XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025

Séance du lundi 03 mars 2025

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Séance du lundi 03 mars 2025

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à dix-sept heures.)

    1. Hommage aux victimes du cyclone Garance

    Mme la présidente

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    La semaine dernière, le cyclone Garance a violemment frappé l’île de La Réunion. Il a fait plusieurs morts et blessés (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent) et provoqué de très importants dégâts. Les forces de sécurité civile, les soignants et les élus sont aux côtés des populations pour les secourir. Nous pensons à chacun d’entre eux, aux victimes et à leurs familles. En hommage à ces victimes et à nos compatriotes réunionnais, durement touchés, je vous invite à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement observent une minute de silence.)

    2. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

    Mme la présidente

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    Au nom de la représentation nationale, en votre nom à tous, je salue la présence dans les tribunes d’une délégation du Parlement d’Estonie, conduite par son président, M. Lauri Hussar. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.) Je salue également M. l’ambassadeur d’Ukraine. (Les applaudissements redoublent.)

    3. Déclaration du gouvernement sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe, suivie d’un débat

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la déclaration du gouvernement sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
    La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.

    M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique

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    Le but de ce débat, organisé selon les termes de l’article 50-1 de la Constitution, est que le gouvernement partage avec la représentation nationale non seulement des informations –⁠ à dire vrai, il en est peu que chacun d’entre nous ne connaisse –, mais une vision d’une situation historique qui est à nos yeux la plus grave, la plus déstabilisée et la plus dangereuse de toutes celles que notre pays et notre continent ont connues depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
    Lors d’une réunion à huis clos avec tous les responsables des partis politiques représentés dans cette assemblée, le président de la République a partagé une analyse précise et préoccupante de la situation sur le terrain des armes et des forces. Mais les choses s’accélèrent : vendredi soir, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, s’est déroulée sous l’objectif des caméras du monde entier une scène sidérante, empreinte de brutalité et de volonté d’humiliation, dont le but était de faire plier par la menace le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu’il se rende aux exigences de ses agresseurs. Le tout résumé en une phrase devant les caméras de la planète : « Ou bien vous trouvez un accord avec Poutine, ou bien nous vous laissons tomber ! »
    Pour l’honneur de la responsabilité démocratique, de l’Ukraine et, j’ose le dire, de l’Europe, le président Zelensky n’a pas plié. Je crois que nous pouvons lui manifester notre reconnaissance. (Les députés des groupes EPR, SOC, DR, EcoS, Dem, HOR et LIOT et plusieurs députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent longuement. –⁠ Les autres députés du groupe LFI-NFP, M. Stéphane Peu et M. Arnaud Sanvert applaudissent également.)
    Il y a deux victimes dans cette scène : la première est potentiellement la sécurité de l’Ukraine, qui se bat pour sa survie et pour le droit des nations au prix de la vie de dizaines de milliers de ses enfants. La seconde est une certaine idée de l’alliance que nous, pays de liberté,…

    M. Sylvain Maillard

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    Eh oui !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    …avions avec et autour des États-Unis.
    Peut-être plus grave encore pour l’avenir –⁠ je le dis au nom de ceux qui n’ont pas oublié l’alliance séculaire, ni l’amitié, à laquelle nous sommes attachés, avec le peuple américain –, une autre alliance fondamentale se trouve compromise : celle que les États-Unis avaient avec eux-mêmes, leur histoire et un certain idéal de défense du droit –⁠ de défense du faible face au fort tyrannique.
    Cette situation est le dernier développement d’un enchaînement de causes et de conséquences que nous avons vu se dérouler sous nos yeux. Nous connaissons le détonateur de cette séquence dramatique. C’est un événement précisément daté : l’invasion, en vue d’annexion, de l’Ukraine par les forces armées de la fédération de Russie, sur ordre de Vladimir Poutine, le 24 février 2022. Cette date a marqué un basculement entre deux mondes, aux conséquences planétaires –⁠ nous avons été plusieurs à le dire à l’époque.
    Depuis 1945, nous espérions que l’Europe, l’Occident tout entier, la communauté des nations, vivaient avec l’idée qu’une loi internationale, respectant les principes d’indépendance et de sécurité pour les nations, régissait chaque jour davantage l’ensemble des relations internationales, diplomatiques, de défense, commerciales, financières.
    Bien sûr, nous le savions, ces règles ont toujours fait l’objet d’une application partielle, imparfaite et souvent partiale –⁠ nous n’idéalisons pas le passé. Mais il y avait malgré tout des garde-fous qu’on pouvait évoquer, des traités qu’on pouvait brandir, des résolutions qu’on pouvait invoquer, des engagements qu’on pouvait rappeler. Tout celaest fini : nous avons basculé dans un autre monde.
    Beaucoup sont sans voix tant le choc est violent ; beaucoup se trouvent démunis tant tous les dispositifs que nous avions inventés sont démantelés. Nous voici mis en demeure d’accepter des mœurs que nous refusons, de revoir les chartes de nos libertés, de repenser les règles de la démocratie et de la liberté d’expression, d’abandonner notre souci de décence pour accepter l’indécence qu’on voudrait nous imposer.
    Au fond, nous vivions avec la certitude paisible que le monde serait, sinon de plus en plus démocratique comme l’affirmaient des esprits brillants, mais incurablement optimistes, du moins de plus en plus sûr. C’est dans ce cadre que la prospérité du continent européen, du monde libre et, par contagion, celle de ceux qui vivaient une relation de confiance avec l’Occident, se développaient.
    Certes, nous savions tous –⁠ de grands diplomates français, comme Hubert Védrine, le rappelaient – que les nations n’oublient jamais leurs intérêts, et que, par la force des choses, ces derniers passent souvent avant leurs principes. Mais nous avions, pour les uns, l’espoir, pour les autres, la certitude, qu’au bout du compte demain serait plus sûr qu’aujourd’hui et que les grands ensembles avec qui nous étions en relation en viendraient un jour à respecter plus ou moins les mêmes grands principes.
    Beaucoup le croyaient pour la Russie, en raison d’une proximité de civilisation et d’une communauté d’histoire. Nous le croyions pour l’Inde, dont la progression démographique, technique et scientifique et la situation de pays non-aligné sont pour la France des éléments de confiance –⁠ pour ce pays majeur, nous le croyons encore aujourd’hui.
    C’était vrai à certains égards pour la Chine : la France n’a jamais oublié qu’elle avait été le premier pays d’Occident à reconnaître et consacrer le statut international de cet immense peuple et acteur politique. Nous l’espérions même du Moyen-Orient tourmenté, dont nous imaginions favoriser l’apaisement avant de voir triompher une paix garantie par la reconnaissance des peuples, des communautés et des cultures.
    Cette symphonie d’espoirs raisonnables a volé en éclats le 24 février 2022.
    Qu’un pays, géographiquement le plus vaste de la planète, militairement parmi les mieux armés, en particulier par la détention d’innombrables têtes nucléaires, ayant construit une puissante armée mécanique de blindés aussi bien que d’aviation, une puissance spatiale, un pays riche d’infinies ressources naturelles –⁠ qu’un tel pays, membre du Conseil de sécurité des Nations unies et à ce titre garant de l’ordre international, décide de se jeter sur un pays voisin, une nation souveraine, de surcroît intimement mêlée à sa propre histoire, pour l’annexer, en prendre le contrôle par la force et en chasser les dirigeants élus, beaucoup d’entre nous, en fait, n’auraient même pas osé l’imaginer.
    Or cette date de basculement de l’histoire a libéré les démons endormis et a remis en cause, d’abord, le premier principe de sécurité sur lequel étaient fondées nos règles internationales : l’intangibilité des frontières issues de la seconde guerre mondiale. Cette agression a donné le signal qu’attendaient en réalité depuis longtemps des forces tapies dans l’ombre et qui ne rêvaient que de se donner carrière. Ces forces, il faut les nommer : c’est l’esprit de domination ; c’est l’impérialisme militaire, idéologique, économique, religieux, fanatique, la volonté d’asservir l’autre ; c’est le culte de la force –⁠ nous le connaissons bien, car c’est la malédiction qui a coûté des dizaines de millions de morts au XXe siècle, particulièrement en Europe.
    Sur toute la surface de la planète, le signal donné par cet événement n’a échappé à personne. Qu’importeraient désormais la loi et les principes, les délibérations internationales ? La force seule, la violence et la brutalité suffiraient pour régler les conflits. Il s’agirait seulement de réunir les moyens suffisants, de déployer la violence suffisante, et n’importe quelle cause pourrait désormais l’emporter. C’est la fin de la loi du plus juste, c’est le règne de la loi du plus fort.
    Ainsi, par la décision d’un seul, devenu chef de meute, sont reniés les efforts consentis depuis plus de cent ans pour arracher l’humanité à sa naturelle inhumanité, en même temps que se trouve reniée la Charte des Nations unies, dont voici un extrait du préambule : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances, à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice », prenons l’engagement solennel « qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun ».
    Cette charte a été signée le 26 juin 1945 pour préserver les générations au lendemain de la plus terrible des guerres que l’humanité ait connues –⁠ 80 millions de morts et une victime perdue pour toujours, une certaine idée de l’homme partie avec la Shoah, la tentative d’anéantissement programmé, et pour la première fois techno-industriel, de l’un des peuples de notre famille humaine.

    M. Jean Terlier

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    Très bien !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Ce qui se matérialisait sous nos yeux, vendredi soir, alors que nous assistions sidérés à cet affrontement –⁠ et chacun d’entre nous se souviendra où il se trouvait à ce moment –, c’était la rupture de quelque chose d’infiniment précieux, dont nous étions au jour le jour peu conscients, mais qui servait de cadre à notre regard sur le monde, à savoir l’idée de l’identité et de l’unité de l’Occident.
    Ce que nous avons brutalement découvert depuis quelques semaines, et qui culminait en ce vendredi soir, c’est que nos alliés pouvaient nourrir sur nous et sur notre avenir, sur l’avenir de leurs partenaires et voisins, la même volonté de domination que nous prétendions combattre chez les puissances auxquelles nous voulions résister.

    M. Bastien Lachaud

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    C’est lunaire !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Les déclarations du quarante-septième président des États-Unis à propos du canal de Panama, de Gaza, du Groenland ou même du Canada nous ont, en temps réel, fait mesurer la stupéfiante réalité : il n’y a plus de loi qui s’impose à tous et nous, Français et Européens, ne sommes pas armés pour un temps où la loi est tenue pour négligeable. Comment entendre en 2025 que « personne n’a de droits sur le Groenland » ou que quiconque ayant des droits devrait y renoncer car « nous avons besoin du Groenland pour notre sécurité nationale », s’agissant d’un territoire certes peu peuplé, mais grand comme quatre fois la France, au sous-sol riche des matières premières les plus rares, d’une biodiversité préservée par le climat particulier de cette région, et relevant de surcroît de la souveraineté d’un pays membre de l’Otan ?
    Il en va de même en matière commerciale. Nous étions préoccupés, nous le sommes toujours, par le dumping auquel nous soumettait la puissance chinoise. Nous considérions l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme capable, un jour, de faire respecter des règles élémentaires. Nous voyions cette OMC comme un atout pour des échanges où les États se respecteraient. Et d’un seul coup, l’annonce de l’instauration de 25 % de droits de douane sur les productions de tout un continent et l’inéluctable perspective de rétorsions nous plongent dans un univers de guerre commerciale, au moment même où notre continent traverse une crise qui met à mal sa croissance et ses emplois.
    De surcroît, derrière les droits de douane qu’on veut relever, se prépare, nous le savons bien, une offensive bien plus brutale, bien plus violente et bien plus redoutable contre tout le dispositif réglementaire européen destiné à encadrer le high tech et à prévenir une mainmise totale des entreprises majeures du numérique américain sur notre économie et nos valeurs.

    M. Sylvain Maillard

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    Eh oui !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Il s’agit d’un enjeu déterminant, et ce n’est pas un hasard si certains responsables américains de haut niveau ont explicitement indiqué qu’il nous fallait désormais choisir entre la protection de l’Otan et l’abandon à toutes les licences, y compris celles qui prônent la haine ou la ségrégation. On veut nous cerner, on veut nous assujettir pour nous plier, nous aussi, à la loi du plus fort. Et cela de la part de nos alliés !
    L’annonce du retrait des organismes internationaux chargés du développement ou de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) conforte l’idée d’un tel basculement. Menacés de se retrouver sans recours militaire, bien des pays membres de l’Otan désespèrent et posent en termes nouveaux les questions de défense.
    Ces questions, la France les a posées, la première et longtemps la seule parmi les alliés. Tous ceux qui entendaient à chaque rencontre internationale l’appel français à une plus grande autonomie de la défense européenne et qui levaient les yeux au ciel en y voyant une lubie ou la défense d’intérêts égoïstes, tous ceux-là mesurent aujourd’hui combien notre idée d’indépendance était fondée.
    C’est dans cet esprit que nous avons bâti, nous Français, notre appareil de défense, nos armées, à commencer par la dissuasion nucléaire et par ses vecteurs, ce qui fait –⁠ il convient de le rappeler – que notre pays est le seul, à l’égal des très grandes puissances, à disposer d’une armée autonome capable d’affronter la plupart des situations de menace, sans avoir à demander l’autorisation ou la permission de quiconque. L’effort de construction de cette armée a demandé des investissements considérables, que la nation a supportés avec courage et esprit de continuité. Cet effort, nous l’avons supporté solitairement.
    Mais la France avait raison ! Elle avait raison ! On le découvre aujourd’hui, au moment même où notre principal allié paraît se ranger aux éléments de langage du pays qui attaque l’Ukraine et menace le reste de l’Europe. Face à cette situation, il est un constat que nous ne faisons pas assez : nous, les Européens, sommes plus forts que nous le croyons ; nous sommes forts et nous ne le savons pas. Pire, nous nous comportons comme si nous étions faibles !
    Rappelons les chiffres. L’Union européenne compte à elle seule 450 millions d’habitants ; avec la Grande-Bretagne et la Norvège, nos alliés, nous sommes plus de 520 millions d’habitants, contre 340 millions aux États-Unis et 150 millions en Russie. Le PIB de l’Union, additionné à celui de la Norvège et de la Grande-Bretagne, c’est plus de dix fois le PIB de la Russie.
    Les dépenses militaires de la Russie sont certes impressionnantes –⁠ 40 % de son budget et 9 % de son PIB, chiffres qui donnent une idée du déséquilibre dans les investissements. Cependant, l’efficacité opérationnelle des armées russes est arrêtée depuis trois ans par l’armée ukrainienne, qu’elles devaient pourtant vaincre –⁠ affirmaient les dirigeants russes – en trois jours.
    En comparant les arsenaux, on découvre un rapport de force qui n’est pas du tout celui qui est décrit habituellement. Nos forces armées continentales, additionnées à celles du Royaume-Uni, comptent plus de 2,5 millions de soldats professionnels, soit 25 % de plus que les forces russes ; elles disposent de 2 991 avions de combat, deux fois plus que les aviations des États-Unis et de la Russie, et de quelque 15 000 pièces d’artillerie, contre moins de 10 000 pour la Russie et seulement 5 000 pour les États-Unis. Nous, pays européens, sommes une force même si nous ne le savons pas.
    Sur ce point, je le crois, la France se trouve en accord –⁠ pour une fois – avec M. Trump. Si nous sommes forts, nous ne pouvons pas demander à d’autres de nous défendre durablement à notre place. Si nous sommes forts, c’est à nous, Européens, de garantir la sécurité et la défense de l’Europe. Mais d’abord, et dans l’urgence, nous ne pouvons pas laisser le peuple ukrainien sans défense. Nous devons aider l’Ukraine, mobiliser des ressources, partager les matériels, aider à former, sécuriser autant que possible et ne pas accepter qu’un retrait américain condamne à la défaite ce pays défenseur de nos libertés.
    Si nous demeurions impuissants, si la digue ukrainienne en venait à céder du fait de notre impuissance ou de notre négligence, alors n’en doutez pas : un jour ou l’autre, plus tard ou très tôt, ce sont nos pays, notre Union, qui se trouveraient ciblés. En effet, il est une leçon que l’histoire nous a enseignée et qui n’est jamais démentie : la force brutale ne se borne jamais elle-même.
    La situation nous dicte donc les questions que nous devons nous poser. Si les alliances se renversent, les Européens ont-ils la volonté de résister ? Ont-ils la volonté de défendre, non pas ce qu’ils ont, mais ce qu’ils sont ? Au fond, la seule question est la plus ancienne question, non seulement du théâtre, mais de la philosophie : to be or not to be ?
    Cette question ne cesse de se poser depuis des décennies. Beaucoup, chez nous et chez nos partenaires, mettaient en doute la nécessité de l’Union. Avec beaucoup d’autres, je crois et je soutiens que dans les circonstances créées par une telle menace de déstabilisation du monde, l’Union européenne est pour nous le seul chemin et la seule stratégie possible. C’est pour cela que, face à la guerre froide, nous l’avons voulue, fondée et fait progresser. Avons-nous tout réussi ? Certainement pas. Nos institutions sont imparfaites, nos politiques inabouties, la transparence démocratique trop faible, nos priorités peu perceptibles, et des combats majeurs pour l’humanité, du climat au développement, ne sont pas menés comme il conviendrait. Tout cela est vrai et je pourrais en dire plus encore.
    Mais lorsque le monde tremble sur ses bases, alors la solidarité, l’entente, l’action en commun des pays de la famille européenne est la seule réponse possible. C’est la seule réponse possible du point de vue de l’aide à apporter à l’Ukraine –⁠ aide financière et logistique, aide à la formation, aide militaire, aide diplomatique. C’est la seule réponse possible en matière commerciale : si nous nous laissons diviser, morceler, jouer les uns contre les autres, nous subirons tous la loi de ceux qui veulent nous affaiblir pour nous soumettre. C’est la seule réponse possible en matière de réarmement scientifique et technologique : si nous ne conduisons pas une telle politique, nous resterons condamnés à former, de la maternelle jusqu’au prix Nobel ou à la médaille Fields, les grands découvreurs qui continueront à aller découvrir ailleurs.

    M. Emmanuel Maurel

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    Augmentez le budget de la recherche, alors !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    C’est la seule réponse possible en matière industrielle et agricole pour que nos pays retrouvent leur place de fournisseurs compétitifs sur leurs propres marchés qui, autrefois déstabilisés par l’obsédante question du prix de la main d’œuvre, peuvent dorénavant être rééquilibrés par l’automatisation, la numérisation, l’algorithmique et la robotique.
    L’action commune est la seule voie vers la maîtrise collective des questions environnementales, que nous avons décidé de placer au premier plan de notre stratégie industrielle quand tant d’autres les abandonnent, et par conséquent vers la maîtrise de notre cadre de vie. C’est enfin la seule réponse possible en matière de production intellectuelle : si elle retrouve son influence culturelle, l’Europe redeviendra le lieu de création, de réalisation, de production et d’invention qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.
    Tout se tient : notre solidarité en tant que pays de la famille européenne, notre influence internationale, notre prestige collectif, notre protection, notre croissance, notre marche en avant. Hélas, tout se tient aussi dans l’autre sens, celui du déclin, de la soumission et de la perte d’influence. Or –⁠ pardonnez-moi de vous le dire aussi crûment – l’histoire a montré qu’il y avait au ressaisissement européen une condition impérative : la vitalité et la force de la France.
    En effet, cette idée d’une Europe indépendante, autonome dans ses décisions, défendant elle-même sa liberté et ses intérêts, c’est la vision française. La France l’a défendue seule, à partir de l’intuition du général de Gaulle, contre tous ceux que les temps invitaient à la facilité. Voilà ce que le fondateur de la Ve République, avec une prescience qui mérite d’être soulignée, affirmait en 1962 : « On ne sait jamais d’où peut venir la menace, ni d’où peut venir la pression ou le chantage. […] Il peut se produire des événements fabuleux, des retournements incroyables. Il s’en est produit tellement dans l’histoire ! » Après avoir observé qu’on ne sait pas ce qui peut se passer aux États-Unis et énuméré tous les risques de déstabilisation de la société américaine, il conclut : « Voilà pourquoi, tout en demeurant les alliés des Américains, nous voulons cesser de nous en remettre à eux. » C’était en 1962. Depuis, la France a défendu cette vision inlassablement, en particulier lors des huit dernières années, par la voix du président de la République.

    M. Sylvain Maillard

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    C’est vrai !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Elle l’a défendue assez souvent dans la solitude, qui est le lot de ceux dont la pensée est ferme. (M. Matthias Tavel s’exclame.) Je crois que les événements prouvent désormais aux yeux de tous, notamment à ceux de nos partenaires, que cette vision est d’intérêt général.
    La France peut jouer un rôle central dans l’édification de ce nouveau monde, de ce nouvel équilibre, mais elle ne le fera que si elle recouvre sa confiance et son unité. Tout ce que nous, Français, avons à construire et à reconstruire est la clé de cet autre monde. L’investissement militaire, la reconquête de notre équilibre financier et de notre équilibre démocratique,…

    Un député du groupe RN

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    La faute à qui ?

    M. François Bayrou, premier ministre

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    …l’efficacité de notre système éducatif, notre politique de formation et de recherche,…

    M. Laurent Jacobelli

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    Vous êtes dur avec Macron !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    …la place des entreprises françaises et le soutien à leur apporter, l’aménagement du territoire, notamment de nos outre-mer,…

    Un député du groupe RN

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    Beau travail !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    …l’efficacité de l’action publique et l’équilibre du contrat social constituent chacun une clé de l’affirmation française.
    Face à la réalité d’un monde inattendu, tellement inattendu que nous ne parvenons même pas à le qualifier proprement, il faut nous organiser avec sang-froid, unité et détermination. Avec sang-froid, car tout affolement serait perçu comme signe de peur et pousserait tous ceux qui ne nous veulent pas de bien à poursuivre leur offensive psychologique, morale et politique –⁠ et, qui sait, peut-être un jour militaire – contre nous. Avec unité, car il serait dangereux qu’au-delà des déclarations communes et des résolutions conjointes, chacun aille négocier ici ou là un avenant national avantageux au dépeçage du monde, un sursis à exécution avant vassalisation.

    Mme Anne Genetet

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    C’est très important !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Avec détermination, car les mots ne suffiront pas.

    M. Erwan Balanant

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    Exactement !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Ce que nous aurons à affirmer, ce sont des choix nationaux et des choix européens. Nous l’avons vu récemment, beaucoup de choses évoluent parmi les opinions européennes et parmi les gouvernants, nos partenaires.
    L’événement ne nous laisse pas le choix. Dans les premiers mois de la guerre de 1914, dans un recueil composé au temps du fer, du feu et de la mort qu’il a simplement intitulé Europe, Jules Romains a écrit ces quelques vers : « L’événement est sur nous. Il a le pas et le poil d’une bête quaternaire. » Il voulait simplement dire, lui si souvent accusé d’idéalisme, qu’il est des moments où, devant le risque du pire, devant le réveil de forces primitives et archaïques, on n’a pas le choix. Nous n’avons pas vraiment le choix ; mais ce choix, au moins, est entre nos mains, et c’est la première raison d’espérer. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem, HOR et LIOT et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Ciotti.

    M. Éric Ciotti (UDR)

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    Trois ans d’horreur absolue. Voilà trois ans que la Russie a imposé sa guerre à l’Europe ; trois ans que la Russie est l’agresseur, trois ans que l’Ukraine est l’agressée. Il y a des évidences à marteler, surtout lorsqu’elles sont contestées brutalement.

    M. Hervé Berville

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    Un éclair de lucidité !

    M. Éric Ciotti

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    Chacun ici a été saisi par la violence de l’histoire. Face au retour du tragique dans nos démocraties, le réveil a sonné. La fin de l’histoire après la chute de l’URSS était bien une fable. L’Europe à l’abri des conflits grâce au parapluie américain en était une autre. Trois ans après le début de cette guerre,…

    M. Ludovic Mendes

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    Dix ans !

    Mme Constance Le Grip

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    Cela fait même onze ans !

    M. Éric Ciotti

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    …l’Europe et la France se trouvent au carrefour de leur destin.
    Nous sommes entrés dans cette guerre sous le coup de l’émotion et de l’indignation légitime pour une cause juste, mais nous l’avons fait sans stratégie et nous sommes montrés incapables de définir nos propres buts. Nous avons oublié de méditer Clausewitz : « Le dessein politique est le but, la guerre est le moyen, et un moyen sans but ne se conçoit pas. » Jamais la France, l’Europe ni l’Otan n’ont eu d’objectifs clairs, otages qu’ils étaient des desiderata et changements de pied américains.

    M. Hervé Berville

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    Mais non !

    M. Éric Ciotti

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    Nous avons vécu dans l’illusion d’une puissance européenne, alors que ce conflit ne durait que par l’engagement américain. Si l’Europe n’est pas à la table des négociations, c’est qu’elle est au menu ! (Mme Anna Pic s’exclame.) La paix se négocie contre nous. Bruxelles coule, car incapable de défendre les intérêts européens. La France coule avec Bruxelles, car incapable de maintenir son indépendance.

    M. Hervé Berville

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    Ah bon ?

    M. Ludovic Mendes

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    Oh là là…

    M. Éric Ciotti

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    Dans ce conflit, la France a fragilisé son indépendance et son statut de puissance d’équilibre, voulu patiemment, ardemment depuis le général de Gaulle. (M. Ludovic Mendes s’exclame.)
    Face au déni stratégique, face à l’effacement de l’Europe, face au reniement des principes gaulliens, nous avons le devoir de définir une stratégie et un but clairs. Ce but ne peut être que la paix, le cessez-le-feu, avec l’exigence d’une sécurité durable pour l’Ukraine. La paix s’impose à nous.

    M. Hervé Berville

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    Votre paix, c’est une soumission !

    M. Éric Ciotti

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    La surenchère est inutile. Elle fragilise la paix et éloigne les Ukrainiens de leur quête légitime de paix.

    Mme Anne Genetet

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    Pas à n’importe quel prix, pas par une capitulation !

    M. Éric Ciotti

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    Dans ce processus, la France s’est effacée. Le « en même temps » diplomatique l’a affaiblie. En trois ans, le président Macron a dit tout et son contraire. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Il a d’abord refusé d’humilier la Russie, avant d’adopter la posture inverse et de changer de ligne.

    M. Ludovic Mendes

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    L’incohérence, c’est vous !

    M. Jean-Yves Bony

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    Vous savez ce que c’est, changer de ligne !

    M. Éric Ciotti

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    Il a appelé à donner des garanties de sécurité à Moscou dans le cadre de la future architecture de sécurité européenne,…

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Vous dites n’importe quoi !

    M. Éric Ciotti

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    …avant de défendre, dans un cruel isolement, l’envoi de troupes en Ukraine. Il espère désormais rattraper son crédit politique perdu dans l’Hexagone en s’érigeant chef de guerre. Ses errements sont un danger pour la paix. (M. François Cormier-Bouligeon s’exclame.) Il est urgent de se détourner d’une diplomatie imprudente et versatile. Obtenons les garanties d’une paix juste et durable, qui –⁠ soyons lucides – est inatteignable par les armes, inatteignable sans les Américains,…

    M. Antoine Léaument

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    Ah, ça y est !

    M. Éric Ciotti

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    …mais aussi inatteignable du fait de nos propres faiblesses. Paniquée par le revirement américain, l’Europe bricole une Union européenne de la défense, alors que la guerre ne peut être gagnée sans l’Amérique.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Vous êtes vraiment le seul visionnaire d’Europe !

    M. Éric Ciotti

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    Ne laissons pas les fédéralistes pousser leurs pions sur fond de panique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur plusieurs bancs du groupe RN.)

    M. Erwan Balanant

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    Ce sont les pro-russes qui applaudissent !

    M. Éric Ciotti

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    Ils avancent sur les ruines des nations. Si l’Europe est faible, c’est parce que les États européens sont faibles. Notre nation est engagée dangereusement sur la voie du déclassement. (Exclamations sur quelques bancs du groupe EPR.)

    Mme Olivia Grégoire

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    Ce n’est pas à la hauteur !

    M. Éric Ciotti

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    Monsieur le premier ministre, vous avez rappelé ce constat. Malheureusement, il vous est imputable. Il résulte de l’élection de M. Hollande et de M. Macron. Avec 3 300 milliards de dette, la France privilégie le puits sans fond de la dépense publique improductive à la construction d’un État régalien à la hauteur des enjeux du siècle.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Vous n’aviez pas le même discours sous Sarkozy !

    M. Éric Ciotti

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    Pourtant, malgré ce déclin continu, nous possédons de précieux atouts stratégiques.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Ah, quand même !

    M. Éric Ciotti

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    Je parle de la dissuasion nucléaire, voulue par le général de Gaulle,…

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Qui modernise la dissuasion nucléaire ? M. Macron !

    M. Gérault Verny

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    Il voulait d’abord l’abandonner !

    M. Éric Ciotti

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    …du siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, gagné par le général de Gaulle, et de notre défense nationale. Ces trois atouts, le président de la République les sape méticuleusement. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Son appel à partager notre dissuasion nucléaire est une profanation de la doctrine gaullienne, jamais remise en cause jusqu’alors. (Mêmes mouvements.)

    Mme Anne Genetet

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    C’est un mensonge !

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Mais pas du tout, mon pauvre ami !

    M. Hervé Berville

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    Vous n’avez rien compris !

    M. Éric Ciotti

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    Son appel à partager notre siège au Conseil de sécurité des Nations unies participe du même déclassement ; c’est une hérésie stratégique. Enfin, son silence face aux tentatives d’effacement de notre défense nationale est préoccupant. L’appel à une Union européenne de la défense ressuscite la Communauté européenne de défense (CED) et le spectre de la funeste IVe République impuissante.

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Il fallait faire votre service militaire !

    M. Éric Ciotti

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    C’est, là encore, une chimère mortelle.
    Avec la complicité de la Commission européenne, la France risque de perdre son autonomie militaire ; les industriels français l’ont opportunément rappelé il y a peu.
    L’Union européenne profite de la guerre et du chaos fédérateur pour imposer le fédéralisme. Sans débat ni vote, elle veut imposer l’intégration supranationale en matière de défense. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe EPR.)

    Mme Anne Genetet

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    Mais non !

    M. Éric Ciotti

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    L’objectif de Mme von der Leyen est de fédéraliser l’Europe sur les ruines de la guerre en Ukraine. (Mêmes mouvements.) Nous devons, ne vous en déplaise, dire non à ce fédéralisme soumis aux Américains, notamment avec le projet de programme européen pour l’industrie de la défense (Edip). En centralisant l’industrie de défense et en favorisant la concurrence extra-européenne, elle affaiblit les États et tue notre industrie de défense.

    M. Ludovic Mendes

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    C’est l’inverse !

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Ça suffit, la désinformation !

    M. Éric Ciotti

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    La France doit rappeler que l’Union européenne n’est pas une structure fédérale, surtout en matière de défense.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    C’est J.D. Vance qui tient ce discours !

    M. Éric Ciotti

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    L’Europe de la défense aboutira à une défense américaine. Faisons nôtre cette réflexion du général de Gaulle. (Vives protestations sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Laissez-le donc tranquille !

    M. Jean-Yves Bony

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    Ça suffit !

    Mme Anne Genetet

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    Attendez, vous dites tout le contraire !

    M. Éric Ciotti

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    Je sais que cette position vous gêne, parce que vous vous êtes toujours engagés dans une voie inverse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN.) Le général de Gaulle disait : «Vous savez ce que veut dire la supranationalité ? La domination des Américains ! L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement américain. » (Mêmes mouvements.) Les États-Unis d’Europe défendus ce matin par Mme Valérie Hayer, votre brillante tête de liste aux élections européennes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR),…

    Un député du groupe RN

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    Qui est cette personne ?

    M. Éric Ciotti

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    …constituent-ils la vision d’Emmanuel Macron ? Aucun Français, aucun Européen n’a jamais voté pour ces abandons majeurs de souveraineté. Si une telle dérive venait à se confirmer, les Français doivent trancher par référendum sur des enjeux vitaux pour notre nation. C’est une obligation morale et politique.
    L’Europe doit se construire avec les peuples, pas dans les petits cénacles où les dirigeants tiennent leurs conciliabules. Nous appelons au sursaut français. Soit la France meurt en se diluant, soit elle se réarme, en soutenant massivement sa base industrielle et technologique de défense (BITD),…

    Mme la présidente

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    Merci de conclure.

    M. Éric Ciotti

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    …en faisant primer le régalien sur le social. C’est en retrouvant de la force que nous pourrons dissuader les puissances prédatrices. (« C’est fini ! » sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC.) C’est en retrouvant une puissance française que nous serons le bouclier de notre civilisation. Nous voulons une paix, mais celle-ci est impossible avec l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan et à l’Union européenne.

    Mme la présidente

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    Merci de conclure.

    M. Éric Ciotti

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    Je conclus. La France doit être le fer de lance de ces discussions diplomatiques pour la paix,…

    Mme la présidente

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    Merci, monsieur le président.

    M. Éric Ciotti

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    …des discussions à mener avec l’Ukraine, les États-Unis, mais aussi… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. –⁠ Les députés des groupes UDR et RN applaudissent ce dernier.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marine Le Pen.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    C’est Le Penovska, elle a été naturalisée russe en 2014 ! J’ai lu ça dans le journal. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)

    Mme Marine Le Pen (RN)

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    Depuis plus de trois ans, le peuple ukrainien résiste avec héroïsme à l’indéfendable agression russe.

    Mme Anne Genetet

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    Ça fait onze ans !

    Mme Marine Le Pen

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    C’est donc vers les millions de morts, de blessés, de déplacés ou de réfugiés et vers leurs familles que je souhaite me tourner en commençant mon propos. Si cet héroïsme nous oblige, il nous force aussi à la franchise.

    Mme Anne Genetet

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    Hypocrite !

    Mme Marine Le Pen

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    Je l’ai dit à maintes et maintes reprises, il ne peut y avoir d’issue militaire à ce conflit.

    M. Erwan Balanant

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    Pourquoi n’avez-vous pas applaudi le peuple ukrainien tout à l’heure ?

    Mme Marine Le Pen

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    L’Ukraine ne peut pas gagner contre la Russie sans l’entrée en guerre de l’Otan –⁠ qui n’est pas une option, compte tenu des risques d’escalade vers une guerre mondiale entre puissances nucléaires. Heureusement, grâce au courage et à la résistance des Ukrainiens soutenus par les puissances occidentales, la Russie ne peut pas non plus sortir vainqueur de ce conflit.
    Bien sûr, la France a eu raison de soutenir, aux côtés de ses alliés, l’Ukraine et les Ukrainiens. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe EPR.) Je salue les milliers de Français qui ont accueilli les réfugiés de cette guerre,…

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Ce n’est pas grâce à vous !

    Mme Marine Le Pen

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    …les maires qui, comme Louis Aliot à Perpignan, ont ouvert leur commune à ceux qui fuyaient les combats (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR),…

    M. Erwan Balanant

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    Dans toutes les communes, on a accueilli des Ukrainiens !

    Mme Marine Le Pen

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    …tout comme je salue l’engagement de nos soldats, que ce soit pour tenir une posture de dissuasion dans les pays baltes ou en Roumanie ou pour former les soldats ukrainiens. (Exclamations sur les bancs des groupes EPR et Dem.) Ce soutien est d’autant plus honorable qu’il est accordé dans un contexte budgétaire fortement dégradé.
    Monsieur le premier ministre, il serait d’ailleurs de bonne politique de fournir à la représentation nationale un bilan des aides fournies à l’Ukraine, y compris à travers l’Union européenne, bilan qui devrait notamment permettre de comprendre enfin à quoi servent en définitive les intérêts des avoirs russes gelés. J’ai en effet l’impression que ces derniers ont été promis comme source de financement pour bien trop de sujets.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Vous vous y connaissez, en financements russes !

    Mme Marine Le Pen

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    Malgré cela, il est aussi permis de s’inquiéter de l’abandon progressif par la France de son rôle singulier de puissance d’équilibre, alors qu’elle est passée d’un extrême à l’autre au cours des derniers mois, sans ligne politique clairement définie et encore moins comprise. Une politique étrangère et de sécurité efficace et conforme à nos intérêts se fonde sur les faits, sur les réalités,…

    M. Hervé Berville

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    Sur les valeurs, aussi !

    Mme Marine Le Pen

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    …sur la compréhension des failles que les rapports de force peuvent nous permettre d’exploiter pour faire prévaloir nos objectifs, bien davantage que sur les emportements, les émotions, voire les manifestations d’hubris. Nous allions mettre la Russie à genoux, annonçait un ministre des finances déjà oublié. En somme, il est incontestable que nous devons soutenir l’Ukraine pour qu’elle reste souveraine et libre, mais nous devons le faire avec réalisme et en gardant à l’esprit nos propres intérêts nationaux…

    M. Erwan Balanant

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    Comme à Munich en 1938 !

    Mme Marine Le Pen

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    …plus qu’avec des coups de menton dépourvus d’effet. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
    Comprendre les réalités, c’est d’abord admettre que nous ne pouvons pas promettre à l’Ukraine une adhésion à l’Otan alors que nous savons que cette option a été une justification à l’agression russe et qu’elle est désormais clairement rejetée par les États-Unis.

    Mme Anne Genetet

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    Mais non ! Lisez l’histoire !

    Mme Marine Le Pen

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    De même, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne va incontestablement à l’encontre de nos intérêts.

    M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes

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    C’est de la propagande russe, mot pour mot !

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Munichoise !

    Mme Marine Le Pen

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    Cette adhésion coûterait des milliards d’euros à la France. Elle créerait une nouvelle distorsion de concurrence sur le marché du travail, laquelle affecterait fortement notre modèle social, et sa première conséquence serait, à coup sûr, la ruine de nos agriculteurs par l’effet conjugué de la baisse massive des financements de la politique agricole commune (PAC) pour la France et par la concurrence déloyale entraînée par cette adhésion. (Mêmes mouvements.)

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Munichoise !

    Mme Marine Le Pen

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    Le soutien à cette double adhésion apparaît donc soit comme une tromperie, soit comme un risque majeur pour la paix et pour nos intérêts.

    M. Erwan Balanant

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    C’est hallucinant : ce sont les mots du Kremlin !

    Mme Marine Le Pen

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    En février 2023, j’écrivais aux Français : « Il est parfois plus difficile de faire la paix que de se laisser entraîner dans le flot des événements, les logiques de blocs ou les passions irraisonnées. C’est le propre des grandes puissances de savoir s’en extraire pour rechercher, avec une sereine autorité, les moyens de la diplomatie. C’est la vocation historique et morale de la France, dans une position indépendante, de faire entendre la voix d’un pays dont le sacrifice dans les guerres donne crédit à sa volonté sincère de paix […]. Jamais, ces dernières années, le monde n’a eu autant besoin de la France, de sa voix, de la bienveillante autorité de sa diplomatie, de ses capacités d’influence sur les grandes puissances. »

    M. Ludovic Mendes

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    C’est grâce à Emmanuel Macron, madame Le Pen !

    Mme Marine Le Pen

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    Alors que je considère qu’en matière de politique étrangère, l’un des maîtres-mots doit être la constance, les virevoltes du président de la République sur le conflit ukrainien (Protestations sur les bancs du groupe EPR) n’ont pas permis à la France de peser significativement. C’est à Riyad et à Istanbul que cela se passe, malheureusement sans nous.
    Certes, je ne peux que me réjouir qu’Emmanuel Macron soit passé d’un chimérique « Nous avons la conviction […] que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe », le 27 février 2024, à un propos plus réaliste –⁠ « Notre souhait est qu’il puisse y avoir des conflits qui s’arrêtent, une trêve mesurable, vérifiable, qui permette la négociation d’une paix durable » – le 20 février 2025.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Rappelez-nous votre position en 2022 au sujet de Poutine !

    Mme Marine Le Pen

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    Je ne peux néanmoins que constater ce grand écart, conséquence d’une politique de gribouille peu lisible, qui évolue au jour le jour, sans vision construite. (Protestations sur les bancs du groupe EPR.) Ce grand écart s’est une fois de plus manifesté lors de sa récente visite à Washington, où il n’a finalement été question que de pouvoir exister. À l’évidence, ce grand écart, qui relève presque de l’injonction contradictoire, est aussi celui des États-Unis, dont le président Zelensky a malheureusement fait les frais à Washington. Monsieur le premier ministre, chers collègues, il ne faut pas être naïf. Si une inflexion profonde des États-Unis vis-à-vis du conflit ukrainien vise à un arrêt des combats sans capitulation ukrainienne pour espérer arriver à un accord de paix, elle n’en demeure pas moins guidée par la défense des intérêts américains, en particulier économiques.

    M. Erwan Balanant

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    On avait compris !

    Mme Marine Le Pen

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    Outre l’accord sur les terres rares, chacun aura compris le calcul consistant à éviter la consolidation d’un axe Russie-Chine, une des conséquences de l’intransigeance occidentale vis-à-vis de la Russie ces dernières années. (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.) Nous ne pouvons donc que regretter que finalement, l’Europe soit le seul continent où l’on s’interdise toute réflexion stratégique. Le courage, c’est de dialoguer, y compris avec des dirigeants avec lesquels nous avons de profonds désaccords. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.) C’est d’ailleurs le sens et l’honneur de la diplomatie. Il ne saurait y avoir d’autre moyen de préserver ses intérêts que d’affronter avec courage les obstacles qui les menacent. Comme je l’ai déjà dit, la paix semble aujourd’hui difficile. Faut-il pour autant y renoncer ? Je ne le crois pas. Pour agir pour une « paix solide et durable » –⁠ je reprends les mots du président de la République –, il faut, comme je le propose depuis désormais trois ans, organiser une conférence sur la paix…

    M. Erwan Balanant

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    Comme à Munich !

    Mme Marine Le Pen

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    …qui mette autour de la table les nations, sans les instances supranationales (Protestations sur les bancs des groupes EPR et Dem) comme l’Otan ou l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Cette conférence réunirait les nations qui ont un intérêt dans la stabilisation de la région : l’Ukraine et la Russie, bien sûr, les États-Unis, la France, la Turquie et l’Allemagne, la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, la Moldavie, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, la Finlande, la Slovaquie, la République tchèque, la Suède, la Norvège, l’Italie et la Bulgarie –⁠ cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.

    Plusieurs députés des groupes EPR et Dem

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    Ça s’appelle l’Union européenne !

    Mme Marine Le Pen

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    Le traité qui y serait discuté doit éviter, comme ce fut par exemple le cas de celui de Versailles, de contenir les germes de la guerre d’après. Autrement dit, au-delà de la question des frontières, et pas seulement de la frontière russo-ukrainienne, doit aussi être posée, par exemple, la question du périmètre de l’Otan. (« Ah ! » sur les bancs du groupe EPR.)
    Face à la nouvelle donne géopolitique majeure qui émerge, dont l’une des faces est la fin de la naïveté devant la mondialisation heureuse et la nécessité du réarmement national, je suis convaincue que la France peut retrouver sa place si singulière dans le concert des nations et qu’elle doit pour cela renouer avec « ce pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », pour reprendre les mots du général de Gaulle à Londres en 1941. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
    Alors que ce conflit, comme celui, tout aussi dramatique, qui se déroule loin des caméras entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, illustre une remise en cause du droit international, alors que, dans bon nombre de nations, nous constatons l’arrivée aux responsabilités de dirigeants qui font de la défense des intérêts de leur pays un objectif premier de leurs politiques, je reste convaincue que la France a encore quelque chose à offrir au monde. Historiquement, la France a toujours défendu les nations et leur liberté. Elle doit renouer avec sa vocation de puissance de paix et de concorde. C’est dans ce sens que, vous le savez, j’ai proposé il y a quelques mois une déclaration des droits des peuples et des nations pour offrir un outil supplémentaire dans le droit international. Cet outil vise non seulement à préserver la sécurité des peuples et des nations, mais aussi leur liberté face aux ingérences étatiques ou privées. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.)

    Mme Delphine Batho

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    Vous êtes bien placée pour en parler !

    Mme Marine Le Pen

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    Puisque j’évoque la question de la sécurité des nations et que vous avez, monsieur le premier ministre, abordé cette question dans votre déclaration, il me paraît nécessaire de rappeler quelques principes clairs, tant j’ai pu entendre récemment de propos et de propositions qui me semblent extrêmement dangereux pour notre pays. Grâce à la volonté du général de Gaulle, au savoir-faire de nos ingénieurs et à l’effort budgétaire consenti par les Français, notre pays est aujourd’hui l’une des rares nations dotées de l’arme nucléaire.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Ce n’est pas grâce à vous !

    Mme Marine Le Pen

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    La dissuasion permet à notre pays de vivre en paix depuis plus d’un demi-siècle et reste la clé de voûte de notre sécurité et de notre modèle d’armée. C’est précisément parce que la dissuasion est au centre de notre modèle d’armée que nous ne pourrons jamais soutenir une chimérique défense européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) C’est précisément parce que la dissuasion est garante de notre indépendance nationale que nous refusons toute entrée dans le groupe des plans nucléaires de l’Otan, comme l’a proposé une de nos collègues macronistes. Depuis désormais quelques années, et encore vendredi dernier, le président de la République, pourtant garant de l’indépendance nationale et donc de son plus puissant outil, l’arme nucléaire, par une communication au mieux hasardeuse, au pire parjure, fragilise notre modèle de dissuasion. Et malheureusement, ses propos ont percé à l’étranger, le partage de notre dissuasion devenant un sujet dans certaines capitales européennes.

    Mme Anne Genetet

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    Justement, il n’y a pas de partage !

    Mme Marine Le Pen

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    Alors permettez-moi de rappeler à nouveau que partager la dissuasion, c’est l’abolir. Le feu nucléaire, degré suprême de la souveraineté, est un absolu. Un absolu ne se relativise pas, sauf à ne plus exister.

    Mme Anne Genetet

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    Elle restera française, vous le savez très bien !

    Mme Marine Le Pen

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    Déclencher le feu nucléaire est indissociable d’une légitimité nationale et populaire. On ne dissuade un agresseur potentiel qu’en le laissant dans l’incertitude.

    M. Laurent Jacobelli

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    Eh oui !

    Mme Marine Le Pen

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    Incertitude quant au point de non-retour justifiant une première salve, quant au moment choisi pour la déclencher et aux cibles choisies, mais surtout incertitude quant au contenu symbolique assigné aux « intérêts vitaux ». (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
    Si nous refusons toute défense européenne, cela ne nous empêche nullement de lancer des coopérations industrielles avec nos partenaires européens. Surtout, cela n’empêche nullement nos voisins de choisir de s’équiper auprès de la base industrielle de défense française ou européenne, au lieu d’opter presque systématiquement pour des équipements extra-européens, en particulier américains. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Un seul exemple : combien de pays européens sont équipés de nos avions Rafale ? Un sur vingt-sept, et je ne parle pas du symbole que représente le saut périlleux arrière de la Grande-Bretagne, quelques heures après avoir pris des décisions communes avec Emmanuel Macron.
    Je ne peux que me réjouir de la normalisation du concept de priorité européenne, mais je ne vois pas en quoi nous avons besoin de passer par le filtre souvent détériorant de l’Union européenne pour le rendre opérationnel. Je rappelle à Mme von der Leyen que la politique de sécurité et de défense n’est pas une compétence de la Commission, mais des États. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Nous ne sommes pas dupes du modus operandi de la Commission, qui profite de chaque crise pour s’arroger de nouvelles compétences en violation des traités.

    M. Julien Odoul

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    Elle est belle, votre Europe !

    Mme Marine Le Pen

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    La sécurité de l’Europe ne passera pas par une défense européenne, mais par le renforcement concerté des défenses de chacune des nations européennes.

    M. Erwan Balanant

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    Donc la Russie envahira l’Europe, pays après pays !

    Mme Marine Le Pen

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    L’effort de défense doit également passer par un renforcement de notre base industrielle, qui a besoin d’une énergie abondante et bon marché, d’une simplification réglementaire et d’un accès solide aux financements. La réalité économique nous contraint à souligner que, malgré les discours vaniteux, Emmanuel Macron et l’Union européenne portent une lourde responsabilité dans la crise profonde que vit notre industrie. L’épisode de l’usine d’obus Eurenco, dont l’agrandissement a été bloqué à cause d’un batracien, comme les ventes massives et irresponsables de nombreuses entreprises stratégiques au cours des dix dernières années, sont la triste illustration que l’économie de guerre du président Macron était bien un slogan, et non une réalité de terrain. Grâce à nos savoir-faire et à notre industrie, nous pouvons –⁠ et même, nous devons – jouer un rôle important pour garantir la sécurité de l’Europe et, demain, de l’Ukraine.
    Présentée il y a quelques jours, l’idée de M. le ministre des armées de constituer des stocks d’armes dissuasifs pour l’Ukraine me paraît aller dans le bon sens. Bien entendu, cela ne doit pas se faire au détriment des armées françaises. De même, un accord sur les matières premières m’apparaît gagnant-gagnant. En revanche, je considère que l’envoi de troupes françaises combattantes sur le sol ukrainien est une folie. Seule une éventuelle participation à une opération sous le mandat de casques bleus pourrait être envisageable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.)
    Enfin, il n’y aura ni défense ni sécurité, et pas davantage, pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui, de retour de la France dans le tour de table du dossier ukrainien, sans une diplomatie forte, cohérente et guidée par la défense de l’intérêt national. Je ne suis pas convaincue que le retour de la France à sa juste place dans le concert des nations passe par des vidéos de divertissement réalisées par le ministre qui occupe le fauteuil qui fut celui de Talleyrand. En outre, l’actualité récente souligne que le caractère discret, voire secret, de la diplomatie est manifestement une voie à privilégier, même si cette discrétion semble répugner à Emmanuel Macron.
    L’arrivée d’une nouvelle administration à la tête des États-Unis fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre. Je tiens à redire à cette tribune que si nous sommes alliés aux États-Unis, nos intérêts ne coïncident pas forcément. Pour éviter tout risque de vassalisation, il faut sans cesse garder comme ligne de conduite la défense de l’intérêt de la France et des Français. Notre diplomatie doit ainsi renouer avec ce qui fut sa force : le triptyque « indépendance, équidistance, constance », qui donna pendant longtemps à la France cette voix singulière dans le monde, cette voix que beaucoup de pays, notamment africains, aimeraient entendre à nouveau, et dont l’objectif doit être –⁠ encore et toujours – la paix. (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Gabriel Attal.

    M. Gabriel Attal (EPR)

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    Il y a des scènes qui marquent à jamais, qui restent dans votre esprit et vous travaillent, parce qu’elles vous inspirent à la fois une profonde tristesse et un immense espoir. J’ai assisté à l’une de ces scènes, il y a quelques jours, en Ukraine. Avec nos collègues Natalia Pouzyreff et Delphine Lingemann, nous étions à Zaporijjia, ville martyre, depuis trois ans sous le feu des bombes. Là-bas, les autorités ukrainiennes m’avaient invité à l’inauguration d’une école souterraine –⁠ la cinquième de la ville, car il n’y a désormais que sous terre que l’on peut apprendre au calme.
    Rarement je n’ai éprouvé autant de peine qu’en observant ces enfants, qui sont l’avenir de l’Ukraine, descendre des escaliers pour aller étudier en se terrant quinze mètres en dessous du sol ; mais rarement je n’ai ressenti autant d’espoir qu’en observant le sourire de ces jeunes, heureux de retrouver l’école pour la première fois depuis trois ans. J’ai vu l’espoir de cette jeunesse ukrainienne qui refuse de céder face à la fureur des bombes et continue à aller à l’école, à étudier, à vivre ; l’espoir d’une nation tout entière, qui vit comme un acte de résistance le fait de former de nouvelles générations de citoyens et de leur transmettre l’esprit critique qui est au fondement de nos démocraties. Cet espoir, c’est celui d’une Ukraine qui reste debout ; cet espoir, c’est celui d’incarner l’avenir d’une Ukraine souveraine ; cet espoir, il est le reflet de celui de tout le peuple ukrainien, qui refuse de plier et se bat héroïquement depuis maintenant des années. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
    Ne cessons jamais de rappeler une chose simple : si la Russie arrête de se battre, il n’y a plus de guerre ; si l’Ukraine arrête de se battre, il n’y a plus d’Ukraine. (Mêmes mouvements.) Alors, je veux le dire très clairement, et plus encore après les échanges entre les présidents Trump et Zelensky : l’Ukraine n’a d’excuses à présenter à personne. Le peuple ukrainien ne mérite qu’une chose : le respect. Je tiens à rendre hommage avec vous à ces femmes et ces hommes qui refusent la fatalité, la défaite, qui refusent tout simplement de disparaître. (Mêmes mouvements.) Plus encore en revenant d’Ukraine, plus encore après les événements de ces derniers jours, je crois qu’il n’y a pas de question plus forte, plus existentielle, plus révélatrice aussi, que la position de chacun de nous sur le conflit en Ukraine. Plus forte, parce qu’il est clair que nous sommes à un point de bascule. Ce qui se joue en Ukraine, ce n’est pas seulement l’avenir d’un pays souverain : ce sont aussi les intérêts de la France et des Français qui sont en danger.
    Qu’on le veuille ou non, cette guerre nous concerne aussi, et de son issue dépendra une part de notre avenir. Si, pour certains, le simple fait de défendre une démocratie agressée ne suffit pas à vaincre les réticences, alors qu’ils pensent aux conséquences matérielles et sociales pour la France et les Français. Car oui, une victoire de la Russie aurait des conséquences dévastatrices, y compris pour nous. Je pense à notre approvisionnement en énergie, à notre accès aux céréales, au pouvoir d’achat des Français, qui seraient confrontés à une inflation puissance 10 ; je pense à des mouvements de populations sans précédent, ainsi qu’à la sécurité de l’Europe. Le coût d’une victoire de la Russie serait donc infiniment plus fort que ne l’est celui d’un soutien à l’Ukraine. Ce n’est pas une guerre lointaine qui se joue, c’est la vie quotidienne des Français qui est en première ligne.
    Je crois, ensuite, qu’il n’y a pas de question plus existentielle que l’avenir de ce conflit. La diplomatie est en danger de mort et elle pourrait être supplantée par un ordre mondial brutal, fondé sur la loi du plus fort et les instincts de prédation ; un ordre mondial vidé de son sens et de ses valeurs, où les démocraties libérales seraient incapables de se défendre ; un ordre mondial où les intérêts purement transactionnels auraient remplacé une communauté de valeurs et de destin.
    Car derrière l’Ukraine, c’est l’Europe qui est en danger. Que personne ne soit dupe : Vladimir Poutine ne cherche qu’à gagner du temps pour reprendre son souffle, face à une résistance ukrainienne qu’il ne parvient pas à étouffer. Mais l’appétit du Kremlin est insatiable, et personne ne doit douter que derrière l’Ukraine, il y a la Moldavie, la Roumanie, les États baltes, la Pologne, la Finlande, l’Union européenne et l’Otan. Le régime russe ne tient désormais que par et pour la guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
    Ce n’est pas seulement une affaire européenne : le monde entier regarde l’Ukraine. Si la loi du plus fort et la brutalité l’emportent impunément, qui sait quelles conséquences d’autres puissances pourraient en tirer ? Avec les brutes et les prédateurs, la faiblesse n’a jamais eu d’autre effet que de leur désigner leur prochaine victime.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Très bien !

    M. Gabriel Attal

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    Alors non, la France ne peut rester impassible. La France, pays des Lumières et terreau de la liberté, a une responsabilité. La France, seule puissance nucléaire de l’Union européenne, a une responsabilité. La France, qui connaît trop bien le prix de la lâcheté et des paix de dupes, a une responsabilité. Je suis fier, monsieur le premier ministre, que votre gouvernement, après les précédents, fasse bloc autour de l’Ukraine. Je suis fier d’avoir défendu et fait adopter à cette tribune, il y a quelques mois, à la place qui est aujourd’hui la vôtre, un accord de sécurité historique entre la France et l’Ukraine. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR et Dem.) Je suis fier de voir le président de la République s’imposer parmi les acteurs incontestables de la recherche d’une résolution du conflit et d’une réponse européenne forte.
    Car ce conflit est aussi un grand révélateur. Ces dernières années, la France n’a jamais failli dans son soutien à l’Ukraine. Avec le président de la République, avec l’ensemble des gouvernements, avec les députés de mon groupe parlementaire, nous avons tenu le cap. Nous n’avons jamais hésité une seconde, jamais flanché face à la tentation de la reddition et d’une paix bâclée, dont les Français seraient aussi victimes. Nous n’avons jamais failli, et nous étions bien seuls. Bien seuls quand d’autres refusaient de voter le soutien à l’Ukraine, ici comme au Parlement européen. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)

    Un député du groupe EPR

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    On s’en souvient !

    M. Gabriel Attal

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    Bien seuls quand d’autres revendiquaient leur loyauté envers la Russie ou relativisaient la portée du conflit. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.) Bien seuls face à la légèreté de ceux qui se moquent du destin de la France et de l’Europe, n’ont pas de problème à voir un leader démocratiquement élu insulté en direct et ne s’opposent pas à une victoire russe qui barrerait lourdement la route à l’avenir des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
    Nous sommes dans un moment où le voile se déchire, où l’on s’aperçoit que l’instinct capitulard est en fait bien souvent un esprit de complicité. Nous avons déjà vécu tout cela.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    On parle des deux extrêmes !

    M. Gabriel Attal

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    Mme Le Pen nous donne des conseils de géostratégie alors même qu’elle proposait, pendant la campagne présidentielle de 2022, une alliance en matière de défense avec la Russie ; alors même qu’elle disait encore, quelques jours avant l’invasion russe, que ce pays n’envahirait jamais l’Ukraine ; alors même qu’elle estimait, comme Jean-Luc Mélenchon, que les Ukrainiens ne tiendraient ni trois jours ni trois semaines –⁠ et voilà trois ans qu’ils résistent héroïquement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
    Tout à l’heure, madame Le Pen, quand l’ensemble de l’hémicycle s’est levé pour applaudir et saluer le courage du peuple ukrainien, le seul groupe qui est resté assis et n’a pas applaudi, c’est le vôtre. Votre intervention l’a confirmé : l’Ukraine brûle et vous regardez ailleurs, encore une fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR et Dem.)

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Honte au Rassemblement national ! Honte aux lepénistes !

    M. Gabriel Attal

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    Je reste convaincu que, face à la puissance des enjeux, l’esprit de responsabilité peut l’emporter. Le moment appelle l’unité ; il n’est pas trop tard pour se rallier à la seule ligne juste, celle qui assure la protection de la France et la sécurité des Français. Avec le groupe Ensemble pour la République, nous savons où sont nos valeurs et nous les défendrons jusqu’au bout.
    Nous vivons une période d’accélération extraordinaire, où les vérités et les certitudes de la veille ne sont pas celles du lendemain, où le président des États-Unis peut être prêt à signer un traité avec l’Ukraine le matin et à malmener le président ukrainien l’après-midi, où le vice-président d’un pays allié peut venir insulter les Européens sur leur propre sol, où chaque jour apporte son lot d’incertitudes et de contradictions. Dans cette période, je m’exprime devant vous avec trois convictions.
    La première, c’est que le monde libre a besoin d’un nouveau leader. Les déclarations du président Trump sont claires : plutôt que les valeurs de démocratie et de liberté, seuls compteront désormais les intérêts économiques américains, et tous ceux qui tenteront d’émettre des réserves seront marginalisés. Il revient donc à la France, aux nations européennes, de prendre enfin la relève, de montrer au monde que tout n’est pas permis, que tout ne se vaut pas, que tout n’est pas deals et transactions. On ne monnaye pas la défense de la liberté, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. On ne monnaye pas le soutien à la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.)

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Très bien !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Quelle évolution !

    M. Gabriel Attal

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    L’Europe doit devenir la nouvelle place forte de la liberté et de la démocratie. Cela ne signifie pas tourner le dos aux États-Unis –⁠ malgré les outrances, malgré l’indignation, il existe un chemin –, mais prendre notre avenir en main, ne plus avoir peur de notre propre puissance, penser, peser, exister par nous-mêmes.
    Au-delà d’un nouveau leader, le monde libre a besoin d’une nouvelle grammaire, d’une nouvelle manière de fonctionner, d’une nouvelle organisation. Ces dernières décennies ont été marquées par la lente agonie de certaines de nos organisations multilatérales. Former une communauté nécessite de partager des principes, des lois et des valeurs : le concept de communauté internationale n’existe plus. Nous devons en prendre acte et bâtir une alliance qui ne se borne pas aux frontières de l’Europe, mais rallie tous ceux qui refusent l’avènement de la loi du plus fort, l’effacement de nos valeurs.
    C’est là ma deuxième conviction : puisque certaines grandes puissances ne comprennent plus que le rapport de force, assumons-le ! Si la défense ukrainienne est dépendante de l’aide américaine, l’Ukraine subira les conditions de paix voulues par d’autres. Une place à la table des négociations ne se quémande pas, elle s’impose. Il y a urgence à ce que l’Europe accroisse son soutien militaire à l’Ukraine : c’est ainsi que nous pourrons pallier un éventuel désengagement américain, que l’Ukraine, si l’on veut lui imposer une paix factice, pourra continuer de résister. Afin de financer ce soutien supplémentaire, la France doit reconsidérer sa position concernant les avoirs russes gelés. Je comprends les préventions de certains à ce propos : je les ai partagées. Seulement, la situation a changé. La menace a franchi un nouveau palier. Avant d’envisager de faire payer les Français, les Européens, consacrons à l’Ukraine les près de 300 milliards d’euros que représentent ces avoirs ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ Mme Stella Dupont applaudit également.)

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Et les avoirs du RN ?

    M. Gabriel Attal

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    Par ailleurs, l’heure est venue d’accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine, qui mène depuis des mois des réformes fortes, courageuses, afin de pouvoir intégrer l’Union européenne. Cette adhésion rapide constituerait un moyen de faire front lors des échanges à venir, ainsi que d’offrir à l’Ukraine, par la suite, des garanties de sécurité. Cela peut se faire de manière adaptée, avec des clauses de sauvegarde pour notre agriculture, par exemple.
    Cette observation m’amène à mon troisième point : la période actuelle ne doit pas susciter la tétanie, mais le sursaut. Dans leur aveuglement, les nouveaux empires qui nous mettent au défi ont commis une erreur d’appréciation : ils croient notre vieux continent fatigué de sa propre histoire et n’y voient pas couver une toute jeune communauté, si jeune que, dans sa naïveté, elle a longtemps pris pour argent comptant les discours sur sa faiblesse prodigués à dessein, mais qui vient peut-être de s’éveiller à elle-même, de prendre conscience de sa force, d’assumer son aspiration à l’indépendance, à la souveraineté. Ces dernières semaines, le temps des illusions a enfin cessé.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    C’est vrai !

    M. Gabriel Attal

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    À l’Élysée il y a deux semaines, hier à Londres, dans un format plus large, je veux croire que les nations européennes ont ouvert les yeux. L’Europe n’étant la vassale de personne, notre objectif doit tenir en deux mots : zéro dépendance. Les résultats des récentes élections en Allemagne nous fournissent une occasion historique de progrès en ce sens. Accélérons ce qui a été entamé depuis 2017, notamment à l’initiative de la France, atteignons l’autonomie stratégique ! Instaurons pour l’Union une garantie de sécurité collective qui ne doive rien à qui que ce soit. Accroissons nos dépenses militaires –⁠ notre pays le fait depuis huit ans – et excluons-les du calcul des 3 % de déficit : c’est la condition d’un réarmement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem. –⁠ M. Jean-Louis Thiériot applaudit également.) Créons une base d’industrie et de défense européenne bien plus ambitieuse, en travaillant à des programmes industriels communs et en imposant la préférence européenne.

    M. François Cormier-Bouligeon

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    Très bien !

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Il a raison !

    M. Gabriel Attal

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    N’ayons pas peur, en vue de financer nos programmes de défense, d’émettre de la dette en commun. Face au covid-19, nous avons su le faire ; faisons de même pour préparer l’avenir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.) Au-delà de la défense, étendons cette logique à tous les domaines. Cessons de craindre l’indépendance, construisons-la –⁠ une indépendance industrielle, en simplifiant nos règles et en assumant, je le répète, la préférence européenne ; une indépendance technologique, grâce à des investissements communs et massifs, notamment dans l’intelligence artificielle ; une indépendance financière, en achevant enfin l’union des marchés de capitaux, ce qui nous donnera la force et la capacité d’investissement nécessaires. N’ayons pas peur : l’Europe doit cesser de s’excuser d’exister. Pour réussir, pour s’imposer, elle a toutes les cartes en main.

    M. Julien Odoul

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    Et la France ?

    M. Gabriel Attal

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    L’Europe a d’abord été une culture, puis une raison ; elle doit devenir une force –⁠ une force de paix, de prospérité, une force tranquille. Monsieur le premier ministre, vous pourrez compter sur mon groupe pour défendre encore et toujours une Union européenne plus puissante, plus indépendante.

    M. Manuel Bompard

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    Avec l’Otan ?

    M. Gabriel Attal

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    C’est là notre ADN, ce que nous faisons depuis 2017, avec le président de la République. L’heure d’une grande accélération a sonné. Rien n’est écrit : il y a trois ans, beaucoup ne donnaient pas deux semaines à l’Ukraine avant qu’elle ne s’effondre ; elle est toujours debout. Depuis trois ans, malgré la souffrance du deuil, le drame de la destruction et la brutalité de l’invasion, malgré les horreurs des bombardements, l’utilisation du viol comme arme de guerre, les déportations d’enfants vers la Russie, les Ukrainiens résistent héroïquement, nous montrant l’exemple d’un peuple qui se bat pour son pays, bien sûr, mais aussi pour la démocratie, pour la liberté, pour l’Europe. Puissions-nous, nous autres Européens, puiser dans son impressionnant courage la force de réagir, de nous affirmer, ne plus fuir le rapport de force, assumer enfin notre puissance !
    L’histoire jugera durement ceux qui ont tourné le dos à l’Ukraine ; elle sera intraitable à l’égard de ceux qui ont cru pouvoir pactiser avec la Russie ; mais être du bon côté de l’histoire ne suffit pas, encore faut-il l’écrire. Nos valeurs ne sont rien si nous ne nous tenons pas prêts à les défendre. Nous ferons bloc : l’avenir de la France, l’avenir de l’Europe en dépend. L’Ukraine vaincra. L’Europe sera. (Les députés du groupe EPR se lèvent et applaudissent. –⁠ Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Aurélien Saintoul.

    M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP)

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    Douloureux. Qu’il est douloureux d’avoir eu raison vingt ans trop tôt, de voir son pays acculé pâtir des erreurs, des abandons, des trahisons de gouvernements pusillanimes ! Comment qualifier autrement ceux qui en 2008, faisant rejoindre à la France le commandement intégré de l’Otan, qu’elle avait quitté en 1966, ont sciemment donné le signal qu’elle rentrait dans le rang et acceptait d’être le supplétif des États-Unis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Comment qualifier autrement ceux qui déposèrent une motion de censure pour empêcher ce ralliement, mais qui en 2012, parvenus à leur tour aux responsabilités, ont accepté un état de fait humiliant, préjudiciable à leur crédibilité et surtout à celle de la France ?

    M. Jean-Yves Bony

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    La gauche rassemblée !

    M. Aurélien Saintoul

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    Comment qualifier, enfin, le fait d’avoir en toutes lettres, dans la revue nationale stratégique de 2022, socle de la loi de programmation militaire du 1er août 2023, libellé ainsi le cinquième objectif stratégique : « La France, allié exemplaire dans l’espace euro-atlantique », comme on eût écrit « premier de la classe otanienne » ?
    La crise que nous traversons ébranle le fondement que vous avez voulu donner à la politique française de sécurité et de défense. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ses conséquences se feront encore sentir dans dix ou quinze ans. Elle ne peut se comparer qu’à la crise du canal de Suez, en 1956, au cours de laquelle Anglais et Français firent l’amère expérience que les États-Unis n’embrasseraient pas systématiquement les intérêts de leurs alliés, mais feraient toujours primer les leurs. Alors le programme nucléaire français devint irrévocable et la conviction du général de Gaulle se fortifia : il fallait moderniser les armées, renoncer aux colonies, s’affranchir au plus vite de la tutelle états-unienne en renvoyant les troupes américaines stationnées sur notre sol et en quittant le commandement intégré de l’Otan. La leçon fut oubliée. Nous voici dans une situation critique de dépendance : nous n’en sortirons pas sans une volonté ferme et un plan clair. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Rappelons que les États-Unis fournissent à la France aussi bien la plus grande partie de son pétrole que les catapultes de son porte-avions ; nos pilotes y sont formés pour la plupart, nombre de nos données y sont déjà stockées.
    J’imagine que l’on me reprochera de prendre ainsi le problème, de ne mentionner l’Ukraine que dans un second temps. Comment faire autrement ? Ces derniers jours ont suscité trop de faux-semblants pour qu’il ne soit pas nécessaire de restituer les véritables enjeux. Nous sommes entrés dans une ère où le principal bénéficiaire de l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale a néanmoins choisi de le remettre en cause afin d’asseoir son hégémonie sur le continent européen, où la plupart des États, échangeant ce tribut contre sa protection, lui achètent une part substantielle, voire essentielle de leur équipement militaire. Nous sommes entrés dans un nouvel âge corsaire. Le droit international est menacé dans son principe quand MM. Trump et Vance, décidant de tirer avantage de la guerre d’agression de M. Poutine, entendent, comme de vulgaires mafieux, extorquer à l’Ukraine l’équivalent de 500 milliards de dollars de minerais (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) pour le plus grand profit de leur ami propagandiste Elon Musk et de ses pareils. Ils exigent même que les Européens, effrayés d’échapper à la garde de l’Oncle Sam, consacrent jusqu’à 5 % de leur PIB à leur défense –⁠ donc à acheter américain…
    Face à cela, on se paie trop souvent de mots. On fait trop souvent semblant. La France va-t-elle contrecarrer ce plan ? Il le faudrait, sans quoi le droit international, encore une fois, ne sera qu’un vain mot ; mais que faire ? Vous n’avez pas été capables de créer une enceinte de discussion où les belligérants auraient pu se retrouver. Vous avez fini par croire vos propres slogans et vous imaginer qu’il pouvait y avoir une issue militaire à ce conflit. Comment voulez-vous faire revenir la France à la table des négociations ? En avez-vous la volonté, les moyens ? On est d’autant plus fondé à en douter que M. Macron a saboté l’appareil diplomatique et que, depuis trois ans, la liste des gesticulations non suivies d’effet est bien longue. (Mêmes mouvements.)

    M. Erwan Balanant

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    Dommage que les députés du RN soient partis, ils applaudiraient des deux mains !

    M. Aurélien Saintoul

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    Ainsi, la France ne possède qu’un site de production, à Tarbes, de corps d’obus de 155 millimètres. À vous entendre, on l’imaginerait fonctionnant à plein régime pour soutenir l’effort de guerre ukrainien ; en réalité, sa remise en état, décidée lors de son rachat il y a quatre ans, est à peine entamée. Je ne rappellerai pas la sortie grotesque de M. Le Maire se faisant fort de mettre l’économie russe à genoux ! Quand certains, exaltés par le courage des Ukrainiens, parlent de leur envoyer des troupes, disposant de la vie de nos militaires comme ils joueraient avec des soldats de plomb, on est pris d’un singulier vertige. Quand d’autres, avec désinvolture et d’un air entendu, évoquent en se rengorgeant un partage nucléaire, on se pince. Pourquoi et surtout comment nous, Français, qui depuis soixante-dix ans n’avons pas cru un instant qu’un allié engagerait pour nous sa crédibilité atomique, persuaderions-nous partenaires et adversaires que nous-mêmes le ferions ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
    Loin de nous pousser à l’illogisme, l’affolement de nos partenaires européens devrait amener la discussion franche et sérieuse qui a été éludée de longue date, en particulier il y a vingt ans, lorsque le peuple français, par référendum, a refusé la ratification du traité constitutionnel européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ M. Stéphane Peu applaudit aussi.) Là se situe le nœud du problème, le cœur de la politique d’impuissance et d’alignement que les gouvernements français ont accepté de mener. Au nom de la concurrence libre et non faussée, de la limitation des déficits, d’un mandat de la Banque centrale européenne entièrement dévolu à la lutte contre l’inflation, sans aucun souci de l’emploi ni de la souveraineté, on a organisé l’affaiblissement de l’État, ainsi que le démantèlement de l’industrie dont Matthias Tavel dressera à votre intention, demain après-midi, un tableau éloquent.
    Ironie de l’histoire, on a aussi étouffé le peuple grec, dont la dette provenait en grande partie d’achats d’armements effectués auprès de l’Allemagne et de la France. Désormais, Mme von der Leyen suggère benoîtement que les déficits cessent d’inclure les dépenses militaires. Que n’y a-t-elle pensé pour financer la bifurcation écologique du continent (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) ou pour organiser la convergence des modèles sociaux ? En réalité, personne n’est dupe face à la crise enkystée du capitalisme. L’économie de guerre est un expédient dangereux.
    À quoi bon, d’ailleurs, tout cet argent ? Emmanuel Macron claironne qu’il faudra dépenser pour la défense non plus 2 %, mais 3 %, voire 3,5 % du PIB. Heureux hasard, c’est le montant que les think tanks américains ont susurré aux oreilles des membres de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, en déplacement à Washington en décembre dernier ! (Mme Anne Genetet proteste.) À quel jeu de dupes veut-on nous faire participer ? De toute façon, ces discussions de chiffres pris abstraitement sont absurdes. Que feront nos partenaires de ces dépenses ? S’apprêtent-ils à sauver la position américaine en Europe, comme les négociations autour du fonds Edip le laissent présager depuis longtemps ?
    Certes, sur le continent, l’espèce de soufflet asséné par M. Vance aux dirigeants européens à la conférence de Munich et l’humiliante leçon infligée à M. Zelensky ont suscité l’indignation. Mais quelle suite celle-ci aura-t-elle ?
    Vous aurez noté que Mme Meloni n’a pas réagi. L’extrême droite italienne n’est pas différente de l’extrême droite française. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Loin des protestations nationalistes, elle a, avant tout, la soumission chevillée au corps.
    M. Starmer est lui aussi resté silencieux,…

    Mme Anne Genetet

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    C’est faux ! Il s’est exprimé hier !

    M. Aurélien Saintoul

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    …et a même démenti aujourd’hui M. Macron : les Britanniques ne veulent pas soutenir un plan de paix des Européens auquel les Américains ne seraient pas partie prenante –⁠ donc garants.

    Mme Anne Genetet

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    Vous racontez n’importe quoi !

    M. Aurélien Saintoul

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    L’entente cordiale n’a jamais pu remettre en cause la relation spéciale.
    Quant à M. Merz, en passe de devenir chancelier, s’il a salué la réunion qui s’est tenue à Londres hier, c’est en invoquant la nécessité de rebâtir des ponts avec Washington. Ébouriffante manifestation de l’aspiration allemande à l’autonomie stratégique européenne, s’il en est ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
    Il faut dire que face au risque d’une guerre tarifaire qui pourrait plomber l’économie allemande, en particulier l’industrie automobile, Christine Lagarde elle-même a conseillé de se soumettre et de sortir le carnet de chèques. D’autres doivent penser de même outre-Rhin.
    Pour faire croire aux éléments de langage relatifs à une Europe puissance, il faudra donc des actes. Il faudra montrer un désir commun de tenir tête à Washington. Les occasions ne manqueront pas : quels seront les choix opérés dans les domaines spatial, numérique et militaire –⁠ SpaceX, Starlink, Amazon, Palantir, F-35 ? Vous-même, monsieur le premier ministre, empêcherez-vous le démantèlement d’Atos ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Sauverez-vous Vencorex ? Bloquerez-vous le rachat de LMB Aerospace ? Reviendrez-vous sur le contrat avec Starlink à Mayotte ? Laisserez-vous saboter l’industrie française au nom de coopérations franco-allemandes, comme pour le MGCS, le système principal de combat terrestre ?

    M. Antoine Léaument

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    Il a raison !

    M. Aurélien Saintoul

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    À cette heure, l’inquiétude qui étreint légitimement nombre de nos compatriotes devant le risque de guerre doit nous inciter à la retenue, à l’exactitude et à la cohérence. Notre soutien à l’Ukraine est plein et entier. Le peuple ukrainien se défend d’un occupant et son combat se fait au nom du droit international. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) C’est l’intérêt de la France, et ce n’est que justice, que ce droit international prévale. C’est la même raison qui a conduit les Insoumis à soutenir constamment le peuple palestinien et à exiger du gouvernement un soutien identique. (Mêmes mouvements.)
    Notre sécurité n’est pas en cause dans l’immédiat, mais il faut sortir le pays de l’isolement auquel nos gouvernements l’ont réduit à force de dire une chose et d’en faire une autre. La France n’est pas une nation occidentale, elle est universelle. Elle est membre du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle doit refuser l’embrigadement. (Mêmes mouvements.) Elle doit se donner les moyens d’agir pour la paix et offrir son amitié et sa coopération à tous ceux qui aspirent à faire reculer sur la planète les logiques de compétition et de prédation qui suscitent les guerres. Elle en a les moyens, elle peut être entendue.
    Ne pouvant faire que la justice fût forte, on fit que la force fût juste, écrivait Blaise Pascal. La France peut déjouer une telle promesse de malheur. Elle doit pour cela faire le choix de la grandeur. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)

    Un député du groupe DR

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    Quel blabla !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Boris Vallaud.

    M. Boris Vallaud (SOC)

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    Depuis plus de trois ans, la résistance ukrainienne s’oppose avec un courage inouï et une détermination inébranlable à l’agression russe. Elle pleure ses disparus, enterre ses morts, observe le désastre immense de ses villes et de ses villages détruits ; elle ravale ses larmes et reprend inlassablement les armes parce qu’elle sait sa cause juste et qu’elle n’a d’autre choix, pour vivre libre, que la victoire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
    C’est au peuple ukrainien que je voudrais exprimer notre reconnaissance et adresser nos premiers mots : frères ukrainiens, sœurs ukrainiennes, vous n’êtes pas seuls et la France se tiendra toujours aux côtés des peuples libres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
    Depuis le premier jour de l’invasion de l’Ukraine, nous savons que cette guerre est aussi la nôtre : il s’agit d’une guerre en Europe et contre l’Europe. Une guerre contre la liberté, contre la démocratie, contre le droit, contre l’ordre international, contre l’Union européenne vers laquelle les révolutionnaires de Maïdan tournaient déjà leurs espoirs. Il s’agit d’une guerre militaire par nature, mais idéologique par destination.
    Bien sûr, des voix s’élèveront probablement, jusque dans cet hémicycle, pour me contredire, émanant de faux pacifistes prêts à une fausse paix, qui cherchent de fausses excuses à l’agresseur russe. Ils étaient hier les vrais complices de Poutine ; ils sont désormais ceux de Trump. Les socialistes, pour leur part, ne seront jamais de ceux-là. Les vrais pacifistes savent que la guerre, toujours détestable, est parfois inévitable lorsque la démocratie et la liberté cèdent à l’ivresse nationaliste et aux dictatures. Le pacifisme le plus exigeant, celui de Jaurès, ne tolère ni la servitude ni la soumission.

    Mme Anne Genetet

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud

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    Depuis 2022, pas une voix socialiste n’a manqué au soutien de la résistance ukrainienne,…

    Mme Anne Genetet et M. Dominique Potier

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    C’est vrai !

    M. Boris Vallaud

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    …au rétablissement de la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières de 1991, aux sanctions les plus fortes contre la Russie, à la demande d’adhésion à l’Union européenne, à l’effort de guerre et à l’envoi des armes nécessaires à sa victoire. C’est avec la même force et la même exigence que nous affirmons au gouvernement qu’il ne trouvera dans nos rangs que des soutiens déterminés aux initiatives qu’il prendra afin de défendre l’Ukraine et, avec elle, l’avenir de la paix en Europe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)

    Mme Delphine Batho

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud

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    Chacun le sait, chacun le sent, la rencontre entre les présidents Zelensky et Trump dans le Bureau ovale était une embuscade, et nous sommes tombés avec lui dans l’embuscade de cet imprévisible qu’est l’histoire. Nous la redoutions, la voici qui vient. Un mois aura suffi pour précipiter le monde tel que nous l’avons connu depuis la seconde guerre mondiale hors de son orbite. Nous pensions la démocratie libérale menacée à ses marges, la voici qui s’effondre en son centre. Tout dans les mots et dans les actes du président Trump traduit la trahison : trahison des valeurs, de la justice, du droit, des engagements et de la parole donnée, des alliances. Jamais, depuis la création des Nations unies, nous n’avons vu les États-Unis prendre parti contre leurs alliés européens en s’alliant avec les Russes et les Nord-Coréens.
    L’Amérique du président Trump n’est plus notre alliée. Sous nos yeux se réveillent les démons du passé, sous nos yeux Yalta et Munich se donnent la main. Ce ne sont pas seulement les Ukrainiens et les Européens qui sont trahis, mais aussi les Américains. La grande et belle Amérique, c’est celle qui se choisit, aux heures sombres, Franklin D. Roosevelt plutôt que Charles Lindbergh.
    En quelques jours, tout a changé et l’heure des décisions brutales et lourdes est venue ; le monde tel que nous l’avons connu a soudainement changé sous nos yeux. Tout ce que nous tenions pour acquis est susceptible d’être remis en cause, tous les cadres connus peuvent être remis en question. Nos alliés d’hier sont nos adversaires d’aujourd’hui. En 1962, le général de Gaulle déclarait : « On ne sait jamais d’où peut provenir la menace […]. Un jour ou l’autre, il peut se produire des événements fabuleux, des retournements incroyables. […] L’Amérique peut exploser du fait du terrorisme, du racisme, […] et devenir une menace pour la paix. » Nous y sommes !
    Le vent mauvais du fascisme et du populisme souffle depuis l’Amérique, tandis que les nuées mêlées de l’impérialisme tsariste et du totalitarisme soviétique soufflent depuis la Russie. Tout est bouleversé : l’autorité du droit, l’ordre international, le multilatéralisme wilsonien, les équilibres géostratégiques et la sécurité euro-atlantique. Qui peut croire, en effet, que le président Trump viendrait au secours de l’Estonie ou de la Lettonie, conformément à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ? La pax americana n’est plus garantie et jamais, sur le continent européen, la possibilité de la guerre n’aura été aussi grande. La Finlande, la Pologne, les pays baltes, qui ont considérablement augmenté leurs dépenses militaires, s’y préparent. Le reste du continent européen la redoute et l’envisage désormais.
    L’Europe, notre vieille Europe avec sa part d’universel, est face à l’histoire et à l’heure des choix. Elle doit regarder au-delà du jour et interroger son destin. L’Europe n’a qu’un impératif : mettre en commun, contre le monstrueux péril de la guerre, toutes ses forces de volonté et de raison. Nous devons agir maintenant pour renforcer notre sécurité commune et notre autonomie stratégique.
    Ayons l’honnêteté de reconnaître que nous avons trop attendu, que nous savions depuis longtemps inscrit le désengagement progressif des États-Unis en Europe ; une Europe enjointe régulièrement d’assurer sa propre défense, mais paresseusement installée dans une promesse de sécurité faite en échange de commandes d’armes américaines.
    Si nous ne pouvons plus compter sur l’Amérique, nous n’aurons d’autre choix que de compter sur nous-mêmes.

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Exactement !

    M. Boris Vallaud

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    Si l’Ukraine ne peut plus compter sur l’aide américaine, nous n’aurons pas d’autre choix que de nous substituer à elle. Notre sécurité collective est au pied du mur et nous ne pouvons faire autrement que d’investir plus encore l’Otan, dont les Européens financent l’essentiel du fonctionnement et à laquelle nos partenaires restent attachés. Nous devons nous y imposer, avant éventuellement de nous en émanciper afin d’en faire l’un des piliers de la sécurité commune européenne. Les Américains devront nous préciser ce qu’ils entendent faire de l’Alliance et s’il faut véritablement envisager de faire sans eux, ce qui serait une décision grave et risquée.
    Nous devons aller plus loin. C’est pourquoi les socialistes appellent de leurs vœux un grand plan de redressement stratégique de l’Europe (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC), militaire autant qu’industriel, qui redonnera à l’Europe déclassée, distancée, concurrencée, la maîtrise de son destin et la pleine souveraineté sur les choix qui engagent son avenir.

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud

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    Nous souhaitons que la loi de programmation militaire (LPM) soit actualisée sans délai et que les règles budgétaires soient revues, pour financer nos armées et investir massivement dans les technologies afin de garantir notre indépendance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Investir, fabriquer, acheter européen. Nous souhaitons qu’un grand emprunt commun, d’au moins 500 milliards, permette de concrétiser cette ambition, seule à même de sauver la paix et la sécurité en Europe. Si nous ne sommes pas capables, sans esquive et sans délai, de ce sursaut, alors nous serons emportés, l’Union européenne sera menacée de ne plus exister et le retour de la guerre sera inévitable.
    Le temps de la laisse et du bâton est terminé, celui de la pax europaea doit advenir. L’Europe doit croire en sa force. Nous sommes ce qui reste du monde libre. La France doit en être l’un des fers de lance, avec la Grande-Bretagne, ainsi qu’avec l’Allemagne qui, par la voix de Friedrich Merz, futur chancelier, évoque la possibilité d’une indépendance stratégique et militaire nouvelle et inédite vis-à-vis des États-Unis.
    Nous autres socialistes n’ignorons pas la responsabilité éminente de la France dans l’entreprise qui s’engage, et je ne voudrais pas esquiver la question de la dissuasion nucléaire qui nous est posée par nos amis ukrainiens autant que par nos amis allemands. Nous devons d’abord leur assurer que les intérêts vitaux de la France se portent depuis longtemps déjà au-delà de la ligne bleue des Vosges et comportent nécessairement une dimension européenne. Nous devons leur dire, ensuite, que la dissuasion nucléaire sera à l’évidence l’une des questions majeures de la construction d’une sécurité commune européenne.
    Néanmoins, l’urgence, c’est de venir au secours de l’Ukraine, de continuer à l’armer et de rester à ses côtés aussi longtemps que nécessaire. Pour nous, socialistes, il faut faire plus et plus vite : livrons des armes, encore des armes, sauvons les infrastructures, fournissons des avions et renforçons la police aérienne, la sentinelle balte et les frontières de l’Union européenne. Cela nous permettra d’affirmer notre détermination face à des autocrates qui ne connaissent que la force. Saisissons, enfin, les 200 milliards d’avoirs russes gelés dans nos banques et ne laissons plus la Russie faire transiter par nos ports le gaz naturel liquéfié qui finance son armée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. –⁠ Mme Marie Pochon applaudit également.)
    Mes chers collègues, monsieur le premier ministre, nous devons dire dans un même mouvement, au président américain comme au président russe, que nous n’accepterons pas pour l’Ukraine une paix rapide qui ne soit pas une paix durable et juste, comportant des garanties de sécurité –⁠ notamment américaines – sérieuses.
    Les socialistes sont prêts, en cas d’accord de paix, à ce que la France participe aux bataillons qui devront se porter sur le terrain. L’heure est grave et nous sommes appelés au même courage et à la même détermination que nos amis ukrainiens. Une nouvelle ère s’ouvre. Je veux dire aux Françaises et aux Français qui sont légitimement inquiets de cette situation que les députés du groupe Socialistes et apparentés partagent leur inquiétude et mesurent les périls. C’est en patriotes ardents que nous voulons que tout soit entrepris pour que la paix ait le dernier mot, cette paix héritée de nos parents et que nous devons à nos enfants, dans laquelle s’accomplit toujours le meilleur de l’humanité.
    Pour conclure, je dirai que l’enjeu existentiel de cette guerre est simple : c’est la condition de l’homme. (Les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent. –⁠ Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Herbillon.

    M. Michel Herbillon (DR)

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    Depuis plus de trois ans désormais, le peuple ukrainien résiste héroïquement à la guerre d’agression menée par la Russie sur son territoire, une guerre innommable qui dénie à l’Ukraine le droit de décider de son avenir et remet en cause ses frontières.
    Je veux tout d’abord avoir une pensée pour les centaines de milliers de morts ukrainiens qui se sont battus avec un courage inouï pour défendre leur pays, leur liberté et leur indépendance ; leur engagement a été admirable. Je pense aux dizaines de milliers de blessés, militaires et civils, qui ont été littéralement brisés par cette guerre dévastatrice. Je pense à toutes les victimes des crimes de guerre, dont celles du massacre de Boutcha. Je pense aux 20 000 enfants déportés de force en Russie, dont nous exigeons évidemment qu’ils soient rendus à leurs familles. Je pense enfin à tous les Ukrainiens qui ont dû tout abandonner du jour au lendemain pour fuir la violence des combats –⁠ la Russie n’a jamais hésité à frapper les villes, les hôpitaux et les infrastructures pour terroriser les populations civiles et rendre leur vie impossible.
    À moins de 2 000 kilomètres de Strasbourg, l’Ukraine mène un combat essentiel pour la défense de notre continent et de nos valeurs ; c’est pourquoi la France s’honore de soutenir depuis trois ans ses amis ukrainiens. Parce que nous sommes à leurs côtés, nous devons veiller à ce que la trêve en construction respecte la volonté des Ukrainiens –⁠ rien ne peut se décider sans eux – et leur assure des garanties de sécurité pour éviter toute résurgence de la guerre.
    Rien ne pourra non plus se décider sans l’Europe, car nous devons nous assurer de la sécurité de notre continent. Comme nous, nos compatriotes observent avec inquiétude l’environnement géopolitique et sécuritaire de la France se dégrader, alors que les alliances et les certitudes d’hier sont balayées du jour au lendemain. Il y a tout juste une semaine, le Conseil de sécurité de l’ONU a été le théâtre d’un tournant diplomatique majeur : en votant contre une résolution de l’Ukraine et des pays de l’Union européenne qui appelait à une paix juste, les États-Unis ont mêlé leur voix à celles de la Russie et de la Corée du Nord, illustrant ainsi le basculement de leur position vis-à-vis de cette guerre et de la Russie depuis le retour du président Trump à la Maison-Blanche. Ce que nous craignions il y a encore quelques mois se déroule sous nos yeux, confrontant l’Europe à un risque existentiel. Nous avons assisté avec sidération, en direct du Bureau ovale, à la reprise par Trump de la rhétorique de Poutine, constatant que le président américain prenait la défense de l’agresseur face au président d’un pays envahi.
    Dans ces circonstances difficiles, certains seront tentés de faire l’exégèse des raisons qui ont poussé l’Europe à vivre dans l’illusion d’une paix intangible, donnant l’impression de rester spectatrice des grandes évolutions du monde. Son attentisme nous a-t-il fait perdre notre capacité autonome à nous défendre ? Peut-être, mais là n’est plus la question : nous n’avons plus le temps –⁠ comme le dit un proverbe chinois, il est désormais plus tard que tu ne crois. Face à la remise en cause de notre architecture de sécurité commune, l’heure est au réveil stratégique. Face à la menace qui pèse sur nos alliances historiques, les Européens doivent agir pour bâtir une défense autonome, en remplacement de l’Otan dans sa forme actuelle.
    Certes, le réveil est brutal, mais je crois profondément qu’il peut être salutaire en poussant la France et l’Europe à retrouver leur autonomie stratégique. Pour cela, nous devons affronter plusieurs défis majeurs.
    Le premier défi renvoie évidemment aux dépenses militaires, alors que notre budget de la défense vient d’atteindre les 2 % du PIB. Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, cette première réussite témoigne de l’attention que notre pays a portée aux évolutions géostratégiques que nous redoutions depuis quelques années. Néanmoins, les événements récents montrent qu’il nous faudra aller bien plus loin encore pour garantir notre sécurité et notre indépendance. La Pologne alloue plus de 4 % de son budget à la défense et ambitionne de construire la première armée de terre d’Europe. Le Danemark, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont annoncé vouloir augmenter massivement leurs dépenses militaires. Le président de la République évoque un effort national qui pourrait aller jusqu’à 3 %, voire 3,5 % du PIB si jamais les États-Unis venaient à se désengager de notre protection collective. Nous souscrivons à cette trajectoire qu’exigent les temps difficiles –⁠ la défense nationale est une assurance existentielle face aux dangers du monde qui nous guettent –, mais nous souhaitons savoir, monsieur le premier ministre, dans quel calendrier s’inscrira cet effort important, et selon quelles modalités. La question est d’autant plus brûlante que nos finances publiques sont particulièrement dégradées.
    Le deuxième défi sera de protéger la souveraineté nationale en bâtissant une Europe puissance qui nous protège. Nous le voyons bien, que ce soit sur le plan militaire, stratégique ou commercial, nous ne pouvons plus déléguer la défense de nos intérêts, encore moins être dépendants des autres. Ne nous voilons pas la face : dans un monde mis sous tension par la concurrence stratégique entre la Chine et les États-Unis, seul un chemin européen nous permettra de faire entendre notre voix, de protéger nos intérêts et d’assurer notre sécurité collective. Partout en Europe, nous voyons nos partenaires évoluer très rapidement sur ces questions. De nombreux pays appellent l’Union européenne à réorienter davantage de fonds vers notre défense collective ; nous soutenons cet appel. Nous soutenons également, parce que les circonstances l’exigent, l’exclusion des dépenses de défense du calcul des déficits publics.
    Le troisième défi est celui de la réduction de nos dépendances stratégiques. Nous appelons à la réorientation massive des achats de défense des États membres vers nos industries européennes, et avant tout françaises (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR),…

    Mme Émilie Bonnivard

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    Très bien !

    M. Michel Herbillon

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    …car les projets du futur relatifs à nos chars, à nos avions, à nos drones doivent s’écrire au présent. C’est important pour deux raisons. D’abord, cela renforcera la base industrielle et technologique de défense européenne, alors que près des deux tiers des achats de défense européens sont actuellement faits auprès d’industriels américains. À ce propos, les dernières élections en Allemagne et les récentes déclarations du futur chancelier Friedrich Merz offrent une occasion majeure de relancer l’indispensable coopération franco-allemande sur ce sujet.

    M. Patrick Hetzel

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    Absolument !

    M. Michel Herbillon

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    Il faudra également s’affranchir des contraintes qui pèsent sur l’engagement des armes américaines dont disposent nos alliés ; celui-ci ne doit plus dépendre de l’autorisation des États-Unis.
    Avec l’Union européenne, nous devons poursuivre la réduction de nos dépendances, quelles qu’elles soient, dans tous les domaines, au niveau supranational : il nous faut soutenir Galileo comme solution de rechange au GPS pour le positionnement satellitaire, ou encore le projet Iris2 –⁠ infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite 2 –, qui vise à créer une constellation de satellites de communication pour ne plus dépendre d’opérateurs étrangers pour nos échanges sécurisés.

    M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

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    Bravo !

    M. Alexandre Portier

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    Très juste !

    M. Michel Herbillon

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    Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : ces grandes ambitions pour assurer la sécurité de la France ne peuvent être réalisées que dans un cadre européen, condition sine qua non de leur succès. Face aux menaces, l’isolement est une impasse. Monsieur le premier ministre, l’heure est à un profond changement de paradigme pour rebâtir les capacités de défense en France et en Europe ; l’heure est à un sursaut stratégique européen qu’il faut réussir. Nous sommes conscients des efforts que cela exigera : le groupe Droite républicaine est prêt à soutenir les hausses du budget de la défense, car il y va de notre sécurité, de notre indépendance, de notre avenir.
    Nous dénonçons en revanche les ambiguïtés savamment déguisées de ceux qui, y compris dans cet hémicycle, avancent masqués ; ceux qui caricaturent nos propos et nos positions ; ceux qui se disent non alignés alors qu’ils applaudissent les discours populistes du vice-président américain comme jadis ceux du président russe (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs du groupe Dem) ; ceux qui se prétendent pacifistes alors qu’ils sont depuis toujours fascinés par les régimes autoritaires.
    Nous, nous sommes clairs dans chacun de nos engagements : nous sommes du côté d’une paix négociée en Ukraine, qui exclut toute capitulation ; du côté du courage, de la cohésion et de l’esprit de résistance ; du côté de la France et de la défense de sa souveraineté ; du côté de l’Europe qui, si elle veut préserver l’acquis de la paix qu’elle nous a offerte depuis désormais quatre-vingts ans, doit renouer avec une ambition de grande puissance.
    La France peut et doit être la force motrice de ces engagements. Elle en a le courage, la force et le génie, comme elle l’a si souvent montré dans l’histoire de notre vieux continent. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, Dem et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LIOT.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.

    Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)

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    Il y a plus de trois ans, le 24 février 2022, Vladimir Poutine a poursuivi l’invasion de l’Ukraine entamée dès 2014 avec l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass. La Russie rêve de rebâtir un empire sans frontières ; l’Ukraine et son peuple résistent courageusement. Toute une nation se bat : nous lui devons respect et reconnaissance.
    Le dévouement et la pugnacité du peuple ukrainien ont fait échouer le plan opérationnel de Vladimir Poutine : le pouvoir ukrainien est toujours en place et Kiev n’est jamais tombé. Il n’en reste pas moins que la Russie poursuit une opération de destruction de l’Ukraine par l’agression armée, mais aussi par les politiques de répression et de russification forcée visant à éradiquer toute trace de la culture et de la langue ukrainiennes dans les territoires occupés.
    Depuis la prise de contrôle du parlement de Crimée par des groupes armés russes se pose la question de la souveraineté de l’Ukraine. Reconnaissons-nous aux Ukrainiens le droit de décider pour eux-mêmes ou sont-ils condamnés, même indépendants, à rester dans la sphère d’influence et de contrôle de la Russie ? Pour nous, la réponse est évidente : le peuple ukrainien est souverain, il doit pouvoir décider de son avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC. –⁠ Mme Stella Dupont applaudit également.) Dès lors, toute négociation sur la fin de la guerre ne peut être considérée comme telle, et ses conclusions reconnues par l’Union européenne et la France, que sous trois conditions : si l’Ukraine est actrice des négociations ; si l’Europe participe aux pourparlers ; si des garanties de sécurité sont apportées à l’Ukraine en tant qu’État-nation indépendant.
    L’Europe, jusqu’ici, a refusé l’écrasante logique impérialiste russe, car ce n’est pas seulement la pérennité de l’Ukraine qui est en jeu, mais l’avenir de l’Europe. Au-delà de l’annexion de l’Ukraine, l’objectif des dirigeants russes est le démantèlement de l’Union européenne. Celle-ci doit donc s’affirmer comme une force politique, ce qui implique, dans le contexte actuel, de s’affirmer aussi comme une force militaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
    Or, depuis 2014, l’Union européenne n’a rien fait pour renforcer sa défense commune. Certes, il y a eu, en 2022, un sursaut bienvenu : l’Union européenne a su être présente auprès de l’Ukraine, lui apportant une aide financière, humanitaire et militaire. Mais l’Europe est-elle davantage capable de se défendre qu’en 2014 ? Je ne le crois pas. Elle s’en est paresseusement remise aux États-Unis, les considérant comme le garant ultime de sa sécurité. L’Europe s’est reposée sur cette alliance et a renoncé à s’imposer comme un acteur majeur sur la scène internationale. Ainsi, le 18 février, une discussion bilatérale sur l’avenir de l’Ukraine se tenait entre les États-Unis et la Russie ; les Européens étaient exclus, l’Ukraine écartée.
    Ce jour-là, l’Europe a pris conscience de sa solitude et de sa fragilité. Elle assiste, impuissante, au changement de positionnement des États-Unis. Non seulement ceux-ci votent contre la réaffirmation du soutien à l’Ukraine lors de l’Assemblée générale des Nations unies et menacent de lui retirer leur soutien militaire, mais ils reprennent également à leur compte la propagande russe –⁠ cette même propagande que nous entendons malheureusement dans cet hémicycle dans la bouche de Marine Le Pen.
    Ce jour-là, cette guerre lointaine aux frontières de l’Europe s’est imposée à nous. Impossible de zapper, d’oublier : pour la première fois depuis 1945, la peur de la guerre s’insinue en chacun d’entre nous. La menace russe se concrétise et la protection américaine s’étiole. Donald Trump piétine quatre-vingts années de construction du droit international en fondant sa politique sur l’intimidation, la prédation et l’extorsion. Il s’engage dans la course à l’accaparement des ressources, que cela soit par le chantage envers l’Ukraine ou par l’expression de sa volonté d’annexer le Groenland. Il ne reconnaît que la force brutale et se permet d’humilier, devant les caméras, Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine et héros de guerre européen.
    Le plan de paix, élaboré –⁠ lit-on dans la presse – de concert entre le Royaume-Uni, la France et l’Ukraine, et dont j’aimerais, monsieur le ministre des affaires étrangères, que vous nous disiez un mot, sera pour les États-Unis et l’Europe l’heure de vérité : soit Donald Trump accepte de renouer le dialogue avec les Européens ; soit il s’aligne définitivement sur la Russie, assumant un complet renversement d’alliance.
    Dans tous les cas, l’Europe est au pied du mur. Elle ne peut rester soumise aux soubresauts de la politique américaine. Le groupe Écologiste et social soutient donc un engagement militaire renforcé à destination de l’Ukraine, notamment par la fourniture d’équipements de défense avancés, par la formation des forces ukrainiennes et par le renforcement des troupes européennes dans les pays frontaliers de l’Ukraine.

    Mme Delphine Batho

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    Très bien ! Voilà !

    Mme Cyrielle Chatelain

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    Le groupe Écologiste et social rappelle en outre qu’il est impératif d’affaiblir financièrement la Russie, de trois manières. D’abord, il faut utiliser les 200 milliards d’euros d’avoirs russes qui dorment dans nos banques pour financer la résistance et la reconstruction de l’Ukraine. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.) Notre groupe propose d’ailleurs à l’ensemble des députés de l’arc républicain de cosigner une proposition de résolution en faveur de l’utilisation des avoirs russes gelés. (Mêmes mouvements.)
    Ensuite, il faut mettre fin à l’achat de gaz, de pétrole et d’uranium enrichi à la Russie. Chaque euro versé à Gazprom ou aux compagnies fossiles russes finance la guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. –⁠ Mme Marie-Noëlle Battistel applaudit également.) La véritable souveraineté passe par une transition énergétique ambitieuse qui nous libère des hydrocarbures russes et américains.
    Enfin, il convient de sortir de notre dépendance aux engrais russes, dont la France est le plus gros importateur européen. La sortie du modèle de l’agriculture intensive est tout autant un impératif de souveraineté qu’un impératif écologique. Sortir de la dépendance énergétique, c’est cela, le véritable « zéro dépendance ». (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
    Le groupe Écologiste et social appuie la demande des Ukrainiens que Vladimir Poutine soit jugé devant la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes de guerre commis.

    M. Pouria Amirshahi

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    Très bien !

    Mme Cyrielle Chatelain

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    Les négociations pour la paix devront également comprendre un plan de désescalade nucléaire : la définition de zones dénucléarisées, des mesures de contrôle des armements et de prévention de toute escalade nucléaire.
    La priorité aujourd’hui est de garantir une sécurité européenne autonome. L’Union européenne doit accélérer le déploiement d’une défense européenne incluant le Royaume-Uni et travailler en partenariat avec des alliés non alignés. C’est nécessaire pour garantir la sécurité et la stabilité du continent, et plus largement celle de l’ordre international. Pour cela, il est indispensable d’adopter une stratégie diplomatique unifiée : l’Union européenne ne sera crédible sur le plan international que si elle adopte une stratégie diplomatique concertée et cohérente.
    Établir une base industrielle de défense européenne est également nécessaire, afin d’être indépendants du point de vue opérationnel et de garantir l’interopérabilité entre les armées européennes. En effet, augmenter les dépenses de défense pour acheter américain ne garantirait en rien notre indépendance. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. –⁠ M. Gérard Leseul applaudit également.) Pour assurer sa souveraineté industrielle, la France doit activement empêcher les fermetures de sites industriels français : perdre des compétences et des capacités de production est une grave erreur. Il est temps que le gouvernement mette en cohérence ses discours et ses actes.

    M. Jérémie Iordanoff

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    C’est vrai !

    Mme Cyrielle Chatelain

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    Il convient enfin de renforcer le pacte vert pour l’Europe et d’amplifier les mesures permettant de sortir de la dépendance aux énergies fossiles en provenance de pays ennemis ou de potentiels rivaux systémiques. La dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie, des États-Unis et du Qatar n’est pas une situation viable en cas de conflit mondial.
    L’heure n’est plus aux hésitations : si certains pays bloquent, par opportunisme, en raison d’un accord idéologique avec Poutine ou du fait d’un alignement sur Trump, avançons avec une coalition de pays volontaires prêts à garantir leur propre sécurité !
    La sécurité de l’Europe et de la France passe également par un changement de politique étrangère. La Russie cherche à développer ce qu’elle considère être une « majorité mondiale », c’est-à-dire à s’appuyer sur les pays du Sud pour construire une majorité contre l’Occident. L’Europe ne doit pas laisser la Russie l’isoler.
    Dès lors, la France et l’Europe ont l’impératif moral et diplomatique de ne pas laisser s’installer un double standard : l’Europe ne peut défendre l’intégrité de l’Ukraine et abandonner la Palestine. Le droit international doit prévaloir partout et protéger chaque peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ Mme Pascale Got applaudit également.) Alors que l’aide humanitaire à destination des Gazaouis vient d’être suspendue et que les opérations israéliennes en Cisjordanie se multiplient, l’Europe ne peut rester inerte : elle doit suspendre l’accord d’association avec Israël et reconnaître l’État de Palestine. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
    Enfin, nous, écologistes, affirmons que nous ne pouvons accorder un soutien inconditionnel à une économie de guerre, ce qui reviendrait à abandonner la bataille climatique et à faire passer au second plan la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Nous proposons une écologie en période de guerre, qui renforce nos avantages stratégiques par des mesures limitant la dépendance de notre pays aux énergies fossiles, prenant en compte la finitude et la rareté des ressources critiques et anticipant la dépollution des environnements affectés par les activités militaires.
    Nous sommes entrés dans un monde de prédation, d’extorsion, d’agression. Notre modèle démocratique est ébranlé par les ingérences russes. Nos valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité sont attaquées par une internationale fasciste qui s’implante en Europe, dans notre pays et sur certains bancs de cet hémicycle. À nous de la combattre et de nous faire les protecteurs de nos idéaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC. –⁠ MM. Christophe Bex, René Pilato et Stéphane Peu applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Marc Fesneau.

    M. Marc Fesneau (Dem)

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    Ma collègue Geneviève Darrieussecq fera écho à mon propos. Permettez-moi de débuter ma courte intervention en rendant hommage à notre collègue Frédéric Petit, qui, depuis des années et singulièrement depuis février 2022, n’a pas ménagé ses efforts pour nous alerter et agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe EPR. –⁠ M. Laurent Mazaury applaudit également.)
    Dans les heures que nous vivons, dire les choses telles qu’elles sont est sans doute le premier des impératifs. Il faut donc dire, sans relâche, qu’il y a trois ans, l’Ukraine a été envahie par la fédération de Russie dans une guerre d’agression et d’annexion comme nous n’en avions pas vu sur le sol européen depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et que cette guerre ne venait pas de nulle part, puisqu’elle avait été précédée en 2014 par l’annexion illégale de la Crimée et la guerre –⁠ déjà – dans le Donbass.

    M. Vincent Descoeur

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    Absolument !

    M. Marc Fesneau

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    Certains avaient cru que 2014 marquait seulement un soubresaut de la dislocation de l’empire soviétique. De fait, il s’agissait du début d’une offensive géopolitique qui sonnait comme un test de la résistance de nos démocraties et du droit international face à l’émergence d’un nouvel impérialisme. Or nous n’étions pas nombreux à le dénoncer. En effet, il y a plus de dix années, s’élevaient déjà des voix, nombreuses, pour nier ou dénier, attitudes qui, au fond, protégeaient les visées de Poutine.

    M. Erwan Balanant

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    Exactement !

    M. Marc Fesneau

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    Il y a bel et bien un agresseur et un agressé. Il paraît bien curieux que l’on en vienne à le nier, y compris aux États-Unis, dans le Bureau ovale, afin de justifier toutes les compromissions, comme nous l’avons vu vendredi dernier. Je salue d’ailleurs l’attitude du président ukrainien, qui a certainement sauvé notre honneur de démocrates et, peut-être, ouvert le chemin d’un ressaisissement collectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
    Depuis trois années, le soutien des Européens à leurs frères ukrainiens n’a pas faibli. S’ajoutant à celui d’autres pays, il a permis à l’Ukraine, forte du courage de son peuple et de ses dirigeants, de résister et de ne pas se rendre. Au fond, les Ukrainiens se battent pour nous.
    Mais depuis quelques semaines, alors qu’il nous faut sans cesse rechercher la paix, la situation a pris un tour bien plus dramatique. En effet, les États-Unis, alliés auxquels nous lie une relation transatlantique séculaire, ont adopté une orientation diplomatique qu’on ne saurait encore qualifier, mais dont on peut d’ores et déjà affirmer qu’elle est en rupture absolue avec la tradition et plus encore avec les valeurs que nous pensions avoir en commun : la primauté du droit sur la force, du dialogue sur le rapport de force et le respect des accords internationaux. Ainsi, le 24 février dernier, à l’Assemblée générale des Nations unies, les États-Unis ont voté aux côtés de la Biélorussie, de la Russie et de la Hongrie pour s’opposer à une résolution qualifiant Moscou d’agresseur dans le conflit en Ukraine.
    Ces épisodes cumulés nous imposent, en France comme dans toutes les capitales européennes, de nous prendre enfin en main pour construire notre indépendance collective, et donc individuelle. Nous ne pouvons pas l’avoir réclamée pendant des années et ne pas nous en donner les moyens aujourd’hui ! C’est de l’existence même de l’Europe qu’il est question désormais. À la sidération et à l’impuissance doivent à présent succéder l’action et la lucidité ; celle-ci doit nous conduire à renforcer notre coopération de défense, à consacrer des moyens autonomes à notre protection collective, à refonder les rapports internationaux et nos alliances stratégiques, enfin à engager un réarmement aussi bien intellectuel qu’économique et militaire.
    Dès 2017, le président Emmanuel Macron indiquait, en Sorbonne, que l’Europe ne pouvait se « confier aveuglément » à « l’autre côté de l’Atlantique », et que nous devions créer une « capacité d’action autonome de l’Europe » en matière de défense, mais aussi dans les domaines économique et industriel. Il nous faut retrouver la capacité d’instaurer un nouveau rapport de force. Si nous ne pesons plus, quel sera demain le chemin d’une Europe déconsidérée, humiliée et divisée ?
    J’entends d’ici ceux qui nous taxeront d’être va-t-en-guerre ou inconscients. En écho à ceux qui, en 1939, demandaient par la voix de Marcel Déat : pourquoi « mourir pour Dantzig ? », ils demanderont : pourquoi prendre tant de risques pour Kiev ?

    M. Erwan Balanant

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    Exactement !

    M. Marc Fesneau

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    Je les entends d’ici nous inviter à chercher la paix à tout prix, c’est-à-dire à n’importe quel prix : celui de déséquilibres et de guerres encore plus certaines. Je les vois d’ici ériger la paix non plus en objectif que nous partagerions, mais en moyen de justifier toutes les lâchetés et tous les renoncements.
    Parce que nous abhorrons la guerre, nous n’acceptons pas une paix du plus fort, une paix à tous les prix. Nous n’accepterons la paix que si elle est le produit d’hommes et de femmes libres et courageux, non le fruit des lâchetés, des faiblesses et de petits intérêts. Ce serait une fausse paix, l’histoire nous l’enseigne.
    Nous voulons la paix, nous aussi. Et parce que nous voulons la paix, nous ne pouvons donner la victoire à l’agresseur et à ceux qui ont voulu cette guerre. En ces jours où résonnent comme de puissants échos à l’esprit munichois, je ne peux qu’espérer que nous n’aurons jamais à ajouter une nouvelle strophe au très beau poème du pasteur Martin Niemöller qui décrivait les renoncements successifs ayant conduit à la guerre et la somme des lâchetés ayant abouti à la victoire du totalitarisme en Allemagne. Pour ceux qui s’en souviennent, le texte commence ainsi : « Lorsqu’ils sont venus chercher…» J’espère que nous n’aurons jamais à dire : « Lorsqu’ils sont venus chercher les Ukrainiens, je n’ai rien dit, je n’étais pas Ukrainien » –⁠ et que nous ne finirons pas seuls.
    En 1938, après les accords de Munich, un aîné de notre famille politique écrivait dans le journal L’Aube : « Lorsqu’il s’agit de dire non, le meilleur moment, c’est le premier. » En ces temps, nous avons parfois le sentiment que certains ont dit non trop tard. C’est pourquoi je reprends, comme en écho : c’est désormais le meilleur moment pour affirmer notre liberté, nos valeurs et notre puissance face aux impérialismes qui galopent et qui menacent. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR. –⁠ M. Jacques Oberti, Mme Delphine Batho et M. Laurent Mazaury applaudissent aussi.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Paul Christophe.

    M. Paul Christophe (HOR)

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    L’Ukraine n’est pas battue. Elle est trahie. Voilà ce qui ressort de la séquence dont nous avons été témoins vendredi soir. L’Ukraine est trahie par un exécutif américain qui humilie, sans aucune honte ni gêne, un président et, à travers lui, tout un peuple, qui se battent pour leur survie depuis plus de trois ans.
    Nous, Européens, ne trahirons pas l’Ukraine. C’est bien avec elle que nous devons repenser la sécurité en Europe. Nous avons été mis devant le fait accompli d’une négociation menée entre l’administration américaine et le régime de Vladimir Poutine ; nous entendons les discours de l’administration Trump se parer des mots de la propagande russe ; il nous est donc nécessaire de dire la vérité.
    La vérité, c’est que, dans ce conflit, il y a un agresseur, la Russie, et un peuple agressé, l’Ukraine. La vérité, c’est que la Russie s’est rendue coupable de milliers de crimes de guerre. La vérité, c’est que la Russie continue de bombarder l’Ukraine et ne manifeste aucune volonté de faire la paix. La vérité, c’est que la Russie a commencé cette guerre seule et qu’elle se trouve désormais des alliés inattendus.
    Qu’il est désolant de voir qu’un autocrate, à l’origine de tant de malheurs et de morts, a droit à tant de courbettes, de mots doux et de signes d’affection, quand on témoigne si peu de respect à un chef d’État qui subit, avec son peuple, les pires atrocités ! Les seuls à défendre l’attitude méprisante du président Trump et de son vice-président –⁠ il faut se le dire –, c’est l’extrême droite. Non, madame Le Pen,…

    M. Erwan Balanant

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    Ils ne sont pas là ! Ils s’en fichent !

    M. Paul Christophe

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    …nous ne passerons pas au-dessus des souffrances du peuple ukrainien, comme vous l’avez appelé de vos vœux ! Non, madame Le Pen, ce qui s’est passé n’est pas chose normale !

    Mme Delphine Batho

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    Ils ne sont plus là !

    M. Paul Christophe

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    Humiliation de nos alliés et complaisance avec nos ennemis, c’est donc ça, la diplomatie que mettrait en œuvre l’extrême droite si elle parvenait au pouvoir en France ?

    M. Emmanuel Mandon

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    Ils ont déserté !

    M. Paul Christophe

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    Malgré un discours plein de patriotisme et d’emphase, le peuple français serait vendu au plus offrant –⁠ une sorte de capitulation avant l’heure, comme un air de déjà-vu.

    M. Erwan Balanant

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    Ils ont déjà capitulé !

    M. Paul Christophe

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    Alors que l’extrême droite comme l’extrême gauche ne cessent de témoigner d’un vague soutien à l’Ukraine, les uns par complicité avec la Russie, les autres par naïveté, nous devons au contraire faire preuve de fermeté. Nous le devons d’abord pour que l’Europe prenne toute sa place dans ce processus comme premier soutien de l’Ukraine. Nous le réaffirmons : aucun accord ne doit être signé sur la base d’une capitulation de l’Ukraine et de la soumission de tout un peuple. Ce n’est pas à l’Ukraine de payer de ses ressources minières la guerre provoquée par la Russie. C’est à la Russie de payer, et nous la ferons payer en nous donnant les moyens d’utiliser les avoirs russes gelés. Nous devons faire preuve de fermeté aussi pour que tout accord de paix donne suffisamment de garanties de sécurité à l’Ukraine.
    Ce sont des attentes légitimes ; la France et l’Europe devront prendre toute leur part à ce travail, pour dissuader la Russie de toute violation future. Mais à court terme, une trêve est nécessaire. À défaut d’un accord de paix crédible dans les prochaines semaines, l’Union européenne et les États membres devront continuer, aussi longtemps que nécessaire, à soutenir militairement et économiquement l’Ukraine. Il y va de notre survie et de celle de nos valeurs.
    Ce qui se joue sur le sol ukrainien dépasse largement la Russie et l’Ukraine. Le monde d’après le 24 février 2022 rappelle à nos consciences la politique étrangère du siècle dernier, celle d’avant la création des Nations unies et la consécration d’un système international fondé sur le droit. Un tel monde nous impose de faire preuve de réalisme.
    Faire preuve de réalisme, c’est reconnaître que des États, au premier rang desquels la Russie, la Chine ou même les États-Unis, peuvent vouloir remettre en cause le multilatéralisme et faire usage de la force dans l’unique but de faire avancer leurs intérêts. Pour éviter le chaos, deux choix s’offrent alors à nous : la soumission à une puissance hégémonique ou l’adhésion à un ordre du monde fondé sur la règle de droit.
    Récemment encore, les États-Unis étaient les garants de la sécurité de bon nombre de nos partenaires européens ; beaucoup en ont profité pour asseoir leur économie sur les dividendes de la paix. Mais il est évident que les Américains ne veulent plus assurer ce rôle. Gardons-nous de nier l’influence de notre allié d’outre-Atlantique sur la marche du monde : c’est toujours la première économie mondiale ; la majorité des transactions s’effectuent en dollars ; les nouvelles technologies et les réseaux sociaux sont largement dominés par les entreprises américaines –⁠ il faudra d’ailleurs continuer de protéger les Européens face à leur domination dans ces secteurs.
    L’exécutif américain le dit clairement : ce sera l’Amérique d’abord, l’ordre du monde après. Il voit la diplomatie comme un jeu à somme nulle, dans lequel jouer la partition du multilatéralisme est une perte de temps et d’argent. Il en va de même pour le commerce international : seule compte leur balance commerciale. À nous, Européens, d’en prendre acte et de défendre à notre tour notre économie et notre industrie.
    Faire preuve de réalisme, c’est aussi assumer le retour de la guerre. Lorsque les nations ne peuvent plus compter sur le droit international, la logique guerrière reprend le dessus. La guerre redevient une simple continuation de la politique par d’autres moyens. Oui, c’est bien la guerre des siècles derniers, celle qui est menée pour le contrôle de territoires et de ressources, que nous avons trop longtemps laissé sévir aux portes de l’Europe sans nous soucier de savoir si elle pouvait revenir en son sein.
    Pour nous adapter à cette réalité, il nous faut défendre les intérêts de la France. Or nos intérêts reposent sur deux piliers : la protection d’un ordre international fondé sur le droit ; une Europe forte et autonome.
    Notre pays doit s’appuyer sur le droit international. Ceux qui veulent s’en défaire sont les partisans du chaos ou de la loi du plus fort ; nous pensons au contraire qu’il est seul à même de préserver la paix. Seul le droit international, garantissant le respect des droits humains et des frontières, peut apporter de la clarté dans un monde frappé par l’incertitude.
    Heureusement, la France n’est pas isolée dans ce combat : elle peut agir avec l’ensemble des États qui composent l’Union européenne. L’Europe est notre force. Divisés, nous sommes à la merci des géants de ce monde ; ensemble, nous sommes plus forts pour lutter contre leur impérialisme.
    Dans ce monde de puissances, l’Europe doit aussi en faire plus pour assurer sa sécurité. D’abord, nous avons besoin d’une industrie de défense européenne souveraine. La France a raison de pousser pour que les initiatives européennes censées permettre la montée en puissance des dépenses militaires en Europe soient orientées en priorité vers l’industrie de défense européenne.
    Ensuite, il nous faudra augmenter nos dépenses militaires. Cela devra forcément s’accompagner d’une maîtrise des dépenses publiques. S’il est opportun d’exclure les dépenses militaires des critères de Maastricht et d’emprunter en commun pour faire face à la crise, on ne pourra faire ni l’un ni l’autre sans restaurer d’abord la crédibilité et l’efficacité de l’action publique. Il n’y aura pas d’ordre dans le monde sans ordre dans les comptes.
    Enfin, il nous faut réformer l’Union européenne. La communauté européenne doit être plus efficace dans les prises de décision qu’elle ne l’est aujourd’hui. La sécurité des Européens sera d’autant mieux garantie que l’Europe parlera d’une seule voix sur la scène mondiale.

    M. Jean-Yves Bony

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    Très bien !

    M. Paul Christophe

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    C’est à cette condition que nous pourrons définir les contours d’une défense commune. Sur ce point, nous ne pouvons nous contenter de mots : trop a été dit, pas assez n’a été fait. Cela exige de renforcer les effectifs de nos armées et la culture de défense de nos populations. Cela nécessite aussi d’amorcer un dialogue avec nos partenaires sur la dissuasion nucléaire.
    Nous ne chercherons pas à créer une armée européenne –⁠ c’est une chimère – ni à faire de l’Europe une nouvelle puissance guerrière. Nous voulons donner à l’Europe les moyens de faire respecter ses intérêts là où ils sont menacés ; nous voulons nous donner la capacité, en Européens, de protéger nos concitoyens, leurs libertés individuelles, l’État de droit et la démocratie. C’est là que réside la force de l’Union européenne.
    La sécurité de l’Europe, ce n’est pas seulement la défense des intérêts des Européens : c’est la protection d’un modèle et de valeurs communes. C’est réaffirmer, face au retour des impérialismes, que certains se battront toujours, résolument, pour la souveraineté des nations et pour les droits et libertés fondamentaux. Les membres du groupe Horizons & indépendants seront de ceux-là, à vos côtés. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR, DR, Dem et LIOT.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Laurent Mazaury.

    M. Laurent Mazaury (LIOT)

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    Voici maintenant trois ans et une semaine que la Russie a attaqué l’Ukraine. Cela fait donc plus de trois ans qu’un pays européen ami et souverain lutte ardemment pour sa sécurité, mais aussi pour celle de l’Europe tout entière.

    M. Erwan Balanant

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    Exactement !

    M. Laurent Mazaury

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    Il nous faut le redire ici, dans un contexte où la désinformation est de plus en plus exacerbée à ce propos, et ce d’où qu’elle vienne –⁠ de l’Est mais aussi, désormais, de l’Ouest : il s’agit bien d’une agression de l’Ukraine par la Russie de Poutine, et non de l’inverse ; une agression illégale, injustifiée, destructrice et meurtrière. (M. Charles de Courson applaudit.)
    Alors que des discussions bilatérales désordonnées, et parfois indignes, se multiplient à propos de futures négociations, il nous faut avoir en tête que donner satisfaction –⁠ même partiellement – à ses revendications enverrait un mauvais message à la Russie : celle-ci pourrait en conclure qu’elle a un droit de regard sur les pays européens qui l’entourent, et même le droit, que s’étaient arrogé au siècle dernier les pires dictateurs, de redessiner à sa convenance les frontières des pays européens –⁠ nos pays ! –, droit qui serait obtenu par la force et en violation de toutes les règles internationales. En effet, la Russie revendique plus globalement une sphère d’influence dans son « étranger proche », comme le dit Poutine lui-même.
    Chaque jour nous apporte son lot d’initiatives erratiques, dont certaines sont de toute évidence salutaires alors que d’autres semblent sorties d’un des mauvais films de série B dont Hollywood a parfois le secret. Washington suggère que Volodymyr Zelensky n’est plus légitime et qu’il devrait partir. Malgré l’affront caricatural qu’il a reçu de la part du président Trump et de son vice-président J. D. Vance, le président ukrainien se dit prêt à accepter l’accord américain sur les minerais. Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche, annonce que les États-Unis mettront un terme à leur aide militaire à l’Ukraine. « Nous devons urgemment réarmer l’Europe », déclare Mme Ursula von der Leyen. Paris et Londres proposent une trêve d’un mois en Ukraine « dans les airs, sur les mers et les infrastructures énergétiques », quelques heures après la fin du sommet de soutien à l’Ukraine qui s’est tenu dans la capitale britannique.
    Je souhaite ici, avant tout, saluer le courage du peuple ukrainien. C’est pourquoi j’ai choisi, délibérément, de faire commencer l’exposé des motifs de la proposition de résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine, que j’ai déposée le mois dernier, par le récit suivant : « En juillet 2022, un soldat russe s’est rendu au domicile d’une femme de 75 ans, qui restait seule pour protéger ses biens. Le soldat l’a attaquée, frappée au visage, à la poitrine et aux côtes et étranglée tout en l’interrogeant. Il lui a ordonné de se déshabiller et, devant son refus, il lui a arraché ses vêtements, lui a poignardé le ventre à l’aide d’un petit objet tranchant et l’a violée à plusieurs reprises. Le lendemain matin, il l’a violée et battue à nouveau. La victime a eu plusieurs côtes cassées et des dents arrachées. La commission [d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine] a conclu qu’outre le viol, la femme avait aussi été victime du crime de guerre de torture. »
    Je souhaite ici, devant vous, rappeler par cet horrible exemple ce dont il s’agit concrètement et quotidiennement pour les populations concernées. Je souhaite que ce témoignage résonne dans nos murs et à l’extérieur, et rappeler ainsi au président américain que ses décisions ont et auront un impact à long terme sur la vie de cette femme, sur la vie de tous les Ukrainiens, mais également sur les nôtres, c’est-à-dire sur les vies de tous les Européens, donc des Français.
    Ce témoignage et tous les autres, bien trop nombreux, nous engagent toutes et tous. Le tournant pris par le président-businessman Trump ne doit plus susciter nos interrogations ni nous faire frémir ; il doit nous faire agir ! Je l’avais déjà dit quand nous avions discuté ici de la souveraineté européenne : il aurait fallu faire plus et plus tôt. Ce n’est pas le premier mandat de Trump, et ce n’est pas non plus la première fois, dans ce siècle, qu’un territoire européen connaît une invasion de la part de la Russie –⁠ tout a commencé, ou plutôt recommencé, avec l’invasion de la Crimée.
    II nous faut donc aller plus vite et plus loin sur le sujet de l’Europe de la défense, tout en garantissant la souveraineté des États membres en la matière. La guerre en Ukraine, les propos antieuropéens de Trump et l’affirmation des aspirations de Poutine nous démontrent l’urgence dans laquelle nous devons agir pour nous protéger collectivement.
    Ainsi, pour garantir notre sécurité, il nous faut instaurer une véritable politique de défense européenne au sens large, c’est-à-dire qui rassemble tous les pays de notre continent et ses deux puissances nucléaires, à savoir nous-mêmes et nos alliés britanniques. Cela fait plus de trente ans que nous en parlons avec nos partenaires européens sans jamais y parvenir ; il est temps !
    Le nouveau chancelier allemand, qui devrait prendre ses fonctions bientôt, semble tendre vers cette idée : il a évoqué, juste après sa victoire le 23 février dernier, vouloir compter sur une « capacité de défense européenne ». Notre industrie de défense doit jouer un rôle central dans ce processus : en investissant dans nos propres capacités de défense, aux côtés de nos industriels, nous réduirons notre dépendance vis-à-vis des forces militaires américaines tout en privilégiant nos propres intérêts stratégiques.
    Il semble que la Banque européenne d’investissement n’a pas la possibilité d’investir dans des produits à usage militaire, donc dans le secteur de la défense, sauf si les produits en question « n’entraînent pas de risque mortel » et « conservent un certain degré d’application civile ».

    M. Marc Fesneau

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    Avec ça, on ne va pas aller bien loin !

    M. Laurent Mazaury

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    Dans le contexte actuel, ce n’est plus opportun ! Ces règles devront rapidement évoluer.
    Sur ces sujets, deux précisions fondamentales s’imposent. D’abord, les budgets européens qui seraient débloqués en matière de défense doivent être utilisés uniquement pour acquérir des systèmes de défense produits par des entreprises européennes. J’ai entendu notre ministre des armées le confirmer, et nous le soutenons : désormais, pas un euro ne doit servir à des acquisitions en dehors de l’Europe. Ensuite, l’arsenal nucléaire français, quel que soit son vecteur, demeurera sous le contrôle intégral et sans limite de la France souveraine, en ce qui concerne tant sa gestion que sa modernisation et –⁠ avant tout – ses règles d’engagement.
    Par ailleurs, nous devons faire preuve de plus de fermeté envers ces dictateurs revenus d’un autre âge, et agir pour mieux protéger les populations touchées et leur rendre justice. « Ce qui me faisait le plus peur, c’était de rester là-bas, de ne plus revenir chez moi et qu’on m’envoie à la guerre pour me battre contre mon pays », raconte l’un des très rares enfants à avoir pu être rapatrié en Ukraine après avoir été déporté en Russie, comme plus de 19 000 autres enfants ukrainiens. Pour eux, nous devons être à la hauteur : il est certain que la France, qui s’engage déjà, sur le terrain, dans la reconstruction de l’Ukraine, devra également fournir tout son soutien pour reconstruire leurs vies.
    Nous devons accompagner l’Ukraine si elle le souhaite, uniquement si elle le souhaite et uniquement à ses conditions, pour la mettre dans la meilleure position possible en vue d’éventuelles négociations face à l’agresseur russe. C’est à l’Ukraine et à elle seule de choisir son moment et ses conditions. Nous lui devrons les garanties de sécurité nécessaires pour que la paix puisse s’établir de façon durable et ne soit pas que momentanée, car le seul résultat serait de permettre à l’agresseur de retrouver force et vigueur avant de lancer une nouvelle attaque.
    Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires renouvelle ici son entier soutien à l’Ukraine et à son peuple. Nous déplorons avec force tristesse le chemin mortifère dans lequel nous amènent des dirigeants tout droit sortis d’un autre siècle, entraînant avec eux leur population vers le repli, la misère et la mort, dans des combats sans fondement, si ce n’est celui de leur propre mégalomanie.
    Il est temps pour moi de conclure cette intervention. Pour reprendre des mots célèbres : « J’accuse… ! ». J’accuse le président russe de poursuivre en Ukraine une guerre illégale et injustifiée, qui cherche à mettre fin à l’existence d’une Ukraine indépendante et vise, à travers elle, l’Europe et notre pays, la France. J’accuse les forces armées russes de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, à l’occasion et en marge des opérations militaires. J’accuse Mme Maria Lvova-Belova de s’être rendue complice de la déportation de milliers d’enfants ukrainiens à des fins de « rééducation » et d’effacement de leur identité. J’accuse enfin le président américain de ne souhaiter la paix en Ukraine qu’à des fins lucratives et de mentir ouvertement sur le déclenchement de cette guerre, au mépris de ceux qui la vivent au quotidien, sur le terrain, depuis plus de trois ans. Vive la liberté, vive la justice, slava Oukraïni et vive la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs des groupes SOC, EcoS et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq (GDR)

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    Cela fait maintenant trois ans que la guerre en Ukraine fait rage. Trois ans de morts et de destructions. Trois ans de résistance et de résilience sociale ukrainienne. Trois ans que l’humanité se perd, que l’ordre international se redessine. Mais aussi trois ans d’importantes manifestations de solidarité avec le peuple ukrainien, partout dans le monde.
    Donald Trump se targue de pouvoir mettre fin à la guerre, il faut se demander à quel prix. Oui, un prix, c’est bien sur ce point qu’il a conditionné une prétendue paix en Ukraine. La violence dont il a fait preuve envers le président Zelensky, si elle était prévisible, n’en est pas moins indigne. L’altercation entre Zelensky, Trump et Vance est inacceptable mais elle montre bien la nature de la politique de Trump, celle du conservatisme d’extrême droite, de la brutalisation des débats, de la remise en question de l’État de droit à travers le monde, et de la défense de ses seuls intérêts : l’argent et la puissance. (MM. André Chassaigne et Stéphane Peu applaudissent.)
    Des accords sont conclus entre dirigeants sans préoccupation aucune pour les conditions sociales, les peuples, ou les conséquences sur l’environnement ; peu importe qu’ils bafouent les valeurs les plus élémentaires ou le droit international dès lors que leurs signataires s’enrichissent.
    Voulez-vous vraiment la paix ? Tant les prises de parole que la politique menée laissent penser le contraire. Dans le budget déjà, lors de la première loi de programmation militaire en 2018, le montant alloué à la défense était de 40 milliards d’euros. Il est en 2025 de 50 milliards.
    La volonté du président est claire : consacrer 5 % du PIB à la défense. Le ministre des armées a indiqué que ce pourcentage se traduirait par la somme de 140 milliards en 2030. (M. le ministre des armées hoche la tête en signe de dénégation.) Si c’est une erreur, monsieur le ministre, tant mieux !

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    J’y reviendrai.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Soit, mais c’est tout de même beaucoup. Où allez-vous trouver cet argent ? Vous nous répétez sans cesse qu’il n’y a pas d’argent pour l’éducation, la santé ou les services publics de manière générale mais vous prévoyez de dépenser des sommes considérables pour l’armée. Il faudra justifier ces dépenses astronomiques pour les faire accepter par la population et éviter ainsi toute révolte ou mobilisation populaire.
    Pour convaincre la population, on installe la peur, la méfiance, le sentiment d’insécurité. La surenchère guerrière, Emmanuel Macron et ses ministres savent faire ! Le vocabulaire martial est omniprésent dans les discours.
    Et en France, nous avons l’arme nucléaire qui, soit dit en passant, coûte chaque jour 15 millions d’euros à notre pays –⁠ cette fois, le chiffre est bon. Alors oui, l’arme nucléaire paraît dissuasive, mais Emmanuel Macron a récemment rappelé dans ses discours la doctrine nucléaire de la France, qui avait été consolidée par François Mitterrand : l’arme nucléaire sert à protéger les intérêts vitaux du pays.
    Monsieur le premier ministre, quels sont les intérêts vitaux de la France ? Si demain un pays de l’Union européenne est attaqué militairement par la Russie, ou par un autre pays, déclenchera-t-on l’arme nucléaire ? Dans quels cas l’utiliserons-nous ? Qui prendra la décision si vous l’étendez à l’Europe ? Chez moi, on dit que celui qui décide, paye. Les Français seront-ils les seuls mis à contribution pour résorber ce gouffre financier ?
    Pourtant, face à cette guerre, une autre approche existe, celle de la paix. C’est celle que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine propose depuis le début de la guerre. Avec mes collègues communistes et ultramarins, nous affirmons que, pour régler les conflits, il ne faut pas faire la guerre, il faut prôner et cultiver la paix.
    Pour cela, il y a la diplomatie. Je ne parle pas de la diplomatie des affaires, où l’on conclut un accord commercial prétendument « gagnant-gagnant » sur les minerais stratégiques, ni de la diplomatie de la charrue, où le président de la République promet d’envoyer des troupes pour préserver la paix, car dans le cas de la guerre en Ukraine, préserver la paix, c’est être garant d’un accord de paix. Mais de quel accord parle-t-on au juste ? Le président connaît-il le contenu de cet accord ? On ne peut pas être garant d’un accord dont on ne connaît pas la teneur ! Donald Trump utilise la même politique, mais de manière presque forcée, avec le président ukrainien, en lui disant en substance : signez notre deal, où nous ne vous aidons plus.
    Quel accord ? Quel est le cadre de cet accord ? S’agit-il d’un accord de paix, négocié entre la Russie et les États-Unis, sans consultation de l’Ukraine mais que ce dernier pays devrait accepter sans condition ? Est-ce pour cela, monsieur le ministre des affaires étrangères, que vous vous êtes abstenu au Conseil de sécurité de l’ONU le 24 février ? Quand on connaît les volontés expansionnistes et l’attrait pour le profit du président américain, il faudrait réfléchir à plusieurs fois avant de s’allier à lui ! Il faut que la France prenne ses distances. Ne valait-il pas mieux voter contre la résolution ou, au moins, user du droit de veto pour empêcher qu’elle soit adoptée ?
    La diplomatie impose de dialoguer avec tous les responsables politiques de tous les pays. Comment voulez-vous négocier la paix pour l’Ukraine lorsque le président de la République indique qu’il ne faut surtout pas parler avec Vladimir Poutine, et que le ministre des affaires étrangères français déclare que si son homologue russe l’appelle, il ne décrochera pas ? Bravo la diplomatie ! On se croirait dans une cour d’école. L’hypothèse d’une troisième guerre mondiale n’est pas un jeu –⁠ terme que j’ai encore entendu ce week-end. C’est un drame, et il faut tout faire pour l’éviter. Cette négociation de paix ne peut pas se faire sans l’Ukraine, ni sans la Russie. Mais elle doit inclure de nombreux pays, et pas uniquement les pays occidentaux.
    Lorsqu’Emmanuel Macron a rencontré les dirigeants de partis politiques, il a mentionné la menace que représente la Russie en raison des ingérences étrangères en France et en Europe. Pourtant, aucun mot sur la menace que représentent Trump et son administration par la propagation, voire la promotion des idées d’extrême droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Le nazisme, c’était hier, mais avec des politiques pareilles, cela pourrait aussi être demain.
    La Russie a contourné les sanctions européennes car elle avait préparé cette guerre, autant sur le plan économique que diplomatique. Économiquement, elle avait conclu des accords avec l’Europe sur l’énergie, nous rendant dépendants et donc vulnérables, tout en s’enrichissant. Politiquement, la Russie n’a pas mis de côté les pays du Sud comme l’Occident l’a fait. Les relations internationales sont devenues fluides ; notre politique doit s’adapter à cette nouvelle réalité, apprendre à former des alliances solides mais flexibles.
    Notre pays ne pourra être audible et crédible sur la scène internationale que lorsqu’il respectera et fera respecter le droit international. Ces règles ont été créées pour éviter les guerres, résoudre les conflits, favoriser la paix, mais si personne ne les applique, c’est la loi du plus fort qui domine.
    Par exemple, comment voulez-vous être crédibles quand vous refusez d’exécuter le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale à l’encontre de Netanyahou mais que vous le ferez sans hésiter à l’égard de Poutine ? Comment voulez-vous que les autres pays vous respectent lorsque le président de la République normalise la colonisation du Sahara occidental par le Maroc, et que M. Larcher et Mme Dati se rendent dans ce territoire occupé reconnu comme non autonome par l’ONU, et donc par le droit international ? Comment voulez-vous entretenir des relations respectueuses avec l’Algérie, pays avec lequel nous avons une importante histoire commune, lorsque le premier ministre veut réexaminer tous les accords qui lient nos deux pays ? Comment être crédibles sur la scène internationale lorsque les crimes, les criminels et les morts font l’objet de traitements différenciés selon qu’ils viennent de Palestine, du Soudan, d’Israël, de République démocratique du Congo ou d’Ukraine ?
    La paix se construit, elle se réfléchit. Nous devons donc tous, collectivement, réfléchir à ce qu’est la paix, ce qu’elle représente. Un cessez-le-feu ou une trêve n’est pas la paix, seulement une pause du bruit des armes.
    Repenser ou penser la paix, aujourd’hui, en Europe, ne pourra pas se faire qu’entre Européens. De nombreux pays ont à cœur que l’Ukraine retrouve la paix, preuve en est de l’initiative du Brésil et de la Chine pour des négociations de paix. Peut-être est-il temps, cinquante ans plus tard, d’engager l’acte II des accords d’Helsinki pour une paix durable en Europe. Il faut obtenir l’arrêt des combats et organiser une conférence internationale sur la sécurité et la coopération en Europe conduisant à un accord de paix, comme ce fut le cas avec les accords d’Helsinki en 1975. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –⁠ Mme Julie Ozenne, M. François Ruffin et Mme Martine Froger applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Louis Thiériot.

    M. Jean-Louis Thiériot (DR)

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    Rarement m’exprimer devant vous aura eu un goût aussi amer. Après la scène stupéfiante du Bureau ovale, nous savons aujourd’hui que nous pouvons être seuls. Nous savons que l’Ukraine est seule, avec ses alliés européens. Pour sauver ce qui doit l’être de la relation transatlantique, je m’épargnerai les propos moralisateurs et les rodomontades du style Sarraut en 1936 : « Nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemands ! » J’ai simplement une pensée pour les courageux défenseurs de l’Ukraine. Mourir à la guerre est terrible. Mourir à la guerre du fait de l’abandon d’un allié est plus terrible encore.
    Face à cette crise géopolitique majeure, vous avez eu, monsieur le premier ministre, des mots très justes : « Il nous reste à décider ce que nous, Européens, voulons être. Et si nous voulons être, tout court. » Il faut prendre le mot crise au sens étymologique de krisis, de choix. Au-delà du destin de l’Ukraine, ce qui se joue, c’est notre sécurité. Accepter une capitulation sans garanties, ce serait ouvrir la boîte de Pandore des irrédentismes en Europe ; ce serait rapprocher la Russie revanchiste des frontières de nos alliés ; ce serait donner la preuve que la force prime sur le droit. Alors oui, c’est l’heure décisive, pour l’Ukraine, pour l’Europe, pour la France.
    L’Ukraine n’a pas besoin de mots. Elle a besoin de nous, pour être à la table des négociations avec les nations européennes dans les meilleures conditions possibles. Elle a besoin d’armes. Elle aura aussi besoin de garanties de sécurité, et tous, nous devrons y contribuer.
    Pour les nations européennes, seules en charge de la défense en vertu des traités –⁠ car à la fin des fins, c’est toujours pour son drapeau que l’on meurt –, c’est se rallier à une forme de gaullisme militaire européen, à cette autonomie stratégique dont nous avons tant parlé et qui doit se développer s’il est possible comme pilier européen de l’Alliance. Au moins autant que les régiments que nous alignerons, notre capacité à peser dépendra de la capacité de nos industries à remonter en puissance. Il faut concevoir européen, produire européen, acheter européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR et Dem.)
    Je pense bien sûr à Edip, qui ne devra jamais devenir le cheval de Troie d’une mortifère BITD transatlantique. Et s’il arrive que le communautaire soit trop lourd, faisons-le entre alliés, avec des coalitions ad hoc intergouvernementales. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. –⁠ M. Yannick Chenevard, Mme Sophie Mette et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
    Quant à la France, puissance dotée de l’arme nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, elle a une responsabilité particulière : elle doit accélérer l’application de la LPM et aller plus loin en s’interrogeant sur le format de nos armées conventionnelles, qui épaulent notre dissuasion. Il nous faut plus de frégates pour assurer nos libertés maritimes, plus de Rafale pour entrer en premier sur les théâtres –⁠ surtout dans le cas, pas forcément théorique, où les F-35 seraient cloués en sol en raison de la défaillance d’un allié. Il faut notamment réfléchir au format de notre armée de terre, en particulier aux capacités de frappe dans la profondeur, dans la tranche des 500 à 1 500 kilomètres.
    Cela ne sera possible qu’en sécurisant nos industriels avec des contrats de long terme, en les poussant au grand export, en drainant l’épargne des Français et en créant une finance de guerre qui permette de recapitaliser nos entreprises. La défense est globale : il n’y a pas de défense forte sans économie forte. Durant la guerre froide, les dépenses de défense représentaient 3 % à 4 % du PIB ; cela n’a pas paralysé la croissance. Le temps est sans doute venu du « quoi qu’il en coûte » pour la défense. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR. –⁠ Mme Marina Ferrari applaudit également.)
    Au moment d’achever mon propos, je pense à un discours tenu ici même, en mars 1935, il y a quatre-vingt-dix ans, par Paul Reynaud, inspiré par le général de Gaulle. Il appelait à la création du corps blindé qui nous a tant fait défaut en 1940. Nos collègues d’alors ne l’avaient, hélas, pas entendu. Son discours s’achevait par ces mots : « Entre la catastrophe et nous, il n’y a que la barrière de nos volontés. » Ne recommençons pas la même erreur. Ayons cette force de volonté ! Le groupe Droite républicaine est totalement derrière vous, monsieur le premier ministre, car les Munich d’aujourd’hui préparent les Sedan de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, Dem et LIOT. –⁠ M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq.

    Mme Geneviève Darrieussecq (Dem)

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    Voilà trois longues années désormais que la Russie a agressé et envahi –⁠ il faut le répéter et le marteler – son voisin, un pays souverain, l’Ukraine, violant ainsi le droit international. Nous nous souvenons des premiers jours, à l’image d’anciens films, lorsque les colonnes russes paraissaient avancer inexorablement vers Kiev sans que rien ne semble en mesure de les arrêter ; puis Marioupol, Kharkiv, Donetsk, Odessa, furent ciblées les unes après les autres.
    Vladimir Poutine pensait que ce qu’il nommait une « opération spéciale » ne durerait que quelques jours ou quelques semaines, mais la réalité fut tout autre. Elle le fut d’abord grâce à l’extraordinaire vaillance, résistance et résilience du peuple ukrainien –⁠ que je tiens à saluer. Il a encaissé les coups, avant de les rendre et de regagner du terrain, jusqu’à obtenir des victoires inespérées qui ont ébranlé l’armée russe.
    Elle le fut également grâce au courage du président Zelensky qui, dans sa détermination, a su mobiliser son peuple pour la défense des valeurs affirmées par le pays depuis sa révolution orange de 2004 jusqu’à celle de Maïdan en 2013 –⁠ à savoir la recherche de l’indépendance et de la liberté, la libre détermination, la démocratie et le souhait d’épouser les valeurs européennes.
    Elle le fut enfin par la mobilisation et le soutien que l’Europe tout entière, les États-Unis, le Canada et le Japon lui apportèrent, au nom de ces mêmes valeurs.
    Par cette invasion, la Russie faisait basculer le monde dans l’inconnu, où le mépris de l’ordre international prime et où la force redevient le moyen privilégié pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire l’inverse de ce que les nations avaient patiemment bâti depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
    Notre monde change vite, très vite ! L’élection du président Trump et ses prises de position comme celles du vice-président Vance, simplistes, radicales, voire brutales envers l’Ukraine et son président mais aussi envers l’Europe, au mépris de l’histoire des États-Unis et de leurs principes, au mépris de tous les partenariats qui nous lient –⁠ ou nous liaient – changent la donne et ouvrent un jeu néfaste et dangereux pour l’équilibre du monde.
    Devons-nous avoir peur ? Non, au contraire ! Nous devons être plus que jamais déterminés à soutenir l’Ukraine et à rechercher les éléments d’une paix durable et juste dans ce conflit. Nous devons le faire en Européens, car c’est bien à cette échelle que tout se joue, quoi qu’en disent certains, et c’est bien la sécurité de l’Europe, menacée par les velléités hégémoniques du président russe et, désormais, par les attaques verbales américaines, qui est en jeu. L’Europe, dont les 450 millions d’habitants constituent la plus grande richesse, doit être unie pour assurer la sécurité et devenir un verrou de stabilité pour le monde.
    Plus que jamais, nous devons être déterminés à lutter contre toutes les ingérences venues de l’Est ou de l’Ouest, qui veulent nous déstabiliser, nous affaiblir et, finalement, nous piller économiquement, moralement et humainement.
    Le groupe Les Démocrates s’est toujours engagé en faveur d’une Europe forte et souveraine ; il soutient la volonté inébranlable du président de la République et du gouvernement de poursuivre dans cette direction.
    Certains pays européens ont accepté de déléguer leur sécurité à une puissance tutélaire, mais cet allié historique se défie aujourd’hui de notre continent. Nous devons dès à présent en tirer toutes les conséquences.
    Plus que tout autre pays, la France a anticipé cet état de fait en conservant une industrie de défense robuste et en développant une dissuasion nucléaire qui lui permet d’assurer sa sécurité de manière quasi-autonome. Depuis toujours, et en particulier sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle a exhorté ses alliés et amis européens à suivre le même chemin. Il faudra bien que chacun réponde un jour à cette question cruciale : voulons-nous dépendre des autres ou assumer notre liberté, fût-ce au prix d’importants efforts ?
    L’objectif d’une Europe de la défense disposant d’une autonomie stratégique européenne a souvent été raillé, mais il est aujourd’hui vital. Pour l’atteindre efficacement et rapidement, concentrons-nous sur une stratégie fondée sur une règle de base : respecter l’autonomie de chaque pays en la mettant au service du collectif européen. Analysons en temps réel les capacités dont nous avons besoin pour répondre aux deux enjeux majeurs que sont le soutien actuel à l’Ukraine et la protection permanente de l’Europe. Définissons une stratégie industrielle pour constituer une base de défense autonome à l’échelle européenne. Décidons du niveau que doivent atteindre nos budgets de défense, à ce stade largement insuffisants ; il faut consentir des efforts, à l’échelle de chaque pays et à l’échelle européenne. Le Fonds européen de la défense, qui finance la recherche et le développement industriel, est doté de 7,9 milliards d’euros pour la période de 2021 à 2027 ; ce montant devrait être largement supérieur !
    Depuis 2017, la France a pris la mesure des enjeux en augmentant considérablement le budget dédié à la défense grâce à deux lois de programmation militaire, qui ont été respectées et le sont toujours. Si cette trajectoire est actée, nous avons tous conscience qu’elle doit être amplifiée. Le groupe Les Démocrates y est prêt. De même, nous sommes prêts à mener la nécessaire réflexion sur nos accords globaux et bilatéraux de sécurité et de défense. Nos partenariats doivent être renforcés pour que nous fassions émerger une véritable préférence européenne en matière de défense et d’achat de matériel. Nous devons investir plus massivement dans le champ de la guerre hybride, atteindre l’indépendance de nos réseaux satellitaires, clé de l’accès à l’espace, car c’est la base du renseignement, dont le rôle est essentiel.
    Le sommet tenu hier à Lancaster House témoigne que les choses bougent chez nos alliés européens. Nous sommes heureux de la position du Royaume-Uni, qui confirme les forts liens historiques qu’entretiennent nos deux pays en matière de défense. Nous accueillons également avec intérêt la position du premier ministre polonais Donald Tusk, qui assure la présidence du Conseil européen : dans son discours, il a insisté sur la priorité que constitue le renforcement de la sécurité européenne. Nous saluons enfin l’évolution de la position allemande, si nécessaire à notre unité commune.
    Ne nous y trompons pas, cette guerre et les « opérations spéciales » engagées par la Russie en Géorgie, en Moldavie et, demain peut-être, dans les pays d’Europe de l’Est, n’ont qu’un objectif : poursuivre inlassablement le dessein impérialiste nourri par le président Poutine depuis son arrivée au pouvoir.
    Oui, nous avons conscience que les Ukrainiens se battent aussi pour notre sécurité. Je tiens à saluer à mon tour notre collègue Frédéric Petit, qui a passé la semaine dernière en Ukraine auprès des Ukrainiens pour leur renouveler notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. –⁠ Mme Stella Dupont et M. Laurent Mazaury applaudissent également.) Il est présent aujourd’hui et demain en Pologne au congrès européen des collectivités territoriales, auquel participent des collectivités ukrainiennes.
    Bien sûr, ce conflit doit s’arrêter. Un cessez-le-feu pourra-t-il bientôt être signé ? Les États-Unis et la Russie disent le vouloir, mais assez brutalement… Soyons donc forts ensemble, soutenons un processus de paix qui soit respectueux à la fois de ce pays souverain agressé et de l’Europe, à qui il reviendra d’assurer la paix. Cela nécessite que nous nous prenions en charge de façon vigoureuse, mais aussi que nous éclairions l’Ukraine sur nos intentions immédiates en matière de soutien économique et sécuritaire, mais aussi, à plus long terme, quant à son rattachement à notre espace politique.
    Je le dis aussi clairement que possible : si nous n’offrons pas une telle perspective à l’Ukraine, nous aurons manqué à notre devoir : faire de l’Europe une aire de puissance démocratique dans le monde ; en faire une puissance géopolitique qui entend gérer directement elle-même les affaires qui la concernent ; en faire une puissance tout court, à même de protéger ses habitants et ses valeurs. Les destins de l’Ukraine et de l’Europe sont liés.
    Il faut accepter de voir ce que nous voyons : la fin d’un monde où le droit primait et où le règlement pacifique et diplomatique des différends était la norme. Le rapport de force redevient l’arme des despotes et des dictateurs en tous genres et nous devons prendre avec force et détermination les mesures qui s’imposent pour sauvegarder ce à quoi nous tenons. Que vaudrait un idéal auquel nous renoncerions ? Être fidèles à nos principes et à notre histoire, c’est être du côté de l’Ukraine et du peuple ukrainien. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ MM. Charles de Courson et Laurent Mazaury applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

    M. Philippe Bonnecarrère (NI)

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    Chacun connaît le contexte : pivot stratégique américain vers l’Asie-Pacifique, hostilité idéologique et économique à l’égard de l’Union européenne, guerre en Ukraine révélant les vulnérabilités européennes, oubli de l’histoire et affirmation décomplexée de la loi du plus fort, contraintes budgétaires françaises majeures.
    Que pouvons-nous faire ? Sans avoir la prétention d’exposer la stratégie de la France et de l’Europe, je me limiterai à vous faire des propositions pour notre sécurité et pour notre résilience.
    Notre premier devoir est de retrouver notre souveraineté stratégique et d’avoir foi en nos capacités collectives. Avec les Britanniques, l’Europe compte plus de 500 millions d’habitants ; son PIB est plus de dix fois supérieur à celui de la Russie –⁠ vous l’avez rappelé, monsieur le premier ministre – et sa capacité de production est souvent plus importante que celle des États-Unis et, a fortiori, de la Russie. Ainsi, alors que les États-Unis disposent de trois usines de production d’obus de 155 millimètres, qui fabriquent 1,2 million de pièces par an, nous en avons dix-sept, avec une production de 2 millions de pièces.
    Notre problème est bien connu : la fragmentation du marché européen de la défense. Nous avons besoin d’une politique de la demande pour acheter davantage et d’une politique de l’offre pour aider l’industrie à monter en cadence. En consolidant nos commandes en volume, dans la durée, et en harmonisant nos standards, nous réduirions substantiellement les coûts unitaires et permettrions à nos industriels d’investir.
    Notre défi n’est pas industriel –⁠ nous aurions alors les moyens de le relever –, mais politique, voire psychologique. Ne recommençons pas les débats de 1954, d’autant que l’article 41, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne interdit à l’Union de posséder des moyens militaires. Les États membres apportent les capacités militaires, mais l’Union européenne peut –⁠ et, à mon sens, doit – financer ces capacités. Rappelons que la France assure 16 % du financement de l’Union européenne et bénéficie d’un retour de 20 % dans le cadre du Fonds européen de la défense.
    Ma deuxième proposition concernerait la simplification des achats, mais je n’aurai pas le temps de la développer.
    Ma troisième proposition vise à pouvoir utiliser, le moment venu, tous les moyens civils. La préparation est essentielle : coordination des réserves stratégiques, utilisation des capacités de stockage et des moyens de transport lourd de nos entreprises à travers des contrats de disponibilité, maximisation des technologies dites duales, conclusion de partenariats public privé pour les infrastructures critiques ou encore élaboration de cahiers des charges intégrant la capacité à fonctionner dans des environnements dégradés.
    Notre pays dispose d’un système performant de sécurité civile. Je propose de développer la double compétence des personnels clés, pour naviguer entre les urgences civiles et militaires.
    La masse reste une donnée prépondérante. En plus des réservistes sous contrat qui composent la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) et des membres de la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) rappelables pendant cinq ans, je suggère d’accueillir, au-delà du délai de cinq ans, les volontaires déjà formés dans une troisième réserve opérationnelle.
    Avec 150 000 personnes qui travaillent pour l’industrie de défense, une réserve opérationnelle industrielle représentant 10 % à 20 % des effectifs –⁠ au-delà des 3 000 recrutements prévus – me semblerait raisonnable. Si nous devions très vite monter en cadence, il serait souhaitable d’avoir déjà mené les enquêtes de sécurité, car les chaînes industrielles de nos groupes de défense ne se découvrent pas au dernier moment. Par ailleurs, la question de la disponibilité de nos réservistes reste un point faible.
    J’aimerais évoquer à présent l’esprit de défense. Aucune sécurité ne peut exister sans nos concitoyens. À cet égard, je crois beaucoup aux classes de défense, dispositif qui mériterait d’être généralisé, ainsi qu’à l’éducation aux risques au sens large. Cela passe, par exemple, par des exercices d’autosuffisance. Imaginons un instant qu’il n’y ait plus d’électricité, ni de terminaux bancaires, ni de téléphones mobiles pendant quarante-huit heures : que ferions-nous concrètement ? Quelle entraide ? Quel rôle pour les associations et les collectivités locales ?
    Enfin, ne pourrait-on envisager que de jeunes volontaires passent une semaine en immersion dans nos unités ?
    En conclusion, les huit propositions que je viens de vous présenter s’inscrivent dans un contexte de menaces réelles –⁠ même s’il n’est pas question de paniquer. Un cessez-le-feu en Ukraine sans traité de paix serait une plaie permanente ouverte sur le flanc de l’Europe. Notre sécurité collective dépend de notre capacité à relever ensemble ces défis.
    On a souvent moqué un européisme béat. Cependant, un nationalisme béat n’aurait rien à lui envier.

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Il a raison !

    M. Philippe Bonnecarrère

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    Une Europe des nations serait une Europe éclatée, une Europe trumpienne, une Europe des faibles. France et Europe : nos sorts sont liés. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

    M. Bruno Fuchs, président de la commission des affaires étrangères

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    Pour commencer, je veux partager avec vous les mots de Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Aujourd’hui, au cœur d’une crise mondiale, d’une crise de modèle, d’une crise de gouvernance et d’une crise existentielle, le temps n’est plus au doute, l’hésitation n’a plus sa place.
    Depuis plus de trois ans, l’agression injustifiable de la Russie contre l’Ukraine bouleverse l’ordre international et menace notre sécurité collective. La France, fidèle à ses valeurs et à ses engagements internationaux, a adopté dès le début une position claire : soutenir sans ambiguïté la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine –⁠ un soutien multiforme, constant et sans faille.
    Je veux ici exprimer toute mon admiration et ma reconnaissance au peuple ukrainien et à son armée pour leur courage et leur patriotisme. Ils doivent être un exemple pour toutes celles et tous ceux qui, dans le monde, sont épris de justice et de liberté. Je salue au passage l’ambassadeur d’Ukraine qui, dans la tribune, assiste à notre débat depuis le début.
    Peut-être avons-nous péché par naïveté. Nous pensions –⁠ de bonne foi, pour la plupart – que l’ordre mondial issu de la seconde guerre mondiale, fondé sur le multilatéralisme, la démocratie et le respect du droit international, allait progressivement et naturellement s’imposer à tous.
    Aujourd’hui, nous faisons face à la pire menace depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette menace est amplifiée par la volte-face de notre allié historique, qui sonne pour nous comme une trahison –⁠ non seulement de nos engagements, mais aussi de l’idéal américain. Je rappelle qu’il y a quelque soixante ans, sur le sol français, 300 000 jeunes Américains ont sacrifié leur vie à cet idéal de paix et de liberté, partagé des deux côtés de l’Atlantique il y a quelques jours encore.
    Face à cette nouvelle donne, comme l’a dit le président de la République, il nous faut agir et non subir. Défendre l’Ukraine, c’est défendre non seulement les Ukrainiennes et les Ukrainiens, mais aussi nos valeurs et enfin nos intérêts directs.
    Le 19 février dernier, sans attendre le délai réglementaire prévu, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée a adopté une proposition de résolution européenne déposée par notre collègue Laurent Mazaury, appelant à renforcer sans réserve notre soutien à l’Ukraine.
    La majorité d’entre nous est convaincue que la paix ne pourra advenir durablement que si l’Ukraine se retrouve, au moment de la négociation, en position de force avec de réelles garanties de sécurité. Fort de son leadership, le président de la République a pris une initiative forte en réunissant la plupart des dirigeants européens pour échanger sur la situation et proposer de nouvelles orientations.
    Comme l’a rappelé le premier ministre, l’Europe est forte et puissante –⁠ bien plus qu’elle ne le croit. Seule l’expression de cette puissance, dans toutes ses dimensions, permettra d’assurer la protection et la sécurité de nos concitoyens. Avec 450 millions d’habitants, et même 520 millions si l’on ajoute ceux du Royaume-Uni, face aux 340 millions d’Américains et aux 140 millions de Russes, l’Europe est, sans le moindre doute ni la moindre ambiguïté –⁠ j’y insiste –, la seule capable de défendre les intérêts de la France et des Français.
    Dès lors, pour garantir une protection et une paix juste et durable, il nous faut assurément dire oui à une défense européenne et à un emprunt européen commun, dire oui –⁠ par responsabilité et parce que nous voulons avant tout la paix – à l’augmentation de nos dépenses militaires et dire oui, bien sûr, à la discussion sur une possible dissuasion nucléaire élargie.
    L’histoire frappe à notre porte. Elle ne demande pas si nous sommes prêts ni ne nous laisse le choix. Elle exige dès aujourd’hui une réponse forte, puissante et coordonnée.
    Pour conclure, je veux dire que notre soutien inconditionnel à l’Ukraine est aussi un message adressé au reste du monde : celui d’une Europe unie face à l’agression et résolue à défendre ses principes et à faire respecter le droit international. Pour l’Europe, pour nos valeurs, pour notre avenir et pour nos enfants, nous continuerons d’accompagner l’Ukraine jusqu’à ce qu’une paix juste et durable soit possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et LIOT, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe DR.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

    M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

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    Moi qui ai combattu aux côtés de soldats américains en Afghanistan lors de l’opération Liberté immuable, c’est le cœur lourd et serré que j’ai vécu l’altercation entre les présidents Trump et Zelensky, qui a fait perdre aux États-Unis leur légitimité à revendiquer le leadership du monde libre. Ce jour-là, Trump a trahi l’âme du peuple américain. Ce coup de poker irresponsable a mis mal à l’aise un grand nombre de diplomates, militaires et vétérans américains ainsi que, bien sûr, tous les gouvernements des autres pays membres de l’Otan.
    De son côté, la France, fidèle à son histoire, continue à aider le peuple ukrainien, qui défend courageusement et légitimement sa liberté. Force est de constater que la France et l’Europe figurent à présent parmi les derniers remparts du droit international. Cette nouvelle donne stratégique doit sonner le réveil d’une Europe plus menacée que jamais.
    Pourquoi ? D’une part, si l’Ukraine venait à tomber entre les mains de Vladimir Poutine, rien ne nous garantit que d’autres États du continent ne seraient pas, tôt ou tard, confrontés à ses velléités impérialistes. D’autre part, les bouleversements géostratégiques en cours déstabilisent profondément nos démocraties et mettent à mal notre sécurité et notre prospérité.
    Plus que jamais, les Européens doivent avoir conscience que leur défense est uniquement de leur responsabilité. L’Europe doit être puissante et doit se libérer de sa dépendance aux États-Unis afin de rester maîtresse de son destin. Il nous faut mieux développer l’Europe de la défense, dans laquelle la France a un rôle moteur, et préparer la paix en nous réarmant davantage. Notre sécurité a un prix, et chacun doit y prendre sa part.
    Nous, Français, n’avons pas attendu pour agir. Dès 2017, sous l’impulsion du président Emmanuel Macron, nous avons amplifié la hausse du budget de notre défense –⁠ qui aura doublé en dix ans. Nos efforts, conduits par le ministre des armées Sébastien Lecornu à travers la loi de programmation militaire votée par notre assemblée en juillet 2023 –⁠ et dont j’étais le rapporteur –, nous ont permis de transformer notre outil de défense pour disposer aujourd’hui de la première armée d’Europe.
    Cela dit, face à l’évolution des menaces et de la situation géostratégique, il est impératif de procéder à un nouvel état des lieux. C’est d’ailleurs tout le sens de la réactualisation de la revue nationale stratégique, à laquelle contribue la commission de la défense nationale et des forces armées de notre assemblée et qui est attendue pour mai prochain. Ce travail constituera une base pour réajuster nos efforts dans différents domaines stratégiques et, sans aucun doute, pour accélérer l’acquisition de certaines capacités de défense. Je pense notamment à une augmentation du nombre de frégates, de Rafale et de drones, sans oublier, entre autres, le renforcement de nos moyens dans les domaines de la guerre électronique, du spatial et du cyber.
    Nous sommes à un moment crucial de notre histoire. La classe politique française doit prendre ses responsabilités de façon claire. L’ère qui s’ouvre nous impose de dépasser les clivages et d’agir dans l’intérêt supérieur de la nation.
    Alors, n’ayez pas peur ! L’Europe compte 450 millions d’habitants et la Russie seulement 143 millions. Le PIB de l’Europe s’élève à 17 000 milliards d’euros, alors que celui de la Russie atteint uniquement 2 000 milliards. Soyez conscients de notre force. Soyez fiers de notre armée et de ses valeureux soldats. Alors, en avant, et que vive l’Ukraine ! Vive l’Europe, vive la République, vive la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et LIOT. –⁠ Mme Delphine Batho applaudit aussi.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

    M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes

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    Vous l’avez dit très justement au début de notre débat, monsieur le premier ministre, la situation internationale est grave –⁠ vraisemblablement la plus critique depuis 1945. Ce qui se joue actuellement ne concerne pas seulement l’Ukraine, mais bien toute l’Europe, donc la France et la sécurité des Françaises et des Français. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à garantir notre sécurité, notre indépendance et notre souveraineté, autrement dit à assurer à nos enfants qu’ils pourront vivre sur un continent libre, en paix et prospère tel que nous le connaissons.
    Pour y parvenir, les dirigeants européens devront prendre des décisions à la hauteur de la situation, car nous parlons d’un enjeu de vie ou de mort. Vous l’avez parfaitement expliqué, comme la plupart des forces de l’hémicycle –⁠ et je m’en félicite.
    Cependant, au terme d’un débat d’une telle importance, nous ne pouvons faire comme si certaines voix ne s’étaient pas prêtées à ce que je décrirais comme une forme de trahison. Madame Le Pen, vous avez eu –⁠ ce n’est pas nouveau – les mots les plus durs et les plus forts contre la France et l’Europe, mais à aucun moment contre la Russie de Vladimir Poutine qui mène en Ukraine une guerre brutale, totale, massive, depuis plus de trois ans, voire dix ans si nous pensons à la situation dans le Donbass et en Crimée.
    Lorsque l’on refuse d’aider l’Ukraine –⁠ comme ont pu l’exprimer certains, à mots couverts – ou que l’on s’oppose à la construction de la défense européenne, on ne favorise pas la paix mais on crée les conditions de l’abandon de l’Ukraine, donc de son effondrement, ainsi que les conditions de l’apparition de nouveaux conflits, demain, sur le continent européen.
    Dans un tel moment, évitons de propager de fausses informations, de distiller des mensonges concernant ce qui a été dit par le président de la République à propos de la dissuasion nucléaire française. Car nos alliés nous écoutent, tout comme nos concurrents et nos adversaires.
    Ces derniers jours, nous avons entendu de nombreux discours mettant sur un même plan l’agresseur et l’agressé. Or, nous le savons, l’Ukraine n’est pas attaquée pour ce qu’elle fait : elle n’agresse ni ne menace personne. Elle est attaquée pour ce qu’elle est : un pays libre, démocratique et ouvert, qui a choisi de se tourner vers l’Europe. Il est très clair que le dirigeant russe mène cette guerre brutale contre l’Europe, contre ce qui fonde notre identité d’Européens, et qu’il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine si nous ne l’arrêtons pas maintenant.
    Voilà pourquoi nous devons, aussi longtemps que nécessaire, assistance et reconnaissance au peuple ukrainien pour son courage, pour le sacrifice et le sang versé. À l’heure où la nouvelle administration américaine menace de suspendre le soutien qu’elle lui a accordé jusqu’ici, il nous revient d’intensifier le nôtre, car la paix en Europe passe par une paix durable, fiable et solide en Ukraine.
    Dans ce contexte, l’Europe n’a d’autre choix que celui de la puissance car, à Munich puis à la Maison-Blanche, nous avons vu la relation transatlantique se fracturer. Nous avons à présent besoin d’actions courageuses et le Conseil européen de ce jeudi doit être l’occasion de décisions historiques.
    La première urgence est de bâtir rapidement et quoi qu’il en coûte un plan d’aide militaire à l’Ukraine pour éviter son effondrement à la suite du revirement américain. Dans cette optique, il faut travailler très sérieusement sur la saisie des avoirs publics russes gelés. Ce sont 209 milliards d’euros que nous pourrions affecter au soutien à la résistance ukrainienne.
    La seconde priorité doit être de façonner maintenant l’Europe de la défense que le président de la République promeut depuis 2017. Le moment est propice : nos partenaires européens y sont prêts, l’Allemagne en tête.
    Mobilisons des financements en commun, comme nous avons su le faire au moment de la crise sanitaire. Élaborons un grand plan d’investissement qui permettrait de lancer des programmes militaires communs et de renforcer nos armées et nos équipements militaires. Il est clair que le contexte actuel exige un effort massif de chacun des États membres : tous les pays de l’Union européenne devront rehausser les budgets qu’ils consacrent à la défense.
    Nous assistons à la fin d’un monde et nous devons sans délai passer aux actes pour que notre Europe devienne capable d’assurer sa défense, sa sécurité et son autonomie stratégique. Sans une défense européenne commune, l’Ukraine s’effondrera tôt ou tard. Si nous faisons preuve de faiblesse et de désunion, la Russie continuera de mettre à l’épreuve notre détermination et notre capacité à riposter. Si nous nous montrons attentistes, nous l’encouragerons à étendre ses ambitions à d’autres parties du continent européen.
    Nos opinions publiques l’ont parfaitement compris depuis qu’elles ont assisté à la sidérante mise en scène au cours de laquelle, dans le fameux Bureau ovale, on a humilié le chef d’un État européen souverain, courageux et infatigable, qui tente de sauver son pays.
    En défendant l’Ukraine, nous défendons la liberté de l’Europe, la démocratie libérale, humaniste et respectueuse de l’État de droit et de la démocratie. Il n’est pas trop tard. Soyons unis, résolus, déterminés, et nous y arriverons. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et LIOT. –⁠ M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

    M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

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    Je répondrai aux différentes interventions relativement à leurs aspects diplomatiques et laisserai à Sébastien Lecornu, ministre des armées, le soin d’aborder les considérations militaires.
    M. Ciotti a mobilisé les mots les plus durs au sujet de l’Europe et des États-Unis mais je ne l’ai pas entendu condamner à la tribune l’attitude de Vladimir Poutine qui, depuis trois ans –⁠ en réalité depuis dix ans –, agresse constamment l’Ukraine.

    Mme Stella Dupont

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    Eh oui !

    M. Éric Ciotti

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    Vous m’avez mal écouté !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Vladimir Poutine ne s’arrête d’ailleurs pas à l’Ukraine, puisque la Moldavie, la Géorgie et plusieurs pays européens sont également visés par cette attitude.
    Madame Le Pen, vous avez rappelé que la France a eu raison de soutenir l’Ukraine et qu’une aide civile et militaire lui a été apportée. Vous avez soulevé la question de la mobilisation des actifs russes gelés. Ce sont précisément les revenus tirés de ces actifs immobilisés en Europe et ailleurs qui permettent de rembourser un prêt de 45 milliards d’euros consenti à l’Ukraine ; autrement dit, cela ne coûte donc aucun euro au contribuable européen. Un premier versement de 3 milliards d’euros est d’ores et déjà parvenu aux Ukrainiens en janvier. C’est bientôt 1 milliard d’euros supplémentaires qui seront versés à l’Ukraine de la même manière.
    Vous avez indiqué que l’adhésion possible de l’Ukraine à l’Otan avait été une justification à la guerre. Je laisserai Sébastien Lecornu y revenir mais il va de soi qu’il s’agit d’un prétexte employé par Vladimir Poutine depuis longtemps…

    Mme Constance Le Grip

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    Oui, voilà !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    …pour justifier sa guerre d’agression et la répression des manifestations. Cette guerre, menée dès 2014, vise à faire obstacle à l’aspiration légitime du peuple ukrainien à se rapprocher de l’Union européenne. L’Otan est une alliance essentiellement défensive, comme l’ont montré la Finlande et la Suède lorsqu’elles ont décidé, pour se prémunir de l’agressivité russe, d’y faire leur entrée.
    Vous avez cité les réunions organisées à Riyad et à Istanbul, qui ont été le théâtre d’échanges entre les États-Unis et la Russie, mais vous avez omis de rappeler les deux rencontres importantes qui se sont tenues le 17 février à Paris et hier à Londres et ont rassemblé non seulement les Européens mais aussi les Norvégiens, les Canadiens et les Ukrainiens –⁠ le président Zelensky était présent hier à Londres – afin de témoigner de l’unité entre l’Ukraine et ses alliés.
    Pour finir, vous avez convoqué Talleyrand pour railler une vidéo que j’ai mise en ligne. J’accueille la critique avec une grande humilité, d’autant que cette vidéo n’a rien à envier aux tiktokeries de M. Bardella.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Il n’est pas ministre !

    M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes

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    Non, mais vous voudriez qu’il soit premier ministre !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Le président Gabriel Attal a rappelé que la guerre d’agression russe en Ukraine n’est pas lointaine, car les attaques multiples et variées de la Russie ciblent l’ensemble de l’Union européenne. Souvenons-nous des mains rouges, des cercueils, des étoiles de David, des événements qui ont conduit à l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie ou encore des colis piégés en Allemagne. C’est toute l’Europe qui est désormais la cible de l’agressivité russe.
    M. Attal a également évoqué l’aide de la France à l’Ukraine et proposé que soient saisis les actifs russes gelés. À ce stade, les autorités françaises n’approuvent pas une telle mesure pour une raison simple : le prêt de 45 milliards d’euros que je mentionnais il y a quelques instants est assis sur les revenus tirés desdits actifs. Leur confiscation pure et simple ferait courir à la zone euro et à la Banque centrale européenne un risque financier trop important, qui fragiliserait les États membres au moment où ils doivent être aussi forts que possible pour soutenir l’Ukraine.
    Enfin, M. Attal a abordé l’accélération de la procédure d’adhésion à l’Union européenne de l’Ukraine. La doctrine du gouvernement français à cet égard est très claire : l’adhésion à l’Union européenne repose sur les mérites propres de chaque pays candidat. La procédure afférente est longue et exigeante afin de garantir que tous les États qui intègrent l’Union partagent l’ensemble de ses valeurs et rattrapent les autres pays membres. Aucun raccourci n’est possible. Cependant, rien n’interdit aux États membres d’aider les pays candidats : ainsi, la France a détaché des experts techniques internationaux en Ukraine pour faciliter le déroulement de cette procédure.

    M. Jimmy Pahun

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    Ça rassure !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    M. Saintoul a semblé indiquer que la France se refusait à organiser toute rencontre entre les Ukrainiens et les Russes. Pourtant, la seule rencontre qui ait jamais eu lieu entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine s’est tenue en 2019 à Paris, sous l’égide du président de la République !
    M. Saintoul a rapidement évoqué la fausse polémique née aujourd’hui au sujet d’un supposé désaccord entre le Royaume-Uni et la France concernant le plan de paix. Il n’en est rien. Le chef de l’État français et le chef du gouvernement britannique, qui se sont rendus l’un et l’autre aux États-Unis la semaine dernière, souhaitent tous deux proposer un plan pour parvenir à une paix durable et solide. Ce plan prévoit, dans un premier temps, une trêve dans les airs, sur les mers et à l’égard des infrastructures énergétiques, qui aura vocation à tester la bonne foi et la volonté de Vladimir Poutine d’entrer dans des négociations de paix. Jusqu’à présent, il n’a envoyé aucun signal en ce sens.
    Le président Boris Vallaud a rappelé que la France se tiendrait toujours aux côtés des peuples libres –⁠ on ne peut qu’être d’accord.

    M. Boris Vallaud

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    C’est ce que j’ai dit, en effet.

    M. Laurent Croizier

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    Vous n’avez pas pris de grands risques !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Il a également rappelé que l’alliance nouée par les Russes avec les Nord-Coréens constitue une extension de la menace que fait peser la Russie sur l’ordre international fondé sur le droit.
    Il a appelé de ses vœux un grand emprunt commun, qui sera au menu des discussions qui auront lieu à Bruxelles lors du sommet européen de jeudi prochain.
    Il a enfin mis en avant le fait que, si le président de la République avait plaidé pour une trêve, c’était pour éprouver la volonté réelle de Vladimir Poutine de participer à des négociations de paix. Nous ne transigerons pas en faveur d’un cessez-le-feu car, il y a dix ans, à Minsk, nous avions accepté le principe d’un tel cessez-le-feu, qui a été violé par vingt fois et n’a pas empêché la Russie de se lancer dans une invasion à grande échelle de l’Ukraine.

    M. Boris Vallaud

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    Eh oui !

    M. Emmanuel Mandon

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    Vingt fois, quand même…

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Monsieur Herbillon, vous avez abordé les conséquences humaines et humanitaires de cette guerre, en particulier le sort des milliers ou dizaines des milliers d’enfants ukrainiens arrachés à leur famille, déportés en Russie ou en Biélorussie et concentrés dans des camps où l’on veut les rééduquer et les amener à détester leur propre pays. La France soutient les centres qui accueillent les enfants rentrés en Ukraine auprès de leur famille. Ils ont besoin d’un accompagnement médical ; il est aussi nécessaire que leurs témoignages soient entendus, notamment par les procureurs de la Cour pénale internationale, puisque c’est cette déportation qui vaut à Vladimir Poutine le mandat d’arrêt émis par la Cour à son encontre.
    Vous avez aussi évoqué la préférence européenne et les déclarations très encourageantes du nouveau chancelier allemand. Vous avez cité un domaine essentiel, celui de l’espace, en mentionnant notamment Galileo et Iris2. Sébastien Lecornu voudra peut-être y revenir.
    Mme la présidente Chatelain a interrogé le gouvernement sur les contours du plan de paix que nous promouvons avec le Royaume-Uni. Comme je l’ai dit, il vise à instaurer une trêve qui a vocation à assurer chacune des parties de la volonté sincère de l’autre partie d’entrer dans des négociations de paix. La cessation durable des hostilités sera subordonnée à l’acceptation par Moscou de l’installation en Ukraine, suivant la volonté de ce pays, de capacités militaires dissuadant la poursuite de l’agression russe –⁠ la Russie n’a jamais admis une telle installation, ni à Minsk, ni à Istanbul au printemps 2022.
    Vous avez abordé la dépendance européenne aux énergies fossiles, qui constitue effectivement l’un des problèmes fondamentaux révélés par cette guerre d’agression et qui met en jeu la capacité des Européens à soutenir l’Ukraine. Lundi 24 février, trois ans après le début des hostilités, nous avons pris un seizième paquet de sanctions, qui vise notamment quatre-vingt-quatre navires de la flotte fantôme qu’utilise Vladimir Poutine pour contourner les sanctions. Nous avons également pris de nouvelles sanctions ciblant des activités de stockage et de traitement du pétrole dans l’Union européenne. Cela ne suffira cependant pas à effacer toute la dépendance de l’Union européenne au pétrole russe et, surtout, au gaz russe,…

    Mme Delphine Batho

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    Et le gaz de schiste américain ?

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    …que nos méthaniers acheminent et qui se diffuse dans le reste de l’Europe. C’est pourquoi nous plaidons si activement pour le développement du nucléaire et des énergies renouvelables en Europe. Ce n’est pas un luxe mais bien une manière de garantir notre indépendance.
    S’agissant des doubles standards ou du double langage qui seraient les nôtres, vous avez entendu la parole de la France aux Nations unies. M. Lecoq en a également parlé. Nous dénonçons toutes les violations du droit international, partout où elles se produisent.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Nous faisons donc aussi de l’autodénonciation !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    C’est vrai à propos de Gaza, d’Israël lorsque le Hamas l’a attaqué, du Liban quand Israël a violé sa souveraineté, et ainsi de suite.
    Le président Marc Fesneau a rendu à Frédéric Petit un hommage auquel le gouvernement se joint évidemment. Il a terminé son intervention par une phrase essentielle : « Lorsqu’il s’agit de dire non, le meilleur moment, c’est le premier. » Cela nous rappelle combien nous devons nous montrer exigeants pour ne pas retomber dans les errements du passé, en particulier ceux de Minsk, qui nous obligent, dix ans plus tard, à affronter des problèmes bien plus considérables que ceux que nous connaissions alors.
    Le président Paul Christophe a rappelé les deux piliers sur lesquels repose la position de la France : une Europe forte et l’attachement au droit international. Mais si nous voulons défendre le droit international et nos intérêts, dans le monde dans lequel nous entrons, nous n’avons plus d’autre voie, plus d’autre chemin que celui qui nous amène vers beaucoup plus de force et vers beaucoup plus d’indépendance. Autrement dit, notre pays soutiendra toujours le droit mais, pour être entendus, nous devons être beaucoup plus forts.
    Laurent Mazaury a soulevé un point important : celui de la légitimité de Volodymyr Zelensky. À cet égard, lors des négociations de cessez-le-feu, sinon de paix, qui ont été engagées il y a dix ans à Minsk, ou encore en 2022, la Russie s’est toujours cachée derrière l’argument de l’illégitimité des dirigeants ukrainiens pour ne pas consentir à ce que des garanties de sécurité soient accordées à l’Ukraine. Attendons-nous à ce que, le jour où Vladimir Poutine arrivera à la table des négociations, il commence par demander la tête de Volodymyr Zelensky.

    Mme Natalia Pouzyreff

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    Eh oui !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Je veux rappeler devant la représentation nationale et devant M. l’ambassadeur d’Ukraine qu’il y a deux semaines, la Rada a confirmé à l’unanimité la pleine légitimité de Volodymyr Zelensky pour représenter son peuple et que cette légitimité ne saurait être contestée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et LIOT. –⁠ Mme Marie Pochon applaudit également.)
    Monsieur Lecoq, je n’ai pas dit que jamais on ne pourrait parler à M. Lavrov, mais qu’aujourd’hui, dans la mesure où la Russie de Vladimir Poutine ne montre aucun signe indiquant sa volonté de mettre fin à cette guerre, le prendre au téléphone n’est pas vraiment utile.
    Vous avez évoqué la proposition de paix sino-brésilienne. Je veux seulement vous rappeler que, même si la copie a été améliorée récemment, elle ne comportait au départ aucune mention de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine –⁠ je vous sais très attaché au principe de souveraineté ; vous avez notamment fait référence au cas du Sahara occidental.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Vous venez de le dire, la proposition a été corrigée !

    M. Jean-Noël Barrot, ministre

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    Je tiens à revenir sur l’épisode de lundi dernier à l’ONU. Vous l’avez dit, au Conseil de sécurité, tous les Européens, soit cinq de ses quinze membres, se sont abstenus sur une résolution américaine qui ne faisait pas mention des principes de la Charte des Nations unies, en particulier de celui de l’intégrité territoriale. Je veux néanmoins vous rappeler –⁠ vous auriez pu nous féliciter – que, le matin même, à l’Assemblée générale des Nations unies, alors que les États-Unis avaient déposé une proposition de résolution analogue –⁠ ne faisant pas mention des principes de la Charte, en particulier de celui de l’intégrité territoriale, et désignant la situation comme un conflit plutôt que comme une guerre d’agression –, nous l’avons amendée, avec le soutien de tous les Européens et de la communauté internationale, si bien qu’en définitive, ce sont les États-Unis eux-mêmes qui se sont abstenus sur leur propre texte, que nous avions rendu conforme au droit international. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ M. Laurent Mazaury applaudit également.)
    Nous voulons évidemment la paix mais, le premier le ministre l’a très bien dit tout à l’heure, c’est par la force que nous obtiendrons la paix, et certainement pas par la faiblesse. Et la force, M. Thiériot l’a rappelé, ne se manifeste pas seulement sur le champ de bataille ; c’est aussi la force des esprits : nous avons besoin d’un réarmement moral si nous voulons être à la hauteur des défis qui sont devant nous, et ils sont nombreux. Geneviève Darrieussecq a notamment évoqué les ingérences qui parasitent notre vie démocratique. De telles ingérences ont perturbé les élections roumaines, puis les élections allemandes ces deux dernières semaines, et pourraient perturber les élections polonaises ou les nôtres. N’oublions pas que tout cela a des origines en Russie.
    M. Bonnecarrère a rappelé à raison qu’il n’y a pas de cessez-le-feu qui soit acceptable sans traité de paix.
    M. Fuchs, président de la commission des affaires étrangères, a relevé, comme le premier ministre, que l’Europe est une puissance qui s’ignore, alors même qu’elle a toutes les capacités pour faire face à la situation présente et soutenir l’Ukraine autant que nécessaire.
    De même, M. Jacques, président de la commission de la défense, nous a appelés à ouvrir les yeux sur le fait que la Russie représente une part toute petite de la richesse mondiale, soit 2 %, là où l’Europe en représente 20 %, dix fois plus. Il nous a invités à nous libérer de toutes nos dépendances –⁠ c’est vrai dans le domaine militaire mais aussi, évidemment, dans le domaine économique.
    M. Anglade, président de la commission des affaires européennes, a rappelé en conclusion qu’il n’y a qu’un agresseur, Vladimir Poutine, qu’une escalade, celle menée par la Russie, et que le Conseil européen de jeudi prochain doit être un moment historique à la fois pour amplifier notre aide à l’Ukraine et pour tracer le chemin vers une Europe de la défense qui assure la sécurité de toutes les Européennes et de tous les Européens. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem. –⁠ MM. Laurent Mazaury et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre des armées.

    M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

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    Merci aux parlementaires qui se mobilisent sur ce sujet important, jusqu’à cette heure tardive pour une séance de l’après-midi. Sous l’autorité du premier ministre et en complément de ce que Jean-Noël Barrot a dit à l’instant, je souhaite répondre à mon tour aux différents intervenants en me concentrant sur cinq points principaux qui font à mon avis l’objet de débats.
    Premièrement, il y a un décalage entre le débat politico-médiatique et la réalité militaire sur le terrain. On assiste à un grignotage de 50 à 100 kilomètres carrés par semaine, ce qui est assez résiduel au regard de l’ampleur de la ligne de front, mais montre l’avantage que les forces armées de la fédération de Russie sont en train de prendre. La résistance ukrainienne demeure importante tout en reposant évidemment beaucoup sur le rythme d’arrivée des armes. On en a peu parlé, mais il faut avant tout que l’aide militaire continue d’arriver en Ukraine, pour que les négociations se tiennent dans le cadre d’un rapport de force maintenu. La « paix par la force » –⁠ expression employée par le président Trump, citant le président Reagan – suppose évidemment qu’il y ait toujours la force.
    Il nous faut donc préparer des paquets d’aide pour les semaines et les mois qui viennent, compte tenu du décalage entre le rythme des discussions et ce qu’il va se passer sur le terrain. Et même s’il y a trêve, Jean-Noël Barrot l’a rappelé, il sera redoutablement difficile de la faire respecter sur une ligne de front aussi longue, en tout cas sur sa partie terrestre. Nous allons donc poursuivre l’aide militaire, selon des paramètres que vous connaissez déjà, puisque vous avez voté la loi de finances pour 2025 : nous allons sortir du format de l’armée de terre française de vieux équipements dont l’Ukraine va immédiatement profiter ; je me dois de mentionner ici une fois de plus les véhicules de l’avant blindé, les AMX-10 RC et un certain nombre de missiles complexes en fin de vie.
    Pour compléter la réponse de mon collègue à la présidente Le Pen, je précise que nous avons isolé une partie des avoirs russes gelés pour acheter des armes directement auprès de nos industriels de défense. La première tranche s’élève à 304 millions d’euros, ce qui a permis d’acheter des obus de 155 millimètres, des missiles Mistral, des missiles Aster –⁠ pour le Samp-T, le système sol-air de moyenne portée-terrestre, que nous avions donné avec l’Italie – et douze canons Caesar.
    Je pousse beaucoup, avec les diplomates du Quai d’Orsay, pour que l’on continue à récupérer de l’argent grâce aux avoirs russes gelés pour les futurs paquets d’aide discutés à Bruxelles, parce que cela permet d’épargner le contribuable français et surtout de brancher directement cet argent sur les carnets de commandes des industriels européens. Mais, osons le dire, cela dépendra aussi du sort des sanctions, qui ne sont pas forcément irréversibles, au vu des paramètres des discussions actuelles. Il faudra aussi se mobiliser à cet égard.
    Deuxièmement, je suis frappé de voir qu’on a peu évoqué cet après-midi le contenu des garanties de sécurité –⁠ même si certains d’entre vous, notamment le président Vallaud, l’ont fait.

    Mme Delphine Batho

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    On attendait d’en savoir plus…

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    Pourtant, ce point mobilise beaucoup l’attention des médias et des commentateurs, sachant que des discussions, secrètes ou non, ont été ouvertes à ce sujet, et que, vous l’avez bien compris, leur cadre évolue. Néanmoins, pour rendre compte au Parlement, je souligne que plusieurs pistes se dessinent en matière de garanties de sécurité. La première question porte sur l’avenir de l’armée ukrainienne, parce que la première garantie de sécurité pour l’Ukraine reste son armée. C’est du bon sens, mais il faut le rappeler, au vu de la teneur des débats susceptibles de survenir –⁠ Jean-Noël Barrot et moi le voyons bien dans la communication russe sur la démilitarisation de l’Ukraine.
    Cela renvoie à mon premier point sur la poursuite de l’aide à l’Ukraine parce que, même quand les armes vont se taire, il faudra avoir un plan d’action pour aider l’armée ukrainienne. C’est un point clef, qui concerne non seulement les équipements mais aussi les partenariats industriels, y compris sur place en Ukraine. Nous avons commencé à nouer de tels partenariats pour nos industries de défense –⁠ Arcus, Thales, KNDS et Delair –, et c’est un moyen de créer des garanties de sécurité à long terme. N’ayons aucun état d’âme à défendre les intérêts des industries de défense françaises dans ce qui sera le marché ukrainien, sachant que beaucoup de pays anglo-saxons ont pris de l’avance sur nous ces dix ou quinze dernières années.
    La formation a aussi toute son importance. En créant la brigade Anne de Kiev, nous avons pris le risque de prendre en charge la formation d’une brigade entière. Quand les armes vont se taire, il faudra continuer à massifier la formation. Ce sera vrai pour les fonctions de combat d’infanterie mais également pour un certain nombre de fonctions de combat spécialisé.
    J’en viens à la question de la présence de troupes, qui retient beaucoup l’attention médiatique et politique. Le chef de l’État l’a dit à de nombreuses reprises et le premier ministre aussi : il ne s’agirait pas de troupes de combat. Il ne faut pas laisser à penser à nos concitoyens, dans le champ informationnel politique et démocratique, que nous envisageons d’envoyer des troupes de combat en Ukraine. En revanche, pourquoi pas des troupes de maintien de la paix, des troupes de réassurance, des troupes de déconfliction, autant de modèles d’emploi des forces armées françaises que nous avons déjà connus dans le passé. Je pense évidemment à la présence de l’armée française à Berlin-Ouest pendant la guerre froide ou encore aux troupes déployées dans le cadre de mandats des Nations unies.
    Nous n’en sommes pas là. Je souligne à nouveau le décalage, parfois important, entre le débat politico-médiatique et la réalité des discussions, qui n’en sont qu’à leur début sur ce point. La question est évidemment sur la table, elle fait partie des paramètres, précisément parce qu’il y a eu Minsk 1, puis Minsk 2, comme Jean-Noël Barrot l’a rappelé, et que nous sommes bien en droit de réfléchir à des mécanismes au minimum d’observation ou, mieux, à même d’assurer le respect d’un éventuel cessez-le-feu ou accord de paix.
    Troisièmement, j’aimerais, sous l’autorité du premier ministre, dire un mot de notre propre réarmement, même si nous en avons déjà largement débattu pendant l’examen de la loi de programmation militaire. Je reste persuadé que les orientations que nous avons prises alors sont bonnes, qu’il s’agisse du modèle d’armée, de l’épaulement entre le nucléaire et le conventionnel –⁠ évoqué par le ministre Thiériot – ou du principe de la souveraineté de notre industrie de défense, même si je sais qu’il peut encore y avoir ici ou là quelques débats sur la forme que doit prendre le futur porte-avions.
    Le sujet qui ne fait pas consensus ici, c’est évidemment la place de la France au sein de l’Otan. Pendant l’examen de la loi de programmation, je m’étais engagé auprès des députés Lachaud et Saintoul à remettre un rapport présentant le bilan du retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan. J’ai saisi à cet effet l’inspection générale des armées. Un tel rapport pourrait être une base de discussion. Si la question demeure dans le champ purement politique, je ne pourrai pas y faire grand-chose. Mais je pense qu’il faut objectiver cette affaire, en se penchant sur l’interopérabilité, sur les contributions réelles aux plans de défense de l’Europe, sur ce que cela signifie pour nos voisins. C’est un bon débat, mais qu’il vaut mieux avoir à froid, de manière technique,…

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Ce n’est pas un débat technique !

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    …peut-être dans le cadre des commissions de la défense ou des affaires étrangères. Tout le monde parle du sujet, mais personne ne l’a jamais vraiment documenté ni complètement travaillé, en tout cas pas nécessairement ici.
    Si nos orientations sont bonnes, je l’ai dit, il existe des fragilités qu’il nous faut regarder en face. La première d’entre elles a trait à l’hybridité évoquée par le député Bonnecarrère. La volonté du président de la République de remettre à jour la revue nationale stratégique tient au fait que nous avons désormais d’énormes défis sécuritaires et d’énormes menaces extérieures face auxquels la réponse ne sera pas uniquement militaire. Je pense évidemment au cyber, à la manipulation de l’information et à celle de nos flux énergétiques. On le voit bien, cela renvoie davantage à un travail sur la défense globale, qui relève plutôt du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, et qui suppose d’embarquer avec nous les collectivités territoriales, les entreprises et les associations. La réinvention de la guerre par Moscou, avec l’hybridité, est précisément un moyen de contourner notre dissuasion nucléaire. Tout va très très vite dans ce domaine et il faut savoir se mettre à jour.
    Autre sujet de débat : le rythme de notre réarmement. Il est clair que le contexte a changé depuis le vote de la loi de programmation militaire et que les menaces se sont précisées. On n’a d’ailleurs pas mentionné celle que fait peser l’Iran, pratiquement au seuil de l’enrichissement, ni les nouvelles attaques, notamment le long des routes maritimes –⁠ on voit bien ce qui se passe en mer Rouge. Bref, l’évolution du contexte stratégique n’est tout de même pas réjouissante. Nous avions fait un pari en fixant les cibles à atteindre en 2030. Elles méritent sûrement d’être atteintes plus rapidement. Pour les mêmes raisons, les cibles à atteindre en 2035 méritent d’être réexaminées.
    Cela pose évidemment la question redoutable des choix budgétaires à faire. Vous avez en tête les chiffres de notre effort de défense : 31 milliards d’euros en 2017 ; 50,5 milliards cette année, dans la loi de finances que vous avez votée ; 67 ou 68 milliards, selon l’année retenue, à la fin de la période de programmation militaire.
    Voilà qui m’amène à répondre au député Lecoq : je ne crois pas aux injonctions exprimées en pourcentage du PIB,…

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Combien ?

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    …et fixer 5 % n’aurait pas de sens. Il a été question de gaullisme militaire et, en effet, notre modèle d’armée est singulier, sinon unique. On ne peut donc pas établir de comparaison à partir d’une telle donnée, de surcroît relative. Je rappelle d’ailleurs aux représentants de la nation que, dans le mode de calcul de ce pourcentage en vigueur à l’Otan, on intègre les pensions militaires. Ainsi, 2 % du PIB selon que l’on ait ou non une dissuasion nucléaire –⁠ je sais qu’elle est chère à votre cœur –, de toute évidence, ce n’est pas la même chose, car on ne parle pas du même système de défense. Il faut comparer ce qui est comparable.
    En revanche, si la question est : « faut-il continuer de mettre plus d’argent pour se réarmer ? »,…

    M. Michel Herbillon

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    Oui !

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    …la réponse est oui. Il faudra donc forcément faire des choix politiques en la matière, à l’issue d’un débat que nous devrons avoir sous l’autorité du chef du gouvernement.
    J’en arrive au quatrième sujet : que peut-on attendre de l’Union européenne ? Il s’agit d’un débat politique intéressant à défaut d’être consensuel. Il faut l’aborder en entrant dans les détails, sans quoi on en resterait à des postures.
    La première réalité à rappeler, qui s’impose à nous quelles que soient nos convictions, est que l’Union européenne est un marché unique. Les industries de défense évoluent dans ce marché unique, avec un ensemble de règles monétaires ou de libre concurrence qui s’imposent à elles.
    En trois ans, toutefois, l’ambiance a changé. En 2022, à Bruxelles, il fallait se mobiliser contre des initiatives, parfois défendues devant le Parlement européen, tendant à considérer comme sale la production d’armes –⁠ dans le cadre de la taxonomie – et à imposer plus de normes et de fiscalité aux industries du secteur. Trois ans plus tard, on se fait enguirlander parce qu’on ne produit pas assez vite.
    On voit donc que la bataille culturelle a été gagnée. Néanmoins, il ne faut pas se raconter d’histoires : il y a encore trop de normes et trop de freins, venant de directives européennes ou de leur surtransposition, qui s’imposent inutilement aux industries de défense et qui, parfois, nous ont gênés dans notre capacité à aider l’Ukraine. Le sujet est sur la table, et il faut le documenter.
    D’autre part, il faut être plus innovant : nous avons intérêt à cofinancer des stocks communs de certains types d’armes. Par exemple, notre modèle d’armée ne nécessite pas d’avoir des millions d’obus de 155 millimètres –⁠ ou alors c’est qu’on aura décidé de déclarer la guerre à un voisin, mais c’est là une tout autre diplomatie et un autre modèle ! En revanche, nos capacités industrielles à produire de tels obus peuvent être utiles pour des alliés ou pour les garanties de sécurité futures de l’Ukraine. En effet, il y a fort à parier que, le jour où les armes se tairont en Ukraine, la dépense publique militaire russe restera très élevée et l’industrie de guerre russe gardera ses capacités. Les stocks russes augmenteront donc considérablement à un moment où, dans les capitales européennes, la tentation sera de passer à autre chose, puisque les armes se seront tues.
    Constituer des stocks stratégiques est donc fondamental. Pour être honnête, avant l’Ukraine, c’est la période du covid qui nous l’a appris : nous nous sommes alors aperçus avec effroi que, pour tel ou tel composant chimique nécessaire à la fabrication de poudre explosive, nous étions dépendants de l’Asie du Sud-Est. Il y a donc un chantier de relocalisation, à l’exemple de ce que nous faisons à Bergerac avec l’entreprise Eurenco. Ce combat pour la relocalisation prendra du temps et nécessitera de trouver des financements européens.
    J’ajoute que notre industrie de défense trouverait un intérêt à l’existence d’outils d’acquisition en commun. J’ai entendu ce que vous avez dit, madame la présidente Le Pen, à propos du Rafale. Toutefois, les choses ont changé entre l’époque où tous les pays européens achetaient uniquement des F-15, des F-16 ou des F-35, capables de transporter la bombe américaine, et l’époque actuelle, qui a vu la Grèce et la Croatie faire évoluer leur doctrine. Il en va de même dans le domaine des sous-marins à propulsion conventionnelle : le programme français Barracuda a remporté le marché aux Pays-Bas, sans conteste l’un des pays les plus atlantistes de la zone euro.
    Il y a dix ans, seulement 10 % des exportations d’armes françaises avaient l’Europe pour destination. En 2024, sur 18 milliards d’euros de commandes, 10 milliards provenaient de ce continent. Les paramètres sont loin d’être figés. Et pour cause : les déclarations américaines sont pour le moins stupéfiantes en ce sens qu’un pays exportateur a rarement aussi mal traité un marché qui lui était complètement acquis. Il y a donc, pour notre pays et nos industries de défense, des occasions à saisir pour équilibrer notre modèle, car ces exportations seront autant d’efforts de moins à fournir pour amortir certains chocs.
    Je souhaite dire un mot sur le spatial, évoqué par la ministre Darrieussecq et le député Herbillon. Quelles que soient nos convictions, la tuyauterie européenne existe déjà dans ce domaine. Nombre d’entre vous l’on dit lors des débats sur la loi de programmation militaire, certaines dépendances actuelles ne sont pas tolérables, comme celle à la constellation de satellites Starlink. Le programme Iris2 et le lancement du troisième satellite de la composante spatiale optique (CSO-3), malheureusement à nouveau reporté, sont donc cruciaux. Dans le domaine spatial, si nous ne réagissons pas rapidement, nous allons très vite décrocher par rapport aux autres puissances. Historiquement, certains sujets spatiaux sont nationaux et relèvent de la souveraineté de chaque État, quand d’autres sont partagés entre plusieurs nations européennes. C’est, là aussi, un bon débat.
    Mon cinquième et dernier point porte sur notre dissuasion nucléaire. Personne n’a jamais dit qu’on la partagerait ; le mot « partager » n’a jamais été prononcé. Comme je l’ai rappelé le week-end dernier, du général de Gaulle (Mme Marine Le Pen et M. Jean-Philippe Tanguy s’exclament) à Emmanuel Macron en passant par François Hollande, qui siège ici, tous les chefs d’États ont considéré que les intérêts vitaux de la France avaient une dimension européenne. Pour le dire autrement, ces intérêts ne sont pas strictement enfermés à l’intérieur des frontières françaises. Le général de Gaulle est d’ailleurs celui qui en a eu la conception la plus offensive, puisque, dans une instruction écrite aux armées de 1964, il avait indiqué que, si l’Allemagne de l’Ouest ou le Benelux étaient attaqués, il considérerait que les intérêts vitaux de la France seraient engagés. Il avait ainsi signifié par écrit et à l’avance qu’une telle situation nous ferait entrer dans une grammaire nucléaire.
    Il y a eu ensuite d’autres expressions.

    M. Boris Vallaud

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    Oui, de la part de Mitterrand !

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    La déclaration franco-britannique de Chequers, qui date de 1995 et que trop peu de gens connaissent, contient cette formule très forte : « Nous n’imaginons pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un de nos deux pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi. » Cela signifie que les intérêts vitaux des deux puissances nucléaires sont entremêlés. Il y a une raison évidente à cela : nous sommes voisins. Depuis 1974 et le sommet de l’Otan à Ottawa, il est dit que les forces nucléaires françaises « [contribuent] au renforcement global de la dissuasion de l’Alliance ». Cela explique que nous ne soyons jamais entrés dans le comité des plans nucléaires de l’Otan, alliance au sein de laquelle nous sommes complètement autonomes.
    Si nous voulons avancer de bonne foi dans le débat à ce sujet –⁠ je fais crédit de cette volonté à chacun –, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de partage de la dissuasion nucléaire française. La production des armes et des vecteurs, leur contrôle, sur lequel le gouvernement doit rendre des comptes au président de la République, et la mise en œuvre des forces nucléaires sont françaises, et le resteront.
    Seulement, face à la nouvelle donne stratégique née de l’attitude américaine, nos voisins nous interrogent désormais sur les éventuelles implications pour eux de la dissuasion nucléaire française, alors qu’ils s’en étaient toujours désintéressés, quand ils ne considéraient pas que nous en avions une conception plutôt égoïste. Si la main sur le bouton reste celle du chef de l’État –⁠ qui, depuis 1962, est élu au suffrage universel, en partie en raison de cette responsabilité –,…

    Mme Delphine Batho

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    Tout à fait !

    M. Sébastien Lecornu, ministre

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    …la façon dont la France concourt à l’architecture globale de sécurité du continent européen est un beau sujet de débat. Ce dernier s’impose à nous et j’espère que nous pourrons le traiter au sein des commissions de la défense et des affaires étrangères. Dès lors qu’en Europe, toutes les capitales, tous les parlements, toutes les formations politiques, de droite comme de gauche, vont nous poser la question, autant nous tenir prêts à y répondre. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. –⁠ MM. Laurent Mazaury et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le premier ministre.

    M. François Bayrou, premier ministre

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    J’ai été frappé par la qualité du débat, ce qui n’est pas toujours le cas ici. (M. Jean-Paul Lecoq s’exclame.)

    M. Boris Vallaud

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    Avec nous, c’est souvent le cas !

    M. François Bayrou, premier ministre

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    Il arrive que ce soit moins évident que ce soir, où j’ai trouvé que l’expression de chacun des groupes et des sensibilités représentées dans cet hémicycle avait donné au débat une tournure et une signification précieuses. Je suis très heureux que ce débat, moment d’expression nationale, ait eu cette tenue devant M. l’ambassadeur d’Ukraine. Il aura ainsi pu mesurer –⁠ et, à travers lui, ses compatriotes et son président – à quel point le sort de l’Ukraine, pays avec lequel la France est liée depuis mille ans, est important pour tous les Français. Depuis le grave incident de vendredi soir, beaucoup de nos compatriotes ont pris personnellement conscience que le destin de la France était intimement lié à celui de l’Ukraine.
    D’autre part, j’ai le sentiment d’une très grande unité. Si nous avions eu ce débat il y a trois ou quatre ans, nous nous serions retrouvés à des années-lumière les uns des autres. Depuis, quelque chose a profondément changé dans notre perception de ce drame historique et de son évolution. De même, comme beaucoup d’orateurs l’ont dit –⁠ notamment les ministres, de manière brillante –, quelque chose a changé dans la perception par l’Europe de son destin, voire de son être même.
    Cette crise si profonde intervient comme un révélateur qui touche –⁠ nous sommes nombreux à le penser – à l’essence de notre engagement, à l’idée que nous nous faisons de notre avenir, à l’idéal qui nous fait vivre ensemble. Je n’aime guère le mot « valeur », parce qu’il est trop utilisé, mais je sais que, sans idéal, on ne trouve pas le but du voyage que l’on fait ensemble.
    En tout cas, c’était très intéressant, et je suis sûr que bien des observateurs l’auront noté. D’une certaine manière, ce débat était aussi encourageant, car il a donné le sentiment que, dans les moments graves, la démocratie peut échapper au conflit systématique et contribuer à la recherche d’une voie qui nous réunira. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. –⁠ M. Laurent Mazaury applaudit également.)

    Mme la présidente

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    Le débat est clos.

    4. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, demain, à neuf heures :
    Questions orales sans débat.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra