainsi notre autonomie collective. Même les projets de coopération européenne, comme le Scaf, le système de combat aérien du futur, souffrent de divergences stratégiques. Ce projet ambitieux, qui vise à développer un avion de combat de nouvelle génération, des drones et un cloud de combat, est fragilisé par des rivalités industrielles et des restrictions à l’exportation imposées par certains partenaires, notamment l’Allemagne. De tels blocages sapent nos ambitions communes. Un projet européen tel que le Scaf doit intégrer pleinement les spécificités françaises, notamment la dissuasion nucléaire, en développant des capacités adaptées à nos porte-avions.
Une défense européenne crédible repose aussi sur une politique industrielle forte. Après des décennies de désindustrialisation, nous assistons heureusement à un regain d’intérêt pour le fait de produire en France et en Europe, grâce à des politiques volontaristes. Un projet de loi comme celui consacré à l’industrie verte, l’installation récente de gigafactories ou la relance de notre filière nucléaire en témoignent.
La crise du covid a par ailleurs mis en lumière notre dépendance à des chaînes d’approvisionnement lointaines, y compris pour des produits essentiels comme les masques ou les médicaments. Cela nous rappelle que produire localement est essentiel pour réduire notre dépendance à des puissances étrangères, pour créer de la croissance et des emplois dans nos territoires, pour limiter notre empreinte environnementale et pour favoriser l’innovation.
Ainsi, le retour de Donald Trump, loin de nous paralyser, doit être l’occasion pour l’Europe de se ressaisir et de se projeter en acteur autonome et crédible. Nous avons su, par le passé, mener à bien des projets ambitieux comme Airbus, Ariane ou Galileo ; de tels succès doivent nous inspirer pour relever les défis à venir.
Dans un monde multipolaire, incertain, marqué par le risque de tensions géopolitiques majeures, il est absolument nécessaire, pour l’Europe, de sortir du décrochage dans lequel elle est plongée, en s’inspirant notamment du rapport Draghi. Mais cela exige une vision commune et une volonté politique forte. Plutôt que de subir les rapports de force internationaux, soyons unis, stratégiques et ambitieux. En consolidant notre souveraineté numérique, notre défense et notre industrie, nous pourrons bâtir une Europe plus forte et résiliente.
M. le président
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet (EcoS)
Malgré le bilan épouvantable de son premier mandat, les électeurs américains ont de nouveau élu Donald Trump à la présidence des États-Unis. Sans attendre son investiture officielle et entre deux bordées d’insultes envers ses adversaires – les Démocrates, les femmes, les juges, les intellectuels, les écologistes, les wokes, les Européens –, Trump, désormais courtisé par ses adversaires d’hier, des grands noms des Gafa aux chefs d’États européens, a fait part de son intention de peser lourdement sur la marche du monde, au moyen d’une politique économique profondément agressive.
Le choix de ses émissaires – notamment du premier d’entre eux – n’est pas anodin. Elon Musk, qui a récemment transformé Twitter, devenu X, en instrument de propagande et de désinformation au service des idées d’extrême droite et des complotistes les plus déjantés, ne s’en cache pas : il entend user de tout son pouvoir pour peser sur les opinions européennes, influencer et manipuler le résultat des élections, délégitimer la gouvernance de l’Union et des États européens.
Make America Great Again ? Pourquoi pas ! Quel chef d’État ne souhaiterait pas défendre la souveraineté du pays qu’il dirige et des citoyens qui lui ont fait confiance ? On l’aura compris, ce n’est pas de cela qu’il est ici question. Quand Trump menace d’annexer le canal du Panama, le Groenland ou le Canada pour en piller les ressources naturelles et minières, on peut trouver cela risible, mais ces sorties témoignent en réalité d’ambitions profondément impérialistes.
L’Europe, qui incarne au fond tout ce que Trump envie et déteste à la fois, constitue – comme la Chine sur un autre registre – un obstacle à cette ambition. Elle est donc largement menacée ; elle doit, plus que jamais, renforcer sa gouvernance et sa souveraineté. L’Europe met volontiers en avant ses mythes fondateurs : un espace de paix, qu’illustre pour l’éternité l’image de François Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main à Douaumont ; un espace de responsabilité planétaire ; un espace de coopération et d’échange, où les libertés fondamentales, les droits des femmes et des minorités, le pluralisme des médias sont garantis. Tout cela est vrai, mais la réalité est, on le sait, moins idyllique.
Concrètement, l’Europe, c’est d’abord un espace de libre circulation des marchandises et des capitaux, un marché unique livrant ses producteurs à une concurrence acharnée dans et en dehors de l’Union. C’est aussi des règles strictes, bureaucratiques et vétilleuses pour le marché intérieur. C’est enfin la suppression maniaque des obstacles au libre-échange pour le marché intérieur.
Il y a bien sûr des réussites, mais on cite toujours les mêmes : Ariane et Airbus. Elles ne peuvent masquer la désindustrialisation massive du continent européen qui dégrade notre balance commerciale, nourrit la colère, attise les exigences de celles et ceux qui pensent que le désastre vient des « charges » et des « normes », comme s’il fallait s’aligner sur les conditions de production ayant cours en Indonésie ou au Brésil, comme si nos principaux partenaires commerciaux n’étaient pas d’abord les pays européens eux-mêmes.
Les alertes n’ont pas manqué, au rythme de la délocalisation de nos industries vers des pays moins exigeants ou ayant déployé un régime irrésistible d’incitations fiscales et financières ; les occasions de réagir non plus. La pandémie de covid a conduit, pour la première fois, à un plan de relance européen financé par une dette partagée. Un soutien conséquent à l’Ukraine, supérieur même à celui apporté par les États-Unis, a été et reste mobilisé, malgré l’hostilité de la Hongrie.
Il faut aller plus loin pour restaurer la confiance des Européens et le respect de nos partenaires : revenir sur des traités désuets qui empêchent toute harmonisation fiscale, ce dont profitent l’Irlande ou l’Espagne pour faire n’importe quoi ; rétablir le leadership sur le climat et cesser de procrastiner à propos du pacte vert, afin de faire de la transition l’instrument d’une compétitivité vertueuse et non un fardeau constamment reporté ; doter enfin l’Europe d’une politique de défense et de sécurité commune ou coordonnée, quelles qu’en soient les modalités, qui restent à débattre – coordination entre les États membres, renforcement du pilier européen de l’Otan ou construction d’une politique européenne autonome.
Face au Buy American Act
Il faudra aussi se pencher sur la faiblesse de l’exécutif européen face à vingt-sept chefs d’État et de gouvernement. L’heure n’est pas à la résignation ni, non plus, à l’agitation désordonnée ou au chacun pour soi. Nous devons retrouver l’enthousiasme européen, tel qu’il fut porté par de grandes figures comme Jacques Delors, et le goût de l’action et de l’audace. Sans quoi nous resterons d’impuissants bavards.
M. le président
La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno Fuchs (Dem)
Dans cinq jours, lundi 20 janvier, Donald Trump succédera à Joe Biden, 46 e président des États-Unis, que beaucoup considèrent comme ayant été, ces dernières années, l’un des plus attentifs au continent européen. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche suscite une certaine appréhension de ce côté-ci de l’Atlantique, en raison du caractère décomplexé du personnage, de sa vision ouvertement transactionnelle et de son projet de type nationaliste pour l’Amérique.
Donald Trump n’est sans doute pas le président qui se montrera le plus soucieux de l’Europe. De ce point de vue, son retour est un électrochoc dont personne en Europe ne contrôle l’intensité ni l’impact. Il nous faut donc impérativement utiliser cet électrochoc de façon positive et constructive, réagir dans le sens de nos propres intérêts. Cela doit servir à dessiller les yeux d’un certain nombre de responsables européens. Trop nombreux encore sont ceux qui pensent, à tort, que la sécurité et l’avenir de l’Europe seront, quoi qu’il advienne, assurés par les États-Unis.
En septembre 2017, dans l’enceinte de la Sorbonne, le président de la République prononçait un discours dont le maître mot était la « souveraineté européenne ». De fait, des progrès notables et concrets ont été accomplis : la publication de la déclaration de Versailles le 11 mars 2022 ; l’adoption d’une boussole stratégique le 24 mars suivant ; l’élaboration de réponses toujours plus innovantes et audacieuses face aux crises qui se sont succédé, notamment la pandémie de covid-19. Face à la guerre en Ukraine, l’Union a posé les bases d’une économie davantage tournée vers la production d’armement.
Néanmoins, le président de la République l’a souligné, toujours à la Sorbonne : « Nous devons être lucides sur le fait que notre Europe, aujourd’hui, est mortelle. Elle peut mourir. Elle peut mourir, et cela dépend uniquement de nos choix. » Autrement dit, nous sommes livrés à nos propres responsabilités.
Nous devons donc assumer désormais, en Européens, davantage de responsabilités géopolitiques. Cela concerne tout d’abord l’Ukraine, que les États membres de l’Union européenne devront continuer de soutenir dans son combat pour la liberté et l’indépendance, quels que soient les choix américains. Il est possible que, sous l’impulsion de la nouvelle administration américaine, des négociations s’engagent en faveur d’un cessez-le-feu. Dans ce cas, l’Europe devra être prête à apporter à Kiev des garanties de sécurité solides, en tout cas bien plus solides que le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994.
Nous devons aussi, en Européens, nous montrer solidaires et ne pas nous aligner systématiquement sur les positions de Washington si celles-ci contreviennent à nos propres intérêts. La France a su le faire quand cela était nécessaire. Sur un autre plan, nous devons être capables d’engager un bras de fer commercial si Washington entend dicter des conditions unilatérales à l’Europe. Après tout, l’Union européenne est le premier marché des États-Unis.
L’Union européenne et les Vingt-Sept disposent de nombreux atouts pour s’affirmer et exister dans un monde multipolaire où les rapports de force prennent le pas sur la norme internationale. Pour pouvoir y recourir, tant l’Union européenne que la plupart de ses États membres doivent prendre conscience de leur poids collectif, de la portée de leurs décisions et de la nécessité d’une meilleure cohésion dans leurs actions communes.
Le 20 janvier, la prise de fonctions de Donald Trump pour un second mandat nous confrontera, nous, Européens, à la dure réalité du monde d’aujourd’hui. Lors de son premier mandat, il avait commencé à déstabiliser toute la gouvernance mondiale, notamment en dérégulant les grandes institutions internationales – entre autres l’Otan, l’Unesco, 1’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – et en désinvestissant dans plusieurs d’entre elles.
Cette fois, sa vision nationale-souverainiste est beaucoup plus aboutie. Il va faire basculer l’ordre mondial, construit pas à pas depuis la deuxième guerre mondiale. Fondé sur le multilatéralisme et la coopération entre les peuples, cet ordre a assuré la paix, en tout cas en Europe, et permis un accroissement des richesses dans le monde – 600 millions de Chinois sont ainsi sortis de la misère. Il a été globalement bénéfique, tirant le monde vers la paix et réduisant la précarité, même si l’on peut regretter que la répartition des richesses n’ait pas été suffisamment équitable. Donald Trump nous fera entrer dans un monde fondé sur le rapport de force et la haine de l’autre, avec toutes les conséquences préjudiciables qui en découleront, éventuellement la guerre.
À bien des égards, notre paix, notre souveraineté et notre liberté futures dépendront de la force des réponses qui seront apportées au niveau de l’Union européenne.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Bouyx.
M. Bertrand Bouyx (HOR)
Les États-Unis ont élu leur nouveau président. L’élection de Donald Trump a été certifiée le 6 janvier, et le président élu prêtera serment le 20 janvier. Le peuple des États-Unis a fait son choix. Il nous incombe de respecter le choix de ce peuple ami.
Quoiqu’il advienne dans les quatre prochaines années, la France et l’Europe devront continuer à travailler avec un allié de longue date. En effet, ce qui nous unit avec l’Amérique demeure plus fort que tout ce que pourra faire la prochaine administration pour nous diviser.
M. Aurélien Saintoul
Pas sûr !
M. Bertrand Bouyx
La France a fourni une aide précieuse à la naissance des États-Unis, et le sang américain versé sur les plages de Normandie et de Provence il y a quatre-vingts ans nous rappelle encore cette histoire commune.
Quoiqu’il advienne, nous, Européens, devrons apprendre à compter davantage sur nous-mêmes pour garantir notre souveraineté. Cette deuxième accession de M. Trump à la Maison-Blanche sonne comme un nouvel avertissement : les États-Unis sont et resteront nos alliés, mais leurs priorités stratégiques ont changé ; leur regard est tourné vers le Pacifique, dans une compétition croissante avec la Chine. Dans cette compétition entre puissances, l’Europe peine à se faire entendre.
Le débat sur la souveraineté européenne n’est pas nouveau. Il existait avant l’accession de Donald Trump au pouvoir, avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais force est de constater qu’avec l’accélération de l’histoire et le conflit qui fait rage à quelques heures de Paris, l’Europe est à la croisée des chemins.
Elle a pris toute la mesure des défis qui l’attendaient, dès mars 2022, à l’issue du sommet de Versailles organisé par la France – notre collègue Bruno Fuchs vient de le rappeler. La déclaration de Versailles porte déjà en elle les principaux enjeux d’une souveraineté européenne, sur la défense, l’énergie et l’économie du continent.
Il serait faux d’affirmer que rien n’a été fait, ces dernières années, pour renforcer la capacité de l’Europe à subvenir à ses besoins. En matière de défense, de nombreux chantiers ont été lancés : le Fonds européen de la défense, qui soutient la recherche et le développement dans ce domaine ; la Facilité européenne pour la paix, qui a permis de financer les cessions d’armement à l’Ukraine ; les actes européens pour l’acquisition conjointe d’armement et de munitions entre États membres.
L’Europe a renforcé son autonomie en matière énergétique, grâce au plan REPowerEU, qui a drastiquement réduit nos dépendances vis-à-vis du gaz naturel russe et a permis d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
L’Europe a relancé son économie après la pandémie, par un emprunt financé en commun et par des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec) dans les secteurs de l’hydrogène, des batteries et de la santé.
Notre débat de ce jour porte moins sur la nécessité d’avoir une souveraineté européenne que sur la question suivante : quelle souveraineté européenne voulons-nous ? Les États européens ne s’entendent pas souvent sur la voie à emprunter.
Pour la défense, s’agit-il d’une souveraineté pour elle-même ou dans le cadre de l’Alliance atlantique ? Notre conviction est que l’Otan ne pourra que bénéficier à long terme d’un pilier européen solide, capable de s’engager aux côtés des États-Unis, mais aussi d’être un acteur puissant, incontournable au sein de l’Alliance atlantique.
Pour l’énergie, il faudra mettre fin, une bonne fois pour toutes, au débat incessant entre partisans du nucléaire et partisans des renouvelables. Les deux seront toujours complémentaires ; il s’agit de donner à l’Europe un mix énergétique à la fois autonome et décarboné.
Pour notre économie, beaucoup reste à accomplir, en particulier pour renforcer la compétitivité. Le rapport remis par Mario Draghi à la Commission européenne en septembre est particulièrement éloquent à ce sujet : la part du PIB européen dans le monde ne cesse de s’affaisser ; notre productivité accuse des retards vis-à-vis des États-Unis ; l’Europe manque cruellement de champions dans les technologies de rupture. La tâche qui incombe à la Commission nouvellement nommée est immense ; l’Europe doit trouver les moyens de réaliser un choc d’investissement pour rattraper ces retards.
Nous en sommes convaincus, c’est sur ces fondations qu’une véritable souveraineté européenne pourra émerger.
M. le président
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
La souveraineté implique l’exclusivité des compétences législatives, exécutives et judiciaires. Le concept ne pose de problème pour aucun des États constituant l’Union européenne. En revanche, on ne peut pas dire qu’il s’applique à ladite Union, ensemble politique né d’une volonté de coopération partielle, mais certainement pas d’une fusion d’États.
Cela dit, la guerre en Ukraine, les propos agressifs du président élu Donald Trump, les tensions économiques et géostratégiques dans le monde, le défi du réchauffement climatique sont autant d’éléments qui remettent sur le devant de la scène la nécessité d’une souveraineté européenne.
En réponse à l’invasion russe, les dirigeants de l’Union européenne ont publié le 11 mars 2022 la déclaration de Versailles. Celle-ci a défini une feuille de route qui demeure d’actualité. Elle évoque trois dimensions structurelles : le renforcement de nos capacités de défense, la réduction de notre dépendance énergétique et la construction d’une base économique plus solide.
En matière militaire, l’objectif est d’œuvrer en complémentarité avec l’Otan, qui reste le fondement de la défense collective, et en soutien du droit international articulé autour des Nations unies.
Dans le domaine énergétique, la volonté exprimée est d’accélérer la réduction de notre dépendance aux combustibles fossiles, de diversifier nos sources et nos voies d’approvisionnement.
Est également soulignée la nécessité de créer un environnement apte à faciliter les investissements privés et de réduire notre dépendance stratégique, en agissant notamment dans les domaines des matières premières critiques, des semi-conducteurs, de la santé, du numérique et des produits alimentaires.
Le cahier des charges, concentré des grands enjeux d’avenir, est donc imposant. Il est difficile de ne pas adhérer à chacune, et donc à l’ensemble, de ces bonnes résolutions. On ne peut pour autant en masquer les insuffisances, les retards et les contradictions.
En matière géostratégique, on connaît les tensions fondamentales qui opposent les tenants d’un ordre atlantique et ceux qui sont plus volontiers tournés vers l’Est. Le Fonds européen de la défense et la Facilité européenne pour la paix sont en marche, mais le chemin qui pourrait conduire à une convergence stratégique est encore long. On peut pour le moins espérer que soient poursuivies les mesures aptes à renforcer les capacités de notre industrie de défense, pour l’heure largement dépendante du complexe militaro-industriel américain.
Pour ce qui est de l’énergie, l’Union souhaite mettre fin à sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes, en réalisant des économies d’énergie, en diversifiant les sources d’approvisionnement et en accélérant la transition vers une énergie propre. Le cofinancement européen conforte, de façon heureuse, les efforts nationaux partout entrepris dans ce sens, même si l’on peut remarquer la diversité des choix des États membres en ce qui concerne leur bouquet énergétique et leur positionnement en matière de contrats internationaux d’approvisionnement.
Il y aurait beaucoup à dire quant à la volonté proclamée d’un processus « transparent et inclusif » conduisant à la conclusion d’accords commerciaux. Le texte signé avec le Mercosur, dernier exemple en date, n’incite guère à l’enthousiasme.
Reste aussi à mieux harmoniser les règles sociales et fiscales qui président au fonctionnement quotidien du marché intérieur. La volonté proclamée est de simplifier et d’accélérer les procédures administratives, de créer un environnement réglementaire simple et de promouvoir la cohésion sociale. Dans ces différents domaines, l’horizon est encore lointain – c’est le moins que l’on puisse dire.
Sur le chapitre essentiel des politiques budgétaires, je cite la proclamation officielle des chefs d’État et de gouvernement européens : « Nous mènerons des politiques budgétaires saines, qui garantissent la soutenabilité de la dette de chaque État membre […]. » Je me dispenserai de tout commentaire en ce qui concerne la situation française dans ce domaine.
Le député de Corse que je suis ajoute que cette souveraineté ne sera réelle que si l’Europe reste fidèle à son héritage humaniste, protectrice de toutes les cultures, y compris les plus fragiles et les plus menacées. Elle doit prendre en considération les problèmes spécifiques des territoires périphériques et insulaires. Il faut notamment qu’elle comprenne que l’économie des territoires fragiles et la culture des peuples marginalisés méritent sa protection, et non une approche technocratique.
La dimension humaine qui donnerait une âme à l’Europe fait toujours défaut. Le chemin est encore long. Il conviendra de progresser dans tous les domaines identifiés par Emmanuel Macron en septembre 2017 : aller vers une Europe souveraine en matière de sécurité, de maîtrise du défi migratoire, d’ouverture vers le Sud, de développement durable, d’innovation et de puissance économique et monétaire. Ces chantiers restent ouverts. De leur degré d’avancement dépendra le futur de l’Europe et des Européens.
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe
Vous avez été nombreux à dire que l’élection de Donald Trump a constitué un électrochoc, qui suppose un réveil stratégique européen ; vous avez été nombreux à souligner que ce réveil est tardif. Les signaux d’alerte n’ont pas manqué mais, déjà en 2016, nombreux étaient ceux qui pensaient que son accession au pouvoir était un accident de l’histoire, une parenthèse désenchantée et que l’on reviendrait à la normalité des relations transatlantiques au bout de quatre ans.
Beaucoup avaient voulu ignorer les signaux précurseurs d’un changement durable de ces relations envoyés par l’administration Obama : mention d’un pivot vers l’Asie, refus d’intervenir en Syrie après l’utilisation des armes chimiques par Bachar el-Assad, affirmation de ce que l’Europe ne constituait plus une priorité. Et nombreux ont été ceux qui ont refusé de voir qu’il s’agissait de tendances de fond sous l’administration Biden : protectionnisme avec l’IRA, plan massif de soutien à l’industrie américaine, sans aucune coordination avec les alliés européens, maintien de certains tarifs douaniers instaurés par l’administration Trump ou encore alliance Aukus avec le Royaume-Uni et l’Australie.
Le réveil actuel doit pousser l’Europe à investir dans sa souveraineté, principe au cœur de la vision et de l’action de la France depuis le discours de la Sorbonne, en 2017. À l’heure où la guerre est de retour sur notre continent avec l’agression de la Russie contre l’Ukraine, les Européens doivent prendre en main leur propre destin, défendre – seuls au besoin – leur sécurité, être capables de protéger leurs valeurs, la démocratie libérale et leurs intérêts collectifs sur la scène internationale.
Alors que Donald Trump n’a pas encore investi le Bureau ovale, les ingérences de son proche conseiller Elon Musk, propriétaire du réseau social X – qui soutient des mouvements tels que l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) en amplifiant la portée de son message via l’algorithme de X, la dissémination de fake news et la désinformation –, pourraient bien être les prémices de la future politique américaine.
Si le DSA impose aux plateformes de réseaux sociaux de prendre leurs responsabilités, de modérer les contenus, de lutter contre la dissémination de la désinformation ou des deep fakes , les agissements d’Elon Musk et la guerre de la Russie contre l’Ukraine, fondamentalement, révèlent les faiblesses et les dépendances de l’Europe. Un réveil collectif est nécessaire.
Dans son rapport remis à la Commission européenne, Mario Draghi souligne le risque de décrochage industriel et technologique face aux États-Unis et à la Chine. En trente ans, les Américains ont créé deux fois plus de PIB par habitant que toute l’Union européenne. Dans des secteurs critiques pour notre souveraineté, tels que celui de l’intelligence artificielle, 60 % des investissements mondiaux se font aux États-Unis, près de 20 % en Chine et seulement 6 à 7 % dans l’Union. Dans les domaines quantique, spatial, numérique, comme dans les grandes industries de la décarbonation, l’Europe est à la peine ; elle n’investit ni n’innove suffisamment. Le potentiel d’investissements, privé et public, n’est pas exploité comme il l’est aux États-Unis.
L’élection de Donald Trump met ainsi en lumière la nécessité pour nous, Européens, d’investir en commun sur notre continent. Les rapports de Mario Draghi, d’Enrico Letta, les discours de la Sorbonne et de Versailles ont dessiné une feuille de route.
M. Nicolas Sansu
C’est pour ça qu’on diminue les investissements en France ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Nous devons parfaire notre marché unique, l’union des marchés de capitaux, notre union bancaire et donner les moyens aux entrepreneurs, aux innovateurs, aux start-up, à ceux qui veulent prendre des risques sur le continent européen de pouvoir le faire, de trouver des financements, de se développer, d’exporter.
Il nous faut soutenir et protéger nos industries, y compris face à la concurrence déloyale. L’Union européenne commence enfin à le faire. La France a soutenu l’enquête de la Commission puis la décision d’imposer des tarifs douaniers aux constructeurs de véhicules électriques chinois après qu’il fut constaté que la Chine le subventionnait massivement, au détriment de notre industrie. L’UE en aurait été incapable il y a quelques années… Nous entrevoyons le début de la sortie de la naïveté, en partie sous l’impulsion de la France, mais il reste beaucoup à faire !
Il est impératif d’investir et de mobiliser l’investissement public et privé pour soutenir les innovations de rupture, en s’inspirant de l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA). Il l’est tout autant de soutenir, comme vous avez été plusieurs à le dire, notre industrie de défense – la dernière loi de programmation militaire prévoit un doublement des budgets – mais également d’investir, au niveau européen, dans des coopérations militaires et des financements originaux.
Nous avons su le faire face à la menace existentielle du Covid, en créant, sous l’impulsion de la France, de l’Allemagne et d’autres pays, le plan NextGenerationEU, soit 750 milliards d’euros d’investissements publics et de dette commune pour relancer notre économie, investir dans l’innovation verte et les nouvelles technologies.
Face à un autre défi existentiel, sachons prendre des mesures aussi courageuses et soutenons notre industrie de défense ! Il s’agit, monsieur Saintoul, de soutenir l’industrie de défense européenne. C’est le combat de la France ! Vous avez mentionné le débat sur le programme Edip mais vous avez aussi entendu le ministre des armées lors de la conférence des ambassadeurs : si nous dégageons des ressources européennes, c’est bien sûr pour investir dans notre autonomie stratégique, soutenir notre industrie européenne de défense et non créer des usines au Kentucky.
Cette feuille de route demandera de la volonté politique. À ceux tentés par le repli et l’isolement, face au tumulte géopolitique, à la concurrence aggravée et à l’accélération du changement des règles du monde, je dis que la France doit avoir une ambition pour l’Europe. Depuis sept ans, elle porte auprès de ses partenaires la voix d’une Europe qui se réarme, assume des rapports de force, se dote d’instruments avec la volonté politique de les utiliser.
C’est vrai, le chemin est encore long. Alors que nous sommes à la veille de négociations commerciales sans doute ardues avec nos partenaires américains, ce n’est pas le moment de se diviser et de commencer à faire des concessions unilatérales, en disant par exemple qu’il faudrait augmenter les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis.
La volonté politique de s’affirmer, le fait d’assumer des rapports de force, de défendre nos intérêts, d’investir massivement dans notre compétitivité, dans l’innovation, dans notre industrie et notre défense : tel est le message que porte la France. C’est cette souveraineté européenne qui nous permettra de continuer à peser dans les grands équilibres mondiaux et de défendre les intérêts de notre pays dans un monde violent et compétitif. Une France forte, au sein d’une Europe forte et unie !
M. le président
Nous en venons aux questions.
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
Le président élu Donald Trump vient de s’illustrer à plusieurs reprises par des propos agressifs qui témoignent d’une vision du monde basée sur le rapport de force et nient tout esprit de coopération et toute notion de dialogue entre les nations.
Nous avons par ailleurs assisté à l’intrusion de certains magnats américains de la technologie dans les affaires publiques européennes. Les géants du numérique tentent visiblement de façonner l’opinion publique grâce à leurs plateformes et de s’immiscer dans les débats, souvent au mépris des pratiques électorales et des valeurs au fondement de la vie démocratique européenne. Tout cela contrevient au respect de notre État de droit et à l’indépendance de nos choix politiques.
Monsieur le ministre, sans renoncer à la coopération transatlantique, quelle politique comptez-vous mener pour répondre aux éventuelles tentatives de déstabilisation, défendre le modèle démocratique européen contre toute forme d’influence déguisée et promouvoir les entreprises technologiques européennes garantes de notre souveraineté numérique ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Votre question est parfaitement posée. Il faut nous défendre et protéger nos démocraties contre les tentatives d’ingérences, qu’elles s’expriment via TikTok, comme la Russie vient de le faire en Roumanie et en Moldavie ou via l’amplification de messages d’extrême droite sur X.
Nous avons développé des règles, comme celles que prévoit le DSA, appliquons-les ! J’ai demandé il y a quelques jours à la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Henna Virkkunen, de poursuivre et d’amplifier les enquêtes de la Commision sur les violations de ces règles par les plateformes de réseaux sociaux. Je pense notamment à la lutte contre la désinformation, la haine en ligne ou l’utilisation de faux.
Mais face à ce type d’ingérences et de tentatives de déstabilisation, nous ne serons souverains que si nous sommes capables de faire émerger nos propres acteurs du numérique. D’où l’importance de soutenir l’innovation, de protéger notre industrie et de libérer les capacités d’investissement de nos banques et de nos start-up pour investir dans l’intelligence artificielle et le quantique, secteurs qui seront au cœur de la souveraineté de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
L’Europe risque d’être l’une des premières victimes de l’administration américaine. Le président Trump a en effet déclaré vouloir lui faire payer son excédent commercial par une hausse des tarifs douaniers et du prix du GNL.
Alors que la menace d’une guerre commerciale est à l’ordre du jour, l’Europe se trouve dans un état de fragilité absolue : après le choc énergétique provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine, nous voici au milieu d’une crise industrielle qui risque de laisser, en France, plus de 200 000 personnes sans emploi.
La politique de l’offre est morte ! Loin d’avoir réussi à freiner les destructions d’emplois, les subventions et crédits accordés aux entreprises ont rempli les poches de ceux qui impulsent les délocalisations.
Le temps du libre-échange est révolu ! Les marchés internationaux ne sont pas des vecteurs de paix entre les peuples mais, comme cela a toujours été le cas, le lieu où le mode de production capitaliste se développe et où les puissances impériales se confrontent.
Même l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, reconnaît dans son rapport que l’Europe décroche et qu’il faudrait un investissement annuel commun de 800 milliards d’euros pour rattraper ce retard. Or vous vous apprêtez à diminuer l’investissement public en France !
L’affirmation d’une souveraineté industrielle des pays européens nécessite de rompre avec les dogmes économiques austéritaires des vingt dernières années. La France peut défendre cette voie avant-gardiste ! Cette rupture doit se traduire par des actes concrets : une réforme du pacte de stabilité et de croissance, une régulation des prix de l’énergie pour favoriser l’industrie, une protection des producteurs européens et la conquête de l’indépendance énergétique. Il faut aussi réorienter l’argent : les 100 milliards versés aux actionnaires du CAC40 en dividendes et en rachat d’actions doivent être redistribués.
Face aux offensives impérialistes sino-américaines, ne pensez-vous pas que l’Europe et la France doivent réinvestir massivement, instaurer des barrières douanières pour protéger leurs industries et leurs emplois ? Monsieur le ministre, sortez des chimères du libre-échange, protégez les Français et les Européens !
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je ne me souvenais pas que le rapport Draghi préconisait une sortie du capitalisme ! Il nous encourage au contraire à faire émerger des acteurs industriels et technologiques en leur laissant la possibilité de prendre des risques, d’innover, d’entreprendre et en les finançant afin de créer un écosystème favorable.
Cela signifie, tout d’abord, qu’il faut simplifier et réduire les normes et les régulations qui ont trop longtemps empêché certains acteurs de se développer. Mario Draghi propose ainsi un choc de simplification pour soutenir nos entreprises. Il faut ensuite renforcer les acteurs du capital-risque, les banques qui souhaitent financer et investir.
Par ailleurs, vous avez raison de le souligner, il faut aussi prévoir des investissements publics. Je mentionnais d’ailleurs à l’instant le plan d’endettement commun NextGenerationEU, ce grand emprunt européen lancé sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne pour sortir de la crise covid. L’ancien président de la BCE, Mario Draghi, estime, lui, qu’il faut mobiliser 800 milliards par an.
S’agissant du libre-échange, nous devons, comme les autres, être capables de défendre nos intérêts commerciaux. Le cas échéant, lorsque nous sommes sous la pression des États-Unis ou de la Chine, nous devons pouvoir répondre en imposant nos propres mesures tarifaires. Nous avons agi ainsi face aux véhicules électriques chinois et, à l’avenir, si nous sommes sous pression commerciale, nous devrons de nouveau assumer des rapports de force et des bras de fer avec les États-Unis. À cet égard, c’est bien en restant unis et forts, que nous pourrons, en Européens, assumer ce rapport de force. C’est bien sûr la voix que portera la France.
M. le président
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
En 2023, les États-Unis étaient le premier partenaire commercial de l’Union européenne. Pour nombre de nos producteurs et entrepreneurs, la relation commerciale avec les États-Unis est donc précieuse et nous comprenons les inquiétudes que la politique offensive du président Trump peut leur inspirer. Ce dernier souhaite en effet inverser la balance de nos échanges en ciblant particulièrement trois secteurs : l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique et le domaine des vins et spiritueux.
Cette politique entend défendre les intérêts des États-Unis. En tant que telle, elle est parfaitement légitime d’un point de vue américain. Car le problème, ce n’est pas la politique américaine, librement, souverainement choisie par le peuple américain mais l’incapacité de la France à défendre ses intérêts avec la même force, la même détermination et la même efficacité, notamment en Europe et à Bruxelles. Nous en avons pourtant le devoir.
Dans mon territoire d’élection, riche de son vignoble champenois, le marché américain n’est pas accessoire. Premier marché à l’export de l’AOC – appellation d’origine contrôlée – champagne, il représente 27 millions de bouteilles expédiées pour un montant total de 810 millions d’euros. Il est essentiel pour toute la viticulture française puisque les États-Unis sont le leader incontesté de la consommation mondiale de vin.
Face à cette situation, pouvez-vous nous garantir – ainsi qu’aux vignerons français – que la France défendra à Bruxelles les intérêts du commerce français ? Pouvez-vous nous assurer, loin des foucades passées du président Macron à l’égard du président Trump, et sans s’égarer dans une illusoire souveraineté européenne qui méconnaîtrait nos intérêts au profit de ceux d’autres pays européens, que la France agira pour construire des relations commerciales reposant sur le respect, l’équilibre et la confiance, avec notre partenaire d’outre-Atlantique ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je vous avoue que je suis un peu surpris par la tonalité de votre question, comme d’ailleurs par l’intervention de votre collègue Mme Mansouri.
Vous vous félicitez de l’élection de Donald Trump, que vous soutenez, tout en rappelant que sa politique commerciale ira peut-être à l’encontre des intérêts des employés et ouvriers de l’industrie aéronautique, des agriculteurs ou encore des viticulteurs. J’aimerais savoir comment vous expliquerez à ces derniers, qui pourraient être confrontés à des mesures douanières et commerciales, pourquoi vous avez jugé bon de soutenir, dans le cadre d’une élection à l’étranger, un candidat qui formule ce type de proposition. C’est une drôle de vision du souverainisme !
Notre seul objectif, notre seule boussole, c’est la défense des intérêts de la France et des Français. Ainsi, c’est pour défendre les intérêts des agriculteurs que nous refusons l’accord avec le Mercosur – en l’état, il ne respecte ni nos clauses ni nos exigences sur le plan commercial comme environnemental. De même, nous avons soutenu l’Europe lorsqu’elle a défendu ses intérêts commerciaux de façon offensive, sans naïveté, dans le dossier des véhicules électriques chinois. En matière de défense, nous prônons la préférence européenne pour qu’émerge une véritable autonomie stratégique européenne.
Il n’est pas question de se faire la voix de pays étrangers, de chercher à plaire aux uns en affichant son respect ou à déplaire aux autres en réagissant par foucades. Nous devons simplement défendre nos intérêts et assumer, le cas échéant, des rapports de force – non nous soumettre, monsieur le député.
M. le président
La parole est à Mme Manon Bouquin.
Mme Manon Bouquin (RN)
Une addition de faiblesses n’a jamais constitué une force. Cela vaut pour tous les domaines dans lesquels l’immixtion européenne a abouti à un affaiblissement général.
Je prendrai un seul exemple du sabotage de notre économie : le secteur de l’énergie. Oui, dans ce domaine, la France a bien accepté le sabotage opéré par une Union européenne acquise aux intérêts de l’Allemagne, pays certes partenaire mais aussi concurrent, qui cherche à réduire son déficit de compétitivité.
Ces deux influences étrangères ont non seulement saboté le nucléaire français mais aussi arrimé notre pays à une crise des prix énergétiques, consciemment provoquée par les mauvais choix de l’Allemagne sur l’éolien – des choix qui ont fait de ce pays le toxicomane gazier de l’Europe. Aujourd’hui, c’est peu ou prou toute l’économie européenne qui souffre du sevrage imposé par les sanctions à son fournisseur russe. Pire : ces choix ont conduit à créer de nouvelles dépendances, notamment envers les États-Unis ou l’Azerbaïdjan, un pays qui combat les intérêts de la France et encourage les troubles civils, comme en Nouvelle-Calédonie.
Donald Trump a esquissé des lignes claires pour sa politique de souveraineté économique, ce qui en fait un concurrent redoutable. Il ne s’enferme pas dans des carcans qui nuiraient à cette souveraineté et n’hésite pas à faire des mises au point, y compris au sein de l’espace de coopération économique nord-américain, notamment avec le Canada.
Serons-nous lucides sur nos propres faiblesses ? Comprendrons-nous que seul l’intérêt national peut servir de boussole pour naviguer dans les eaux nouvelles de la démondialisation ? C’est là que réside tout l’enjeu, pour l’Union européenne et la France, du deuxième mandat de Donald Trump.
Ma question est donc la suivante : le gouvernement poursuivra-t-il une politique de servitude européenne ou cherchera-t-il à réaffirmer la souveraineté française pour que, d’une part, les partenariats européens favorisent le renforcement et la réinstallation de la production en France, et que, d’autre part, l’Union européenne cesse de contraindre notre pays à accepter des accords ou des politiques qui nuisent à nos producteurs, notamment nos agriculteurs et nos viticulteurs ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
S’agissant de toutes les questions stratégiques que vous avez évoquées – l’énergie, la politique commerciale, la défense de nos intérêts face aux ingérences avec l’exemple de la Nouvelle-Calédonie, les enjeux industriels ou la protection de nos agriculteurs –, sommes-nous plus forts quand nous sommes isolés et divisés face aux États-Unis et à la Chine ? La France ne tire-t-elle pas bénéfice de son union avec les autres pays pour défendre précisément les intérêts de ses agriculteurs, de ses ouvriers et de ses industries ? N’est-ce pas ainsi que les Européens pèsent davantage ? Si, pour y parvenir, nous devons exiger des transformations profondes de la part de l’Europe, nous nous y emploierons.
Vous avez évoqué la question de l’énergie. C’est la France, justement, qui a obtenu la reconnaissance du nucléaire comme énergie décarbonée dans la taxonomie européenne et qui l’a promu, parmi les énergies renouvelables, dans le mix énergétique de l’Union européenne. C’est la France, précisément, qui a permis la réforme du marché européen de l’énergie – le prix de l’électricité est enfin découplé de celui du gaz.
C’est en procédant ainsi que nous défendons nos intérêts et non en nous repliant, en nous affaiblissant, en perdant notre ambition européenne. Sans naïveté, de façon lucide – un mot que vous avez employé – nous devons emporter l’adhésion de nos partenaires pour assumer des rapports de force sur la scène internationale et défendre ainsi nos intérêts.
Pourquoi, selon vous, Elon Musk soutient-il des mouvements anti-européens en Europe alors qu’on ne l’entend pas s’exprimer sur la Russie ou sur la Chine ? Pourquoi, selon vous – qui êtes la première à souligner que les États-Unis défendront leurs intérêts de façon offensive, contre nous – Donald Trump soutient-il des mouvements politiques qui tiennent le même discours que vous en matière de souverainisme, qui évoquent la nécessité de sortir des mécanismes européens ? Imaginez-vous que c’est pour nous faire plaisir, pour nous faire une fleur, parce qu’il pense ainsi nous renforcer ? Ne veut-il pas, au contraire, alors que des négociations vont s’ouvrir, nous diviser et nous affaiblir ? Sans naïveté, je penche pour la deuxième hypothèse.
M. le président
La parole est à M. Frank Giletti.
M. Frank Giletti (RN)
À l’heure où l’on parle de l’Europe de la défense, on nous présente Edip comme une avancée décisive. Soyons lucides : ce programme ressemble davantage à une usine à gaz bureaucratique qu’à une réelle stratégie visant à renforcer la souveraineté des nations européennes – et vous le savez.
Les acteurs de la BITD, au cœur des capacités stratégiques, expriment eux-mêmes des inquiétudes légitimes. Ils refusent à juste titre l’instauration d’un marché unique de la défense qui, au nom d’une ouverture systématique, mettrait en péril nos fleurons industriels en les confrontant à la concurrence déloyale d’industries subventionnées par d’autres États européens ou par des acteurs extraeuropéens comme les États-Unis.
L’élection de Donald Trump l’a pourtant déjà mis en évidence : l’Europe ne peut plus se reposer sur le parapluie américain. Ce constat aurait dû nous inciter, dès son premier mandat, à bâtir une défense fondée sur nos propres intérêts en consolidant nos capacités industrielles et en renforçant la souveraineté française. Or nous persistons à lancer des projets européens mal conçus qui confondent souveraineté et logique mercantile et risquent de diluer notre puissance. Dois-je vraiment revenir sur le cas des coopérations industrielles franco-allemandes, comme le Scaf ou le char du futur, qui peinent à avancer en raison de divergences stratégiques profondes ?
Nos partenaires, notamment l’Allemagne, poursuivent avant tout leurs propres intérêts industriels et commerciaux, quitte à ralentir ou à affaiblir ces programmes. Comment leur en vouloir ? La Pologne, par exemple, qui a promis de consacrer 5 % de son PIB à la défense, montre déjà qu’elle utilise les fonds européens pour acheter des équipements européens.
Dès lors, pourquoi reproduire ces mêmes erreurs avec l’Edip et risquer un nouveau fiasco ? En cherchant à imposer des règles bureaucratiques et une ouverture systématique à des acteurs extérieurs, l’Europe sacrifie ses ambitions stratégiques sur l’autel du marché libre, au risque de diluer son rôle de puissance géopolitique.
Je vous pose donc la question : comment justifiez-vous la prise en considération de critères fondés uniquement sur la valeur monétaire des produits au détriment de leur qualité et de leur origine alors que certains produits européens – français par exemple – sont certes plus coûteux mais disposent de capacités supérieures ?
Enfin, comment garantir que les fonds du programme soutiendront bien des produits de défense conçus au sein de l’Union européenne sans tomber dans le piège des licences étrangères ? Il s’agit de préserver notre capacité d’adaptation rapide aux besoins nationaux.
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Avant de répondre précisément à votre question sur Edip, je tiens à souligner que notre défense nationale constitue bien sûr la base de notre politique de défense. C’est d’ailleurs pourquoi, au cours des deux mandats d’Emmanuel Macron, nous avons doublé le budget de la défense – je crois d’ailleurs que vos collègues du Rassemblement national ont soutenu cet effort. Nous disposons bien sûr d’une force de frappe nucléaire autonome, qui fait de la France une puissance dotée et garantit sa souveraineté.
Par ailleurs, nous avons soutenu le développement de certains programmes européens pour encourager les coopérations industrielles et faire émerger des financements européens. La première condition que nous avons posée est celle de la préférence européenne, en particulier s’agissant de l’autorité de conception, un point que vous avez mentionné et qui est au cœur des négociations liées au programme Edip. Le savoir-faire technologique doit rester en Europe.
Je précise que la majorité des financements prévus dans le cadre de ces négociations sont destinés à l’industrie européenne. Car, si chaque pays peut dépenser son budget de défense comme il le souhaite, il n’est pas question d’acheter américain ou coréen avec l’argent du contribuable européen. C’est la ligne que nous défendons, notamment s’agissant de la maîtrise technologique.
Face à l’urgence de la situation internationale, à la nécessité de réarmer, nous devons poursuivre les efforts nationaux, à l’image de nos voisins européens. Nous avons d’ailleurs reçu la semaine dernière Radosław Sikorski, le ministre des affaires étrangères de Pologne, pays qui consacre 4,7 % de son PIB au budget de la défense.
Cependant, il est de notre intérêt d’agir en Européens. Nous devons pouvoir dégager de nouveaux financements – je pense aux eurobonds, un système d’emprunt commun au niveau européen – si nous en avons besoin. Cela suppose bien sûr que nous définissions certains critères – c’est ce que nous avons défendu au sein du Conseil de l’Europe pour le programme Edip.
M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.
Mme Eléonore Caroit (EPR)
La réélection de Donald Trump en novembre dernier ouvre un nouveau chapitre des relations transatlantiques. Le mandat que défendra le président Trump à partir de son investiture, le 20 janvier prochain, est sans ambiguïté : « Make America great again ! » ou encore « America first ! ». Ces slogans seront la base de tout échange et de toute négociation avec les États-Unis.
L’élection de Donald Trump souligne, si cela était encore nécessaire, l’urgence pour l’Union européenne de se concevoir et d’agir de manière autonome, dans un monde marqué par des tensions accrues.
Dès lors, il ne s’agit plus de nous livrer à un débat philosophique ou juridique. Nous devons concrétiser une véritable souveraineté européenne. La remise en question de l’aide à l’Ukraine, les revendications territoriales de Trump vis-à-vis du Groenland, du Canada, du canal de Panama ou encore la guerre toponymique dont le golfe du Mexique fait l’objet sont autant d’éléments qui soulignent l’importance d’une action européenne concertée.
Nous avons fait des pas importants dans cette direction mais il faut dorénavant faire preuve de davantage d’ambition et surtout de coordination entre les États membres. Nous avons bâti des politiques communes en matière de commerce, d’énergie, de défense. Il nous faut à présent nous appuyer sur ces fondations pour renforcer notre capacité à agir de manière autonome, protéger nos citoyens, défendre nos intérêts.
Cela passe par le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, par l’application du pacte vert pour l’Europe pour sécuriser nos approvisionnements stratégiques et par une accélération de notre industrie numérique.
Concrétiser la souveraineté européenne, c’est construire une Europe capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Plus que jamais, l’Union européenne ne doit compter que sur elle-même pour défendre ses valeurs, ses intérêts, ses citoyens.
Dans cette perspective, pensez-vous que le recours à la préférence européenne, qui consiste à privilégier les acteurs, produits et technologies européens lorsque cela est possible, puisse devenir un levier clef de renforcement de notre souveraineté ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je ne peux que partager votre constat : les Européens doivent assumer la responsabilité de leur propre destin et investir dans leur défense, leur sécurité et leur souveraineté.
La préférence européenne est au cœur de notre vision de la défense comme de l’industrie. Il faut sortir de la naïveté commerciale et assumer de protéger et défendre nos intérêts, notamment quand les autres font œuvre de protectionnisme et s’affranchissent des règles internationales, des codes de l’OMC. Ne soyons pas les derniers dindons de la farce du commerce international et de la mondialisation des années 90. Sachons aussi montrer nos muscles et défendre nos propres intérêts industriels !
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Klinkert.
Mme Brigitte Klinkert (EPR)
Dans cinq jours, Donald Trump deviendra le 47 e président des États-Unis. Son élection constitue un facteur d’instabilité pour les Européens et la France, davantage encore, sans doute, que celle qui avait donné lieu à son précédent mandat. Les États-Unis sont un partenaire de l’Europe et de la France mais il est désormais difficile de considérer que ce partenaire soit fiable, constant et loyal.
Une ère d’incertitude s’ouvre quant aux ambitions de la future administration Trump à l’égard de l’Europe et de l’Otan, telles que les révèle déjà la diplomatie parallèle et réactionnaire menée par Elon Musk, qui se livre à une guerre d’influence affectant les élections démocratiques en Europe. L’ingérence dans nos processus démocratiques constitue une violation directe de la souveraineté européenne.
En Allemagne, Musk fait usage de ses capitaux privés et du pouvoir que lui confère le réseau social qu’il possède pour influencer les élections. Cela représente un danger et une ingérence contraire aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. L’Allemagne, notre principal partenaire, avec lequel nous formons le pilier de l’Europe, renouvellera le Bundestag le 23 février. Le soutien de Musk à l’AfD, l’extrême droite allemande eurosceptique, est une forme d’interférence nouvelle de la part d’un allié.
En décembre, le bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande a adopté une déclaration politique qui réaffirme, face à un monde instable et hostile, le besoin d’une autonomie stratégique européenne et le rôle moteur de la France et de l’Allemagne.
Monsieur le ministre, comment la France compte-t-elle faire entendre sa voix à Bruxelles pour que la Commission européenne assure notre souveraineté numérique et la sécurité de nos processus démocratiques ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Vous avez rappelé la nécessité de faire respecter nos règles applicables au domaine numérique. Nous nous sommes dotés d’instruments tels que le DSA et le DMA. Il appartient à la Commission d’en faire usage face à ces ingérences et à l’amplification de certains messages, en particulier du fait de la manipulation de l’algorithme du réseau social X. Je souligne aussi le rôle joué par TikTok dans les élections parlementaires roumaines, que la Russie a manipulées.
La Commission européenne doit faire respecter nos règles : voilà le message que Jean-Noël Barrot, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et moi-même lui avons adressé. Je me suis personnellement entretenu avec la vice-présidente Henna Virkkunen afin de lui rappeler la nécessité de poursuivre les enquêtes en cours pour faire respecter le droit.
Le deuxième pilier de notre action se fonde sur l’innovation et la capacité à faire émerger des acteurs dans le numérique, le quantique et l’intelligence artificielle, des secteurs stratégiques qui seront déterminants pour la souveraineté et la compétitivité de notre continent. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est précisément parce que nous n’avons pas su faire émerger de Musk, de grands acteurs industriels européens qui nous permettraient de protéger nos normes et nos valeurs.
L’application des préconisations du rapport Draghi a pour objet de traiter cet enjeu, auquel nous ferons face dans les prochaines années.
M. le président
La parole est à Mme Nadège Abomangoli.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP)
Souveraineté populaire et paix : voilà les deux principes qui devraient guider notre politique de défense. Or force est de constater que la promesse d’une défense européenne éloigne notre pays de ces idéaux. En cherchant à plaire aux plus atlantistes de nos voisins, la France s’est alignée depuis des années sur l’Otan. Nous n’avons récolté de cette manœuvre que de l’indifférence, voire du mépris. Il convient de renouer avec une politique non-alignée en matière de défense nationale.
On l’a maintes fois répété : la défense européenne est une chimère qui renforce notre dépendance à l’égard des États-Unis tout en promettant de nous y soustraire. Trump ou pas, la défense européenne annihile toute prétention à l’autonomie stratégique nationale.
Certains ont imaginé le concept d’autonomie stratégique européenne. Mais où est-elle en Ukraine, en Israël, en Palestine, dans le Pacifique ou encore s’agissant de la cyberdéfense et de l’espace ? L’autonomie stratégique européenne n’existe pas ; l’autonomie stratégique française n’existe plus.
Nous le savons tous : d’un point de vue démocratique, l’idée d’une défense européenne est une illusion. Il n’existe pas de peuple européen souverain susceptible de légitimer une politique militaire globale.
Les promoteurs de l’Europe de la défense rêvent d’une défense commune avec des pays qui ne partagent pas nos intérêts géopolitiques. Ainsi, alors que le monde court à la guerre, certains continuent de fantasmer le pacifisme d’une Europe de plus en plus belliqueuse, car de plus en plus alignée sur les États-Unis qu’incarne Donald Trump, avec ses velléités hégémoniques.
Comme vous, la perspective d’un effacement de la voix de la France à l’international m’inquiète. Comment envisagez-vous de rendre crédible cette voix, qui a si bien porté par le passé mais n’a guère compté dans le conflit israélo-palestinien ?
J’en profite pour me féliciter de l’accord de cessez-le-feu et de libération des otages conclu aujourd’hui entre Israël et le Hamas, après beaucoup trop de souffrances.
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je me félicite aussi que cet accord ait été trouvé. J’aurais aimé vous entendre vous féliciter du rôle joué par la diplomatie française, Emmanuel Macron et Jean-Noël Barrot dans la signature récente d’un accord de cessez-le-feu au Liban. La France, avec ses partenaires américains, a fait porter sa voix au Moyen-Orient et a permis à nos amis et partenaires libanais de sortir de l’impasse politique dans laquelle ils se trouvaient.
N’opposons pas le fait d’avoir des alliés et celui de mener une politique étrangère indépendante et une politique de défense souveraine. Nous sommes membres de l’Otan, mais le budget que nous consacrons à la défense n’en a pas moins doublé au cours des deux mandats d’Emmanuel Macron et nous disposons d’une capacité de dissuasion nucléaire autonome.
Nous n’avons jamais été non-alignés. La France est un membre fondateur de l’Alliance atlantique. Elle s’est retirée de son commandement militaire intégré sous la présidence de Charles de Gaulle, à une époque où des bases militaires américaines se trouvaient sur notre territoire et où l’on débattait de l’indépendance de notre politique de dissuasion, mais elle n’a pas quitté l’Alliance. Lors des grandes crises, telle la crise des missiles de Cuba, elle s’est tenue aux côtés de ses partenaires sans jamais perdre l’indépendance de sa voix, qui s’est fait entendre au sujet de la guerre du Vietnam, de la guerre en Irak ou, plus récemment, du Moyen-Orient.
C’est avec ses alliés, ses amis, ses partenaires, grâce à son action et à son indépendance que la France fera porter sa voix et exercera son influence sur la scène internationale, non en suivant une politique isolationniste qui n’a jamais été la sienne.
M. le président
La parole est à M. Aurélien Taché.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP)
Lundi prochain, Donald Trump présidera à nouveau aux destinées de ce qui est encore la première puissance mondiale – du moins pour le moment car, s’il a clairement la volonté d’entraîner son pays dans une confrontation directe avec la Chine, rien ne dit qu’il en sortira victorieux. La France ne doit à aucun prix se laisser entraîner dans la logique infernale de la confrontation entre ces deux grandes puissances, sur lesquelles nous ne devons pas nous aligner.
La France est le pays qui résiste à tous les impérialismes. Or le retour de Donald Trump annonce un nouvel âge de l’impérialisme américain. Nous commettrions une grossière erreur en ne prenant pas au sérieux les menaces qu’il fait peser sur le Groenland, le canal du Panama ou même le Canada. Suivant sa nouvelle doctrine, toute forme d’autonomie et de souveraineté de ses alliés est vécue comme une marque d’hostilité. Cela vaudra pour les États européens.
La guerre de conquête redevient possible pour les États-Unis et la logique coloniale est relancée. L’absence de véritable réaction des grandes puissances européennes – non, il n’y a pas eu de réaction suffisamment forte de leur part au génocide qui se déroulait à Gaza, et je salue également le cessez-le-feu qui vient d’être signé – finira peut-être par se retourner contre elles. Trump a vu qu’Israël pouvait annexer une partie du territoire de ses voisins libanais ou syriens sans susciter de vraies résistances. Que ferons-nous si, demain, les Antilles françaises ou néerlandaises sont ciblées par un Trump qui veut rebaptiser « golfe d’Amérique » le golfe du Mexique ?
Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, devrait y songer avant de chercher à décourager nos pays de se dégager de la tutelle américaine, comme il l’a fait hier encore devant le Parlement européen.
Comment expliquez-vous le silence du président de la République française au sujet de ces menaces ? Plutôt que de nous fâcher avec toute l’Afrique, ne devrions-nous pas chercher à faire front avec ceux qui, comme nous, ont tout à craindre d’un nouvel expansionnisme américain ? La France se serait-elle déjà résignée à sa potentielle vassalisation ?
En Elon Musk, qui n’aurait jamais fait fortune sans les financements du département d’État des États-Unis, Trump a trouvé un allié de taille qui cherche à déstabiliser nos démocraties. Même si le fait de quitter son réseau social ne constitue pas une solution à ce problème, il faut le contraindre à respecter nos lois, comme l’ont fait nos amis brésiliens. Si vous êtes d’accord sur ce point avec votre collègue Jean-Noël Barrot, engagez dès à présent le bras de fer et n’attendez pas une hypothétique réaction de Bruxelles.
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Vous parlez du silence de la France mais elle est aux côtés de ses partenaires et de ses amis. Concernant les menaces proférées par Donald Trump au sujet du Groenland, que la France a jugées inacceptables, le président de la République s’est entretenu le jour même avec la première ministre danoise afin de lui exprimer notre solidarité.
C’est justement contre de telles menaces que la France soutient l’idée d’une Europe souveraine capable de défendre ses intérêts. Tout notre débat de ce soir révèle qu’il n’y a aucun silence. Au contraire, les Européens manifestent leur volonté de reprendre leur destin en main, d’investir dans leur souveraineté et leur autonomie stratégique, de sortir de la naïveté sur les plans commercial et géopolitique – c’est le sens des propos tenus par le président de la République lors de la conférence des ambassadeurs.
Nous partageons le sentiment que le monde est menaçant : la conquête territoriale redevient possible et les rapports de force s’expriment de façon débridée et exacerbée. Plutôt que de faire de la politique politicienne et de chercher des boucs émissaires et des responsables en politique intérieure, sachons faire preuve d’unité et avançons ensemble pour défendre collectivement nos intérêts.
M. le président
La parole est à M. Julien Gokel.
M. Julien Gokel (SOC)
L’élection de Donald Trump nous confronte à l’urgence de réduire nos dépendances. On peut la percevoir comme une menace mais elle doit surtout servir de signal d’alarme : il est impératif de renforcer l’autonomie stratégique de notre continent.
Si nous voyons le verre à moitié vide, cette élection n’est peut-être pas une bonne nouvelle pour notre continent, pour l’état de nos relations commerciales, pour l’avenir de l’Otan mais aussi pour la paix en Ukraine ou tout simplement pour la planète.
Mais si nous voulons bien voir le verre à moitié plein, cette élection nous oblige. L’Union européenne n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est au pied du mur. Ces dernières années, nous en avons eu la preuve, lorsque nous avons su mettre de côté nos divisions pour faire bloc face à la pandémie du covid-19 ou pour soutenir l’Ukraine après l’invasion russe.
Que ce soit en matière commerciale, de défense ou de transition écologique, l’élection de Donald Trump doit nous pousser à renforcer notre indépendance – je pense que vous l’avez saisi, monsieur le ministre. Si nous n’allons pas dans ce sens, nous continuerons tous les quatre ans à observer les élections américaines comme si l’avenir du monde et plus particulièrement de notre continent se jouait à quelques milliers de voix dans l’un des swing states .
Par comparaison avec la première élection de Donald Trump en 2016, à laquelle personne n’a jamais voulu croire, nos dirigeants européens semblent aujourd’hui s’être mieux préparés à cette nouvelle élection. Avant d’entrer dans le détail des conséquences du retour de Trump sur notre économie, pouvez-vous nous dire comment la France, nos services et nos diplomates ont préparé notre pays à cette élection et anticipé les conséquences que nous pouvons imaginer ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
La France s’est préparée en n’entretenant aucune illusion sur la tendance de fond que l’on observe de la part des États-Unis. Déjà sous l’administration Obama, puis sous la première administration Trump et sous l’administration Biden, l’Europe, sous l’impulsion de la France, est sortie de sa naïveté sur le plan commercial, a investi dans des coopérations en matière de défense, a défendu ses valeurs et sa souveraineté sur le plan numérique. Je viens d’évoquer le DSA : c’est en donnant enfin à l’Europe les moyens de se défendre que nous nous prémunissons contre toute éventualité à l’étranger.
Les Américains ont fait leur choix, il est souverain et nous le respectons. Le président Trump défendra leurs intérêts. Notre ambition, c’est que les Européens puissent toujours défendre les leurs, conformément à la vision et au projet que nous défendons, avec des résultats, depuis 2017.
M. le président
La parole est à M. Julien Gokel, pour une seconde question.
M. Julien Gokel (SOC)
Sur le plan commercial, Donald Trump ne s’est jamais caché de vouloir réduire le déficit des États-Unis, voire de rendre leur balance commerciale excédentaire. Il souhaite favoriser les industries de son pays et nous, protéger bien évidemment les nôtres. Rien de plus normal. Mais force est de constater que nous n’avons pas les mêmes armes ni les mêmes contraintes, et que nous n’agissons pas forcément dans la même temporalité.
Il est probable que l’administration Trump impose rapidement une hausse de 10 % à 20 % des droits de douane, ce qui aura de lourdes conséquences pour nos industries, notamment sidérurgiques, chimiques et aéronautiques.
Quelle réponse pouvons-nous apporter au niveau européen ? L’Union peut surtaxer des produits d’importation, prendre des mesures de sauvegarde ou des mesures antidumping, et nous attendons beaucoup du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le MACF, essentiel notamment pour protéger l’acier français. Mais les processus que je viens d’évoquer sont complexes et plus longs à mettre en œuvre qu’aux États-Unis. C’est une de nos contraintes. Nous devons agir plus vite et plus efficacement. Comment la France compte-t-elle donc dialoguer avec ses partenaires pour instaurer des mesures de réciprocité plus efficaces ?
S’agissant de la question cruciale de l’énergie, Trump devrait à nouveau s’affranchir de l’accord de Paris sur le climat – ce ne sera malheureusement pas une surprise –, misant sur le pétrole et le gaz pour renforcer la compétitivité des industries américaines. L’Europe, sur ce point, doit montrer l’exemple, mais comment concilier objectifs climatiques et compétitivité ? Voilà un vrai sujet.
Les défis de la décarbonation sont immenses, je le vois bien dans mon territoire, le Dunkerquois, où l’on a tout de même la chance de pouvoir s’appuyer sur deux nouveaux projets de réacteur de type EPR, donc sur une énergie sûre, décarbonée et abordable pour soutenir le renouveau et la transition industriels. Mais comment inciter davantage l’Europe à mener une politique énergétique commune plus ambitieuse et plus compétitive, incluant le nucléaire et le renouvelable en complémentarité ?
Je souligne que la question du prix de l’électricité est cruciale pour maintenir notre compétitivité, notre attractivité, nos emplois et notre souveraineté, c’est-à-dire pour produire nos propres richesses. Or nous, Européens, ne sommes pas attractifs à l’heure actuelle. Face à la concurrence agressive des États-Unis qui produisent une énergie à bas coût, l’Europe doit être au rendez-vous.
Monsieur le ministre, quels leviers comptez-vous activer pour que nous passions d’une ambition déclarative à une véritable stratégie commune, à la hauteur des défis du XXI e siècle, sachant que la nouvelle donne internationale exige que nous défendions nos intérêts européens avec plus d’ambition et de fermeté ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Vous mettez en exergue deux sujets absolument fondamentaux et qui mériteraient beaucoup plus qu’un échange aussi bref.
S’agissant de la question commerciale, vous avez mentionné plusieurs des mesures possibles – clauses antidumping, principe de la réciprocité, compensations si nécessaire et soutien aux secteurs éventuellement touchés. Et c’est précisément les leviers que nous avons activés récemment, j’en ai parlé à propos des véhicules électriques chinois.
C’est un exemple intéressant car sur la question du photovoltaïque, il y a quelques années, nous n’avons pas été capables de prendre des mesures. Depuis, nous nous sommes dotés d’instruments et nous pouvons désormais agir plus vite, sans attendre le résultat de procédures interminables – notamment devant l’OMC –, pour imposer, après enquête rigoureuse de la Commission, de nouveaux tarifs. En l’espèce, il a été démontré que la Chine subventionnait massivement son secteur de production de véhicules électriques.
D’autres pays ont agi ainsi, d’autant plus rapidement qu’ils étaient le seul acteur décisionnaire – je pense aux États-Unis, qui ont imposé des tarifs douaniers de 100 %. Nous avons réussi à dégager une majorité en Europe pour imposer une hausse des tarifs.
Je le répète, une guerre commerciale, ou le protectionnisme, n’est dans l’intérêt de personne : nous sommes les principaux partenaires commerciaux les uns des autres. Mais la meilleure façon d’empêcher un conflit est de montrer que nous disposons des instruments pour répondre de façon symétrique et que nous assumons le rapport de force. Cela avait été le cas lors des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne, il y a quelques années, sous la présidence Juncker. C’est l’approche que préconise la France.
S’agissant de la question du mix énergétique, vous avez raison de souligner qu’il ne faut pas opposer décarbonation et compétitivité. La décarbonation est bien une source de réduction des coûts de l’énergie, de compétitivité, et ce qui nous met à l’avant-garde d’industries innovantes. Nous devons donc continuer cet effort de décarbonation dans la logique des objectifs ambitieux définis dans le pacte vert, tout en accompagnant la transition des autres secteurs industriels. C’est bien le mix énergies renouvelables et énergie nucléaire que nous défendons, à la fois par la réforme du marché de l’électricité, en faisant entrer de nouveau le nucléaire dans la taxonomie européenne, et par le développement de la décarbonation.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric Petit (Dem)
Trump arrive… La seule chose rassurante, c’est qu’on ne sait pas trop ce qu’il va faire vraiment. Mais Trump est un transactionnel et il risque de mettre en péril le droit international. Ma question portera sur ce point, au regard de ce qui se passe en Ukraine. En transactionnel, Trump va dealer, et seul. Il y a fort à parier que nous ne serons pas invités à la table, ni nous Français ni nous Européens.
Or ce deal portera sur des éléments existentiels pour l’Europe. Je vais prendre des exemples très concrets, dont nous avons souvent parlé, monsieur le ministre. Le maintien de la Constitution russe fera-t-il partie du deal, sachant qu’un recul abracadabrantesque permet depuis un an d’intégrer à la Russie des territoires qui n’ont jamais vu un char russe et des citoyens d’autres nations qui, parce qu’ils sont russophones, sont considérés comme relevant du pouvoir du Kremlin ? La réparation des infrastructures civiles ukrainiennes, qui ont été détruites de façon gratuite et criminelle, fera-t-elle partie du deal ? Je n’en ai pas l’impression.
Ces questions existentielles pour l’Europe risquent fort de passer sous le tapis. Quand et comment la France et l’Europe feront-elles entendre leur voix dans cette séquence de négociations qui sera très fermée ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je vous remercie de rappeler l’importance existentielle que revêt cette guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine à nos portes car cela a été assez peu évoqué ce soir. Je voudrais rappeler plusieurs points principiels.
Premièrement, les Européens doivent être à la table des négociations. On ne peut pas négocier la sécurité et l’avenir de l’Ukraine sans les Ukrainiens, ni la sécurité et l’avenir de l’Europe sans les Européens. Ainsi, le président de la République, en marge de la cérémonie de Notre-Dame, a organisé la rencontre entre le président élu Trump et le président Zelensky.
Deuxièmement, la résolution de cette guerre doit reposer sur les principes très clairs que sont la sécurité et la stabilité de l’Europe, et sur des garanties de sécurité pérennes et crédibles pour l’Ukraine, auxquelles les Européens devront prendre toute leur part.
Mais je souligne que pour négocier en vue d’un accord, il faut être au moins deux. Or la Russie est dans une posture escalatoire. C’est elle qui envoie des troupes nord-coréennes sur le sol européen et qui utilise des missiles balistiques et des drones iraniens contre les infrastructures, les militaires et les civils ukrainiens. La seule façon de pouvoir l’entraîner dans une négociation, et c’est le message que nous avons transmis aussi à l’administration américaine, c’est de placer les Ukrainiens dans un rapport de force le plus favorable possible sur le terrain. Il s’agit de faire comprendre à la Russie que la victoire militaire est impossible. Certes, il n’y a pas de solution simple, facile et rapide permettant de mettre fin à la guerre en Ukraine, et cela demandera aussi un engagement de long terme des Européens auprès des Ukrainiens. Je peux vous assurer que c’est le message de la France auprès de ses partenaires.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Bouyx.
M. Bertrand Bouyx (HOR)
L’élection de Donald Trump et son retour à la Maison-Blanche à l’issue du mandat de Joe Biden posent à l’Europe des questions existentielles. Pour autant, le sujet de la souveraineté européenne n’est pas nouveau et cette élection ne fait que nous rappeler l’urgence de mettre en œuvre le projet exprimé dans la déclaration commune visant, entre autres, à renforcer les capacités de défense européenne, adoptée par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de Versailles les 10 et 11 mars 2022.
On connaît les positions et les promesses du président Trump : fin du conflit en Ukraine en vingt-quatre heures, baisse, voire suppression du soutien à l’Ukraine, désengagement des USA de l’Otan, etc. On connaît aussi ses méthodes de négociation musclées, qui imposent les enjeux et conflictualisent les échanges internationaux. Certes, on sait qu’il ne faut pas prendre ses déclarations au pied de la lettre, mais celles sur le Groenland, le Panama et le Canada sont inquiétantes. Il faut, à mon sens, les prendre au sérieux. Ne pas le faire serait une erreur grave, sans doute une erreur historique.
Dans un contexte international qui voit le retour des protectionnismes, illustré par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, l’Europe apparaît comme à la traîne des affaires du monde dans les domaines stratégiques de l’énergie, des matières premières, des technologies de pointe. Vous l’avez dit, il y a un décrochage, au vu des investissements nécessaires, notamment dans le domaine de la défense.
Les pays européens n’ont pas tranché le débat stratégique suivant : Europe de la défense indépendante ou Europe pilier de l’Otan ? Cette difficulté stratégique apparaît dans les domaines de la mutualisation industrielle et dans les grands projets d’armement communs, et peut en partie s’expliquer par les disparités institutionnelles entre États européens dans la définition des politiques de défense, disparités entre pouvoirs discrétionnaires de certains exécutifs et contrôle parlementaire renforcé dans d’autres pays.
Face à cette nouvelle donne, quel est le choix stratégique de la France en ce qui concerne l’Europe de la défense et quels outils le gouvernement entend-il utiliser pour harmoniser le projet européen de défense et le rendre effectif rapidement ?
M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
La question que vous posez est celle de l’avenir des industries de défense européennes. Notre ambition est d’en accroître les capacités – nous l’avons fait au niveau national et les autres États membres s’y emploient – et d’encourager des coopérations au niveau européen. Il faut rappeler que beaucoup de nos partenaires – je pense à nos amis d’Europe centrale et orientale – sont très attachés à la relation transatlantique, à leur place dans l’Otan. La France joue tout son rôle au sein de cette organisation à travers des missions de réassurance en Roumanie, où nous sommes une nation-cadre, mais aussi dans les États baltes et en Pologne, pays placés en première ligne et menacés par l’agressivité et le révisionnisme de la Russie.
La France encourage le développement du pilier européen de l’Otan par une amélioration de la coordination et du dialogue entre l’Union européenne et cette organisation, tout en soutenant la préférence européenne pour faire émerger une industrie de défense européenne. Cela serait aussi dans l’intérêt de ceux qui, outre-Atlantique, nous demandent d’augmenter de façon durable nos efforts de défense. Il faut bien avoir conscience des résultats sur le plan industriel et sur le plan de l’emploi pour assurer mieux encore la pérennité de ces investissements.
Notre conviction, c’est qu’il ne faut pas opposer le rôle de l’Europe, comme pilier de défense robuste et autonome au sein de l’Alliance, et la défense européenne pour laquelle les efforts nationaux de réarmement et d’augmentation des budgets sont menés.
M. le président
Le débat est clos.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Débat sur le thème : « La santé mentale des jeunes ».
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra