Deuxième séance du jeudi 27 mars 2025
- Présidence de M. Roland Lescure
- 1. Enjeux de la politique familiale
- Mme Perrine Goulet, rapporteure
- M. François Ruffin, rapporteur
- Mme Karine Lebon, rapporteure
- Mme Anne Bergantz (Dem)
- M. Henri Alfandari (HOR)
- M. Joël Bruneau (LIOT)
- M. Frédéric Maillot (GDR)
- M. Bartolomé Lenoir (UDR)
- Mme Caroline Parmentier (RN)
- Mme Joséphine Missoffe (EPR)
- Mme Sarah Legrain (LFI-NFP)
- Mme Ayda Hadizadeh (SOC)
- Mme Élisabeth de Maistre (DR)
- M. François Ruffin (EcoS)
- Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
- Mme Perrine Goulet (Dem)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. Joël Bruneau (LIOT)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. Louis Boyard (LFI-NFP)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. Christian Girard (RN)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- Mme Anne Sicard (RN)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- Mme Céline Hervieu (SOC)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- Mme Céline Hervieu (SOC)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. François Ruffin (EcoS)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- M. François Ruffin (EcoS)
- Mme Catherine Vautrin, ministre
- Suspension et reprise de la séance
- 2. Devenir de la filière automobile
- M. Steve Marvin, directeur recherche et développement de la Plateforme automobile et président du pôle de compétitivité Vedecom
- M. Tommaso Pardi, sociologue chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa
- M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL
- M. Nicolas Sansu (GDR)
- M. Steve Marvin
- M. Tommaso Pardi
- M. Benjamin Denis
- M. Éric Michoux (UDR)
- M. Steve Marvin
- M. Tommaso Pardi
- M. Benjamin Denis
- M. Tristan Lahais (EcoS)
- M. Benjamin Denis
- M. Tommaso Pardi
- M. Steve Marvin
- M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
- M. Tommaso Pardi
- M. Steve Marvin
- M. Benjamin Denis
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Enjeux de la politique familiale
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Dans un contexte d’évolution démographique, quels enjeux pour notre politique familiale ? », demandé par le groupe Les Démocrates dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l’organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d’abord les rapporteurs – qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale –, puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une session de questions-réponses.
La parole est à Mme Perrine Goulet, rapporteure désignée par la commission des affaires sociales.
Mme Perrine Goulet, rapporteure
Je souhaite, en préambule, saluer l’implication de mes corapporteurs Karine Lebon et François Ruffin et remercier notre administratrice Camille Vernadat qui nous a assistés dans l’élaboration du rapport et l’organisation des auditions.
Notre groupe, Les Démocrates, a souhaité proposer ce débat sur les évolutions nécessaires de notre politique familiale car l’évolution de la natalité nous préoccupe. D’ailleurs, nous avions déjà abordé ce sujet à l’occasion de la proposition de loi, défendue par Anne Bergantz et adoptée à l’unanimité en commission, relative au versement des allocations familiales dès le premier enfant.
Issue de la seconde guerre mondiale, notre politique familiale est complexe et ne saurait se résumer à des prestations et à des services. Quand les jeunes couples indiquent un désir moyen de 2,3 enfants mais qu’ils n’en ont que 1,62, cet écart doit pousser à nous interroger. Nos auditions ont révélé une tendance mondiale et généralisée à la baisse de la natalité, dont nous devons tenir compte. C’est sans doute le reflet d’un monde plus individualiste, d’une crainte de l’avenir – s’agissant de la situation économique, des guerres et des défis climatiques – mais aussi de l’émancipation salvatrice des femmes.
D’autres facteurs peuvent néanmoins expliquer le recul de la natalité, dont nous étions jusqu’à présent préservés. L’un d’eux concerne l’insertion dans la vie active des jeunes générations. Cette insertion est plus précaire – rares sont les CDI signés en sortie d’étude –, obéit à des désirs différents – voyages, expériences professionnelles multiples – et répond aussi à des volontés différentes en matière d’épanouissement personnel et professionnel. Bref, il faut repenser l’accompagnement de cette insertion qui implique des conséquences très concrètes : une précarité économique accrue et une vie de couple plus tardive qui retarde d’autant l’arrivée d’un enfant.
La complexité de l’accueil d’un enfant dans de bonnes conditions matérielles est également un facteur à ne pas négliger. Quand vous vivez dans un deux-pièces en ville et qu’il faut accueillir un enfant, trouver un logement adapté pour un budget acceptable peut vite relever du parcours du combattant. Il nous faut donc inventer un modèle d’habitation plus efficace pour les familles. De notre capacité à adapter les logements à la taille du foyer dépendra notre capacité collective à appréhender l’accueil d’un ou de plusieurs enfants.
Au-delà du désir d’enfant intrinsèque à chacun, nous devons nous interroger sur le rôle de la société que nous entendons construire. Je l’ai dit en introduction : limiter la question aux allocations familiales ou aux places en crèche constituerait une faute intellectuelle qui ne placerait pas le débat au bon niveau. L’enjeu majeur de notre société est d’accepter la parentalité et le rôle de la nation est d’accompagner ce nécessaire changement de société.
Accepter la parentalité, c’est changer de point de vue, notamment chez les employeurs, qui doivent prendre en compte les contraintes parentales de leurs salariés, en adaptant par exemple les rythmes de travail, quelle que soit l’échelle de temps : au cours de la carrière, durant l’occupation d’un poste, au fil d’une année, d’un mois, d’une semaine ou d’une journée.
C’est également, bien entendu, s’interroger sur les modes de garde. Au-delà du nombre de places en crèche ou de la capacité d’accueil des assistantes maternelles, nous devons adapter les conditions de l’accueil : amplitude horaire, flexibilité, qualité et formation. En l’absence d’une solution efficace et pérenne, la solution qui s’impose trop souvent est le renoncement de la mère à une carrière prometteuse. En 2025, et à plus forte raison dans les années à venir, un enfant ne saurait représenter une contrainte venant peser sur les choix professionnels de sa mère.
Dès lors, c’est la répartition même de la charge mentale qu’induit l’accueil d’un enfant qui doit évoluer. Si la maternité incombe biologiquement aux femmes, il revient également aux hommes de prendre part, de manière plus équilibrée qu’aujourd’hui, à la vie de la famille, au seul bénéfice des enfants.
Je ne l’apprendrai pas aux parents présents dans cet hémicycle : un enfant prend de la place. À nous de lui accorder une place temporelle, pour s’en occuper, mais aussi une place dans la société en affirmant ses droits – je ne vous surprendrai pas en reprenant brièvement ici ma casquette de présidente de la délégation aux droits des enfants –, tout simplement une place dans l’espace public. Combien de fois un parent, voyageant dans le train avec son nourrisson, a-t-il subi le jugement des autres voyageurs – et je ne vous parle même pas d’un voyage en avion ? Combien d’enfants se sont-ils ennuyés dans une salle d’attente austère, surtout depuis le covid et la disparition des jouets ?
La place que nous accordons à l’enfance et donc à la parentalité s’impose à notre attention. Le congé de naissance et le congé de parentalité doivent être repensés, voire réformés, si l’on considère, comme c’est mon cas, que notre société peut accompagner les parents dans cette aventure que constitue l’accueil d’un enfant. Alors, nous aurons fait un pas décisif.
En conclusion, pour accompagner les jeunes parents, nous devons avant tout accepter les enfants dans notre société – accepter qu’ils bougent, qu’ils crient, qu’ils prennent du temps et mobilisent leurs parents par leurs activités. Comme le disait Nelson Mandela, « rien ne révèle mieux l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants ». À nous de faire de notre pays une société qui accepte, accueille et encourage ses enfants et leurs parents. Notre avenir en dépend. (Mmes Anne Bergantz, Karine Lebon, rapporteure, et Caroline Parmentier applaudissent.)
M. le président
La parole est à M. François Ruffin, rapporteur désigné par la commission des affaires sociales.
M. François Ruffin, rapporteur
Mes chers collègues venus nombreux (Sourires),…
M. le président
En effet, quelle affluence…
M. François Ruffin, rapporteur
…en quinze ans, moins 20 % de bébés. Nous avons longtemps, en Europe, fait figure d’exception : les générations étaient remplacées et la fécondité se maintenait, plus haute que chez nos voisins. Mais voilà qu’ici aussi, elle a chuté, et la baisse s’accélère encore depuis 2022. De 2,1 enfants par femme, nous voilà à 1,6 : du jamais-vu depuis la fin de la première guerre mondiale, un temps où les femmes peinaient à trouver des hommes, des hommes valides et en bonne santé.
D’une part, la natalité touche à son plus bas et d’après les démographes, ce n’est pas fini. D’autre part, la population vieillit. Cette baisse de la natalité est le résultat de choix – émancipation et liberté pour les femmes – mais aussi de contraintes. En effet, un grand désir d’enfant demeure dans notre pays : 2,3 enfants désirés, contre 1,6 qui naît.
Comment expliquer ce fossé ? Le témoignage de Sandrine, agente administrative, l’éclaire sans doute et vaut sûrement pour beaucoup d’hommes et de femmes : « Avec Bertrand, on a mis du temps à avoir notre fille. Cela faisait huit ans qu’on était ensemble, on était fiancé, on venait de faire construire, mais il avait peur qu’on ne soit pas assez installé dans la vie. Puis finalement, je suis tombée enceinte et on a eu notre fille ; j’avais 34 ans. Mais aujourd’hui, cela me semble impossible d’avoir un deuxième enfant : on est à peine au-dessus du smic tous les deux. » Pour avoir un enfant, les couples qui n’en ont pas encore posent, dans l’ordre d’importance, ces conditions : avoir assez d’argent ; être un couple stable ; avoir un logement adapté.
Longtemps, en France, des politiques familiales et sociales volontaristes ont été menées : allocation parentale au deuxième enfant, création de places en crèche, droit au congé parental pour tous les salariés, 35 heures, entre autres. Depuis une décennie, c’est l’inverse. Notre politique familiale est démantelée : modulation des allocations familiales, réduction de l’indemnisation du congé parental, baisses du plafond du quotient familial, détricotage de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), et j’en passe. Que faire, alors ?
On peut étendre au premier bébé le bénéfice des allocations familiales, on peut créer un véritable service public de la petite enfance, reposant sur les crèches mais aussi sur les assistantes maternelles, on peut instaurer un congé de paternité obligatoire, on peut soutenir les familles monoparentales – on peut et même on doit faire tout cela. Mais je veux vous dire ma conviction, qui s’est établie et affermie au fil de nos brèves auditions et qui rejoint celle de Perrine Goulet : la politique familiale ne se mène pas, pour l’essentiel, par la politique familiale mais en dehors de celle-ci.
C’est une politique pour la jeunesse qu’il nous faut, une politique susceptible de lui offrir un avenir, alors qu’un tiers des jeunes se disent anxieux ou dépressifs et que les trois quarts jugent l’avenir effrayant. C’est une politique du travail pour la jeunesse qu’il nous faut, avec des emplois stables, des carrières et des salaires, des statuts et des revenus, pour assurer aux jeunes Françaises et aux jeunes Français une stabilité. C’est avant tout une politique du logement pour la jeunesse qu’il nous faut : le nid vient avant les œufs. Or dans ce domaine, c’est le parcours du combattant et un défilé sans fin dans ma permanence, pour évoquer les charges et loyers qu’on ne parvient plus à payer car ils avalent le tiers, voire la moitié du salaire.
Il nous faut un grand plan pour la construction de logements étudiants, de foyers pour les jeunes travailleurs, d’appartements HLM pour les jeunes ménages – eux qui, pour leurs études ou leur travail, doivent se loger dans les villes et les métropoles, là où le prix du mètre carré est le plus élevé et où s’opère un immense transfert d’argent de la jeunesse modeste vers les riches rentiers.
À Grigny, j’ai rencontré Mohammed, qui pose de la fibre optique. Il me disait : « Je veux un CDI mais on ne me le donne pas ; je veux la stabilité mais on ne me la donne pas. » La vingtaine largement entamée, il habite encore chez ses parents : comment peut-il imaginer fonder un foyer et avoir des bébés ?
Depuis des décennies, les dirigeants ne veulent pas la stabilité, mais organisent au contraire l’instabilité sous prétexte de fluidité, de mobilité et de flexibilité. C’est évidemment la jeunesse qui pâtit au premier chef de cette intranquillité sociale.
Ambroise Croizat, lorsqu’il fonda la sécurité sociale, affirmait qu’il voulait faire des lois de tranquillité sociale pour que les gens puissent dormir la nuit. Aujourd’hui, des lois d’intranquillité sociale empêchent les gens de dormir la nuit. C’est pourquoi il faut redonner à la jeunesse de notre pays de la sécurité économique, de la stabilité du travail et du logement, non seulement pour qu’elle désire faire des enfants, mais surtout pour qu’elle les fasse.
M. le président
La parole est à Mme Karine Lebon, rapporteure désignée par la commission des affaires sociales.
Mme Karine Lebon, rapporteure
Je suis heureuse de vous présenter les conclusions de la série d’auditions que nous avons conduites avec Perrine Goulet et François Ruffin – que je remercie pour cette coopération – dans la perspective de cette séance thématique.
La baisse de la natalité, observable partout dans le monde, soulève de nombreuses questions. Comment expliquer cette tendance en France depuis 2010, ainsi que son accélération à partir de 2022 ? Une évolution de notre politique familiale pourrait-elle nous permettre de l’inverser ou, à tout le moins, de la freiner ? Quels leviers pourrait-on activer pour sécuriser le parcours de vie des jeunes couples et des familles et favoriser la concrétisation de leur désir d’enfant ? Ce sujet touche à l’intimité, à la santé, à la culture et à l’amour car, faut-il le rappeler, faire un enfant est avant tout un acte d’amour.
Les réponses à ces questions sont nombreuses. Tout d’abord, je veux insister sur le caractère mondial de cette baisse de la natalité, observable sur tous les continents et qui résulte de l’émancipation sociale, économique et professionnelle des femmes, dont les études s’allongent et dont les carrières progressent, ainsi que du contrôle de leur fertilité rendu possible par la contraception. C’est un phénomène sur lequel les pouvoirs publics ne peuvent pas agir, et c’est heureux. Les débats sur la natalité sont légitimes, mais ne doivent jamais nous conduire à exercer une quelconque coercition sur le corps des femmes.
Deuxième point : si nous ne pouvons pas agir sur l’envie d’avoir ou non un ou plusieurs enfants, nous pouvons favoriser la concrétisation du désir d’enfant chez les personnes qui le souhaitent, en garantissant aux générations en âge de procréer des conditions et une qualité de vie favorables à l’arrivée d’un enfant. Or nous ne pouvons ignorer que la situation socio-économique est dégradée, que l’insertion des jeunes sur le marché du travail est difficile et que l’accès au logement devient de plus en plus problématique – autant de facteurs qui conduisent à reporter le projet d’avoir un enfant, faute d’argent, de stabilité ou encore d’espace pour l’accueillir.
Cela m’amène à mon troisième point : notre politique familiale est-elle adaptée ? Quels leviers activer ? Je veux insister sur un aspect essentiel qui est ressorti de nos auditions : la politique en faveur des familles ne peut se résumer aux seules prestations familiales. Oui, le soutien financier aux familles est nécessaire, mais les allocations familiales ou les primes de naissance ne peuvent à elles seules résoudre les difficultés rencontrées par les générations en âge de procréer. Une attention particulière doit évidemment être portée à la disponibilité des modes de garde, afin d’éviter aux femmes un arbitrage entre emploi et enfant.
De même, les politiques en faveur du logement et de l’emploi sont des leviers fondamentaux que nous ignorons trop souvent lorsque nous réfléchissons au soutien que les pouvoirs publics doivent apporter aux familles. Il me semble absolument nécessaire de repenser ces politiques en tenant compte des difficultés rencontrées par les plus jeunes générations.
Enfin – et ce sera mon dernier point –, notre politique familiale doit évoluer avec la réalité des familles, notamment avec la question de la monoparentalité. Les familles monoparentales représentent aujourd’hui un quart des familles françaises. Dans les territoires ultramarins, ce sont près de la moitié des enfants qui vivent dans une famille monoparentale. Dans plus de 80 % des cas, le parent isolé est une mère. Si notre politique familiale semble aujourd’hui tenir compte de cette réalité, elle n’a jamais été pleinement adaptée à ses conséquences.
Le débat relatif à la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial (ASF) illustre parfaitement ce point. Une mère isolée peut bénéficier de l’ASF ; néanmoins, dès lors qu’elle se remet en couple, elle en perd le bénéfice et se trouve de nouveau économiquement dépendante de son partenaire alors même que celui-ci, n’étant pas le père des enfants, n’a aucune obligation alimentaire envers eux. Dès lors, les paramètres de cette prestation sociale peuvent contraindre la mère isolée à choisir entre sa sécurité financière et la reprise d’une vie conjugale. Sachant que nous devrions accompagner et encourager l’émancipation économique et sociale des femmes, la déconjugalisation de l’ASF me semble donc souhaitable. (Mme Sarah Legrain applaudit.)
Le temps qui m’est attribué ne me permet pas de développer plus avant les nombreux enjeux soulevés lors de nos auditions. En conclusion, je dirai simplement que nous ne pourrons pas inverser la tendance à la baisse de la natalité ; nous pouvons d’ailleurs nous en réjouir, car cela traduit la liberté de choix qu’ont désormais les femmes concernant leur corps ! Même les États qui ont instauré des mesures quasi coercitives pour contrer cette tendance n’y parviennent pas. En revanche, nous pouvons créer des conditions favorables à la concrétisation du désir d’enfant chez les couples. Cela passe essentiellement par l’amélioration de la situation économique et sociale de notre pays, et par des politiques visant à éviter aux femmes de devoir choisir entre leur désir d’enfant et la poursuite de leur carrière, celle-ci constituant un levier majeur d’indépendance économique. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR, LFI-NFP et Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
Nous allons à présent entendre les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
J’en suis convaincue : s’il est un sujet qui peut nous rassembler, quels que soient nos sensibilités ou nos groupes politiques, c’est bien celui de la politique familiale. En effet, les familles, dans leur grande diversité, constituent le socle de notre société. Elles sont le lieu de l’éveil des enfants, de leur éducation, de la transmission des valeurs, de la solidarité entre les générations.
C’est pourquoi le groupe Les Démocrates a souhaité ce débat. Il nous invite à discuter de la façon dont notre politique familiale doit évoluer pour s’adapter aux réalités vécues par les familles du XXIe siècle.
Ce n’est un secret pour personne, notre démographie a connu de profondes transformations depuis l’époque de l’après-guerre. On constate en France, comme dans de nombreux pays industrialisés, le vieillissement de la population et la baisse constante du nombre de naissances. En 2024, l’indicateur conjoncturel de fécondité était ainsi de 1,62 enfant par femme, soit son plus bas niveau depuis la fin de la première guerre mondiale. Ces évolutions démographiques doivent nous pousser à nous interroger, car elles ont – et auront encore davantage à l’avenir – un impact sur l’économie et sur le financement de la protection sociale.
Comment le politique doit-il réagir à ce constat ? Disons-le d’emblée, nous n’inverserons pas miraculeusement ces évolutions, quels que soient nos choix de politique publique dans les prochaines années. Néanmoins, il est indispensable de mieux soutenir les familles existantes, pour le bien-être des enfants et des parents, et de soutenir les couples pour les aider à concrétiser le désir d’enfant. Pour y parvenir, notre politique familiale, qui s’est structurée dans l’immédiat après-guerre, doit se moderniser. La complexité du système de prestations doit être remise en question car celui-ci en devient difficilement lisible par nos concitoyens, qui ne perçoivent plus le sens des aides auxquelles ils ont droit.
C’est mue par cette conviction que j’ai défendu en commission des affaires sociales, le mois dernier, une proposition de loi, votée à l’unanimité, visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant. Je suis partie du constat que la principale difficulté auxquelles sont confrontées les familles n’est plus désormais l’arrivée du troisième enfant, comme pendant les Trente Glorieuses, mais celle du premier enfant. Les causes de cette évolution sont multiples : grossesse plus tardive, insertion plus tardive dans la vie professionnelle, difficulté à accéder à un logement approprié, climat d’anxiété à l’heure du retour de la guerre en Europe et de la crise écologique… Autant de facteurs qui ne sont pas propices à la concrétisation du désir d’enfant. En ouvrant le droit à l’allocation familiale dès le premier enfant, nous serions en mesure de soutenir les familles dans leur projet et d’apporter enfin le concours de la nation aux 47 % de familles structurées autour d’un enfant unique. Cette mesure devrait s’accompagner du rétablissement de la complète universalité de l’allocation, c’est-à-dire de la levée des modulations qui s’appliquent en fonction des revenus des parents, le nombre d’enfant ou leur âge. Il s’agit de s’assurer que chaque enfant donne lieu aux mêmes droits pour chaque famille.
Nous sommes conscients qu’une proposition aussi ambitieuse aurait un coût élevé – du moins si la structuration des allocations familiales reste la même – et que l’état de nos finances publiques nous oblige à des choix budgétaires. Madame la ministre des solidarités et des familles, pouvez-vous nous éclairer quant à l’orientation que vous souhaitez donner à notre politique de prestations familiales ? Compte tenu de la baisse des naissances, quelles solutions proposez-vous pour accompagner nos concitoyens manifestant le désir d’un enfant ? Envisagez-vous de remettre à plat le système d’allocations familiales, pour l’instant centré sur les familles de trois enfants, pour mieux accompagner les jeunes couples accueillant leur premier enfant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari (HOR)
« Si le peuple français ne se multiplie plus, alors la France ne peut plus rien être qu’une grande lumière qui s’éteint. » Ces mots prononcés il y a quatre-vingts ans par le général de Gaulle pour conjurer le spectre d’une France déclinante trouvent un écho particulier à notre époque. Nous faisons face à une crise démographique sans précédent ; la vitalité de notre peuple s’étiole et le destin même de la nation est en jeu.
D’année en année, la natalité s’effondre. Le nombre de naissances a atteint un plancher historique : à peine 678 000 bébés sont venus au monde en 2023, soit environ 20 % de moins qu’en 2010. L’indice de fécondité, quant à lui, est tombé à 1,68 enfant par femme, un niveau historiquement bas depuis la seconde guerre mondiale. Ce recul de la natalité traduit une perte de confiance dans l’avenir et une fatigue sociale généralisée. Parallèlement, le visage de la famille française a profondément changé. Le modèle traditionnel de la famille nombreuse diminue, tandis que de nouvelles réalités s’imposent. Près de 44 % des familles ne comptent qu’un seul enfant et environ 25 % des foyers sont monoparentaux. Or notre politique familiale, figée dans un schéma obsolète, ne correspond plus entièrement à cette réalité.
Si nous laissons cette spirale négative se poursuivre, les conséquences pour l’avenir de la nation seront gravissimes. Une France qui ne se renouvelle plus, c’est une France qui vieillit, qui innove moins et qui travaille moins. C’est une France dont les villages puis les villes se vident des rires d’enfants rentrant chez eux après l’école. C’est une nation affaiblie, qui dispose de moins en moins de forces vives pour faire tourner son économie, pour défendre la patrie et pour perpétuer son rayonnement dans le monde.
Il est un autre danger, plus insidieux encore, qui entrave tout débat serein au sujet de la politique familiale. Une partie de la gauche s’acharne à discréditer toute politique nataliste en la présentant comme le bras armé d’un patriarcat fantasmé. À l’entendre, parler de natalité, soutenir la famille, serait suspect, rétrograde, voire sexiste ; ce serait imposer aux femmes d’enfanter, nier leur liberté, les enfermer dans un rôle révolu. Cette rhétorique est non seulement caricaturale mais dangereuse et contre-productive. En effet, qu’y a-t-il de plus féministe que de permettre à un couple d’avoir un enfant dans de bonnes conditions ? Qu’y a-t-il de plus républicain que de garantir à chaque parent les moyens d’élever ses enfants dignement, sans renoncement ni sacrifice contraint ? Refuser de parler de natalité au nom d’un pseudo-féminisme, c’est nier la volonté réelle de millions de femmes qui veulent des enfants et attendent du soutien plutôt que des leçons de morale idéologique.
Mme Karine Lebon, rapporteure
C’est cela, parlez-nous de la volonté des femmes !
M. Henri Alfandari
C’est aussi refuser de voir une évidence historique et biologique : une société qui ne se reproduit plus court à sa propre extinction. Une nation qui cesse de faire des enfants, c’est une nation qui renonce à elle-même, qui s’efface lentement mais sûrement du grand livre de l’histoire.
La vraie liberté consiste à pouvoir choisir sa vie, et la République n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle donne à chacun les moyens d’exercer ses choix pleinement. Le rôle de l’État n’est pas de prescrire mais d’accompagner, pas d’imposer mais de soutenir. Tel doit être le cap d’une politique familiale digne de ce nom.
Face à ces défis, un débat crucial s’est engagé au sujet de la proposition de loi visant à rétablir l’universalité des allocations familiales dès le premier enfant. Cette réforme irait dans le bon sens, mais soyons lucides : elle est ponctuelle et ne suffira pas. Il faut un effort bien plus vaste et de profondes réformes structurelles de l’ensemble de la politique familiale.
Au-delà des chiffres et des mesures techniques, ce dont nous avons besoin, c’est d’une vision d’avenir et de renouveau qui redonne aux Français l’envie de faire des enfants et de bâtir des foyers. À l’heure du choix, inspirons-nous de l’exemple du général de Gaulle qui, en 1945, formait un grand dessein pour redresser la démographie du pays. Souvenons-nous de son message : « Dans ce domaine encore, rien n’est perdu, pour peu que nous sachions vouloir. » Sachons vouloir ! Ensemble, soutenons toutes les familles avec une ambition renouvelée. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau (LIOT)
Je tiens d’abord à remercier le groupe Les Démocrates d’avoir mis à l’ordre du jour ce débat relatif à la démographie et à la politique familiale. Ce sujet fait malheureusement partie des problèmes qui traversent à bas bruit la société tout en ayant des conséquences majeures souvent difficiles à mesurer. Je félicite Mme la ministre pour l’annonce du lancement du plan démographique 2050 ; cette initiative témoigne de la volonté de s’extraire de la temporalité immédiate qui caractérise trop souvent l’action publique.
Je ne saurais aborder le sujet de la politique familiale sans insister d’abord sur le contexte démographique. Nous faisons face à un défi sociétal. D’ici à 2030, le nombre de personnes de plus de 80 ans va doubler et le nombre de personnes de plus de 85 ans augmenter de 50 %. Ce ne sera plus la même France. Il est bien sûr heureux que la durée de vie s’allonge, mais soyons conscients que cette évolution engendrera de nombreux défis majeurs dans la vie quotidienne et dans l’action publique, qu’il s’agisse d’aménagement des espaces, de logement ou encore de transport. Soyons également conscients que les choix d’une société diffèrent selon la structure de sa population ; c’est un lieu commun que de le rappeler, mais il est évident que les populations jeunes sont davantage tournées vers l’investissement, quitte à prendre un risque, et les populations âgées naturellement tournées vers l’épargne. Au-delà du défi sociétal, c’est donc un défi économique et budgétaire qui se profile.
Je rappellerai deux autres évidences. Premièrement, le niveau de vie d’une nation dépend largement de la proportion de sa population qui est en activité et produit des richesses. Deuxièmement, une dette aussi importante que celle de la France est plus facile à rembourser quand la jeune génération est nombreuse, ce qui ne sera pas le cas.
L’évolution démographique pèse également, chacun le sait, sur le système de retraites. Depuis 1975, la population active a été multipliée par 1,28 et le nombre de retraités par 3,6. Le vieillissement de la population entraîne encore l’augmentation des dépenses de santé, qui s’élèvent en moyenne à 1 700 euros par an pour une personne de moins de 60 ans et à 8 000 euros par an pour une personne de plus de 85 ans. Il menace aussi le financement de la protection sociale, dont 54 % repose sur les actifs ; il faudra bien un jour envisager d’élargir l’assiette, même si je n’entrerai pas aujourd’hui dans ce débat. Que dire enfin des finances des départements, qui font d’ores et déjà face à l’envolée des coûts de l’aide à domicile ?
C’est dire si la France a besoin de renouer avec une vraie politique familiale. Je pense que nous en sommes tous convaincus. Loin de moi l’idée qu’il existerait un lien automatique entre telle ou telle mesure et le retour d’une dynamique de natalité positive ; chacun sait que de multiples considérations philosophiques, sociétales ou encore économiques entrent en ligne de compte dans le projet familial. Cependant, je crois qu’une bonne politique familiale ne doit pas s’appuyer sur une idéologie ou s’imposer aux individus, mais reposer sur deux grands principes. Le premier consiste tout simplement à accompagner le désir d’enfant, bien réel. Si le taux de fécondité est tombé à 1,7 enfant par femme, le nombre d’enfants désirés s’établit à 2,27 pour les couples de 18 à 44 ans.
Le second principe serait de revenir à ce qui est réellement, à mon sens, une politique familiale. Elle ne consiste pas à corriger les inégalités de revenus entre les familles, mais à rétablir une équité entre un couple qui a un ou des enfants et un couple qui, à revenu égal, n’en a pas. Il est notable, si on observe les chiffres avec attention, que les femmes qui gagnent entre 1 200 et 1 900 euros constituent le groupe dont le taux de fécondité a le plus baissé ces dernières années. C’est donc bien cette population relevant de la classe moyenne active qui est la plus touchée par ce phénomène.
M. Jean-Paul Lecoq
Ce sont les petits salaires !
M. Joël Bruneau
Cela pose effectivement la question des salaires.
Certaines réformes malencontreuses menées ces dernières années concernant le congé parental ou les allocations familiales doivent par ailleurs être corrigées. Il est enfin nécessaire de garantir l’existence de modes de garde accessibles.
Voilà les quelques réflexions que je voulais vous livrer sur un sujet qui – c’est le moins qu’on puisse dire – s’impose à nous, quelles que soient nos positions.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot (GDR)
Le débat auquel nous participons se fait l’écho d’une certaine inquiétude à l’égard de la baisse de la natalité que connaît la France depuis plus de dix ans. Comme l’indique la note rédigée pour préparer ce débat, il est difficile d’établir les effets réels d’une politique familiale sur le taux de natalité, la décision d’être parent relevant d’abord, comme l’a souligné Karine Lebon, d’un choix intime, même si cette décision est aussi tributaire de l’évolution de la société et du monde dans son ensemble. Toutefois, il est indéniable que l’existence de politiques publiques susceptibles de favoriser l’exercice de la parentalité est de nature à soutenir la natalité, qu’il s’agisse de services publics assurant l’éducation ou la garde des enfants, ou favorisant l’accès à des logements dignes et l’accès aux soins, de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, etc.
Ce n’est donc pas la seule politique familiale qui contribue à l’essor des familles, mais plutôt un ensemble de politiques publiques qui s’articulent autour d’une priorité commune, assurer leur protection. La politique familiale occupait d’ailleurs une place centrale dans la définition de la sécurité sociale figurant à l’article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945.
Dès lors, notre premier objectif doit être de réhabiliter la branche famille de la sécurité sociale, de lui donner sa pleine dimension en préservant ses moyens et en la rendant pleinement opérationnelle. En 2021, un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) portant sur « L’évolution des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants à charge au titre de la politique familiale » a montré que tous les gouvernements qui se sont succédé ont usé d’un ensemble de méthodes tendant à rogner les recettes de la branche famille, à sous-actualiser le montant des prestations et, quand des réformes étaient engagées, à prendre davantage sur les prestations destinées aux couches moyennes que ce que ce qui était rendu aux familles monoparentales, pourtant marquées par une plus forte précarité.
En outre, les ressources de la branche famille étant relativement stables, les gouvernements ont eu tendance à les ponctionner pour équilibrer les comptes d’autres branches, comme ce fut le cas en 2023 avec le transfert de 2 milliards d’euros de charges de la branche maladie vers la branche famille destiné à financer le congé maternité postnatal. L’Union nationale des associations familiales (Unaf) avait alors exprimé sa stupéfaction et établi la longue liste des besoins urgents et non couverts par la branche famille, liste qui demeure malheureusement d’actualité. Je n’en citerai que trois.
Premièrement, nous devons lutter contre la pauvreté infantile, qui a augmenté de 10 % au cours des sept dernières années et se rapproche désormais de 20 %. Autrement dit, un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté.
Deuxièmement, il faut renforcer l’offre d’accueil du jeune enfant. Force est de constater que nous sommes encore loin de la promesse du président Macron de créer un droit opposable à la garde d’enfant de moins de 3 ans.
Troisièmement, je ne peux pas conclure sans aborder la situation dans nos péi, nos pays dits d’outre-mer. Un niveau de vie plus bas, un coût de la vie plus élevé, une situation de l’emploi extrêmement dégradée et des effets climatiques de plus en plus fréquents et dévastateurs ont nécessairement un impact sur la politique familiale.
Depuis plusieurs années, la Guadeloupe et la Martinique ont entamé un déclin démographique à cause de la fuite des cerveaux. Par manque d’opportunité professionnelle, les jeunes sont contraints de choisir l’exil vers l’Hexagone car les postes à responsabilité locaux sont réservés à une élite exogène. À La Réunion, par exemple, il n’est pas simple de trouver un cadre réunionnais dans les services de la préfecture ou parfois dans ceux des collectivités locales, car l’État et les groupes privés privilégient une compétence qui ne se trouve pas sur nos territoires. Cependant, si les jeunes quittent le territoire, il ne faut pas s’étonner de la baisse de natalité. Il y a un lien de cause à effet entre l’exil et la chute démographique.
Faites donc confiance aux jeunes dans les territoires dits d’outre-mer en leur permettant d’accéder aux postes à responsabilité ; vous constaterez alors une augmentation de la natalité. En effet, trop souvent, nous ne quittons pas nos péi par plaisir mais faute de choix. Voilà la solution si vous voulez stimuler la natalité dans nos péi dits d’outre-mer ! Arrêtez de nous pousser à l’exil et laissez-nous construire nos péi par nous-mêmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Frantz Gumbs applaudit également.)
M. Jean-Paul Lecoq
Excellent !
M. le président
La parole est à M. Bartolomé Lenoir.
M. Bartolomé Lenoir (UDR)
À l’occasion de ce débat sur la politique familiale en France, je voudrais vous parler de la Creuse. Il y a cent ans, ce département comptait 250 000 habitants. Ces Creusois – non seulement les maçons, mais aussi les agriculteurs, par exemple – ont participé à la grandeur de notre pays. À présent, il ne compte plus que 115 000 habitants et seules 700 naissances sont prévues l’année prochaine. Pourtant, la Creuse, par ses entrepreneurs, ses artisans, ses agriculteurs, ses commerçants et tous ceux qui y travaillent, participe au rayonnement de la France en maintenant nos savoir-faire.
Si j’évoque cette situation, c’est pour souligner le fait qu’une politique nataliste est essentielle en France, particulièrement dans les zones rurales, face au déclin démographique mais aussi face au déclin de la France. Il y va tout simplement de l’avenir de notre pays.
D’abord, nous devons envisager ce problème dans une perspective générale. Le maintien des services publics de terrain, en particulier de ceux auxquels participent les enseignants et les médecins, est essentiel. Nous sommes entrés dans un cercle vicieux où chaque décision du gouvernement concernant par exemple les fermetures de classes ou les suppressions de lits à l’hôpital, qui transforment nos campagnes en déserts médicaux, est justifiée par la baisse de la population. Mais quels jeunes parents souhaiteraient avoir des enfants dans un désert ? Le maintien des services publics de terrain et le déploiement de moyens de garde des enfants sont donc primordiaux. Un exemple concret illustre cette situation : depuis 1975, trois quarts des maternités françaises ont fermé et dix départements n’en comptent plus qu’une seule. Notre pays se classe désormais au vingt-troisième rang des pays de l’Union européenne pour la mortalité infantile.
Ensuite, nous devons envisager ce problème dans une perspective individuelle. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques me disent qu’il n’y a plus de jeunes dans les campagnes. C’est faux : depuis le début de mon mandat de député, je n’ai pas cessé de voir des jeunes investis, courageux et fiers de leurs valeurs. Leur appel est celui d’un peuple qui ne veut pas mourir. Les couples ont envie d’avoir des enfants mais doivent parfois se restreindre car les fins de mois sont trop difficiles. En moyenne, cela a été rappelé, un couple aspire à avoir 2,38 enfants mais dans la réalité, le nombre d’enfants par femme est de l,6. Cette situation est terrible. Pour nous qui sommes tant attachés à la liberté, la liberté d’avoir autant d’enfants qu’on le souhaite devrait être le pilier de notre politique. Le deuxième axe d’une politique familiale est donc d’encourager financièrement les jeunes parents.
Au sein du groupe UDR, nous ne croyons ni aux cadeaux ni aux chèques, car l’attractivité qu’ils induiraient dans nos campagnes ne serait que temporaire. En revanche, nous croyons à l’incitation fiscale, qui favorise l’enracinement, nécessaire à la réussite d’une politique, et surtout le travail. Je proposerai dans les semaines à venir une proposition de loi visant à réduire massivement les charges salariales pour les jeunes parents habitant dans les treize départements les moins peuplés de France. Cette solution aurait non seulement l’avantage de favoriser le travail mais aussi celui d’encourager les femmes qui souhaitent avoir des enfants tout en menant une carrière professionnelle accomplie.
Enfin, je veux vous prévenir, madame la ministre : l’absence d’une politique nataliste ne pourra être comblée par une politique immigrationniste, car celle-ci provoque un choc culturel dont les conséquences sont déjà visibles partout en France. Ainsi, la politique nataliste doit être particulièrement concentrée sur nos campagnes et reposer sur le maintien des services publics de terrain et sur la défiscalisation des jeunes parents. Il s’agit de redonner aux couples français la liberté d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent et, par là même, de s’émanciper à deux. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Caroline Parmentier.
Mme Caroline Parmentier (RN)
Aucun auteur de science-fiction n’aurait imaginé ce qui nous attend : un monde dans lequel l’excès de décès par rapport aux naissances devient la norme, ce qui a pour conséquence le non-renouvellement des populations. Ajoutez à cette pénurie de bébés une explosion du nombre des personnes âgées – voire très âgées, pour celles qui ont plus de 80 ans – et vous aurez compris que nos modes de vie et nos structures familiales, ainsi que nos finances publiques, connaissent un véritable bouleversement.
Jamais la France n’avait connu un tel coup de frein démographique. Le recul de la natalité est systémique : le nombre de naissances ne cesse de chuter depuis trente et un mois consécutifs, jusqu’à atteindre son plus bas niveau depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En quinze ans, on dénombre 170 000 naissances de moins. La natalité française s’est effondrée, au point que la croissance démographique dépend désormais du seul solde migratoire.
Cela s’explique bien entendu par la réalité sociale de notre pays, dans lequel des inquiétudes légitimes s’expriment au sujet du pouvoir d’achat, de l’insuffisance des revenus ou des difficultés à se loger. Des familles ne savent pas comment pourvoir aux besoins de leurs enfants, alors même qu’elles souhaiteraient parfois en avoir davantage.
La natalité française s’est également effondrée sous l’effet des coups de rabot, des mesures fiscales défavorables et des politiques qui pénalisent les familles. La situation est devenue périlleuse pour notre pays. Vous l’avez tous rappelé, l’indicateur conjoncturel de fécondité, qui s’établit à 1,62 enfant par femme – le taux plus faible depuis 1919 – s’éloigne année après année du seuil nécessaire au renouvellement des générations, alors que le désir d’enfant est estimé à 2,39 par femme. Or, selon l’étude réalisée par l’institut Kantar pour l’Unaf, cet écart s’accroît. Ainsi, 67 % des personnes ayant eu un enfant en voudraient ou en auraient voulu au moins un de plus. Ce chiffre devrait inciter les pouvoirs publics et la société à se demander ce qu’ils peuvent faire pour ces familles.
Si, par le passé, Emmanuel Macron a déclaré vouloir relancer la dynamique de la natalité, en pratique, madame la ministre, il a fait l’inverse. Durant les quinquennats Hollande et Macron, la famille n’a jamais autant souffert ; elle est devenue tout sauf une priorité. La décision de réduire la prime à la naissance et celle de mettre fin à l’universalité des allocations familiales ont été des fautes lourdes. Les débats sur les retraites et les injustices faites aux femmes ont de nouveau montré, s’il en était besoin, que la natalité n’est pour ce gouvernement qu’une variable d’ajustement.
La seule solution que préconise Emmanuel Macron est de faire reposer notre natalité sur l’immigration de peuplement. C’est un choix politique auquel nous nous opposons. Nous devons nous donner les moyens de promouvoir une véritable politique de natalité en France. C’est une vision à long terme, un choix de société et de civilisation pour les décennies à venir. Nous voulons, nous, que les Français puissent avoir une confiance suffisante dans leur pays et dans la puissance publique pour décider de fonder une famille. L’hiver démographique dans lequel sont entrés les États latins a de quoi inquiéter : l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, en raison de l’affaissement de leur natalité, verront leur population diminuer au cours des prochaines décennies. La France ne doit pas suivre ce chemin.
À quand un projet de loi pour relancer la natalité française ? J’ai déposé une proposition de résolution, cosignée par de nombreux parlementaires, visant à faire de la natalité une grande cause nationale. Le sujet est plus que jamais d’actualité. À quand la création d’un ministère consacré à cette question ? À quand une politique familiale volontaire et ambitieuse ? L’État doit aider et soutenir les couples qui hésitent à avoir un enfant. Au Rassemblement national, nous voulons, nous, tout simplement, que ces familles aient le choix. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Joséphine Missoffe.
Mme Joséphine Missoffe (EPR)
Vous vous souvenez peut-être de ce refrain qui concluait les plus belles histoires de notre enfance : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. »
Cette promesse de l’aube, simple, presque universelle, semble pourtant s’éloigner, non pas parce que les Français n’en rêvent plus, mais peut-être parce qu’ils n’en ont plus toujours les moyens ou qu’ils n’ont plus le sentiment de pouvoir inscrire un tel choix dans leur quotidien.
Le constat démographique est sans appel : la natalité baisse, la population vieillit, le solde naturel est fragile. Cette réalité n’est pas abstraite. Elle pèse directement sur la pérennité de notre modèle social, sur notre cohésion et sur notre avenir.
Derrière ces enjeux, il y a surtout des trajectoires de vie contrariées. Un espace douloureux s’installe entre le désir d’enfant et la possibilité réelle de devenir parent. C’est précisément cet écart que notre politique familiale doit s’attacher à combler.
La réponse de notre mouvement politique repose sur une conviction forte : une politique familiale efficace ne se limite pas à des prestations, aussi utiles soient-elles. Elle exige une approche globale à même de sécuriser les parcours de vie et d’accompagner les modèles familiaux, et ce dès les premières années.
Depuis 2017, nombreux sont celles et ceux qui ont incarné cette conception au gouvernement, dans notre assemblée et sur le terrain. Le résultat est la politique des 1 000 premiers jours de l’enfant, qui entend transformer notre système de protection maternelle et infantile ; la création du service public de la petite enfance (SPPE), consacré dans le budget pour 2025, et qui vise à faire de l’accueil du jeune enfant un véritable droit pour les familles, et non plus une loterie territoriale ; le doublement du congé paternité ; la réflexion engagée sur la réforme du congé de naissance, sans oublier l’expérimentation des crèches à vocation d’insertion professionnelle ou le service public d’aide alimentaire. Ces outils nous aident à faire sauter le verrou du choix entre vie professionnelle et vie de famille.
L’éducation d’un enfant est une chose magnifique dont nos concitoyens ne doivent pas être privés. Mais ceux-ci se sentent écrasés par leur quotidien au point que la perspective de la parentalité les angoisse. C’est pourquoi nous devons consolider les principes qui fondent notre politique familiale, accélérer les réformes en cours et aller plus loin.
Favoriser la préparation à la parentalité implique d’être plus attentifs aux périodes prénatales et périnatales, ainsi qu’à la santé mentale des parents à chaque étape de leur parcours. Il faut rendre plus simples et accessibles les services et les aides de l’État. Face aux exigences de lisibilité formulées par nos concitoyens, nous ne pouvons plus attendre.
Enfin, la parentalité ne doit devenir ni un luxe ni un privilège. Nous devons poursuivre nos efforts en faveur de la justice, protéger les familles les plus précaires et mieux soutenir toutes les familles dans leur diversité.
De même, il faut valoriser les professionnels de la petite enfance, améliorer leurs conditions de travail, reconnaître leur rôle essentiel et leur donner les moyens d’accomplir leur mission.
Le comité de filière petite enfance et le plan de formation Ambition enfance égalité constituent justement un premier pas dans ce sens. Mais il faut poursuivre l’effort, compte tenu de la crise que traverse ce secteur réellement incontournable. Je suis convaincue qu’une politique familiale efficace repose sur une politique vertueuse de la petite enfance.
La mortalité infantile augmente dans notre pays. Elle est même supérieure à la moyenne de l’Union européenne. Dans ce contexte, pour rassurer les parents, nous devons renforcer l’action de prévention médico-sociale, que ce soit à domicile, dans les services de protection maternelle et infantile (PMI), dans les crèches ou dans les écoles, dès la grossesse et pour tous les enfants.
Notre politique familiale ne doit pas être faite de rattrapage et d’ajustement, mais fondée sur l’anticipation et la prévention. Pour que la parentalité redevienne une source d’épanouissement, nous ne pouvons plus la considérer comme un héritage figé mais comme un levier moderne d’émancipation.
Engageons-nous à offrir à chaque enfant, un avenir, à chaque parent, un soutien et à chaque famille, la liberté d’exister pleinement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP)
II y a un an, le président de la République nous enjoignait au réarmement démographique. Que s’est-il passé depuis ? D’un côté, le réarmement a pris un sens bien concret, puisqu’Emmanuel Macron parle maintenant d’entrer en économie de guerre. De l’autre, la natalité continue de plonger et la France dégringole au vingt-troisième rang de l’Union européenne en matière de mortalité infantile. La honte !
Il faut croire que comparer nos utérus à des armes, au moment même où nous inscrivions le droit à l’IVG dans la Constitution, ou donner comme perspective à nos enfants le remplacement des maternités par des missiles, la mort sur un champ de bataille ou l’existence sur une planète devenue invivable, voilà qui n’est pas de nature à donner aux femmes l’envie d’avoir des enfants.
C’est d’elles, en particulier, que je veux parler, parce que la natalité les concerne avant tout. Ce sont les mères qui payent le coût de la parentalité. En effet, comme le souligne la note de Lucile Peytavin et de Lucile Quillet pour l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, être mère a un coût.
L’arrivée d’un enfant est certainement une grande source de joie et d’amour, mais c’est aussi un travail qui use et qui coûte d’autant plus qu’il est invisible, gratuit et non partagé.
Devenir mère, en France, aujourd’hui, c’est se retrouver seule avec son enfant, au mieux, vingt-huit jours après sa naissance, et, le plus souvent, onze jours – c’est le délai auquel est réduit le congé paternité obligatoire. Pour une mère sur six, c’est faire une dépression post-partum, qui peut mener au suicide, première cause de mortalité maternelle en France. C’est aussi, quand l’enfant a tout juste deux mois et demi, devoir reprendre le travail – si on a la chance, non seulement d’en avoir un, mais aussi d’avoir trouvé un mode d’accueil. Parlons franchement : cela revient à confier son enfant aux soins d’autres femmes.
Les 160 000 mères qui ne trouvent pas de mode d’accueil à l’issue du congé maternité sont la variable d’ajustement de cette carence de service public : 94 % des congés parentaux sont pris par des femmes, qui touchent une somme ridicule.
Face à cela, que fait le gouvernement ? Il annonce une réforme du congé parental. Si nous ignorons toujours à combien s’élèvera la hausse de l’indemnisation, nous savons déjà que ce congé sera considérablement raccourci, au détriment des mères sans emploi et des plus précaires.
En revanche, il n’y a aucune trace d’un allongement de la part obligatoire du congé paternité. La mère assume seule les premiers mois et apprend seule le métier de parent, mais on veut nous faire croire qu’ensuite, le père prendra magiquement son congé parental.
Qu’en est-il des places en crèche ? Le Haut Conseil de l’enfance, de la famille et de l’âge estime qu’au moins 230 000 places supplémentaires sont nécessaires d’ici cinq ans pour répondre aux besoins immédiats.
Pendant le précédent quinquennat, sur les 30 000 places en crèche promises, seule la moitié a été créée. Malgré les scandales de maltraitance, le secteur privé lucratif a explosé, avec la bienveillante complicité de la parjure Aurore Bergé.
Rien n’a été proposé pour mettre fin à la spirale de la pénurie de personnel et de la perte de qualification. Il faudrait revaloriser ces métiers, qui souffrent de la dépréciation du travail maternel – notre proposition de loi est toujours sur la table.
Être mère, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined), c’est voir, après l’arrivée du premier enfant, sa rémunération baisser de 30 % sur le long terme. L’écart de salaire entre les femmes et les hommes ayant des enfants se creuse dès l’arrivée du premier enfant, pour atteindre 43 % au troisième enfant.
Même en équivalent temps plein, pour trois enfants et plus, le salaire moyen d’une femme est près de 30 % moins élevé que celui d’un homme : c’est dire si le monde du travail reste pensé par et pour des hommes.
Devenir père, c’est faire deux heures de moins de travail domestique, plus d’heures de travail rémunéré et, donc, voir augmenter son salaire. Devenir mère, c’est récupérer cinq heures de tâches domestiques supplémentaires par semaine, le tout pour de modiques allocations familiales – et encore, seulement si on a plus d’un enfant.
Avoir un enfant, pour une femme, c’est donc à la fois devenir le travailleur parental principal et le travailleur salarié secondaire, économiquement dépendant, au risque de tomber dans la précarité en cas de séparation. Or celle-ci concerne une famille sur quatre. Et, sans surprise, quand le foyer devient monoparental, c’est à 87 % la mère qui en est chargée. Le travail gratuit qu’elle a toujours fait, elle le continue.
Une bonne partie des mères n’ont pourtant pas, à côté, d’emploi suffisamment rémunéré pour se loger et vivre dignement avec leur enfant. Elles sont donc particulièrement exposées à la précarité, comme l’ont montré de récents rapports, mais aussi aux discours stigmatisants : suspectées de frauder, elles perdent l’ASF dès qu’elles se remettent en couple, comme s’il fallait toujours maintenir cette dépendance économique. La France insoumise a défendu la déconjugalisation de l’ASF, préconisée par les rapporteurs, mais les macronistes et la droite l’ont refusée. Nous pouvons reprendre ce combat.
Pire, être une mère isolée, c’est être suspectée d’aliénation parentale ou même condamnée pour non-présentation d’enfant quand on a voulu protéger celui-ci des violences de son père. C’est entendre dire, après une séparation parfois violente, que le lien de l’enfant avec le père est sacré, alors même que la société n’a rien fait pour favoriser ce lien dès la naissance.
Enfin, être mère isolée, mère précaire ou mère des quartiers populaires, c’est être taxée de mère défaillante, lorsque son enfant rencontre des difficultés scolaires, connaît des déboires judiciaires, ou se révolte légitimement contre les violences policières.
Quand il est question des familles dans cet hémicycle, c’est souvent pour les pointer du doigt et proposer de leur retirer les allocations familiales, rarement pour proposer des mesures en faveur de la jeunesse et de l’égalité réelle de genre. Or, ne vous en déplaise, les jeunes générations qui se lèvent, tout particulièrement les jeunes femmes, ne sont pas prêtes à en rabattre s’agissant de la liberté et de l’égalité. Si vous voulez que les jeunes filles d’aujourd’hui aient envie d’avoir des enfants, il faut donc garantir, d’une part, l’absolue liberté de choix d’en avoir ou pas, et, d’autre part, l’égalité absolue dans la parentalité et dans toute la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Karine Lebon, rapporteure, applaudit aussi.)
M. le président
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC)
En janvier 2024, l’Insee publie les chiffres de la natalité : 1,67 enfant par femme et moins de 700 000 naissances en un an, soit le niveau le plus bas depuis 1946.
À l’Élysée, c’est le branle-bas de combat. Le président réunit ses conseillers – quelques consultants de McKinsey aussi. On ferme les portes et les rideaux ; on commence à turbiner. Mission : trouver le mot juste, la bonne expression pour frapper les esprits, la bonne image qui passera bien au « 20 heures ». Quelqu’un dit : « Pourquoi pas le choc de natalité ? ». Non, on a déjà fait assez de chocs comme ça, il faut trouver autre chose. Là, quelqu’un d’autre, peut être un consultant de McKinsey, propose : « Et pourquoi pas le réarmement démographique ? ». C’est pas mal, ça ; c’est bien, ça fait sérieux, c’est du lourd. Allez, en avant pour le réarmement démographique !
Moi, quand j’ai entendu ça, mon utérus a bondi d’effroi. Nous sommes poussées à faire des enfants comme si nous allions en guerre ? Bon. Dans son discours, le président a appelé au réarmement démographique « pour que la France reste la France ». Quelques jours plus tard, ici même, Gabriel Attal a ajouté : « Je refuse […] que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre. »
Et là, c’est mon sang républicain qui n’a fait qu’un tour. Nous sommes donc en guerre contre une menace. Qui est l’ennemi ? D’autres pays menaçants, à la démographie plus dynamique ? La Russie ? La Chine ? Impossible : ils ont moins d’enfants que nous.
Ou alors, comme toujours en France, lorsque nous rencontrons un problème, sommes-nous en guerre contre l’éternel bouc émissaire, l’étranger, ou plutôt l’étrangère, dont l’utérus fécond – trop fécond – menacerait l’identité de la France ?
Pourtant, dans ce même discours, le président a annoncé la prolongation du congé de naissance pour les hommes. À cela, je dis bravo : bravo pour cette avancée vers un partage plus égalitaire des responsabilités entre les femmes et les hommes. Mais voilà : on ne peut pas en même temps convoquer les vieilles peurs rances dont s’inspire l’extrême droite et faire avancer la cause de la natalité en France.
Oui, parlons de natalité, mais parlons-en avec les bons mots. Pardon de rappeler une évidence : pour faire des enfants, il faut faire l’amour, pas la guerre. Le bon nombre d’enfants, c’est celui que les femmes désirent – pas un de plus, pas un de moins. Aidons celles qui veulent faire des enfants et laissons tranquilles celles qui n’en veulent pas.
Combien d’enfants les femmes veulent-elles ? En moyenne, les femmes françaises désirent 2,4 enfants, et elles en ont 1,4. C’est bien que les couples sont empêchés, entravés dans leur désir de fonder une famille et de l’agrandir.
Voulons-nous que les femmes aient plus d’enfants, comme elles le désirent ? Alors, voilà ce que nous disons, au groupe socialiste. Construisons des logements agréables, abordables, faits pour les familles. Augmentons enfin le salaire des travailleurs. Créons un congé parental d’une durée égale entre les femmes et les hommes, pour que la charge mentale qui pèse encore trop lourdement sur les femmes soit enfin partagée équitablement. Réinventons notre école : une école où les professeurs prennent de nouveau plaisir à travailler et à faire grandir nos enfants. Investissons dans nos services publics, dans les crèches. Et réduisons la pollution, qui a un impact direct sur la fertilité des couples. Enfin, pour de bon, pour de vrai, créons une vraie politique d’accompagnement des jeunes parents. Les parents n’ont pas besoin d’un slogan martial. Ils ont besoin de soutien, d’accompagnement. Ils ont besoin d’amour, tout simplement.
Et, s’il faut convoquer l’histoire, tournons-nous vers les plus grands. Le général de Gaulle, qui était pourtant un chef de guerre, ne parlait pas de « réarmement », mais de « progrès » démographique. Dans un pays ravagé par la guerre, il savait que pour redonner envie aux femmes de faire des enfants, il fallait un État-providence fort, des politiques sociales généreuses, aimantes. Eh bien, nous en sommes là : créons un acte II de l’État-providence, et nous donnerons enfin aux femmes et aux hommes le désir et le pouvoir d’agrandir leur famille. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Karine Lebon et M. François Ruffin, rapporteurs, applaudissent également.)
M. Jean-Paul Lecoq
Vous avez été la première à le dire : « Faites l’amour, pas la guerre ! »
M. le président
La parole est à Mme Élisabeth de Maistre.
Mme Élisabeth de Maistre (DR)
Le titre du dernier ouvrage de Jean Birnbaum, Seuls les enfants changent le monde, a tout pour nous inspirer. « Depuis ma prime jeunesse, y écrit-il, il m’apparaît évident que tout engagement véritable implique un souci de l’enfant, que toute promesse politique est une promesse aux enfants, que tout idéal sérieux fait signe vers la vie – donnée, transmise, sauvée. »
Le bilan démographique de 2024 marque un effondrement de la fécondité et le solde naturel est le plus faible depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En 2021, François Bayrou, alors haut-commissaire au plan, plaidait pour un « pacte national pour la démographie », afin de sauver le modèle social français. « La France a sans doute plus besoin encore que ses voisins d’une démographie dynamique car son modèle social repose, pour beaucoup, sur la solidarité entre les générations », déclarait-il.
Plusieurs facteurs expliquent cette diminution du nombre de naissances : la crise du logement, l’évolution des modes de vie et des mentalités, l’éco-anxiété. Mais la première cause est sans doute le recul des aides et des politiques familiales.
La politique socialiste des treize dernières années a considérablement appauvri les familles françaises, qui ont subi de plein fouet l’abaissement du plafond du quotient familial, la suppression de l’universalité des allocations familiales, l’abaissement des seuils de ressources pour bénéficier de la prestation d’accueil du jeune enfant et la réduction de son montant, mais également la diminution de la durée du congé parental des femmes.
Pour nombre de familles dont les deux membres du couple travaillent à temps complet, la suppression en 2012 de l’universalité des allocations familiales a entraîné une perte de 75 % du montant alloué. Les effets de seuil créent un sentiment d’injustice et de déclassement parmi les classes moyennes. Une légère augmentation de salaire peut en effet entraîner la perte de l’allocation, laissant certains ménages avec un niveau de vie inférieur à celui qu’ils avaient avant l’augmentation. C’est la politique socialiste du « travailler plus pour gagner moins ».
La Cour des comptes, dans un rapport de mai 2024, souligne qu’en dix ans de politique dite sociale, l’addition des mesures d’économies intervenues en matière fiscale et sociale représente 17,9 milliards d’euros en cumul sur la période 2011-2021, dont 5,7 milliards à la charge des familles nombreuses. Quant à la réforme idéologique de Najat Vallaud-Belkacem sur le congé parental, via la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), elle n’a pas atteint son objectif puisque, comme le relève la Cour des comptes, seuls 2,5 % des bénéficiaires de cette prestation sont des hommes. Najat Vallaud-Belkacem a donc obtenu l’inverse de l’objectif recherché, qui était l’égalité entre les hommes et les femmes.
Les contraintes pour les familles sont, quant à elles, de plus en plus lourdes. La crise sanitaire, l’inflation, la crise du logement, les difficultés à trouver un mode de garde ont rendu la vie des familles difficile. La baisse du taux de natalité a des effets majeurs sur la société française. Avec moins de naissances et une espérance de vie qui continue d’augmenter, la proportion de personnes âgées grandit, ce qui pose un problème pour le financement des retraites et la prise en charge de la dépendance. Moins d’enfants, cela signifie, à long terme, moins d’actifs pour soutenir la croissance économique, financer les retraites et la protection sociale. Alors que certains irresponsables prônent l’abaissement de l’âge de la retraite à 62 ans, le principe de réalité devrait nous conduire à concevoir une stratégie à court, moyen et long terme pour apporter une réponse structurelle au défi démographique auquel nous sommes confrontés.
Pour inverser cette tendance de baisse démographique, plusieurs mesures doivent être prises, et vous les connaissez mieux que moi, madame la ministre. Rétablir l’universalité des allocations familiales, les verser dès le premier enfant pour favoriser le pouvoir d’achat, améliorer les congés parentaux et faciliter l’accès aux modes de garde : tout cela permettrait d’aider les parents à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. La branche famille de la sécurité sociale est la seule branche bénéficiaire. Il existe donc des ressources pour financer le réarmement démographique. Une politique du logement plus ciblée en faveur des familles pourrait également être menée.
Le temps politique est trop souvent du temps court, surtout en ce moment. Les enjeux démographiques de notre pays nécessitent davantage de recul. Il nous faut passer du temps court au temps long et avoir le courage de prendre des mesures dont un gouvernement ne peut pas en tirer un bénéfice électoral immédiat. Ce courage, en politique, est rare. Il est d’autant plus remarquable quand il est mis au service de l’intérêt général.
Trop souvent, la politique familiale a subi des réformes modestes et fragmentées. Trop souvent, les textes se sont empilés, faisant perdre toute vision d’ensemble et toute cohérence quant au but recherché. Une politique familiale ne peut se cantonner à quelques allocations ou au développement d’un mode de garde pour permettre l’emploi des femmes. Un enfant n’est pas un bilan carbone et les Français sont attachés à la famille. Elle a même été citée pendant le covid comme une valeur refuge. Une refonte d’ensemble est nécessaire. Ne pas agir aujourd’hui coûtera plus cher demain. Comme la nécessaire transition écologique, le réarmement démographique, cher au président Macron, est devenu urgent.
M. le président
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin (EcoS)
Le « réarmement démographique » : ce sont les mots choisis l’an dernier par Emmanuel Macron pour inviter à un sursaut de la natalité. Le « réarmement démographique » ! Comme si les enfants étaient une arme, et le ventre des femmes, une usine ! Comme s’il s’agissait de préparer une guerre, comme si les Français étaient réduits à l’état de producteurs, même dans leur intimité, même dans leur vie privée ! Si on voulait nous dégoûter d’en faire, des enfants, on ne s’y prendrait pas autrement !
Même ça, même les enfants, même donner naissance à un enfant, lui faire des guilis sur la table à langer, le porter sur ses épaules pour aller à l’école, jouer avec lui au football ou à la console, faire avec lui un gâteau au chocolat et le cramer, même ça, le chef de l’État n’en parle pas comme d’une immense joie, comme d’un gros gâteau – pas cramé, celui-là –, qui ferait saliver de désir, de plaisir. Non, lui, il apparaît à la télé comme il apparaît toujours à la télé, avec son ton martial de chef des armées, avec son air réjoui pour nous annoncer des nouvelles sinistres – « Nous sommes en guerre ! » –, pour nous faire la leçon, comme quoi on ne produit pas assez de petites filles et de petits garçons. Et ça fait huit ans que ça dure ! C’est l’usure. Ce monde-là, vous m’étonnez que les Français se retiennent d’y amener des bébés !
Je suis sérieux ! Vous avez vu comme le moral de nos concitoyens a baissé, celui des jeunes en particulier ? C’est la déprime. Quand on leur demande pourquoi ils ne font pas d’enfants, la première réponse qui arrive, la première cause, c’est la peur de l’avenir. On ne comprend rien à notre pays si on ne prend pas cette peur en considération. Et le rôle des dirigeants, c’est de rassurer, de protéger, c’est d’ouvrir un chemin de lumière et d’espoir. Pas de jouer sur les peurs, sur toutes les peurs, en trouvant tous les jours, toutes les semaines, une nouvelle peur.
Et pourtant, nous l’avons tous dit ici, il demeure dans notre pays un grand désir d’enfants. Une statistique le montre, que plusieurs collègues ont rappelée – avec de légers écarts : les Français, en moyenne, désirent avoir 2,3 enfants par foyer et ils n’en ont que 1,6 : cela fait 0,7 de différence. Et c’est dans cet écart que l’on peut situer le rôle d’une politique familiale. Le rôle d’une politique familiale, ce n’est pas de forcer la main, ce n’est pas d’enjoindre aux femmes, aux hommes, de faire des enfants, dans une logique paternaliste, ou maternaliste. Si certains, certaines, ne veulent pas d’enfant, ou un seulement, c’est leur droit. C’est leur choix. Un choix de vie devenu plus libre, la marque d’une émancipation.
Le rôle d’une politique familiale, c’est de permettre aux hommes et aux femmes qui veulent des enfants d’en avoir ; c’est de lever les obstacles à leur parentalité ; c’est de faire en sorte que leur désir d’enfant se réalise. Quels sont les obstacles ? Pour 26 % des Français, ce qui manque, c’est un emploi stable ; pour 37 %, c’est un logement adapté ; pour 45 %, c’est d’avoir assez d’argent, parce que l’enfant a un coût. Il s’élèverait à près de 500 euros par mois – 490 pour être précis –, selon une enquête d’Ipsos : 252 euros pour la garde du bébé ; 83 euros pour l’alimentation ; 54 euros pour l’équipement, notamment la poussette ; 51 euros pour l’habillement ; 51 euros pour les produits d’hygiène.
Au fil des interventions, j’ai vu un consensus se dégager autour de l’idée que la politique familiale doit être aussi une politique du logement et du travail, car il faut assurer de la stabilité aux jeunes et faire en sorte que les futurs parents se sentent protégés. Or on fait l’inverse. Il faudrait des métiers qui assurent statut et revenu ; horaires, salaire et carrière. Au lieu de cela, on a transformé les métiers en bouts de boulots : CDD, intérim, temps partiel, et surtout désormais, autoentrepreneurs ! Avec 3 millions d’autoentrepreneurs, la France d’Emmanuel Macron est, derrière la Hongrie, le recordman en Europe des emplois non salariés, et nous sommes à la traîne sur les emplois salariés.
C’est la même chose pour le logement : étymologiquement, dans « protéger », il y a « toit ». Or le nombre de demandeurs de logements sociaux a battu un record historique cette année. On a construit 50 % de logements sociaux en moins que sous le mandat précédent ; et c’est 50 % de ménages modestes en moins qui accèdent à la propriété. Pourquoi ? Parce que vous laissez faire le marché, celui de l’immobilier comme celui du travail. Or, pour satisfaire les besoins des Français, il nous faut un État stratège, un État chef d’orchestre, un État qui investit, qui planifie, qui fixe des règles, en matière de logement comme au sujet du travail, qui encadre ou qui fait sortir du marché.
Voilà notre conviction : ce qu’il nous faut, ce n’est pas un réarmement démographique, mais la sécurité économique, en matière de travail, de logement et de revenus. Pour que l’enfant soit accueilli comme il se doit, non comme un motif d’angoisse, mais comme une source de joie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Karine Lebon, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Il me semble que vous vous rejoignez tous sur le constat. Et, de fait, les projections des démographes sont sans appel : on a, d’un côté, une natalité en chute libre et, de l’autre, une hausse rapide de l’espérance de vie, ce qui a pour conséquence le vieillissement de notre population. La baisse du taux de fécondité en France ne peut que nous interpeller : 663 000 bébés sont nés en France en 2024, tandis que, dans le même temps, 646 000 personnes sont décédées. Les deux courbes n’ont jamais été si près de se croiser.
Pour évoquer ce sujet majeur, nombre d’entre vous ont convoqué deux hommes, que certaines et certains ont d’ailleurs qualifiés de grands anciens. Le premier, c’est le général de Gaulle, qui disait en 1945 : « De quelque façon que nous organisions notre travail national, nos rapports sociaux, notre régime politique, notre sécurité même, s’il est acquis que désormais le peuple français ne se multiplie plus, alors la France ne sera plus qu’une grande lumière qui s’éteint. »
L’autre, Ambroise Croizat, à la suite des travaux du Conseil national de la Résistance, fonda la sécurité sociale. Dans les deux cas, nous nous situons il y a quatre-vingts ans, et ce sont des hommes ; aujourd’hui, des femmes, à cette tribune, reconnaissent que cet héritage nous oblige, mais proposent aussi des réponses à ce problème qui, au-delà de la politique familiale, touche à l’organisation même de notre société. Rien n’est plus personnel, plus intime que le désir d’enfant, mais il ne peut être exaucé qu’à certaines conditions ; d’où des solutions médicales, matérielles, organisationnelles, totalement interministérielles. Vous avez été nombreux à mettre en avant le sujet de l’emploi, celui du logement ; nous pourrions aussi bien citer l’éducation, par exemple. La moitié du gouvernement est concernée par ce débat ! Tout en me bornant à évoquer ce qui relève de ma responsabilité, je souscris à ce qui a été dit concernant le logement : Jean-Louis Borloo insistait sur la notion de nid – l’endroit où l’on élève les enfants, le lieu de la première sécurité qui autorise les prémices de l’éducation, permettant à ces petites filles, ces petits garçons, de devenir un jour des citoyens.
Il s’agit avant tout d’apporter une réponse au désir d’enfant, lequel nécessite un douloureux parcours, l’infertilité – due dans un tiers des cas à la femme, un tiers à l’homme, un tiers au couple – constituant désormais un enjeu majeur. De ses quatre aspects, le premier est sociétal : des raisons liées à la carrière, aux choix de vie, des inquiétudes inspirées par sa situation, entraînent un recul de l’âge auquel on décide de concevoir un enfant. Le deuxième est médical : troubles de l’ovulation, pathologies génitales, endométriose. Le troisième, indéniable, réside dans les facteurs environnementaux : pollution, explosion des perturbateurs endocriniens. Le quatrième tient aux comportements quotidiens : alimentation déséquilibrée, sédentarité, obésité.
Conformément aux recommandations formulées en 2022 par le professeur Samir Hamamah et ses équipes, nous prévoyons un plan national de lutte, premier chantier d’une extrême importance. Il nous faudra plusieurs axes : l’information et la sensibilisation – à la veille de la Journée mondiale de lutte contre l’endométriose, je ne peux qu’insister sur la nécessité d’informer les très jeunes filles, les tests permettant désormais de réduire la durée d’une errance médicale estimée en moyenne à sept ans –, un soutien accru à la recherche, enfin l’amélioration de la prise en charge et du parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP).
L’articulation entre vie professionnelle et vie de parent constitue l’un des sujets que vous avez tous abordés : il importe que l’arrivée d’un enfant ne signifie pas perte de revenus, interruption partielle ou totale de la carrière – ce dernier point concernant la mère, dans l’écrasante majorité des cas. Il s’agit donc d’améliorer l’offre en matière de garde d’enfants. Pour les moins de 3 ans, le taux de couverture des besoins n’atteint pas 70 % : permettez-moi d’insister, à ce propos, sur les disparités territoriales et sociales. Dans ma région, la Champagne, il y a quelques jours, de jeunes viticultrices m’exposaient leurs difficultés : vous êtes mère au foyer, il vous faut aller vendre vos produits lors d’un salon, personne au village ne peut garder vos enfants, que faites-vous ? En zone rurale, la question des modes de garde prend ainsi une importance particulière ; s’y ajoute celle des restes à charge. Je remercie les communes qui créent des maisons d’assistants maternels (MAM) : il faut souligner le rôle de ces assistantes, et une réponse aussi concrète, aussi complète, peut inciter certaines femmes à s’orienter vers ces métiers.
Un autre point essentiel – pardonnez-moi de ne pas suivre la chronologie de la croissance de l’enfant – consiste à accompagner les jeunes parents afin que chacun puisse gérer selon son choix la période de sa vie qui succède immédiatement à la naissance, en d’autres termes, comme le souhaitent certains, rester auprès du bébé durant les premiers mois. De là vient l’idée du congé de naissance, que j’entends remettre sur le métier, car nous devons être en mesure, incontestablement, de proposer au père comme à la mère des solutions adaptées aux différentes périodes de l’existence et à la volonté du couple.
S’ajoute à cela la nécessité pour les foyers modestes d’une politique familiale plus juste ; nous avons œuvré en ce sens, mais nous pouvons encore aller plus loin. Je me refuse d’ailleurs à parler de familles monoparentales : j’emploie l’expression « mamans solos », car il importe de mettre des mots sur la réalité. Nous avons fait des progrès majeurs : service public des pensions alimentaires, intermédiation systématique, depuis janvier 2021, de ces pensions, ASF revalorisée de 50 %. J’ai entendu les commentaires concernant le cas de la mère refaisant sa vie avec quelqu’un qui n’est pas le père des enfants ; je prends note. Quant à la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG), qui assurera aux mamans solos un accompagnement non plus jusqu’à la sixième, mais jusqu’à la douzième année de l’enfant, je souhaite la voir opérationnelle en septembre.
S’agissant des allocations familiales, je rappellerai que seuls 11 % – les plus aisés – des 4,9 millions de bénéficiaires ont été concernés par la modulation des montants : la réflexion porte, encore une fois, sur les familles les plus modestes. La proposition de loi de la députée Anne Bergantz visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant mérite d’être considérée. Personne n’imagine que le désir d’enfant puisse tenir à un intérêt financier ; en revanche, c’est bien à la première naissance que se produit, au-delà de la découverte de la parentalité, un changement de vie qui entraîne des frais – ne serait-ce que l’acquisition d’un équipement amorti, si je puis dire, dès le deuxième bébé, quoique 45 % des familles ne comptent qu’un enfant. Je me tiens donc à votre disposition pour travailler à ce dossier et le faire progresser.
Il arrive également que l’on m’interpelle au sujet des familles de trois ou quatre enfants, celles dont le nombre diminue le plus – plutôt en faveur de deux enfants, la proportion des enfants uniques n’évoluant guère. Bien entendu, ce qui nous importe avant tout, je le répète, est d’accompagner le désir d’enfant, de plus en plus tardif – l’âge moyen au premier enfant est passé à 31 ans ; or, si ce désir reste éminemment intime, personnel, il est de notre devoir de rappeler les limites imposées par l’horloge biologique, quels que soient les progrès de la science.
Joël Bruneau a évoqué l’autre moitié, en quelque sorte, de notre société : celle qui vieillit. Chaque jour, 2 000 Français fêtent leurs 60 ans, alors que seulement 1 800 viennent au monde. Il y a là un déséquilibre démographique majeur ; bien loin de l’époque d’Ambroise Croizat, le nombre d’actifs par retraité est d’ores et déjà tombé à 1,1. Cet enjeu influe sur le modèle même de la famille multigénérationnelle, des liens qui existent en son sein, de l’accompagnement de ceux qui nous ont permis de devenir ce que nous sommes. La politique familiale ne s’arrête pas aux tout-petits : elle inclut tous les âges, évolue avec les besoins de la société, sans que nous perdions de vue notre mission première – soutenir toutes les familles. Il y a là un chantier immense.
Certes, ce gouvernement ne comprend pas de ministère exclusivement consacré aux familles, mais elles figurent dans l’intitulé du mien ; en outre, un haut-commissariat à l’enfance a été créé le 5 mars. Je tiens à souligner l’importance du tissu associatif, de la gouvernance, des comités de filière : nous devons conserver la capacité de travailler avec tous ceux qui s’impliquent dans ce domaine. C’est ensemble que nous partagerons une vision de la société, une responsabilité ; je remercie les corapporteurs de leur travail, de leur approche transpartisane. Notre défi concerne désormais la seconde partie du XXIe siècle : à nous d’être à la hauteur des grands anciens – peut-être nos successeurs parleront-ils un jour des anciennes qui auront fait évoluer la politique familiale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem. – Mme Karine Lebon, rapporteure, applaudit également.)
M. le président
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de chaque question et de chaque réponse est de deux minutes, sans droit de réplique. Il est rare que la présidence puisse limiter la parole des ministres !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Profitez-en !
M. le président
Je ne dis pas cela parce que vous avez été longue ! Au contraire, vous avez été parfaite !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous ai même fait gagner presque quatre minutes !
M. le président
Je rappelle que les questions seront posées depuis les travées et les réponses, données depuis le banc des ministres.
La parole est à Mme Perrine Goulet.
Mme Perrine Goulet (Dem)
Lors de mon intervention, j’ai rappelé combien il est important que la société tout entière se mette en ordre de marche pour accueillir l’enfant.
Votre portefeuille ministériel comprend les questions liées au travail. Or je suis convaincue que nous devons faire évoluer le travail et les mentalités des employeurs, pour permettre un meilleur accueil de l’enfant et la prise en compte de la parentalité. Nous devons mobiliser les employeurs au sens large, c’est-à-dire non seulement les entreprises privées, mais aussi les collectivités et les associations.
C’est pourquoi j’aimerais savoir si, dans votre feuille de route, vous prévoyez de créer un groupe de travail pour réfléchir à la manière d’inciter les entreprises à se pencher sur ces sujets. Ne pourrait-on pas envisager un label, dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui ferait des employeurs les « Amis des familles et des enfants », afin que les salariés choisissent leur entreprise en fonction de l’accueil qui serait fait à leur futur bébé ? Cette mesure représenterait une avancée intéressante pour la société, qui doit se mobiliser, à tous les étages, pour accueillir les enfants et faciliter la vie de leurs parents.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je voudrais, pour commencer, mettre en avant le travail des partenaires sociaux, qui sont très engagés sur le sujet et réfléchissent déjà à l’organisation des temps. Il s’agit d’un enjeu majeur sur lequel nous pourrions avancer afin de mieux articuler vie professionnelle et vie familiale – tout le monde a intérêt à agir en ce sens.
Nous devons effectivement évoluer et je voudrais partager avec vous une idée. Au-delà du congé de naissance, il faudrait que l’entreprise interroge la personne qui va partir pour accoucher sur ses intentions concernant son retour : souhaite-t-elle revenir rapidement ou, au contraire, prolonger son congé ? Cela permettrait de mieux anticiper l’avenir, tant pour l’entreprise que pour la personne concernée, et d’aborder la parentalité comme étant un enjeu très concret de la vie de la femme. Ce serait plus simple et cela permettrait de mieux se projeter, au lieu d’attendre la veille du retour présumé pour finalement annoncer qu’on souhaite prolonger son congé.
De très grandes entreprises françaises à vocation internationale appliquent déjà des politiques RSE ouvertes sur le sujet – je pense notamment à un groupe de cosmétiques bien connu, qui travaille aussi bien sur des questions de ménopause que de temps de travail.
Par conséquent, je suis prête à réfléchir à une meilleure articulation entre le travail et la période de grossesse, puis de retour dans l’entreprise. C’est, finalement, la parentalité dans l’entreprise.
M. le président
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau (LIOT)
Ma question ne porte pas sur la natalité mais sur la dépendance, inquiétude partagée par de nombreuses familles et qui, en matière de défi démographique, a souvent été abordée mais sur laquelle aucune décision définitive n’a été prise. Or le temps est venu de décider.
D’abord, parce qu’il s’agit d’une préoccupation partagée par l’ensemble de nos compatriotes, comme je viens de le dire. De nombreuses familles se retrouvent en grande difficulté pour prendre en charge les coûts d’hébergement d’un parent dépendant et sont contraintes de se constituer une épargne de précaution, participant ainsi moins qu’elles ne le pourraient à la vie économique de la nation.
Ensuite, parce que le système actuel n’est pas très juste. La récupération des prestations sociales sur le patrimoine de la personne décédée lors de la succession n’est pas appliquée à l’identique d’un département à l’autre. De plus, pourquoi récupérer sur la succession de celui qui a fait l’effort de se constituer un patrimoine et laisser la collectivité assumer le coût de l’hébergement dans un établissement pour celui qui, à revenu égal, n’a pas consenti cet effort ?
J’aimerais donc connaître vos intentions en matière de financement de la dépendance. N’est-il pas temps de regarder la réalité en face et d’instaurer un système d’assurance obligatoire, qui tiendrait compte des capacités contributives de chacun et permettrait de mutualiser le risque au bénéfice de tous ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Il s’agit clairement d’un enjeu de taille, puisque la France compte actuellement 2,5 millions de personnes dépendantes et que ce chiffre devrait s’élever à 3,5 millions, voire 4 millions, en 2050.
La réflexion est ouverte, mais aucune décision n’a été prise pour le moment. Néanmoins, je travaille avec les équipes sur un plan lié au virage démographique, autour de trois volets : le premier concerne la petite enfance et toutes les questions qui s’y rattachent – infertilité, mode de garde, aide sociale à l’enfance et ainsi de suite ; le deuxième s’intéresse à l’emploi des jeunes et des seniors, ainsi qu’aux questions de santé, y compris sur chacun des bassins de vie ; enfin, le troisième porte sur le grand âge.
Pourquoi le grand âge ? Si la courbe démographique forme un plateau jusqu’en 2030, nous savons que nous aurons ensuite une explosion du nombre de personnes en situation de dépendance – permettez-moi, à ce titre, de mentionner une très belle publication du premier ministre, alors haut-commissaire au plan, intitulée « Quand les babyboomers auront 85 ans », c’est-à-dire en 2030.
Nos concitoyens souhaitent pouvoir vieillir chez eux. Encore faut-il leur apporter des réponses concrètes : il existe d’abord les établissements médico-sociaux, à l’échelle du bassin de vie et, pour les cas plus lourds, l’hospitalisation à domicile ; il y a également les centres de ressources territoriaux (CRT) qui accompagnent les personnes âgées à leur domicile le plus longtemps possible, jusqu’au moment limite où elles ne peuvent plus rester chez elles ; ensuite, nous avons les Ehpad. Nous devrons réfléchir à l’accueil en Ehpad et trouver des réponses en matière de financement. C’est pourquoi, à ce stade, aucune solution n’est à écarter.
M. le président
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
Un berceau vide et des vies brisées, voilà ce que signifie pour 2 800 familles la mortalité infantile en France en 2024. Depuis 2020, la hausse de la mortalité infantile est vertigineuse. La France, qui a longtemps figuré dans le trio de tête, est maintenant classée vingt-troisième sur vingt-sept en Europe, entre la Pologne et la Bulgarie. Dans notre pays, 4,1 nouveau-nés sur 1 000 décèdent avant d’avoir soufflé leur première bougie ; 2 000 de ces enfants meurent même avant leur premier mois de vie !
Cette situation est d’abord due au fait que la distance n’a cessé d’augmenter entre les maternités et les femmes : 75 % des maternités ont fermé en cinquante ans et dix départements ne comptent plus qu’une seule maternité. Or une étude démontre qu’un temps de trajet supérieur à 45 minutes double le taux de mortalité périnatale.
Cela fait huit ans qu’Emmanuel Macron est à la tête du pays ; huit ans de hausse ininterrompue de la mortalité infantile ! Qu’avez-vous fait, madame la ministre, depuis que vous êtes aux responsabilités, pour endiguer cette terrible réalité ? Rien ! Au contraire, vous l’accélérez, en continuant de fermer des maternités, en rognant dans les budgets et en dégradant les conditions de travail des soignants. Pour les familles les plus précaires, la réduction de la protection maternelle et infantile fait des ravages, alors que la pauvreté explose.
Pire, vous osez parler de réarmement démographique – le même terme qu’utilise Viktor Orbán, qui s’en prend au droit à l’avortement, en Hongrie – alors que vous êtes incapables de mener une politique de santé publique capable de garder en vie les enfants qui naissent.
Constater ce fléau ne suffit pas. Quand agirez-vous, madame la ministre, face au scandale de la mort avant la vie ? Permettez-moi de vous poser deux questions précises : envisagez-vous, enfin, d’instaurer le registre national des naissances, pour que le système de santé périnatale cesse de fonctionner à l’aveugle ? Vous engagez-vous à consentir, au moins, un moratoire sur la fermeture des maternités, alors que l’Académie de médecine prône encore la fermeture de 111 d’entre elles, au risque de mettre en danger la santé des mères et des nourrissons ? (M. Louis Boyard applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je partage les chiffres que vous avez cités. La mortalité infantile des enfants de 0 à 1 an augmente depuis dix ans : alors qu’elle était de 3,5 ‰ en 2014, elle est de 4,1 ‰ en 2024. Les mauvais résultats de la mortalité infantile sont principalement dus à l’augmentation de la mortalité néonatale, qui en représente les trois quarts. La France se classe au vingtième rang sur vingt-huit, proche de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
La difficulté est d’apporter des réponses concrètes sur plusieurs points : les situations de précarité, l’accroissement des grossesses multiples ou encore la hausse de l’âge des mères. Il y a aussi des disparités géographiques, avec un nombre de lits de réanimation néonatale pour 1 000 naissances qui varie du simple au double selon les territoires. C’est clairement un premier sujet qui me préoccupe et sur lequel je souhaite apporter des réponses concrètes.
Le deuxième point, c’est que l’offre de soins critiques néonatals reste insuffisante, alors que le nombre de grossesses poursuivies lorsque le fœtus est atteint d’une malformation a bondi en dix ans de 200 % – c’est dire si nous devons garder ce sujet à l’esprit.
Troisièmement, les taux d’occupation sont très élevés puisqu’ils atteignent 95 % dans près de la moitié des unités de lits de réanimation ; sur 20 % du temps, celles-ci sont même occupées à près de 100 %.
Par ailleurs, les postes de pédiatre en néonatalogie pâtissent d’un manque d’attractivité…
Mme Mathilde Panot
Vous ne parlez pas du registre national des naissances !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Laissez-moi terminer – je n’en suis pas encore à deux minutes ! Je suis en train d’instaurer les registres de naissances et de décès, et de déployer, au niveau local, des revues de morbi-mortalité, de façon à étudier chacun des décès. C’est ainsi que nous pourrons apporter des réponses concrètes.
Dernier point : vous connaissez le débat lié au nombre d’accouchements dans les maternités. L’Académie de médecine préconise de fermer celles qui pratiquent moins de 300 accouchements par an, en raison d’un manque d’expertise et d’expérience. Là est le cœur du débat. (Mme Anne Bergantz applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard (LFI-NFP)
Depuis le début, j’ai le sentiment que vous essayez d’esquiver la question qui vous a été posée par de nombreux parlementaires concernant le réarmement démographique.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Pourquoi ?
M. Louis Boyard
Permettez-moi d’expliquer pourquoi ce terme a choqué. Lorsque le président de la République parle de réarmement démographique, il parle de l’intime : il parle des utérus, des femmes et de leur corps, qui leur appartient à elles seules. Toutefois, il parle de l’utérus comme d’une arme. C’est une forme de déshumanisation des femmes qui les réduit à leur rôle de génitrices, comme le disait Napoléon, et qui fait écho à une longue histoire française : j’aimerais vous citer l’article 1124 du code civil napoléonien qui indiquait que « les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux », l’article 213, selon lequel « la femme doit obéissance à son mari », ou encore cette citation de Napoléon : « Les femmes sont faites pour l’intimité de la famille […]. »
Il y a donc une longue histoire, en France et dans le monde, qui vise à réduire les femmes à un rôle familial. Heureusement, les combats féministes ont permis de sortir de cette situation. Pas totalement, néanmoins, puisqu’en parlant de réarmement démographique, Emmanuel Macron fait peser sur les femmes la charge d’élever l’enfant. En effet, ce sont elles qui assument, trop souvent, les plus grandes charges : 47 % des mères réduisent leurs activités, contre 6 % des pères ; elles consacrent cinq heures par jour en moyenne au travail domestique, contre deux heures pour les pères. Et je ne parle même pas des 30 % de différence de salaire entre les femmes et les hommes.
Pour terminer, j’aimerais évoquer l’extrême droite, qui se déchaîne sur la question du réarmement démographique. C’était intéressant d’entendre le Rassemblement national parler d’enjeu de civilisation, – exactement comme Trump –, et de constater qu’il est favorable à un ministère de la natalité. J’aimerais faire le parallèle avec la Hongrie, pays dans lequel les femmes ont disparu de la politique au profit de la famille, c’est-à-dire que la cause des femmes a été remplacée par les politiques familiales.
Ma question est donc simple : contestez-vous, madame la ministre, le terme de réarmement démographique, utilisé par le président de la République ?
Mme Mathilde Panot
Brillant !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous remercie pour votre question. Cela ne vous aura pas échappé : je suis une femme, je suis mère et je suis une femme politique. J’ai été élue députée le dimanche, j’ai accouché le mardi. Je ne m’étendrai pas sur ma vie – cela n’a aucun intérêt –, mais je veux dire que je fais partie de ces femmes qui considèrent qu’on ne doit jamais renoncer à rien et qu’on doit prendre, plutôt que d’attendre qu’on nous donne. C’est cela, la vie des femmes – cela commence par là.
Tout à l’heure, j’ai évoqué les hommes qui parlaient des femmes, mais en définitive, celle qui a le mieux parlé des femmes, c’est Simone Veil – nous nous retrouvons sur ce point. Tout le monde lui a rendu hommage et a salué son travail. Les mots ont un sens, bien sûr, mais ce qui est encore plus fort, c’est l’action. J’ai un rêve et je vais le partager avec vous : que sur ce sujet, nous arrivions à nous retrouver. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et Dem.)
M. Louis Boyard
Vous n’avez pas répondu à ma question !
M. le président
La parole est à M. Christian Girard.
M. Christian Girard (RN)
La politique familiale en France se trouve dans un état gravissime : nous connaissons un effondrement démographique, une baisse de la conjugalité et un vieillissement de la population. Les politiques sociales ont été gérées de manière erratique, au détriment d’une politique familiale saine. Le crépuscule démographique que nous subissons compromet par ricochet notre système de retraite. Dans ce domaine qui touche à l’intimité des familles – les cellules de base de la société –, l’État doit rester à sa place ; il ne peut s’immiscer dans leur vie privée. Toutefois, il est de sa responsabilité de soutenir la fécondité et de garantir le renouvellement des générations, dans un souci de justice distributive.
Les gouvernements successifs ont lamentablement échoué dans le soutien aux familles : ils ont complexifié les aides et entravé leur libre choix. Une étude récente a estimé à 264 000 euros le coût d’un enfant pour ses parents. De tels chiffres découragent financièrement les couples d’avoir des enfants et pèsent sur les esprits. L’État se doit de soutenir les familles : l’accueil de l’enfant ne doit plus être perçu comme un fardeau – une charge administrative ou financière –, mais comme une joie et une chance.
Des solutions existent : rebâtissons une politique familiale fondée sur la liberté, la simplicité et la pérennité ; rétablissons, sans pour autant tendre vers l’assistanat, l’universalité des allocations familiales pour alléger la perte de pouvoir d’achat après l’arrivée d’un enfant ; restaurons un quotient familial juste, étendu à la contribution sociale généralisée (CSG) – montrons-nous fidèles à notre Constitution ; facilitons la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale par un congé parental souple ; adaptons le logement en boostant l’offre locative privée tout en allégeant les normes et la fiscalité.
Ces mesures, qui ne représentent pas un coût excessif, mettraient un terme au déclin démographique de la France. Comment envisagez-vous d’encourager la conjugalité, de soutenir les familles et de favoriser l’accueil de l’enfant ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
J’ai déjà répondu à certaines de vos questions au fil de mes réponses précédentes. Je reviendrai sur plusieurs points.
D’abord, nous voulons proposer aux futurs parents, ou aux futures mères, une consultation prénatale pour les accompagner – c’est l’un des sujets sur lesquels il est possible d’avancer.
Ensuite, j’ai souligné l’importance de la flexibilité en matière de modes de garde. J’ai évoqué la participation des femmes au marché du travail et le renforcement de l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Cela n’exclut pas les hommes – dans le cadre des congés de naissance, nous devons permettre des choix alternatifs au sein du couple en fonction des souhaits de chacun, ce qui doit s’accompagner d’un développement de l’offre de modes de garde.
S’agissant des prestations en faveur des familles, je citerai quelques chiffres – je me réfère au périmètre du compte de l’enfance : les prestations d’entretien de l’enfant représentent 20,8 milliards d’euros, le maintien et compléments de rémunération, 7,5 milliards ; les prestations d’accueil du jeune enfant, 17,7 milliards ; l’aide sociale à l’enfance, 7,5 milliards ; les prestations d’action sociale, 2,2 milliards ; les prestations liées au handicap de l’enfant, 7,3 milliards. On arrive à un total de 63 milliards.
En outre, la prise en compte des enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu et les avantages différés en matière de droits familiaux de retraite, qui entrent dans le champ de la politique familiale, représentent respectivement 12,8 milliards et 20,7 milliards – ce sont des montants très importants. La dépense sociale en faveur des enfants sur le périmètre étendu représente 4,7 % du produit intérieur brut.
Bien sûr, tout est perfectible – nous pouvons aller plus loin –, mais il n’est pas possible de dire que rien n’est fait actuellement.
M. le président
La parole est à Mme Anne Sicard.
Mme Anne Sicard (RN)
La tendance des no kids zones – les zones sans enfant –, qui prend une ampleur démesurée dans les transports, les restaurants et les fêtes, reflète une société en quête de tranquillité à tout prix, qui refuse le principe même de la continuité historique, de la transmission et du renouvellement des générations. Bien qu’il soit légitime de rechercher des espaces calmes, l’interdiction pure et simple des enfants soulève des questions éthiques importantes. Ne sont-ils pas des membres à part entière de notre communauté ?
Exclure les enfants équivaut à nier le concept même de famille. Cela crée des clivages entre générations et véhicule l’idée que certaines personnes, en raison de leur âge ou de leur comportement supposé, sont indésirables. En élargissant cette logique, où tracera-t-on la ligne dans le futur ? Aujourd’hui, les enfants, demain, les personnes handicapées ou les personnes âgées : peut-on imaginer des lieux festifs et des trains sans personnes handicapés et sans personnes âgées ? Devons-nous vraiment accepter une société où certaines catégories de population sont systématiquement marginalisées, sous prétexte de préserver le confort de quelques-uns ? Cette ségrégation va à l’encontre de notre modèle de société fondé sur la transmission et la famille.
Faut-il rappeler que nous traversons une crise démographique préoccupante ? Les familles sont le pilier de la cohésion sociale ; les affaiblir revient à fragiliser la société dans son ensemble. Nous avons évoqué le réarmement démographique dont la France a besoin. Comme le dit Laurence Rossignol, qui défend une proposition de loi visant à reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination afin de promouvoir une société ouverte aux enfants, il est nécessaire de défendre l’idée que les enfants sont les bienvenus dans notre société – quand on exclut les enfants, on exclut également les familles.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir que l’espace et les services publics restent accessibles à toutes les familles – enfants compris –, sans discrimination ? Soutiendrez-vous la proposition de loi de Laurence Rossignol pour éviter que la France devienne le pays où l’on exclut ceux qui incarnent son avenir ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je suis très intéressée par vos propos. Vous parlez à juste titre d’une société inclusive – c’est très important. « La force d’une nation réside dans sa cohésion », disait Jacques Chirac en 2002, dans le discours de Troyes. Il ajoutait ensuite : « Son moteur, c’est l’égalité des chances. » Nous devons avoir la capacité de faire grandir la société avec la richesse de tout ce qui la compose. Les enfants en font partie : comme l’a souligné Perrine Goulet, une société qui met en avant la parentalité et la place des enfants doit s’assurer qu’ils soient accueillis dans tous les lieux publics, y compris dans les transports.
Nous devons aller encore plus loin. Mme Goulet a évoqué la ville amie des enfants ; la haute-commissaire à l’enfance m’en a parlé également. Les labels apportent une reconnaissance : ils ne changeront pas tout, mais ils permettent d’afficher une volonté politique et de souligner l’importance que l’on accorde à un phénomène. Cela mérite d’être considéré.
J’ai besoin d’étudier plus en détail la proposition de loi de la sénatrice Laurence Rossignol mais, connaissant son engagement sur le sujet, je ne suis pas surprise. Son texte alimentera nos réflexions.
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
L’échec du dispositif actuel de congé parental ne fait pas débat. Depuis de nombreuses années, les rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), du Haut Conseil de la famille ou encore du Sénat ont démontré son inefficacité, notamment en ce qui concerne le meilleur partage du congé entre les pères et les mères.
Dans ce contexte, nous accueillons favorablement l’annonce, le 3 mars, de la poursuite du travail sur la réforme du congé parental. Vous avez d’ores et déjà annoncé que ce congé réformé serait plus court mais mieux rémunéré. Si le montant actuel est clairement insuffisant et déconnecté des besoins des familles, le raccourcissement du congé ne va pas de soi. Quand la réforme a été annoncée en 2023, 45 % des Français interrogés s’étaient déclarés défavorables à un congé parental raccourci mais mieux rémunéré ; seuls 33 % s’y étaient déclarés favorables.
Par ailleurs, il n’est pas certain qu’une meilleure indemnisation soit suffisante pour provoquer enfin un réel partage du congé entre les parents. Une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) a en effet souligné que le recours à un congé paternité est plus faible aux deux extrémités de l’échelle sociale. Du côté des salariés les plus modestes, les pères indiquaient avoir peur des conséquences d’un congé paternité sur leur carrière professionnelle ; les détenteurs des plus hauts salaires invoquaient quant à eux le surinvestissement professionnel lié à des postes de direction.
Faudra-t-il maintenir un système tout à la fois incitatif et pénalisant, qui n’a vraisemblablement pas fait ses preuves ? Ne serait-il pas opportun de réformer les congés maternité, paternité et parental dans leur ensemble, comme le préconise d’ailleurs l’Igas, en vue d’atteindre le premier anniversaire de l’enfant, à partir duquel sa socialisation peut être envisagée avec plus de bénéfices ?
Enfin, la recherche d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle au sein des entreprises mériterait d’être abordée par la négociation collective. La nécessaire réforme du congé parental doit s’inscrire dans une réflexion plus large, qui inclut non seulement l’accueil du jeune enfant, mais aussi l’égalité et le travail. C’est pourquoi votre annonce selon laquelle cette réforme pourrait être inscrite dans un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) nous déçoit : un tel enjeu mériterait un projet de loi de politique familiale embrassant les thèmes de l’égalité entre les femmes et les hommes, des congés parentaux dans leur ensemble et de l’accueil de la petite enfance. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et EcoS.)
M. le président
Vous êtes arrivés après terme, monsieur Lecoq !
M. Jean-Paul Lecoq
Cela permet la qualité !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Vos propos sont toujours de qualité. Vous l’aurez compris en m’écoutant, l’objectif est de parvenir à une solution permettant aux familles d’avoir le choix, en combinant le congé de naissance avec un congé parental plus long. Je reviendrai sur trois éléments.
D’abord, la réforme du complément de libre choix du mode de garde, qui permettra de soutenir les familles, notamment les plus en difficulté, comprend trois volets. L’extension du CMG aux frais liés à la garde d’enfants âgés de 6 à 12 ans, pour les familles monoparentales, représente une vraie avancée – le coût de cette mesure s’élève à 450 millions par an. Pour les familles modestes et celles qui ont un fort recours à la garde, les règles de calcul seront modifiées afin de réduire le reste à charge, ce qui rendra le dispositif plus incitatif. En cas de résidence alternée, le CMG sera partagé pour éviter l’inégalité entre le parent qui bénéficie de la prestation et l’autre parent – cette évolution était très attendue.
Ensuite, s’agissant du congé de naissance, je souhaite instaurer un allongement volontaire des congés maternité et paternité. La compensation serait dégressive – elle pourrait s’élever à 70 % le premier mois supplémentaire et à 60 % ensuite. Ainsi, la rémunération serait plus forte que ce qui avait été envisagé précédemment.
Enfin, je souhaite optimiser le congé parental : le taux plein serait maintenu en cas de reprise d’une formation rémunérée et le montant forfaitaire serait augmenté la première année, peut-être avec une dose de dégressivité. Les femmes doivent pouvoir alterner garde d’enfant et retour à l’emploi. Il s’agit de leur permettre de réaliser leur souhait d’avoir des enfants tout en limitant les conséquences de ce choix sur leur vie personnelle et professionnelle – un élément majeur d’égalité des chances.
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour une seconde question.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Lorsque nous discutons avec les jeunes dans nos circonscriptions respectives, le premier sujet qu’ils évoquent n’est pas le congé parental, ni aucun des points que nous venons d’aborder.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je m’en doute…
M. Jean-Paul Lecoq
Leur première question porte sur l’avenir réservé à leurs enfants, dans l’hypothèse où ils en auraient : sur quelle planète allons-nous les faire vivre ? Quelle planète allons-nous leur laisser ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je suis d’accord avec vous.
M. Jean-Paul Lecoq
Ils se demandent aussi – la période s’y prête, malheureusement – comment éduquer des enfants dans un monde qui ne garantit pas la paix. Si nous ne progressons pas dans ces domaines, nous ne progresserons pas en matière de natalité.
D’autre part, mon épouse et moi avons eu la chance d’éduquer nos enfants dans une ville où l’accès aux centres de loisirs, aux colonies de vacances, aux écoles d’art, à l’école de musique et à la médiathèque était gratuit, où les transports en commun étaient eux aussi presque gratuits – j’ai essayé de convaincre mon voisin, le maire du Havre, de mener une politique analogue, mais il n’a pas encore craqué. (Sourires.) Les familles considéraient que l’endroit était propice à l’éducation de leurs enfants. Or les communes, dont le budget régresse, ne sont plus à même d’offrir tous ces services dans ces conditions.
Pour terminer, j’aborde une question qui n’a rien à voir. Nous avons beaucoup parlé des femmes ; j’aimerais que nous parlions des hommes. Il semblerait que le nombre d’hommes ayant la capacité naturelle de procréer diminue.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Oui.
M. Jean-Paul Lecoq
Ainsi que me l’ont expliqué des spécialistes du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen, le fait d’avoir en permanence un ordinateur portable ou une console de jeux sur les testicules réduirait la puissance des spermatozoïdes. J’ai été surpris de l’apprendre, mais cela mérite que la ministre de la santé se renseigne. Si tel est le cas, il semble urgent d’informer, notamment dans les lycées et les universités, qu’utiliser des appareils électroniques de la sorte peut poser un problème à l’avenir.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Beaucoup de jeunes garçons et filles s’interrogent effectivement sur l’opportunité de faire naître un enfant dans ce monde. C’est une question importante, que l’on entend souvent. J’ai moi-même évoqué dans mon intervention liminaire les facteurs que je qualifierai de sociétaux. Il est certain que le bruit de bottes ambiant n’aide pas. Quant aux sujets environnementaux, ils sont déjà mis en avant depuis un certain temps.
J’évoque les sujets environnementaux aussi parce qu’ils sont reconnus comme l’une des causes de l’infertilité masculine. Je l’ai dit précédemment, parmi les causes de l’infertilité, un tiers est lié aux hommes, un tiers est lié aux femmes et un tiers est lié au couple. C’est dire l’importance de ces questions. Je le redis, j’ai reçu avec beaucoup d’intérêt le professeur Samir Hamamah et consulté ses travaux.
Nous allons lancer un grand plan relatif à la fertilité. Une des priorités est effectivement l’information. Il faut expliquer à nos concitoyens les conséquences de certaines expositions. Je pense notamment aux perturbateurs endocriniens, sujet désormais clairement documenté. Les produits que l’on choisit et l’utilisation que l’on en fait ont une incidence.
Nous sommes dans une période de prise de conscience de la société sur ces questions. Je vous renvoie aux débats que vous avez eus récemment dans cet hémicycle sur certains textes de loi. Nos concitoyens n’ayant pas tous accès au même degré d’information, nous avons un rôle majeur à jouer à cet égard. En matière de santé – autre volet de mon portefeuille, auquel vous avez fait allusion –, notre première responsabilité est la prévention. Chacun de nous a un capital santé qu’il lui appartient d’entretenir, ce qui vaut aussi pour la fertilité.
M. le président
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu (SOC)
Lorsque l’on s’interroge sur les freins à la natalité et sur les politiques familiales, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion de fond sur les modes d’accueil des très jeunes enfants. Vous en avez beaucoup parlé dans votre intervention, madame la ministre, et je vous en remercie. Les politiques publiques de soutien aux crèches et à l’accueil individuel sont indispensables, car elles permettent aux parents de concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle, favorisent l’égalité entre les femmes et les hommes, et garantissent aux jeunes enfants un accueil de qualité, apportant des réponses rapides et adaptées à leurs besoins individuels.
Pourtant, force est de constater que le modèle économique des crèches est à bout de souffle. Conçu pour favoriser la création de places, le mode de financement actuel, à savoir la prestation de service unique (PSU), n’est plus adapté aux besoins des familles. Il produit des dérives graves, à la fois pour la qualité de l’accueil et pour les finances publiques. La PSU oblige les gestionnaires de crèche à optimiser en permanence le niveau d’occupation de chaque structure et ne les incite pas à améliorer la qualité de l’accueil proposé aux enfants.
Madame la ministre, nous avons travaillé ensemble sur un texte visant à lutter contre la financiarisation du secteur des crèches, notamment sur des mesures à l’égard des crèches privées à but lucratif. Je vous remercie pour le travail de bonne qualité que nous avons alors accompli en commun.
Il convient désormais de nous interroger sur une réforme structurelle du mode de financement. En effet, celui-ci ne garantit pas la pérennité économique des structures. Les coûts de fonctionnement des crèches sont en train d’exploser et l’évolution des financements de la branche famille n’a pas suivi l’inflation. Une réforme structurelle s’impose. Elle est attendue, vous le savez, par l’ensemble des acteurs. Où en êtes-vous des travaux à ce sujet ? Envisagez-vous de revenir à un financement forfaitaire, par exemple à la demi-journée, pour les structures d’accueil du jeune enfant, ainsi que l’a préconisé le rapport de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous connaissons tous les limites du mode de financement actuel de l’accueil du jeune enfant. Nous avions eu l’occasion de l’évoquer ensemble lors de l’examen de votre proposition de loi. Nous constatons que la PSU a atteint ses limites. En effet, en dépit de certains assouplissements, la logique de facturation horaire continue à induire de très importantes lourdeurs. Quant aux microcrèches Paje, leur coût demeure élevé pour les familles, ce qui pose une réelle difficulté. Nous devons travailler sur ce mode de financement ; c’est un élément majeur si nous voulons redynamiser la création de places, sachant que 30 % des besoins de garde d’enfant ne sont pas couverts.
J’ai donc ouvert ce chantier, en commençant par une approche technique consistant à mettre à plat tous les mécanismes. Avant l’été, nous lancerons une consultation des élus et proposerons des éléments de réforme, d’abord sur une base expérimentale – c’est important du point de vue des élus –, avant une éventuelle généralisation.
Je profite de cet échange pour affirmer que jamais je ne sacrifierai la sécurité des enfants à des considérations tarifaires. C’est la raison pour laquelle j’ai signé le décret mettant fin au régime dérogatoire des microcrèches. Il convient en la matière de suivre les recommandations des rapports que nous avions commandés. La sécurité des enfants est pour moi un enjeu majeur.
M. le président
La parole est à Mme Céline Hervieu, pour une seconde question.
Mme Céline Hervieu (SOC)
Je vous rejoins tout à fait, madame la ministre, en ce qui concerne le décret qui a harmonisé les normes pour les microcrèches.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Merci.
Mme Céline Hervieu
Le référentiel de la qualité d’accueil du jeune enfant est en cours de finalisation. Il est prévu qu’il soit publié par décret. Quand cette publication interviendra-t-elle ?
Compte tenu de la méthode retenue pour son élaboration, ce référentiel est assez dense ; il compte une centaine de pages. D’après les premiers éléments que j’ai pu recueillir, les acteurs de terrain s’inquiètent de la manière dont ils vont pouvoir l’utiliser et en tirer des mesures opérationnelles. Il ne faudrait pas que ce référentiel, dont l’élaboration a pris du temps, ne soit finalement pas utilisé et que rien ne change.
Je ne peux pas faire abstraction de la question de la pénurie de professionnels et de l’attractivité des métiers. Elle est sur la table depuis longtemps ; le comité de filière petite enfance y travaille. Où en est-on en la matière ? A-t-on identifié des pistes pour lutter contre cette pénurie ?
En cas de manque de personnel, les gestionnaires peuvent faire appel à l’intérim, mais cela leur coûte très cher. Dans les crèches, on le sait, s’applique un principe de référencement. Ne pourrait-on pas étendre aux crèches les règles qui encadrent le recours à l’intérim dans les structures hospitalières ? Elles imposent un niveau minimal de qualification et d’expérience.
S’agissant des assistantes maternelles, je tiens à relayer l’inquiétude exprimée par Mme Annick Bouquet, présidente de la commission petite enfance de l’association France urbaine : alors que les crèches familiales sont un modèle intéressant et un véritable levier d’attractivité pour les assistantes maternelles – à qui elles permettent de travailler dans un cadre pluridisciplinaire –, il existe manifestement un blocage à cause d’un décret qui empêche les expérimentations innovantes en la matière. Êtes-vous au courant du problème ? Comment comptez-vous y remédier ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Le référentiel de la qualité d’accueil du jeune enfant est prêt ; il est en train d’être maquetté. Dans un premier temps, il sera mis en ligne à l’attention des professionnels, afin que ceux-ci se l’approprient et fassent un retour. Ensuite, il sera publié par arrêté. Cela aura lieu dans les quinze jours qui viennent.
L’Igas remettra à la fin du mois d’avril un rapport sur les crèches familiales. Nous avons plutôt bien avancé sur cette question aussi.
Vous avez raison d’évoquer l’attractivité, car c’est probablement le sujet le plus compliqué. Pour les crèches PSU, nous avons instauré un bonus attractivité, de 150 euros dans le privé et de 100 euros dans le public. Nous facilitons la validation des acquis de l’expérience (VAE), point très important pour nous. Pour les assistantes maternelles, nous avons doublé la prime d’installation et prévu la prise en charge de deux mois de salaires impayés.
Surtout, nous travaillons pour faciliter l’ouverture des maisons d’assistants maternels, qui constituent une réponse intéressante. On se rend compte que les professionnels éprouvent de plus en plus le besoin de travailler en groupe. On peut d’ailleurs faire une analogie avec les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) : un nombre croissant de jeunes médecins déclarent ne pas vouloir travailler seuls. De même, les jeunes assistantes maternelles expliquent que le fait de se relayer dans une MAM leur permet de diversifier les activités proposées aux très jeunes enfants. Le fait de ne plus travailler chez elles est un changement considérable. L’accueil au domicile devient de plus en plus rare, les assistantes maternelles préférant travailler dans un lieu professionnel, en quelque sorte.
M. le président
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin (EcoS)
Madame la ministre, vous avez cité Ambroise Croizat et le général de Gaulle. La sécurité sociale a été créée après guerre pour nous protéger contre trois grands risques : la maladie, les accidents et la vieillesse – celle-ci étant non pas un risque, mais une chance. En revanche, ses fondateurs n’avaient pas prévu un quatrième risque, bien réel, qui frappe des millions de nos concitoyens : la séparation. Celle-ci fait désormais partie de la vie conjugale et familiale, le nombre de séparations s’établissant à 400 000 chaque année. Aujourd’hui, une famille sur quatre est une maman solo ; une famille sur dix est recomposée.
Or la séparation est un moment de fragilité, non seulement psychologique, mais aussi économique et sociale : les revenus sont divisés, voire chutent, alors même qu’il faut trouver un deuxième logement. Et ce sont les femmes qui souffrent le plus de cette fragilité économique. Dans 80 % des cas, elles héritent des enfants, ce qui représente un coût non seulement pour elles, mais aussi et surtout pour les enfants. Ainsi, près d’un enfant sur deux élevés par une maman solo vit sous le seuil de pauvreté. C’est le double de la proportion constatée pour l’ensemble des enfants, qui est déjà trop élevée.
Le pire, c’est que l’État renforce cette inégalité par sa fiscalité : côté père, la pension alimentaire est défiscalisée ; côté mère, les revenus sont fiscalisés. Entendez-vous peser pour réformer ces règles ?
Cette fiscalité, c’est comme si la société ne s’était pas adaptée à ces nouvelles normes et au nouveau mode de fonctionnement des familles. Or le rôle du politique est selon moi d’aider et de soutenir dans les moments de risque tels que la séparation, d’amortir les chocs et les chutes, voire de les prévenir. La vie de couple n’est jamais facile. Des villes comme Viroflay proposent dans leur mairie du conseil conjugal, afin que les hommes et les femmes se parlent, disent leurs difficultés, envisagent des options et des solutions, et que, s’ils se séparent, ils le fassent dans la compréhension et la discussion, non dans les cris et les coups. Dès lors, pourquoi ne pas créer une « maison des cœurs brisés », un « France séparation », qui offrirait un accompagnement à ce moment-là ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je ne me prononcerai pas sur la beauté de la dénomination « maison des cœurs brisés », mais vous appelez notre attention sur un phénomène de société que l’on ne peut ignorer. Si je vous disais que j’ai tout prévu et que je déroulais un plan d’action en trois parties, vous seriez surpris, et vous auriez raison !
Nous nous interrogeons en ce moment sur l’évolution de notre modèle social. Je vous renvoie à Ambroise Croizat, avec tout le respect que j’ai pour ce qui a été réalisé à cette époque.
M. Jean-Paul Lecoq
Ministre communiste, il faut le rappeler à chaque fois !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je sais, monsieur Lecoq. C’est le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), promu à la fois par Ambroise Croizat et par le général de Gaulle, donc tout le monde s’y retrouve. Reconstitution de ligue dissoute…
M. Jean-Paul Lecoq
Voilà !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Quatre-vingts ans après, nous réfléchissons légitimement sur le sujet. Je ne vais certes pas vous proposer de créer une sixième branche de la sécurité sociale – je n’en suis pas là – mais je reconnais qu’il convient de nous interroger sur la pertinence des dispositifs existants.
Vous m’avez posé plusieurs questions. Je ne vous répondrai pas sur le sujet du logement même si, à titre personnel, je pense que l’augmentation du nombre de séparations et le doublement du nombre de logements nécessaires qui en découle expliquent une partie de la crise du logement.
M. Jean-Paul Lecoq
C’est vrai !
Mme Catherine Vautrin, ministre
S’il faut probablement envisager la défiscalisation des pensions alimentaires, nous donnons la priorité à la question de leur paiement, souvent problématique – vous le savez comme moi –, et à celle de leur réévaluation. Agissons étape par étape !
Nous pouvons réfléchir à des lieux d’accueil, étant observé que des lieux de médiation existent déjà – vous connaissez trop le terrain pour que je vous le rappelle. Ces lieux accueillent des parents dont la situation est tellement complexe qu’ils ne peuvent pas se voir ensemble avec leurs enfants sans un intermédiaire, ce qui est brutal. Ma ville est dotée de ce type de structures ; il y en a sûrement dans votre circonscription, à Abbeville ou ailleurs. Cela constitue peut-être une première piste de réponse à vos interrogations. Du point de vue de l’intérêt des enfants, il est bon de mettre en place tout ce qui permet un minimum de dialogue entre les parents, dans le respect des choix de vie qui sont les leurs.
M. le président
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin (EcoS)
Lors d’un déplacement à Amiens, Emmanuel Macron a déclaré : « [N]ous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse. » De fait, la promesse fut tenue : il n’y a pas eu et il n’y a pas de politique pour la jeunesse. Or, si on veut des bébés, si on veut encourager la natalité, il faut une politique pour la jeunesse, les jeunes couples, les jeunes adultes, pour tous ceux qui sont en âge de procréer.
Nous assistons aujourd’hui à un écrasement de la jeunesse. Vous connaissez la loi du marché : ce qui est rare est cher. En matière démographique, tous les démographes le disent, c’est quasiment l’inverse : ce qui est rare est écrasé. Actuellement, la jeunesse subit un écrasement social, avec un taux de pauvreté deux fois supérieur à celui du reste de la population, un écrasement professionnel, avec un taux de chômage également deux fois supérieur à celui des Français en général, un écrasement moral puisqu’un tiers des jeunes souffrent de dépression, et un écrasement politique, avec quatre fois moins de votants parmi les jeunes que dans les autres tranches d’âge.
Que faire pour sortir la jeunesse de cet écrasement ? Pendant la crise du covid, j’avais proposé une espèce de contrat intergénérationnel à l’image de ce que nous avons fait pour les personnes âgées. Autrefois, dans les classes populaires, on vieillissait dans la misère, c’était une sorte de fatalité. Le programme du CNR a permis de la battre en brèche parce qu’on est passé d’une solidarité familiale à une solidarité nationale et à une solidarité sociale. Aujourd’hui les choses se sont inversées : c’est presque une fatalité, quand on est jeune, de vivre dans la pauvreté. Je pense qu’ici aussi, nous devrions passer d’une solidarité familiale à une solidarité sociale et nationale.
Au moment de la crise du covid, Emmanuel Macron avait dit : « Nous travaillons pour qu’en avril 2025 puisse paraître une Une sur notre jeunesse qui aurait tourné la page de la pandémie. » Quatre années se sont écoulées et la date fatidique approche : c’est la semaine prochaine. Alors, d’ici quelques jours, quelle Une comptez-vous publier ? Avec quels chiffres ? En effet, je l’ai dit, les taux de pauvreté des jeunes sont toujours deux fois plus élevés que ceux des autres tranches d’âge, les taux de chômage deux fois supérieurs, 75 % des jeunes jugent l’avenir effrayant et chez les moins de 45 ans, la part des propriétaires a été divisée par deux alors que vous savez l’importance de l’immobilier.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
J’entends ce que vous dites mais on ne peut pas affirmer qu’il n’y a strictement rien pour la jeunesse ! Des dispositifs existent : par exemple, les aides aux vacances et le pass colo. Bien sûr, ces dispositifs ne sont pas destinés à aider les jeunes à se projeter dans la vie, c’est un autre sujet, mais ils existent.
Le problème de la pauvreté au sens financier du terme appelle des réponses. J’en ai évoqué un certain nombre ; là encore, même si elles sont incomplètes, elles existent.
Une deuxième question me semble tout aussi importante à traiter : celle de l’ouverture de l’esprit, de l’ouverture à la culture au sens large. Selon moi, l’une des premières inégalités consiste à pas pouvoir choisir le métier et la vie que l’on veut, par manque de connaissances.
Comme vous, je suis tout le temps sur le terrain et, parce que je suis chargée de l’apprentissage, il m’est arrivé d’interroger des apprentis et de leur demander pourquoi ils ont choisi tel ou tel métier. Quand un sur deux me répond : « Parce que c’est le métier de mon père et que je n’en connaissais pas d’autres », je me dis que notre travail doit commencer là. Il nous faut faire découvrir à chacun les possibilités qui lui sont ouvertes et, ensuite, permettre leur réalisation. Cela ouvre un grand champ d’action interministériel, avec de nombreux leviers d’action ; à nous de les explorer.
J’ignore si, la semaine prochaine, les ministres chargés de l’éducation et de la jeunesse publieront un document à ce sujet – peut-être –, mais en tout état de cause, c’est ce qui doit guider notre politique parce que c’est incontestablement ce qui permettra à chacun d’assumer demain son destin.
M. le président
Je remercie le groupe Les Démocrates et Mme la présidente Goulet pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, l’ensemble des députés, notamment nos trois rapporteurs, pour leurs questions, et Mme la ministre pour ses réponses exhaustives données dans les temps.
Le débat est clos.
Je vous rappelle que le débat suivant sur le thème « Le devenir de la filière automobile en France et en Europe » se tiendra en salle Lamartine.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
2. Devenir de la filière automobile
M. le président
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Le devenir de la filière automobile en France et en Europe. » Il intervient à point nommé, vingt-quatre heures après l’annonce par le président Donald Trump de l’instauration de droits de douane exceptionnels de 25 % sur tous les véhicules importés aux États-Unis.
Ce débat a été demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties, d’une durée d’une heure chacune. Nous commencerons par une table ronde entre personnalités invitées, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses. Puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Steve Marvin, directeur recherche et développement de la Plateforme automobile (PFA) et président du pôle de compétitivité Vedecom, à M. Tommaso Pardi, sociologue chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et directeur du Gerpisa, le groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile, et à M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL Global Union, fédération syndicale internationale des travailleurs de l’industrie.
Chacun de nos invités a la parole pour une intervention de cinq minutes.
La parole est à M. Steve Marvin, directeur recherche et développement de la Plateforme automobile et président du pôle de compétitivité Vedecom.
M. Steve Marvin, directeur recherche et développement de la Plateforme automobile et président du pôle de compétitivité Vedecom
Permettez-moi tout d’abord d’excuser l’absence de M. Marc Mortureux, directeur général de la PFA, retenu par un empêchement familial de dernière minute.
La PFA, que je représente, rassemble les professionnels de la filière automobile en France – constructeurs, équipementiers, sous-traitants et acteurs de la mobilité. Elle porte la voix de la filière et exprime ses positions communes.
J’aimerais commencer en citant une tribune, publiée récemment par Luc Chatel, qui a le mérite de poser les termes du débat : « La disparition de l’industrie automobile européenne ne relève désormais plus de la simple hypothèse. Le processus est engagé, il est en cours. Le feu a pris, et nous regardons ailleurs. La multiplication sans précédent, tout au long de l’année 2024, des annonces de restructuration et de fermeture d’usine partout en Europe, principalement en Allemagne et en France, devrait pourtant sonner comme une alerte. »
Pas moins de 32 000 suppressions de postes ont été comptabilisées par les équipementiers européens sur le seul premier semestre de 2024. Depuis 2019, en France, la filière automobile a perdu 38 000 emplois au cœur du tissu industriel de nos régions. Parallèlement, la Chine, premier producteur mondial depuis 2020, est devenue le premier exportateur mondial à la fin 2022. Les importations chinoises en Europe pèsent désormais un quart du marché européen de l’électrique.
En optant pour le tout-électrique dès 2035, Bruxelles a fait le choix d’une technologie unique dominée par la concurrence venue de la Chine. Certes, l’électrique est une très bonne option, mais on ne peut se limiter à une seule solution technologique.
Face à cette offensive, les constructeurs européens, au premier rang desquels les marques françaises, innovent et investissent comme jamais et ont multiplié les sorties de nouveaux modèles 100 % électriques.
Or, pour la première fois depuis cinq ans, le faible niveau global du marché s’accompagne en 2024 d’une baisse des ventes de véhicules électriques : en Europe, – 6 % en moyenne ; en Allemagne, – 27 % à la suite de la suppression des aides à l’achat ; en France, – 2 % en moyenne sur l’ensemble de l’année et – 18 % sur les six derniers mois de 2024.
En effet, au cours de ce processus, on a oublié le consommateur. On ne décrète pas un basculement technologique et industriel d’une telle ampleur à coups de réglementations. C’est un moment de vérité pour la trajectoire qui s’impose au secteur automobile d’ici à 2035. Pour être au rendez-vous des échéances européennes en 2025, il faudrait que le segment 100 % électrique représente une part de marché de l’ordre de 22 % en Europe. Or, fin 2024, il se situait à 13,5 %.
Nous donnons l’alerte depuis plusieurs années et Mario Draghi n’a fait que rappeler l’urgence en soulignant, dans son rapport à la Commission européenne, que « le secteur automobile est l’exemple clé du manque de planification de l’UE [l’Union européenne], appliquant une politique climatique sans politique industrielle ». Au moment où il faudrait se mobiliser vite et fort pour notre filière automobile en soutenant l’innovation, les investissements et les emplois, on se prépare à pénaliser et à taxer les constructeurs.
Il est donc urgent de trouver une issue à la perspective folle de pénalités pour les constructeurs en 2025, en privilégiant un lissage pluriannuel des exigences, comme l’a proposé la Commission européenne.
Ensuite, la priorité des priorités est de réduire les écarts de compétitivité – ils représentent 25 % par rapport à la Chine.
En France, le projet de loi de finances pour 2025 ne nous aide pas : les malus ont doublé et les bonus ont été divisés par deux.
M. le président
La parole est à M. Tommaso Pardi, sociologue chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa.
M. Tommaso Pardi, sociologue chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa
Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter le point de vue d’un chercheur universitaire sur la situation de l’industrie automobile européenne et française.
À l’évidence, comme cela a été dit, la situation est difficile. Cependant, elle ne me semble pas aussi dramatique qu’on a pu l’entendre de la bouche des patrons de l’industrie automobile ou le lire dans la presse. La preuve, c’est que les constructeurs automobiles européens, comme les équipementiers de premier rang, font tous des profits, avec un niveau de profitabilité identique à celui qu’ils connaissaient avant la crise du covid.
Il est vrai que, parmi les sous-traitants, de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) souffrent en raison de la baisse de production observée en Europe, d’environ 20 % par rapport à son niveau d’avant-covid. Plusieurs causes expliquent cette évolution mais la principale reste la très forte augmentation du prix des véhicules neufs vendus au cours des quatre ou cinq dernières années. Cette augmentation est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la profitabilité des constructeurs automobiles, pour la période 2021-2023, a atteint un niveau exceptionnel – l’industrie automobile européenne dans son ensemble n’a jamais été aussi profitable.
M. Tommaso Pardi
C’est la raison pour laquelle je pense qu’en dépit des difficultés évoquées, il est possible de sortir de cette crise par le haut, en menant une politique industrielle européenne susceptible de relancer les ventes, notamment de véhicules électriques, de subventionner l’innovation et de réorienter l’offre automobile européenne vers des véhicules électriques plus légers, plus abordables et plus soutenables. Ce type de véhicules, qui lui fait aujourd’hui défaut, permettrait à l’industrie automobile de retrouver les 2,5 millions d’unités de production qu’elle a perdues depuis 2019.
Les débats antérieurs au dialogue stratégique européen sur l’avenir de l’industrie automobile ont fait émerger trois propositions fortes qui pourraient être retenues pour l’avenir, mais qui ne figurent pas dans le plan d’action pour l’industrie automobile européenne publié le 5 mars à l’issue de ce dialogue.
La première proposition a trait au financement public de cette transition à la fois écologique, industrielle et technologique. Le plan Draghi formule des pistes claires et fortes : celle de créer un marché commun des capitaux et celle d’opter pour un endettement européen, dont on a fait l’expérience pendant la crise sanitaire et que l’on propose s’agissant de l’Europe de la défense. Selon le plan Draghi, certains projets essentiels pour la compétitivité industrielle européenne mériteraient d’être financés par un endettement de ce genre.
Un tel endettement présente trois avantages par rapport aux endettements des États : d’abord, les pays ne sont pas en mesure de financer des projets de cette nature en raison de leurs restrictions budgétaires ; ensuite, on s’endette à de meilleurs taux à l’échelon européen qu’à l’échelon national ; enfin, cela ouvrirait la possibilité de concentrer l’ensemble des capitaux concernés dans un fonds d’investissement européen, qui permettrait de piloter une véritable politique européenne plutôt que d’éparpiller les investissements dans des projets qui se concurrencent les uns les autres et n’ont pas la taille critique nécessaire pour résister à la concurrence chinoise ou américaine. En somme, il nous faudrait des Airbus. Notez d’ailleurs que l’on surnomme parfois ACC – Automotive Cells Company – l’« Airbus des batteries », alors qu’il s’agit seulement d’une coentreprise franco-allemande et non d’un projet réellement semblable à Airbus. Il nous faudrait ainsi un Airbus des batteries et un Airbus des petits véhicules électriques, qui pourraient s’appuyer sur un endettement et un projet européens.
Deuxième proposition, également absente du plan d’action du 5 mars : aligner les politiques européennes de défense commerciale sur celles que pratiquent nos principaux concurrents internationaux, la Chine et les États-Unis. Avant le dialogue stratégique, la PFA et le consortium des équipementiers français et italiens ont notamment proposé d’introduire des normes de contenu local en Europe. Ces normes permettraient de protéger les équipementiers, très exposés à la concurrence chinoise.
Troisième et dernière proposition, promue à la fois par le Gerpisa, le groupe d’études que je dirige, et par Luca de Meo dans sa lettre à l’Europe, publiée avant les élections européennes : lancer un projet européen visant à produire un petit véhicule électrique soutenable et abordable (Vesa), afin de créer une nouvelle catégorie de véhicules autour de laquelle s’articuleraient des politiques fiscales et de transport. Cela permettrait de réorienter l’offre européenne vers de tels véhicules, dont on a besoin tant pour atteindre les objectifs d’émission de CO2 que pour réduire l’écart de compétitivité qui nous sépare de la Chine, notre principal concurrent. Cette proposition n’a pas été retenue non plus.
Ces trois propositions sont sur la table. Il est urgent que le gouvernement français, mais aussi les constructeurs français et, plus largement, européens, s’en saisissent pour faire évoluer leurs plans d’action vers davantage d’ambition.
Pour conclure, je dirai qu’il n’est possible de sortir de la crise du secteur automobile que par le haut. Si l’on accepte un repli, qu’il concerne nos objectifs climatiques ou nos ambitions industrielles, cela ne fera qu’aggraver cette crise et accroître l’écart de compétitivité qui nous sépare de nos compétiteurs, notamment chinois.
M. le président
Toute l’Europe de l’automobile est décidément présente autour de la table. Monsieur Marvin, vous êtes anglais, je crois ?
M. Steve Marvin
C’est exact.
M. Tommaso Pardi
Je suis italien.
M. le président
Monsieur Denis ?
M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL
Belge.
M. le président
Et vous, monsieur Lecoq ?
M. Jean-Paul Lecoq
Normand !
M. le président
C’est bon, on a tout le monde ! (Sourires.)
La parole est à M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL, la fédération syndicale internationale des travailleurs de l’industrie.
M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL
Merci de me donner l’occasion de partager avec vous notre point de vue sur l’avenir de la filière automobile en Europe. IndustriALL Europe est une fédération syndicale européenne qui représente l’ensemble des syndicats, eux-mêmes représentant les travailleurs de l’industrie au niveau national, au-delà du secteur automobile. Nos membres se répartissent dans une quarantaine de pays, y compris des pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne, ce qui complique parfois un peu les discussions.
Dans le débat sur le futur du secteur automobile en Europe, c’est principalement le futur des hommes et des femmes qui y travaillent qui nous préoccupe. Je vous livre quelques chiffres pour commencer : en Europe, le secteur automobile est structurant puisque sa seule partie manufacturière représente environ 2,5 millions d’emplois directs chez les constructeurs et les équipementiers de premier rang. Quant au nombre total des emplois liés au secteur automobile en amont et en aval de la fabrication manufacturière, il s’élève à 13,5 millions, soit à peu près 6 % de l’emploi privé en Europe – une proportion colossale. Il faut aussi prendre en considération certaines réalités régionales : dans des bassins d’emploi ou des États membres spécifiques, notamment en Europe centrale et orientale, la part des emplois liés à l’industrie automobile peut atteindre 15 à 20 % de l’emploi industriel.
Les statistiques relatives au secteur automobile pour l’année 2024 sont mauvaises. La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, dite fondation de Dublin, une agence tripartite qui suit l’évolution du marché du travail en Europe, a chiffré cette évolution. D’après ses calculs, 90 000 pertes d’emploi nettes ont été enregistrées cette année, ce qui constitue la plus importante hémorragie survenue dans le secteur automobile depuis la crise sanitaire. Elle touche tous les pays, toutes les étapes de la chaîne de valeur, y compris les parties de l’industrie automobile qui sont parfaitement alignées sur les objectifs climatiques de l’Union européenne – j’ai en tête la situation dramatique de Northvolt, le fabricant suédois de batteries, et l’usine Audi située à la périphérie de Bruxelles, qui ne fabriquait plus que des véhicules 100 % électriques.
Nous n’avons pas de boule de cristal mais les perspectives ne sont pas bonnes. La production est en baisse : on fabriquait 16,6 millions de voitures passagers en 2018 et seulement 11,4 millions l’an dernier.
Les annonces faites hier par le président Trump risquent d’avoir un impact significatif sur les exportations. On oublie souvent que le secteur automobile européen est en très grande partie orienté vers l’export puisque, sur les 11,4 millions de voitures passagers produites en 2024, 4,5 millions ont été exportées, dont 750 000 rien qu’aux États-Unis, qui constituent en valeur le premier marché d’exportation des voitures européennes.
J’en viens aux outils qui sont à notre disposition pour faire face à cette situation. Je ferai rapidement référence au plan d’action pour l’industrie automobile européenne publié le 5 mars. Il comporte pour l’essentiel un diagnostic et quelques préconisations homéopathiques, alors que nous attendions un traitement de choc et de la chirurgie de guerre, si vous me permettez cette analogie un peu facile.
Ce plan recommande la création d’un Observatoire européen de la transition équitable. Cet observatoire est bienvenu mais on a besoin d’actions et non de chiffres.
Il propose également d’amender le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation. C’est une proposition intéressante pour autant que cela permettra de soutenir de façon efficace et massive les efforts de formation et de requalification des travailleurs du secteur automobile et d’assurer un véritable accompagnement des salariés.
Nous attendons également que les mesures du plan d’action qui évoquent les conditionnalités sociales, les critères de résilience et les exigences de contenu local soient appliquées de façon efficace et rapide.
Enfin, nous souhaitons que les mécanismes de soutien à l’investissement et à la demande soient rapidement déployés au niveau des États membres. Nous craignons toutefois que le contexte budgétaire qui prévaut un peu partout en Europe ne grève ce déploiement. Je rappelle que dix États membres, et non les moindres, font actuellement l’objet d’une procédure de déficit excessif – vous êtes bien placés pour le savoir.
De notre point de vue, tant que le pacte de stabilité et de croissance n’aura pas été remis en question dans le sens d’une plus grande ouverture, on risque bien de se heurter à un manque de soutien et de relance de la demande, ce qui aura à terme un impact sur le volume d’emplois dans le secteur automobile.
M. le président
Merci à tous les trois ! Nous en venons aux questions, qui ne sont pas très nombreuses. Je serai donc plus souple qu’à l’accoutumée s’agissant du respect du temps de parole. En réponse à chaque question, une, deux ou trois interventions pourront être faites. Je vous laisse vous organiser, en faisant en sorte que les réponses ne soient pas trop longues, surtout si plusieurs d’entre vous prennent la parole. Chaque question sera immédiatement suivie d’une réponse, afin de favoriser autant que possible la fluidité du débat.
La première question sera posée par M. Nicolas Sansu, membre du groupe de la Gauche démocrate et républicaine qui est à l’initiative de ce débat. Il est par ailleurs champion de France de soudure.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Exact, monsieur le président. J’ai l’immense honneur d’accueillir le championnat de France de soudure à Vierzon. Il aura encore lieu cette année et j’inviterai l’ancien ministre de l’industrie à y assister, comme il se doit !
Merci, messieurs, d’avoir brossé ce tableau de la filière automobile en France et en Europe. Les perspectives que vous tracez ne sont pas très encourageantes, même si nous avons entendu un chercheur bien plus optimiste que les deux autres intervenants. Nous vivons un moment de bascule de la filière automobile, potentiellement même de l’industrie européenne dans son ensemble, puisque les choix des constructeurs du secteur, qui a tiré la croissance de nos pays depuis tant d’années, se retournent peut-être contre eux. Le fait d’avoir produit de plus en plus de véhicules lourds, gros, consommateurs d’énergie et chers peut constituer un problème si on le rapporte à l’usage qui est fait aujourd’hui de la voiture.
Cet usage change – c’est bien normal au moment où il faut lutter contre le réchauffement climatique. La stratégie des constructeurs montre peut-être ses limites et il faut également en changer, à la fois pour décarboner le parc automobile – un enjeu très important –, mais aussi pour éviter que ce parc cesse tout simplement d’exister et ne pas laisser à la concurrence, notamment chinoise, le soin de remplir nos parkings et nos garages. Le risque est bien là !
Vous l’avez dit : la décarbonation, lancée à grand renfort de publicité par la Commission européenne, passe par l’électrification obligatoire du parc d’ici à 2035. La démarche ne fonctionne pas très bien, en tout cas pour ce qui est des constructeurs européens, puisque la vente de véhicules électriques a diminué, comme cela a été souligné. Les propos de M. Pardi sont intéressants : comment, dans notre situation, peut-on mener une politique industrielle de relance de la filière automobile qui soit plus cohérente à l’échelon européen ?
J’ai trois questions.
D’abord – je le demande de manière un peu abrupte –, est-il sensé de croire qu’une industrie automobile européenne peut encore se développer, d’imaginer que les foyers disposeront encore de deux ou trois voitures, comme cela a pu être le cas chez moi et dans les zones semblables ?
Ensuite, quelles sont les principales entraves réglementaires et économiques à la généralisation d’une offre de véhicules électriques soutenables et abordables, les fameux Vesa que l’on a évoqués tout à l’heure ?
Troisièmement, avez-vous chiffré l’impact d’une telle transformation du marché automobile européen sur l’emploi ? Le changement de modèle nous condamne-t-il à perdre des emplois, ou peut-il au contraire en créer de nouveaux ?
M. le président
La parole est à M. Steve Marvin.
M. Steve Marvin
Je vais répondre à la première question : l’industrie automobile européenne peut-elle encore se développer ? Je pense que nous sommes arrivés à une stabilité en termes de volumes, après avoir constaté une baisse depuis le covid. Il faudrait être très optimiste pour imaginer que nous allons revenir aux volumes atteints entre 2015 et 2019, mais on ne parle plus vraiment de décroissance des volumes, plutôt d’une certaine stabilité depuis 2021. L’urgence pour nous, c’est d’accroître la part des véhicules électriques dans le volume total, comme le prévoit notre contrat stratégique de filière, en démontrant à nos clients que c’est vraiment la solution qui peut répondre à leurs besoins aujourd’hui.
M. le président
La parole est à M. Tommaso Pardi.
M. Tommaso Pardi
La première question renvoie à la problématique de décarbonation du parc qui a déjà été évoquée. Si on veut atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il faut passer du thermique à l’électrique pour près de 260 millions de véhicules en Europe. Il y a donc du boulot pour l’industrie automobile européenne, là n’est pas le problème. Plus on produira en volume, plus vite on décarbonera, sachant qu’il y a aujourd’hui un problème de vieillissement du parc et que des pays entiers en Europe sont complètement exclus de cette transition en raison des prix moyens des véhicules électriques et malgré leur engagement – inscrit dans le marbre des règles européennes – de décarboner leur parc automobile. Je pense que l’industrie automobile européenne peut apporter la solution à ce problème en retrouvant le volume de production d’avant le covid. En revanche, les prix moyens des véhicules électriques en Europe ont augmenté de 40 % à 50 %, en fonction des segments, depuis cinq ou six ans. C’est beaucoup trop.
De surcroît, les véhicules électriques sont devenus beaucoup plus lourds : 2 tonnes en moyenne en 2024. Cela fait partie de la problématique de l’électrification. Il faudrait fabriquer des véhicules beaucoup plus légers et les promouvoir de manière intelligente dans le cadre de politiques adaptées, ce qui suppose – j’en viens à votre deuxième question – de repenser l’ensemble des règles européennes, structurées depuis vingt ans autour du premium allemand, y compris en matière de sécurité active ou passive – je pense par exemple au programme européen d’évaluation des nouveaux véhicules (Euro NCAP).
Toutes ces règles ont été conçues pour un véhicule ultrasophistiqué, très cher, à haute valeur ajoutée et censé s’exporter – et les exportations sont en effet essentiellement allemandes. Cela a très bien marché : l’industrie automobile allemande représente 50 % de la valeur ajoutée de l’industrie automobile européenne, c’est très important. Mais aujourd’hui, ces modèles arrivent face à un mur : celui de la décarbonation. Et en la matière, la manière la plus intelligente de s’y prendre consiste à décarboner les véhicules légers, alors qu’on a fait exactement le contraire depuis trente ans puisque les réglementations, y compris celles sur les émissions de CO2, ont conduit à des véhicules toujours plus lourds.
Néanmoins, il y a un changement important en 2025 : les objectifs paramétrés en fonction du volume des émissions de CO2 s’inversent, pour des raisons un peu compliquées que je n’ai pas le temps de détailler. À partir de 2025, les industriels qui fabriquent des véhicules plus légers auront des objectifs à atteindre moins exigeants, alors que c’était exactement le contraire pendant les vingt années précédentes. C’est une occasion de promouvoir des véhicules plus légers.
Nous avons donc fait une proposition fondée sur le Vesa. Il s’agit de repenser l’ensemble du cadre réglementaire pour créer une nouvelle catégorie de véhicules électriques de moins d’une tonne, batterie comprise, avec des limitations de puissance – un peu sur le modèle des kei cars japonaises, mais adaptés aux configurations du marché européen. Autour de cette proposition pourrait se bâtir une politique industrielle reposant sur un ensemble de soutiens coordonnés, y compris en matière de politique fiscale, pour retrouver des volumes de production satisfaisants, réconcilier les citoyens européens avec l’électrique, qui peut être peu cher à l’acquisition comme à l’usage si on fabrique des véhicules légers, et permettre ainsi de recréer des emplois dans le secteur automobile.
Nous avons en France les industriels les mieux placés pour produire ce type de véhicule : il n’y a pas mieux en Europe que Stellantis et Renault pour faire des véhicules d’entrée de gamme. Les réglementations européennes ont longtemps rendu la vie très difficile à ce type de production, mais le cadre est aujourd’hui plus favorable. Il y a donc une occasion à saisir.
À terme, quand nous aurons remplacé l’ensemble du parc thermique par des véhicules électriques, il faudra envisager de réduire le nombre de véhicules produits dans le cadre d’une transition vers de nouvelles formes de mobilités. Mais pour le moment, je pense qu’il n’y a pas de difficulté à soutenir à la fois l’industrie, les emplois et nos objectifs de transition climatique.
M. le président
La parole est à M. Benjamin Denis.
M. Benjamin Denis
Tout d’abord, notons que Bruxelles n’a rien imposé du tout. Le règlement qui définit les standards en matière d’émissions de CO2 pour les véhicules passagers et pour les utilitaires légers a suivi la procédure législative classique, c’est-à-dire qu’il a été discuté et voté au Parlement ainsi qu’au Conseil. Il convient donc de sortir du fantasme d’une électrification totale imposée par un bureau bruxellois. Cela ne me paraît pas correspondre à la réalité, d’autant que le texte du règlement mentionne le zéro émission en 2035 sans prescrire une technologie particulière. Il existe de facto deux technologies qui permettent d’y arriver : soit le fioul électrique, soit la pile à combustible.
S’agissant de l’Allemagne, les véhicules allemands représentent en effet l’essentiel des exportations européennes dans le secteur automobile, mais derrière un véhicule assemblé dans ce pays, il y a des chaînes de valeur extrêmement complexes qui représentent des dizaines de milliers d’emplois dans d’autres pays, principalement en Europe centrale et orientale, mais aussi dans le nord de l’Italie, en Autriche et un peu partout dans le reste de l’Union européenne. Attention donc à ne pas adopter une approche un peu trop stato-nationale de l’industrie automobile européenne, car elle est en réalité – comme beaucoup d’autres industries, d’ailleurs – profondément intégrée et épouse les limites du marché intérieur, et c’est tant mieux.
La question qui relève peut-être plus spécifiquement de mon domaine est celle sur l’emploi. Cette problématique est assez bien documentée – je pense que Tommaso Pardi pourra être encore plus précis que moi. Une série d’études ont quantifié l’impact de l’électrification sur l’emploi dans le secteur automobile. Elles montrent qu’à peu près un emploi sur trois est lié à la fabrication du moteur thermique et de ses composants. En toute logique, environ un tiers des emplois devraient donc disparaître à terme avec la sortie complète du moteur thermique.
Cela dit, gardons à l’esprit qu’on s’inscrit dans un temps relativement long, puisque les 100 % de réduction d’émissions sont pour 2035. Il faut également tenir compte des caractéristiques démographiques de la main-d’œuvre du secteur automobile – son âge est relativement élevé. Par ailleurs, se focaliser sur l’électrification peut conduire à oublier les autres facteurs de disparition ou de contraction de l’emploi dans le secteur automobile, à commencer par l’automatisation et la robotisation, qui ont joué un rôle extrêmement important dans la transformation des métiers et dans l’évolution du nombre d’emplois. Les stratégies de délocalisation des constructeurs et des gros équipementiers affectent elles aussi le volume d’emplois dans la filière. Enfin, Tommaso Pardi a évoqué les stratégies dictées par des impératifs financiers de rentabilité immédiate, qui exercent une pression très importante sur les équipementiers et poussent elles aussi à la délocalisation. Bref, quand on parle de l’évolution de l’emploi dans le secteur automobile, il faut mettre tous les éléments sur la table et pas uniquement l’impact de l’électrification.
La menace climatique est bien là, donc l’urgence climatique aussi. Retarder la transformation du secteur automobile en Europe, ce serait sans doute se tirer une balle dans le pied en prenant encore plus de retard par rapport à nos principaux concurrents.
M. le président
La parole est à M. Éric Michoux.
M. Éric Michoux (UDR)
Merci à tous les trois pour vos explications très enrichissantes. Aujourd’hui, on cible la voiture à moteur thermique comme étant un des malheurs dans cette période de transition énergétique, mais en réalité, elle ne représente qu’une infime partie des émissions de carbone dans le monde au regard de tous les déplacements qui s’effectuent autrement – en bateau, en avion, en camion ou en bus –, du chauffage urbain ou encore des usines. Il y a une forme de dogmatisme écologique là-dedans, visant à atteindre cet objectif un peu fou du zéro carbone pour les voitures en 2035. Il n’y aurait alors plus que des voitures électriques à la vente et à la production.
Nous avons cependant des contre-exemples. Je pense à la grande mode des chaudières à biomasse en France. Comme il n’y a pas suffisamment de biomasse, on importe des arbres d’Amérique du Sud, dans des supertankers qui consomment du gasoil autant qu’il est possible. Je ne vois pas où est l’impact positif. Et en plus, on dépeuple la forêt amazonienne !
Ce contre-exemple illustre cette espèce d’idéologie qui, en l’occurrence, se traduit dans la volonté absolument farouche d’aller vers des voitures électriques. Or, aujourd’hui, vous l’avez très bien expliqué, la voiture électrique n’est pas européenne : elle est chinoise ou américaine. Il faut remercier les dogmatiques de l’écologie, qui ont permis à M. Musk de faire une fortune incroyable avec ses voitures Tesla – au passage, je ne sais pas comment les écolos peuvent réussir à se déplacer en Tesla ! Et il faut des batteries chinoises et des panneaux photovoltaïques chinois pour produire de l’électricité…
On a donc carrément saboté notre industrie automobile. Et au moment où je parle, les Chinois et les Américains développent des carburants de synthèse. Ces carburants avaient commencé à être développés en France avant que ce soit arrêté, et ils l’ont été par Porsche à une époque parce que cette entreprise ne voulait pas de la voiture électrique – comme d’ailleurs les Allemands en général, on peut comprendre pourquoi. Les carburants de synthèse sont en train de se développer en Chine et en Amérique et je vois bien ce qui va se passer, parce que le 100 % électrique est un leurre.
Pourquoi tous avoir des voitures électriques en 2035 plutôt que des voitures thermiques qui consomment peu ? On a travaillé à une époque sur des projets de consommation de carburant de 1 litre aux 100 kilomètres. Ils n’étaient pas complètement farfelus : ce qui importe, c’est le poids des véhicules, vous l’avez bien rappelé, mais aussi la vitesse, puisque la consommation d’énergie augmente avec la puissance au carré de la vitesse. Et comme on va moins vite avec des voitures plus légères, on consomme beaucoup moins.
Pourquoi ne pas développer en France les carburants de synthèse ? Ce serait une réponse adaptée aux moteurs thermiques, d’autant plus que l’on développe les modes de production de l’électricité de manière importante, tant et si bien qu’on ne sait même pas comment on va la consommer dans quelques années, à moins de produire ainsi de l’hydrogène – qui peut entrer partiellement dans la composition des carburants de synthèse. Je le répète, les États-Unis et en Chine développent de tels carburants. Dans quelques années, ils nous ramèneront leurs voitures thermiques fonctionnant avec leurs carburants de synthèse !
M. le président
La parole est à M. Steve Marvin.
M. Steve Marvin
On considère que les carburants de synthèse pourraient être une bonne solution pour transformer les émissions du parc. Mais il y a des limites à leur développement en termes de disponibilité, d’abord parce que la production d’e-carburants exige beaucoup d’électricité, nécessairement verte, et ensuite parce que des besoins sont identifiés pour l’aviation, faute de pouvoir électrifier les avions.
En termes d’ingénierie, l’efficacité d’un véhicule électrique et son empreinte carbone sur l’ensemble de sa vie sont incomparables par rapport à celles d’un véhicule thermique. En effet, toute l’énergie utilisée pour le fabriquer, y compris la batterie, et pour l’utiliser ne représente qu’à peu près un quart des émissions de gaz à effet de serre d’un véhicule thermique sur l’ensemble de sa vie.
Nous sommes favorables à une flexibilité technique à propos de l’atteinte des objectifs de zéro carbone. Il existe cependant quelques règles de physique qui risquent d’être un peu compliquées à contourner.
M. le président
La parole est à M. Tommaso Pardi.
M. Tommaso Pardi
L’un des problèmes des carburants de synthèse est leur coût, qu’on estime entre 5 et 10 euros le litre, selon les volumes de production. C’est pourquoi l’amendement adopté lors de l’examen du paquet législatif européen Fit for 55 a été surnommé « l’amendement Porsche » ou « l’amendement Ferrari ». Il permettra sans doute à des propriétaires de Porsche ou de Ferrari de les conduire avec du carburant synthétique, mais ce produit ne sera pas à la disposition de M. Tout-le-monde.
L’aviation sera sans doute prioritaire dans l’utilisation des carburants de synthèse puisque, si on prend au sérieux les défis climatiques, on va vers un monde où tout ce qui est décarboné sera rare. Au fur et à mesure qu’on avancera dans cette transition, il faudra faire des arbitrages.
Par ailleurs, en Chine, un véhicule électrique coûte désormais moins cher qu’un véhicule thermique équivalent. Cela prouve qu’il n’est pas impossible de construire une voiture électrique populaire. Mais ce n’est pas la trajectoire qu’a pris l’Europe. Les réglementations européennes sont mal adaptées à la transition vers ces véhicules, dans laquelle l’industrie automobile européenne, qui vient du thermique, devrait être beaucoup plus accompagnée. Sinon, le choix le plus rationnel pour un fabricant est d’électrifier les véhicules thermiques qu’il produit, pour utiliser les mêmes plateformes, pour mutualiser pièces et composants. Cela revient à électrifier des véhicules très lourds qui le deviennent encore plus. Ce n’est pas une bonne voie et ce n’est pas celle choisie en Chine.
Je considère que la voie électrique est également très prometteuse du point de vue social, contrairement à tout ce qu’on a entendu jusqu’à maintenant. Elle peut faire baisser nettement les coûts d’usage pour les ménages des zones périurbaine ou rurale contraints de posséder un véhicule, à condition, à terme, de revoir les dispositions fiscales en la matière.
Je suis aussi persuadé qu’elle est la seule voie possible pour rattraper les Chinois. Ce qui était au départ une politique environnementale en partie mal pensée doit devenir une politique industrielle. Il faut réussir l’électrification, moins pour sauver la planète que pour sauver l’industrie automobile européenne en restaurant sa compétitivité face à ses concurrents chinois. (M. Éric Michoux proteste.)
M. le président
La parole est à M. Benjamin Denis.
M. Benjamin Denis
Nous avons les mêmes débats au niveau européen, avec les mêmes conclusions. Les carburants de synthèse n’offrent pas une solution alternative à grande échelle qui permettrait de sauver le moteur thermique. Ils peuvent au mieux apporter des solutions de niche ponctuelles pour une toute petite partie de notre système de mobilité. Si on veut préserver ou développer l’emploi dans l’industrie automobile européenne, il est bien plus opportun de développer une filière de la batterie et de soutenir l’ensemble des équipementiers que de se fourvoyer dans la production de carburants alternatifs, qui sont très onéreux et qui seront sans doute davantage nécessaires pour décarboner d’autres parties du système de transports, comme les transports maritime et aérien.
Il nous semble aussi un peu étonnant de voir dans le moteur thermique un vecteur d’autonomie stratégique alors que nous importons plus de 90 %, si ce n’est pas 100 %, du pétrole que nous consommons.
M. le président
La parole est à M. Tristan Lahais.
M. Tristan Lahais (EcoS)
Je n’avais pas prévu d’intervenir car je suis venu par curiosité et pour l’intérêt du débat, qui a des incidences sur le territoire où j’ai été élu. Les échanges me poussent toutefois à formuler une remarque et deux interrogations rapides. Une remarque d’abord : je ne comprends pas pourquoi on ironise sur les écologistes alors que tout le débat, et notamment les propos des experts invités, atteste du besoin de décarbonation et d’électrification du parc automobile. Il n’y a donc pas matière à mettre en cause la parole de ceux qui prônent cela depuis des années.
J’en viens à mes interrogations. La première porte sur l’entêtement des constructeurs à promouvoir, y compris dans leurs publicités, des véhicules lourds et chers, alors même que nos concitoyens qui souhaitent s’équiper n’ont pas forcément les moyens de les acquérir. L’augmentation de l’efficacité énergétique de tels véhicules est généralement effacée par celle de leur poids, dans un jeu à somme nulle conforme aux règles physiques énoncées précédemment. Comment expliquer la perpétuation de la promotion de ce type de véhicules, qui ne conviennent ni aux nécessités écologiques ni aux consommateurs et qui sont donc difficiles à vendre ?
Seconde interrogation : n’observez-vous pas dans cette période de transition des phénomènes classiques de « passagers clandestins » ? Je pense à la situation de la Fonderie de Bretagne, victime, au nom de la transition électrique et nonobstant les besoins qu’elle pourrait combler, d’une décision de délocalisation qui n’a d’autre justification que la volonté de se séparer de salariés mieux payés qu’ailleurs.
M. le président
La parole est à M. Benjamin Denis.
M. Benjamin Denis
Dans le discours en vogue depuis quelques années, il est de bon ton d’accabler l’ambition climatique et environnementale de l’Union européenne, comme si elle était la principale responsable des pertes d’emplois dans l’industrie. Certes, elle pose des défis en termes d’investissement ou de formation, entre autres, mais, en concentrant tout le débat sur elle, on évacue complètement les délocalisations vers les pays à bas coûts, qui se poursuivent, le manque d’investissements ainsi que le décalage entre ce qui est mis sur le marché et ce que les travailleurs peuvent acheter, alors que ces éléments nous semblent beaucoup plus importants.
De toute façon, et encore une fois, on n’a pas le choix : l’urgence climatique est là. La prendre à bras-le-corps pourrait d’ailleurs offrir une piste de développement industriel. Revenons un instant à l’électrification et considérons les investissements colossaux nécessaires à la production, au transport et à la distribution d’électricité. Il en va de même dans le secteur des batteries. Des gisements d’emplois industriels existent.
M. le président
La parole est à M. Tommaso Pardi.
M. Tommaso Pardi
Je vais répondre à la question concernant le poids des véhicules, sur laquelle j’ai beaucoup travaillé. La réglementation a eu un effet important. Il est de plus en plus compliqué de mettre dans un véhicule d’entrée de gamme tout ce que la réglementation demande : les outils de sécurité active et passive, les systèmes d’aide à la conduite, la fonction d’appel d’urgence, la connectivité, etc. Les principaux objectifs européens sont la diminution du nombre de morts sur les routes et la réduction des émissions de CO2. Les deux sont plus aisés à atteindre avec des véhicules plus légers. Pourtant, on observe depuis près de quarante ans une tendance exactement inverse sur le poids des voitures. Entre la première et la sixième version de la Clio, séparées de trente-cinq ans, une de nos études montre que ce sont 400 à 500 kilos qui ont été ajoutés.
Aux causes réglementaires s’ajoutent, pour les véhicules électriques, des tactiques de séduction des clients. À partir de 2020 ou 2021, en raison du scandale dit du dieselgate et des objectifs de réduction des émissions de CO2, les constructeurs européens ont cherché à augmenter fortement leurs ventes de véhicules électriques. Pour séduire les consommateurs, ils ont proposé des véhicules offrant beaucoup d’autonomie, ce qui nécessite une énorme batterie. Or une batterie très lourde nécessite un véhicule très lourd. Avec un tel cahier des charges, tous les véhicules mis sur le marché ressemblent beaucoup à une Tesla Model Y. Il faut donc changer les cahiers des charges, repenser la question de l’autonomie et aider les consommateurs à aller vers les véhicules nouvellement définis.
La première génération de Zoe satisfaisait 95 % des besoins de mobilité d’un ménage moyen. Certes, 5 % ne l’étaient pas, mais la performance était déjà bonne. Des véhicules de ce type n’existent plus ; leurs successeurs sont beaucoup plus gros et beaucoup plus puissants. Il faut revoir les cahiers des charges ainsi que le cadre réglementaire européen et aider les constructeurs à aller vers de nouveaux véhicules. Luca de Meo, le directeur général de Renault Group, l’a proposé dans sa « Lettre à l’Europe ». Il faut l’écouter, même s’il a un peu changé de priorité, la flexibilité à propos des émissions de CO2 ayant accaparé l’attention des constructeurs ces derniers temps. Je pense toutefois que le sujet peut revenir sur la table et que le gouvernement français peut jouer un rôle important dans la promotion de véhicules plus légers.
M. le président
La parole est à M. Steve Marvin.
M. Steve Marvin
Je représente l’industrie française : je ne suis pas sûr qu’elle soit celle qui a le plus poussé à l’achat de véhicules lourds et chers. L’année dernière ont été lancés la Citroën ë-C3 et la Renault 5, qui reprennent le flambeau de la Zoe, c’est-à-dire d’un véhicule électrique léger convenant à la plupart des besoins. Et, en 2025, Renault va lancer la Renault 4. Ce ne sont donc pas les constructeurs français qui ont poussé à la consommation de grosses voitures.
Par ailleurs, je vais prolonger ce qu’a dit Tommaso Pardi à propos du besoin de rassurer le client sur l’autonomie de son véhicule. Le client a besoin de savoir qu’il dispose d’une infrastructure de recharge fiable en cas de long trajet. Par ailleurs, il doit comprendre qu’il ne peut plus parcourir 1 000 kilomètres d’un coup, comme il le faisait dans une voiture diesel il y a dix ans. Les éléments qui vont y aider sont l’éducation et le déploiement de l’infrastructure de recharge. C’est un Britannique qui vous le dit : la France est deux fois mieux lotie que la Grande-Bretagne en points de recharge publics.
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Je remercie nos invités pour leurs explications. On cherche souvent des responsabilités extérieures à ses maux – c’est plus facile. J’ai interrogé un ministre chinois de l’environnement, qui me parlait de son collègue de l’industrie. Il m’a expliqué que, dans son pays, le ministre de l’industrie était celui qui risquait le plus d’être emprisonné, si l’industrie se mettait à polluer et à nuire à la santé des habitants. Je l’ai aussi questionné sur les subventions. Il m’a répondu qu’il ne fallait pas parler de subventions puisqu’en Chine, les bénéfices de l’industrie étaient réinjectés dans l’industrie, dans un cycle normal dans ce secteur. Normal en Chine, en tout cas – ça ne marche pas forcément partout de la même manière…
La filière automobile européenne n’a-t-elle pas vingt ou vingt-cinq ans de retard ? Aucun d’entre vous n’a fait de mea-culpa. Dans les années 1980, on prônait le développement d’un véhicule léger. Moi qui suis du Havre, au milieu de cette décennie, je défendais avec le syndicat de chez Renault le projet de la Neutral, un véhicule léger et populaire.
Ensuite, il nous a été expliqué que la compétitivité de l’usine Renault de Sandouville nécessitait de l’automatiser. À l’époque où ma mère y travaillait, elle comptait 8 000 salariés. Maintenant, il n’est même pas sûr qu’il en reste 2 000. En revanche, la dernière fois que je l’ai visitée, j’ai constaté qu’elle était pleine de robots, des R2-D2 qui s’y déplacent tout seuls. C’est assez sympa à voir pour quelqu’un comme moi, qui aime l’électronique et les automatismes. La robotisation est partout, à Sandouville comme en Chine, au Japon ou en Inde. Il ne devrait donc plus exister de différences de compétitivité entre chaînes de montage, ou presque plus. Pourtant, nos prix sont plus élevés que ceux des véhicules qui sont importés et arrivent au port du Havre. Comment expliquez-vous cela, d’autant que je vous fais grâce de tout ce qui est produit à l’extérieur de l’Europe et qui n’est qu’assemblé en France, pour faire baisser les prix de revient ? Je ne sais pas si vous avez l’autorisation de faire un mea-culpa, mais je pense qu’il y a trente ans, une erreur stratégique a été commise qui occasionne aujourd’hui un sérieux handicap.
M. le président
Qui veut commencer ? Par un mea-culpa ou par autre chose…
La parole est à M. Tommaso Pardi.
M. Tommaso Pardi
Je vais commencer par le sujet des subventions en Chine. Les grandes industries européennes ayant été fortement subventionnées par les États dans l’après-guerre, intenter aujourd’hui ce procès à la Chine est peut-être un peu hypocrite. Cependant, à cette époque, des barrières douanières existaient partout et on était loin de la mondialisation.
Aujourd’hui, le niveau de subvention que l’industrie automobile chinoise a obtenu, avec des usines gratuites, des prix fixes pour les batteries et les composants, des évaluations, des prêts à taux très bas, voire à taux zéro, fait que la concurrence est faussée. Cette industrie a un besoin énorme de capitaux et quand dans un pays les capitaux ne coûtent rien et que dans un autre pays ils coûtent cher, cela pose un problème de concurrence. Si l’on ne met pas en place des protections pour permettre à l’industrie automobile européenne de rattraper son retard, je pense que l’issue de cette concurrence est écrite. C’est pour cette raison que l’on a élevé des barrières à l’importation de véhicules électriques chinois, en augmentant les droits de douane, les faisant passer de 10 % à entre 18 % et 45 %, selon les constructeurs.
Ces taux restent toutefois bien plus faibles que ceux pratiqués non seulement par les États-Unis, où ils sont de 100 %, mais aussi par la Turquie et par le Brésil – ils sont respectivement de 70 % et 60 %. L’Europe est l’un des espaces économiques les plus ouverts aux importations chinoises. De surcroît, s’agissant des pièces et des composants, rien n’a été fait. Les taxes d’importation s’élèvent à entre 3 % et 5 % pour les pièces et composants, et à moins de 2 % pour les batteries. Il faut urgemment protéger la filière, car elle est confrontée aux mêmes problèmes que les constructeurs.
Dans le cadre d’une étude sur la question du contenu local que nous avons réalisée pour la Fiev, la Fédération des industries des équipements pour véhicules, et pour d’autres fédérations professionnelles de sous-traitants, étude qui sera publiée je pense la semaine prochaine, nous avons interrogé par questionnaire 108 équipementiers basés en France ; ils évaluent à entre 30 % et 50 % la capacité de production perdue en cinq ans en France en raison de cette nouvelle concurrence déloyale et à entre 15 % et 30 % au niveau européen. C’est énorme. Il faut impérativement intervenir dans ce domaine et avoir bien conscience que, si la Chine peut être un partenaire, elle est aussi une menace, contre laquelle il convient de se prémunir très rapidement.
M. le président
La parole est à M. Steve Marvin.
M. Steve Marvin
Je voudrais juste dire que le coût du travail représente à peu près 30 % du coût d’une voiture. De ce point de vue, la France n’est pas compétitive – pas seulement par rapport à la Chine, mais également par rapport à d’autres pays d’Europe : l’écart avec l’Espagne est assez significatif, sans parler de celui avec l’Europe de l’Est. Les usines ne sont pas robotisées à 100 % – il n’y a guère que quelques technocrates qui considèrent que c’est possible. Il y a encore des salariés et cela se répercute sur le coût de fabrication des voitures.
M. Jean-Paul Lecoq
C’est bien qu’il y ait des salariés. Comme ça, ils peuvent acheter des voitures !
M. le président
La parole est à M. Benjamin Denis.
M. Benjamin Denis
Je n’ai pas exactement les mêmes chiffres sur la part du travail et des salaires dans le coût de production des voitures ; selon moi, elle représente plutôt entre 5 % et 10 % – j’imagine qu’il y a, comme souvent, différentes manières de compter…
M. Nicolas Sansu
En l’occurrence, on ne compte pas !
M. Benjamin Denis
…et des divergences de périmètre, mais la différence est significative.
Je ne ferai pas de mea-culpa, je n’ai pas de mandat pour cela. En revanche, je trouve intéressant de comparer la politique industrielle de la Chine et celle de l’Union européenne.
Pendant longtemps, l’Union européenne n’a pas eu de politique industrielle – ou alors elle était extrêmement horizontale. L’ambition était de créer les conditions favorables à l’investissement et à l’épanouissement du marché, avec la réalisation du marché intérieur, des négociations commerciales internationales, mais très peu d’interventions sectorielles. Pendant ce temps, la Chine adoptait des plans quinquennaux. Elle a lancé en 2015 la stratégie Made in China 2025, dont l’objectif était de faire de la Chine le leader mondial dans une série de chaînes de valeur stratégiques, dont les batteries et les véhicules à batterie électrique. Elle s’est donné les moyens pour atteindre cet objectif et, dix ans plus tard, elle domine largement le marché mondial du véhicule électrique, depuis le début de la chaîne de valeur, le raffinage des matières premières, jusqu’à la fabrication et l’assemblage des véhicules à batterie électrique.
Je ne dis pas qu’il faut copier le modèle chinois, parce qu’il comporte de nombreux travers et des zones d’ombre, à commencer par le manque de respect des droits fondamentaux des travailleurs, mais pour ce qui est de la stratégie, c’est-à-dire de la capacité à mettre en place un ensemble coordonné d’initiatives et d’actions visant un seul et même objectif, je pense que l’Union européenne a beaucoup de choses à apprendre de la Chine.
M. le président
Merci à nos trois invités. Avant de passer à la seconde phase de notre débat, je suspends la séance pour cinq minutes.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Je dirai quelques mots d’introduction pour lancer notre discussion, d’autant qu’il y a autour de la filière automobile une actualité brûlante.
L’industrie automobile est une passion française. C’est une filière d’excellence, historique. Si l’on remontait aux premiers fardiers à vapeur réalisés à la demande du duc de Choiseul en 1769 et que l’on déroulait le fil de cette aventure industrielle jusqu’à la Renault 5 électrique ou la e-3008, dont j’ai pu visiter les lignes de production, on aurait une perspective enthousiasmante de ce qu’a été et de ce qu’est toujours l’automobile pour notre pays.
Cette filière fait la fierté de la France et imprègne notre quotidien, qu’il s’agisse de faire le trajet pour aller au travail ou rejoindre le lieu de vacances ou d’aller vibrer aux Vingt-quatre Heures du Mans. Elle est une filière industrielle, qui fait vivre des centaines de milliers de familles dans presque tous les territoires.
Le secteur est en pleine transformation, lancé à pleine vitesse dans la transition vers l’électrique et engagé dans une compétition internationale qui est de plus en plus intense et agressive – l’actualité le montre. Du côté américain, le président Trump a annoncé il y a quelques heures des droits de douane de 25 % sur les véhicules importés aux États-Unis. Les Allemands ont dénoncé un « signal fatal » pour la filière automobile. Nous sommes bien sûr pleinement mobilisés sur ce dossier – j’imagine que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de nos échanges. Du côté chinois, le premier constructeur automobile mondial, qui est désormais BYD, a présenté il y a quelques jours un chargeur permettant de récupérer en à peine cinq minutes près de 450 kilomètres d’autonomie – une innovation qui change la donne.
Je remercie donc le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le devenir de la filière automobile en France et en Europe. Le contexte le montre : c’est un débat essentiel, parce que ce devenir, il faut le dire, est à risque.
Nous sommes à un moment décisif pour le secteur. La filière fait face à des défis essentiels, disons même existentiels. C’est pourquoi le gouvernement – notamment le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard, et moi-même – se bat avec force et détermination pour l’avenir de la filière, pour l’emploi, pour nos territoires.
Depuis ma prise de fonctions, fin septembre 2024, je me suis battu, avec mon équipe, pour arracher un certain nombre de solutions au niveau national et au niveau européen.
Le 14 octobre 2024, lors du Mondial de l’auto, le Salon de l’automobile, j’ai pris position en faveur d’un ajustement de la réglementation dite Cafe – Corporate Average Fuel Economy – afin d’éviter à nos constructeurs d’avoir à payer des amendes de plusieurs milliards d’euros liées aux objectifs fixés par la Commission européenne. Début novembre, la Commission a décliné cette demande par voie de presse. Ont suivi d’intenses semaines de mobilisation, en liaison avec la filière et avec mes homologues européens, pour faire émerger une position commune. Le 28 novembre, j’ai défendu ces propositions devant le Conseil compétitivité. Début décembre, je me suis rendu à Bruxelles pour rencontrer les nouveaux commissaires et les convaincre de l’urgence d’agir. En parallèle, j’ai multiplié les déclarations dans la presse nationale et européenne au sujet du nécessaire ajustement du règlement Cafe. Début 2025, les échanges se sont intensifiés avec les autres États membres et avec la Commission. Et le 5 mars, j’étais à l’usine Renault de Douai aux côtés du vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, pour l’annonce du plan européen d’urgence pour la filière automobile.
Ce plan prévoit une série de mesures poussées par la France, parmi lesquelles la plus grande flexibilité de la réglementation Cafe, mais aussi l’instauration d’une préférence européenne, un soutien à la demande de véhicules électriques et des financements pour la filière batterie. La France a ainsi réussi à soumettre des propositions, à rassembler ses partenaires et à obtenir un accord gagnant pour l’industrie et, espérons-le, pour l’emploi. Cette victoire montre qu’il est possible de remporter des batailles, à condition d’être déterminé à ne rien lâcher.
Le combat continue. Je souhaite évoquer avec vous trois priorités qui sont au centre de notre stratégie de soutien à la filière automobile : produire plus et plus vert ; faire connaître et aimer la voiture électrique ; se battre pour soutenir les entreprises en difficulté.
La filière automobile est confrontée à une baisse et à une transformation de la demande. Cette tendance n’est pas nouvelle : elle remonte aux années 2000. Néanmoins, elle s’accélère, avec une chute de près de 25 % des immatriculations en 2024 par rapport à 2019.
Les raisons de cette baisse sont multiples ; parmi elles, le recul de l’intérêt du grand public pour l’automobile, un certain attentisme devant la nouvelle offre de véhicules électriques ou encore une conjoncture économique potentiellement défavorable à l’achat.
Dans ce contexte d’incertitude, la filière européenne se mobilise autour d’un cap : celui de la transition vers le moteur électrique à l’horizon 2035. Telle est notre ambition, au service de notre compétitivité et de la réduction de nos émissions de CO2.
Les constructeurs et les équipementiers ont investi massivement en ce sens : alors qu’aucune entreprise ne produisait de véhicules électriques sur notre sol il y a encore quinze ans, plus de dix-huit modèles électriques sont aujourd’hui produits en France.
Au-delà d’un défi technologique, cette grande transformation est avant tout un défi pour l’emploi, dont la sauvegarde constitue la condition clé de l’acceptabilité sociale de la sortie du moteur thermique. Que l’on pense aux usines Michelin à Cholet et à Vannes, à la Fonderie de Bretagne à Caudan, dans le Morbihan, ou encore à l’usine Bosch à Rodez, en Aveyron, c’est l’emploi industriel dans nos territoires qui est en jeu. Il s’agit pour nous d’une priorité absolue.
C’est pourquoi la France et l’Europe continuent à investir massivement dans les batteries pour créer un maximum d’emplois. Pour les batteries comme pour les autres filières émergentes, il est parfois difficile d’aller aussi vite et aussi loin qu’on le voudrait. À dire vrai, il est normal que cela soit difficile.
Au-delà des batteries, cette transition est exigeante et nous sommes aujourd’hui au milieu du gué : nous sommes lancés, la transition est en cours, le cap est devant nous et nous ne devons pas regarder en arrière. C’est, je crois, ce que nous demande la filière : non pas changer de cap, mais trouver les adaptations, les souplesses, les flexibilités qui permettent de l’atteindre sans créer d’effets dommageables du point de vue économique et social.
Dans dix ans, nous verrons sans doute les choses différemment : nous serons fiers demain des efforts accomplis aujourd’hui.
J’en viens au deuxième défi : faire connaître et aimer la voiture électrique.
Si nous voulons produire plus et plus vert, nous devons convaincre nos concitoyens que le véhicule électrique est la bonne solution pour la transition écologique – en langage techno, à Bercy, on dirait : « la solution pour décarboner nos mobilités », mais c’est un peu techno.
Cet enjeu décisif requiert un peu de pédagogie et beaucoup de moyens.
Un peu de pédagogie, d’abord. Si vous faites une centaine de kilomètres par jour et avez accès à une borne de recharge à proximité de votre domicile, le véhicule électrique est fait pour vous ! Cette solution convient aujourd’hui à de nombreux usages ; demain, elle conviendra à tous. Nous avons donc besoin de pédagogie pour montrer ce que sont les potentialités liées aux usages de la voiture électrique. Nous avons aussi besoin de moyens, alors même que le contexte budgétaire est fortement contraint.
En dépit de ces contraintes, le gouvernement poursuit une politique volontariste de soutien à la demande à plusieurs niveaux. Nous incitons les particuliers à acheter des véhicules électriques, via le bonus écologique – dont le principe a été repris au niveau européen lors des annonces du commissaire Séjourné que j’évoquais à l’instant – et le leasing social. Nous engageons aussi les entreprises à accélérer le verdissement des flottes. Là encore, la Commission européenne a décidé de s’inspirer de l’exemple français – la loi de finances pour 2025 prévoit l’extension du dispositif de verdissement et l’assortit de sanctions pour les entreprises qui ne verdiraient pas suffisamment rapidement leur flotte professionnelle.
Au niveau européen, nous menons le combat de la préférence européenne. De quoi s’agit-il ? Simplement de conditionner la commande publique et privée, via des critères de contenu local, à une part minimale de valeur ajoutée produite en Europe.
Enfin, nous poursuivons les efforts de généralisation des bornes de recharge partout en France. Sur ce plan, les progrès sont considérables : nous sommes passés de 30 000 bornes accessibles au public en 2021 à 150 000 fin 2024. On peut aujourd’hui se déplacer dans tout le territoire et trouver sans difficulté des points de recharge rapide sur son trajet. J’ai moi-même prévu d’en faire la démonstration à l’occasion d’un prochain déplacement.
Pour finir, je veux dire un mot sur le soutien que nous apportons aux entreprises en difficulté.
À Bercy, on sait inventer des mots ; on sait aussi fabriquer des solutions. C’est même le cœur de notre action au quotidien : dans ce ministère de combat, on se bat chaque jour, sur chaque dossier, pour arracher des solutions partout où c’est possible.
Ces solutions, elles naissent du travail et de l’expertise du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), de la délégation interministérielle aux restructurations des entreprises (Dire), et, sur le terrain, des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP). Je tenais à les citer et à saluer leur travail.
Elles sont aussi le résultat d’une collaboration au quotidien avec vous, parlementaires, qui nous sollicitez sur de nombreux dossiers d’entreprises en difficulté, notamment des équipementiers automobiles, mais aussi avec les élus locaux, et bien sûr avec les industriels.
Grâce à cette mobilisation collective, des entreprises sont soutenues, accompagnées et parfois sauvées. Je pense à l’entreprise Hachette et Driout, en Haute-Marne, fonderie d’alliages ferreux reprise par le groupe français ACI Groupe, où je me suis rendu le 3 mars – 274 emplois sauvés. Nous pourrions évidemment développer ce point, mais nous aurons l’occasion de le faire au cours de nos débats.
La devise de mon équipe – « On ne lâche rien » – résume mieux qu’un long discours notre état d’esprit et notre mobilisation pour l’avenir de la filière automobile en France et en Europe. Nous ne lâcherons rien, et je compte sur chacun d’entre vous pour nous soutenir et nous accompagner dans ce combat pour l’emploi dans nos territoires – un combat pour une certaine idée de l’industrie française.
M. le président
Nous n’avons pas la quantité, mais la qualité : les meilleurs sont là. Nous commençons par un Havrais.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Je vous le confirme, monsieur le ministre : on ne lâche rien ! Nous avons au moins cela en commun.
L’annonce du plan d’investissements ReArm Europe par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conduit les industriels du secteur automobile à envisager la réorientation de leur production vers les besoins de défense comme une solution à la crise industrielle que nous traversons.
Au niveau européen, le PDG de Volkswagen a annoncé que le groupe pourrait étudier les possibilités dans le domaine militaire. En France, le groupe Europlasma s’est porté candidat à l’acquisition de la Fonderie de Bretagne, sous-traitant de Renault, en cessation de paiements. Ce virage permettrait de préserver 240 emplois, soit plus de 80 % de l’effectif actuel.
Europlasma – dont le principal actionnaire est Alpha Blue Ocean, entité condamnée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) – s’est imposé comme un acteur majeur dans la reprise de sites sidérurgiques en difficulté. Cela ne nous rassure pas toujours.
En effet, le groupe peine à tenir ses engagements en matière d’investissements, de sorte que les suppressions de postes continuent sur plusieurs sites, en dépit du soutien de l’État et des collectivités territoriales.
Vous m’autoriserez à évoquer le cas de Renault Sandouville, non loin du Havre, où nous étions récemment ensemble. Il y a tout juste un an, Bruno Le Maire annonçait 550 recrutements en CDI et CDD ; il y a quelques jours était soudain annoncée la suppression de 323 postes d’intérimaires. Vous comprendrez que la succession en yoyo de telles annonces officielles pose problème. Mettez-vous à la place des travailleurs des sites industriels : leur motivation a besoin d’un moteur – puisque nous parlons d’automobile. Sur place, la situation est d’autant plus difficile que Renault use et abuse déjà de l’intérim : près d’un tiers des travailleurs de l’usine de Sandouville ont des contrats précaires. Ces emplois ne devraient pas être de simples variables d’ajustement au service de la maximisation de la rentabilité. Quand je me rends sur ce site avec mes camarades, nous expliquons qu’il faut embaucher – et on ne lâche rien !
En tout état de cause, rien ne justifie une diminution des effectifs à Renault Sandouville : la production des trois versions du futur fourgon 100 % électrique conçu par la coentreprise Flexis – nous en avons parlé au Havre, souvenez-vous, monsieur le ministre – a été confirmée et devrait assurer la pérennité du site ; le commissaire européen Séjourné a annoncé des mesures positives et concrètes pour soutenir le secteur automobile dans sa transition vers l’électrique. Nous attendons de l’État qu’il tienne parole et respecte ses engagements.
À l’heure où les autorités françaises et européennes annoncent le basculement vers une économie de guerre, est-ce ainsi que votre gouvernement prétend défendre les salariés automobiles contre la logique prédatrice des fonds d’investissement ?
Face à cette crise industrielle, l’État ne devrait-il pas conditionner le versement des aides dont ce secteur a besoin au maintien de l’emploi et de la production dans nos territoires ? Nous avons déjà discuté tout à l’heure des façons d’encourager financièrement l’industrie automobile.
Je terminerai en évoquant le verdissement des flottes des entreprises. Avez-vous pris des dispositions, vos collègues de Bercy et vous-même, pour que les services publics et les entreprises publiques puissent inclure des conditions spécifiques dans leurs appels d’offres ? Les services publics français seront-ils autorisés, voire encouragés, à verdir leur flotte en soutenant l’industrie française ou du moins européenne – puisqu’il faut tenir compte de le réglementation européenne sur les marchés publics ? En effet, on a longtemps imposé aux collectivités et aux services publics de choisir le « mieux-disant », c’est-à-dire en fait le moins cher.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je vais essayer de répondre aux différentes questions que vous soulevez.
Je confirme que le plan ReArm Europe constitue une occasion de diversification à saisir – je ne dis pas « exploiter », car on n’exploite pas une situation géopolitique comme celle que nous connaissons.
Vous avez cité l’exemple de la Fonderie de Bretagne. Le projet de reprise d’Europlasma s’appuie notamment sur la production de têtes d’obus. Compte tenu de la qualité de l’outil de production, le volume produit pourrait augmenter de manière très significative dans les prochains mois si le projet de reprise aboutissait. Je veux d’ailleurs saluer à cette occasion la mobilisation du député de la circonscription, Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense, qui a contribué à faire émerger cette solution de reconversion en lien avec les entreprises de défense.
Nous nous montrerons bien sûr très attentifs à la qualité de l’offre déposée. Comme vous l’avez indiqué, 240 des 300 salariés que compte l’entreprise pourraient être repris. Dans le cadre du précédent projet de reprise – porté par Private Assets –, l’État avait proposé de contribuer au tour de table à hauteur de 14 millions d’euros, prêtés par le fonds de développement économique et social (FDES) en vue d’assurer la pérennité du modèle économique de la Fonderie de Bretagne.
Cette proposition tient toujours : nous attendons de connaître les attentes du repreneur et nous serons attentifs à la pérennité du modèle économique proposé, mais en tout état de cause, l’État s’est engagé à aider à la reprise.
Durant la transition vers le modèle économique fondé sur l’industrie de défense que propose Europlasma, nous souhaitons que Renault maintienne une partie de ses commandes pendant quelques années – je l’ai dit et je le redis. Après l’échec de la reprise par Private Assets, nous sommes restés en contact avec Renault, comme il importait de le faire. Nous espérons que l’entreprise maintiendra un niveau de charge suffisant pour permettre la transition vers un autre modèle économique.
Quant à la perspective ouverte par le réarmement, j’ai récemment échangé sur ce sujet avec plusieurs présidents de conseils régionaux à Bercy ; ils souhaitaient précisément m’interpeller sur les potentialités de diversification des équipementiers automobiles ouvertes par le renforcement de nos efforts de défense. Étaient présents M. Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne ; Mme Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté ; un représentant de M. Xavier Bertrand pour la région Hauts-de-France ; M. Franck Leroy, président de la région Grand Est. Nous sommes convenus d’une méthode : traduire, en toute transparence, les décisions intervenues au niveau européen – je pense aux annonces concernant le soutien à la demande – en dispositions législatives et réglementaires nationales, elles-mêmes déclinées à l’échelon territorial.
Voici un exemple : nous avons un dialogue exigeant à mener avec les constructeurs afin de savoir quels équipementiers présentent à leurs yeux un intérêt stratégique, ceux sur lesquels ils souhaitent s’appuyer dans un futur proche, et quels sont ceux sur lesquels ils ne comptent pas autant. Nous établirons ce diagnostic le plus finement possible, en lien avec les élus locaux, afin de définir une stratégie de maillage territorial et d’identifier les entreprises les plus à risque et celles qui gardent un potentiel au sein de la filière automobile, les premières ayant éventuellement vocation à se diversifier.
Comme nous l’ont demandé les présidents de conseils régionaux, cette diversification sera appuyée par les CRP, premier maillon dans la chaîne du diagnostic territorial. Nous ferons également en sorte que l’accompagnement financier se poursuive – il existe déjà, puisqu’au titre du plan France 2030, nous avons lancé un appel à projets relatif à la diversification des équipementiers automobiles. Nous avons encore quelques difficultés juridiques à lever au regard du droit européen, car cet appel à projets était initialement inscrit dans le régime d’aides d’État instauré pendant la période du covid, qui n’est plus valable. Il nous faut donc trouver un nouveau cadre juridique, mais notre but reste d’accompagner financièrement les entreprises qui se diversifieraient en se tournant vers l’industrie de défense, sur la base du maillage territorial très fin que nous aurons opéré avec l’aide des élus locaux.
Voilà concrètement comment le plan ReArm Europe a vocation à se décliner dans nos territoires ; nous avons engagé cette démarche qui produira, je l’espère, un cadre et une méthode pour agir dans les prochains mois.
S’agissant de Renault, je ne me prononcerai pas sur le cas du site de Sandouville, mais je dirai simplement qu’il illustre la difficulté du moment. Je ne dédouane pas entièrement les constructeurs, mais le contexte est celui d’une demande atone, notamment en ce qui concerne le véhicule électrique, pour de nombreuses raisons que j’ai évoquées dans mon propos liminaire. Cette demande atone est liée au contexte, mais aussi aux choix culturels des consommateurs, qui ne se sont pas approprié le véhicule électrique. Peut-être y a-t-il aussi une forme de réticence qui s’explique par la crainte de ne pas trouver des bornes de recharge partout ; c’est pourquoi il nous faut communiquer sur leur existence.
Les constructeurs font donc face à une demande atone. Ils affrontent aussi une concurrence dont j’ai dit qu’elle était agressive et souvent déloyale. Vous le savez, la Commission européenne a récemment surtaxé les véhicules électriques chinois, dont une enquête publiée il y a quelques mois a montré qu’ils étaient subventionnés sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’extraction du lithium pour les batteries jusqu’au fret maritime. Nous soutenons cette décision, mais voilà le contexte dans lequel évoluent les constructeurs. Je ne dis pas qu’il justifie les restructurations ou les suppressions de contrats d’intérimaires, mais on ne peut pas le balayer d’un revers de la main : il faut en tenir compte et nous devons, de la manière la plus coopérative et la plus collaborative possible, essayer de trouver des solutions au niveau français comme au niveau européen.
Vous m’avez ensuite interpellé sur le sujet de la conditionnalité. Nous en débattons très fréquemment ici, que ce soit dans l’hémicycle ou en commission. Les aides que reçoivent les entreprises industrielles – et pas uniquement les constructeurs ou les équipementiers automobiles – sont assorties de contreparties, donc d’une conditionnalité. Quand une entreprise reçoit du crédit d’impôt recherche (CIR), elle doit justifier de dépenses de recherche et développement. (M. Nicolas Sansu proteste.)
Monsieur Sansu, je peux même vous dire que les entreprises jugent le plus souvent très contraignantes les exigences qui sont associées à l’éligibilité au CIR.
M. Nicolas Sansu
Le CIR n’est pas jugé contraignant, non !
M. Marc Ferracci, ministre
Pour les petites entreprises, c’est parfois d’ailleurs une difficulté. Il y a donc des contreparties : une entreprise qui touche du CIR doit effectuer des dépenses de recherche et développement ; quand elle reçoit des aides pour s’engager dans un projet d’investissement et de diversification, elle est dans l’obligation de le réaliser effectivement, faute de quoi elle doit rembourser.
Vous me demandez s’il serait souhaitable d’aller plus loin et d’introduire de nouveaux critères de conditionnalité ou des critères additionnels, fondés par exemple sur le maintien de l’emploi. Il est complètement légitime d’en débattre – nous le faisons d’ailleurs fréquemment –, mais je précise que cela suppose, dans la plupart des cas, de changer la loi. Cela nécessite aussi de tenir compte d’une réalité : quand on verse une aide et plus généralement quand on utilise un instrument de politique économique, il vaut mieux éviter d’associer à un seul instrument des objectifs multiples. Par exemple, si l’on vise en même temps l’objectif de susciter de la recherche et développement et celui de maintenir l’emploi, il peut arriver – c’est en général ce qui se passe – que l’on n’atteigne ni l’un ni l’autre. Les économistes ont depuis longtemps identifié cette incompatibilité ; elle a même fait l’objet d’une théorie que nous devons à l’économiste néerlandais Jan Tinbergen,…
M. Nicolas Sansu
Prix Nobel 1969 !
M. Marc Ferracci, ministre
…selon laquelle un seul instrument doit correspondre à un seul objectif. Nous pouvons légitimement en débattre, mais je pense pour ma part qu’en ce qui concerne la conditionnalité des aides, c’est une approche de bon sens. Si nous voulons conditionner un certain niveau d’aide à de l’emploi, ce doit être la seule condition : la sauvegarde de l’emploi ne doit pas être associée à d’autres objectifs. C’est d’ailleurs ce que nous faisons avec les aides à l’embauche ou les aides à l’apprentissage : si vous n’embauchez pas, vous n’obtenez pas l’aide ; et si vous ne maintenez pas l’emploi qui a fait l’objet d’une aide, vous devez rembourser.
Enfin, le dernier point sur lequel vous m’avez interpellé a trait au verdissement des flottes publiques. Vous avez noté, je pense, que l’amendement sur le verdissement déposé par le gouvernement lors du PLF pour 2025 concerne les entreprises privées. Notre objectif, c’est que les services publics soient exemplaires en la matière. La direction des achats de l’État pilote le verdissement des flottes en référençant les offres électriques par l’intermédiaire de l’Ugap – Union des groupements d’achats publics. En 2023, 30 % des achats étaient électriques ou hybrides, contre 10 % pour les flottes d’entreprises privées. On peut dire que ce chiffre de 30 % n’est pas suffisant, mais c’est tout de même un verdissement bien supérieur à celui qui s’observe dans les entreprises privées. Il est sans doute possible d’aller plus loin ; à titre d’exemple, je précise que les véhicules utilisés par notre pool de chauffeurs, à Bercy, sont électriques.
Pour terminer, je précise que certains véhicules des services publics, en particulier ceux de la gendarmerie et de la police, ne se prêtent guère à l’électricité, car les contraintes de rechargement peuvent nuire à la qualité du service rendu.
J’ai tenté de dresser le tableau le plus large possible et j’espère avoir répondu à la plupart de vos interrogations.
M. le président
Vous avez été très complet, monsieur le ministre. La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Je voudrais commencer par une petite incise sur le CIR, parce qu’il se trouve que j’ai un peu travaillé dessus à la commission des finances. Son montant s’élevait à 7 milliards d’euros en 2024, contre 3 milliards en 2019 ; je ne pense pas que les dépenses de recherche aient été multipliées par deux entre-temps ! Ce crédit d’impôt reste en grande partie opaque. Des études seront certainement publiées bientôt et nous aurons l’occasion d’en reparler, mais un doctorant en sciences humaines, par exemple, est comptabilisé dans le CIR comme un doctorant en recherche fondamentale : voilà la réalité ! J’en termine sur ce sujet.
Vous avez dit, à raison, que nous sommes à un moment de bascule. Vous avez même évoqué un défi existentiel qui se pose à la fois aux consommateurs et aux constructeurs, mais aussi à toute la filière automobile – qui, avez-vous rappelé, fait la fierté de notre pays. Sur les trente dernières années, la tendance est à l’alourdissement et au renchérissement des véhicules individuels. Il faut désormais fortement soutenir le passage au véhicule électrique, qui est une obligation dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique – ne nous voilons pas la face. Or cette transition se heurte à plusieurs écueils, à commencer par le prix.
Vous savez que le prix d’un véhicule électrique neuf, une fois décomptées les aides diverses et la prime à la conversion, atteint encore en moyenne 24 000 euros, ce qui est énorme. C’est un problème aussi pour les administrations : vous avez évoqué l’utilisation de véhicules électriques par les administrations centrales, mais je pense également aux collectivités locales, qui doivent effectuer des arbitrages budgétaires ; il est impossible d’ignorer que le prix de ces véhicules reste beaucoup plus élevé que celui des véhicules thermiques. Ma question est donc la suivante : comment allez-vous faire pour mieux soutenir les consommateurs ?
À la question du prix s’ajoute évidemment celle de la protection de la filière. Vous avez évoqué l’annonce faite par Donald Trump et les subventions considérables accordées par la Chine à l’ensemble de sa filière. Comment l’Europe compte-t-elle se protéger ? Elle doit le faire vraiment, en instaurant des barrières douanières dignes de ce nom, pour qu’une filière européenne puisse se développer.
J’ai à ce sujet plusieurs questions. D’abord, vous avez parlé d’un plan d’urgence, mais s’il s’agit encore de réunir un observatoire de la transition juste – c’est ce qui semble se profiler –, ce ne sera pas suffisant ! Pouvez-vous nous expliquer de quelle manière ce plan d’urgence se concrétiserait ?
Ensuite, les investissements qui sont réalisés – notamment dans la filière automobile – pour lutter contre le réchauffement climatique pourraient-ils être exclus des critères de Maastricht, comme pourraient apparemment l’être ceux consentis dans le cadre de l’économie dite de guerre ? Il serait intéressant qu’une véritable filière se développe dans ce domaine.
Enfin, compte tenu de la faillite d’un projet de gigafactory comme celui de Northvolt, ne risque-t-on pas de rater complètement le virage vers l’automobile électrique ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
S’agissant du CIR, nous pouvons à nouveau en débattre.
M. Nicolas Sansu
Nous en reparlerons une autre fois !
M. Marc Ferracci, ministre
C’est à mon sens un débat tout à fait légitime. Vous avez évoqué des évaluations à venir ; en réalité, certaines sont déjà sur la table, notamment celles qui ont été faites par France Stratégie. Elles ont abouti à quelques aménagements du CIR, dans le PLF pour 2025 : puisque vous avez parlé des doctorants, il se trouve que nous avons supprimé le dispositif qui permettait de doubler le montant des dépenses de personnel prises en compte pour l’embauche de jeunes docteurs. Des ajustements ont donc déjà été réalisés ! Peut-être vont-ils dans le bon sens ; certains diront qu’ils vont dans le mauvais sens, mais en tout état de cause, il n’y a pas d’immobilisme. Je suis pour ma part très attaché à cette démarche d’évaluation des politiques publiques, puisque – vous le savez – j’y ai consacré une partie de ma vie professionnelle, avant d’être député puis ministre. S’agissant du CIR et en particulier des doctorants, les choses ont donc évolué.
Vous avez ensuite évoqué le prix de l’électrique. Vous avez raison, c’est un point essentiel. Au-delà des aspects culturels, notamment la crainte de ne pas trouver de borne de recharge, c’est un frein incontestable à l’acquisition de ces véhicules. Rappelons que la batterie représente 40 % du prix d’une voiture électrique. Compte tenu de l’évolution technologique qui se fait jour en la matière et qui est plus rapide que pour d’autres composants de la voiture – c’est un domaine sur lequel se concentre beaucoup de recherche et développement, notamment chez les constructeurs chinois –, il y a ici une marge de manœuvre.
Cela me permet de répondre à votre question sur les gigafactories de batteries et d’évoquer ce qu’il faut faire pour éviter des Northvolt à la française sur notre territoire. Nous avons besoin de soutenir la filière électrique et, en son sein, la filière batterie. Nous l’avons fait au moyen du soutien à l’investissement, ces dernières années, puisque nous avons dépensé 2 milliards d’euros d’argent public pour aider la filière batterie ; ils ont engendré 6 milliards d’euros d’investissements qui contribuent à l’innovation et permettent une montée en capacité. Notre souci, c’est de structurer une filière qui soit compétitive sur le territoire national, l’idée étant aussi de faire baisser les prix.
Ces sommes dégagées en France se doublent – et vont se doubler – de ressources au niveau européen, comme en témoignent les annonces faites par Stéphane Séjourné il y a quelques jours à Douai – je le disais tout à l’heure. La France a demandé qu’il soit possible de soutenir la filière batterie en utilisant des ressources issues des fonds européens, non seulement pour innover mais aussi pour renforcer la capacité de production des usines. C’est un élément essentiel, car la doctrine de la Commission européenne en matière d’aides publiques – qu’il s’agisse d’aides européennes ou d’aides d’État – refuse absolument toute aide qui n’aurait pas pour finalité l’innovation ou la décarbonation.
Il y a là une évolution majeure, qui est la conséquence des propositions que nous avons faites et de l’action du commissaire Séjourné : la doctrine bouge. Concrètement, cela signifie que nous pourrons aider des gigafactories non seulement à innover, mais aussi à monter en volume. C’est un élément fondamental en vue de la baisse des prix. Dans quelle mesure cela va-t-il se concrétiser ? J’attends de voir, évidemment : il faut d’abord que les actes législatifs soient adoptés et que toutes ces évolutions se traduisent dans les faits.
En tout cas, notre stratégie est bien de continuer à aider la filière batterie, sachant – je le répète – que la batterie représente 40 % du prix d’un véhicule électrique, sans pour autant brider la créativité et le professionnalisme des constructeurs.
À Douai, où j’ai visité l’usine Renault qui produit notamment la R5 électrique, j’ai pu constater que les procédés innovants comme la robotisation ou la digitalisation sont les meilleurs leviers de la baisse des prix, qui est d’ailleurs observable : des véhicules électriques qui se vendaient hier entre 30 000 et 35 000 euros se vendent désormais 25 000 euros. Ce prix est encore beaucoup trop élevé par rapport à la concurrence, mais la dynamique de baisse des prix est intéressante. Voilà pour le volet technologique.
Vous m’interpellez aussi sur le soutien à la demande, c’est-à-dire, pour aller vite, sur le bonus. Certes, le bonus a été réduit pour les raisons budgétaires que vous connaissez, mais reconnaissez-le, il a été maintenu dans son principe. Tous les pays n’ont pas fait ce choix. L’Allemagne l’a supprimé purement et simplement. Il est d’ailleurs possible que la baisse de la demande de véhicules électriques à l’échelle européenne s’explique partiellement par les revirements un peu trop brutaux effectués par nos voisins. Nous continuons donc à soutenir le véhicule électrique, y compris par un soutien à la demande.
Par ailleurs, le verdissement des flottes est un levier de soutien qui ne consomme pas d’argent public et va s’avérer contraignant pour les seules entreprises qui possèdent des flottes de plus de cent véhicules, à la suite de l’adoption d’un amendement dans la loi de finances. Seules les grosses entreprises seront donc concernées par les mesures incitatives au verdissement des flottes, qui s’inscrivent aussi dans cette logique de soutien de la demande et de baisse des prix du véhicule électrique.
S’agissant de la protection commerciale, ma réponse sera forcément prudente car l’actualité est très récente. Après les annonces faites il y a seulement quelques heures par Donald Trump, les dirigeants des pays européens ont déjà entamé des discussions et vont les poursuivre de manière très intense dans les prochains jours pour définir la bonne réponse à apporter. Je peux simplement vous livrer la conviction qui a toujours été la mienne, non seulement pour le secteur automobile, mais pour ce qui est de l’industrie en général, face à la menace commerciale brandie par l’administration américaine.
Je crois que le président des États-Unis obéit à une logique profondément transactionnelle : pour conclure des deals – ce qui constitue son objectif –, il s’engagera le moment venu dans une négociation portant soit sur des baisses de tarifs, soit sur le renoncement aux hausses de tarifs annoncées, en contrepartie de je ne sais quoi, par exemple l’achat d’autres biens comme le gaz naturel liquéfié massivement exporté par les États-Unis – ce n’est qu’une simple hypothèse de travail.
Ma conviction profonde est qu’on ne s’engage pas dans une négociation en position de faiblesse, en ayant d’emblée consenti des concessions. En Européens, notre premier devoir est celui de l’unité et de la fermeté dans la riposte. Concrètement, cela signifie que celle-ci doit porter sur un montant équivalent au volume de tarifs imposé par les États-Unis aux constructeurs automobiles et plus largement aux industries européennes. Cette riposte se répartira entre plusieurs produits, parce que chaque pays a sa propre structure d’exportation.
Il convient d’être prudent sur les résultats de ces discussions entre Européens, mais les premières déclarations, notamment des pays très concernés par les hausses de tarifs dans le secteur automobile, sont intéressantes. Les constructeurs français sont beaucoup moins exposés que les entreprises allemandes – l’Allemagne exporte pour 24 milliards d’euros de véhicules aux États-Unis –, ce qui ne veut pas dire que la France ne risque rien : il faut aussi penser aux équipementiers.
Avant la fin du mois d’avril, si les menaces sont exécutées, une liste de composants, produits en particulier par les équipementiers automobiles, sera publiée par l’administration américaine et nous donnera une vision beaucoup plus fine des conséquences sur nos unités de production et nos usines. Pour l’instant, nous ne disposons pas de ces informations. En tout cas, si l’on s’en tient aux véhicules assemblés, les plus exposés sont les Allemands, même si nous devons rester vigilants.
Cela m’amène à un principe absolument essentiel de la protection commerciale s’agissant du secteur automobile : on ne peut pas protéger uniquement les constructeurs. Il faut au contraire se donner l’ambition de protéger l’ensemble de la chaîne de valeur, notamment les équipementiers. Lorsque nous avons décidé de fixer des tarifs entre 20 % et 50 % sur les véhicules chinois, nous avons protégé les constructeurs. Les équipementiers sont alors venus nous voir et se sont plaints, de façon légitime, de ne pas tirer un grand bénéfice de cette mesure.
Comme je le défendais dans mon propos liminaire, il faut donc trouver les voies et moyens d’imposer des critères de valeur ajoutée produite en Europe, à savoir une certaine proportion de composants fabriqués sur le sol européen. C’est le cas des batteries – des annonces ont été faites en ce sens par le commissaire Séjourné –, mais il faut aller plus loin. Une protection commerciale intelligente passe par cette philosophie, qui était d’ailleurs inhérente à l’Inflation Reduction Act adopté par les États-Unis en 2022 et dont il faut s’inspirer.
Des débats très riches en matière de droit commercial international ont lieu pour savoir si ce type de démarche est conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Certains n’en sont pas convaincus. Ma conviction est qu’il faut tout faire pour rester dans le cadre multilatéral, sous peine de passer dans un régime de relations commerciales internationales gouverné par la loi du plus fort. Néanmoins, il faut se donner toutes les souplesses permises par le droit. À cet égard, dans le secteur automobile comme dans d’autres secteurs – je pense en particulier à l’acier, filière amont qui dépend beaucoup de la dynamique du marché automobile –, les mesures de protection commerciale proposées vont tout à fait dans le bon sens, mais pourraient peut-être encore aller plus loin.
Vous m’avez également interrogé sur le plan d’urgence européen, dont je ferai une courte synthèse. Les mesures d’urgence concernent notamment le lissage des amendes dues au titre de la réglementation Cafe, à propos duquel je me suis exprimé dans l’hémicycle lors des questions au gouvernement. Nous demandons que ce lissage sur trois ans soit porté à quatre ans pour les véhicules utilitaires, dont la maturité de marché est moins importante que celle des véhicules individuels.
Cette flexibilité était absolument nécessaire. En effet, si les constructeurs avaient dû payer des amendes au titre de l’année 2025 sans bénéficier de ce lissage, trois options s’offraient à eux : soit ils auraient payé les amendes – ce qui est toujours pénible ; soit, pour éviter de les payer, ils auraient acheté des crédits d’émission à leurs concurrents, c’est-à-dire à BYD ou à Tesla – solution qui n’était pas satisfaisante ; soit ils auraient été tentés, comme certains nous l’ont confié, de réduire la production et la vente de véhicules thermiques afin de modifier le niveau d’émission moyen des véhicules vendus et d’éviter ainsi de dépasser les seuils qui déclenchent les amendes. Nous souhaitions absolument éviter les conséquences de cette dernière option sur l’ensemble de la chaîne de valeur : si vous réduisez les volumes de véhicules thermiques, ce sont les équipementiers qui souffrent. Nous avons donc obtenu cette flexibilité très bienvenue dans le cadre du plan d’urgence européen.
Nous avons aussi obtenu le principe du verdissement des flottes à l’échelle européenne, qu’il faut saluer. En la matière, notre initiative dans la loi de finances pour 2025 a suscité non seulement l’intérêt, mais la décision de la Commission.
Nous avons aussi obtenu le principe d’un bonus écologique européen. En la matière, l’ambition initiale de la Commission était limitée à l’harmonisation des bonus nationaux existants, fondés sur des critères assez différents et qui génèrent – il faut le reconnaître – une complexité certaine. Pour notre part, nous souhaitions qu’un bonus écologique européen soit créé pour pallier les contraintes budgétaires qui sont les nôtres. Il a finalement été intégré dans les propositions et il s’agit désormais de trouver des ressources européennes pour financer ce bonus, ce qui constitue aussi une manière de répondre à la question des prix.
La Commission s’est engagée à trouver des ressources européennes. Nous avions proposé d’utiliser le produit des amendes dues au titre de la réglementation Cafe pour financer le bonus, ce qui aurait eu au moins le mérite de la cohérence. En tout cas, nous surveillons très attentivement cette question et souhaitons bien sûr la création de ressources nouvelles pour soutenir l’achat, en particulier par les ménages les plus modestes, de véhicules électriques.
Enfin, comme je le disais, nous avons demandé et obtenu un soutien à la montée en cadence des usines de batteries. Une somme de 1,8 milliard d’euros sera utilisée pour soutenir le développement des gigafactories, au titre de leurs capacités de production et pas seulement au titre de l’innovation, ce qui constitue aussi un changement profond dans la doctrine européenne.
M. le président
Le débat est clos.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
Suite de la discussion de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra