Première séance du mercredi 27 novembre 2024
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Papeterie de la Chapelle Darblay
- Agression d’un lycéen dans l’Ain
- Grève de la faim d’un sapeur-pompier
- Avenir de la Fonderie de Bretagne
- Moratoire sur les projets autoroutiers
- Charte européenne des langues régionales
- Irresponsabilité budgétaire
- Agissements de Total au Mozambique
- Situation dans les outre-mer
- Fonctionnement de la Carsat
- Quatrième plan national maladies rares
- 2. Évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur
- M. Thomas Cazenave, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- M. Hendrik Davi, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- Mme Delphine Lingemann (Dem)
- M. Pierre Henriet (HOR)
- Mme Josiane Corneloup (DR)
- Mme Soumya Bourouaha (GDR)
- M. Maxime Michelet (UDR)
- M. Julien Limongi (RN)
- M. Bertrand Sorre (EPR)
- Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP)
- M. Pierrick Courbon (SOC)
- M. Michel Castellani (LIOT)
- M. Arnaud Bonnet (EcoS)
- M. Patrick Hetzel, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
- Mme Béatrice Piron (HOR)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Michel Castellani (LIOT)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Maxime Michelet (UDR)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Guillaume Bigot (RN)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Jean Laussucq (EPR)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- Mme Florence Herouin-Léautey (SOC)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- Mme Pascale Bay (DR)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- M. Jean-Claude Raux (EcoS)
- M. Patrick Hetzel, ministre
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Évaluation de la lutte contre la contrefaçon
- M. Christophe Blanchet, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- M. Kévin Mauvieux, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- Mme Lise Magnier (HOR)
- M. Joël Bruneau (LIOT)
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR)
- M. David Magnier (RN)
- Mme Annaïg Le Meur (EPR)
- M. René Pilato (LFI-NFP)
- Mme Sophie Pantel (SOC)
- Mme Valérie Bazin-Malgras (DR)
- Mme Catherine Hervieu (EcoS)
- M. Romain Daubié (Dem)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme
- M. Joël Bruneau (LIOT)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- M. Nicolas Sansu (GDR)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- Mme Angélique Ranc (RN)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- M. Sylvain Carrière (LFI-NFP)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- Mme Valérie Bazin-Malgras (DR)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- M. Christophe Blanchet (Dem)
- Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
- Suspension et reprise de la séance
- 4. Évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement des argiles
- Mme Sandra Marsaud, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- Mme Sandrine Rousseau, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
- Mme Eva Sas (EcoS)
- M. Christophe Plassard (HOR)
- M. Harold Huwart (LIOT)
- M. Nicolas Sansu (GDR)
- M. Matthieu Marchio (RN)
- Mme Danielle Brulebois (EPR)
- Mme Élise Leboucher (LFI-NFP)
- Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC)
- Mme Anne-Laure Blin (DR)
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Papeterie de la Chapelle Darblay
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard
Depuis cinq ans, le syndicat CGT de la Chapelle Darblay – ceux que l’on appelle les Pap’Chap’ – est mobilisé, avec le soutien des élus locaux et des parlementaires du territoire, pour maintenir la papeterie, fleuron industriel du grand Rouen.
La Chapelle, c’est cette usine moderne qui recyclait l’équivalent du tri sélectif de 25 millions d’habitants et fabriquait du papier journal 100 % recyclé. Parfait exemple d’économie circulaire, elle réutilisait ses propres déchets en combustible.
La mobilisation des acteurs sociaux, économiques, associatifs et politiques d’horizons divers a permis une prise de conscience de l’énorme gâchis industriel et écologique que constituerait la fermeture du site. S’appuyant sur ces initiatives, la métropole Rouen Normandie a préempté le site en mai 2022, puis l’a revendu au consortium Fibre Excellence-Veolia. Les acquéreurs ont évalué le coût de la remise en route de l’outil industriel ainsi que de sa transformation pour produire désormais du papier pour emballage, comprenant l’acquisition d’une chaudière biomasse, la construction d’une station d’épuration biologique et la remise en état des accès ferrés, fluviaux et autoroutiers. Bref, ils ont élaboré un projet de reprise clefs en main.
Toutefois, une inconnue demeure : le financement du projet, dont le bouclage est fixé à la fin de cette année. Le compte à rebours est lancé : 245 millions d’euros d’investissements sont nécessaires, dont 37 millions de fonds propres. L’implication de fonds publics est donc indispensable pour boucler le plan de financement.
Par-delà les discours et tandis que s’ouvre une année noire pour l’emploi en France, c’est précisément au nom de la sauvegarde de l’emploi et de la production industrielle que l’État doit jouer son rôle en matière de réindustrialisation et de transition sociale et écologique, en garantissant les prêts souscrits par l’entreprise au travers des organismes publics, tels que BPIFrance. Le devenir de l’usine est désormais entre ses mains, à portée de décision politique. L’urgence industrielle attend des actes forts de l’État. Les compétences et les financeurs sont là, il faut sauver la Chapelle Darblay ! Le gouvernement répondra-t-il présent afin de relancer ce site majeur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS. – Mme Sandrine Nosbé applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
Je vous remercie de votre question qui permet de mettre en lumière à la fois un territoire et un projet industriel. Ce projet, porteur d’emplois, qui prendrait place sur un site historique à l’identité industrielle forte et dans un territoire, la métropole rouennaise, où les élus de tous bords politiques ont fait preuve d’un engagement transpartisan, aux côtés des partenaires sociaux et des représentants syndicaux que je veux également saluer pour leur travail constructif et leur aptitude à trouver des compromis, doit être soutenu.
Après une phase de construction de deux ans, 150 emplois seraient créés. Je vous réponds donc très directement : oui, l’État sera au rendez-vous. Vous avez rappelé les contours de l’enjeu qui se pose, à savoir le financement du projet élaboré par Fibre Excellence, pour un montant de 245 millions. Nous partageons cette estimation, qui a souffert d’ailleurs – nous serons d’accord sur ce point – du désengagement plus que partiel d’un acteur qui avait pourtant prévu d’être partie prenante. Peu importe, ne regardons pas le passé ! L’État s’est engagé à prendre sa part, grâce au plan France 2030 ou encore à l’Ademe. Ces options devront être étudiées de manière précise, mais nous serons au rendez-vous.
Vous avez rappelé, à raison, la temporalité de ce projet. Mon équipe et moi-même travaillons, avec le cabinet du ministre délégué chargé de l’industrie Marc Ferracci, à trouver, dans les prochaines semaines, les tout derniers acteurs. L’État sera bien au rendez-vous et abondera cet investissement, comme il s’y est engagé, par des fonds publics. Néanmoins, l’ampleur du financement nécessite de trouver d’autres acteurs privés : c’est notre préoccupation. Mon équipe et celle de Marc Ferracci seront à votre disposition dans les prochaines semaines. Nous serons transparents et l’État sera bel et bien engagé. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et GDR.)
M. Pierre Cordier
Vous n’êtes pas très efficaces !
Agression d’un lycéen dans l’Ain
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Chavent.
M. Marc Chavent
Permettez-moi d’associer à cette question mon collègue Jérôme Buisson, député de l’Ain. Lundi dernier, au lycée Edgar-Quinet de Bourg-en-Bresse, un élève de seconde a poignardé un camarade en plein cours, lui infligeant de graves blessures à la tempe et au visage, tout en proférant des menaces de mort.
Je tiens à exprimer tout mon soutien à la victime, à sa famille, ainsi qu’à la communauté éducative. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN, ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.) Je salue également le courage de l’enseignante qui, au péril de sa vie, s’est interposée pour éviter le pire.
Selon les premières informations, l’agresseur est un mineur isolé, originaire du Sénégal. Ce nouveau drame illustre les conséquences dramatiques d’une absence de contrôle en matière de politique migratoire. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Dans l’Ain, l’accueil des mineurs isolés coûte 9 millions d’euros par an, mais ce système, fragilisé par les fraudes et le manque de moyens, est désormais saturé. De nombreux mineurs isolés présentent des comportements violents, souvent associés à la polytoxicomanie. (Mêmes mouvements.) Sans chercher à stigmatiser ceux qui fuient la misère, il est impératif de garantir un suivi rigoureux des mineurs isolés et de mettre fin aux abus qui détournent ces dispositifs de leurs objectifs et mettent en péril la sécurité publique.
Monsieur le ministre de l’intérieur, quand des tests fiables seront-ils enfin instaurés afin de vérifier l’âge des prétendus mineurs isolés ? Les semaines passent, les drames se multiplient et les réponses restent insuffisantes. Quels moyens comptez-vous déployer afin d’évaluer leur dangerosité et de détecter les troubles susceptibles de mener à de telles violences ? Quelles mesures prendrez-vous pour éloigner ceux qui représentent une menace envers la société ?
À Paris, 75 % des mineurs déférés devant la justice sont des délinquants étrangers. Faute de moyens, nos établissements scolaires sombrent dans l’anarchie et la radicalisation. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Claire Lejeune
Ce que vous dites est une honte !
M. Marc Chavent
Je n’exagère pas ! Vos discours de fermeté, monsieur le ministre, résonnent depuis des semaines. Cependant, nous attendons des actes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien.
M. Pierre Cordier
Et des sapeurs-pompiers !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien
Ce lundi 25 novembre, en effet, un lycéen s’est vu asséner des coups de ciseaux au visage et au bras par un autre élève. Permettez-moi d’exprimer une pensée pour ce lycéen, sa famille, la communauté éducative et pour l’enseignante qui s’est exposée en les séparant. Les secours sont intervenus rapidement et les premiers rapports médicaux dont nous disposons sont rassurants. Au nom du gouvernement, je condamne évidemment cette agression et vous indique que nous sommes mobilisés, sous l’autorité du premier ministre et du ministre de l’intérieur, aux côtés de la ministre de l’éducation nationale et du ministre délégué chargé de la réussite scolaire, afin de garantir les conditions de sécurité des élèves dans les établissements scolaires.
Les premiers éléments dont nous disposons indiquent qu’il s’agirait d’une dispute entre élèves, qui aurait dégénéré. Nous devons rester prudents et laisser travailler les services enquêteurs.
Le jeune mis en cause, entré en France en septembre 2022, a été confié au conseil départemental de l’Ain par décision judiciaire du 17 avril 2024. Il est hébergé dans un foyer du dispositif départemental d’accueil et d’hébergement de mineurs isolés et souffrirait, probablement, de troubles autistiques. Vous le savez, les enfants étrangers présents sur le territoire national et non accompagnés d’un parent titulaire de l’autorité parentale ou d’un représentant légal sont confiés aux services départementaux de l’aide sociale à l’enfance…
Mme Marie-Charlotte Garin
Ils n’ont pas de moyens !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué
…sur les deux critères de minorité et d’isolement. Une fois ces critères vérifiés, les mineurs reconnus comme non accompagnés font l’objet de mesures de protection. Ils doivent notamment bénéficier des droits prévus par la Convention internationale des droits de l’enfant. Pour cela, l’autorité judiciaire prend une décision de placement.
Nous sommes déterminés à agir sur la question de l’expulsion d’étrangers dangereux, criminels ou délinquants. Je l’ai déjà clairement exprimé à cette tribune. Toutefois, la question des mineurs est spécifique et le droit international nous contraint. Nous aurons à réfléchir à tous ces sujets, dans le cadre de la prochaine loi immigration annoncée par le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Grève de la faim d’un sapeur-pompier
Mme la présidente
La parole est à Mme Tiffany Joncour.
Mme Tiffany Joncour
Voilà déjà dix jours que Lionel, sapeur-pompier professionnel du Rhône depuis plus de trente ans, a entamé une grève de la faim pour, enfin, se faire entendre. Lionel a pris son dernier repas le dimanche 17 novembre, sur le campement installé devant les locaux de la métropole de Lyon. Il entame ainsi sa deuxième semaine de grève de la faim, dans l’indifférence générale.
S’il en est arrivé là, c’est parce que l’on n’a jamais pris au sérieux les revendications des sapeurs-pompiers. Pendant des années, ils ont alerté sur des conditions de travail devenues intenables : manque d’effectif, équipements obsolètes, primes injustement supprimées, telles que l’indemnité compensatrice de logement.
Depuis le 1er octobre, début du mouvement de grève, je suis aux côtés des syndicats de sapeurs-pompiers, qui réalisent un travail remarquable pour faire entendre la voix de ces héros du quotidien. Malgré une volonté et un dévouement exemplaires, les sapeurs-pompiers sont confrontés à un manque cruel de personnel. Dans mon département, le Rhône, chaque intervention se fait en sous-effectif, ce qui met en péril non seulement la sécurité des victimes, mais aussi celle des sauveteurs eux-mêmes.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Le service départemental-métropolitain d’incendie et de secours, financé à 80 % par la métropole de Lyon, souffre de choix politiques incompréhensibles. On préfère allouer des fonds aux pistes cyclables lyonnaises ou au centre pour migrants, plutôt que de répondre aux besoins essentiels de ceux qui protègent nos vies. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Marie-Charlotte Garin
C’est un mensonge ! Quelle honte !
Mme Tiffany Joncour
Si la métropole a sa part de responsabilité, l’État ne peut rester spectateur. Il doit se saisir de ce dossier, engager des discussions avec le Sdmis et apporter un soutien concret. Les soldats du feu ne demandent pas de privilèges, mais des moyens pour faire leur métier correctement.
Mme Marie-Charlotte Garin
Vous instrumentalisez tout !
Mme Tiffany Joncour
De nombreuses pistes de financement ont déjà été avancées, tels le fléchage vers les Sdis des fonds de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance et la suppression de l’exonération de cette même taxe sur les véhicules électriques.
Leur combat est un appel à l’aide : pour eux, pour nous, pour la sécurité de tous. Que répondez-vous, monsieur le ministre chargé de la sécurité du quotidien, à ces femmes et à ces hommes qui sacrifient leur vie pour nous sauver ? Que répondez-vous à Lionel ? Comptez-vous enfin réagir et entendre leurs revendications ou attendez-vous qu’un drame se produise ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien.
M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien
Depuis le 1er octobre, le Sdmis de Lyon est touché par un mouvement de grève. Les revendications portent sur la remise en cause d’acquis sociaux anciens, tels que l’indemnité compensatrice de logement, sur fond de difficultés financières affichées par la gouvernance du Sdmis, aux côtés de la métropole de Lyon. L’origine de ce mouvement est ainsi liée à la décision, par la gouvernance de l’établissement, de supprimer l’indemnité compensatrice de logement, à la suite d’une recommandation de la chambre régionale des comptes. Cette décision vient s’ajouter à celle de ne pas verser aux sapeurs-pompiers la prime accordée au titre des missions réalisées dans le cadre des Jeux olympiques, la gouvernance du Sdmis souhaitant que l’État la prenne en charge à 100 %.
Mme Marie-Charlotte Garin
Qu’est-ce que vous attendez ?
M. Thibault Bazin
C’est lamentable !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué
Il s’agit du seul Sdmis de France à avoir pris une telle décision.
M. Pierre Cordier
Je croyais que la gauche était généreuse !
M. Thibault Bazin
Avec l’argent des autres !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué
Des échanges réguliers ont lieu entre les financeurs et les organisations syndicales, en lien avec l’autorité préfectorale. Pour mémoire, le Sdmis est financé à 80 % par la métropole de Lyon, 20 % par le département du Rhône, l’État étant le garant de l’organisation et de la réponse opérationnelle.
Mme Marie-Charlotte Garin
Vous ne donnez pas assez de moyens aux collectivités !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué
Concernant cette affaire et, plus globalement, le financement des services d’incendie et de secours, je rappelle qu’il s’agit d’un conflit social local et que l’État n’a pas à s’immiscer dans la gestion des collectivités locales ni de cet établissement public du service départemental-métropolitain. Je précise que le Beauvau de la sécurité civile du 11 décembre prochain débattra des moyens de financement des Sdis : l’État est un contributeur certes peu visible, néanmoins essentiel à leur financement, sous la forme notamment du reversement d’une part des primes d’assurance.
Pour conclure, je voudrais avoir une pensée pour le sapeur-pompier qui fait une grève de la faim depuis plusieurs jours. Le ministère de l’intérieur et les autorités préfectorales sont engagés pour répondre aux enjeux présents et futurs de la sécurité civile dans les territoires.
Mme Marie-Charlotte Garin
Avec quel argent ?
Avenir de la Fonderie de Bretagne
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Michel Jacques.
M. Jean-Michel Jacques
Hier, les salariés de la Fonderie de Bretagne à Caudan se sont rassemblés avec gravité et dignité car ils craignent pour leur avenir. Depuis 2022, suite au désengagement du groupe Renault, les salariés et la direction du site ont relevé avec brio deux défis majeurs : la modernisation de l’outil industriel et la diversification de son plan de charge. Grâce à l’aide de l’État et à la mobilisation des élus locaux, la Fonderie s’est ouverte à des productions stratégiques au-delà de l’automobile, telles que le ferroviaire, l’énergie, le mobilier urbain et la défense. Pourtant, l’avenir du site dépend encore du bon vouloir de Renault, qui doit lui garantir un volume de commandes suffisant jusqu’en 2028 et une aide financière légitime. Le groupe Renault ne doit pas oublier ce qu’il doit à notre nation : à chaque fois qu’il a été en difficulté, sa pérennité a été assurée grâce à l’argent public. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – M. Aurélien Rousseau applaudit également.)
M. Pierre Cordier
Il a raison ! Très bien !
M. Jean-Michel Jacques
Aujourd’hui, il est question de préserver 900 emplois directs et indirects, dont dépendent des centaines de familles, et de défendre le territoire et l’économie locale, ainsi que de notre capacité à renforcer notre souveraineté nationale. Nos emplois sont précieux : c’est pour cela que nous ne voulons pas augmenter le coût du travail, qui baisse notre compétitivité et contraint l’augmentation des salaires. Comment s’assurer que Renault continue à prendre ses responsabilités vis-à-vis de la Fonderie de Bretagne ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Pierre Cordier
Très bien, bravo ! Renault délocalise trop, monsieur le ministre !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
Je vous remercie pour votre question et votre engagement personnel en matière industrielle, militaire mais aussi civile, aux côtés de l’intersyndicale et des élus de votre territoire. Vous avez été reçu jeudi avec l’intersyndicale par le cabinet de Marc Ferracci pour rechercher une solution à une histoire qui n’a que trop duré. Après les péripéties que vous avez rappelées et les investissements de plus de 100 millions d’euros par l’entreprise Renault de 2010 à 2022, une cession est intervenue, qui aurait dû conduire à un nouveau futur grâce à la reprise de la Fonderie par une entreprise allemande. L’entreprise et la filière savent se diversifier : vous avez mentionné, au-delà de l’automobile, l’énergie – le gouvernement soutient évidemment ce type de transformation et de mutation.
Dans le cadre de la nouvelle proposition d’un fonds allemand, l’État est autour de la table pour convaincre les entreprises, dont Renault. Je profite de votre question pour annoncer que nous réunirons la semaine du 10 décembre un comité stratégique de filière sur l’industrie automobile. Sous l’autorité du premier ministre, ce gouvernement défend la protection du commerce et de l’industrie au niveau de l’Union européenne. Au niveau national, nous avons besoin que tous les acteurs jouent le jeu des relations contractuelles avec les équipementiers et les fournisseurs. Tout comme les Fonderies de Bretagne, qui assurent une identité industrielle et automobile extraordinaire à votre territoire, partout sur le territoire, les très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire doivent être préservées et accompagnées. C’est quand c’est difficile que les donneurs d’ordre doivent être aux côtés de leurs fournisseurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. Pierre Cordier
Il faudra le dire à Renault !
Moratoire sur les projets autoroutiers
Mme la présidente
La parole est à Mme Karen Erodi.
Mme Karen Erodi
Une fois de plus, la Macronie piétine le débat démocratique dans cette assemblée. En déposant près de 1 000 amendements, vous obstruez l’examen de notre texte visant à abroger la réforme des retraites adoptée par 49.3, à laquelle 90 % des travailleurs se sont opposés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Émilie Bonnivard
Mais oui, bien sûr !
Mme Karen Erodi
Résultat, en rupture avec toute tradition républicaine, vous obstruez notre niche parlementaire, nous empêchant d’examiner notre moratoire sur les projets autoroutiers. (Exclamations continues sur les bancs des groupes RN, DR, Dem et UDR.) Ce moratoire vous aurait pourtant permis de sortir la tête haute de votre embourbement dans le projet de l’A69, véritable symbole des écocides à ciel ouvert.
M. Thibault Bazin
On n’arrive pas à entendre la question !
Mme Karen Erodi
Des arbres centenaires ont été abattus, des sols ont été artificialisés, favorisant les inondations, des terres agricoles ont été sacrifiées au profit d’intérêts privés, et quasiment 500 millions d’euros d’argent public ont été gaspillés,…
M. Thibault Bazin
C’est une caricature !
Mme Karen Erodi
…tout cela pour seulement sept minutes de temps de trajet gagné et un prix de péage exorbitant, estimé à 20 euros l’aller-retour Toulouse Castres. Pour la population, c’est non. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Malgré les auditions de la commission d’enquête parlementaire, les alertes de 2 000 scientifiques sur les conséquences de ce projet, une enquête publique montrant que les habitants y sont à 90 % défavorables, et les conflits d’intérêts de certains de vos collègues, ici présents,…
M. Jean Terlier
Faites attention, c’est de la diffamation !
Mme Karen Erodi
…votre gouvernement s’obstine à soutenir ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean Terlier
Très inexact ! L’Assemblée nationale s’est prononcée contre !
Mme Karen Erodi
Pourtant, à la fin de la semaine dernière, la rapporteure publique du tribunal administratif de Toulouse a demandé l’annulation des autorisations environnementales et l’arrêt du chantier de l’A69. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) C’est une claque magistrale pour votre gouvernement qui sacrifie le vivant sur l’autel du béton. Le tribunal administratif rendra sa décision dans quinze jours. Monsieur le premier ministre, il est temps de rendre des comptes et d’abandonner purement et simplement ce projet écocidaire et antisocial. (Mêmes mouvements.) Combien faudra-t-il de rapports, de condamnations, de mobilisations et de blessés pour que vous arrêtiez cette course folle à la destruction contre l’intérêt général ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – M. Stéphane Hablot applaudit aussi.)
M. Thibault Bazin
La mise en cause personnelle est scandaleuse !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports
Tout d’abord, nous sommes dans un État de droit, dont la séparation des pouvoirs est un principe fondamental. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Un député du groupe LFI-NFP
Rappelez-le au ministre de l’intérieur !
M. François Durovray, ministre délégué
Il ne m’appartient donc pas de commenter une décision de justice et a fortiori les conclusions d’un rapporteur public devant le tribunal administratif de Toulouse. En revanche, je profite de votre question pour vous dire deux choses. Premièrement, ce projet autoroutier, qui a respecté l’ensemble des procédures (« Non ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP), est soutenu par les collectivités – la région Occitanie et le département du Tarn –, les Castrais et évidemment les acteurs économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Jean Terlier
Bien sûr !
M. François Durovray, ministre délégué
Deuxièmement, l’exécutif comme le Parlement doivent s’interroger sur les procédures engagées.
Mme Danièle Obono
Ce n’est pas un problème de procédures !
M. François Durovray, ministre délégué
En effet, l’empilement de procédures illisibles pour nos concitoyens et les autres acteurs peut conduire à des décisions qui soulèvent des difficultés pour le débat public et les dépenses publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) La question est la suivante : comment pouvons-nous, dans le respect de l’État de droit, simplifier les procédures dans le souci des entreprises de travaux publics et de l’environnement ? (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Karen Erodi.
Mme Karen Erodi
Décrétez un moratoire et le tribunal jugera. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean Terlier
C’est l’État de droit !
Charte européenne des langues régionales
Mme la présidente
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
J’associe à ma question, qui s’adresse à M. le premier ministre, mes collègues Peio Dufau et Inaki Echaniz. Devant l’Académie française, le président de la République a récemment déclaré que « les langues régionales sont un instrument de division de la nation ». Ces propos, qui m’ont meurtrie, ont blessé et mis en colère de très nombreux locuteurs de langues régionales – ceux de ma circonscription, où l’on parle deux langues régionales, le basque, qui est l’une des plus belles langues du monde, et le gascon, tout comme les locuteurs bretons, alsaciens, nissarts, créoles et corses. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LIOT.)
M. Fabien Di Filippo
Elle a oublié les Lorrains !
Mme Colette Capdevielle
Ce discours devant l’Académie montre tout le mépris d’une élite et traduit une conception intégriste de la République, où l’universel ne peut laisser aucune place à la reconnaissance des particularismes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT.) Quand la France respectera-t-elle enfin ses engagements européens en ratifiant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – dont M. Retailleau ne veut pas –, pour protéger ces dernières grâce à un statut durable et adapté ?
M. Thibault Bazin
Il faut déjà maîtriser le Français !
Mme Colette Capdevielle
Comme le dit Mona Ozouf, la République a décidément du mal à « se défaire de son surmoi jacobin ». Malgré l’entreprise de destruction massive engagée sous la IIIe République, nos langues régionales ont résisté. Nous assistons même à leur renaissance avec le développement des premières écoles bilingues diwan, calendreta, ikastola. Le lien linguistique, partout où il existe, perdure envers et contre tout – et contre tous. Il persévère pour se pratiquer, se partager et se transmettre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT.) La France devrait être fière de cette mosaïque de langues qui sont les trésors de notre patrimoine vivant et constituent un facteur d’enrichissement et surtout de cohésion sociale dans nos territoires.
Que comptez-vous faire pour sauver et développer nos langues régionales ? Milesker. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel.
M. Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel
Vous avez raison, les langues régionales font partie des trésors de notre pays – de notre nation – et sont partie intégrante de notre patrimoine culturel. Elles sont d’ailleurs consacrées dans notre Constitution – c’est sans doute le symbole le plus fort que l’on puisse trouver. Apprendre une langue régionale est toujours une richesse pour un enfant, un individu, un citoyen français, et c’est une preuve d’enracinement – d’attachement au sol de France. Cela fait partie de la richesse culturelle et linguistique de nos territoires, dont nous sommes fiers. C’est un facteur de cohésion mais aussi de fierté locale, auquel nous sommes attachés.
M. Inaki Echaniz
Prouvez-le !
M. Alexandre Portier, ministre délégué
Dans nos écoles, plus de 168 000 élèves apprennent des langues régionales : le basque, qui vous est cher, mais aussi le breton, le corse, le catalan, l’occitan Languedoc, les langues régionales d’Alsace et des pays mosellans.
M. Thibault Bazin
Ben oui !
M. Alexandre Portier, ministre délégué
Cet apprentissage s’opère évidemment en accord avec les principes de la République – tout cela est compatible, s’accorde et fait la richesse de notre nation. Cet enseignement peut être dispensé à parité entre les horaires d’enseignement en français et en langue régionale, ce qui est une force et fonctionne. Nous sommes là pour le développer et le promouvoir. S’agissant de l’enseignement du basque en particulier – sujet qui vous concerne au premier chef –, près de 17 000 élèves apprennent cette langue, soit un tiers des élèves du Pays basque.
M. Inaki Echaniz
Ce n’est pas la question ! Nous savons tout cela !
M. Alexandre Portier, ministre délégué
Depuis des années, le mouvement a été accompagné pour permettre ce développement. Près de 70 % des établissements le proposent dans le premier degré, contre 42 % il y a vingt ans. Si ce n’est pas un signe de bonne volonté, je ne sais pas ce que c’est.
M. Inaki Echaniz
Et la ratification ?
M. Alexandre Portier, ministre délégué
Du côté des services de l’État, le dialogue est nourri : les services académiques sont mobilisés pour accompagner la promotion et l’enracinement des langues régionales dans nos territoires. La ministre Anne Genetet recevra en décembre les représentants de l’office public de la langue basque pour poursuivre le travail en ce sens. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Du côté des services de l’éducation nationale, tout est sur la table pour avancer ensemble dans le renforcement de nos langues régionales.
Mme la présidente
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Vous n’avez pas toujours répondu à ma question principale : quand vous mettrez-vous véritablement au travail pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe GDR. – M. Erwan Balanant fait de la main un signe signifiant que l’on tourne en rond.)
Irresponsabilité budgétaire
Mme la présidente
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller
Monsieur le premier ministre, depuis votre nomination en septembre, vous avez décidé de dire la vérité aux Français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.) Hier, au journal de TF1, vous avez rappelé à quel point le moment que nous vivons est grave. Les Français méritent mieux qu’une alliance contre nature entre une gauche totalement dominée par Jean-Luc Mélenchon et sa France insoumise, qui veut fracturer le pays et augmenter les impôts, et le Rassemblement national. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous entendons leurs attentes et nous devons y répondre avec sérieux et responsabilité. Notre groupe, la Droite républicaine, appelle donc à un sursaut pour un soutien au monde économique et une meilleure gestion de l’argent public. Jusqu’à la dissolution en juin, des résultats économiques positifs étaient observés, en particulier des investissements importants d’entreprises étrangères en France.
M. Frédéric Boccaletti
Et maintenant vous défendez le bilan d’Emmanuel Macron ! Chapeau !
Mme Virginie Duby-Muller
Par exemple, lors du sommet Choose France en mai, un engagement de 15 milliards d’investissements étrangers, 56 projets d’entreprises et 10 000 créations d’emplois en perspective avaient été annoncés. Ce sont des chiffres, rien que des chiffres, qui témoignent d’un retour de l’attractivité économique de la France à l’international, dans des domaines très variés comme la Tech ou l’industrie décarbonée, que la gauche de François Hollande avait voulu casser. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Avec les nouveaux équilibres politiques dans cet hémicycle, l’instabilité menace la confiance des acteurs économiques. Or toute votre carrière démontre que vous êtes un homme de dialogue et un bâtisseur de consensus.
Un député du groupe DR
Eh oui !
Mme Virginie Duby-Muller
Des textes ont déjà pu être adoptés dans cette assemblée, dans un esprit de responsabilité. Il y a donc toujours une voie possible vers l’intérêt général.
Un député du groupe DR
Très bien !
Mme Virginie Duby-Muller
En ces temps troublés, seul l’intérêt de la France doit guider nos actions et nous rassembler. Sachez que vous trouverez toujours le groupe de la Droite républicaine à vos côtés dans l’effort de redressement du pays, loin des idéologies, du sectarisme et de la volonté de chaos des uns et des faux-semblants des autres, qui n’ont pas à cœur l’intérêt supérieur de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Inaki Echaniz
On ne vous a pas beaucoup vus pendant la discussion budgétaire !
Mme Virginie Duby-Muller
Comment comptez-vous redonner confiance aux entreprises et restaurer la stabilité économique et politique nécessaire pour favoriser la croissance et les investissements dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.– M. Christophe Blanchet applaudit également.)
Mme Danièle Obono
Il n’y a que cela qui vous intéresse !
M. Jean-Paul Lecoq
Vous étiez où pendant la discussion budgétaire ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics.
M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
Vous avez raison de rappeler qu’il faut protéger les conditions de croissance et d’investissement dans notre pays, dans le contexte du nécessaire redressement de nos comptes publics. Je vous remercie d’avoir rappelé que la France, en comparaison avec d’autres pays européens, a su traverser les crises avec une résilience admirable. Nous le devons d’abord à nos entrepreneurs mais aussi à des choix collectifs que vous avez soutenus quand nous avons protégé l’emploi et fait en sorte que l’activité de notre pays perdure, quand nous avons pris des décisions courageuses mais coûteuses qui nécessitent justement, dans la responsabilité qui est la nôtre aujourd’hui, le redressement des comptes publics.
M. Jean-Paul Lecoq
Elle n’était pas là pendant la discussion du budget, elle ne peut pas le savoir !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
La première des conditions pour garantir les investissements futurs et préserver notre croissance est donc de saluer cette faculté de résilience. La deuxième condition est de savoir redresser les comptes publics – c’est nécessaire pour les entreprises. Pierre Mendès France…
M. Mickaël Bouloux
Ah non !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
…disait qu’un pays qui ne sait pas redresser ses comptes est un pays qui s’abandonne. L’ensemble des entrepreneurs attend de nous des preuves de sérieux, non par une augmentation aberrante de la fiscalité, comme l’examen du projet de loi de finances en première lecture en a fait la démonstration dans cet hémicycle, notamment à l’initiative du Nouveau Front populaire.
M. Mickaël Bouloux
Qui est au pouvoir, là ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Prenons deux exemples totalement contraires à l’activité et à la croissance : la remise en cause de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et la remise en cause du pacte Dutreil. Vous savez à quel point ces mesures sont cruciales pour les chefs d’entreprise et vous avez eu raison, au sein du socle commun, de rejeter en première lecture un texte qui allait totalement à l’encontre de l’investissement et de la croissance.
M. Jean-Pierre Vigier
Eh oui ! Il a raison !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Il est important d’être à l’écoute des entrepreneurs…
M. Aurélien Rousseau
Et du Parlement !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
…pour la suite de l’élaboration du budget.
M. Jean-Pierre Vigier
Il le faut !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Nous avons dit – le premier ministre en tête – que le texte du projet de loi de finances était perfectible et nous avons entendu également les alertes relatives au coût du travail. En ce moment même, une commission mixte paritaire se réunit pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; le gouvernement est prêt à évoluer sur la question des allégements généraux de cotisations patronales, pour s’assurer que le redressement des comptes publics ne soit pas contraire au maintien de l’activité et de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Agissements de Total au Mozambique
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Au Mozambique se trouvent des ressources de gaz importantes et des entreprises qui souhaitent les exploiter.
M. Pierre Cordier
Ça, c’est un sujet qui intéresse les Français !
Mme Sandrine Rousseau
Les dealers cherchent toujours, de toutes les manières possibles, à faire de l’argent en vendant aux drogués leurs produits, quelle que soit leur provenance. De même, Total semble prêt à tout pour fournir les énergies fossiles auxquelles nous sommes accros. Mais à la manière de la lutte contre les drogues, il est aussi important de lutter contre le trafic international de ces énergies fossiles, le pétrotrafic, que de diminuer nos addictions.
M. Thibault Bazin
Comment peut-on comparer la drogue et l’énergie ?
Mme Sandrine Rousseau
La situation au Mozambique est grave. Des milliers de civils ont été massacrés lors d’exactions commises par des rebelles islamistes et par les forces d’un gouvernement autoritaire : décapitations, viols, mutilations, enlèvements, tortures, exécutions, y compris d’enfants. Au Mozambique comme en Ouganda et en Tanzanie, pays traversés par le projet Eacop d’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est, également soutenu par Total, des réserves naturelles sont menacées. Les militants écologistes ou des droits humains y sont l’objet de représailles et risquent littéralement leur vie. Deux articles publiés par Politico et Le Monde révèlent que des soldats à la solde de Total se sont rendus coupables de tortures et de crimes sur des civils.
M. Pouyanné a été décoré de la Légion d’honneur le 14 juillet 2023, signe que l’entreprise est un fleuron français et que son PDG une figure reconnue. Pourtant, Total est le bras armé d’un néocolonialisme éhonté, extra-activiste et climaticide. Ma question au ministre de la justice est simple : pourriez-vous demander au parquet qu’il se saisisse du dossier et enquête sur ces faits ? Le droit vous y autorise ; l’éthique nous y oblige. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et SOC. – Mme Gabrielle Cathala et M. Marcellin Nadeau applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
Je ne vous rappellerai pas le droit : vous savez que le garde des sceaux – encore moins que tout autre – n’a pas le droit de donner des instructions individuelles dans le cadre de procédures judiciaires, même pas au parquet.
M. François-Noël Buffet, ministre des outre-mer
Eh oui !
M. Pierre Cordier
Elle a redoublé sa première année de droit, ou quoi ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux
Vous soulevez un vrai problème, celui du narcotrafic. Le ministre de l’intérieur et moi-même avons annoncé plusieurs mesures pour lutter contre les narcotrafiquants, ces criminels…
Mme Sandrine Rousseau et Mme Marie-Charlotte Garin
Nous parlons de pétrotrafic !
M. Didier Migaud, garde des sceaux
Toutes les formes de trafic doivent être combattues avec la plus grande véhémence de la part de l’État, à partir du moment où les faits sont prouvés. Et une fois de plus, je ne peux pas vous répondre sur des affaires individuelles et je ne peux pas donner d’instruction à un parquet. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Total est en train de piller et de détruire une partie des pays d’Afrique, parce qu’il se sent légitime à aller y chercher les ressources dont nous avons besoin pour notre développement.
M. Pierre Cordier
Votre costume, il n’est pas fabriqué avec du pétrole, peut-être ? Mme Rousseau n’a pas de voiture ?
Mme Sandrine Rousseau
Il est véritablement temps que la justice française, au nom du peuple français, regarde ce que font les entreprises françaises dans des pays étrangers où tous les droits semblent permis. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, SOC et GDR.)
M. Boris Vallaud
C’est un devoir de vigilance !
Situation dans les outre-mer
Mme la présidente
La parole est à M. Frantz Gumbs.
M. Frantz Gumbs
Nous pouvons tous en convenir : la France est en souffrance. Son école souffre, son système de santé, sa démographie et son budget aussi, entre autres. Cette souffrance est décuplée dans les outre-mer et s’exprime parfois dans la colère. Ces collectivités – chacune avec ses spécificités – sont confrontées à des défis immenses qui touchent à leur développement économique, leur cohésion sociale et leur confiance dans l’État. J’ai l’impression que nous sommes trop nombreux dans cet hémicycle à ne pas en avoir suffisamment conscience. Lors du congrès annuel de l’Association des maires de France, les élus des collectivités ultramarines ont exprimé l’ampleur des souffrances économiques et des inquiétudes sociales qui affectent leurs territoires : il est indispensable de les entendre, de les respecter et de les traiter avec sincérité.
Vous avez annoncé lors de ce congrès votre intention de mener une « bataille budgétaire » et promis des résultats visibles dès le premier trimestre 2025. Nous saluons cette ambition mais les attentes sont pressantes et les ultramarins n’ont plus le luxe d’attendre. Pouvez-vous, monsieur le ministre des outre-mer, préciser les mesures concrètes que vous prendrez à court terme pour répondre aux urgences économiques et sociales ? Par ailleurs, si les moyens financiers sont nécessaires, ils ne suffiront pas. Il est impératif de lever les freins réglementaires, de s’adapter aux réalités locales et de privilégier les solutions issues du terrain. Ces actions exigent un véritable engagement de long terme. Comment comptez-vous construire une relation de confiance durable avec les collectivités et les citoyens ultramarins, alors même que depuis quelque temps, les gouvernements changent plus souvent que rarement ? Les outre-mer attendent des actes concrets et porteurs d’espoirs. Sur quels actes concrets pouvez-vous vous engager aujourd’hui ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR. – Mme Béatrice Bellay et M. Marcellin Nadeau applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. François-Noël Buffet, ministre des outre-mer
Il me faudrait plus de deux minutes pour répondre à votre question qui est extrêmement large, mais vous avez raison : la situation appelle une réponse concrète, à la fois à court, moyen et long termes. Tel est bien notre objectif. S’agissant des réponses immédiates, le gouvernement a déposé un amendement au projet de loi de finances pour instaurer une exonération de TVA sur une liste de produits essentiels, dans le cadre du protocole d’accord sur la vie chère. De plus, le projet de loi de financement de la sécurité sociale intègre une prise en compte de la spécificité ultramarine dans le financement de la dépendance. Cette disposition a été votée hier soir par le Sénat et je salue mon collègue Paul Christophe qui siégeait sur le banc des ministres.
En outre, un dispositif au bénéfice des jeunes ultramarins souhaitant revenir sur leur territoire sera déployé dans les semaines à venir. S’agissant du soutien de l’État aux compétences de la collectivité de Saint-Martin – qui, je l’imagine bien, vous intéresse particulièrement – pour répondre au problème du logement, le groupement d’intérêt public foncier tant attendu sera créé prochainement. Je pourrais continuer à égrener, comme dans une liste à la Prévert, toutes les mesures concrètes déjà prises ou qui le seront après le vote du budget. Je rappelle d’ailleurs l’engagement pris par mon collègue Laurent Saint-Martin il y a trois semaines, selon lequel l’épure du projet de budget pour 2025 tend finalement à se rapprocher de celui de 2024 en ce qui concerne les outre-mer. Le gouvernement consent là un progrès considérable, alors que la lettre plafond était beaucoup plus contraignante, avec une baisse de 37 % sur le programme 123. Pour construire une vision, le comité interministériel des outre-mer sera utile. Enfin, vous plaidez pour la stabilité du ministre des outre-mer. Je ne peux que saluer votre intention. (Sourires.) Malheureusement, elle dépendra de vous tous. Si je lis la presse, je m’interroge, mais quand j’entends votre souhait, je me rassure. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Fonctionnement de la Carsat
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Je veux saluer le travail réalisé par l’ensemble des agents de la caisse d’assurance retraite et de santé au travail, qui effectuent une mission difficile. En effet, les informations données aux futurs retraités sont loin d’être simples à comprendre et les modifications entrées en vigueur en 2023 ont encore ajouté à cette complexité. Il n’est pas rare qu’un salarié reçoive un courrier de la Carsat lui indiquant qu’il peut prendre sa retraite, puis qu’il reçoive quelques mois plus tard un second courrier lui notifiant finalement qu’il lui manque un certain nombre de trimestres pour faire valoir ses droits à la retraite. C’est alors la douche froide : il faut retrouver un travail et, bien souvent, rembourser les retraites complémentaires versées dès la réception du premier courrier. D’autres salariés apprennent au contraire qu’ils auraient pu prendre leur retraite un an ou deux auparavant, alors qu’ils l’ignoraient. Manifestement, ces difficultés sont dues à un manque de personnel et à un recours à des contractuels pour des missions de courte durée – contractuels qui ne disposent pas des capacités ou des informations nécessaires pour bien informer les futurs retraités. Madame la ministre du travail et de l’emploi, comment comptez-vous faire cesser ces dysfonctionnements pour que nos concitoyens ne soient pas pris au dépourvu ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LIOT et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l’emploi
Votre question, même si elle est très spécifique, me permet d’évoquer plus généralement le sujet des retraites. Comme il l’avait annoncé lors de sa déclaration de politique générale, le premier ministre a souhaité ouvrir une concertation avec les partenaires sociaux, dans le cadre des équilibres existants, sur les aménagements justes et raisonnables en matière d’usure professionnelle, d’égalité entre les femmes et les hommes, s’agissant également des pensionnés et des polyretraités.
M. Jean-Paul Lecoq
La question porte sur la Carsat !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Je vais y venir.
C’est la raison pour laquelle j’ai envoyé en début de semaine un courrier aux partenaires sociaux, afin d’ouvrir cette concertation. Je propose d’intégrer à son ordre du jour la question de la qualité des informations donnée aux futurs pensionnés comme aux pensionnés, pour réparer les dysfonctionnements que vous signalez, parce qu’ils sont particulièrement importants et préjudiciables à leur quotidien.
Au-delà de votre question très précise, je rappelle que le projet de loi de financement de la sécurité sociale intègre une amélioration pour la retraite des salariés non agricoles, conformément à un engagement pris en janvier dernier…
M. Julien Dive
Conformément à la loi !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
…selon lequel leur retraite sera alignée sur le régime général au cours des vingt-cinq prochaines années. Grâce à un amendement voté par le Sénat, la mesure va s’appliquer dès 2026 à 90 % des personnes concernées. Des progrès importants sont donc engagés. Je sais aussi que demain, nous débattrons des retraites dans cet hémicycle. Avec mon collègue Laurent Saint-Martin, nous essaierons de vous convaincre que cette question repose principalement sur le dialogue social, que nous souhaitons relancer avec les partenaires sociaux – et le fonctionnement de la Carsat fera bien partie des questions à traiter avec eux.
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Nous saluons l’accord conclu entre les partenaires sociaux sur un certain nombre de questions. Nous avons déjà rencontré ce type de problème avec le régime social des indépendants, également par défaut de formation du personnel. Des efforts avaient alors été faits avant d’intégrer le RSI à la sécurité sociale. La résolution de ces dysfonctionnements est particulièrement nécessaire, parce que dire à quelqu’un qu’il doit retrouver un travail et rembourser les retraites complémentaires déjà perçues, c’est tout simplement insupportable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LIOT et SOC. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
Quatrième plan national maladies rares
Mme la présidente
La parole est à Mme Isabelle Rauch.
Mme Isabelle Rauch
J’associe à ma question Jérémie Patrier-Leitus et tous mes collègues du groupe Horizons & indépendants.
Ce week-end, les 29 et 30 novembre, la France se mobilise pour le Téléthon, un événement emblématique qui, depuis des décennies, incarne la solidarité et l’espoir pour des milliers de familles touchées par une maladie rare. Le Téléthon n’est pas seulement une collecte de fonds ; c’est une célébration de la résilience humaine, une démonstration que, face à l’adversité, l’union fait la force. Chaque don, chaque geste, chaque heure passée bénévolement pour cette cause contribue à bâtir une médecine nouvelle, à offrir des traitements innovants et à changer la vie de milliers de malades. Nous tenons à saluer tous les bénévoles engagés pour le Téléthon 2024, en ce moment comme tout au long de l’année. Merci à eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
Pourtant, à l’heure où nous célébrons cette mobilisation citoyenne, une question demeure : où en est le quatrième plan national maladies rares ? Annoncé en mars, il doit renforcer le développement des thérapies et de l’innovation, afin que l’accès au traitement devienne une réalité pour tous. En 2024, poser un diagnostic de maladie rare reste un enjeu majeur et, malgré d’immenses avancées, seules 5 % des maladies rares font l’objet d’un traitement spécifique. Madame la ministre de la santé et de l’accès aux soins, que compte faire le gouvernement pour qu’aucun projet de développement de thérapeutiques pour des maladies rares ou ultra-rares ne soit interrompu ou ralenti faute de modèle commercial adapté ?
Il est impératif que le gouvernement publie sans délai ce quatrième plan national maladies rares. Les familles, les chercheurs, les associations et tous les acteurs impliqués dans la lutte contre les maladies rares attendent des actions concrètes.
Chaque année, le Téléthon prouve que lorsque la société se mobilise, des barrières qui semblaient infranchissables peuvent être surmontées. Cette dynamique doit être accompagnée d’une volonté politique forte et d’engagements concrets pour transformer cette énergie collective en solutions durables pour les malades et leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Stella Dupont et M. Julien Dive applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins
Merci d’avoir parlé du Téléthon qui, vous l’avez dit, n’est pas seulement une collecte mais un rendez-vous incontournable pour tous les Français depuis de nombreuses années. Il permet de sensibiliser nos concitoyens et de donner espoir aux malades. Je m’associe à vous pour saluer les bénévoles.
Le quatrième plan national maladies rares est en cours de finalisation. Sa publication est prévue pour le premier trimestre 2025, donc bientôt. Il a été construit avec tous les acteurs concernés – professionnels de santé, chercheurs, familles et associations de patients – et a fait l’objet d’un travail commun des ministères de la santé, de la recherche et, pour la première fois, de l’industrie – afin d’y inclure les thérapies innovantes –, ainsi que de leurs agences.
L’accès aux traitements innovants, sujet majeur, sera une priorité du plan, qui comprendra aussi un volet européen concernant les pathologies ultra-rares. Dans le cadre du PLFSS pour 2025, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie inclut son financement à hauteur de 223 millions d’euros. Ces crédits serviront par exemple à la nouvelle labellisation des centres de référence maladies rares, dont le financement est déjà effectif depuis 2024.
Enfin, l’accès au traitement pour les maladies rares ou ultra-rares est un des quatre axes directeurs du plan. Un travail est en cours pour permettre, dans le cadre d’une prise en charge spécifique, l’accès financé par l’assurance maladie à des traitements pour maladie rare ne bénéficiant pas d’une autorisation de mise sur le marché. Enfin, nous développons la collecte des données en vie réelle, capitale pour l’accès à la thérapie.
Nous traitons donc cette question, non seulement financièrement mais aussi par une approche plus complète intégrant l’industrie et la recherche.
Mme la présidente
La parole est à Mme Isabelle Rauch.
Mme Isabelle Rauch
Merci pour votre réponse. Nous espérons que ce plan verra le jour et ne sera pas interrompu, car les malades, les familles et les chercheurs en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mmes Céline Calvez et Stella Dupont applaudissent également.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Clémence Guetté.)
Présidence de Mme Clémence Guetté
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) relatif à l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs du CEC, les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Cazenave, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
M. Thomas Cazenave, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Briser les déterminismes, garantir l’égalité des chances, accompagner les aspirations de notre jeunesse, permettre à chacun de réaliser son potentiel, former aux métiers de demain : la politique publique de l’orientation est essentielle, comme nous devons le reconnaître pour bien la conduire. Les travaux que nous avons menés avec Hendrik Davi entre novembre 2022 et décembre 2023 nous ont amenés à dresser un constat sévère, celui d’un immense gâchis collectif.
En effet, près d’un tiers des élèves n’est pas accompagné dans le processus d’orientation. Parmi les lycéens, 83 % sont angoissés au moment de formuler les vœux sur Parcoursup. La moitié des étudiants inscrits en L1 n’obtiennent pas leur licence au bout de trois ou quatre ans. Le processus d’orientation ne parvient pas à briser les inégalités sociales : dans les établissements défavorisés, 54 % des élèves font leurs choix seuls sur Parcoursup. Un constat similaire doit être dressé à propos des inégalités de genre : le nombre de femmes est trop faible dans les filières scientifiques et l’autocensure est toujours très présente. En outre, les inégalités territoriales sont flagrantes : alors que certaines régions investissent massivement dans l’accompagnement à l’orientation, d’autres peinent à mobiliser les ressources nécessaires.
La politique publique d’orientation est actuellement en échec car elle n’a pas de cap. Reconnaissons-le : l’orientation est devenue un maquis complexe, où se croisent trop d’acteurs, aux rôles redondants, mal définis, parfois contradictoires. Chefs d’établissement, professeurs principaux, psychologues de l’éducation nationale, professeurs documentalistes, centres d’information et d’orientation (CIO), Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep), régions, services de l’État : tous interviennent, mais rarement de manière coordonnée. Cette dispersion des responsabilités génère une confusion et surtout le sentiment d’une politique publique sans objectif clairement défini et donc très difficile à évaluer. Les acteurs eux-mêmes peinent à définir les objectifs qu’ils poursuivent et donc à mesurer leurs résultats.
Face à cette confusion, Parcoursup est une victime toute trouvée. La plateforme a pourtant apporté des améliorations notables, notamment avec l’instauration de quotas de boursiers et une meilleure mobilité dans les filières en tension. L’information sur les filières et l’orientation n’a jamais été aussi exhaustive ou d’aussi bonne qualité. Malgré les inquiétudes, les retours des utilisateurs de la plateforme montrent que le résultat est souvent meilleur qu’attendu. Parce que nous ne préparons pas assez bien les élèves et leurs familles au moment de leur choix, la plateforme cristallise les tensions et les mécontentements.
Tout se joue pourtant avant. Il nous revient de préparer les élèves en leur offrant les outils et les clés nécessaires pour envisager sereinement leur avenir. Cela suppose un accompagnement renforcé, dès le lycée, pour faire en sorte que chaque jeune ait accès à une orientation éclairée et personnalisée. Il est urgent de bâtir une véritable politique publique de l’orientation.
D’abord, il faut redéfinir les rôles de chacun : face à l’éclatement des responsabilités, il est urgent de redéfinir un cap. Nous proposons la création d’un délégué interministériel à l’orientation, qui incarnera cette politique et pilotera les différents outils nécessaires, notamment l’Onisep et le programme Avenir(s).
Le deuxième volet est le temps consacré à la préparation des élèves à l’orientation. Pour garantir un suivi effectif, les cinquante-quatre heures dédiées à l’orientation au lycée doivent être garanties et inscrites dans la dotation horaire globale (DHG) des établissements, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ensuite, il faut que les professeurs soient en mesure de répondre aux sollicitations des élèves, car l’orientation est au cœur de leur mission. Pourtant, 85 % des professeurs principaux ne sont pas formés à cette tâche. La formation des enseignants, initiale et continue, doit être rendue obligatoire sur le sujet.
Enfin, il me paraît indispensable de renforcer les liens entre les lycées et le monde extérieur. L’ouverture des établissements aux acteurs de qualité, pour une meilleure découverte des métiers et des formations, doit être encouragée.
Chers collègues, la politique publique de l’orientation est cruciale. Elle est urgente pour nos jeunes et déterminante pour notre avenir. Je tiens ici à saluer la volonté affichée des ministres de travailler avec les parlementaires et les acteurs sur ce sujet en lançant une consultation qui, je l’espère, monsieur le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous permettra d’aboutir à une réforme ambitieuse.
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
M. Hendrik Davi, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Pourquoi débattre aujourd’hui de l’accès à l’enseignement supérieur ? Notre pays est à un tournant : les gouvernements successifs ont méthodiquement désorganisé les services publics de l’orientation et de l’enseignement supérieur, mais il est encore temps de faire machine arrière.
Quelle logique a présidé à cette désorganisation ? Premièrement, remplacer la qualification et le diplôme par le portefeuille de compétences. L’idée est de former des jeunes facilement employables par les entreprises. L’orientation vise seulement à convaincre les jeunes de se former pour les métiers disponibles sur leur territoire.
Deuxièmement, marchandiser l’offre d’enseignement supérieur. Auparavant, nous avions des universités délivrant des diplômes définis nationalement et ayant tous la même valeur dans les conventions collectives. À présent, une multiplicité d’acteurs publics et privés sont en concurrence pour délivrer une myriade de diplômes et de certifications professionnelles. Auparavant, nous garantissions à chaque bachelier une place en licence dans l’université de proximité. À présent, avec Parcoursup, toutes les filières sont en réalité sélectives. Près de 100 000 bacheliers quittent Parcoursup sans avoir trouvé une formation qui leur convienne sur la plateforme. Avec la plateforme Mon Master, près de 40 000 étudiants ayant une licence ne peuvent pas trouver de places en master. J’ai auditionné une étudiante en psychologie qui a obtenu sa licence avec mention très bien, mais qui n’a pas trouvé de places en master. C’est un comble, alors que nous constatons chaque jour la pénurie de psychologues, notamment dans les centres médico-psychologiques (CMP) et alors que nous peinons à recruter des psychologues de l’éducation. Je pense aussi à Clara, cette lycéenne – encore une femme – qui, avec une mention très bien au bac et 17 de moyenne en terminale, n’a pas obtenu de place pour devenir infirmière.
Quelles sont les conséquences de ce modèle qui met en concurrence les élèves et les établissements à tous les niveaux ? D’abord, c’est le stress généralisé pour les élèves et leurs familles, et ce dès le collège, pour choisir les disciplines qu’ils étudieront au lycée. Le stress persiste au lycée au moment des vœux sur Parcoursup, puis à la fin de la licence pour trouver une place en master. Les discriminations se renforcent. D’abord, les femmes sont exclues des sciences en général et des mathématiques en particulier. En outre, les universités qui accueillent les classes populaires ont moins de moyens. Une conséquence de tout cela est l’explosion de la précarité. Des étudiants dorment sous la tente, dans des campings, dans des centres d’hébergements d’urgence, quand ce n’est pas dans la rue.
Mais à ce petit jeu, tout le monde n’est pas perdant. Des grands groupes comme Galileo Global Education profitent de la sélection et de la manne de l’apprentissage. Le privé lucratif offre aux déçus de Parcoursup des formations ubérisées peu qualifiantes.
Pourquoi refonder le service public de l’enseignement supérieur ? Ma conviction profonde est que nous avons besoin de produire plus de connaissances scientifiques et de procurer à notre jeunesse des qualifications de qualité, du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au doctorat. Nous avons besoin de plus de savoirs, dans un monde de fake news. Le savoir critique enseigné à l’université est émancipateur. C’est un pilier de notre démocratie. Nous avons besoin de plus d’ingénieurs, de physiciens, de biologistes ou de sociologues (M. Arnaud Saint-Martin applaudit) pour relever les défis du moment, notamment le changement climatique et la crise de la biodiversité. Nous avons besoin de plus de médecins, de pharmaciens ou d’infirmières pour en finir avec les déserts médicaux et pour faire face au vieillissement de la population.
Comment rendre les études plus accessibles et mieux orienter les élèves ? C’est en partie l’objet du rapport coécrit avec Thomas Cazenave et de la proposition de loi que j’ai déposée dans la foulée. Nous n’avons pas besoin d’une grande concertation nationale, comme le propose le ministre, mais de moyens. Comme l’a dit Thomas Cazenave, nous devons avoir un pilote dans l’avion : un délégué interministériel à l’orientation qui préside aussi l’Onisep.
Personnellement, je pense que l’information à l’orientation ne doit pas rester une mission des régions, car elles la délèguent trop souvent à des acteurs privés. Nous avons ainsi découvert que des intervenants au lycée ont parfois aussi des boîtes de coaching pour Parcoursup ! Le nombre de centres d’information et d’orientation doit, lui, être augmenté. Enfin, comme l’a dit Thomas Cazenave, nous devons renforcer l’accompagnement à l’orientation. Actuellement, il n’y a qu’un psychologue de l’éducation pour 1 200 élèves, soit un ou deux par lycée. Il faut au moins doubler leurs effectifs. Nous devons mieux former les professeurs principaux, afin qu’ils ne contribuent pas à reproduire les inégalités. Pour que la poursuite des études redevienne un droit, nous devons aussi en finir avec la sélection en licence. Pour cela, je prévois dans la proposition de loi que j’ai déposée une plateforme réservée aux établissements publics et susceptible de garantir une place en licence dans l’université de proximité – le dispositif est assez simple.
Cependant, avoir l’ambition du savoir en partage ne peut se faire à moyens constants, monsieur le ministre. Des moyens supplémentaires sont absolument nécessaires. En effet, il faut commencer par sortir les étudiantes et les étudiants de la pauvreté avec une vraie allocation d’autonomie. Il faut également rendre gratuits les repas servis par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour que les étudiants ne dépendent pas de l’aide alimentaire, et lancer un vaste plan de construction de 15 000 logements étudiants par an. Pour accueillir tous les étudiants, il faut titulariser les contractuels qui exercent des fonctions pérennes, recruter massivement des personnels et en finir avec le statut inique des vacataires.
Enfin, pour retrouver une lisibilité des diplômes, ils doivent être définis nationalement. Actuellement, ni les familles, ni les étudiants, ni les employeurs ne s’y retrouvent. Personne ne sait plus quelles sont les connaissances acquises. Pour préparer notre jeunesse au monde de demain, il faut une population bien formée, capable de s’adapter aux changements dans les techniques et les métiers. Donnons-nous en les moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Arnaud Saint-Martin applaudit également.)
Mme la présidente
Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Delphine Lingemann.
Mme Delphine Lingemann (Dem)
Je suis très heureuse de pouvoir m’exprimer au nom du groupe Les Démocrates sur l’accès à l’enseignement supérieur. En effet, bien qu’elle soit peu évoquée dans le débat public, la question de l’orientation du secondaire vers les études supérieures est pourtant décisive : 950 000 candidats avaient ainsi déposé au moins un vœu sur la plateforme d’affectation Parcoursup l’année dernière.
Le rapport de la mission d’évaluation sur l’accès à l’enseignement supérieur dresse plusieurs constats que nous partageons sur la question de l’orientation des parcours académiques. Il relève le manque de pilotage national et la multiplicité des acteurs, le transfert de compétences variable selon les régions et l’affaiblissement de l’Onisep qui en résulte, l’accompagnement hétérogène des élèves et le poids des déterminismes sociaux.
Dès 2018, la création de la plateforme unique Parcoursup a pourtant permis d’améliorer sensiblement l’orientation des futurs étudiants en réformant l’accès à l’enseignement supérieur. En premier lieu, elle a accru la transparence des procédures d’affectation, car les critères d’admission sont indiqués pour chaque formation. Avant Parcoursup, un tirage au sort était pratiqué pour départager les candidats dans les filières en tension, une procédure complètement injuste et inéquitable.
En second lieu, elle a amélioré la lisibilité. En effet, Parcoursup centralise un nombre toujours plus important d’offres de formation : en 2018, 13 000 formations étaient ainsi référencées ; ce nombre s’élève à présent à 23 000. Parcoursup est désormais incontournable pour que se rencontrent culture scolaire et universitaire.
Les efforts collectifs doivent néanmoins se poursuivre pour lutter contre les phénomènes d’autocensure et contre les inégalités sociales, territoriales ou économiques. Je voudrais tout d’abord évoquer la question de l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur. Elle reste bien souvent théorique. Le poids des stéréotypes de genre, qui apparaît dès le plus jeune âge, demeure important. Si les étudiantes sont majoritaires – elles représentent 56 % des effectifs – et se sont imposées dans certaines filières scientifiques comme la médecine ou les sciences de la vie, elles restent minoritaires dans d’autres formations, comme les écoles d’ingénieurs ou la filière technologique, où elles représentent un peu moins de 30 % des effectifs.
Élue d’un territoire rural, le Puy-de-Dôme, je tiens aussi à souligner l’existence d’inégalités territoriales dans l’accès à l’enseignement supérieur. En effet, à résultats scolaires égaux – voire meilleurs –, les bacheliers originaires des espaces ruraux se dirigent bien moins que leurs homologues urbains vers les filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur. Il me semble donc nécessaire de renforcer le soutien à la mobilité académique des jeunes des territoires ruraux, qui s’autocensurent trop souvent.
Ces inégalités entre territoires se traduisent aussi par une plus faible implantation des services universitaires dans les territoires ruraux. En ce sens, le groupe Démocrates soutient l’annonce du ministre de l’enseignement supérieur d’instaurer une aide de 20 à 40 euros par mois pour les étudiants des territoires ruraux n’ayant pas accès aux restaurants universitaires, à compter de février 2025. Cette mesure gagnerait à s’accompagner d’un soutien à la mobilité, par le biais d’une aide financière destinée aux étudiants issus des territoires ruraux qui utilisent la voiture, faute de transports en commun. Cette aide pourrait prendre la forme d’abonnements à tarifs préférentiels, comme le forfait Imagine R en Île-de-France.
Outre la question de l’égalité des chances, c’est au moment du choix d’orientation que des disparités économiques et des asymétries d’informations entrent en jeu. Bien souvent, au moment de formuler leurs vœux, les futurs bacheliers et leurs parents sont contraints d’opérer des arbitrages économiques. La réforme du système des bourses doit donc être poursuivie afin de lutter efficacement contre ces inégalités. En 2023, une première étape s’est traduite par une revalorisation des bourses à hauteur de 37 euros par mois et par l’augmentation du nombre d’étudiants boursiers, 35 000 bourses supplémentaires ayant été distribuées. La seconde étape, celle de la réforme structurelle du système, doit être franchie dès 2026, afin de rendre le système plus lisible et progressif, et d’éviter les effets de seuil.
Face à une offre de formation pléthorique, les asymétries d’informations sont significatives. En raison de la complexité croissante du paysage de l’enseignement supérieur, les parents n’ayant pas eux-mêmes suivi de telles études sont particulièrement démunis pour guider efficacement leurs enfants dans leurs choix d’orientation. En particulier, 19 % des étudiants sont inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur privés. Dans leur rapport sur l’enseignement privé à but lucratif, nos anciennes collègues Estelle Folest et Béatrice Descamps nous ont alertés sur les dérives de ces établissements, où la qualité et la reconnaissance des formations sont très variables. Même si ce n’est qu’une étape, il est souhaitable de créer un nouveau label, afin de mieux identifier et qualifier les formations du privé.
Le groupe Démocrates considère que l’orientation par l’information et l’accompagnement doit être une priorité, afin de rendre le plus égalitaire possible l’accès à l’enseignement supérieur.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Henriet.
M. Pierre Henriet (HOR)
L’accès à l’enseignement supérieur est un enjeu majeur pour notre jeunesse et, par conséquent, pour l’avenir de notre pays. Dépassant largement le cadre d’une simple évaluation de Parcoursup ou de la réforme de l’orientation, ce débat soulève des questions fondamentales qui ont trait à la justice sociale, à l’efficacité de nos politiques publiques et à notre capacité à préparer les générations futures aux défis du XXIe siècle.
D’abord, reconnaissons que l’accès à l’enseignement supérieur reste marqué par des inégalités sociales, territoriales et de genre. Comme le souligne la note sur l’orientation des jeunes, les élèves issus de milieux ruraux ou défavorisés s’orientent encore trop souvent vers des formations courtes ou peu valorisées, même si leurs résultats scolaires sont excellents. De plus, les choix d’orientation sont encore trop largement influencés par le genre – je pense notamment aux jeunes femmes, sous-représentées dans les filières technologiques et scientifiques, pourtant essentielles à notre compétitivité et aux transitions énergétique et climatique.
Notre système n’oriente pas suffisamment les jeunes vers ces secteurs d’avenir. Ces derniers manquent d’information sur les besoins réels du marché du travail, ce qui ne les pousse pas à s’orienter vers des secteurs qui embauchent. Alors qu’en janvier 2024, 41 % des entreprises déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement, le chômage des 15-24 ans atteignait 17,2 % en 2023, contre 7,3 % pour l’ensemble de la population. De manière alarmante, ce paradoxe reste stable.
La situation est d’autant plus préoccupante qu’elle concerne des secteurs stratégiques pour l’avenir du pays. Tout comme le secteur de la transition écologique, les métiers du numérique et de l’intelligence artificielle peinent à recruter. En 2022, sur les trente-cinq métiers intégrés au périmètre de l’économie verte, trente et un atteignaient des niveaux de tension au-dessus de la moyenne. Par exemple, selon la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, notre pays a besoin de former 10 000 ingénieurs supplémentaires par an. Si des avancées significatives ont été menées, elles restent insuffisantes : malgré la récente augmentation du nombre d’inscrits en cycle ingénieur, nous sommes loin de réussir à donner aux jeunes l’envie de se tourner vers ces filières.
Depuis son lancement en 2018, Parcoursup a marqué une rupture importante. En mettant fin au tirage au sort dans certaines filières très demandées et en introduisant davantage de transparence dans les processus de sélection, cet outil a permis de rationaliser l’accès aux formations supérieures. Cependant, des améliorations restent nécessaires. D’après le baromètre de Parcoursup publié en septembre 2023, près de 68 % des utilisateurs expriment de la défiance vis-à-vis d’une procédure perçue comme opaque et anxiogène.
Nous devons réformer dans sa globalité l’orientation des élèves et des étudiants, afin d’améliorer l’accès à l’enseignement supérieur. Pour cela, il ne suffit pas de travailler en aval, lors de l’émission des vœux ; il faut agir dès le secondaire, afin de permettre aux élèves de construire un projet cohérent avec leurs aspirations et les besoins du marché du travail. Le manque de coordination entre les différents acteurs de l’orientation fragilise encore davantage ce système.
Le principal objectif est de renforcer le continuum entre le secondaire et le supérieur, de consolider la collaboration entre lycées et universités, afin de mieux répondre aux attentes des étudiants et aux besoins de la société. Des initiatives comme le dispositif « Oui si », qui adapte les parcours universitaires aux besoins des étudiants, doivent être élargies et systématisées. À titre expérimental, nous pourrions introduire l’utilisation de Parcoursup dès la quatrième. Cela permettrait à l’élève et à ses parents de s’informer plus tôt qu’aujourd’hui, d’une part ; et d’instaurer un support d’échange entre l’équipe éducative et les familles, d’autre part.
En nous appuyant sur les travaux conduits par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et France Stratégie, nous devons renforcer l’information des jeunes sur le niveau d’employabilité, le salaire moyen de sortie et les possibilités d’évolution offerts par les filières proposées sur Parcoursup. Enfin, il est essentiel d’engager un véritable chantier national autour de l’enseignement supérieur, en associant tous les acteurs – élèves, familles, enseignants, universités, collectivités et, bien sûr, entreprises. Ce dialogue est indispensable pour construire une vision partagée et donner aux universités les moyens de leur autonomie.
Notre jeunesse attend non seulement des réformes techniques, mais aussi une vision ambitieuse. Nous soutiendrons toute démarche qui ira dans le sens de l’amélioration de l’orientation, ainsi que du renforcement de l’autonomie des universités et de la lisibilité des parcours.
Mme la présidente
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup (DR)
La France a besoin d’une offre de formation et d’une politique d’orientation adaptées aux souhaits des élèves, aux exigences de qualification de notre jeunesse et aux défis de demain. Ce chantier essentiel est prioritaire : il y va de l’avenir de notre pays.
Selon le rapport du CEC, notre service public d’orientation se caractérise par un manque d’objectifs précis et de pilotage national, par un éclatement des acteurs sans coordination nationale, ainsi que par un accompagnement hétérogène des élèves, ce qui renforce les déterminismes sociaux et les inégalités. Force est de constater que les problèmes identifiés en 2023 sont comparables à ceux de 2020 : les lacunes en matière d’orientation et d’accès à l’enseignement supérieur entraînent une inefficacité des actions menées et des inégalités fortes entre élèves – les rapporteurs ont évoqué un gâchis collectif.
Le groupe Droite républicaine approuve les enseignements de ce rapport, qui préconise la refondation de notre politique nationale de l’orientation par la mise en œuvre de plusieurs propositions : fixation de lignes claires, définition des prérogatives de chacun des acteurs, précision des objectifs et réalisation d’une étude d’impact. Il est notamment proposé de renforcer l’accompagnement à l’orientation dans la formation initiale et continue des professeurs. Il faudrait aussi veiller à la qualité des présentations des intervenants extérieurs et des formations proposées sur Parcoursup.
Notre groupe plaide pour la lisibilité de l’offre de formation de premier cycle, grâce à une information identique et accessible pour tous. Nous sommes favorables à la transformation de l’offre de formation par la construction de parcours orientant vers les métiers de demain. Nous appelons aussi à la professionnalisation de la licence, afin d’assurer les meilleures conditions d’insertion aux étudiants ne poursuivant pas leurs études en master. Tous les étudiants construiront leur projet professionnel dans une finalité d’insertion immédiate, répondant ainsi aux besoins des entreprises.
En outre, il est nécessaire d’améliorer la transparence de l’offre de formation et de vérifier les garanties de qualité des établissements, afin de protéger les élèves et leurs familles. Il est également indispensable de faire connaître aux jeunes les outils de réorientation, laquelle n’est pas une erreur de parcours, puisqu’il existe de nombreuses passerelles.
Mme Justine Gruet
Eh oui !
Mme Josiane Corneloup
Il convient d’établir un code de déontologie, s’appliquant aussi bien aux établissements privés français qu’aux établissements étrangers s’installant en France. Ce code devra engager les collectivités territoriales, afin d’éviter une concurrence déloyale entre établissements publics et privés.
Permettez-moi de profiter du débat pour mettre l’accent sur les inégalités sociales et territoriales, qui ne sont pas évoquées dans le rapport, alors que leur réduction est bien la finalité recherchée. En effet, je constate souvent – et déplore – des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, selon que l’on se trouve en zone urbaine ou rurale. Alors que les territoires ruraux accueillent des collèges et des lycées d’excellence, rares sont les cursus de l’enseignement supérieur – et encore plus les classes préparatoires – qui s’offrent aux bacheliers, obligés de poursuivre leurs études loin de chez eux.
Il y a plusieurs explications à cela. D’abord, le coût du logement dans les grandes villes et celui des transports, auxquels s’ajoutent, sur le plan psychologique, un sentiment persistant d’illégitimité à rejoindre une université ou une classe préparatoire prestigieuse dans une grande agglomération, et un complexe à l’égard des élèves des grands lycées des métropoles. De nombreux jeunes ruraux continuent de ne pas avoir pleinement conscience de leur potentiel. Ensuite, n’omettons pas l’aspect relationnel et affectif en jeu dans l’orientation. En effet, la poursuite d’études en ville implique, pour les ruraux, un choix parfois difficile : aller se former ailleurs et quitter son milieu de vie, ou bien rester sur place et accepter une offre de formation souvent plus réduite. Cela est d’autant plus regrettable que de nombreuses classes préparatoires urbaines ne parviennent pas à attirer suffisamment d’élèves, alors qu’en milieu rural, il y a des élèves potentiels, des ressources humaines – des professeurs hautement qualifiés et motivés par la création de filières de l’enseignement supérieur – et des locaux disponibles. Ces atouts amélioreraient l’accueil des étudiants dans des filières d’avenir et favoriseraient leur première embauche dans la région.
Dans un premier temps, pourquoi ne pas proposer des cursus à titre expérimental, pendant cinq ans, dans plusieurs zones rurales, et en tirer ensuite un bilan ? En plus de donner aux jeunes les mêmes chances dans tout le pays, le développement de l’enseignement supérieur en milieu rural structurerait les territoires autour de projets innovants et participerait ainsi de la mise en place d’une véritable politique d’aménagement du territoire, laquelle fait cruellement défaut à la France. Cela réduirait les criantes et grandissantes inégalités entre les composantes régionales qui font pourtant la richesse de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha (GDR)
Pour commencer, permettez-moi ce rappel particulièrement éloquent : la France fait partie des pays où la corrélation entre le parcours scolaire des élèves et leur origine socio-économique et culturelle est la plus forte. C’est d’abord au niveau de l’apprentissage des savoirs que se manifestent les inégalités : à l’arrivée en sixième, seule la moitié des 20 % d’élèves les moins favorisés maîtrisent les connaissances requises en mathématiques.
Lorsqu’ils acquièrent les compétences nécessaires, ces élèves s’autocensurent : à notes équivalentes, les jeunes issus de milieux favorisés font beaucoup plus souvent le choix d’une seconde générale et technologique. Des élèves d’origine modeste inscrits en sixième en 2007, seuls 16,3 % suivaient en 2013 une terminale générale. À ces inégalités sociales s’ajoutent celles liées au genre et au territoire. Une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) met en évidence le fait qu’à niveau scolaire et caractéristiques socio-démographiques équivalentes, un élève issu d’un milieu urbain très dense accédera plus probablement à la seconde générale et technologique que celui qui réside dans une zone rurale, périphérique ou éloignée. La question du genre joue notamment au moment de l’orientation : plusieurs études indiquent que la représentation genrée des filières, le manque de visibilité des femmes dans certains secteurs, peuvent déterminer le choix des filles, majoritaires dans les spécialités débouchant sur des métiers « féminisés ».
Il ressort de ces constats, longuement développés dans le rapport, que les difficultés d’accès à l’enseignement supérieur ne résultent pas uniquement de défaillances du système d’orientation ou de la sélection à l’entrée de l’université, mais surtout de l’addition de déterminismes sociaux que l’école de la République ne parvient pas à résorber. Parallèlement, le supérieur traverse une crise sans précédent : quatre universités sur cinq risquent de terminer l’année en déficit, ce qui aura nécessairement des conséquences graves sur les conditions de travail des étudiants, des personnels, et sur les rénovations de bâtiments indispensables à la transition écologique.
En juillet, à l’issue de la première phase d’admission sur Parcoursup, 85 000 candidats, soit 10 % de plus que l’an dernier, attendaient une offre. Les bacheliers professionnels ont reçu sur la plateforme 2,9 propositions d’admission en moyenne, contre 3,1 en 2023. Pendant ce temps, la précarité étudiante ne cesse de s’aggraver : 20 % des intéressés vivent sous le seuil de pauvreté. Le coût de la rentrée atteignait il y a quelques mois 3 157 euros pour un étudiant n’habitant pas chez ses parents. Quasiment la moitié de ces jeunes exercent une activité rémunérée, mais celles-ci ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins ; pire, elles constituent le premier facteur d’échec au sein du parcours académique. Malgré cela, le gouvernement a retranché 120 millions d’euros des crédits destinés aux bourses sur critères sociaux pour 2025 ! En rejetant d’un commun accord la première partie du projet de loi de finances pour 2025, le socle commun et l’extrême droite nous ont empêchés de débattre des fonds alloués à la mission Recherche et enseignement supérieur.
Améliorer l’accès au supérieur suppose de réinvestir dans notre modèle éducatif afin d’abaisser autant que possible les barrières de classe, de genre, de territoire, et que chaque élève, accompagné par les personnels de l’éducation nationale, puisse décider librement de son orientation. Nous prônons également la suppression de Parcoursup ; cependant, comme l’observent toutes les organisations étudiantes, cette suppression ne servira à rien si nous ne créons pas davantage de places en licence et en master. Enfin, nous devons instaurer des garanties telles que les familles modestes ne voient pas l’éducation supérieure comme un coût. Tout étudiant devant être financièrement autonome, de manière à se consacrer pleinement à ses études, l’instauration d’un revenu étudiant universel devient cruciale. Le groupe GDR veillera à ce que l’Assemblée puisse débattre rapidement de ces propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Jean-Paul Lecoq
Bravo ! Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
Le rapport sur lequel se fonde cette discussion établit des constats auxquels nous ne pouvons que souscrire : absence de stratégie nationale, confusion et dispersion résultant de la multiplicité des acteurs, crispations et frustrations suscitées par le dispositif chez les élèves et leurs familles, mais aussi chez les professeurs. Nous regrettons en revanche que ce document fasse l’impasse sur les causes profondes du malaise, car le gâchis collectif qu’il constate s’enracine dans une posture qui, depuis des décennies, abîme notre système éducatif : le refus de la sélection, traduit par l’ubuesque notion d’un « droit à » – droit à l’université, au diplôme ou à la réussite –, en vertu d’une idéologie aussi hypocrite que dangereuse pour les élèves de ce pays.
Regardons les choses en face : soumis au carrousel perpétuel des réformes, aux exigences contradictoires, à la pression d’une vision qui oublie la mission fondamentale de l’école, le système ne garantit plus qu’un jeune, à sa sortie de l’enseignement secondaire, soit suffisamment armé pour poursuivre sereinement son parcours dans le supérieur. En d’autres termes, le baccalauréat, premier grade universitaire, ne suffit plus pour réussir à l’université ; de là le taux d’échec terrifiant des étudiants en première année de licence, la sidérante insuffisance de leur maîtrise du français, relevée par tous les enseignants. Faute de pouvoir recourir au seul critère efficient, celui du niveau, la sélection se reconstitue suivant des critères arbitraires et inopérants. Certaines formations sont contraintes d’assumer la responsabilité de ce tri que le baccalauréat n’opère plus, de prononcer des refus auxquels les élèves ne s’attendaient pas, les abandonnant à la frustration et à l’incompréhension.
En considérant l’accès à l’enseignement supérieur sous le seul angle de l’orientation, nous manquons le cœur du problème : nous nous penchons sur l’information des élèves, non sur les questions de niveau, de formation, et donc de réussite, seul but du système éducatif. Ce sujet du niveau nous amène d’ailleurs à nous interroger sur les conditions d’évaluation des dossiers à l’entrée de l’enseignement supérieur. Dans ce domaine, il nous faut souligner combien auront été délétères les récentes réformes du lycée, particulièrement l’instauration du contrôle continu, qui brouille la lecture de ces dossiers. Sous l’effet de cette disposition insensée, la note a cessé de correspondre objectivement au niveau pour devenir un objet de constantes négociations, d’harmonisations successives et une source de tensions extrêmement fortes entre les familles et les professeurs.
Chers collègues, l’Union des droites pour la République ne craint pas d’assumer son propos : il ne saurait exister d’accès au supérieur sans sélection, laquelle constitue un gage de réussite pour tous. Il convient de réfléchir aux moyens d’inverser la dynamique à l’œuvre depuis des décennies et dont nous subissons les conséquences désastreuses, notamment dans les filières généralistes. Cette massification, que d’aucuns rebaptisent habilement démocratisation pour l’ériger en évidence incontestable, n’est ni légitime ni nécessaire ; elle n’aura démocratisé que l’échec, pire, le sentiment d’échec au milieu d’une réussite factuelle, engendrant des cohortes de surdiplômés désœuvrés par suite de la dévaluation continue des diplômes, certains, véritables assignats universitaires, ne valant désormais guère plus que le papier sur lequel ils sont imprimés. Le phénomène a d’abord touché le baccalauréat, puis la licence, et bientôt le master. Attendrons-nous qu’il atteigne le doctorat, ou aurons-nous enfin le courage d’assumer de nouveau l’exigence de la sélection ?
Face au désarroi des jeunes et des familles, monsieur le ministre, nous devons tenir un discours de vérité, rétablir les conditions de niveau acquis et de cohérence du projet professionnel indispensables en vue de l’accès à l’enseignement supérieur. Tel est notre devoir si nous voulons enrayer les effets désastreux de la massification et bâtir un système honnête où chacun, en s’orientant, parvienne à suivre le chemin de sa réussite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Limongi.
M. Julien Limongi (RN)
Imaginez un jeune de nos campagnes, plein de rêves, déterminé à poursuivre ses études. Faute de logement abordable, il lui faut se lever chaque jour bien avant l’aube et parcourir des kilomètres dans des trains bondés, ou renoncer à ses ambitions. Ce n’est pas là une exception, mais le quotidien de milliers de jeunes Français.
L’université, ce lieu de l’ascension sociale, reste pour beaucoup un mirage. S’il a le mérite de désigner certains problèmes, le rapport ne nous apprend rien, et les solutions concrètes font cruellement défaut. Prenons l’orientation : les insuffisances de l’Onisep et d’autres outils, que souligne le rapport, sont dénoncées depuis des années. Malgré cela, nous ne disposons toujours pas d’une politique cohérente qui permette de guider les étudiants, de valoriser des filières nouvelles, de promouvoir des métiers techniques riches de sens et essentiels à notre économie.
De même, il est proposé au sein du rapport d’améliorer le dialogue entre État, régions et acteurs éducatifs : l’idée est séduisante, mais sans actions concrètes, les jeunes continueront de subir des cursus décousus. Parcoursup constitue l’exemple parfait de cette désorganisation : cadeau empoisonné de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants – un texte dont le rapporteur à l’Assemblée fut Gabriel Attal –, ce système censé simplifier l’orientation a plongé des milliers d’étudiants dans l’incertitude, les épuise moralement et reste d’une opacité déconcertante.
Néanmoins, l’orientation n’est pas le seul défi à relever. Pardonnez-moi, chers collègues, mais le rapport évoque à peine la barrière des inégalités territoriales, lesquelles concernent pourtant, outre ma circonscription, nombre de régions françaises ! Les ressources se concentrent dans les métropoles, devenues pour trop de jeunes des citadelles inaccessibles. Cette réalité me rappelle les grandes œuvres de notre littérature. Depuis des siècles, la jeunesse de France nourrit l’espoir de venir à Paris réaliser ses rêves. Comme Rastignac, elle se heurte à la rudesse d’un système qui n’a pas su évoluer ; or, au XXIe siècle, il ne devrait plus y avoir de ces inégalités où se brise l’ambition de plus d’un héros balzacien.
Dans ma circonscription, un jeune de Provins étudiant à Paris doit endurer une heure vingt de train, sans compter le temps nécessaire pour se rendre à la gare, ni celui du trajet qu’il lui reste à faire une fois arrivé. Et encore, je ne parle pas de l’insécurité des transports, par exemple la récente attaque à la hache d’Ozoir-la-Ferrière, ou de leur inconfort, par exemple l’absence de toilettes dans les nouvelles rames du Transilien, brillante idée due à la majorité régionale de Valérie Pécresse. Vous admettrez que ces conditions ne sont pas idéales pour se rendre en cours, pour réviser. Même en cas de délocalisation des campus, comme celui de Paris-Panthéon-Assas à Melun, le problème persiste. Si vous habitez le nord de la Seine-et-Marne et que vous n’avez pas de voiture, il vous faudra souvent passer par Paris. Comment, dès lors, parler d’égalité des chances ?
À ce poids s’ajoute celui des inégalités économiques. Tout en évoquant la question des bourses, le rapport élude celle des frais indirects, transports, matériel, alimentation, qui pèsent lourdement sur les familles modestes. Encore une fois, comment justifier qu’un jeune de nos campagnes, si ses parents ne peuvent financer un logement en ville, soit condamné à des trajets interminables ou, pire, à renoncer à ses études ? Nous devons investir dans des résidences étudiantes publiques ; il serait également pertinent de revoir les règles d’attribution des logements dépendant des Crous, notamment d’ajuster le nombre des étudiants étrangers afin de mieux répondre aux besoins des étudiants français.
Mme Marie Mesmeur
Votre habituelle variable d’ajustement !
M. Julien Limongi
Enfin, si ce rapport souligne l’absence de coordination entre État, régions et établissements, il ne va pas jusqu’à la question fondamentale : qui est aux commandes ? Trop d’acteurs, de strates administratives coexistent ;…
M. Aurélien Le Coq
Et pas assez d’argent !
M. Julien Limongi
…cette fragmentation produit des dispositifs illisibles, inefficaces, accentuant le désarroi des jeunes et de leurs familles. Nous avons besoin d’un pilotage clair en vue de structurer cette politique publique essentielle.
La jeunesse est la source de tout avenir ;…
Mme Marie Mesmeur
Toute la jeunesse !
M. Julien Limongi
…l’éducation, le fleuve vital. Ce fleuve ne doit pas s’assécher dans les méandres de l’inaction et de l’indifférence. Notre devoir consiste à garantir que chaque Français, où qu’il naisse, quelle que soit sa condition, pourra le suivre jusqu’à l’océan de ses rêves. Ainsi, et seulement ainsi, nous pourrons affirmer que nous avons servi l’idéal républicain ; car accéder à l’enseignement supérieur, c’est accéder à l’avenir. Le choix est simple : agir ou trahir les promesses de notre république. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bertrand Sorre.
M. Bertrand Sorre (EPR)
Depuis 2017, l’école est au cœur des politiques publiques promues par la majorité présidentielle, conformément au programme du président de la République. Elle incarne l’avenir de notre jeunesse et de notre société. La formation et l’accompagnement des élèves, s’agissant en particulier de leur orientation, constituent des moyens essentiels de combattre le déterminisme social et de renforcer l’égalité des chances. Garantir à chaque jeune, quel que soit son parcours ou son lieu de résidence, la possibilité de trouver sa voie et de réussir est une priorité pour le gouvernement et doit le demeurer.
Toutefois, les résultats des politiques publiques menées dans ce domaine ne satisfont pas encore pleinement les attentes dont elles font l’objet. En 2020 et 2023, les missions parlementaires de suivi de l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur ont dressé un constat similaire : l’application de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, n’a pas produit tous les effets escomptés.
Six ans après le lancement de la plateforme Parcoursup et malgré des évolutions notables, les critiques à son encontre restent nombreuses. La complexité du panorama actuel nuit à sa lisibilité. Il se caractérise par la prolifération des acteurs impliqués dans l’orientation et l’absence d’un cadre national clair et structurant au sein duquel pourraient se rencontrer les souhaits des lycéens, les besoins de formation et les offres disponibles.
Il faut prendre en considération trois éléments pour guider notre action : les aspirations des élèves et des étudiants, les besoins de formation et les offres de formation. Or ce triptyque peine encore à s’articuler de manière satisfaisante. En témoignent les chiffres : si près de 90 % des élèves obtiennent le baccalauréat, seuls 30 % réussissent leur première année d’études supérieures dès leur premier essai.
Ce décalage souligne qu’il est urgent d’assurer à chaque jeune une orientation choisie plutôt que subie. La loi ORE avait pour objectif de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et de renforcer la réussite des étudiants. Pourtant, le rapport met en lumière la persistance d’une architecture confuse. Au sein du seul ministère de l’éducation nationale, la multiplication des acteurs chargés de l’orientation rend le dispositif difficilement lisible et peu efficace. D’autres acteurs se sont vu confier de nouvelles missions. C’est le cas des régions dont les choix de pilotage divers et les investissements variés créent des inégalités territoriales dans l’accès à l’information des étudiants.
Malgré certaines avancées, une véritable méconnaissance mutuelle de leurs rôles persiste parmi les différents acteurs, en particulier entre le secondaire et le supérieur. Par exemple, l’enseignement supérieur n’a pas encore tout à fait assimilé la réforme du lycée, pourtant appliquée depuis plusieurs années.
Les dispositifs d’accompagnement à l’orientation souffrent d’une grande hétérogénéité et demeurent insuffisants. Sur le terrain, cette disparité contribue à maintenir l’orientation comme une priorité secondaire et empêche de nombreux élèves d’être pleinement acteurs de leurs choix. Nombre d’entre eux s’estiment et se disent mal préparés à construire leur projet d’avenir.
Plus globalement, les réformes entreprises n’ont pas entièrement réalisé certaines des ambitions qui les animent, faute d’une adhésion suffisante et d’un accompagnement adéquat des enseignants.
Par ailleurs, les déterminismes sociaux et les inégalités socioculturelles et territoriales continuent de peser lourdement sur l’orientation des élèves, malgré l’accroissement de leur mobilité géographique constaté depuis 2018. Ces inégalités entretiennent des disparités marquées entre les parcours des jeunes, en fonction de leurs origines ou de leurs lieux de vie.
Parcoursup, malgré l’instauration de quotas pour les élèves boursiers, qui ont favorisé une plus grande mixité sociale et une meilleure mobilité dans les filières en tension, peine à convaincre pleinement ses utilisateurs. Pour 83 % des élèves et de leurs familles, le processus afférent constitue une source importante de stress. Ce sentiment n’est pas seulement lié au fonctionnement de la plateforme elle-même mais aussi et surtout à un manque de préparation et d’accompagnement en amont, qui amplifie les inquiétudes à ce moment crucial du parcours des élèves.
Pour conclure, l’absence d’un pilotage national – pourtant nécessaire – rend plus aigus les différents problèmes évoqués. Les objectifs des nombreux intervenants concernés ne s’accordent pas toujours, dans la mesure où leur coopération demeure limitée. Par conséquent, il semble essentiel de poursuivre nos efforts, afin de lever ces divers obstacles pour mieux préparer et améliorer l’orientation des élèves. Chacun d’eux doit pouvoir trouver sa voie dans l’enseignement supérieur, s’épanouir dans son parcours d’étude et accomplir, à terme, son projet personnel et professionnel.
Monsieur le ministre, nous devons à notre jeunesse d’atteindre cet objectif. À cette fin, vous pourrez compter sur l’engagement du groupe EPR.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie Mesmeur.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP)
« Je suis déçu car on ne me laisse pas la chance d’étudier. » Voilà la bouteille à la mer envoyée par Clément et arrivée dans ma boîte mail de députée il y a quelques semaines. Parcoursup lui a coupé les jambes et les espoirs.
Garantir l’accès au savoir, c’est faire de l’éducation un droit universel et non un privilège. L’université n’est pas seulement un lieu de formation ; c’est un sanctuaire où se transmettent les valeurs qui nous unissent : la liberté de penser, l’émancipation par le savoir, l’exigence de vérité. C’est là que se forment les générations qui bâtiront demain, non pas en simples exécutants mais en citoyens éclairés.
Pourtant, la démocratisation de l’enseignement supérieur est au bord du gouffre. L’éducation est devenue un parcours du combattant, où les origines sociales pèsent lourdement sur les destins. Un enfant d’ouvrier a quatre fois moins de chances d’entrer dans l’enseignement supérieur qu’un enfant de cadre. Et parmi ceux qui y parviennent, combien abandonnent, écrasés par la précarité ?
Cette sélection sociale se nourrit du manque de moyens que subissent les universités et que, monsieur le ministre, vous avez vous-même organisé en bâtissant la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU. L’autonomie des universités a été le creuset des inégalités territoriales et le cache-misère de l’austérité budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
La part du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche dans celui de l’État n’a jamais été aussi faible. Ce sont aujourd’hui quatre universités sur cinq qui sont en situation de déficit. Je ne vous apprends rien puisque même les présidents d’université ont manifesté sous la neige devant votre ministère jeudi dernier.
Vous prétendez défendre l’excellence des universités. Pourtant, vous leur imposez de supprimer des heures de cours. Vous n’avez que faire de l’émancipation de la jeunesse et de l’urgence de nos besoins de formation en vue d’affronter les crises sociales, démocratiques et écologiques.
Le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire auquel j’appartiens défend un plan de bifurcation écologique. Nous sommes cohérents : pour rendre possible une telle planification, il faut commencer par définir les formations et les qualifications qui nous sont nécessaires et par conséquent ouvrir des places.
La situation actuelle des universités ne doit rien au hasard. C’est l’?uvre d’une stratégie cynique. Vous avez sciemment orchestré cette pénurie, suivant un dessein libéral à peine voilé. Vous avez affaibli le service public. Vous avez renforcé la reproduction des élites. Vous voulez offrir aux entreprises une main-d’?uvre bon marché parce que moins diplômée. Vous ouvrez grand les portes aux formations privées de piètre qualité, en leur donnant pignon sur rue.
Parcoursup est la conséquence la plus implacable de l’application de ce modèle néolibéral. Chaque année, des milliers de jeunes se heurtent à ce mur, broyés par un système froid et impitoyable. Est-il tolérable qu’un algorithme tranche l’avenir d’un jeune de 18 ans ?
Parcoursup est un échec consternant. Je cite le rapport dont nous discutons cet après-midi : Parcoursup « continue de susciter de nombreuses critiques ». À son sujet, « un certain nombre de questions restent posées, en termes de transparence et d’efficacité ». Je reconnais bien à nos rapporteurs une maîtrise habile de l’art de la formule. Ce constat n’est pas nouveau. Il est partagé sur tous les bancs ou presque de cette assemblée. Il est donc temps qu’elle fasse usage de ses pouvoirs pour mettre fin à cette situation. Le temps presse : chaque année, une génération de plus est sacrifiée dans cette débâcle. C’est une défaite pour notre avenir en commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Monsieur le ministre, vos positions misogynes, homophobes et libérales sont bien connues. Vous vous illustrez également comme un ardent défenseur de la sélection et de la privatisation de l’enseignement supérieur.
Au contraire, je veux bâtir une république où tous les jeunes, quels que soient leurs parcours ou leurs milieux, ont des chances égales de réussir, donc de s’émanciper. Cela passe par des décisions ambitieuses. Épargnez-nous les effets d’annonce au sujet d’une « transparence du système » qui ne changerait rien pour les 85 000 bacheliers laissés sur le bord de la route à cause de Parcoursup ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce sont des places de formation en nombre suffisant qu’il nous faut ; c’est donc la sélection elle-même qu’il faut abroger !
Mais vous préférez vous entêter dans vos lubies libérales en menaçant d’augmenter les frais d’inscription des étudiants. Ces étudiants, je les connais, je leur fais confiance. Leurs mobilisations, à Sciences Po ou à Strasbourg, leur font honneur. Ils vous en empêcheront, tout comme le préambule de la Constitution de 1946, qui, ne vous en déplaise, garantit « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction » et la gratuité de l’enseignement public à tous les degrés.
L’enseignement supérieur est un bien commun, celui de tous, celui de Clément et de chaque jeune qui rêve d’apprendre, de trouver sa place et de construire un avenir meilleur. Pour eux, pour la République, abolissons Parcoursup, garantissons la gratuité de l’université et créons une garantie universelle d’autonomie pour leur dignité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierrick Courbon.
M. Pierrick Courbon (SOC)
Nous examinons le présent rapport dans un contexte marqué par les lourdes difficultés budgétaires que rencontrent les universités. La mobilisation inédite de leurs présidents, qui se sont invités devant le ministère la semaine dernière, en dit long sur leurs inquiétudes, face à des budgets désormais impossibles à boucler.
Pour qu’il y ait « accès à l’enseignement supérieur », encore faut-il qu’il y ait un enseignement supérieur, si possible de qualité. Alors que quatre universités sur cinq risquent de terminer l’année en situation de déficit, les responsables universitaires nous alertent relativement à une situation de quasi-faillite de l’enseignement supérieur public.
Cette situation résulte des choix budgétaires des dix dernières années : alors que 600 000 étudiants supplémentaires entraient dans l’enseignement supérieur, les budgets des universités n’ont pas suivi. Le résultat est un taux d’encadrement qui a chuté de 10 % entre 2012 et 2019.
Ce rapport, comme d’autres avant lui, établit pourtant que « la réussite en licence dépend aussi du niveau et des modalités d’encadrement » et que « la réussite est corrélée au taux de dépense par étudiant ».
Hélas, l’avenir risque d’être encore plus sombre, eu égard aux orientations du gouvernement Barnier. Les universités pourraient ainsi être contraintes à des choix délétères, comme la fermeture d’antennes dans les villes moyennes ou l’augmentation significative des frais d’inscription.
Alors que le rapport fait état de déterminismes forts, liés aux origines sociales ou géographiques, voire d’une autocensure des jeunes éloignés des grands centres urbains, de telles mesures éloigneraient d’autant la perspective d’une réelle égalité d’accès au supérieur.
Aussi la question des moyens me semble-t-elle décisive. Les rapporteurs Cazenave et Davi l’abordent et proposent « d’allouer des moyens supplémentaires là où ils font défaut » pour traiter la problématique des filières en tension. C’est une proposition pertinente, qui mériterait d’être étendue à toutes les universités où les moyens font défaut, c’est-à-dire presque toutes !
Une autre conséquence, tout aussi inquiétante, de cette situation est l’essor de l’enseignement privé à but lucratif. La part des effectifs étudiants du secteur privé dans l’ensemble des effectifs de l’enseignement supérieur est ainsi passée de 15 % dans les années 2000 à 26 % en 2024. C’est en grande partie la progression du privé lucratif qui explique cette tendance générale, puisqu’il accueille près de 15 % des étudiants à lui seul.
Pourtant, comme le démontre un autre rapport d’information de nos collègues Béatrice Descamps et Estelle Folest, le foisonnement de cette offre du privé lucratif n’est pas toujours synonyme de qualité, tant s’en faut. Il donne lieu à une prolifération de diplômes aux dénominations parfois exotiques – tels les fameux « bachelors » – mais non reconnus et dont la qualité n’est pas garantie. Pire : la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, signale des anomalies dans plus de 56 % des établissements contrôlés, pouvant aller jusqu’à des escroqueries sur les diplômes ou les droits d’inscription.
Néanmoins, ces établissements parviennent – notamment par l’intermédiaire de la certification Qualiopi ou du fait des collectivités territoriales – à capter un argent public dont l’enseignement supérieur public manque cruellement.
Pour cette raison, la septième préconisation du rapport de MM. Cazenave et Davi appelle à mieux contrôler la « qualité des formations présentes sur Parcoursup, notamment celles privées hors contrat », en prévoyant une « exclusion de la plateforme en cas de manquements ». La recommandation n° 14 de Mmes Descamps et Folest va encore plus loin, en proposant d’« exclure les formations n’ayant pas fait l’objet de contrôles garantissant des qualités pédagogiques ».
Cela ne résoudra pas tout, puisque la stratégie assumée par nombre de ces établissements est de s’afficher « hors Parcoursup », en surfant sur le caractère anxiogène et le défaut de transparence de cette plateforme.
Pour mieux armer les futurs étudiants face à ces vendeurs de rêve, il faut non seulement réformer en profondeur Parcoursup mais aussi doter les élèves de réelles capacités d’orientation. Les rapporteurs formulent plusieurs propositions en ce sens, visant en particulier à « garantir l’effectivité des cinquante-quatre heures » d’orientation dans le secondaire.
Les défenseurs de Parcoursup mettent en avant le fait qu’il a corrigé certains défauts de la précédente plateforme, le portail APB, pour admission postbac. C’est vrai. Pour autant, la situation actuelle est loin d’être satisfaisante : 83 % des jeunes estiment que Parcoursup est « stressant » tandis qu’ils ne sont que 28 % à considérer qu’il est « juste ».
Comme le propose la sixième préconisation, il faut évidemment revoir « certains critères, comme les lettres de motivation ou le lycée d’origine », dont le principal effet est de renforcer les déterminismes sociaux et géographiques.
Je m’interroge d’ailleurs sur le fait que cette proposition de bon sens, pourtant déjà présente dès 2020 dans un rapport des députés Régis Juanico et Nathalie Sarles, n’ait toujours pas été appliquée.
En conclusion, je note que devant le constat largement partagé d’un gâchis collectif, les dix préconisations de ce nouveau rapport vont dans le sens d’une refonte et d’une clarification du système d’orientation qui devrait faire consensus. Mais la plupart de ces propositions ayant un coût budgétaire, je m’adresse en particulier à ceux qui les soutiennent aujourd’hui : voterez-vous avec nous, demain, les crédits nécessaires pour y donner suite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
L’enseignement et la formation en général sont un gage de progrès individuel et de réussite collective. L’enseignement supérieur en est le couronnement parce qu’il permet de consacrer la réussite individuelle et d’assurer un avenir collectif meilleur. Il constitue une précieuse richesse pour un pays. Tout progrès est venu de l’invention, et toute invention a découlé de l’étude, de la réflexion et de la recherche. À cet égard, l’université constitue un domaine prioritaire. On me dira qu’il y a bien des domaines prioritaires, qu’il s’agisse de la santé, de la sécurité, du logement et d’autres encore, mais rien n’est possible sans une formation supérieure ouverte et efficace.
Le débat budgétaire nous a montré combien sont étroites les marges de manœuvre et douloureux les choix en la matière. Je sais que chaque membre du gouvernement est soumis à de très dures contraintes et que vous n’y échappez pas, monsieur le ministre de l’enseignement supérieur. Je souligne cependant combien la situation est très difficile pour les universités : elles doivent faire face à des obligations multiples et à des besoins croissants, avec des moyens limités. La coupe budgétaire prévue dans le projet de loi de finances pour 2025 a soulevé la protestation et plusieurs dizaines de présidents d’université vous ont directement fait savoir leur désapprobation. Je ne doute pas que vous aurez à cœur de relayer les besoins objectifs ainsi exprimés lors des ultimes arbitrages budgétaires.
Il y a par ailleurs, à chaque débat budgétaire, des polémiques sur le crédit d’impôt recherche : au-delà du sujet lui-même, existe certainement la nécessité d’une meilleure coordination entre recherche privée et publique, et d’un meilleur soutien à cette dernière.
Nous devons être au côté de nos universités, comme nous devons favoriser autant que faire se peut l’accès aux études supérieures.
Tout d’abord, je souligne que l’orientation des élèves du secondaire vers les études supérieures conditionne la réussite des projets professionnels et la possibilité d’exercer les métiers qu’ils auront choisis, ainsi que le développement économique du pays et de nos territoires. Les élèves, notamment ceux issus des classes populaires, doivent être accompagnés, recevoir conseils et informations. Tout le monde sait que les filières les plus sélectives sont encore fermées aux enfants d’ouvriers : ces derniers ne représentent que 10 % des étudiants à l’université et 7 % seulement en classes préparatoires aux grandes écoles selon l’Observatoire des inégalités, qui indique que l’allongement du temps d’étude bénéficie essentiellement aux classes déjà favorisées : si 73 % des enfants de cadres accèdent à l’enseignement supérieur, seuls 41 % des enfants d’ouvriers et d’employés nés entre 1991 et 1995 sont dans ce cas, n’augmentant la statistique que d’un point par rapport à la génération précédente.
On peut donc regretter que les dispositifs d’orientation scolaire, y compris Parcoursup, ne prévoient pas un accompagnement ciblé des élèves les plus en difficulté, de même que l’on peut regretter la complexité des procédures de candidature : je pense, par exemple, à l’ajout d’une lettre de motivation dans les dossiers, ce qui creuse la fracture entre les élèves bénéficiant d’un accompagnement, souvent familial, et les autres ; une fracture exacerbée par l’illisibilité de l’offre de formations dans l’enseignement supérieur et par une mauvaise répartition entre les filières très demandées et les autres. L’égalité des chances à l’école commence par une information claire des possibilités de parcours, qui n’est aujourd’hui pas disponible. Cela passe aussi par une aide à l’inscription sur Parcoursup, qui n’existe pas non plus.
En ce qui concerne les élèves issus de milieux défavorisés qui ont eu la chance d’accéder à l’enseignement supérieur, un point positif est à noter : l’augmentation des recours à l’alternance grâce au dispositif de politique publique favorisant la recherche d’un contrat. Autre point de satisfaction : l’augmentation du nombre de stages délivrés, ce qui permet aux élèves d’acquérir de l’expérience professionnelle, de s’insérer plus facilement sur le marché du travail et aussi, bien sûr, de financer leurs études.
On me pardonnera d’avoir, in fine, une pensée pour l’université de Corse, qui a été longtemps mon cadre de vie. Au-delà du salut amical que j’adresse à mes collègues d’alors, je soulignerai le rôle inestimable de l’établissement dans la vie de notre île, de ses enfants et de tant d’étudiants continentaux ou étrangers qui viennent y chercher les voies de leur avenir. Cette université est un lieu irremplaçable de formation et de recherche dans les domaines de pointe, mais aussi de redécouverte et de promotion de la langue et de la culture corses, aujourd’hui bousculées ; elle est la pointe de diamant de notre avenir collectif. J’exprime mon respect à l’égard de ceux qui ont combattu pour obtenir sa réouverture, et ce ne fut pas facile.
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Bonnet.
M. Arnaud Bonnet (EcoS)
Je remercie les rapporteurs d’avoir pris le temps de mettre en mots la réalité de tout un service public en souffrance, en proie à des difficultés depuis des années et dont nous n’entendons généralement parler qu’au détour d’une actualité estivale moins remplie. Ce service public, c’est celui de l’enseignement supérieur qui, depuis plus de quinze ans, a subi les coups de boutoir d’une logique libérale et sélective, à l’instar de l’éducation nationale – que je connais bien –, de l’hôpital et de tant d’autres services publics dont nous avons pourtant cruellement besoin.
Le service public de l’enseignement supérieur est la pierre angulaire de notre démocratie car il permet de former les générations futures aux défis auxquels nous faisons face en leur donnant toutes les clés pour être des citoyennes et des citoyens éclairés. Un enseignement supérieur ouvert au plus grand nombre et de qualité est un signe tangible d’une démocratie saine !
Pourtant, force est de constater que depuis près de deux décennies, les choix politiques et budgétaires ont été orientés par une volonté de fermer les portes de l’éducation supérieure, d’y pratiquer un tri social qui ne dit pas son nom, broyant les élèves, les équipes enseignantes et les personnels de l’orientation. Cette politique néfaste nie les difficultés qu’affronte notre jeunesse. La loi Orientation et réussite des étudiants, adoptée en 2018, a produit l’exact inverse de ce que son titre voulait laisser croire : elle a mis en place Parcoursup, qui impose, pour trouver une place dans l’enseignement supérieur, un mélange de roulette russe et de combat de gladiateurs. Il faut multiplier les expériences professionnelles, les voyages… Ne faudra-t-il pas savoir danser les claquettes en jouant du violon pour parvenir finalement à s’asseoir sur les marches d’escalier d’un amphi délabré ?
Mme Marie Mesmeur
Eh oui !
M. Arnaud Bonnet
Nos jeunes sont placés au bord d’un précipice, face à une alternative délétère : refuser une inscription dans l’enseignement supérieur qui dépend d’algorithmes opaques et de critères discriminants tels que le lycée d’origine – ce qu’avait noté le Défenseur des droits à l’époque – ou accepter une proposition qui, dans trop de cas, représentera un choix par défaut, effectué par peur de se retrouver sans solution. « Étudier est un droit, pas un privilège ! », scandent depuis plusieurs années les étudiants qui manifestent en faveur de ce qu’il est devenu tristement banal d’appeler les « sans-facs ». Notre jeunesse est en effet contrainte de se mobiliser pour accéder aux plus hauts degrés d’éducation. Or son cri de détresse ne semble pas être entendu tant les places continuent de se faire chères. Comment pouvons-nous continuer à accepter qu’une génération se voie ainsi hypothéquée de son droit à l’avenir ?
Nous savons pourtant très bien ce qu’il faut faire.
Tout d’abord, nous devons en finir purement et simplement avec Parcoursup, qui ne fait que produire du stress et de l’anxiété chez les étudiants et leurs familles, et rompt avec la promesse d’égalité de tout service public.
Ensuite, il faut investir massivement dans l’enseignement supérieur, au moins à hauteur de 2 milliards par an pendant dix ans, comme le réclament les syndicats depuis si longtemps. Ces moyens doivent servir à concrétiser des choix essentiels : ouvrir des places en nombre suffisant dans les différentes filières, pour faire face au boom démographique des années 2000 – que nous avions pourtant le temps de voir venir ; construire de nouvelles universités et d’autres établissements afin d’offrir partout sur le territoire des lieux d’études de proximité et à taille humaine. En effet, comme l’a dit Victor Hugo, qui a siégé en ces murs : « Lorsqu’on ouvre une école, on ferme une prison. »
Le rapport du CEC identifie un autre facteur limitant l’accès à l’enseignement supérieur : l’accompagnement à l’orientation a été démantelé, réduit en morceaux et confié à des acteurs épars, dépendant d’échelons territoriaux différents, et qui ne sont pas toujours des experts de ce sujet dont dépend pourtant tellement la réussite des élèves. Il faut donc investir dans un service public de l’orientation dont l’Onisep serait le cœur, un service doté de moyens humains suffisants, déployé sur l’ensemble de notre pays et à même d’informer le plus grand nombre, de recevoir les jeunes, de les aider et de les suivre dans la définition de leur projet d’orientation.
Enfin, je ne peux m’empêcher d’évoquer la marchandisation assumée de ce secteur de notre éducation. Un véritable marché capitaliste s’est en effet cyniquement construit, grâce aux gouvernements successifs, sur la peur et l’angoisse des jeunes et de leurs parents. Ce champ en déshérence assumée, sorte de Cour des miracles peuplée de coachs en orientation et d’établissements privés lucratifs – dont les formations s’avèrent bien souvent des arnaques, du même acabit que celles des magnétiseurs promettant la fortune – est devenu, pour bon nombre de familles, la seule échappatoire au couperet que fait aveuglément tomber notre système d’accès à l’enseignement supérieur.
Je demande donc à nos rapporteurs : étudier est-il toujours un droit en France, ou est-ce devenu pour de bon un privilège ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Patrick Hetzel, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
Je tiens tout d’abord à remercier votre assemblée pour l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur un sujet fondamental pour l’avenir de nos jeunes, à savoir l’accès à l’enseignement supérieur, c’est-à-dire l’orientation des lycéens et, in fine, la réussite des étudiants.
La garantie de l’accès à une offre de formation de qualité est un objectif que nous partageons tous, et l’un des points principaux de la feuille de route que j’ai eu l’occasion de présenter la semaine dernière. Autour de cet axe, j’ai choisi de mener plusieurs actions, ayant comme objectifs l’insertion professionnelle mais aussi la réussite en premier cycle : je pense notamment à la régulation de l’enseignement supérieur privé – plusieurs d’entre vous l’ont évoquée –, à l’adaptation et la territorialisation de l’offre de formation et à la priorité donnée à la poursuite d’études des bacheliers professionnels. L’orientation est en effet un enjeu stratégique pour notre pays, qui, pour relever défis des transitions écologique et numérique, a besoin d’une jeunesse qualifiée, capable de s’adapter et d’innover. C’est pourquoi elle doit être au cœur de nos priorités.
Je veux d’abord revenir sur le chemin parcouru depuis 2018. En six ans, le système d’accès à l’enseignement supérieur a été profondément remanié. Le Conseil d’État avait pointé en 2017 l’arbitraire du tirage au sort, non prévu par la loi mais rendu inévitable par le système d’admission postbac de l’époque. C’est face à ce constat et à l’impérieuse nécessité pour nos jeunes de bénéficier d’une procédure équitable que s’est construit Parcoursup : la plateforme propose aujourd’hui 24 000 formations, offrant à chaque lycéen un large éventail de possibilités pour construire son avenir. Grâce à Parcoursup, plus de neuf lycéens sur dix reçoivent une proposition d’admission, et ce dans des délais considérablement raccourcis puisque les trois quarts des candidats ont désormais une réponse positive dès la première semaine. Cette rapidité était une attente forte des familles comme des futurs étudiants.
Mais au-delà de ces aspects techniques, c’est bien la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur qui reste un objectif. Ainsi, les quotas sociaux ont permis à des milliers de lycéens boursiers d’accéder à des formations qui leur semblaient inaccessibles : je pense notamment à Sciences Po Paris, où la part des boursiers a triplé depuis l’intégration dans Parcoursup, mais aussi aux écoles vétérinaires, qui ont considérablement diversifié leur recrutement. Nous pouvons évidemment mieux faire, mais ces résultats doivent éclairer notre chemin.
Quant aux cordées de la réussite, elles démontrent leur efficacité en luttant concrètement contre l’autocensure. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les lycéens qui participent à ce dispositif ont un taux d’admission à l’université supérieur de près de 3 points à la moyenne nationale et pour les bacheliers professionnels, l’écart atteint même 6 points. C’est la preuve que l’accompagnement personnalisé peut faire la différence.
Notre politique volontariste en faveur des bacheliers technologiques et professionnels porte également ses fruits : la moitié des bacheliers technologiques candidats à un diplôme universitaire de technologie (DUT) reçoivent une proposition d’admission et les trois quarts des bacheliers professionnels trouvent une place pour accéder au brevet de technicien supérieur (BTS). Ces résultats sont obtenus grâce à un travail de fond pour adapter les formations aux profils des élèves.
L’accompagnement des étudiants s’est également considérablement renforcé. Ainsi, le dispositif « Oui si » permet aujourd’hui à plus de 26 000 étudiants de bénéficier d’un accompagnement personnalisé : à l’Université de Bretagne-Sud, par exemple, le taux de passage en deuxième année est passé de 33 % à 40 % et le taux d’abandon a été divisé par trois. De tels résultats montrent qu’avec les bons outils, nous pouvons faire reculer de manière significative l’échec en premier cycle.
Les usagers eux-mêmes reconnaissent ces progrès. Selon la dernière enquête de l’institut CSA, plus de 70 % des lycéens considèrent que Parcoursup les aide à construire leur projet d’orientation. Les nouveaux outils créés – site d’entraînement, comparateur de formations, système de favoris – répondent à leurs attentes. La messagerie, les tchats en direct et les réseaux sociaux sont des canaux qui permettent désormais un accompagnement au plus près des besoins. D’ailleurs, à ce jour, 200 000 lycéens de seconde et de première se sont déjà inscrits sur Parcoursup pour se familiariser avec l’outil et mieux l’utiliser quand ils seront en terminale.
Pour autant, je ne nie pas que des marges de progrès subsistent. Le rapport parlementaire autour duquel nous discutons aujourd’hui souligne avec justesse la nécessité de renforcer la coordination entre les acteurs et l’accompagnement des élèves. Nous devons aller plus loin dans la transparence des procédures, dans la formation des enseignants et dans l’articulation entre le secondaire et le supérieur.
C’est pourquoi nous nous engagerons dès 2025 dans une nouvelle étape ambitieuse. La transparence sera renforcée grâce à la publication de 19 000 rapports détaillant les critères d’admission. Chaque formation sera présentée avec ses caractéristiques essentielles afin que les élèves puissent connaître la nature de l’établissement qui la propose. De plus, 75 % des formations proposées sur Parcoursup indiqueront l’employabilité de leurs diplômés, contre 40 % aujourd’hui. Je détaillerai davantage dans les prochains jours ces nouvelles dispositions renforçant la transparence de Parcoursup.
L’accompagnement sera considérablement enrichi grâce à la plateforme Avenir(s) de l’Onisep. Ce programme très innovant permettra un suivi personnalisé dès la classe de cinquième, avec des outils adaptés à chaque âge. Il favorisera la découverte des métiers, l’exploration des formations et la construction progressive du projet d’orientation.
La procédure de Parcoursup sera accélérée et mieux articulée avec le calendrier du baccalauréat. Nous veillerons à ce que la majorité des lycéens aient leurs réponses avant les épreuves écrites de terminale afin qu’ils puissent se concentrer sereinement sur leurs examens. Ces évolutions s’inscrivent dans une ambition plus large : faire de l’orientation une politique publique prioritaire. Il ne s’agit plus seulement d’informer, mais bien d’accompagner chaque jeune dans la construction d’un parcours choisi et réussi.
J’entends les inquiétudes qui s’expriment à propos du stress des lycéens ou de la complexité de certaines procédures. Comme député, j’avais demandé que ces dernières soient plus transparentes et plus lisibles. C’est dans ce but que l’accompagnement va être renforcé. Gardons toutefois à l’esprit que ce stress traduit aussi l’importance que les jeunes et leurs familles accordent à cette étape cruciale de leur vie.
Notre objectif est clair : permettre à chaque jeune de construire un parcours choisi et réussi dans l’enseignement supérieur. C’est un enjeu de justice sociale mais aussi un enjeu d’efficacité économique à ne pas négliger. Oui ! nous avons besoin de tous les talents pour relever les défis qui sont devant nous.
La réussite de cette ambition nécessitera la mobilisation de tous les acteurs – l’État, les régions, les établissements du secondaire et du supérieur ainsi que, bien sûr, les enseignants. C’est dans ce sens que le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel a récemment annoncé une concertation sur l’orientation, dont les contours seront prochainement présentés.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron (HOR)
Parcoursup a transformé l’accès à l’enseignement supérieur en le rendant plus transparent et plus équitable. Grâce aux attendus, aux critères d’examen des vœux et à la déconcentration des décisions, il est plus efficace que l’ancien système, le portail d’admission postbac APB, car il prend mieux en compte les attentes et les spécificités de chaque étudiant. Les avancées sont nombreuses : une orientation plus lisible pour les élèves, une individualisation croissante des parcours et un renforcement des dispositifs d’accompagnement comme le « Oui si », les tests de positionnement, le tutorat étudiant ou les modules numériques.
Ces efforts contribuent à améliorer l’assiduité en cours, à réduire le taux d’abandon en première année et à favoriser la réussite étudiante. Cependant, ces progrès ne doivent pas masquer les défis qui demeurent. La procédure restant stressante, nous devons tout faire pour apaiser les jeunes et leurs familles. Le rôle des professeurs principaux et référents, déterminant dans l’accompagnement des élèves, mérite d’être renforcé. De plus, la participation des universités dans l’orientation des lycéens demeure perfectible. Il faut ainsi garantir l’organisation de journées d’orientation, qui sont essentielles car elles permettent aux élèves de mieux connaître les filières disponibles, les débouchés et les attentes du milieu universitaire.
Enfin, il est essentiel de rendre l’offre éducative plus lisible pour permettre aux jeunes de distinguer clairement les établissements remplissant des missions de service public de ceux à but lucratif. Cela passe par une amélioration de l’information sur la reconnaissance des diplômes, les labels et la qualité des formations.
Dans ce contexte, alors que le ministère a récemment annoncé le lancement d’une concertation nationale sur l’orientation, pouvez-vous nous indiquer quelles actions sont envisagées pour soutenir davantage les professeurs principaux en mettant à leur disposition les outils de formation dont ils ont besoin, pour favoriser, voire rendre obligatoires, les journées de découverte des universités, pour améliorer la lisibilité de l’offre et pour clarifier la distinction entre les établissements assurant des missions de service public et ceux à but lucratif ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La loi du 8 mars 2018 avait pour ambition de refonder l’accès à l’enseignement supérieur selon deux axes principaux : l’accompagnement des lycéens dans leurs choix d’orientation et l’accompagnement des étudiants vers la réussite. Rendre central l’accompagnement traduit la conviction que, pour être réellement démocratique, notre système éducatif doit donner une meilleure visibilité à l’orientation et à l’aide au choix. Depuis 2018, des premières étapes essentielles ont été franchies, comme en témoigne la dernière étude d’opinion en la matière, qui montre que 88 % des lycéens ont bénéficié d’une aide dans les phases de préparation et de formulation de leurs vœux.
Bien sûr, il faut faire mieux, en accompagnant davantage les professeurs principaux, en les aidant à inciter les élèves à s’intéresser aux formations postbac dès les premières années au lycée. Il s’agit évidemment d’un enjeu partagé avec mes collègues du ministère de l’éducation nationale. Nous avons d’ores et déjà permis aux élèves de seconde et de première de se créer un compte sur Parcoursup pour, comme je viens de l’expliquer, qu’ils aient plus de temps pour découvrir les formations du supérieur. En quelques semaines, près de 200 000 d’entre eux ont déjà utilisé cette possibilité.
C’est une première étape et, dans la continuité de ma feuille de route, nous travaillons pour que la prochaine session de Parcoursup, qui va débuter en janvier 2025, permette une meilleure utilisation des données présentes sur le site. Voici trois exemples de cette volonté. Nous avons déjà apporté aux proviseurs une meilleure lisibilité des parcours de leurs élèves. Ensuite, nous donnerons aux lycéens et à leurs parents de nouvelles informations sur les profils des candidats admis dans telle ou telle formation et sur les perspectives d’insertion dans le marché de l’emploi. Enfin, en lien avec l’Onisep, nous proposerons de nouveaux outils pédagogiques.
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur la mise en place du premier cycle d’études de médecine en Corse. L’université de Corse évolue dans un cadre réglementaire dérogatoire et spécifique issu d’une convention-cadre régissant son partenariat avec l’État et avec la collectivité de Corse. Une convention tripartite pour la période allant de 2023 à 2027 a été ainsi signée le 6 novembre 2023, en présence de la ministre de l’enseignement supérieur, Mme Sylvie Retailleau.
L’université de Corse, qui propose depuis 2004 la première année d’études de santé, souhaite désormais offrir un premier cycle complet. Mme Retailleau a soutenu ce projet lors de sa venue en novembre 2023 puis, le 22 avril 2024, la ministre de la santé, Mme Catherine Vautrin, a annoncé l’ouverture de la deuxième année à la rentrée de septembre 2025. En vue de l’indispensable accréditation du diplôme de formation générale en sciences médicales, un dossier a été déposé le 7 juin 2024 auprès du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser).
Je souhaite vous alerter sur le retard de la programmation de l’examen par le Cneser de ce dossier de validation du principe d’ouverture des deux années qui compléteraient le premier cycle d’études. Je vous alerte d’autre part sur le fait que l’université de Corse n’a toujours pas perçu les subventions prévues dans la convention tripartite pour les années 2023 et 2024, alors que la validation du dossier par le Cneser semble conditionnée par l’octroi de ces sommes. Je vous demande donc de nous indiquer quelle sera votre action pour garantir l’ouverture de la deuxième année de médecine en Corse en 2025.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Je tiens en premier lieu à vous assurer de la volonté du gouvernement de faciliter l’accès aux soins de tous les Corses. Dans ce but, il est nécessaire de consolider la formation médicale des étudiants issus du territoire dans un parcours organisé en Corse. Ce dossier me tient à cœur car j’ai eu à travailler sur l’université de Corse, votre alma mater.
Comme vous l’avez dit, l’université de Corse a pour objectif d’offrir un premier cycle d’études médicales complet en ajoutant à la première année déjà existante une deuxième puis une troisième année. Sur ce point, un dossier académique est en cours d’examen au ministère. Une première expertise a conclu que le dossier de demande d’accréditation doit être complété pour pouvoir être examiné par le Cneser, ce qui serait imminent.
Soyez assuré que le ministère est en lien étroit avec l’université de Corse et avec la collectivité territoriale qui, comme vous l’avez indiqué, est également compétente en matière d’enseignement supérieur. Un échange est prévu très prochainement afin de préciser certains points du dossier, notamment le programme d’enseignement. Dans tous les cas, nous travaillons dans le sens que vous souhaitez car nous connaissons les enjeux du dossier et savons qu’il répond à une attente très forte des étudiants, des élus et, plus largement, de la population corses. Le gouvernement porte une grande attention à cette question, qui sera prochainement examinée dans cet hémicycle. Je suis certain que la sagesse parlementaire nous permettra d’y apporter une réponse complète.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
La précarité en milieu étudiant devient un phénomène structurel. Les enquêtes de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) démontrent qu’au moins un quart des jeunes en études vivent dans une situation de précarité. Selon la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), en 2024, le coût de la rentrée a atteint la somme de 3 157 euros pour un étudiant n’habitant pas chez ses parents. Les étudiants non boursiers subissent de plein fouet l’augmentation des frais de scolarité, dont des hausses de 2,9 % des frais d’inscription et de 3 % de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Les frais de logement augmentent de 2,5 % et, en raison de cette envolée des prix, les dépenses alimentaires deviennent la principale variable d’ajustement budgétaire des étudiants, alors que 20 % d’entre eux ne mangent pas à leur faim.
La réforme partielle du système des bourses mise en place par Mme Sylvie Retailleau quand elle était ministre avait permis d’intégrer 35 000 nouveaux bénéficiaires, un nombre largement insuffisant pour compenser les 70 000 boursiers évincés des aides depuis 2020 selon le rapport Jolion. Les associations étudiantes sont unanimes : une réforme intégrale du système des bourses est indispensable pour élargir le nombre de bénéficiaires et revaloriser les montants alloués. Alors que le coût de la vie étudiante a augmenté de 27,76 % depuis 2017, le gouvernement fait le choix de baisser de 120 millions d’euros les crédits consacrés aux bourses sur critères sociaux dans le projet de loi de finances pour 2025.
Ma question est simple : quelles mesures le gouvernement va-t-il prendre pour protéger le pouvoir d’achat et les conditions de vie des étudiants et pour ainsi garantir l’accessibilité économique de l’enseignement supérieur ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La réforme du système des bourses va avoir lieu, sans créer de perdants ou faire baisser le nombre de bénéficiaires. L’essentiel est que cette réforme soit transparente, équitable et lisible. Comme je l’ai indiqué aux organisations étudiantes, le travail sur ce sujet se poursuit.
Je ne sais pas, monsieur le député, d’où vient le chiffre de réduction des financements des bourses que vous avez mentionné. D’autant que je tiens à vous rassurer : si vous regardez les chiffres finaux d’exécution du budget pour 2024, vous verrez que nous avons fait en sorte que les sommes allouées aux bourses sur critères sociaux augmentent, de telle sorte que toutes les personnes qui y ont droit en bénéficient.
En tout cas, soyez assuré que je porte une attention toute particulière à ces questions – lundi encore, j’étais à Metz pour superviser le déploiement des dispositifs. Le réseau des œuvres universitaires est très actif autour du triptyque logement, restauration collective et aide sociale. Il fait un travail remarquable et j’en profite pour saluer les efforts de celles et ceux qui s’investissent au quotidien pour soutenir nos étudiants.
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
Nous savons tous que l’absence de stratégie nationale relative à l’orientation fragilise notre enseignement supérieur. Reconnaissons également qu’elle pénalise le monde du travail et notre économie ! En effet, pour penser l’accès aux études supérieures, il convient de penser la finalité de celles-ci, et cette finalité, nous devrions tous en convenir, c’est l’insertion professionnelle. Contrairement à certains postulats, appréhender les études supérieures de cette manière n’abaisse pas le niveau car le marché du travail a un besoin de qualification solide.
Lors du processus d’orientation des élèves du secondaire, l’information quant à la finalité professionnelle des formations proposées est une nécessité incontestable. Vous en avez conscience, monsieur le ministre, puisque vous avez annoncé vouloir indiquer sur Parcoursup les taux d’insertion professionnelle à six mois au lieu de dix-huit aujourd’hui. Cette mesure ne nous semble cependant pas suffisante car l’indicateur n’est pas satisfaisant. Ce qu’il faut interroger, ce n’est pas seulement l’insertion brute, mais l’adéquation entre formation acquise et emploi obtenu, surtout dans les filières généralistes.
Je prendrai l’exemple que je connais le mieux : ma propre discipline, l’histoire. Le taux d’insertion d’un master d’histoire est de 75 % sur dix-huit mois, mais ce chiffre cache une réalité plus complexe. Seulement un tiers des titulaires d’un master d’histoire bénéficient d’un emploi stable ; plus significatif, seulement 61 % d’entre eux considèrent avoir des missions en adéquation avec un bac + 5 et seulement 48 % sont satisfaits de leur rémunération. Six diplômés sur dix complètent leurs études par un second master. Pour beaucoup d’entre eux, on peut s’interroger sur le rôle réel du master d’histoire en tant que tel dans leur insertion. Dans quelle mesure les savoirs acquis auront été mobilisés ? Quelles sont concrètement les carrières construites ? Le taux d’insertion ne le dit pas.
Monsieur le ministre, jugez-vous le taux d’insertion professionnelle, même à six mois, suffisant pour témoigner des réalités de carrière offertes à nos diplômés ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
L’affichage des taux de réussite de toutes les formations et des taux d’insertion professionnelle InserSup n’est évidemment pas suffisant, mais c’est un progrès significatif par rapport à ce qui existait précédemment. C’est sur ce point que je voudrais insister. Sur les plateformes Parcoursup et Mon Master, cet affichage donne aux jeunes une indication précise et permet ainsi une orientation plus éclairée.
L’indicateur InserSup mesure actuellement, pour chaque mention, l’insertion professionnelle salariée en France – à six, douze, dix-huit, vingt-quatre et même trente mois – des étudiants diplômés ne poursuivant pas d’études. Courant 2024 et en 2025, cet indicateur va être enrichi d’éléments qualitatifs relatifs aux caractéristiques des emplois occupés et au régime de la formation suivie – apprentissage, alternance ou autre. Il couvrira les diplômes d’ingénieur, de management et de bachelor universitaire de technologie (BUT), et ce sera là aussi une avancée par rapport à ce qui existe.
Quant à la pertinence de ce critère, le taux d’emploi est une information utile, nécessaire même, mais qui doit être appréciée dans le cadre d’un accompagnement global, auquel je suis également très attaché. Ce travail d’orientation doit bien sûr se faire en liaison avec les équipes des lycées.
Mon engagement en faveur de l’insertion professionnelle, vous le savez, remonte à vingt ans. Je suis convaincu que les étudiants doivent pouvoir faire des choix éclairés, au plus tôt, en s’appuyant sur le plus d’informations possibles – dont le taux d’emploi et le taux d’insertion. Encore une fois, même s’il reste beaucoup à faire, nous avançons. Soyez assuré que nous y travaillons activement !
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Bigot.
M. Guillaume Bigot (RN)
Puisque nous évoquons l’accès à l’enseignement supérieur, évoquons aussi son attractivité internationale, en particulier celle de notre enseignement supérieur auprès des étudiants chinois. D’après les données de Campus France, l’an dernier, 27 000 étudiants chinois ont choisi de se former en France. Parmi eux, 60 % ont choisi nos universités publiques. On pourrait donc être tenté de se féliciter du rayonnement international de notre enseignement supérieur auprès des jeunes Chinois. Les apparences sont pourtant trompeuses.
D’abord, la plupart de ces étudiants viennent en France après avoir échoué à intégrer l’université chinoise, très sélective. Ils n’ont en général pas assez de points au baccalauréat chinois, le Gaokao. Un tiers d’entre eux abandonnent d’ailleurs avant la fin de leur cursus.
Ensuite, alors que la Chine est à la fois un pays immensément riche et un concurrent redoutable, ces étudiants acquittent des droits d’inscription de 3 000 euros par an en moyenne, ce qui est très inférieur au coût réel des formations, largement supporté par le contribuable français. En comparaison, le Royaume-Uni attire plus de 150 000 étudiants chinois, avec des frais de scolarité de 20 000 euros par an en moyenne. Les étudiants chinois sont également friands de formations étasuniennes et australiennes, qui coûtent des centaines de milliers d’euros par an. Ayant dirigé une grande école de commerce, je peux témoigner que les étudiants chinois préféraient des formations en management, car ils jugeaient les droits d’inscription proposés par l’université trop faibles et cela les inquiétait. Eh oui, le prix est parfois un signal de qualité !
Cela soulève la question de la valeur perçue des diplômes obtenus en France par rapport à ceux délivrés dans des pays où les droits d’inscription sont parfois dix fois plus élevés, mais presque dix fois plus attractifs. Monsieur le ministre, en cette période de disette budgétaire, comment justifier le maintien de droits d’inscription aussi peu élevés pour des étudiants étrangers de faible niveau ou ressortissants de pays très riches ? Ne pensez-vous pas qu’il faut revoir cette politique tarifaire afin d’économiser nos deniers publics tout en renforçant le prestige et l’attractivité de notre enseignement supérieur ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Comme vous le savez, l’accès des étudiants étrangers se fait soit par Campus France, qui gère les procédures relatives aux études dans notre pays, soit par Parcoursup. Certains étudiants bénéficient également de partenariats entre établissements. Ces modalités d’accès permettent chaque année à des milliers d’étudiants de venir étudier en France et de s’y former – les partenariats assurent la réciproque aux étudiants français. Pas moins de 186 nationalités sont représentées sur Parcoursup, qui enregistre, chaque année, 35 000 candidatures de lycéens et étudiants scolarisés dans des établissements étrangers.
L’enjeu au cœur de votre question est celui de l’attractivité de notre système. Pour imaginer les réformes à mener, il ne faut pas se baser uniquement sur des aspects quantitatifs, mais s’ouvrir au volet qualitatif : je souhaite, moi aussi, que l’on puisse mieux accueillir les étudiants auxquels nous ouvrons la porte de nos établissements.
La question des droits d’inscription est centrale. Comme vous le savez, les établissements ont une totale liberté de fixer ces droits pour les étudiants étrangers non ressortissants de pays membres de l’Union européenne. C’est à eux de décider de leur politique en la matière. Il s’agit, en tout cas, d’un levier puissant ; dans le cadre de la contractualisation, nous aurons l’occasion d’échanger avec les établissements sur la manière dont ils géreront leurs ressources propres.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Laussucq.
M. Jean Laussucq (EPR)
Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel et l’élargissement des responsabilités des régions en matière d’orientation, l’inquiétude grandit quant à l’avenir des centres d’information et d’orientation comme des psychologues de l’éducation nationale spécialisés dans l’orientation. Comme vous le savez, ces professionnels jouent un rôle important dans l’accompagnement des élèves, notamment dans la lutte contre l’autocensure, la prévention du décrochage scolaire et une orientation éclairée vers les filières de l’enseignement supérieur ou de l’apprentissage. Le flou persistant sur la coordination entre l’État et les régions semble nuire à leur efficacité. Les régions ont désormais la charge de l’information sur les métiers et les formations, mais les CIO relèvent encore de l’éducation nationale, d’où une gestion parfois fragmentée et incohérente de l’orientation scolaire.
Cette situation inquiète les personnels concernés et risque d’affaiblir l’accompagnement des élèves, comme l’ont très bien montré Thomas Cazenave et Hendrik Davi dans leur rapport au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les mesures que vous comptez mettre en œuvre pour clarifier la répartition des responsabilités entre l’État et les régions ? Les CIO ont-ils vocation à rester sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale ? Un éclaircissement en la matière serait, je crois, propice à une meilleure efficacité de la politique d’orientation et à un meilleur accompagnement des élèves.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Vous avez raison de soulever cette question, mentionnée dans le rapport. Le pilotage de l’orientation implique un grand nombre d’acteurs relevant du périmètre de l’État : à l’échelle nationale, il s’agit du ministère de l’éducation nationale, du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de l’Onisep ; à l’échelle régionale, des services académiques chargés de l’information et de l’orientation, de l’inspection de l’éducation nationale chargée de l’orientation, des psychologues de l’éducation nationale et bien entendu des professeurs principaux. J’ajoute que, depuis la loi de 2018, les conseils régionaux partagent cette compétence avec l’État.
La concertation lancée par le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel, Alexandre Portier, va aborder explicitement cette question. Je veux souligner les efforts de la ministre de l’éducation nationale pour que les régions et l’Onisep mettent leur collaboration au service des intérêts des élèves. La discussion porte notamment sur le programme Avenir(s), développé par l’Onisep et financé à hauteur de 30 millions d’euros par France 2030 – un exemple de coordination entre différents acteurs. Prochainement, 200 000 élèves entreront en phase test du programme.
Améliorer la coordination passe aussi par l’identification d’un seul interlocuteur au niveau de l’État. La décision en ce sens devrait produire un impact immédiat ; elle doit donc faire l’objet d’une vraie réflexion. Je resterai attentif au résultat de la concertation, à laquelle mon ministère a été étroitement associé. Croyez bien que, en tant qu’élu local, j’ai à cœur de soutenir toutes les initiatives qui permettront de faciliter les actions communes. Je suis très attaché à la territorialisation : nous devons rester proches de celles et ceux qui ont le plus besoin de ces dispositifs d’information et d’orientation.
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Saint-Martin.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP)
Le rapport d’information sur l’accès à l’enseignement supérieur pointe les inégalités d’accès en fonction, entre autres, de la classe sociale et de la situation géographique. La question financière reste prégnante : oui, cela coûte cher d’étudier – d’autant plus si les frais d’inscription sont amenés à évoluer. Le gouvernement ne va sans doute pas – pour l’instant du moins – annoncer explicitement cette augmentation, mais il peut permettre aux établissements de le faire, laissant leurs conseils voter. In fine, les établissements pourraient augmenter librement leurs droits d’entrée et renforcer la sélection sociale à l’université. Ces augmentations conduiraient à un rapprochement objectif avec les formations privées qui, si elles veulent rester attractives et prestigieuses, pourraient elles aussi augmenter leurs frais déjà démesurés.
Pourtant le rapport dénonce la trop grande place accordée aux formations privées dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). En effet, face à la faiblesse des moyens alloués à l’enseignement public et à la pénurie de places organisée, le marché de l’enseignement privé à but lucratif progresse. Cette année, 40 % des formations sur Parcoursup relèvent de l’enseignement privé à but lucratif. Parcoursup est devenu une véritable vitrine publicitaire pour le privé qui prospère sur fond de laisser-faire et de déclassement des universités publiques exposées à l’austérité et à la ruine.
Les services de l’État, recommande le rapport, doivent exercer un contrôle strict des formations sur Parcoursup, avec exclusion de la plateforme en cas de défaut de déontologie ou d’une qualité insuffisante de formation. La DGCCRF a enquêté sur quatre-vingts établissements privés et ses constats sont alarmants : 56 % des établissements contrôlés présentent des anomalies sur au moins un point de la réglementation – prix promotionnel mensonger, arnaques, diplômes bidon et poudre aux yeux.
En résumé, le ministère entend-il faire le ménage sur le marché des établissements privés à but lucratif, comme le préconise le rapport et comme vous l’avez annoncé ? Si oui, comment et avec quels vrais moyens – notamment de contrainte ? Quand allez-vous cesser de rediriger des financements publics vers le privé, comme votre prédécesseur l’a fait avec la CVEC ? Vous engagez-vous à refuser toute augmentation des frais d’inscription ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Comme je l’ai indiqué lors de la présentation de ma feuille de route, nous sommes en parfait accord avec les rapports parlementaires quant à la nécessité de réguler l’offre de formation privée, qui pose manifestement problème. Avec d’autres membres du gouvernement – la question concerne aussi la formation professionnelle –, nous engagerons un processus visant, si je puis dire, à faire le ménage.
Vous soulignez à juste titre qu’il est inacceptable de consacrer de l’argent public à des formations qui sont en réalité de véritables arnaques – je me permets d’utiliser le mot – aussi bien pour les jeunes que pour leurs familles. Nous ferons donc le nécessaire, notamment en proposant une labellisation – la possibilité d’étendre la certification Qualiopi à l’enseignement supérieur fait l’objet d’un travail en cours – et en nous assurant que les formations frauduleuses soient exclues de Parcoursup, ce qui suscitera, je l’espère, un large consensus transpartisan.
Mme Marie Mesmeur
Vous n’avez pas répondu au sujet des frais d’inscription !
Mme la présidente
La parole est à Mme Florence Herouin-Léautey.
Mme Florence Herouin-Léautey (SOC)
Parcoursup a indéniablement amélioré la transparence en centralisant les procédures d’admission dans l’enseignement supérieur. Pourtant, les biais sociaux et territoriaux qui l’affectent compromettent sa capacité à garantir l’égalité des chances. Le rapport d’information met en lumière un problème fondamental : l’accès à l’information et aux possibilités offertes par Parcoursup varie considérablement en fonction de l’origine socioculturelle des élèves. Si certains jeunes bénéficient d’un accompagnement familial et éducatif structuré et savent tirer parti de la plateforme, d’autres, notamment issus des milieux modestes, peinent à comprendre les enjeux, les codes et les attentes.
L’hypocrisie, monsieur le ministre, ce n’est pas la démocratisation de l’enseignement supérieur, mais le fait de rester sourd et aveugle aux disparités du capital socioculturel dont nos jeunes disposent pour avancer dans leurs parcours – hypocrisie éhontément pratiquée par un syndicat étudiant qui vous est cher.
Les inégalités s’accentuent encore du fait des 2 800 algorithmes locaux appliqués de manière disparate et de la valorisation de critères additionnels tels que la détention du Bafa – brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur – ou d’un brevet de secourisme. Bien qu’intéressante sur le papier, la prise en compte de telles certifications avantage de facto les candidats issus de milieux favorisés, qui disposent des moyens culturels et financiers pour s’y préparer.
L’accès à l’enseignement supérieur ne devrait pourtant constituer ni une affaire de stratégie, ni une affaire de capital culturel et financier, pas plus que de lieu de naissance ou de résidence, mais bien une question de potentiel, d’aptitude et de choix éclairé pour un avenir désirable. Afin de garantir l’effectivité d’un tel choix, le gouvernement compte-t-il inscrire les cinquante-quatre heures annuelles d’accompagnement personnalisé dans l’emploi du temps des lycéens et les intégrer dans la dotation horaire globale des établissements ? Par ailleurs, ne serait-il pas temps d’évaluer la réforme de 2018 qui a confié aux régions une responsabilité accrue en matière d’orientation et de faire le bilan des services publics régionaux de l’orientation (SPRO) ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Force est de constater que la démocratisation des formations progresse, grâce à Parcoursup notamment. Entre 2018 et 2022, 5 % de boursiers supplémentaires ont été admis dans l’enseignement supérieur. En 2024, la proportion des lycéens boursiers ayant reçu une proposition d’admission se stabilise au niveau atteint depuis 2020, soit les neuf dixièmes d’entre eux. En 2023, quelque 17 577 lycéens boursiers ont été admis dans la formation de leur choix ; tous ne l’auraient pas été sans l’application des taux de priorité instaurés par la loi ORE. Le ministère pilote les dispositifs de fixation des taux déterminant les priorités d’accès sur Parcoursup et veille à leur mise en œuvre par les recteurs de région académique.
Au-delà de la politique des taux, il convient également d’accompagner qualitativement les lycéens dans leurs parcours, ce que permet le dispositif des cordées de la réussite, pris en compte par 40 % des formations lors de l’analyse des candidatures. Il s’agit d’une politique de longue haleine, dont je tiens à souligner le rôle : 96 % des lycéens ayant participé à une cordée de la réussite ont reçu une proposition d’admission sur Parcoursup et 87,9 % d’entre eux l’ont acceptée. Ces candidats connaissent un taux d’admission supérieur de près de 3 % à celui des autres. Le gain est particulièrement significatif s’agissant des lycéens issus de la voie professionnelle, obtenant 6 points de plus que les autres candidats issus de la même voie ; il est également notable pour les lycéens des séries technologiques, puisque l’écart s’élève à 4 points. Nous devons encore avancer sur ces questions, notamment grâce aux cordées de la réussite.
Mme la présidente
La parole est à Mme Pascale Bay.
Mme Pascale Bay (DR)
Les rapporteurs ont mis en évidence plusieurs faiblesses dans l’aide à l’orientation proposée aux élèves en amont du dépôt de leurs vœux sur Parcoursup. Vous n’en êtes pas responsable, monsieur le ministre, et je connais votre attachement à l’orientation, mais ces problèmes persistent. D’une part, les professeurs manquent de formation pour présenter le monde professionnel aux futurs étudiants avec précision ; d’autre part, peu de semaines sont consacrées à l’immersion en entreprise au cours des trois années de lycée. Le constat est d’autant plus inquiétant qu’un défaut d’accompagnement compromet la bonne orientation des futurs étudiants.
Les risques sont les suivants : que seuls ceux qui disposent d’un fort capital culturel aient accès aux informations pertinentes pour se préparer et faire un choix adéquat ; que ceux qui vivent isolés, à l’écart des établissements d’enseignement supérieur, soient découragés de faire les efforts nécessaires pour se former loin de chez eux ; que, par défaut, leur choix soit déterminé par la visibilité de certains métiers dans la vie de tous les jours ou par les résultats d’une recherche sur internet ; que des idées fausses obscurcissent leur vision de la réalité du monde professionnel ; enfin, qu’aucun choix n’intervienne, transformant nombre d’étudiants en devenir en personnes sans projet, ni possibilité de s’épanouir et de réussir.
Par ailleurs, les entreprises soulignent la nécessité de recréer des savoir-faire artisanaux et industriels sur notre territoire. Dans cette perspective, nous devons montrer de façon très concrète à nos jeunes la richesse, la diversité et l’intérêt de métiers dont ils entendent trop peu parler.
Un constat s’impose : l’inadéquation entre l’offre et la demande de formation entraîne la hausse des métiers en forte tension d’un côté et celle des filières sans débouchés de l’autre. Quelles mesures comptez-vous prendre afin d’ajuster l’offre à la demande de travail et de permettre aux étudiants de trouver leur vocation professionnelle ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La réussite des études doit s’inscrire dans une logique d’approfondissement des savoirs d’une part et dans la perspective de l’insertion professionnelle d’autre part. Il y a quatorze ans déjà, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle avait été créée dans le but d’associer les savoirs et les enjeux économiques et sociaux. C’est d’ailleurs une priorité de ma feuille de route.
Nous faisons des progrès : dès cette année, les lycéens et leurs parents pourront accéder sur Parcoursup à des données fiables, produites par les services statistiques de l’État, portant sur les débouchés professionnels de plus des trois quarts des formations proposées. Devront encore s’y ajouter d’autres informations relatives aux conditions d’emploi – nous venons d’en débattre –, aux métiers d’avenir identifiés comme tels ou encore à ceux susceptibles d’être en tension dans certains bassins d’emploi. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai soutenu l’inscription sur Parcoursup dès la classe de seconde.
Néanmoins, l’information seule ne suffit pas : elle ne permet pas de lever les préjugés si elle n’est pas doublée d’un accompagnement de proximité ou d’une expérience personnelle et concrète. Les régions favorisent d’ailleurs les rencontres entre jeunes et acteurs du monde professionnel. Tel est aussi l’enjeu de la découverte des métiers en classe de cinquième, du stage de troisième et de seconde, ou encore des journées portes ouvertes et d’immersion qu’organisent les établissements d’enseignement supérieur. Informer, permettre des rencontres et consacrer des temps d’échange à dépasser les préjugés, tout cela est fondamental. De telles démarches doivent être coordonnées avec l’évolution de la carte des formations, qu’elles soient professionnelles, comme les BTS, ou relèvent de l’enseignement supérieur. Tous ces éléments font partie de ma feuille de route.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (EcoS)
L’accès à l’enseignement supérieur représente à bien des égards un « gâchis collectif ». Je ne peux que reprendre ces mots, impossibles à occulter, qui figurent dans le rapport qui nous intéresse.
Ancien enseignant d’un lycée professionnel, je pourrais citer nombre de parcours remarquables qui ne seraient plus possibles aujourd’hui, les algorithmes de Parcoursup bloquant les projets qui sortent de la voie tracée – une voie tracée, voire imposée, de plus en plus tôt. Les réformes successives du lycée professionnel, toujours adoptées sous couvert d’ambitions qui ne sont jamais concrétisées pour les élèves, transforment, en effet, les formations au service d’une employabilité précoce. L’orientation subie, fruit de notre incapacité à ouvrir toutes les portes aux élèves les plus défavorisés, leur coupe les ailes dès le plus jeune âge. Au fil de la scolarité, la part d’enfants d’ouvriers se réduit à mesure que croît celle d’enfants de cadres supérieurs : seuls 33 % d’élèves de lycée professionnel – où les premiers sont très majoritaires – poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur. Ce chiffre atteste d’un échec : la promesse d’égalité entre tous les élèves n’a pas été tenue. Des quotas d’élèves issus de cette voie ont certes été instaurés, mais sans ménager les conditions de leur réussite dans le supérieur, de sorte que 40 % d’entre eux échouent finalement au BTS.
Quand il faudrait orienter, on trie ; quand il faudrait accompagner, on surcharge les professeurs ; quand il faut du temps, on en supprime. La priorité assignée pour ces jeunes : les faire travailler, non les instruire, ni leur permettre de réussir des études supérieures qui leur garantiraient des métiers valorisés et valorisants. Aussi un véritable chantier reste-t-il à engager, en commençant par l’orientation, dont on sait qu’elle creuse très tôt les inégalités sociales et géographiques d’accès à l’enseignement supérieur.
Comptez-vous, monsieur le ministre, créer les conditions propices à la réduction de ces inégalités ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI, SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Permettez-moi de dire que je suis, moi aussi, particulièrement sensible à la question des inégalités, bien réelles, d’accès à l’enseignement supérieur dans notre pays, dont j’ai pu mesurer l’importance comme élu d’un territoire rural.
Agir pour l’égalité, c’est d’abord fournir une information accessible à tous, sans barrière, claire et utile, qui aide les jeunes à se projeter dans les études supérieures. C’est là un apport de Parcoursup, reconnu par les lycéens eux-mêmes. Lutter contre les inégalités, c’est aussi être attentif à l’admission dans l’enseignement supérieur des lycéens boursiers, critère important. Or, depuis la création de Parcoursup, ce taux est en augmentation – j’ai eu l’occasion de l’indiquer dans une réponse précédente. Parmi les exemples d’améliorations constatées, je ne prendrai que celui de l’inscription sur la plateforme d’un concours commun aux écoles vétérinaires, lequel a permis d’en diversifier le recrutement du point de vue tant social que territorial. Ainsi, dans les territoires ruraux, la création des campus connectés sur Parcoursup a permis d’offrir, sur place, un accès à des formations géographiquement éloignées.
Il faut aussi lutter contre l’autocensure. Nous avons, à cet égard, promu les parcours des élèves en cordées de la réussite auprès des formations, créant par exemple des cordées pour les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et obtenant des effets tangibles : les bacheliers professionnels participant au dispositif étaient 6 % plus nombreux à obtenir une proposition de formation que les mêmes lycéens hors cordées, comme je l’ai indiqué lors d’une précédente réponse. Lutter contre les inégalités consiste à prendre des mesures volontaristes pour changer le cours des choses, par exemple en facilitant certaines réorientations, ce que le passage d’APB à Parcoursup devait permettre. Nous portons en tout cas une attention particulière aux questions d’inégalité.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Évaluation de la lutte contre la contrefaçon
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) relatif à l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs, les orateurs des groupes, puis le gouvernement, représenté par la ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme, Mme Marina Ferrari ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Blanchet, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
M. Christophe Blanchet, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Mon collègue corapporteur Kévin Mauvieux et moi-même, nous ne sommes politiquement d’accord sur rien. Mais s’agissant de notre rapport, nous sommes d’accord sur tout ! Nous sommes d’accord à la fois sur le constat que je m’apprête à vous présenter et sur les propositions qu’il formulera ensuite. Je tiens à le souligner parce que le travail que nous avons effectué rend justice à toutes celles et à tous ceux qui luttent contre la contrefaçon et qui, en 2023, ont permis la saisie de plus de 130 millions d’objets contrefaits en France.
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Je veux ainsi saluer nos douaniers, gendarmes et policiers (M. Kévin Mauvieux, rapporteur, et M. Romain Daubié applaudissent), la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac), l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), l’Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab) et tous ceux qui contribuent à faire en sorte que ce péril pour notre nation s’amoindrisse d’année en année. Malheureusement, à mesure que le volume des saisies augmente, c’est le marché des contrefaçons qui s’étend.
Pour établir le constat qu’il m’appartient d’exposer, je partirai des chiffres : six sur dix. Six Français sur dix qui achètent de la contrefaçon le font en toute conscience : ils sont donc complices. Mais comprennent-ils de quoi ils sont complices ? Ont-ils conscience d’être complices de la mise à mal de notre économie, puisque les contrefaçons causent la perte de 10 milliards de recettes fiscales par an ? Ont-ils conscience de mettre indirectement au chômage 30 000 de nos compatriotes chaque année ? Ont-ils conscience de menacer l’environnement lorsqu’ils achètent des contrefaçons qui, ne respectant aucune norme environnementale, polluent rivières et sols dans les pays où elles sont produites ?
Ont-ils conscience de mettre à mal notre système de santé en achetant des contrefaçons de produits pharmaceutiques et de produits de beauté et d’hygiène qui occasionnent brûlures au troisième degré et hospitalisations ? Ont-ils conscience de nuire à la protection de l’enfance, car acheter une contrefaçon, c’est faire travailler des enfants de 9, 10, 11 ou 12 ans ? Comment peut-on accepter cela ? Ont-ils conscience, enfin, de compromettre leur propre sécurité et même notre sécurité nationale ? Certains achètent des contrefaçons de roulement à billes, de plaquettes de frein ou de guirlandes de Noël. Or une guirlande contrefaite, c’est un feu assuré ; une plaquette de frein contrefaite, c’est l’accident assuré, la mort au tournant. Pour ce qui est de notre sécurité nationale, acheter des contrefaçons, c’est participer au financement de réseaux criminels, terroristes et mafieux.
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple du tabac. Le volume financier du tabac de contrebande, en France, dépasse les 3 milliards d’euros, soit presque autant que le marché de la drogue. Il existe un marché du narcotrafic, contrôlé par des mafias, dans notre pays ; rendons-nous compte que, pour le même volume, des mafias tout aussi organisées tiennent le marché des cigarettes contrefaites !
Les acheteurs mettent leur santé en danger car dans ces cigarettes, on retrouve certes du tabac, mais aussi du ciment, de l’urine et même de la mort-aux-rats, soit des produits qui tuent – encore plus que le tabac ! Derrière ce tabac de contrebande se trouvent des gens qui veulent nous nuire – qui financent, à des fins criminelles, le fait de nous nuire.
Ont-ils conscience, ces acheteurs de tabac contrefait, qu’ils tuent aussi nos buralistes, les seuls habilités à vendre du tabac en France ? C’est le cas aussi bien dans nos territoires ruraux, où les buralistes, exerçant une activité multiservices, font vivre villages et communes, que dans les grandes villes, où un tel trafic nourrit l’insécurité.
Je veux mentionner un second chiffre : quatre Français sur dix achètent de la contrefaçon sans le savoir – ils se font arnaquer ! Une paire de baskets coûtant normalement 100 euros se trouve proposée à 80 euros sur un site : l’acheteur se dit qu’à ce prix-là, elle est authentique et achète une contrefaçon. Il devrait pouvoir se retourner contre le site qui a permis la vente. Qu’en est-il de l’application du règlement européen sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), madame la ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme ? Il faut permettre aux consommateurs de signaler de tels actes en étant protégés par le statut de signaleur de confiance.
Avant de conclure, je veux évidemment saluer le CEC pour son travail formidable – nous sommes accompagnés d’administrateurs qui accomplissent un travail exceptionnel. Je veux particulièrement saluer mon collaborateur Gabriel Dumont et avoir une pensée émue pour Mme Anne Bailleul, qui nous a quittés il y a deux mois. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Kévin Mauvieux, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Vous l’avez compris, nous avons travaillé main dans la main, Christophe Blanchet et moi-même, sur ce rapport relatif à l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon. Je ne m’étendrai pas sur le constat, puisque nous nous sommes réparti les tâches – je m’occupe d’exposer les solutions –, mais je voulais revenir sur un point : nous sommes deux députés de deux partis différents, voire très différents,…
M. Jean-Paul Lecoq
Pas si différents que ça !
M. Kévin Mauvieux, rapporteur
…animés de convictions tout aussi différentes. Pourtant, nous réussissons à mettre ces différences de côté quand il y va de l’intérêt général. Après toutes les auditions que nous avons menées, nous nous sommes rendus à l’évidence : la contrefaçon est un fléau pour la France et pour les Français, en matière tant environnementale que sécuritaire. Quand j’ai commencé à travailler sur ce rapport, je ne connaissais absolument rien à la contrefaçon et peut-être faisais-je partie des 40 % de Français qui en achètent sans le savoir ! Je me suis « pris un mur », pour reprendre l’expression qui a souvent été utilisée lors des auditions, notamment en visitant le musée de la contrefaçon, où j’ai observé que des objets contrefaits se nichaient dans tous les pans de notre vie quotidienne – comme mon collègue rapporteur l’a dit, cela va des plaquettes de frein aux roulements à billes en passant par les jouets, les guirlandes électriques, les médicaments, les cigarettes et les vêtements. On peut désormais tout acheter en contrefaçon, parfois en connaissance de cause, parce que cela se voit comme le nez au milieu de la figure, et parfois sans le savoir, parce que les contrefacteurs utilisent des procédés de plus en plus subtils.
Mais plutôt que de m’attarder sur les constats, je veux vous présenter des solutions ; en effet, la vocation du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques est, après avoir mené des auditions et dressé des constats, de faire des propositions. En l’occurrence, le rapport que nous avons rédigé en formule quinze ; je ne les énumérerai pas toutes, car ce serait trop long, mais j’en ai sélectionné quelques-unes, qui me semblent les plus importantes. J’espère qu’elles ne serviront pas à caler les meubles vieillissants et branlants d’un ministère (Sourires) – pardonnez-moi l’expression –, et que notre rapport prouvera son utilité !
La première proposition qui me semble essentielle, c’est la large ouverture de l’accès au statut de signaleur de confiance, prévu par le règlement européen relatif aux services numériques. Christophe Blanchet l’ayant évoqué à l’instant, je ne m’étendrai pas plus longuement, mais le DSA nous semble être peu appliqué et, quand il l’est, de manière très maladroite. Nous y reviendrons probablement quand Mme la ministre répondra aux questions, mais, par exemple, il est très difficile de signaler une contrefaçon sur les réseaux sociaux ou les plateformes de ventes.
Nous avons essayé de le faire pendant les auditions et en présence des représentants des plateformes, notamment Meta, l’ancien Facebook : pour signaler une contrefaçon en vente, il faut s’armer de patience ; cela prend une bonne demi-heure ! Il faut tout d’abord savoir où cliquer et, après avoir trouvé l’onglet « signaler pour contrefaçon », il faut effectuer un véritable parcours du combattant, qui n’encourage pas les signalements. Nous devons donc faire en sorte de faciliter la procédure.
Il faut aussi – c’est une deuxième proposition – faciliter l’action des titulaires de droits de propriété intellectuelle en simplifiant et en harmonisant, pour toutes les plateformes de vente sur internet, les procédures de notification et de retrait de contenus illicites. Actuellement, outre qu’il est toujours difficile d’effectuer un signalement, la procédure diffère totalement d’un site à l’autre.
Les plateformes se targuent régulièrement d’utiliser l’intelligence artificielle pour lutter contre la contrefaçon et repérer les produits contrefaits. Malheureusement, cela ne marche pas à tous les coups. Par exemple, sur la marketplace de Facebook, on peut trouver des paquets de cigarettes contrefaites derrière des annonces d’iPhone à 5 euros.
Nous proposons encore que soit systématiquement analysé le tabac saisi afin de distinguer le tabac de contrebande du tabac de contrefaçon. Ce n’est pas le cas actuellement alors que leurs origines et leurs effets sur le marché et nos concitoyens ne sont pas du tout les mêmes.
Il conviendrait également de tracer le tabac transformé importé en France ou en transit au moyen d’un numéro d’identification. En l’absence d’un tel dispositif, le tabac peut entrer dans notre pays sans que l’on sache où il va ou à quoi il sert.
Nous souhaitons également que soit élargie aux trafics de contrefaçon la peine complémentaire d’interdiction du territoire français instaurée pour tout étranger se livrant au trafic de tabac manufacturé ou de stupéfiants. De même que nous condamnons ceux qui achètent en connaissance de cause de la contrefaçon, nous devons condamner ceux qui la vendent, y compris en les expulsant s’ils sont étrangers.
Nous recommandons, pour finir, d’étudier la possibilité de recourir à la saisie du patrimoine acquis par l’activité de vente de contrefaçon ; d’organiser une campagne nationale de communication ; de présenter aux voyageurs un film sur les conséquences de la contrefaçon lorsqu’ils reviennent de l’étranger ; et, proposition dont je suis à l’initiative, de soumettre les sites internet condamnés pour la vente de produits contrefaits à l’obligation d’affichage de cette condamnation sur leur page d’entrée, afin d’appeler les consommateurs à la vigilance, sur le modèle de ce qui se pratique à l’encontre de la presse people lorsqu’elle divulgue de fausses informations sur une célébrité.
J’aurais aimé vous présenter davantage de mesures, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir au cours du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Christophe Blanchet, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Lise Magnier.
Mme Lise Magnier (HOR)
La lutte contre la contrefaçon est bien plus qu’un simple enjeu économique. Elle touche à la sécurité des consommateurs, à la santé publique et à l’intégrité de notre tissu industriel. La lutte contre ce fléau multiforme dont les pratiques ne cessent d’évoluer exige une mobilisation constante de tous les acteurs concernés et une adaptation continue de nos stratégies.
Le rapport qui nous est soumis, fruit d’un travail parlementaire approfondi, constitue une étape importante dans cette lutte et je remercie les rapporteurs pour les quinze propositions qu’ils ont formulées.
En évaluant les mesures en vigueur depuis près de quatre ans, il éclaire à la fois les succès obtenus et les failles qu’il nous appartient de combler. Ce bilan, riche d’enseignements, nous permettra d’orienter nos politiques publiques dans la bonne direction pour accroître leur efficacité.
Tout d’abord, permettez-moi de souligner les progrès notables réalisés ces dernières années. Nos services douaniers ont considérablement renforcé leurs moyens d’action, ce qui s’est traduit par une augmentation significative des saisies. De même, la coordination entre les différents acteurs – policiers, douaniers et magistrats – s’est nettement améliorée, ce qui a permis de mieux lutter contre des réseaux toujours plus sophistiqués. Ce sont les résultats d’une vigilance accrue et d’une indéniable amélioration opérationnelle.
Cependant, ces avancées ne doivent pas masquer les défis majeurs qui subsistent. La circulation des produits contrefaits, en particulier sur les plateformes de vente en ligne et les réseaux sociaux, continue de croître. Face à ce défi, l’Union européenne a réagi en instaurant un nouveau cadre juridique visant à réguler les plateformes. C’est un pas important mais dont l’efficacité reste à prouver sur le terrain. L’application de ces nouvelles mesures devra faire l’objet d’un suivi attentif, car elles seront déterminantes pour réduire l’impact de la contrefaçon numérique.
Un autre défi de taille est la sensibilisation de nos concitoyens. Le rapport souligne à juste titre que les risques liés à l’achat de produits contrefaits sont encore très largement sous-estimés, notamment par les plus jeunes. Nous devons intensifier nos efforts pour informer et responsabiliser l’ensemble de la population.
Le rapport met également en lumière le besoin d’innover dans nos méthodes de lutte. L’utilisation des nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, pourrait offrir des outils puissants pour tracer l’origine des produits et garantir leur authenticité. Ces innovations technologiques doivent être explorées et intégrées dans notre stratégie globale.
Enfin, le caractère transnational de la contrefaçon appelle une réponse internationale coordonnée. Si des progrès ont été réalisés dans ce domaine, nous devons aller plus loin. La France se doit de jouer un rôle moteur dans la promotion d’une coopération mondiale renforcée.
Le rapport dresse un tableau encourageant des progrès accomplis, mais il nous manque parfois une évaluation précise de l’impact réel des mesures prises depuis 2020. Cette analyse nous serait précieuse pour ajuster notre stratégie et optimiser l’allocation de nos ressources.
À la lueur de ce constat, je me permets de partager avec vous deux pistes de réflexion. Tout d’abord, il me semble crucial d’approfondir notre travail sur l’application effective du nouveau cadre juridique européen régulant les plateformes en ligne. L’enjeu sera de développer des mécanismes de contrôle efficaces et des sanctions réellement dissuasives pour s’assurer que les géants du numérique jouent pleinement leur rôle dans la lutte contre la contrefaçon, notamment celle du tabac. C’est un chantier complexe, qui méritera toute notre attention dans les mois à venir.
Ensuite, dans une perspective plus large, il serait pertinent d’explorer les synergies possibles entre la lutte contre la contrefaçon et d’autres objectifs majeurs de nos politiques publiques, notamment la protection de l’environnement et la promotion de l’économie circulaire.
Réfléchir à la façon dont nous pouvons combattre la contrefaçon tout en encourageant des modes de consommation plus durables pourrait ouvrir de nouvelles voies prometteuses. Ces pistes de réflexion pourraient enrichir notre approche et renforcer l’efficacité de notre lutte contre la contrefaçon, tout en l’inscrivant dans une vision plus globale et durable de notre politique économique et environnementale.
La lutte contre la contrefaçon exige une vigilance de tous les instants et une adaptation constante de nos méthodes. Elle nécessite aussi une mobilisation de l’ensemble de la société : pouvoirs publics, entreprises et citoyens.
Le rapport nous montre que nous sommes sur la bonne voie, mais que le chemin est encore long. Je remercie sincèrement les deux rapporteurs pour le travail réalisé. (M. Christophe Blanchet, rapporteur, applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau (LIOT)
C’est avec une constance et une opiniâtreté qui l’honorent que le rapporteur Christophe Blanchet évalue depuis 2020 les ravages de la contrefaçon et les moyens de lutter contre ce fléau. Le rapport qu’il a rédigé avec notre collègue Kévin Mauvieux dresse un constat alarmant des conséquences de la contrefaçon, d’autant plus graves que les nouveaux usages de consommation, en particulier le développement du commerce en ligne et des réseaux sociaux, ont boosté ce trafic – pour reprendre leur expression.
Je profite de la tribune qui m’est donnée pour souligner et encourager l’excellent travail des services de l’État, les douanes, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la police nationale et la gendarmerie, en particulier la gendarmerie du transport aérien. Hélas, face au développement exponentiel de la contrefaçon, le rapport ne peut que constater le retard pris par la lutte contre ce fléau, malgré l’augmentation du nombre de saisies, laquelle ne reflète sans doute que l’évolution du trafic.
La lutte contre le trafic de tabac, bien que nécessaire, consomme une grosse partie des moyens alloués. L’amende forfaitaire délictuelle, qui peut, à certains égards, être vue comme un aveu d’échec dans la lutte, n’est d’ailleurs applicable que pour ce trafic.
En dehors des secteurs connus comme les marques de vêtements, la maroquinerie ou les gadgets électroniques, la contrefaçon a aussi des répercussions sur les secteurs des pièces automobiles et des médicaments, avec les conséquences que l’on sait sur la sécurité et la santé des consommateurs.
Je constate, à la lecture de ce rapport, que la lutte contre la contrefaçon prend du retard face aux nouveaux usages numériques, ce qui oblige les marques à mener elles-mêmes les enquêtes avant de porter plainte, pour espérer des poursuites par les parquets. En effet, si des noms de domaine peuvent être bloqués par l’autorité judiciaire, les contrevenants peuvent bien plus rapidement utiliser des sites miroirs pour poursuivre leurs trafics. Les enquêtes sont, quant à elles, entravées par des contraintes légales qui nuisent à leur efficacité. Peut-être serait-il envisageable, par exemple, d’autoriser l’usage des logiciels et des bases de données en open source, ce qui n’est pas possible actuellement.
Les ressources des fraudeurs étant sans commune mesure avec celles de la police et de la justice, il convient de favoriser un travail conjoint avec les entreprises lésées par ce trafic, titulaires des droits de propriété intellectuelle. De même, il faudrait sensibiliser davantage les collectivités, notamment les communes, à la lutte contre ces trafics, voire expérimenter l’intervention des polices municipales.
Je suis également préoccupé par le brevetage du vivant, qui devrait être considéré comme un bien commun plutôt que comme un bien privé. Il faut cependant permettre le financement de la recherche en agronomie par la protection des brevets obtenus. La lutte contre la contrefaçon devrait préserver ces deux objectifs.
Enfin, puisqu’il faut souvent revenir à la source, je plaide pour renforcer les liens avec les pays d’origine des contrefaçons et pour subordonner le soutien de l’Agence française de développement à l’organisation par les pays producteurs d’opérations de lutte contre la contrefaçon. Ainsi, la Côte d’Ivoire a financé un ambitieux projet pour incinérer les produits contrefaits dans son territoire.
La lutte contre la contrefaçon est aussi une façon de protéger notre industrie. Le rayonnement économique d’un pays est lié à son image. C’est encore plus vrai pour notre pays, dans lequel le marché du luxe occupe une place importante. Acheter un produit contrefait a des conséquences pour la pérennité de notre industrie et, par conséquent, des emplois. C’est donc l’affaire de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Christophe Blanchet, rapporteur, applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Nous sommes invités à débattre de la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information publié il y a quatre ans sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon. Depuis la publication de ce rapport et du rapport conjoint de la Cour des comptes, la circulation de produits contrefaits a considérablement progressé. Maroquinerie, chaussures et vêtements de luxe, médicaments, jouets, pièces détachées de voiture : aucun secteur n’est épargné. En parallèle des contrefaçons diverses, c’est aussi les trafics de tabac, de stupéfiants et d’armes qu’il faut combattre. Alors qu’elle est particulièrement néfaste pour la sécurité des consommateurs, la contrefaçon vient en bas de la pile des priorités du gouvernement.
La France fait partie des pays européens les plus touchés par le phénomène. On peut, on doit faire mieux ! Le commerce en ligne est quotidien et donne lieu à une avalanche de flux de fret express et postal face à laquelle nos services de douanes ne peuvent faire face. Les saisies douanières progressent, il est vrai : la douane française a ainsi retiré du marché plus de 20 millions d’articles l’an passé, contre 11 millions en 2022 et 9 millions en 2021, mais ces chiffres mettent surtout en relief l’ampleur croissante du phénomène de la contrefaçon, dont les trafics alimentent souvent des groupes criminels organisés en réseaux très structurés. Et si un réseau de contrefaçon de jouets pour enfants alimentait une attaque terroriste ou la traite d’êtres humains ?
Pour lutter contre ce phénomène, le plan national de lutte contre la contrefaçon présenté cette année propose de renforcer les coopérations entre partenaires institutionnels et privés, les coopérations internationales, les contrôles interministériels sous l’égide du groupe opérationnel national antifraude (Gonaf) ou encore la cybersurveillance. Le rapport que nous examinons aujourd’hui préconise, quant à lui, de créer une réserve citoyenne de l’administration des douanes, d’harmoniser les prérogatives de la police judiciaire et celles de l’administration des douanes, d’organiser des campagnes nationales de communication – faire plus sans augmenter les moyens. Les services de douane remplissent un rôle de service public en protégeant les consommateurs : faudrait-il donc compter sur des bénévoles pour assurer la sécurité des Français ?
Il y a trente ans, 600 douaniers travaillaient au Havre, le premier port français ; ils ne sont plus que 350 aujourd’hui. Certes, des procédures de ciblage de la contrefaçon ont été mises en place, mais elles ont entraîné une baisse des effectifs et, partant, des capacités de contrôle. Alors que les problèmes sont connus, les gouvernements successifs s’emploient à mettre les douanes à genoux. À l’échelle nationale, 6 000 postes ont été supprimés en vingt ans dans l’administration des douanes, dont 550 depuis 2020. Cette situation est d’autant plus aberrante que l’action des douanes se traduit par des suppléments de recettes pour l’État ! Un douanier rapporte plus que ce qu’il coûte.
En septembre 2022, un rapport du Sénat relevait une baisse d’un quart des effectifs de la DGCCRF entre 2007 et 2022, de sorte qu’il manque aujourd’hui au moins 4 000 postes à la répression des fraudes. Comment prétendre, sans des moyens renouvelés, mener à bien la lutte contre un fléau multiforme, traquer les ventes de contrefaçons en ligne, permettre aux agents des douanes et à ceux de la répression des fraudes de jouer leur rôle de protection de la population ?
Nous ne sous-estimons pas l’importance des actions de sensibilisation du public aux enjeux de la contrefaçon, ni celle de la coopération et de la coordination des services, mais ces avancées réglementaires, aussi louables soient-elles, ne seront efficaces que si elles s’adossent à un service public performant, doté d’effectifs en nombre suffisant et d’un budget adéquat.
N’en déplaise au ministre de la liquidation du service public – qui ne cache pas son mépris pour les agents publics, toutes catégories confondues –, il est urgent de renforcer les effectifs des fonctionnaires qui luttent contre une fraude envahissant tous les territoires au profit des grands réseaux criminels. Nous devons reconnaître et valoriser leurs missions essentielles, qu’il s’agisse de la protection de la santé et de la sécurité des Français, du soutien aux entreprises – vous l’avez dit et cela doit être répété – ou du contrôle de la loyauté et de la probité des échanges – sur ce point, je renvoie aux propos de mon collègue Joël Bruneau sur les relations interétatiques. Telle n’est manifestement pas l’ambition du gouvernement : en prévoyant seulement 50 postes supplémentaires dans les douanes en 2025, il envoie aux fraudeurs le message qu’ils peuvent continuer d’agir en toute impunité !
Mme la présidente
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR)
La contrefaçon concerne tous les types de produits : tabac, pièces mécaniques, luxe, habillement ou encore médicaments. Elle affecte non seulement les entreprises françaises – qui perdent en chiffre d’affaires et en notoriété –, mais aussi les consommateurs, qui mettent leur santé en danger, souvent sans le savoir. Surtout, elle finance des circuits parallèles – parfois mafieux – et bafoue l’ensemble des normes que nous nous sommes fixées, qu’elles concernent la propriété privée ou la protection de l’environnement.
La contrefaçon est l’expression d’un même problème sous-jacent, accru par la mondialisation, la désindustrialisation du pays et l’éclatement des chaînes de production : une concurrence malhonnête, qui ne respecte pas les normes que nous nous imposons, le consommateur primant sur le contribuable et le travailleur.
La contrefaçon est en pleine expansion. Si 87 000 médicaments contrefaits ont été interceptés en 2021, ce chiffre s’est élevé à 280 000 en 2022. Les tonnes de tabac saisies ont, quant à elles, été multipliées par trois en deux ans. Ce n’est pas tenable !
Ne nous méprenons pas. Nous nous comportons tous comme des Janus bifrons dont les grands principes cèdent souvent devant le petit porte-monnaie, pour des raisons bien compréhensibles. Si la France est passée de la septième à la deuxième place mondiale en matière de consommation de produits contrefaits, c’est qu’il existe une demande pour ceux-ci, en raison d’une double problématique de pouvoir d’achat et d’information. Six Français sur dix achètent de la contrefaçon en conscience, mais sans réaliser que les produits contrefaits sont fabriqués au prix de manquements aux droits de l’homme, au droit de l’environnement ou grâce au travail d’enfants. En commandant son produit auprès d’une célèbre enseigne chinoise de mode, Tartuffe dirait : « Couvrez cet enfant ouïghour, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. »
Outre les recommandations formulées par l’excellent rapport de nos deux collègues, plusieurs considérations me semblent essentielles. La contrefaçon est inversement proportionnelle à sa dissuasion, c’est-à-dire à la probabilité du contrôle multipliée par la sévérité de la sanction. Parce qu’ils rapportent dix fois plus que la drogue mais ont dix fois moins de risque d’être saisis, les produits contrefaits constituent une véritable aubaine pour les filières organisées.
À cet égard, la faiblesse assumée des pouvoirs publics est révélatrice : à 1 500 mètres de cet hémicycle, sur le Champ-de-Mars, vous pouvez croiser quotidiennement vingt vendeurs à la sauvette, tous en situation illégale, dont les fournisseurs sont connus. Au-delà du préjudice économique engendré par ces ventes, quelle est l’image que notre capitale donne ainsi d’elle-même aux nombreux touristes qui viennent de l’étranger ou de nos campagnes ? Charité bien ordonnée commence par soi-même, et nous pêchons considérablement !
L’ampleur de la contrefaçon dépend aussi des facilités d’approvisionnement, ce qui nous invite à renforcer les obligations de transparence et de contrôle pesant sur les plateformes numériques alimentant le pays. Il convient également d’améliorer l’information du citoyen au sujet des conséquences potentielles de ses achats sur le financement du terrorisme, la désindustrialisation du pays ou sa propre santé.
La croissance de la contrefaçon est surtout le reflet de la préoccupation de nos concitoyens au sujet de leur pouvoir d’achat. Tant qu’il sera plus avantageux d’acheter un produit contrefait que d’acheter un produit légal, le consommateur choisira le produit contrefait. Tant que nous ne répondrons pas à son besoin sur ce front, nous perdrons la bataille contre la contrefaçon.
Au fond, nous devons résoudre la question de l’utilisation des ressources de l’État et de la hiérarchisation de son action. De même que nous ne disposons que de vingt-quatre heures dans une journée, les pouvoirs publics disposent de 8,6 milliards d’heures de travail – corrigées de l’absentéisme et auxquelles s’ajoutent les heures sous-traitées au secteur privé –, à répartir entre les hôpitaux, les collectivités et l’État. Pour être efficace, l’action publique doit être concentrée sur les sujets régaliens, sur lesquels elle possède une véritable valeur ajoutée. À force d’être au four et au moulin, on ne produit que du mauvais pain !
La mise en œuvre des normes représente un enjeu typique des organisations industrielles, appelé goulot d’étranglement : les nouvelles normes et réformes viennent sans cesse s’ajouter aux normes et réformes qui ne sont pas encore pleinement appliquées ni évaluées, comme une sédimentation géologique compulsive et désordonnée. Ainsi, on ne compte plus les réformes de l’éducation nationale, puisque chaque ministre porte la sienne. La courroie de transmission ne suit pas et les Français se sentent impuissants face à cette instabilité chaotique : il faut discriminer et concentrer nos efforts.
Il est essentiel de faire appliquer la loi. À ce titre, la lutte contre la contrefaçon devrait constituer une priorité. Pourtant, en trois ans, seules deux des dix-huit recommandations du précédent rapport ont été mises en ?uvre. C’est trop peu !
M. Christophe Blanchet,, rapporteur
Eh oui !
M. Alexandre Allegret-Pilot
Il convient donc d’accepter de déléguer ou d’abandonner certaines missions. Appliquons la maxime suivante : « Un peu moins d’État, pour un peu mieux d’État. » (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – M. Kévin Mauvieux, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. David Magnier.
M. David Magnier (RN)
Avant toute chose, je tiens à remercier mon collègue Kévin Mauvieux, ainsi que Christophe Blanchet, pour leur engagement et la qualité de leur travail. Ce rapport est une alerte, une mise en lumière cruelle et presque insupportable : la France est submergée et asphyxiée par la contrefaçon. Ce fléau n’est pas un simple trafic, c’est une guerre silencieuse menée contre ce qui fait notre force : nos entreprises, nos emplois, notre souveraineté et, au-delà, nos citoyens – en un mot, nos richesses. Or défendre ses richesses, c’est défendre son indépendance.
En 2022, 11,5 millions d’articles contrefaits ont été saisis en France, soit une augmentation de 87 % en deux ans. Pourtant, ces saisies ne représentent qu’une infime partie du flot colossal de produits frauduleux qui inondent notre pays. Le rapport révèle que 92 % des colis entrant sur le territoire sont des envois de faible valeur, hors de contrôle faute de moyens adaptés. Ces chiffres, que nous connaissons, traduisent l’échec total de nos défenses face à cette invasion.
Ne nous arrêtons pas à la question économique. Derrière chaque contrefaçon, chaque sac, chaque parfum ou paire de chaussures, il y a des entreprises françaises étouffées, des artisans abandonnés, des savoir-faire qui disparaissent. Parmi les PME, 40 % n’ont pas les moyens de défendre leurs droits de propriété intellectuelle et les chances de survie de celles qui sont victimes de la contrefaçon diminuent de 34 % après cinq ans. Ce n’est pas une statistique, c’est une condamnation prononcée par un État qui regarde ailleurs et par une Europe qui brille par son inefficacité.
Le commerce en ligne, qui devrait constituer un moteur de croissance, est devenu un cheval de Troie. Selon le rapport, 97 % des produits saisis proviennent du fret postal ou express, principalement via des plateformes numériques. Les géants du numérique, basés pour beaucoup hors de l’Union européenne, prospèrent dans l’ombre, se moquent des règles et continuent d’inonder nos marchés de produits frauduleux.
Que fait l’État ? Il mesure, il compte, il constate. Il sortira peut-être un énième numéro vert ou organisera un Grenelle de la lutte contre la contrefaçon, mais il n’agit pas. Notre douane, pourtant en première ligne, est laissée à l’abandon : alors que 77 millions de déclarations sont effectuées auprès d’elle – soit une hausse de 64 % en un an –, ses effectifs sont insuffisants pour assurer un contrôle sérieux.
Il est temps de dire stop. La France doit se réarmer. Le doublement immédiat des effectifs douaniers n’est pas une option, mais une nécessité. Il faut des technologies avancées pour cibler les flux prioritaires, lesquels sont bien connus : la Chine représente 51 % des produits saisis, suivie de Hong Kong et de la Turquie. Si nous savons d’où proviennent les attaques, pourquoi restons-nous les bras croisés ?
La contrefaçon n’attaque pas seulement notre économie, elle met aussi nos vies en péril. En 2022, 280 000 médicaments contrefaits ont été interceptés, contre 87 000 l’année précédente. Certains contenaient du ciment ou de la mort-aux-rats. Ces chiffres ne sont pas des abstractions. Ils représentent des patients qui se soignent avec des poisons et des familles brisées par des produits frauduleux. Il convient d’évoquer également la saisie de 36 000 pièces mécaniques défectueuses susceptibles de provoquer des accidents mortels. Les jouets contrefaits, souvent toxiques, continuent d’être vendus sans contrôle. Nous parlons ici de vies humaines. Chaque produit contrefait est une bombe à retardement.
Chers collègues, nous ne pouvons plus tolérer cela. Laisser ce trafic prospérer revient à se rendre complice. Il est impératif de créer un parquet national spécialisé, doté de moyens adaptés, pour poursuivre les réseaux criminels et infliger des sanctions exemplaires. Mais cela ne suffit pas : nous devons également exiger une coopération renforcée entre douane, police et justice pour frapper les délinquants à la source.
Que dire de notre chère Union européenne ? Le rapport met en lumière l’échec flagrant des initiatives comme le Digital Services Act : Bruxelles parle de responsabilité, mais refuse de sanctionner, laissant les marketplaces prospérer à l’abri de la bureaucratie européenne. La France ne peut plus attendre. Si l’Europe refuse d’agir, nous devons prendre les devants, imposer des règles nationales strictes – indépendamment de Bruxelles – et exiger la localisation des données des plateformes sur notre territoire. Si des entreprises veulent opérer en France, elles doivent respecter nos lois.
Ce combat ne peut pas être mené seulement contre les trafiquants. Nous devons aussi défendre les victimes. Les PME françaises, étranglées par la contrefaçon, méritent notre soutien. La création d’un fonds national d’aide aux entreprises victimes n’est pas une option, mais un devoir.
Chers collègues, ce rapport n’est pas un simple document, c’est une alerte. Il restera inutile si nous détournons les yeux. La France doit reprendre le contrôle. La contrefaçon prospère parce que nous la laissons faire, mais cette complaisance doit cesser. Un État qui tolère l’invasion de ses marchés par des produits dangereux ne peut prétendre protéger ses citoyens, ni être à la hauteur de sa souveraineté. Aujourd’hui, nous avons un choix à faire : accepter ou agir. Le Rassemblement national a décidé d’agir. Nous défendrons une France qui protège, une France qui impose le respect, une France qui refuse de céder. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – M. Kévin Mauvieux, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Annaïg Le Meur.
Mme Annaïg Le Meur (EPR)
La contrefaçon est une menace protéiforme qui dépasse de loin la simple atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Elle constitue un danger économique, social et sécuritaire qu’il est urgent de combattre avec davantage de vigueur. En effet, alors que nos entreprises respectent des règles de sécurité, des règles sociales et des normes environnementales, ce n’est pas le cas des entreprises qui produisent des biens contrefaits.
Il est établi que la contrefaçon alimente directement les réseaux de criminalité organisée. Ces groupes utilisent ce trafic pour financer d’autres activités illicites comme le trafic de drogue ou d’armes. Grâce à la complexité des chaînes d’approvisionnement mondialisées, ils inondent nos marchés de produits illégaux. La lutte contre la contrefaçon doit donc être intégrée dans notre stratégie globale de lutte contre les activités criminelles. À cet égard, les recommandations de la commission d’enquête du Sénat contre les réseaux de narcotrafiquants pourraient nous inspirer. Les produits contrefaits ne sont pas de simples marchandises : ils doivent être traités comme des biens illicites.
Ensuite, la contrefaçon représente un risque grave pour la sécurité des consommateurs. Un chiffre alarmant illustre ce danger : 34 % des consommateurs ont déjà acheté, parfois sans le savoir, des produits contrefaits. Or ces derniers échappent à toute norme de sécurité, avec des conséquences parfois dramatiques : jouets toxiques, médicaments falsifiés ou encore cosmétiques irritants. Pour dissuader nos concitoyens de recourir à cette pratique, l’instauration d’une amende forfaitaire, comme pour la détention de drogue, enverrait un message clair. L’achat de produits contrefaits alimente un système criminel et met en danger nos concitoyens.
Ce combat ne peut être gagné uniquement à l’échelle nationale. Une réponse européenne et internationale est impérative. À cet égard, je tiens à saluer le travail de nos collègues auteurs du rapport d’information consacré à la lutte contre la contrefaçon, qui offre des perspectives ambitieuses et des pistes concrètes pour renforcer nos actions collectives.
Trois axes méritent d’être priorisés. Tout d’abord, il faut renforcer la traçabilité des produits grâce à des identifiants uniques qui permettraient de suivre le parcours de chaque produit importé. Ensuite, il convient d’harmoniser les actions douanières et policières au sein de l’Union européenne pour permettre des interventions plus coordonnées et efficaces. Enfin, il est nécessaire d’intégrer systématiquement des clauses de protection des droits de propriété intellectuelle dans nos accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux. En outre, il est crucial de nouer des partenariats avec les pays producteurs en liant notre aide au développement à leurs efforts dans ce domaine.
Toutefois, la contrefaçon évolue et l’essor des réseaux sociaux a donné une nouvelle dimension à ce fléau. Certains influenceurs, parfois peu scrupuleux, font la promotion de produits contrefaits, exploitant l’image et le design des grandes marques. Qui parmi nous n’a jamais vu une publicité en ligne pour un parfum « proche de Chanel no 5 » ou pour un vêtement inspiré d’une grande maison de couture ? Ces produits, même sans logo officiel, exploitent de façon abusive la créativité et le travail des créateurs. Nous devons responsabiliser ces influenceurs et renforcer la coopération avec les plateformes numériques pour retirer rapidement les contenus illicites. Ces acteurs ne peuvent plus être les complices passifs de la contrefaçon.
Enfin, la sensibilisation des consommateurs est un levier essentiel. Des campagnes nationales percutantes, en collaboration avec le secteur privé, sont nécessaires pour marquer les esprits et informer sur les risques liés à la contrefaçon. Dans les écoles, intégrer l’éducation à la propriété intellectuelle au cours d’enseignement moral et civique pourrait sensibiliser les plus jeunes à ces enjeux. La diffusion d’un film éducatif dans les aéroports ou les ports, pour informer les voyageurs en possession de produits contrefaits des conséquences économiques et sécuritaires de leurs actes, pourrait compléter le dispositif.
Pour être efficace, notre arsenal juridique doit également être modernisé. Je pense notamment à deux mesures : d’une part, la saisie des patrimoines acquis grâce à la contrefaçon et, d’autre part, l’interdiction du territoire français aux trafiquants de produits contrefaits – comme c’est le cas aujourd’hui pour les trafiquants de tabac et de stupéfiants.
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Exactement !
Mme Annaïg Le Meur
La lutte contre la contrefaçon n’est pas seulement une question de propriété intellectuelle : elle concerne également notre sécurité, notre santé publique et notre combat contre les réseaux criminels. Ensemble, nous devons nous doter des outils nécessaires pour protéger nos concitoyens, nos entreprises et nos valeurs. Refuser de laisser prospérer un modèle fondé sur le danger, l’illégalité et l’exploitation, c’est aussi affirmer notre engagement pour un commerce plus juste et plus sûr.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail remarquable accompli par les douanes, la police et la gendarmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Philippe Blanchet, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. René Pilato.
M. René Pilato (LFI-NFP)
Le rapport de nos collègues dénonce l’explosion quantitative de la contrefaçon, qui soulève différents problèmes, notamment dans le domaine de la santé. Je donnerai deux exemples. Le premier concerne le tabac contrefait ou de contrebande : 284 tonnes ont été saisies en 2020, 402 en 2021 et 650 en 2022. Cette augmentation traduit un phénomène alarmant : des sites de production de cigarettes contrefaites s’implantent en France. Le second exemple est celui des médicaments contrefaits, qui arrivent en masse dans notre territoire : 87 000 interceptions en 2021 et 280 000 en 2022.
Parmi les secteurs les plus touchés figure celui des pesticides – avec tous les dangers auxquels exposent ces ventes illicites. Ils sont déjà la cause de cancers avérés chez les agriculteurs qui les utilisent ou chez les riverains qui habitent à proximité des sites d’épandage. Tel est le danger lié à la contrefaçon : l’exposition à des produits chimiques dangereux et à des produits toxiques peut causer sur la santé des dommages à court, moyen ou long terme.
En outre, l’achat de produits de contrefaçon favorise un comportement non éthique. Le rapport évoque, à raison, la nécessité de sensibiliser sur ce point. Il souligne aussi très justement que le contrat d’objectifs et de moyens 2022-2025 de la douane prévoit de redéployer les effectifs sans les augmenter. Depuis la création du marché commun par l’ouverture des frontières, la direction générale des douanes a perdu près de 6 000 agents. Or le rapport indique que la contrefaçon se développe en raison de l’explosion du e-commerce, qu’il est plus difficile de contrôler en raison de l’augmentation des flux mondiaux. Il est donc primordial de protéger la population contre les trafics en tout genre en augmentant le nombre de douaniers.
De ce point de vue, le projet de loi visant « à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces » est insuffisant : les organisations syndicales des douaniers ne sont pas associées au processus de décision, mais seulement consultées a posteriori. Le texte confie également davantage de missions aux douaniers, lesquels doivent jouer le rôle d’une police migratoire, et ce au détriment de leur activité de police des marchandises. Je rappelle que la France compte 16 500 douaniers, contre 48 000 en Allemagne, alors que notre pays compte quatre fois plus de kilomètres de frontière.
M. Jean-Paul Lecoq
Exactement !
M. René Pilato
Vos groupes respectifs ont voté pour ces nouvelles missions sans prévoir plus de moyens humains. Or, d’un côté, il y a la théorie et, de l’autre, la réalité du terrain. Confier plus de missions à la douane sans augmenter ses effectifs, au nom d’une baisse continue des impôts, aboutit à la situation suivante : moins d’un container sur mille est contrôlé dans nos ports.
Par ailleurs, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, chargée des contrôles directement sur les plateformes et les sites de vente, a perdu 1 000 agents depuis 2007. Pourtant, ce service est chargé de contrôler, entre autres, la qualité et la sécurité des produits à risque, tels que les perturbateurs endocriniens ou les nanomatériaux. Ainsi, au vu de la quantité de missions qui lui sont dévolues par rapport au nombre d’inspecteurs dont elle dispose, la DGCCRF ne peut plus opérer suffisamment de contrôles.
Les travaux d’Europol et de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, confirment que la production et la vente de contrefaçons constituent une délinquance plus attrayante que le trafic de stupéfiants en raison de son caractère lucratif et peu risqué eu égard à l’absence de procédures judiciaires et de sanctions.
Nous savons comment éradiquer la contrefaçon : il faut davantage d’inspecteurs pour que les contrôles soient plus nombreux. Alors que M. Barnier cherche encore des milliards dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, l’éradication de la contrefaçon permettrait de rapatrier 25 milliards de TVA – montant de la perte estimée – et le retour de 40 000 emplois, avec ce que cela suppose de cotisations supplémentaires pour les caisses de retraite et d’assurance maladie, mais aussi de prestations en moins pour France Travail. Bref, ce combat représente un investissement utile.
Donner à nos services de contrôle les moyens de combattre la contrefaçon, c’est protéger les recettes de notre budget, préserver la santé des citoyens et garantir la prospérité des entreprises françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Pantel.
Mme Sophie Pantel (SOC)
Le rapport de nos collègues Blanchet et Mauvieux nourrit notre débat sur la contrefaçon et permet d’apprécier l’ampleur d’un phénomène dont les enjeux sont multiples. Il s’agit, tout d’abord, d’un problème économique pour nos entreprises, d’autant que 40 % des PME ne disposent d’aucun dispositif de veille relative à la contrefaçon sur leur marché. S’agissant ensuite des finances publiques, le manque à gagner pour l’État s’élève à plusieurs milliards. Se posent également des questions de souveraineté, notamment la protection de nos savoir-faire et de la propriété intellectuelle, mais aussi de santé publique, puisque le rapport met l’accent, à raison, sur deux secteurs fortement touchés par la contrefaçon, le tabac et les médicaments.
Dans ce contexte, nous nous réjouissons de la hausse du nombre de saisies et félicitons les fonctionnaires mobilisés. Cette évolution constitue d’ailleurs un signal d’alerte puisqu’elle témoigne de la croissance des volumes. Les contrefaçons ont connu une accélération pendant la crise sanitaire car elles ont trouvé dans l’essor du e-commerce un terreau favorable. Les fraudeurs, qui ont très souvent un coup d’avance, ne manquent pas d’imagination pour contourner les règles et les dispositifs de contrôle en vigueur. Il nous faut donc – et c’est le sens de ce rapport – renforcer les moyens humains consacrés à la lutte contre la contrefaçon et nous doter d’un arsenal législatif à la hauteur des enjeux. Le problème des médicaments contrefaits prouve, s’il le fallait, qu’il est nécessaire d’agir très rapidement.
De l’utilisation de la marque sans le consentement du titulaire de droit à la non-déclaration, jusqu’à la fabrication de produits non conformes à la législation du pays de destination ou, plus grave, à la non-conformité aux spécificités du produit, les faux médicaments – psychotropes, produits amaigrissants, stéroïdes – présentent de vrais risques en matière de santé publique.
Le rapport propose des pistes de travail intéressantes à nos yeux : favoriser une meilleure harmonisation et coordination entre les différents services, promouvoir une procédure d’alerte au niveau européen, recourir à la saisie du patrimoine acquis par l’activité de vente de contrefaçon, inscrire la protection des droits de la propriété intellectuelle dans les accords bilatéraux, se doter de moyens supplémentaires, responsabiliser les plateformes, ou encore avertir et sensibiliser les consommateurs.
Nous sommes néanmoins sceptiques quant à l’efficacité de mesures plus cosmétiques telles que l’intensification des contrôles et des sanctions relatives à la vente à la sauvette. Nous pensons que les moyens doivent être concentrés sur les têtes de réseau ou sur la surveillance des plateformes d’e-commerce.
La lutte contre la contrefaçon permet aussi, concomitamment, de protéger le consommateur face à des situations de marché dans lesquelles des entreprises en monopole abusent de leur pouvoir de fixation des prix, créant ainsi un terrain propice à la contrefaçon. Je citerai le développement d’offres, à des tarifs relativement accessibles, d’abonnement à des plateformes d’écoute de musique qui ont contribué à faire reculer le piratage musical.
Le rapport met également en exergue un panel de mesures orientées vers les jeunes. Il ne faut pas oublier pour autant qu’une grande partie des actes d’achat de biens contrefaits sont le fait de personnes majeures et très bien informées des impacts et des enjeux d’un tel comportement. Les jeunes sont souvent bien plus habiles que les adultes pour identifier les arnaques et les fraudes en ligne. Ne négligeons donc pas les seniors !
Nous tenons à souligner avec force l’engagement des agents de l’État, aussi bien de la douane, de la police ou de la gendarmerie que de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection de la population (DDETSPP), qui agissent au quotidien pour protéger nos concitoyens, nos entreprises, nos savoir-faire et nos brevets. Cependant, ils ne peuvent agir qu’avec les moyens mis à leur disposition. Or, s’agissant de ceux qui sont donnés à la douane, vous savez bien, madame la ministre, quelles sont les propositions formulées dans le projet de loi de finances.
Il convient de faire évoluer notre arsenal de lutte. Quelques pistes ont déjà été évoquées et l’énumération qui suit n’est pas exhaustive : créer une procédure d’injonction pour la contrefaçon, permettre aux agents de la DGCCRF d’être assermentés pour constater les infractions au code de la propriété intellectuelle, autoriser le blocage des sites connexes mis en cause, sans oublier d’adapter l’action judiciaire et de renforcer les services d’enquête.
Vous l’avez compris, le groupe Socialistes et apparentés est favorable à toutes les mesures qui conduisent à protéger les créateurs, les fabricants français et européens, ainsi que la propriété intellectuelle.
Je conclurai par une remarque qui pourrait nous faire sourire si le sujet n’était pas aussi grave pour nos entreprises et nos concitoyens. Il est cocasse de lire dans le rapport que les circuits de contrefaçon sont de plus en plus courts, avec des unités de production situées tout près, en Île-de-France : nous sommes donc capables de relocaliser !
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Elle est pas mal, celle-là !
Mme Sophie Pantel
La contrefaçon made in France fonctionne bien, malheureusement. Voilà au moins un point à mettre au crédit du bilan économique du septennat macroniste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Sourires sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR)
La contrefaçon représente une véritable menace non seulement pour notre économie, mais aussi pour notre patrimoine, notre santé publique et l’emploi dans nos territoires. Souvent sous-estimé, ce fléau doit être combattu avec davantage de détermination et de pragmatisme.
En tant que députée de la Droite républicaine élue d’une terre de tradition viticole – la Côte des Bar en Champagne –, je suis témoin des ravages qu’elle entraîne. Le champagne, symbole mondial de l’excellence française, est en effet une cible privilégiée des contrefacteurs. Chaque année, des millions de bouteilles contrefaites, fabriquées sans aucun respect des règles d’appellation, circulent à travers le monde, notamment en Asie et en Russie. Non seulement ces copies trompent les consommateurs, mais elles nuisent aux viticulteurs français, ces artisans du terroir qui perpétuent un savoir-faire transmis de génération en génération et qui voient leur travail dévalorisé et leurs efforts anéantis. Chaque bouteille contrefaite est une insulte à des siècles d’histoire et une menace pour les 16 000 vignerons champenois.
Le tabac est également un produit massivement contrefait. En France, ce marché parallèle représente près de 30 % de la consommation totale. Les cigarettes illicites sont vendues à des prix cassés, échappent à toute régulation sanitaire et contiennent souvent des substances encore plus toxiques que les produits autorisés. Ces trafics alimentent des réseaux criminels organisés, privent l’État de plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales chaque année et fragilisent les politiques de santé publique.
Au-delà des chiffres, la contrefaçon est aussi un poison pour le tissu économique. Elle détruit des emplois à une échelle alarmante. Selon l’Union des fabricants, elle coûte à l’Union européenne plus de 83 milliards d’euros chaque année ; 6,7 milliards à la France. La contrefaçon entraîne la disparition de milliers d’emplois dans les secteurs les plus exposés tels que la mode, la maroquinerie, les cosmétiques, l’industrie pharmaceutique et, bien sûr, les métiers d’art. Ces derniers incarnent une richesse inestimable. Ce sont des ébénistes, des couteliers, des horlogers, des maroquiniers qui perpétuent des savoir-faire ancestraux. Ces artisans racontent des histoires, font vivre des traditions et assurent la transmission d’un héritage précieux. Pourtant, ils sont en première ligne face à la contrefaçon. Des produits standardisés, souvent fabriqués en Chine, inondent nos marchés et constituent, pour leurs créations, une concurrence déloyale.
Le problème ne s’arrête pas là. Les produits contrefaits brisent la chaîne de la transmission du savoir, qui est l’essence même de ces métiers. En effet, pourquoi un jeune apprenti choisirait-il de consacrer des années à l’apprentissage d’un métier d’art si ses produits sont systématiquement copiés et dévalorisés ? Pourquoi un atelier familial continuerait-il d’exister s’il ne peut plus se battre contre une telle concurrence déloyale ?
Il est essentiel de rappeler que la contrefaçon ne se limite pas à une question économique, mais qu’elle porte aussi atteinte à la santé publique, comme l’illustrent les scandales liés aux médicaments contrefaits. Chaque année, ces produits mettent en danger des millions de vies dans le monde ; ils ne contiennent souvent que des doses inadaptées, voire inexistantes, de principes actifs, aggravant les pathologies qu’ils prétendent traiter. En Afrique, par exemple, 120 000 décès annuels sont attribués à des médicaments contre le paludisme contrefaits.
M. Christophe Blanchet et rapporteur
Exactement !
Mme Valérie Bazin-Malgras
Enfin, la contrefaçon mine la confiance des consommateurs. Lorsque les acheteurs ne peuvent plus faire la différence entre un produit authentique et une imitation, c’est la crédibilité de nos marques, de nos appellations et de notre économie qui s’effondre.
Face à cette menace, nous devons agir avec fermeté et ambition. Le rapport de nos collègues nous propose une feuille de route claire, que je tiens à saluer. Leurs préconisations sont essentielles et répondent à l’ampleur du problème. Parmi elles, je souhaiterais insister sur plusieurs points majeurs : renforcer les moyens des douanes et des services de contrôle en les dotant d’outils de détection automatisée et de systèmes d’analyse des données ; imposer une collaboration renforcée des plateformes numériques pour les responsabiliser et garantir la traçabilité des produits, et supprimer rapidement les annonces des contrefaçons signalées ; améliorer la traçabilité des produits avec des solutions innovantes pour garantir leur authenticité, notamment dans les secteurs les plus exposés ; créer des sanctions réellement dissuasives, afin de punir sévèrement les réseaux criminels ; protéger et valoriser les métiers d’art, par des campagnes de sensibilisation, des dispositifs fiscaux incitatifs ou encore une meilleure reconnaissance de ces métiers au niveau international.
La contrefaçon est un vol économique et culturel. Elle contribue à effacer progressivement ce qui fait la singularité de notre pays : son excellence, son innovation et son patrimoine. En défendant nos savoir-faire, en protégeant nos artisans et en garantissant la transmission des métiers, nous défendons notre modèle économique, l’âme de nos territoires, la fierté de notre nation et l’avenir des générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Hervieu.
Mme Catherine Hervieu (EcoS)
Le débat sur le rapport relatif à l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon soulève un enjeu important, celui de notre capacité collective à réprimer les réseaux qui opèrent en dehors des lois de la République. Toutes les formes de délinquance et de criminalité organisée défient constamment l’autorité de l’État.
La protection des créateurs et des consommateurs est l’objectif premier de la lutte contre la contrefaçon. Son corollaire est de lutter contre les moyens de financement des réseaux criminels, sans oublier les profils de non-délinquants qui pratiquent le dropshipping.
La défense des consommateurs et des entreprises guide nos demandes de soutien aux acteurs de la lutte contre la contrefaçon, afin d’éviter l’augmentation de plusieurs types de risques. En premier lieu, citons les risques sanitaires et sécuritaires, en France et dans l’Union européenne, puisque les produits contrefaits sont majoritairement issus de productions qui ne respectent pas les normes européennes édictées pour protéger le consommateur.
Les produits de consommation courante sont les plus à même d’être touchés. Voici quelques exemples parmi tant d’autres : les cosmétiques et les parfums contrefaits, dans lesquels des perturbateurs endocriniens et du mercure sont présents ; les médicaments et le tabac – cela a déjà été évoqué ; les produits ne respectant pas les normes relatives aux déchets des biens de consommation, qui entraînent des pollutions liées à leur destruction.
Il y a ensuite les risques économiques qui menacent nos entreprises, en particulier les PME – d’où l’importance des actions de l’État pour leur sauvegarde et leur protection. Les risques fiscaux sont aussi à prendre en considération. Ce type de trafics affaiblit les recettes fiscales, les sommes ainsi détournées étant en partie redirigées vers le financement de réseaux et de groupes criminels.
Face à la hausse du volume des produits contrefaits et aux nouveaux cadres législatifs, nous soulignons l’importance des quinze mesures présentées dans le rapport et du travail pour les faire aboutir. La contrefaçon est un marché en plein essor, notamment en ligne, malgré l’adoption de réglementations européennes et nationales qui visent à la contrer. Le règlement européen sur les services numériques et certaines mesures engagées en France ont permis des avancées significatives. Cependant, des actions complémentaires sont nécessaires pour suivre l’adaptation du marché de la contrefaçon.
Bien que des difficultés subsistent, il convient de souligner les avancées obtenues grâce à la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. L’influence sociale, plus difficile à cerner, nécessite quant à elle d’être mieux renseignée pour agir. Nous le savons, la publicité joue un rôle dans l’aspiration des consommateurs à adopter des comportements de consommation vus sur les réseaux sociaux ou par le biais du commerce en ligne, qui a ouvert le champ à des dérives trompeuses et favorisé les achats de produits de contrefaçon. L’information, la formation et la pédagogie sont des clés pour avertir les consommateurs des risques associés à l’achat de produits contrefaits, parallèlement au renforcement du volet répressif et à l’amélioration des procédures de sanction.
Comme pour les autres trafics transnationaux, nous avons besoin de coopérer au niveau bilatéral et multilatéral afin d’organiser les politiques publiques de la source jusqu’au consommateur. Au niveau opérationnel, l’échange de renseignements entre les services douaniers français et leurs homologues européens doit être permanent. Nous devons soutenir humainement et matériellement les services d’enquête et les douanes françaises, qui font un travail remarquable – ils doivent bénéficier de moyens adaptés.
Le groupe Écologiste et social souhaite un contrôle aux frontières conforme à nos engagements européens. Il pourrait être renforcé dans les ports et les aéroports. Les saisies par les services de l’État y augmentent significativement, moins rapidement, cependant, que le développement du commerce. Le contrôle des marchandises dans les ports nécessite de consolider le dispositif de ciblage et de contrôle non intrusif des flux de marchandises.
Les dispositifs actuels connaissent plusieurs limites : la faiblesse des contrôles transfrontaliers à l’entrée de l’Union européenne, la difficulté de poursuivre les contrevenants en dehors de l’Union européenne, la difficulté de sanctionner les influenceurs et les vendeurs basés hors de France en raison de problèmes d’extraterritorialité, la saturation des capacités douanières face à l’explosion des petits colis.
Pour conclure, la lutte contre la contrefaçon doit s’inscrire plus largement dans les politiques de lutte contre le financement de la criminalité organisée, le narcotrafic ou la traite des êtres humains. La coopération entre tous les acteurs étatiques, économiques et éducatifs est primordiale pour garantir la cohérence et l’efficacité des politiques publiques. Il faut des moyens à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Daubié.
M. Romain Daubié (Dem)
Le rapport de nos collègues, relatif à l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, met en lumière une réalité alarmante : la contrefaçon représente près de 7 % des importations dans l’Union européenne, soit un coût estimé à 121 milliards par l’OCDE. À l’heure où nous cherchons des économies partout, ce chiffre est saisissant. Ce fléau n’est pas seulement économique ; il met en danger la santé des consommateurs, alimente les réseaux criminels et entraîne des pertes considérables pour nos industries.
En réponse, le rapport propose plusieurs mesures. J’en développerai plus particulièrement trois : l’obligation faite aux plateformes de retirer rapidement de leur site les produits contrefaits, la création d’un formulaire unique de signalement et le lancement d’une campagne de sensibilisation nationale par l’Inpi. Je n’aborderai pas la question du tabac, développée par le rapporteur Christophe Blanchet lors de sa présentation.
Les recommandations formulées dans le rapport soulignent un besoin urgent de moderniser nos outils et de renforcer nos efforts face à la montée en puissance de la contrefaçon, en particulier sur les plateformes numériques. En résumé, le monde change, les technologies évoluent. Il faut également faire évoluer la loi.
Tout d’abord, il est impératif que les signalements effectués sur des plateformes de commerce en ligne ou sur les réseaux sociaux soient suivis d’actions rapides et efficaces. Les délais actuels entre le signalement d’un produit contrefait et son retrait sont bien souvent trop longs, ce qui laisse le temps aux contrefacteurs de toucher des milliers de consommateurs et de faire autant de victimes. Cela implique d’attribuer une responsabilité claire aux plateformes, qui doivent être tenues de justifier les mesures prises. Il n’est pas acceptable qu’elles puissent faire des profits sans assumer leurs responsabilités.
Ensuite, il est nécessaire de simplifier les démarches de signalement. Actuellement, les procédures varient selon les plateformes et manquent de lisibilité. La création d’un formulaire unique, qui serait automatiquement transmis à toutes les plateformes, est une piste de travail. Il n’est pas acceptable, comme cela a été mis en évidence lors des auditions, qu’un signalement prenne plusieurs dizaines de minutes. Dans ce cas, les consommateurs sont découragés d’agir. Un dispositif centralisé est nécessaire : il pourrait être supervisé par une autorité telle que l’Inpi.
Enfin, pour lutter efficacement contre la contrefaçon, il faut s’attaquer au problème à sa racine : la sensibilisation des consommateurs. Nombre d’entre eux ignorent les dangers sanitaires et économiques que représentent les produits contrefaits ; ils ignorent même avoir acheté une contrefaçon, pensant simplement avoir fait une bonne affaire sur internet, alors que les conséquences peuvent être gravissimes lorsqu’il s’agit de plaquettes de frein, d’un jouet pour enfant ou de médicaments dangereux.
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Exactement !
M. Romain Daubié
Une grande campagne de sensibilisation nationale, financée par l’Inpi, doit donc être engagée. Elle ne doit pas être perçue comme un coût, mais bien comme un investissement stratégique, en vue de réduire la demande de contrefaçons. Elle doit être engagée sans restreindre les ressources financières de l’Inpi, qui reste un acteur clé dans la défense des droits de la propriété intellectuelle.
En conclusion, lutter contre la contrefaçon, c’est non seulement protéger des marques et des brevets et défendre des intérêts privés, mais c’est aussi, et avant tout, défendre nos emplois, notre sécurité, notre souveraineté économique et les ressources des finances publiques. Agir rapidement, simplifier les procédures et sensibiliser le public sont des étapes incontournables pour que la lutte contre la contrefaçon soit réellement efficace. (M. Christophe Blanchet, rapporteur, applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme
Nous voici réunis dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Cette instance importante, créée par la révision constitutionnelle de 2008, a pour mission – comme son nom l’indique – d’évaluer les politiques publiques. Permettez-moi d’abord d’excuser le ministre des comptes publics et la ministre de la consommation, qui m’ont chargée de les représenter, et de féliciter les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon. Ce rapport s’inscrit dans la continuité des travaux conduits précédemment par les députés Christophe Blanchet et Pierre-Yves Bournazel entre 2018 et 2020.
La lutte contre les trafics de contrefaçons doit évoluer rapidement, tant la circulation de produits contrefaits progresse de manière exponentielle, structurellement et quantitativement. Une étude de l’OCDE et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) de 2021 estimait déjà que la contrefaçon représentait 2,5 % du commerce mondial et jusqu’à 5,8 % des importations de marchandises dans l’Union européenne. Par ailleurs, les pratiques des trafiquants évoluent du fait du développement du commerce en ligne et de l’apparition de réseaux organisés calqués sur le modèle des grands réseaux criminels.
Face à ce nouveau paradigme, nous ne sommes toutefois pas restés inactifs. D’une part, nous avons fait évoluer les cadres législatifs européen et national. D’autre part, nous avons lancé deux plans d’action, en 2021 puis en 2024. Messieurs les rapporteurs, votre travail publié fin 2023 est bienvenu : il offre un état des lieux récent de la lutte contre la contrefaçon et met en perspective, à bientôt un an du lancement du second plan, les avancées obtenues et les points d’amélioration sur lesquels il nous faut travailler.
La contrefaçon est un défi majeur pour notre pays, qui est le deuxième le plus touché au monde, après les États-Unis et avant l’Italie. Au niveau européen, une production domestique de grande ampleur se développe. Les flux de produits finis de contrefaçon laissent la place à un trafic de composants ou d’ingrédients contrefaits qui sont assemblés sur le territoire national. L’exemple le plus probant de cette nouvelle pratique est celui de la contrefaçon de parfums : flacons, étiquettes, emballages, formules chimiques et matières premières arrivent séparément et sont ensuite assemblés sur le territoire français. Ces pratiques ne sont pas sans risques pour les consommateurs, les matières utilisées étant potentiellement très dangereuses.
L’évolution du nombre d’articles saisis témoigne de l’explosion de la contrefaçon : il est passé de 200 000 en 1994 à plus de 11 millions en 2022. C’est dire si la menace est grande – oui, nous devons utiliser le terme de menace pour parler de la contrefaçon. Menace, tout d’abord, pour la santé et la sécurité des consommateurs, 15 % des produits saisis au sein de l’Union Européenne étant réputés dangereux.
Menace, ensuite, pour nos entreprises et notre économie. Au niveau européen, une étude de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle a estimé que la contrefaçon avait entraîné en 2023 des pertes de chiffre d’affaires à hauteur de 16 milliards d’euros. Cela touche particulièrement le secteur de l’habillement, avec 12 milliards de pertes, suivi du secteur de la cosmétique – 3 milliards de pertes – et de celui des jouets – 1 milliard. La contrefaçon représenterait 200 000 emplois détruits ou non créés en Europe et près de 38 000 en France, selon les dernières estimations de la Cour des comptes, qui datent de 2017.
La contrefaçon fait également peser une menace sur la réputation de nos entreprises. Enfin, elle représente une menace environnementale. Les contrefaçons sont souvent confectionnées dans des centres de production à l’international, qui ne respectent pas les normes en vigueur en Europe et en France et les produits contrefaits contiennent parfois, je le répète, des produits toxiques.
Face à ce phénomène en constante évolution, les services de l’État adaptent leurs méthodes et leurs moyens d’intervention, ce qui commence à produire des résultats très tangibles. Alors qu’en 2022, nous avions retiré du marché plus de 11 millions d’articles contrefaits, ce chiffre a dépassé 20 millions en 2023, ce qui représente une hausse de plus de 77 % des saisies douanières.
Ces résultats sont notamment à mettre au crédit du déploiement, à partir de 2021, du premier plan d’action de la douane en matière de lutte contre la contrefaçon, lancé par le ministre chargé des comptes publics de l’époque, M. Olivier Dussopt. Ces résultats ne seraient pas ce qu’ils sont sans l’engagement des douanières et des douaniers qui agissent au quotidien pour vérifier la conformité des marchandises entrant sur notre territoire et lutter contre ces trafics. Je profite de cette tribune pour saluer leur travail et leur engagement et adresser à nos 16 000 agents des douanes un remerciement appuyé.
Je m’arrêterai quelques instants sur le travail exceptionnel conduit à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Nous avons instauré pendant plusieurs mois, en collaboration avec d’autres pays européens, un dispositif spécifique de lutte contre la contrefaçon concernant l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, qui reposait sur des contrôles depuis la phase d’importation jusqu’à la vente des marchandises dans des boutiques, sur les marchés ou en ligne. Entre novembre 2023 et juillet 2024, cette action a permis de saisir 630 000 contrefaçons au niveau européen, dont plus de 500 000 étaient destinées au marché français.
Outre l’opération interministérielle Coubertin, qui a mobilisé près de 4 000 agents de la police, de la gendarmerie et de la DGCCRF, l’importante opération coup de poing Héraclès, qui a mobilisé 80 agents de cinq brigades des douanes franciliennes, a permis de saisir plus de 135 000 contrefaçons dans dix-sept entrepôts de l’Est parisien préalablement repérés. Cette opération a démontré l’efficacité incontestable des contrôles renforcés, l’importance de la formation – 1 600 agents des douanes et 130 agents de la DGCCRF ont été formés – et la place centrale du partage d’informations qualifiées entre les différents acteurs.
Le constat de l’évolution de la contrefaçon a conduit à l’élaboration du nouveau plan d’action national anticontrefaçon pour la période 2024-2026, présenté en mars dernier par le ministre des comptes publics Thomas Cazenave. Ce plan tire les enseignements du précédent, qu’il prolonge et complète. J’insisterai sur deux volets de ce nouveau plan résolument offensif, qui prouvent que nous nous adaptons aux nouveaux canaux de diffusion des produits contrefaits et à l’évolution des profils des contrefacteurs.
Le premier volet concerne l’identification et le démantèlement des réseaux organisés de fraude. En complément de l’approche traditionnelle ciblée sur les marchandises, la douane renforce le volet opérationnel de son action en mobilisant l’ensemble des services douaniers concernés, des services de renseignement aux services de constatation et d’enquête, dans une optique de lutte contre les réseaux organisés de fraude. Concrètement, il ne s’agit plus seulement de contrôler, saisir et détruire, mais bel et bien de démanteler les réseaux pour agir à la source, à l’image de l’arrestation, les 19 et 20 novembre 2024, de plusieurs individus en Grèce, en Allemagne, en Bulgarie et en France, à la suite du démantèlement par les gendarmes de Normandie d’une importante usine de fabrication de cigarettes de contrefaçon près de Rouen en janvier 2023.
Le second volet du plan porte sur le renforcement de la coopération avec les plateformes de vente en ligne pour traquer les ventes de contrefaçons dans l’espace numérique. Je l’ai dit, le développement du commerce en ligne attire les organisations criminelles, qui utilisent ces plateformes. Plusieurs mesures de régulation ont été appliquées au niveau européen, échelon pertinent pour toucher les géants du numérique, mais également au niveau national pour compléter les dispositifs.
Je citerai cinq textes très importants. Premièrement, le règlement sur les services numériques ou Digital Services Act, adopté en octobre 2022 et entré en vigueur en février 2024, repose sur un principe simple : ce qui est interdit hors ligne est également interdit en ligne. La contrefaçon est bien évidemment visée. Les dispositions du DSA portent notamment sur l’obligation de mettre en place un système de signalement des contenus illicites, la désignation d’un coordinateur national des services numériques et de signaleurs de confiance – leur désignation est en cours –, l’obligation de transparence quant à l’identité du vendeur – point essentiel –, ou sur des sanctions financières. J’ai entendu un de vos collègues dire que le texte n’était pas applicable : des enquêtes sont en cours et des sanctions, qui peuvent atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel de l’exercice précédent pour les grandes plateformes qui ne se conforment pas au règlement, commencent à être prononcées.
Deuxièmement – et j’en profiterai pour répondre au rapporteur Mauvieux –, j’avais eu l’honneur, en tant que secrétaire d’État chargée du numérique, de défendre la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, qui transpose le texte précédent. Elle a permis de renforcer le rôle de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), désignée comme coordinateur national des services numériques. Monsieur le rapporteur, le texte entre en vigueur, il est dans sa phase d’application et nous veillerons collectivement à ce que les choses avancent au plus vite.
Troisièmement, la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces offre désormais la possibilité aux agents habilités de saisir les opérateurs de plateformes en ligne pour leur demander le retrait des contenus proposant des contrefaçons. Elle autorise également la conclusion de protocoles d’accords bilatéraux entre les plateformes de vente en ligne et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) afin de faciliter l’identification de vendeurs impliqués dans le commerce de contrefaçon. Ce travail est en cours.
Quatrièmement, le règlement sur la sécurité générale des produits adopté en mai 2023 au niveau européen, qui devrait entrer en vigueur à la fin de l’année, conduira à considérer les plateformes comme des prestataires de services d’exécution de commandes. Leur responsabilité en matière de sécurité et de conformité des produits pourra ainsi être appelée en cas d’impossibilité d’identifier les vendeurs.
Cinquièmement, la loi « influenceurs », due à l’initiative des députés Stéphane Vojetta et Arthur Delaporte et promulguée en juin 2023, permet d’interdire la promotion de tout bien ou service contrefaisant – pratique qui tend à se répandre. Grâce à l’important travail législatif que vous avez fourni, nous sommes à présent mieux armés pour agir contre la contrefaçon, mais nous devons continuer à adapter en permanence nos dispositifs.
Vous l’aurez compris, le gouvernement est pleinement mobilisé pour lutter contre le fléau de la contrefaçon. Comme nous l’avons fait pour le règlement sur la sécurité générale des produits, il nous faut toutefois sans arrêt réinterroger nos pratiques, compléter nos dispositifs et les adapter aux pratiques des contrefacteurs.
Certaines des propositions de votre rapport ont donc particulièrement attiré notre attention. Concernant la création de la réserve opérationnelle de la douane, possibilité offerte par la loi du 18 juillet 2023, les principaux textes d’application ont été remis au secrétaire général des ministères économiques et financiers pour transmission au guichet unique. Ces textes seront ensuite présentés aux instances représentatives des personnels, puis au Conseil d’État. Après leur validation, les premiers recrutements de réservistes opérationnels douaniers pourraient intervenir fin 2025. Je vous remercie d’avoir défendu ardemment la création de cette réserve.
Concernant votre proposition no 3, qui vise à ouvrir largement l’accès au rôle de signaleur de confiance prévu par le DSA, nous partageons votre sentiment et l’Arcom travaille en ce moment à la désignation des candidats. Concernant votre proposition no 7, qui vise à instaurer une traçabilité du tabac transformé importé en France ou en transit au moyen d’un numéro d’identification, les services de la DGDDI se sont positionnés en faveur d’un travail au niveau européen visant à soumettre ces catégories de produits aux accises. Cette inclusion permettrait le suivi des marchandises dans le système d’information européen – je sais que vous avez déposé une proposition de loi en ce sens, monsieur Blanchet. Enfin, pour ce qui concerne vos propositions nos 12 et 13, relatives à la communication et à la sensibilisation des publics, plusieurs actions nationales récurrentes sont conduites, mais je conviens volontiers que nous devons renforcer nos actions en la matière.
Je ne suis pas entrée dans le détail de vos quinze propositions – d’autres, comme le renforcement du rôle de la police municipale, seraient d’ailleurs à promouvoir –, mais je tenais à vous remercier à nouveau pour la qualité de vos travaux. Messieurs les rapporteurs, je me ferai le relais auprès du gouvernement de votre souhait de voir inscrire à l’ordre du jour du Sénat la proposition de la loi relative à la contrefaçon défendue par le rapporteur Blanchet et adoptée par l’Assemblée. (M. Christophe Blanchet, rapporteur, et Mme Lise Magnier applaudissent.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau (LIOT)
La lutte contre la contrefaçon est d’intérêt général, tant son impact sur l’emploi, la pérennité de notre tissu industriel et la sécurité de nos concitoyens est important. J’ai exercé pendant dix ans la belle mission de maire d’une ville de plus de 100 000 habitants – Caen – dotée d’une police municipale. Cette dernière assure bien souvent le premier niveau d’intervention, notamment sur l’espace public. Je connais bien les limites des prérogatives des polices municipales en matière de lutte contre les trafics et la contrefaçon, en particulier celle du tabac. Ma question est la suivante : envisagez-vous, en lien avec les autres ministres, en particulier celui de l’intérieur, d’harmoniser les prérogatives des unités et services de police judiciaire avec celles des douanes ? Cela aurait l’intérêt de permettre une meilleure coordination de la lutte contre la contrefaçon.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Je souhaite vous apporter quelques précisions. Une expérimentation prévue par la loi sur la sécurité globale de 2021 donnait à la police municipale le pouvoir de verbaliser la vente à la sauvette. Malheureusement, cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle en vertu de l’article 66 de la Constitution. En revanche, le développement d’une collaboration étroite entre la police nationale, la gendarmerie et les polices municipales est de nature à améliorer la connaissance des réseaux et à faciliter ainsi l’action de la police judiciaire, notamment grâce au repérage effectué par la police municipale.
Vous m’interrogez en deuxième lieu sur l’articulation entre police judiciaire et douane. Au titre du code de la propriété intellectuelle, les officiers de police judiciaire peuvent procéder à la constatation d’infractions de contrefaçon et à leur saisie. La police nationale et la gendarmerie font appel à la douane en cas de découverte de contrefaçons, car la douane dispose des informations sur les marchandises authentiques grâce aux demandes d’intervention adressées par les titulaires de droits. Une coordination et une bonne articulation entre les services existent donc et permettent une action plus efficace.
Troisièmement, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur du 24 janvier 2023 a élargi le champ de l’amende forfaitaire délictuelle, qui s’applique dorénavant à la vente à la sauvette et qui donne ainsi à la police nationale et à la gendarmerie une capacité d’action plus rapide. Je ferai néanmoins part au ministre de l’intérieur de votre souhait de voir davantage d’harmonisation entre les services, afin qu’il puisse vous adresser une réponse plus complète.
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Le débat sur le rapport relatif à l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon fait apparaître une certitude : l’État court derrière les contrefacteurs avec des longueurs de retard qui ne cessent de s’accroître. Comme l’a expliqué mon collègue Jean-Paul Lecoq, la fragilisation de la chaîne du contrôle, de l’investigation et de la pénalisation qui relie la douane, la DGCCRF et la justice empêche de combattre le phénomène tentaculaire de la contrefaçon, qui s’étend avec l’e-commerce et les échanges de marchandises de plus en plus nombreuses qui sillonnent la planète. Rendez-vous compte que cette question se pose jusqu’à Vierzon, où il existe un opérateur ferroviaire de proximité qui envoie et reçoit trois trains complets de containers par semaine à destination ou en provenance du port du Havre. Si la douane est parfois présente à Vierzon, on ne peut pas dire que les équipements et les contrôles suivent : il n’y a pas de scanner pour vérifier les entrées et sorties des 200 containers qui transitent chaque semaine et les douaniers sont plutôt affectés à produire les documents fiscaux – au demeurant essentiels – qui permettent aux containers de ne pas être contrôlés en provenance ou à destination du Havre.
Au-delà de ces constats, je souhaite vous poser trois questions précises – des questions de profane. Premièrement, les services de l’État ont-ils pu établir un lien entre contrefaçon et cryptomonnaies ? Si oui, comment cela se traduit-il ? Deuxième question : dans le rapport, il est demandé d’inscrire systématiquement le thème de la contrefaçon dans les échanges bilatéraux et internationaux. Au niveau fiscal, la fraude à la TVA est due pour partie à la contrefaçon ; savez-vous l’évaluer, même à gros traits ? Troisièmement, s’agissant des médicaments et du tabac, serait-il incongru de penser qu’il existe une zone grise entre fabricants de produits licites et de produits contrefaits, et que de grands laboratoires ou de grandes firmes de tabac seraient susceptibles de jouer sur les deux tableaux ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Il me sera difficile de répondre à vos trois questions en deux minutes. Puisque vous avez évoqué les moyens de la douane dans votre propos liminaire,…
M. Nicolas Sansu
Ce n’est pas la question !
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
…je vous rappelle que ses effectifs sont quasiment stables depuis 2021 et que, dans le cadre du dernier plan antitabac, des investissements importants sont destinés à améliorer la détection de la fraude de tabac. Vous avez évoqué l’action de la douane à Vierzon. Je tiens à rendre hommage à ses agents, qui travaillent bien puisque la brigade de Bourges a saisi depuis le début de l’année 5 090 articles de contrefaçon qui représentent une valeur de plus de 197 000 euros. Plusieurs investissements sont cofinancés et planifiés : dix scanners mobiles de basse intensité seront positionnés très prochainement sur tout le territoire. Nous procédons au redéploiement et à l’adaptation des missions de nos douaniers, davantage qualifiés dans le domaine du numérique et de la cyberdouane.
Aucun lien entre cryptomonnaies et contrefaçon n’est aujourd’hui suffisamment établi. Toutefois, dans la nouvelle stratégie financière et dans le plan national d’action contre la contrefaçon, des dispositions convergent pour donner aux agents chargés des contrôles les moyens d’approfondir les éventuels liens entre les constatations en matière de contrefaçon et les avoirs financiers détenus par les réseaux qui organisent ces trafics. Les cryptomonnaies peuvent servir à financer des achats de contrefaçon, mais quand elles sont utilisées à mauvais escient, elles le sont plutôt pour acheter des stupéfiants ou des armes. En revanche, je me permets de vous rappeler que la France a été précurseur en matière de règlement relatif aux cryptomonnaies, puisque la régulation des prestataires de services sur actifs numériques (Psan) – régulation des fournisseurs de services – a été à l’origine d’une nouvelle réglementation qui se déploie en Europe. Je n’ai plus le temps pour répondre aux autres questions ; nous pourrons en reparler ultérieurement. Sachez simplement que nous ne disposons pas des éléments marquants et probants qui nous permettraient d’identifier l’éventuelle zone grise que vous évoquez et dans laquelle évolueraient les fabricants de médicaments et de tabac.
Mme la présidente
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR)
Premièrement, le tabac fait l’objet d’une taxation lourde et croissante au nom de politiques publiques sanitaires et d’équilibre budgétaire. Le nombre de tonnes de tabac saisies a triplé en deux ans. Or chaque augmentation de la fiscalité du tabac accroît l’attractivité relative de la contrefaçon et donc sa consommation en France. Avez-vous chiffré la relation entre le niveau de taxation du tabac et le manque à gagner fiscal lié à la contrefaçon, ainsi que le coût sanitaire associé à des produits dont la qualité est moindre et qui affectent potentiellement la santé de nos concitoyens ? S’agissant de la possibilité de verbaliser la vente à la sauvette, qu’en est-il de la verbalisation du vendeur en dehors du délit de flagrance ?
Deuxièmement, on observe une dynamique exponentielle de la saisie des produits contrefaits, en lien avec notre balance déficitaire, l’essor des plateformes d’intermédiation et les difficultés de pouvoir d’achat. On passe ainsi de 9 millions d’articles contrefaits saisis en 2021 à 20 millions en 2023. Certes, il faut y voir l’excellente performance de nos douaniers et agents de la DGCCRF. Pour autant, on ne peut ignorer la vague de fond qui déferle sur le pays et qui répond à une demande croissante. Dans ce contexte, de quels moyens entendez-vous doter la douane d’ici à cinq ans pour lui permettre de faire face à ce phénomène explosif et dangereux pour nos concitoyens comme pour nos entreprises ? Je pense en particulier à trois types de moyens : les moyens informatiques, notamment pour la détection et le suivi à l’ère de l’intelligence artificielle ; les moyens humains, qui demeurent au cœur du dispositif ; les moyens post-procéduraux et judiciaires, pour une sanction effective et durable des fraudeurs, y compris et surtout à l’étranger.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
En matière de lutte contre le trafic de tabac, il convient de distinguer la contrefaçon de la contrebande – ce sont deux phénomènes très différents. Autant nous ne pouvons pas faire de lien entre taxation et contrefaçon, autant un lien peut être établi entre taxation et contrebande. La France mène une politique extrêmement forte en matière de lutte contre le tabagisme, qui nous conduit à pratiquer une politique très différenciée à l’égard des acteurs du tabac dans la lutte contre la contrefaçon. Par ailleurs, vous évoquez la question de la verbalisation de la vente à la sauvette. Vous pensez peut-être davantage à la possibilité de verbaliser les acheteurs…
M. Alexandre Allegret-Pilot
Non !
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
En ce cas, je ne comprends pas bien le sens de votre question puisqu’il existe déjà la possibilité de verbaliser la vente à la sauvette dans le cadre d’une amende forfaitaire délictuelle.
Enfin, vous m’interrogez sur les actions que nous entendons conduire. Nous avons lancé un plan d’action antitabac pour la période 2023-2025, présenté par le ministre des comptes publics d’alors, M. Gabriel Attal, et structuré autour de quatre axes – l’amélioration du renseignement douanier, le renforcement des moyens d’action et d’enquête, l’adaptation de la politique contentieuse et du cadre juridique, la communication – et de soixante-huit actions. Ce plan a déjà produit des résultats tangibles, puisque les groupes de lutte antitrafic de tabac (Glatt) sont désormais opérationnels et que la belle opération Colbert a été conduite.
Mme la présidente
La parole est à Mme Angélique Ranc.
Mme Angélique Ranc (RN)
La hausse spectaculaire de la vente de tabac de contrefaçon impose aujourd’hui de prendre des mesures strictes pour étouffer cette filière illégale. Même si la distinction entre tabac de contrebande et tabac de contrefaçon demeure difficile à établir, il reste que les deux sont inextricablement liés. Les usines clandestines qui alimentent l’Hexagone sont situées sur le territoire national, mais également en dehors de nos frontières. En ce qui concerne le tabac de contrefaçon, qui finance bien souvent les réseaux criminels européens, l’absence de traçabilité empêche de contrôler les ingrédients qui le composent. Le marché illégal de tabac a également un impact néfaste sur les commerces de proximité. À titre d’exemple, les volumes de tabac vendus par les 136 buralistes de mon département de l’Aube depuis le début de l’année ont chuté de 16 % par rapport à l’an passé, ce qui représente un manque à gagner substantiel. Dans le même temps, le marché de contrebande et de contrefaçon a explosé, car les consommateurs font de plus en plus le choix du commerce illégal. Ainsi, selon une étude de la société Seita, un paquet de cigarettes sur trois provient de l’étranger ou de la contrefaçon.
Ces funestes statistiques mettent en lumière la nécessité de durcir la réponse pénale contre les réseaux de criminels qui privilégient le tabac contrefait, bien plus intéressant pour eux que les autres trafics car moins sanctionné. Dans cette perspective, envisagez-vous d’instaurer une interdiction du territoire français aux étrangers se livrant au trafic de contrefaçons ? Cette mesure aurait un effet positif sur ce fléau, dans la mesure où selon la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), les étrangers représentent une très forte majorité des prévenus dans les affaires de contrefaçon et de contrebande de cigarettes. Ces chiffres doivent également nous interroger sur la violence de la politique fiscale en France, qui sanctionne in fine les buralistes par la hausse des taxes et pousse de plus en plus de Français à se tourner vers le tabac illégal. Alors que le prix de la cigarette a été multiplié par trois en vingt ans, l’explosion de tabac de contrefaçon tombe sous le sens. Ainsi, quelles mesures comptez-vous prendre pour desserrer l’étreinte financière de l’État sur les buralistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
La lutte contre la contrefaçon et la lutte contre les trafics de tabac sont deux sujets que la douane traite de façon bien distincte, puisque la politique de lutte contre le tabagisme amène à éviter toute défense des intérêts des industriels du tabac et à ne pas considérer les fabricants de tabac manufacturé comme des titulaires de droits de propriété intellectuelle comme les autres. En matière de contrefaçon du tabac, le phénomène le plus marquant est celui des usines clandestines de cigarettes que nous voyons fleurir sur le territoire national. Plusieurs dizaines de sites de production sont démantelés chaque année – soixante-huit en 2023 sur le territoire européen. Je me permets de vous citer trois exemples qui illustrent l’efficacité des politiques que nous conduisons en la matière. Le 12 janvier 2023, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime, c’est une véritable usine de fabrication de cartouches de cigarettes illégales qui a été démantelée par la gendarmerie. En décembre 2023, à Toulouse, trois machines ont été saisies, ainsi que des armes et 571 kilogrammes de cigarettes, grâce à l’action de la police. En janvier 2024, les douaniers de Bourg-en-Bresse ont intercepté à la circulation, pour la première fois sur le territoire national, l’ensemble des éléments entrant dans une ligne de production de cigarettes de contrefaçon. D’autres enquêtes sont en cours.
Vous souhaitez que l’on puisse interdire de territoire les contrevenants. L’article 432 ter du code des douanes permet déjà, en matière de trafic de tabac et de stupéfiants, l’interdiction du territoire national. J’essaierai de vous apporter d’autres éléments de réponse sur le sujet du tabac à l’occasion des questions suivantes.
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Carrière.
M. Sylvain Carrière (LFI-NFP)
La contrefaçon progresse exponentiellement en France : 5,6 millions de produits ont été saisis en 2019, 11 millions en 2021 et 20 millions en 2023. Selon la direction générale des douanes et droits indirects, elle représente 2 milliards d’euros de pertes fiscales.
Elle nous coûte également 38 000 emplois sur le territoire national, car les premières victimes de la contrefaçon, outre les 45 millions de consommateurs qui ont recours au commerce en ligne, sont les petites et moyennes entreprises. Le dispositif visant à imposer aux plateformes une veille contre la contrefaçon est un début, mais cela ne sera jamais suffisant, car ces multinationales qui ne jurent que par le profit n’ont que faire des PME lésées. Elles n’ont que faire des commerces qui se meurent et des cœurs de ville désertés au profit d’entreprises étrangères déloyales. Ce qui les intéresse, c’est le profit économique. Pour être concurrentielles et capter des parts de marché, elles se nourrissent de prix bas, qu’importe si les produits respectent la propriété intellectuelle et les normes de sécurité. Prenez Amazon, dont les entrepôts fleurissent partout en France ; cette multinationale héberge sur son site des vendeurs tiers. Pour chaque vente, elle perçoit une commission variant entre 8 et 15 %. Qui pourrait croire que le géant américain a intérêt à lutter contre une activité qui lui apporte des revenus si importants ? Personne. Les sanctions prévues sont bien trop faibles et les contrôles quasi inexistants.
Dans le même temps, les effectifs des douaniers n’augmentent pas. À l’heure où le marché de la contrefaçon se généralise, ces agents se retrouvent bien seuls.
Madame la ministre, quelles mesures réellement dissuasives comptez-vous prendre contre ces plateformes et quand comptez-vous enfin recruter massivement des douaniers, à qui le nombre fait terriblement défaut dans une lutte qui ne fait que commencer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Vous m’interrogez au sujet de la lutte contre les comportements illicites sur les grandes plateformes. Permettez-moi de rappeler quelques aspects du règlement européen relatif aux services numériques, entré en vigueur en février et transposé en droit français par la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dont les décrets d’application sont en train de paraître.
Le DSA contient plusieurs mesures cruciales ; vous pouvez en contester le bien-fondé, mais elles commencent à produire des effets. Premièrement, il rend obligatoire l’instauration d’un système de signalement des contenus illicites. Nous y travaillons actuellement. Deuxièmement, il rend obligatoire la désignation de signaleurs de confiance. L’Arcom, qui a été désignée coordinateur national pour le numérique, doit les choisir parmi ceux qui ont fait acte de candidature. Troisièmement, le DSA oblige les plateformes à coopérer avec les autorités judiciaires et à suspendre tous les comptes qui publient des contenus illicites, ce qui inclut bien sûr les annonces de produits contrefaits. Quatrièmement, il rend obligatoires l’interdiction du ciblage publicitaire des mineurs et du ciblage à partir des données sensibles, la vérification de l’identité du vendeur – c’est l’objet des articles 30 et 32 – et l’analyse des risques systémiques présents sur les plateformes – article 34 –, qui doit faire l’objet d’un rapport d’évaluation fourni aux autorités – article 35.
Monsieur le député, vous affirmez que ce texte ne produit pas d’effets, mais les sanctions financières applicables aux plateformes peuvent aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. Sachez que des enquêtes de la Commission européenne sont en cours, même si elles ne concernent pas le problème spécifique de la contrefaçon, et que des sanctions commencent à être prises. Je ne doute pas que vous veillerez à ce que nous puissions, ensemble, contraindre ces plateformes à respecter le texte.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Saint-Pasteur.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC)
Les chiffres explosent et donnent le vertige. La contrefaçon percute notre pays de diverses manières, touchant la vie économique, les enjeux environnementaux ou encore la santé de nos concitoyens. C’est un véritable fléau. Pour n’en prendre qu’un exemple, cet été, sur le port de Marseille, 80 000 pièces automobiles contrefaites – filtres à air, à huile, à carburant, joints de culasse, amortisseurs, etc. – ont été saisies. Je tiens à saluer le travail et l’investissement des douaniers qui, par cette saisie, ont empêché des accidents et probablement des morts.
Il faut malheureusement reconnaître que nos concitoyens ne mesurent pas toujours l’impact terrible de la contrefaçon. Ils ne mesurent d’ailleurs pas non plus ses effets dans les pays producteurs, où sont fabriquées dans des entreprises criminelles, dans des conditions inimaginables, les multiples contrefaçons qui arrivent sur notre sol, voire que certains de nos concitoyens importent par eux-mêmes. Ainsi, selon l’étude publiée l’année dernière par l’Unifab, 40 % des Français déclarent avoir déjà acheté un produit de contrefaçon. Le combat est donc ardu et nécessite que nous déployions des moyens.
Il nécessite aussi que nous nous adaptions à la nouvelle donne que représente l’explosion du commerce en ligne et la multiplication des marketplaces. Le parallèle avec notre politique de défense semble pertinent. Dans le domaine militaire, nous avons besoin d’ordinateurs quantiques, de supercalculateurs et de cybersécurité pour monter en puissance face au risque cyber ; dans celui de la lutte contre la contrefaçon, il nous faut aussi un puissant réseau de cybersurveillance. C’est un point crucial du rapport du CEC. Pourtant, le constat d’une insuffisance de moyens est posé en page 65. Nous manquons notamment de cyberdouaniers, alors que les flux connaissent une croissance exponentielle.
Quels sont les axes envisagés pour renforcer significativement les moyens humains dans le volet cyber et pour améliorer notre capacité à attirer des profils très recherchés dans le domaine ? L’investissement est essentiel et sera très largement compensé par les coûts évités en matière de santé publique, d’environnement et d’économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Je vous remercie d’avoir rappelé l’explosion vertigineuse des chiffres de la contrefaçon. Je crois nécessaire de diffuser collectivement ce message pour sensibiliser nos concitoyens sur leurs propres pratiques et sur leurs achats en ligne.
Vous m’interpellez au sujet des moyens dédiés à la douane. Comme je l’ai rappelé, les effectifs des services de la douane sont stables depuis 2021, mais nous travaillons à un renforcement important. Il s’agit de redéployer les douaniers sur de nouvelles missions, dont la cybercriminalité fait bien sûr partie. De mémoire, 68 millions d’euros ont été engagés pour financer des moyens d’intervention supplémentaires et plus de 79 millions d’euros pour investir dans du matériel. De nouveaux scanners arrivent, des brigades de cyberdouane se créent. Des unités déconcentrées ont été déployées pour lutter contre le trafic dans les régions identifiées comme les plus sensibles, ce qui permet à l’action de l’État d’être guidée par les besoins du terrain et les spécificités des territoires. Je rappelle également qu’il existe des services déconcentrés de la douane et des référents en région. J’ajoute enfin que les douaniers sont dotés de chiens qui repèrent les produits illicites, afin de rendre l’action de la douane la plus concrète possible.
Je vous rejoins cependant : nous devons toujours veiller à mieux adapter nos moyens aux besoins de la lutte contre la contrefaçon.
M. Christophe Blanchet, rapporteur
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR)
Par ma question, je souhaite soutenir les buralistes français, qui sont aux abois. La contrefaçon de cigarettes est un fléau qui fragilise fortement l’activité des buralistes, dégrade la santé publique, alimente le marché noir et prive l’État de recettes fiscales. Les chiffres sont édifiants, voire terrifiants. Plus de 8 milliards de cigarettes contrefaites par an sont fumées en France, soit plus de 400 millions de paquets, ce qui représente près de 20 % de la consommation totale. Dernier exemple en date, le démantèlement d’une usine de contrefaçon dans la Drôme, la semaine dernière, a permis la saisie de 50 tonnes de tabac et de 4,5 millions de paquets.
Les buralistes sont en colère et ils ont raison. Ces trafics mettent à mal leur commerce, leur réseau de proximité, qui reste essentiel pour nos villes et nos campagnes. L’État doit impérativement prendre des mesures coercitives, innovantes et pragmatiques pour mettre fin à ce crime organisé. Madame la ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour intensifier la lutte contre ce fléau ? Comment comptez-vous renforcer la coopération douanière avec nos partenaires européens afin d’endiguer ce trafic qui menace notre santé publique, notre sécurité et surtout nos buralistes ? (M. Christophe Blanchet, rapporteur, applaudit.)
M. Alexandre Dufosset
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Je vous remercie de prendre la défense de nos buralistes qui, loin de se limiter à la vente de tabac, sont bien souvent des commerces de proximité indispensables à la vie de nombreuses communes.
Comme je l’ai rappelé, nous sommes pleinement engagés dans la lutte contre le trafic de tabac. Toutefois, il convient de distinguer la contrefaçon de la contrebande. Les saisies de tabac de contrefaçon représentent 17 % des saisies douanières de 2023. La majeure partie des produits saisis, en quantité comme en nombre de constatations, concernent la contrebande, c’est-à-dire du tabac manufacturé, réputé produit légalement dans son pays d’origine. Il en va ainsi du tabac en provenance du Luxembourg, d’Andorre, d’Espagne, de Belgique ou d’Italie, voire d’Algérie.
J’ai évoqué plus tôt certaines opérations coup de poing organisées grâce à la coopération internationale, parmi lesquelles une opération menée avec l’Allemagne, la Grèce, la Pologne et la Bulgarie qui nous a permis d’interpeller plusieurs personnes dont quatre en France. Cette arrestation illustre le renforcement de notre politique de coopération et l’importance des agences européennes comme Europol et l’unité de coopération judiciaire Eurojust.
Pour ce qui est de la protection des buralistes face à la contrefaçon de tabac, deux mesures principales sont en vigueur. La première est l’instauration d’un système de traçabilité du tabac à l’échelle européenne ; c’est à ce propos que j’ai évoqué la possibilité de soumettre le tabac brut aux accises. La seconde consiste en un protocole d’accord comprenant des aides financières destinées à la transformation des points de vente. Dans ce cadre, une enveloppe maximale de 20 millions d’euros par an est octroyée aux buralistes.
Ayant épuisé mon temps de parole, je pourrai vous donner des informations complémentaires après la séance.
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Blanchet.
M. Christophe Blanchet (Dem)
Madame la ministre, je comprends que vous vouliez agir au niveau européen pour la traçabilité du tabac, mais franchement, si nous ne l’organisons pas en France, cela ne fonctionnera pas. Pour l’instant, cela ne marche pas. Si nous ne traçons pas le tabac en France, nous tournerons en rond et ferons dans dix ans les mêmes rapports et les mêmes constats qu’aujourd’hui ; la seule différence, c’est qu’il y aura beaucoup moins de buralistes.
Ma question concerne le plus grand exportateur de produits de contrefaçon vers la France, c’est-à-dire la Chine. Nous fêtons le soixantième anniversaire de nos accords diplomatiques bilatéraux, et je sais que certains contrats avec la Chine sont en cours d’élaboration ; c’est le contexte idéal pour signer un accord sur la vigilance réciproque en matière de contrefaçon.
Le tapis roulant de l’aéroport de Roissy fait défiler les colis en provenance de Chine au rythme de sept colis à la seconde, parmi lesquels six sont des produits de contrefaçon, comme M. Mauvieux et moi-même l’avons constaté. Le mieux, ce serait que ces colis ne partent pas de Chine. Je ne connais pas de manière infaillible de les en empêcher, mais nous pourrions commencer par inclure dans nos accords bilatéraux des clauses imposant à la Chine d’effectuer un contrôle sur place. Si la contrefaçon coûte 10 milliards d’euros par an à la France et que 75 % des produits d’exportation sont chinois, la Chine nous doit 7,5 milliards, CQFD ! C’est très bien de signer des traités avec nos amis chinois, mais il s’agirait aussi d’éviter qu’ils nuisent à la France.
Enfin, je souhaite revenir sur les titulaires de droits. Quand ceux-ci veulent signaler un objet de contrefaçon sur une plateforme, les démarches varient considérablement selon le site internet en question. Certaines plateformes bienveillantes comme Rakuten ou eBay, exemplaires en la matière, leur demandent de remplir un formulaire d’une page, mais d’autres les obligent à remplir vingt-cinq pages ! Or les petites PME peuvent remplir une page, mais pas vingt-cinq. On empêche ainsi les titulaires de droits et de brevets français de se défendre face à des annonces frauduleuses en ligne.
Mme Danielle Brulebois
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marina Ferrari, ministre déléguée
Je comprends votre circonspection quant à l’idée de mieux tracer le tabac brut au niveau européen pour le soumettre aux accises. Toutefois, je rappelle que les accises sont régies par une directive européenne ; c’est donc bien à cet échelon qu’il faut défendre la position française. Si vous trouvez une solution législative qui nous permette de prendre cette mesure au niveau national, le gouvernement vous suivra bien volontiers.
Nous partageons bien sûr la position que vous avez exprimée concernant la Chine. Malheureusement, nous n’avons pas d’accord commercial avec la Chine qui nous permette d’imposer ou même de préciser des clauses particulières qui seraient contraignantes. Sans doute devons-nous avancer sur ce sujet afin de mieux nous protéger. En revanche, au niveau européen, nous avons mis en place des clauses miroirs qui nous permettent de mieux nous protéger dans le domaine des importations de produits licites.
Enfin, vous m’interrogez sur les difficultés de procédure auxquelles sont confrontés les titulaires de droits. Pour l’avoir moi-même expérimenté, je sais que faire une démarche de signalement ou d’enregistrement sur la plateforme en ligne d’un grand opérateur est toujours assez compliqué. Toutefois, nous travaillons étroitement avec les grands opérateurs numériques afin de les contraindre – ou en tout cas de les inciter très fortement – à simplifier leurs procédures non seulement pour les titulaires de droits, mais aussi pour mieux protéger nos concitoyens signalant les problèmes qu’ils rencontrent.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
4. Évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement des argiles
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques relatif à l’évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement des argiles.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les rapporteures du CEC, les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Sandra Marsaud, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
Mme Sandra Marsaud, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Le rapport que nous vous présentons sur le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) a été finalisé en mars 2023 dans le cadre des travaux du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale. Après un premier débat et un vote en comité, il vous est présenté en séance dans le cadre de notre semaine de contrôle. Je salue cette initiative qui contribue à valoriser et à renforcer la visibilité des travaux du CEC.
Accentué par le changement climatique, le phénomène dont nous parlons affecte des sols argileux qui se contractent ou se dilatent en fonction des variations de température et d’humidité. Les conséquences sont visibles dans de nombreuses régions françaises comme la Nouvelle-Aquitaine : des fissures apparaissent sur des habitations, fragilisant les structures et mettant en péril la sécurité des bâtiments, voire des habitants. Plus de 10 millions de maisons individuelles – sur les 19,4 millions que compte notre territoire – seraient situées dans des zones à risque. Malgré l’ampleur de ces impacts, le régime « Cat nat », c’est-à-dire le régime des catastrophes naturelles, révèle d’importantes faiblesses dans la prise en charge des sinistres liés au RGA. De nombreux sinistrés nous ont alertées : les procédures administratives sont lourdes, les délais d’indemnisation trop longs et les critères d’évaluation inadaptés.
Deux filtres successifs aggravent ces obstacles : la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, qui exclut près de la moitié des communes concernées ; la décision des assurances, qui rejette la moitié des dossiers restants. Le problème est donc important. Les dernières années ont vu émerger, sous l’influence de différents rapports parlementaires et gouvernementaux que nous saluons ici, une prise de conscience de l’insuffisance de l’indemnisation des sinistres liés au RGA.
Elle s’est traduite par plusieurs évolutions réglementaires que je tiens à souligner. Parmi elles, l’ordonnance du 8 février 2023 réforme les modalités d’indemnisation en adaptant les critères météorologiques et géotechniques pour mieux refléter la réalité des phénomènes de RGA. Nous avons constaté lors des auditions le travail très précis et fin d’adaptation effectué par les équipes de Météo-France ; je tiens à le saluer. L’arrêté du 22 décembre 2023 prévoit de relever de 12 % à 20 % le taux de surprime finançant le régime Cat nat à partir du 1er janvier 2025, pour soutenir le financement du régime par l’intermédiaire de la Caisse centrale de réassurance (CCR). Enfin, l’instruction interministérielle du 29 avril 2024 relative à la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle étend la reconnaissance de catastrophe naturelle à l’ensemble de l’année civile pour les communes concernées et inclut désormais les communes limitrophes dans les analyses, comme l’avaient recommandé plusieurs rapports, dont le nôtre.
Le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), présenté en octobre 2024, prévoit également une augmentation significative du fonds Barnier : ses moyens seront portés à 300 millions d’euros en 2025, afin de mieux soutenir les mesures de prévention de ces risques naturels, ce qui constituait une autre préconisation de notre rapport.
Si nous saluons ces avancées, il est bien sûr nécessaire d’aller plus loin dans la prévention des risques et dans la prise en charge des sinistrés. Nous préconisons notamment dans notre rapport d’assurer la soutenabilité financière du régime Cat nat, aujourd’hui compromise. Une proposition de loi en ce sens a été adoptée au Sénat en mai 2024 à l’initiative de la sénatrice Christine Lavarde. Si elle propose une revalorisation automatique et annuelle du taux de surprime à partir de 2027, nous proposions, quant à nous, une revalorisation automatique du taux de la surprime payée via l’assurance multirisque habitation en fonction de la sinistralité passée, le relèvement du taux de surprime de 12 % à 20 % ne suffisant sans doute pas à financer de manière pérenne le régime.
Nous préconisons également la création d’un fonds de solidarité nationale pour améliorer l’indemnisation de nos concitoyens victimes de dommages liés au RGA. Financé à parts égales par l’État et par une taxe sur les surprimes d’assurance, qui retiendrait donc une part de ces surprimes, ce fonds permettrait de prendre en charge de façon totale ou partielle le stock des sinistres abandonnés depuis vingt ans et de soutenir les travaux préventifs dans les zones à risque.
Notre rapport aborde de nombreux autres sujets, comme l’agrément et la labellisation des experts. Enfin, je voudrais demander à Mme la secrétaire d’État chargée de la consommation quelles sont les mesures envisagées pour garantir la viabilité à terme du régime Cat nat. Le gouvernement soutiendra-t-il la création d’un fonds de solidarité nationale ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.
Mme Sandrine Rousseau, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques
Acheter une maison constitue bien souvent l’investissement de toute une vie. La maison est en effet le lieu où se construisent des souvenirs, où se cristallisent des projets et où se dessine un avenir. Une maison est plus qu’un bien matériel : c’est un capital familial, une sécurité que l’on espère transmettre à ses enfants. Mais que reste-t-il quand cette maison se fissure ? Ce n’est plus seulement un mur qui se fend, c’est un rêve qui s’écroule. Le patrimoine devient un fardeau, un bien qui perd toute sa valeur. C’est une menace permanente au-dessus de nos têtes, une inquiétude constante : comment vivre sereinement sous un toit fragilisé ? C’est une maison où il devient difficile de se chauffer, de vivre, et souvent impossible d’espérer.
Le changement climatique a parfois des effets visibles immédiatement, comme les inondations ou les mégafeux ; d’autres sont plus discrets. Le retrait-gonflement des argiles relève de ces derniers ; c’est la raison pour laquelle celles et ceux qui en sont les victimes sont trop souvent laissés seuls face à une situation dramatique sur le plan financier comme sur le plan humain.
Le retrait-gonflement des argiles, amplifié par la répétition des sécheresses, est l’un des nombreux signaux d’alerte du dérèglement climatique. Ils nous confrontent à des défis inédits et croissants, qui toucheront de plus en plus de familles dans les années à venir. Notre rapport avait pour but de débattre enfin de l’urgence écologique et d’alerter sur ses conséquences très concrètes, mais aussi d’offrir enfin des solutions aux milliers de sinistrés qui ne savent plus vers qui se tourner et qui sont dans un état de souffrance psychique. Je le rappelle, 10,5 millions de maisons individuelles sont exposées au risque RGA, soit une maison sur deux – c’est énorme.
Dans le prolongement de ce rapport, j’ai déposé une proposition de loi, votée à la quasi-unanimité – moins six voix – lors de la journée de niche des écologistes, avant d’être rejetée par le Sénat au détriment des milliers de sinistrés qui s’étaient mobilisés pour son adoption. Ces deux initiatives ayant suscité beaucoup d’espoir, je souhaite savoir quels enseignements votre gouvernement en a tirés.
Je salue la reprise des propositions nos 5 et 6 de notre rapport, qui permettent d’étendre le régime Cat nat aux communes limitrophes, sous certaines conditions, et de faire porter sur une année entière la demande de la commune et la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Toutefois, plusieurs points manquent encore. Quelles sont les avancées concrètes enregistrées pour inverser le rapport de force, aujourd’hui favorable aux assureurs, en faveur des sinistrés ? Ces derniers ont souligné l’importance de ce sujet.
Prévoyez-vous de resserrer la maille géographique utilisée par Météo-France, comme le suggérait la proposition no 4 de notre rapport, afin d’évaluer l’impact sur le taux de reconnaissance des communes ? Et si oui, de combien ? Est-il envisagé de ratifier l’alinéa 1er de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023, qui introduit un second cas d’indemnisation en cas de succession anormale d’événements de sécheresse d’ampleur significative ? C’est une demande forte des associations.
S’agissant de la proposition no 3 de notre rapport, relative à l’efficacité du critère météorologique, le gouvernement envisage-t-il de réduire la durée de retour de vingt-cinq à dix ans, afin d’augmenter le taux de reconnaissance des sinistres et d’aligner le régime des sécheresses sur le régime des inondations ?
Convenez-vous qu’il est impératif d’instaurer une présomption simple de causalité entre les événements reconnus au titre de la sécheresse et les sinistres survenus dans les communes, comme nous le proposons dans la première recommandation de notre rapport, qui est l’une des plus importantes ? Quelle est la position du gouvernement en ce qui concerne les mesures contenues dans ma proposition de loi, adoptée par l’Assemblée le 6 avril 2023 ?
Envisagez-vous de mettre en place un fonds de solidarité nationale, conformément à notre proposition no 23 ? Ce fonds serait chargé des missions suivantes : prise en charge totale ou partielle des maisons gravement endommagées et non éligibles au régime Cat nat ; cofinancement – géré par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), rémunérée pour cette mission – des mesures de prévention pour les maisons fortement exposées, mais encore intactes ; remboursement de tout ou partie des restes à charge, selon des critères tenant compte des revenus et des comportements des assurés, pour reprendre notre proposition no 10. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
Mme la présidente
Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Eva Sas.
Mme Eva Sas (EcoS)
Les assureurs sont les premiers à dire que le dérèglement climatique s’aggrave plus vite que prévu. Sur la période 2020-2023, le coût des sinistres climatiques est déjà supérieur de 18 % aux prévisions de France Assureurs pour 2050. En 2023, les sinistres liés au climat ont atteint le montant pharaonique de 6,5 milliards d’euros. Face aux dommages considérables causés par les événements climatiques violents, le retrait-gonflement des argiles et le recul du trait de côte, alors que notre quotidien est bouleversé par les inondations, les sécheresses et les tempêtes, notre devoir est de protéger les Français. Pour l’instant, il faut bien le dire, l’État n’est pas à la hauteur de la situation, qu’il s’agisse de l’adaptation au dérèglement climatique ou de l’indemnisation de ses conséquences.
Nos collègues Sandrine Rousseau et Sandra Marsaud nous proposent de prendre la mesure de l’une des conséquences du dérèglement climatique : le retrait-gonflement des argiles, qui touche 48 % du territoire métropolitain et plus de 10 millions de maisons individuelles. Grâce au rapport de nos deux collègues, nous mesurons également à quel point les familles sont abandonnées à leur sort : la moitié des dossiers d’indemnisation sont inéligibles, faute de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ; et parmi les dossiers en principe éligibles, une nouvelle moitié est écartée par l’expert.
Afin de protéger réellement nos concitoyens confrontés au RGA et à tous ces nouveaux risques climatiques, nous devons agir à deux niveaux : mieux prévenir les risques et mieux indemniser les sinistrés. En premier lieu, la prévention des risques climatiques, en particulier du RGA, nécessite de faire évoluer les normes de la construction neuve et de développer des techniques de résilience du bâti existant. C’est exactement ce que fait le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), outil d’expertise technique indispensable à l’État pour la mise en œuvre concrète de l’adaptation au changement climatique dans nos territoires. Or le Cerema est confronté à une fragilisation continue sur le plan budgétaire : en dix ans, il a perdu 18 % de ses effectifs et il lui manquera 11 millions d’euros pour boucler son budget en 2025. Il y a quelques jours, au Salon des maires et des collectivités locales, il était pourtant présenté par le gouvernement comme un pilier de la mission Adaptation.
La prévention des risques climatiques passe aussi – et surtout – par la mobilisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier. Ce dernier est confronté à un sous-financement. Je parlerais même de détournement des financements, car l’État opère un prélèvement de 12 % sur la surprime Cat nat des contrats d’assurance afin de financer le fonds de prévention. Le 1er janvier, avec l’augmentation de la surprime à 20 %, l’État touchera 450 millions d’euros. Or le premier ministre a annoncé qu’il n’affecterait que 300 millions à la prévention : il manquera donc 150 millions, somme que France Assureurs proposait justement d’affecter à un fonds sécheresse, dédié au retrait-gonflement des argiles. Une fois encore, le gouvernement n’est pas au rendez-vous en matière d’adaptation.
En second lieu, si le financement du régime Cat nat a été temporairement sécurisé par l’augmentation de la surprime prévue au 1er janvier 2025, il n’en est pas de même pour les droits des sinistrés. L’un des apports majeurs de ce rapport est la formulation de recommandations claires afin que les victimes du RGA soient mieux et plus souvent indemnisées : prise en compte de l’humidité des sols pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, instauration d’une présomption simple de causalité entre la reconnaissance de la sécheresse et les sinistres survenus dans la commune concernée, extension aux communes limitrophes du bénéfice de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Ces recommandations opérationnelles permettraient à des milliers de ménages d’être enfin indemnisés. Tel est l’objet de ce rapport : sortir du déni d’indemnisation.
Prendrez-vous en compte les recommandations du rapport Rousseau-Marsaud sur le retrait-gonflement des argiles ? Consoliderez-vous le financement du Cerema et du fonds Barnier afin de construire enfin une véritable politique de l’adaptation en France ? Les conséquences du dérèglement climatique sont déjà là et nous devons protéger nos concitoyens face à ces nouveaux risques : n’attendons plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR. – Mme Sandrine Rousseau, rapporteure, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Plassard.
M. Christophe Plassard (HOR)
Drame silencieux mais dévastateur, le retrait-gonflement des argiles touche des millions de familles dans tout notre pays. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), il concerne près de 48 % du territoire français, menaçant 10,4 millions d’habitations, soit plus d’un tiers des logements individuels. Pourtant, ce problème reste sous-estimé, souvent éclipsé par d’autres catastrophes naturelles plus spectaculaires telles que les inondations ou les incendies.
Amplifié par les sécheresses successives, notamment celles de 2018 et 2022, le RGA est une conséquence directe du dérèglement climatique. Il s’agit d’une urgence nationale, d’autant plus qu’elle touche de façon disproportionnée les zones rurales et périurbaines, souvent habitées par des ménages modestes.
En Charente-Maritime, département particulièrement exposé, plus de 64 % des communes sont classées à risque moyen ou élevé. Selon une estimation, plus de 3 000 habitations auraient subi des dommages significatifs liés au RGA au cours des cinq dernières années, et ce chiffre continue d’augmenter. À la suite de la seule sécheresse de 2022, 132 personnes ont rejoint l’Association des sinistrés de la sécheresse sur les propriétés bâties de Charente-Maritime, qui accompagne les victimes dans leur combat juridique et administratif pour recevoir une indemnisation.
Les familles concernées sont souvent démunies face à la complexité administrative et juridique de la reconnaissance et de l’indemnisation des sinistres. Les refus d’indemnisation, les études de sol coûteuses et la lenteur des procédures créent un sentiment légitime d’injustice. La maladresse ou la méconnaissance des subtilités de la technique des polices d’assurances se paient très cher : la moindre erreur entraîne un refus définitif d’indemnisation.
Les victimes se retrouvent souvent prises au piège entre, d’un côté, des assureurs qui refusent de reconnaître les sinistres ou invoquent des critères d’antériorité, et de l’autre, des coûts de travaux astronomiques. En Charente-Maritime, le coût moyen des réparations pour une maison touchée par le RGA est estimé entre 20 000 et 30 000 euros, somme inaccessible pour de nombreux foyers.
Pourtant, ces victimes ne bénéficient pas du même soutien que celles des inondations ou des tempêtes. Où est l’équité dans notre système de reconnaissance et d’indemnisation des catastrophes naturelles ? Certes, les tempêtes, les inondations et les glissements de terrain sont visibles, et même spectaculaires, mais le retrait-gonflement des argiles est tout aussi dévastateur.
L’État a le devoir de tout faire pour faciliter la reconnaissance et la réparation des dommages. Cela concerne l’ensemble des acteurs concernés – administrations, assureurs, mais aussi nous, législateurs, et le gouvernement, qui dispose du pouvoir réglementaire.
Le Parlement a déjà pris ce problème à bras-le-corps, mais nous devons nous rendre à l’évidence : face à l’ampleur du phénomène, ces efforts ne suffisent pas. Nous devons trouver une ligne de crête entre la situation actuelle, insatisfaisante, et les propositions trop radicales, qui seraient contre-productives. À terme, une trop grande protection s’avérerait inefficace pour les citoyens touchés par l’augmentation excessive du montant de leurs primes d’assurance.
Nous devons reconnaître le caractère progressif des sinistres liés au RGA : chaque aggravation doit être considérée comme un événement nouveau, afin d’éviter que les victimes soient pénalisées par des délais administratifs injustes. Il est aussi nécessaire d’inverser la charge de la preuve pour les assureurs : s’ils refusent l’indemnisation, ceux-ci devront désormais prouver, par une étude de sol G5, que le sinistre n’est pas lié au RGA.
Il doit être mis fin aux abus de certaines compagnies d’assurances qui utilisent Google Maps pour traquer les fissures ou microfissures des façades et ensuite refuser d’indemniser une maison alors que sa voisine l’a été. Dans de telles situations, je propose une indemnisation à l’apparition ou à l’aggravation des fissures, dans l’esprit de la progressivité des sinistres liés au RGA.
Enfin, il est indispensable de revoir la méthode même du zonage du RGA. Actuellement matérialisé par des carrés, celui-ci est l’incarnation du tropisme administratif de notre pays – la géologie et la nature ne peuvent être enfermées dans des carrés sur une carte. Cette solution incohérente empêche souvent la déclaration de l’état de catastrophe naturelle, préalable à toute indemnisation.
Le retrait-gonflement des argiles n’est pas un problème technique ; c’est une question de justice sociale et de solidarité nationale. Les victimes ne demandent pas de privilèges, mais simplement d’être traitées avec la même dignité que celles des inondations, des tempêtes ou des coulées de boue. En Charente-Maritime, des centaines de familles attendent que leur situation soit reconnue, que l’État joue son rôle de garant de l’égalité et qu’en tant qu’élus de la République, nous agissions pour protéger ce qu’elles ont de plus précieux : leur foyer. (Mme Sandrine Rousseau, rapporteure, applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Harold Huwart.
M. Harold Huwart (LIOT)
Permettez-moi de partager avec vous mes convictions, issues de ma longue expérience d’élu local. J’ai été maire de la ville de Nogent-le-Rotrou, où plusieurs centaines de maisons sont concernées par ce problème, et j’ai présidé la communauté de communes du Perche, qui figure parmi les zones les plus exposées au RGA au nord de la Loire, en raison du sol argilo-calcaire. Après avoir passé des centaines d’heures sur ces dossiers, j’en ai retiré des convictions simples. Premièrement, le phénomène ne fera qu’empirer dans les années qui viennent. En comparant le développement récent avec les périodes les plus anciennes, on constate que dans des zones comme la mienne, où quelques dizaines de maisons étaient touchées une fois tous les dix ans au début des années 2000, il s’agit maintenant de plusieurs centaines de maisons une année sur deux. Cela entraîne une récurrence des arrêtés de catastrophe naturelle, une inflation du nombre d’habitations concernées et des dégâts structurels de plus en plus impressionnants et difficiles à appréhender.
Par conséquent, les coûts vont exploser : à elle seule, la dernière sécheresse en date, l’an dernier, représenterait entre 2,3 et 2,9 milliards d’euros, alors que la surprime finançant le régime des catastrophes naturelles produit 1,8 milliard environ. En fin d’année, le compte n’y est pas ; les réserves, peu fournies, n’étant pas suffisantes, l’appel à la solidarité nationale deviendra de plus en plus massif et fréquent. Au-delà de son équilibre financier, l’existence même de ce système assurantiel, mutualisé, cohérent, accessible à tous, sera remise en question. J’entends appeler à l’intervention financière directe de l’État : je ne sous-estimerai pas le lobby des assureurs, qui abreuve les parlementaires d’études et d’analyses destinées à orienter leur action en ce sens. Reste que les assurances ont un rôle à jouer dans leur propre avenir ! C’est pourquoi mon groupe soutient qu’il est nécessaire de majorer la surprime et de trouver des moyens de mutualisation au niveau des primes d’assurance, pas seulement de la solidarité nationale.
Il apparaît tout aussi clairement que nos procédures sont trop longues, trop complexes, aboutissant à des situations ubuesques. Je me rappelle ce couple, Thierry et Anne-Marie : des fissures assez larges pour laisser voir le ciel étaient apparues peu à peu entre une partie plus ancienne de leur maison et une partie plus récente, construite sans vide sanitaire. Les dégâts structurels potentiels inquiétaient, ils en perdaient le sommeil. Les premiers maçons appelés ont déclaré ne rien pouvoir faire ; il a fallu en solliciter d’autres. Une fois obtenu – nous sommes passés à deux doigts de ne pas l’avoir – l’arrêté de catastrophe naturelle, nous avons pu faire venir l’expert de l’assurance, lequel a soutenu que ce désordre tenait à l’architecture.
Au bout de deux années de palabres, il a admis que la sécheresse en était la cause ; seulement, dans l’intervalle, l’entrepreneur avait cédé sa société, son successeur ne s’occupait plus de micropieux ni d’agrafage, le devis était donc caduc, tout à recommencer. C’est pourquoi, même si nous discernons mal les conséquences d’une mesure aussi radicale sur le secteur assurantiel, inverser la charge de la preuve en instaurant une présomption de causalité, comme le préconise Sandrine Rousseau, serait nécessaire afin d’éviter à nos concitoyens de tels traumatismes. Il nous faudra également une politique de prévention : compte tenu du nombre des bâtiments publics ou privés qui seront concernés, nous devons pouvoir les préparer à ces phénomènes. (Mme Sandrine Rousseau, rapporteure, et M. Jacques Oberti applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Alors que la COP29 vient de se conclure dans un climat de doute et d’inquiétude quant à la pérennité d’une diplomatie climatique, il importe de nous préparer au pire et de nous assurer que les services de l’État soient capables d’y répondre de façon pérenne. Entraînant à parts égales sécheresses et inondations, le dérèglement climatique ravage les sols, les bâtiments. Dans ces circonstances, nous pouvons être fiers que la France soit l’un des seuls pays à disposer, depuis 1982, d’un régime spécifique d’aide aux victimes de catastrophes naturelles ; toutefois ce régime est affaibli, comme le rapport l’a mis en évidence, et plutôt que de le soutenir, le gouvernement préfère laisser se craqueler avec lui plus de 10 millions de maisons françaises, menacées par le retrait-gonflement des argiles.
Censée garantir le bon fonctionnement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, la Caisse centrale de réassurance a vu ses ressources drainées depuis 2016 par les sécheresses, en particulier par celle, historique, de 2022. Bilan : 2,2 milliards d’euros en moins pour un fonds qui doit pourtant permettre au pays d’affronter des catastrophes susceptibles de coûter des dizaines de milliards. Dans le même temps, les assureurs, qui perçoivent la moitié de la surprime affectée au régime, ne couvrent parfois qu’un quart des frais en raison du plafonnement inadapté de leurs dépenses. Plus le sinistre est grave, plus le régime se révèle inefficace et coûteux. Encore faut-il que les dommages aient été reconnus ! Les trois quarts des demandes d’indemnisation sont rejetées, les unes par l’État, qui use de critères artificiels et ambigus, les autres par les assureurs, avec qui les experts sont de connivence et auxquels l’ordonnance du 8 février 2023 – qui les autorise à exclure de l’indemnisation les dommages considérés comme esthétiques – permet de se faire des rentes aux dépens de l’État et de la misère humaine.
De quoi d’autre que de misère pourrait-on parler quand votre maison s’écroule lentement mais sûrement et que les dégâts se sont produits un mois avant le trimestre reconnu par la commission Cat nat, ou 50 mètres trop à l’ouest pour se situer sur le territoire de telle commune ? De 2008 à 2022, j’étais maire de Vierzon : je connais ces dysfonctionnements, le désarroi des familles qui risquent de tout perdre parce que leur déclaration a été faite deux jours avant la date de reconnaissance du sinistre – des sinistres de plus en plus importants, de plus en plus fréquents – ou trois jours après l’expiration du délai, et de celles qui ne pouvaient prévoir l’apparition de fissures, car le retrait-gonflement des argiles est un processus continu, si bien qu’elles n’entrent pas dans un calendrier rigide et intangible. Nous en sommes venus à leur proposer de renouveler leur déclaration tous les mois, afin de maximiser leurs chances d’arriver au bon moment. La loterie, voilà à quoi en sont réduits nos concitoyens !
Avant d’alourdir le coût pour les Français du régime Cat nat, encore faudrait-il s’assurer qu’ils puissent en bénéficier. En ce sens, aussi bien le rapport que la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement des argiles, que notre assemblée a adoptée en première lecture le 6 avril 2023, prévoient à juste titre une présomption de lien de causalité, formidable moyen de revalorisation du régime auprès de nos compatriotes. Cette proposition de loi a pourtant été rejetée au Sénat par le bloc gouvernemental, au mépris de ceux qui n’ont que leur maison comme patrimoine. Il convient par ailleurs que les compagnies d’assurance se mettent réellement au service de l’urgence nationale face au dérèglement climatique : le régime doit être revu de fond en comble, afin que la surprime serve à autre chose qu’à remplir les poches du privé.
Nous n’aurons pas un autre quart de siècle pour réagir : dans vingt-cinq ans, le nombre des vagues de chaleur annuelles aura doublé. Il faut agir maintenant, si nous ne voulons pas que les Français paient demain le prix de notre négligence : refuser de les abandonner plus longtemps, repenser les méthodes d’évaluation de l’état de catastrophe naturelle afin que l’état des sols suffise à prouver le danger, ce qui mettrait un terme au déni de reconnaissance de la moitié des demandes. Il faut s’assurer que nos concitoyens déjà victimes soient pris en charge sans que cela freine le dispositif, en créant un fonds pourvu des 2,6 à 5,4 milliards nécessaires. Il faut abroger l’ordonnance du 8 février 2023, dont se servent les assureurs pour laisser sur le carreau des centaines de milliers de Français, et revoir le mécanisme de réassurance en excédent de pertes annuelles, dit stop loss, afin qu’ils contribuent davantage à l’indemnisation des catastrophes à venir. Madame la ministre, il y a urgence à témoigner notre respect à ceux qui se sentent abandonnés, et les réponses aux questions qu’a posées la rapporteure sont attendues par tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS. – Mme Sandrine Rousseau, rapporteure, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Matthieu Marchio.
M. Matthieu Marchio (RN)
Des milliers de familles françaises vivent un drame dévastateur : fissures, affaissements, dommages structurels infligés à leur maison par le fléau du retrait-gonflement qui affecte particulièrement, du Sud-Ouest à l’Île-de-France, les régions aux sols argileux, dont les Hauts-de-France, notamment dans mon département du Nord – Waziers, Sin-le-Noble, Fenain ou encore Douai sont durement touchées. Ce phénomène s’accentue d’année en année sous l’effet de la multiplication des sécheresses, conséquence directe du changement climatique : elles entraînent une contraction des argiles qui, en se réhydratant, se dilatent, provoquant à la surface fissures et déformations dans les bâtiments. Pour beaucoup de victimes, il s’agit de bien plus que de murs lézardés : ce sont leur patrimoine, leur qualité de vie, leur sécurité qui se dégradent progressivement.
Face à cette réalité, le système d’indemnisation actuel, le fameux régime Cat nat, ne répond plus aux besoins de nos concitoyens. Ce dispositif est devenu un parcours du combattant : la reconnaissance d’un sinistre s’effectue par arrêté ministériel, lequel dépend des critères de Météo-France, souvent déconnectés du vécu des habitants. Trop de dossiers sont rejetés parce que la commune ou la zone géographique ne correspond pas précisément aux critères fixés ; les propriétaires se retrouvent alors confrontés à des dégâts irréparables. À Waziers, dans ma circonscription, une vingtaine de familles vivent ainsi dans l’angoisse, sans réponse des assurances, un double calvaire : au retrait-gonflement s’ajoutent des risques miniers, trop souvent ignorés. Or, je le répète, ce phénomène ne touche pas seulement le Nord, mais le Sud, l’Est, partout où l’argile abonde dans les sols.
Depuis plus de vingt ans, le régime n’a pas connu de réforme substantielle. Les quelques améliorations apportées par la loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, dite loi Baudu, comme la réduction des délais en matière de reconnaissance des sinistres, restent bien en deçà des attentes. Il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de revoir jusqu’aux fondements, de donner aux sinistrés un accès réel à une indemnisation juste et adaptée. Madame la ministre, les procédures doivent être simplifiées, les critères de reconnaissance adaptés aux réalités locales : comment concevoir que des dossiers soient rejetés faute de lien de causalité, alors que les dégâts sont évidents ? Nous devons en outre repenser dans son ensemble le financement du régime Cat nat : il ressort du rapport que le modèle n’est pas soutenable à long terme, surtout si, comme le prévoient les experts, les sécheresses s’intensifient encore. Pour que soient garanties son efficacité, sa pérennité, son adaptation aux défis climatiques à venir, il doit reposer davantage sur les assureurs ; cette nouvelle répartition des coûts et des responsabilités constitue un impératif. Il est injustifiable que des dossiers restent en souffrance, des habitants abandonnés par un assureur qui se dérobe.
Par ailleurs, une approche proactive s’impose ; mais pour miser sur la prévention, sur les solutions qui permettent de limiter les effets du retrait-gonflement, comme la stabilisation des fondations, encore faut-il que ces dernières soient accessibles et financées de manière équitable. En vue de pallier les insuffisances actuelles, nous pourrions donc envisager un fonds de solidarité nationale consacré aux sinistres résultant du retrait-gonflement, alimenté par l’État et les assureurs, qui cofinancerait des travaux de prévention dans les zones les plus exposées ; chaque euro ainsi investi contribue à réduire les risques, donc la facture à long terme.
Madame la ministre, nous défendons des familles, des travailleurs et des contribuables qui ont investi toute leur vie, toutes leurs économies dans une maison, qui la voient se fissurer de jour en jour sans se voir proposer de solution, qui ne se sentent ni entendus ni protégés. Que leur dire ? Ils attendent des réponses concrètes, rapides, à la hauteur des enjeux. Nous avons le devoir de protéger le patrimoine de nos concitoyens, de leur garantir une sécurité qui ne dépende pas de leur localisation, le droit de vivre chez eux, sereinement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois (EPR)
La prise en compte du retrait-gonflement des argiles constitue un sujet majeur, car ce phénomène, véritable fléau, s’accentue avec le réchauffement climatique. Les conséquences sont désastreuses, les dégâts, chaque année, considérables ; dans mon département, le Jura, comme dans beaucoup d’autres, ils concernent en grande majorité des maisons individuelles, qui sont les bâtiments les plus vulnérables, et plongent donc dans la détresse des milliers de familles.
Plus de 10 millions de maisons individuelles seraient situées dans des zones à risque, sur les 19,4 millions que compte le territoire national, soit une maison sur deux. Le phénomène est sans précédent et presque toutes les régions sont concernées.
Les compagnies d’assurances déboursent quelque 3,5 milliards d’euros pour indemniser les sinistres ayant affecté les maisons fissurées en 2022. Les maisons fissurées représentent 60 % de la sinistralité du régime Cat nat depuis 2016, contre 37 % entre 1989 et 2015, d’après les données de France Assureurs. C’est dire l’augmentation des dégâts causés par ce phénomène.
Au regard de ces enjeux, le régime Cat nat présente d’importantes faiblesses, que révèle le rapport dont nous débattons : lourdeurs administratives, délais d’indemnisation trop longs, critères d’évaluation inadaptés. Deux filtres rendent ces obstacles plus difficiles à surmonter : la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, qui exclut près de la moitié des communes concernées, et les décisions des assurances, qui rejettent plus de la moitié des demandes.
Les arrêtés de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ne couvrent pourtant qu’une partie des sinistres, puisque le taux de rejet des démarches destinées à les obtenir tourne en général autour de 50 %. C’est dire le nombre élevé de propriétaires plongés dans le désarroi, parfois contraints de quitter leurs maisons, devenues trop dangereuses, alors qu’ils remboursent encore le prêt contracté pour leur construction ou leur achat.
Bien que victimes du RGA, ils se sentent abandonnés par le monde de l’assurance et par les pouvoirs publics. Ils n’ont droit à rien, ni indemnisation ni reconnaissance, alors même que la Constitution consacre les principes de solidarité et d’égalité des citoyens devant les charges résultant des calamités publiques.
Pourtant, depuis 1982, plus de 97 % des ménages sont couverts face aux catastrophes naturelles. Mais le régime est à bout de souffle. Les sécheresses des dernières années et les inondations récentes ont considérablement diminué la provision d’égalisation de la Caisse centrale de réassurance, dont le niveau sera presque nul à la fin de l’année 2024.
En outre, le changement climatique fera peser une pression de plus en plus forte sur le régime Cat nat. En effet, le coût de la sinistralité des catastrophes naturelles devrait augmenter d’environ 40 % à l’horizon 2050, en raison des seules évolutions climatiques.
La société civile s’est elle aussi emparée du sujet. C’est heureux. Je citerai par exemple l’association Les Oubliés de la canicule, créée dans le Jura en 2003 par M. Gérald Grosfilley. Elle accompagne sans relâche 6 000 propriétaires dans leurs interactions avec les experts et les compagnies d’assurances. Elle aide et conseille dans leurs démarches des particuliers souvent démunis, découragés, désemparés devant la complexité administrative. Ainsi, récemment, la maison de retraités, entièrement dévastée par le phénomène dont nous parlons, a été complètement reconstruite au terme d’un combat sans relâche contre les assurances. Cette association, représentée au sein de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles, a bien des choses à nous enseigner.
Grâce à plusieurs travaux parlementaires et gouvernementaux, la prise de conscience est réelle. Je salue l’excellence du présent rapport, fruit du travail de nos collègues Sandra Marsaud et Sandrine Rousseau. Il propose des solutions intéressantes pour simplifier la procédure et améliorer le taux d’éligibilité. La réforme de l’arrêté Cat nat et l’extension de son périmètre dans l’espace et dans le temps, ainsi que la création d’un fonds de solidarité nationale, contribueraient à améliorer la situation.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures ont été prises ? Et quelles sont celles que vous envisagez de prendre ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Élise Leboucher.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP)
À bas bruit se jouent dans le Journal officiel de la République française des tragédies qui se répètent inlassablement. Le verdict tombe, favorable à certains, causant le désespoir de nombreux autres. Arrêté du 22 juillet 2023 : demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle rejetée pour 106 communes sarthoises. 3 août 2024 : même fin de non-recevoir pour 111 communes du département. Énième coup dur pour les sinistrés et les élus ; nouveau recours à introduire ; répéter encore une fois le long processus en espérant obtenir gain de cause et un peu de répit.
Derrière les arrêtés et les contentieux, c’est l’histoire plus vaste du dérèglement climatique et de ses impacts grandissants sur nos vies qui se joue. Il y a les catastrophes que nous observons avec effarement à la télévision – inondations au Pakistan ou, plus récemment, en Espagne –, celles auxquelles nous assistons dans nos circonscriptions – sécheresse de l’été 2022, inondations dans le Pas-de-Calais et le Nord, tempête Kirk en octobre dernier ; et il y a les catastrophes moins bruyantes, vécues par les sinistrés, qui voient les murs de leurs maisons construites sur des sols argileux se lézarder au gré des mouvements de terrain qui suivent les épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols.
Près de la moitié du territoire métropolitain est en zone d’exposition forte ou moyenne au risque de RGA. C’est ainsi le dérèglement climatique qui s’invite à l’endroit le plus intime, la maison, lieu de refuge, obtenue au prix d’années de dur travail, d’économies péniblement engrangées, le projet d’une vie, un héritage que l’on souhaite laisser à ses enfants et qui finit lentement par se fissurer au-dessus de nos têtes.
Les sinistrés que j’ai rencontrés en Sarthe disent entendre leurs maisons craquer. Dans une de celles que j’ai visitées, on pouvait voir le jardin à travers la fissure dans l’un des murs. Si vous vivez dans une maison individuelle en France, vous avez une chance sur deux d’être confronté au RGA, une chance sur deux d’être exposé à des dégâts matériels, financiers et psychologiques considérables.
Votre rapport le rappelle : face aux conséquences du RGA, obtenir une indemnisation est un véritable parcours du combattant. La moitié des communes qui demandent la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, nécessaire à tout processus d’indemnisation, ne l’obtiennent pas. Passé ce premier filtre, moins de la moitié des sinistres déclarés dans les communes reconnues sont indemnisés, les autres étant écartés par l’assureur au motif que la sécheresse n’est pas retenue comme cause déterminante du sinistre. Pour une part substantielle des cas concernés, les seuls travaux financés seront peu coûteux, augmentant le risque de nouveaux sinistres par la suite.
Le rapport de Mmes Rousseau et Marsaud décortique avec précision le régime Cat nat. Il montre en quoi les critères de reconnaissance en vigueur ne sont pas adaptés à l’évolution lente du RGA. Il pointe avec acuité les risques qui pèsent sur le financement du régime, alors que les sécheresses se multiplient. Selon une étude de la CCR, le coût moyen annuel de la sécheresse dans trente ans s’élèvera à 783 millions d’euros. Sans action résolue, fondée sur les principes de solidarité et d’universalité, ce sont des milliers de citoyens que nous laisserions sur le bas-côté et peut-être des millions d’autres dans les années à venir.
En 2023, l’Assemblée avait pris un engagement fort en votant de manière transpartisane la proposition de loi déposée par Sandrine Rousseau. Cette proposition, qui s’appuie sur le rapport du CEC, prévoit de modifier les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et de reconnaître l’aggravation d’une fissure comme un évènement nouveau ouvrant droit à indemnisation. Elle permet ainsi de mieux prendre en compte le caractère unique, évolutif du RGA.
Elle rééquilibre également les relations entre sinistrés et assurances, en instaurant une présomption réfragable selon laquelle tout dommage dans une commune reconnue en état de catastrophe naturelle a pour cause déterminante le RGA.
Elle a encore pour effet de rétablir la confiance et la transparence en réglementant les métiers liés au RGA.
Il est donc déplorable que le Sénat, au lieu d’enrichir cette proposition conçue avec les sinistrés, ait décidé de purement et simplement la rejeter. Il a certes adopté la proposition de loi de Mme Christine Lavarde, mais celle-ci concerne le financement du régime Cat nat bien davantage que l’indemnisation des assurés. Si elle comporte quelques avancées, telles qu’une protection des assurés contre les doubles franchises ou des mesures visant à améliorer la transparence et l’indépendance de l’expertise, elle laisse de nombreuses questions sans réponse, notamment celle de la réforme des critères de reconnaissance.
Jusqu’ici, les gouvernements successifs n’ont fait que peu de cas de ce sujet : en témoigne l’absence de ministre de plein droit dans l’hémicycle aujourd’hui.
Il est grand temps que la représentation nationale impulse le changement tant attendu par des millions de nos concitoyens, reprenne ses travaux et adopte une loi qui réponde de manière durable aux besoins des sinistrés, qui rééquilibre la relation entre assurances et assurés et garantisse la pérennité du régime Cat nat et de l’indemnisation du RGA. L’État doit être le moteur de l’action face aux impacts du dérèglement climatique. Il y a urgence à agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau, rapporteure, et M. Jacques Oberti applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC)
Depuis la XVe législature, notre assemblée s’intéresse au phénomène des RGA par l’intermédiaire des travaux du CEC, un organe qui permet aux députés d’exercer l’une de leurs missions principales : l’évaluation des politiques publiques.
En 2022, le groupe Socialistes avait ainsi salué la décision du comité de poursuivre cette démarche d’évaluation en désignant Mmes Sandrine Rousseau et Sandra Marsaud comme rapporteures sur ce sujet dont l’importance pour nos concitoyens ne fait que croître.
Nous savons que la sinistralité climatique s’accroît et que le RGA représente un défi majeur pour l’urbanisme et l’ingénierie civile des prochaines années, en particulier face au changement climatique. Plus de la moitié des maisons individuelles pourraient en subir les effets dans de nombreuses régions. La moitié des communes françaises pourraient être concernées. On sait ce que l’habitation représente aux yeux des citoyens : leur famille s’y construit et ils y sont très attachés.
Il est évident que l’intensification des épisodes de sécheresse, de plus en plus fréquents, contribue directement à l’aggravation du phénomène de RGA, qui résulte d’une contraction des sols au retour des beaux jours après la saison hivernale. Le CEC avait donc intégré à son programme une évaluation des dispositifs de prévention et d’indemnisation de ces évènements, qui devaient être considérés comme des catastrophes naturelles au plein sens du terme.
Trop souvent, nous constatons pourtant que ce n’est pas le cas, ce qui suscite parfois des tensions entre l’État et certaines collectivités territoriales qui ne se voient pas accorder la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Si la France peut se féliciter d’être le seul pays au monde où l’indemnisation des dommages liés aux RGA et à la sécheresse des sols est permise par un système assurantiel, il est toutefois essentiel de repenser la nature et les modalités de ce modèle d’assurance pour conforter et améliorer son efficacité dans le futur.
Bien que les RGA soient intégrés au régime Cat nat depuis trente-cinq ans, aucun véritable plan de prévention ne les a jamais concernés, contrairement aux inondations ou aux tempêtes, qui font l’objet d’actions structurées et de plans de prévention à l’échelle des communes ou d’autres échelons territoriaux.
Le législateur doit donc envisager des mesures préventives ambitieuses pour mieux anticiper ce risque, en lien avec les collectivités locales et les services déconcentrés de l’État. Les pistes sont nombreuses. Avec un peu de volontarisme politique et de bon sens, nous parviendrons à adapter nos mécanismes assurantiels à l’aggravation de ce risque.
Il faut ainsi ajuster nos modes de construction en renforçant la résilience du bâti et mieux reconnaître les victimes. Ce sont les axes structurants de la proposition de loi du groupe écologiste, qui avait inscrit ce sujet à l’ordre du jour de sa niche parlementaire du 6 avril 2023.
Bien que le texte transmis au Sénat ait été rejeté, le débat ainsi posé aura tout de même donné au gouvernement d’alors l’occasion de se pencher plus avant sur le sujet et de renforcer le cadre d’indemnisation lié à ce risque par la circulaire du 24 avril 2024 qui, quoique bienvenue, demeure insuffisante.
Notre groupe et tous les citoyens frappés par ce phénomène attendent et souhaitent une réforme structurelle des conditions de prise en charge de ce risque spécifique. Il s’agit avant tout d’adapter le régime général d’indemnisation du risque sécheresse afin d’en faire bénéficier l’ensemble des ménages concernés à l’aune de critères nouveaux, mieux adaptés à la réalité du phénomène et à ses mutations.
Il faut également réexaminer la pertinence des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle en matière de RGA. Il s’agit d’un préalable nécessaire, de même que l’élargissement du régime Cat nat, qui semble incontournable à ce stade.
Notre politique de prévention et de recensement doit encore être revue. Le listage des victimes sous la coordination des préfets départementaux et des maires doit permettre d’estimer précisément le nombre des cas recensés.
Nous souhaitons qu’en matière de traitement de la sinistralité liée à la sécheresse, la solidarité nationale puisse s’exercer par le biais de la mutualisation et de l’adaptation des cotisations assurantielles, qui contribueraient à alimenter le fonds créé en 2021, trop peu abondé actuellement.
Nous proposons l’affectation du fonds Barnier aux phénomènes de sécheresse et aux travaux de recherche à leur sujet.
Comment le gouvernement envisage-t-il la structuration d’un dispositif d’indemnisation efficace, soutenable et universel pour l’ensemble des biens concernés ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT.)
Mme la présidente
Je vous propose de prolonger de peu notre séance pour terminer la discussion générale par l’intervention de Mme Anne-Laure Blin.
Mme Anne-Laure Blin (DR)
« On a reçu un courrier nous indiquant que la commune n’était pas reconnue en état de catastrophe naturelle. Je n’aurai donc aucune prise en charge de la facture par l’assurance. » Je cite une habitante de Jarzé Villages, dans le Maine-et-Loire. « Je suis à 2 mètres de l’indemnisation. Comment est-ce possible qu’il y ait plus de pluie d’un côté de la clôture à La Ménitré plutôt qu’à Beaufort ? C’est insensé. » Je cite un habitant de Beaufort-en-Anjou, commune de ma circonscription.
Le retrait-gonflement des argiles, c’est sous ce terme abstrait que l’on désigne ces mouvements consécutifs aux périodes de sécheresse et à la réhydratation des sols qui s’ensuit. Ce phénomène touche surtout les régions argileuses, soit 48 % du sol métropolitain, et plus de 10 millions de maisons individuelles y sont potentiellement exposées. Dans ma région – que vous connaissez bien, madame la secrétaire d’État –, les Pays de la Loire, cela représente 20 % du territoire en risque fort ou moyen. Les sols se comportent alors comme une éponge en gonflant lorsqu’ils s’humidifient et en se tassant pendant une période de sécheresse, engendrant des dommages irréversibles : fissures dans les murs, affaissement du dallage et rupture des canalisations enterrées, ce qui compromet gravement la solidité des maisons et les rend partiellement ou totalement inhabitables, et a fortiori invendables ou fortement dévaluées.
Depuis 1989, date d’intégration des mouvements de terrain dus au retrait-gonflement des argiles dans le régime des catastrophes naturelles, le coût cumulé des dommages atteint 13 milliards d’euros – encore le chiffre date-t-il de 2019. Si ce phénomène ne cesse de s’amplifier, les règles pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle demeurent limitées, mais surtout floues. Pour que l’état de catastrophe naturelle soit reconnu, il faut en effet réunir deux conditions cumulatives. La première est géotechnique : le sol doit être argileux et sensible au phénomène de retrait ou de gonflement selon une cartographie établie par le BRGM.
La seconde est de nature hydrométéorologique : il doit avoir été mesuré une sécheresse d’une forte intensité, ou en tout cas anormale, par les services de Météo-France sur le fondement d’une modélisation du bilan hydrique des sols. Et c’est principalement ici que le bât blesse, car les communes sont rattachées à des mailles géographiques sur lesquelles sont effectués les relevés, et même si la commune limitrophe remplit les critères et qu’elle a été affectée, sa situation en dehors de la maille l’exclut du dispositif, sachant que c’est une commission interministérielle, présidée par le ministère de l’intérieur, qui prend la décision de reconnaissance du caractère naturel et de l’intensité anormale du phénomène, en se basant sur des expertises très techniques. Dans ma circonscription de Maine-et-Loire, quarante-deux villages ont été reconnus en état de catastrophe naturelle en 2022 au titre du retrait-gonflement des argiles, et douze ne l’ont pas été alors qu’ils se situent tous autour… Ce sont donc au total cinquante-quatre villages sur les quatre-vingts que compte mon territoire qui ont été touchés, mais tous n’ont pas été traités de la même manière. Dès lors, c’est l’incompréhension et une légitime colère de la part des citoyens, y compris les élus qui ont monté les dossiers pour que leur commune soit reconnue indemnisable. La seule explication à laquelle ils ont droit, c’est que leur commune n’était pas au bon endroit !
Il y a une trop grande opacité dans le fonctionnement du dispositif. C’est pourquoi ce débat est nécessaire. Tout comme nos concitoyens qui ont saisi les administrations, je n’ai jamais réussi à obtenir de réponses claires, pas plus que les nombreux collectifs citoyens qui se sont constitués et qui sont très attentifs à nos échanges de ce soir.
Les conséquences du retrait-gonflement des argiles sont particulièrement désastreuses. Des éclaircissements s’imposent pour garantir à nos concitoyens qu’elles seront enfin prises en considération.
Mme la présidente
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
5. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du débat sur le rapport relatif à l’évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement des argiles ;
Débat sur le rapport relatif à l’évaluation de l’adaptation des logements aux transitions démographique et environnementale.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra