XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025

Deuxième séance du lundi 05 mai 2025

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Deuxième séance du lundi 05 mai 2025

Présidence de Mme Clémence Guetté
vice-présidente

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1. Discriminations au travail des personnes engagées dans un projet parental

    Discussion d’une proposition de loi

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Prisca Thevenot et plusieurs de ses collègues visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail (nos 446, 1348).

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Prisca Thevenot, rapporteure de la commission des affaires sociales.

    Mme Prisca Thevenot, rapporteure de la commission des affaires sociales

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    La proposition de loi que nous allons examiner ensemble ce soir vise à offrir une protection nouvelle à toutes les personnes, femmes comme hommes, hétérosexuelles comme homosexuelles, célibataires ou en couple, qui s’engagent dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) ou d’adoption.
    Ces parcours, loin d’être anecdotiques, concernent des milliers de personnes en France. Ils sont longs et éprouvants physiquement, psychologiquement et émotionnellement. Face à cela, les personnes concernées sont encore trop souvent confrontées à l’incompréhension, au silence voire à la discrimination dans leur vie professionnelle et leur carrière.
    Avant d’entrer dans le détail de ce texte, je vous propose de faire ensemble, dans cet hémicycle, quelques rappels sur le contexte et la réalité de ces parcours.
    Si notre pays fait face à une diminution structurelle de la natalité, ce n’est pas du fait de la baisse du désir d’enfant, car ce désir ne faiblit pas. Ce n’est pas moi qui le dis mais les enquêtes statistiques qui le confirment. C’est bien la réalisation de ce projet qui devient de plus en plus difficile. Les raisons en sont multiples : contraintes économiques, problèmes liés au logement, précarité mais aussi, de plus en plus, difficulté à concevoir un enfant.
    Sur ce dernier point, il est d’ailleurs à noter qu’un couple sur quatre est confronté à l’infertilité. Celle-ci est d’origine féminine dans 30 % des cas, d’origine masculine dans 30 % des cas, d’origine mixte dans 30 % des cas, tandis que 10 % des cas restent inexpliqués. Dans notre pays, plus de 3 millions de personnes seraient concernées. Souvent, les personnes touchées s’engagent dans un parcours de PMA ou d’adoption. En 2022, on a dénombré 158 000 tentatives de PMA en France. Un enfant par classe environ est issu d’une assistance médicale à la procréation (AMP).
    Quant à l’adoption, ce sont près de 5 000 enfants qui étaient pupilles de l’État à la fin de l’année 2022. Sur ces 5 000 enfants, 1 000 sont « proposés » à l’adoption.
    Ces parcours sont souvent une course de fond, semée d’embûches, de rendez-vous médicaux, de traitements invasifs, de démarches administratives épuisantes. Une tentative de fécondation in vitro (FIV) implique quinze jours de stimulation hormonale, plusieurs échographies, des injections quotidiennes, des ponctions d’ovocytes, des inséminations et des effets secondaires lourds –⁠ bouffées de chaleur, troubles de l’humeur, migraines sans oublier les effets psychologiques liés à l’attente, provoquant des états de stress. Et tout cela peut être renouvelé jusqu’à six fois de suite !
    L’adoption requiert souvent des années de démarches, de rendez-vous, d’enquêtes sociales, d’attente. Et puis un jour, on reçoit un appel et une procédure d’apparentement commence, qui exige d’être disponible sans délai, parfois pendant sept, dix ou quinze jours, parfois bien plus longtemps.
    Pendant ce temps, la vie professionnelle continue. On affronte parfois le regard des collègues, souvent la peur de devoir s’expliquer, et l’angoisse de fragiliser sa position ou de perdre son emploi. Alors, beaucoup choisissent le silence. Ils s’absentent sans oser dire pourquoi et subissent en retour de l’incompréhension voire de l’hostilité.
    C’est précisément là que notre responsabilité entre en jeu. Nous devons reconnaître et protéger ces parcours parentaux comme nous le faisons déjà s’agissant de la grossesse. C’est justement ce que je vous propose de faire ensemble grâce à ce texte, dont les articles ont été enrichis en commission de plusieurs amendements, tous votés à l’unanimité. Outre qu’il aborde un objet important, ce texte rappelle donc que, oui, dans cette assemblée, les compromis sont possibles pour faire avancer des protections sociales sur lesquelles des femmes et des hommes de notre pays, eux, ne doivent plus avoir à faire de compromis.
    Après un travail collectif en commission, la proposition de loi examinée en séance est composée de deux articles.
    L’article 1er tend à créer des protections nouvelles de la vie professionnelle des femmes et des hommes engagés dans un parcours de PMA ou d’adoption.
    Aujourd’hui, les salariées enceintes et les femmes engagées dans un parcours de PMA bénéficient d’une protection contre les refus d’embauche, les licenciements et les mutations forcées ; la charge de la preuve incombe à l’employeur en cas de litige.
    Demain, si l’article 1er est adopté, les hommes qui doivent subir des traitements médicaux dans le cadre d’un parcours de PMA seront aussi protégés, ainsi que les personnes, hommes ou femmes, engagées dans un parcours d’adoption.
    Par ailleurs, tous ceux, femmes ou hommes, qui suivent ces parcours bénéficieront d’une protection qui s’appliquera aussi aux décisions relatives à la rémunération, la promotion, la formation, l’affectation…
    En résumé, si nous votons ensemble l’article 1er de cette proposition de loi, toutes les personnes engagées dans un parcours parental seront protégées contre des mesures discriminatoires qui peuvent affecter la totalité du parcours professionnel et pas seulement l’embauche ou le licenciement.
    L’article 2, quant à lui, a trait aux autorisations d’absence dont ont besoin les salariés engagés dans un parcours parental. Aujourd’hui, des autorisations d’absence sont prévues pour honorer les rendez-vous médicaux obligatoires liés à la grossesse et ceux qui sont requis pour recevoir les traitements de lutte contre l’infertilité administrés dans le cadre d’une PMA. Toutefois, ces autorisations ne bénéficient qu’aux femmes.
    Demain, si ce texte est voté, les hommes pourront aussi bénéficier d’autorisations d’absence pour recevoir des traitements médicaux dans le cadre d’un parcours de PMA, car, oui, les hommes peuvent aussi être concernés. Par ailleurs, les personnes, hommes ou femmes, engagées dans un parcours d’adoption pourront obtenir des autorisations d’absence pour se rendre aux rendez-vous administratifs et sociaux qui précèdent l’obtention de l’agrément nécessaire pour adopter.
    L’article 2 permettra également aux agents publics de bénéficier du même régime de protection que les salariés.
    En résumé, en votant cet article, vous ferez en sorte que les salariés et agents publics, hommes comme femmes, disposent d’autorisations d’absence rémunérée, de droit, pour honorer les rendez-vous médicaux ou administratifs en lien avec leur projet parental, qu’il s’agisse d’une PMA ou d’une adoption.
    En conclusion, je dirai que, si le politique n’a pas à s’immiscer dans le projet parental et familial de chacun, il lui revient néanmoins d’en faciliter la mise en œuvre pour les personnes qui souhaitent avoir des enfants.
    Cette proposition de loi est un texte d’égalité et de justice qui reconnaît que toutes les parentalités sont légitimes dès lors qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la loi, et qu’ainsi le projet d’être parent mérite d’être accompagné, soutenu et protégé, sans que cela nuise au parcours professionnel. Ce texte ne crée pas de privilège et ne met pas à mal les entreprises. Il apporte simplement la reconnaissance de parcours dans lesquels des milliers de nos concitoyens sont engagés, des parcours marqués par l’espoir, la résilience et parfois la douleur.
    Cette proposition de loi n’est que la première étape de l’application d’une volonté que j’exprime depuis maintenant un moment : celle de doter notre pays d’une véritable politique, non pas de la famille, mais des familles, une politique claire, affichée et surtout assumée. Il nous faut notamment prendre en compte les spécificités des parcours d’adoption, qui sont trop souvent voire systématiquement assimilés au parcours de grossesse, alors même que les notions de temporalité et d’âge de l’enfant adopté ainsi que les spécificités liées au parcours de l’enfant, qui ne sont pas prises en compte, l’en différencient.
    Il nous faut également prendre en considération la santé des femmes et des hommes de bout en bout, surtout depuis l’adolescence, pour instaurer des dispositifs concrets et pertinents quand cela est nécessaire. L’infertilité ne doit plus être un sujet tabou dans notre pays.
    Il nous faut encore prendre en compte les enjeux sociétaux, environnementaux et économiques dans la construction de nos politiques publiques en direction des familles, pour que ces dernières n’aient pas à choisir entre vie professionnelle et vie personnelle et pour que les souffrances endurées dans le cadre d’un projet parental, qu’elles soient physiques ou psychologiques, ne soient plus passées sous silence par crainte du regard de l’autre.
    En votant cette proposition de loi, vous soutiendrez donc le premier étage d’une refonte plus globale de ce que doit être la politique des familles dans notre pays.
    Comme je le disais tout à l’heure, l’examen en commission a permis de dégager une unanimité en faveur de la protection du parcours professionnel des personnes engagées dans un parcours de PMA ou d’adoption. J’ai l’espoir et la conviction que cela pourra se reproduire en séance, sachant qu’aucun nouvel amendement n’a été déposé.
    Cette proposition de loi rappelle que l’Assemblée nationale peut encore faire de la politique utile pour toutes celles et ceux qui nous le réclament en silence. Donnons ensemble un signal fort et beau : mettons fin au silence qui marque ces parcours en offrant un vote à l’unanimité à toutes celles et ceux qui l’attendent en se taisant. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ Mme Annie Duval, suppléant M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales, applaudit également ainsi que Mme Sylvie Bonnet.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.

    Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi

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    La question de l’AMP n’est pas marginale : 15 % des couples sont aujourd’hui confrontés à l’infertilité et une naissance sur trente a lieu dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation.
    Si les causes de l’infertilité se trouvent du côté des hommes autant que des femmes –⁠ vous l’avez rappelé, madame la rapporteure –, le poids du traitement lié à l’AMP repose essentiellement sur les femmes. Une étude internationale de référence a évalué la durée moyenne d’un parcours d’assistance médicale à la procréation à plus de sept ans, dont plus de quatre ans de soins –⁠ exploration, analyse et traitement –, auxquels il faut ajouter neuf mois de grossesse.
    Par sa longueur, sa lourdeur et les difficultés qui le caractérisent, un parcours d’AMP peut évidemment avoir des effets directs sur la vie professionnelle des femmes en renforçant les inégalités professionnelles et en exposant certaines d’entre elles, et aussi certains conjoints, à des comportements discriminatoires de la part de leurs employeurs.
    Trop souvent, l’annonce d’une grossesse expose encore à des comportements discriminants –⁠ refus de promotion, mise au placard, refus de formation, fin de contrat. L’annonce d’un projet de grossesse dans le cadre d’une AMP y expose tout autant, voire davantage.
    Pour préparer notre discussion, j’ai rencontré ce matin la Défenseure des droits. Elle est régulièrement saisie de discriminations liées à la grossesse, encore aujourd’hui, en France, en 2025 ! Je pense par exemple au cas d’une décision intervenue en 2020, qui a donné lieu à une transaction pénale décidée par le Défenseur des droits pour sanctionner des faits de discrimination liés à un projet d’AMP et plus largement à la grossesse.
    Des organisations syndicales et des associations, notamment le collectif Blog assistance médicale à la procréation, créé en 2013, sont régulièrement sollicitées par des salariés rencontrant des difficultés pour faire appliquer la loi.
    Notre cadre juridique en matière de lutte contre les discriminations au sein du monde du travail est très complet et couvre un grand nombre de situations. L’enjeu est de renforcer la prévention, l’identification et la sanction des pratiques discriminatoires, en un mot l’effectivité de ce cadre.
    La lutte contre les discriminations sur le lieu de travail est une priorité. Je suis d’ailleurs très, très favorable à ce que le Parlement continue d’avancer sur la proposition de loi déposée par Marc Ferracci avant son entrée de gouvernement.
    Sans changer la loi, nous travaillons déjà à mieux objectiver les discriminations en réalisant des testings à visée statistique avec la Dilcrah, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, et la Dares, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. Nous devons continuer à travailler sur cette question.
    Par la loi du 26 janvier 2016, le législateur a affirmé explicitement le droit à la non-discrimination, offrant aux femmes engagées dans un parcours d’AMP une protection juridique identique à celle des « femmes en état de grossesse », suivant les termes du code du travail. La même loi prévoit également des autorisations d’absence en raison des actes médicaux réalisés dans le cadre de l’AMP. Des autorisations d’absence peuvent également être accordées aux conjoints.
    Alors que le recours à l’AMP croît et que cette assistance a été ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes par la loi du 2 août 2021, le gouvernement partage la volonté des auteurs du texte de renforcer, clarifier et préciser certaines dispositions du code du travail.
    L’ensemble des modifications que vous proposez d’apporter au code du travail apportent des précisions utiles qui contribueront à mieux protéger les salariés engagés dans une procédure d’AMP ou dans un projet d’adoption.
    Comme l’a précisé Mme la rapporteure, l’infertilité a des causes médicales, sociétales, comportementales et environnementales, auxquelles les techniques d’AMP permettent d’apporter des réponses. Il est important que la société ne place pas d’obstacles supplémentaires sur le chemin d’un projet parental qui, s’il est éminemment personnel, n’en est pas moins d’intérêt général, au moment où la France, à l’instar de tous les pays développés, traverse une crise démographique absolument inédite.
    S’agissant de l’infertilité, le président de la République a lancé l’alerte en janvier 2024. Le gouvernement de François Bayrou a fait de la lutte contre l’infertilité une priorité. C’est en particulier le cas de Catherine Vautrin et Yannick Neuder qui ont défini une feuille de route visant notamment à améliorer les parcours d’AMP par une meilleure organisation du parcours médical et de l’offre territoriale.
    Je remercie le Parlement de s’être emparé de cette question, grâce à l’implication de Mme Prisca Thévenot, des députés signataires de cette proposition de loi et de tous les membres de la commission des affaires sociales. Aucun amendement n’a été déposé sur le texte, ce qui prouve que le travail a été remarquablement conduit en commission.
    Le gouvernement est favorable à l’adoption de cette proposition de loi qui fera œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ Mmes Sylvie Bonnet et Béatrice Piron applaudissent également.)

    M. Sylvain Maillard

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    Bravo !

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Arnaud Simion.

    M. Arnaud Simion

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    Il est regrettable de constater qu’en France, les projets de parentalité puissent encore exposer à des risques de discrimination, parce qu’il est parfois indispensable de disposer de larges plages horaires de liberté pour les mener à bien. C’est particulièrement le cas pour les personnes qui entament un parcours de PMA et d’adoption.
    Pourtant, ces discriminations sont interdites par la loi et la jurisprudence. En effet, depuis la loi du 26 janvier 2016, adoptée durant le quinquennat de François Hollande, la protection accordée par le code du travail à la femme enceinte vaut pour les femmes engagées dans un parcours de PMA.
    Ce texte important précise les conditions pour que ces impératifs médicaux n’aient pas d’incidences, notamment sur la rémunération et les congés payés. Dès lors, l’employeur ne peut s’appuyer sur le parcours de PMA d’une femme pour refuser de l’embaucher, de la muter, ou pour rompre son contrat de travail.
    La salariée peut ainsi s’absenter pour se rendre aux examens médicaux nécessaires et, à ce titre, elle bénéficie d’autorisations d’absence rémunérées par l’employeur. Le conjoint salarié dispose également d’autorisations d’absence pour se rendre à trois des examens médicaux obligatoires. Le juge peut se fonder sur la discrimination en raison de l’état de santé pour donner raison à la salariée en parcours de PMA, comme l’a décidé la Cour de cassation dans un arrêt de juin 2018.
    Toutefois, même si l’objectif de cette proposition de loi est déjà satisfait par le droit actuel, le fait d’introduire le projet parental parmi les motifs de discrimination est une avancée qui ne soulève aucune difficulté.
    Permettez-moi une digression, nourrie des rencontres que j’ai pu faire dans ma circonscription. C’est en pensant à Laure, engagée dans une démarche de fécondation in vitro (FIV) et percluse de souffrance, que j’évoquerai deux questions afin de faire progresser la lutte contre l’infertilité en France.
    Je pense d’abord au problème du nombre de recours à un FIV. Illimité jusqu’en 2000, ce nombre est désormais limité à quatre seulement : en cas d’échec, la solution est de partir à l’étranger, pour des coûts pouvant s’élever jusqu’à 10 000 euros à chaque nouvelle tentative.

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Eh oui !

    M. Arnaud Simion

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    L’accès à la parentalité ne peut être lié aux ressources des futurs parents.
    Si cette limite était levée, il n’y aurait pas une explosion du nombre de FIV, mais seulement une hausse du nombre de tentatives, les médecins restant évidemment décideurs en fonction du dossier médical.
    Ensuite, le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPIA), défendu par le collectif Bamp, dont je salue les militantes présentes ici ce soir –⁠ ces dernières ont, je crois, déjà débattu avec Mme la rapporteure – est une technique utilisée dans le cadre d’une FIV pour détecter les anomalies chromosomiques dans les embryons avant leur implantation dans l’utérus.
    Si la patiente le souhaite, cette technique permet d’analyser l’embryon avant son transfert, afin d’éviter au maximum les fausses couches et de parvenir à la parentalité. Les témoignages de femmes sont clairs : un arrêt de grossesse est une épreuve physique et mentale très difficile.
    Cette technique est utilisée quasiment partout en Europe sauf en France. En 2025, alors que la société évolue et que le projet de parentalité est souvent plus tardif, il est plus que jamais nécessaire de revoir les positions françaises sur ce sujet, afin de limiter les souffrances et de favoriser l’accès à la parentalité.
    J’invite donc le gouvernement à aller plus loin dans la réflexion collective sur ces questions. En attendant, le groupe Socialiste et apparentés apporte bien évidemment son soutien à la proposition de loi défendue par Prisca Thevenot. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. –⁠ Mme Maud Petit applaudit aussi.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sylvie Bonnet.

    Mme Sylvie Bonnet

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    L’objectif de cette proposition de loi est d’intégrer une protection supplémentaire dans le monde du travail pour les personnes engagées dans un projet parental passant par un parcours de procréation médicalement assistée ou par l’adoption.
    L’évolution proposée s’inscrit dans un corpus juridique existant. En effet, l’article L. 1132-1 du code du travail dispose déjà qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, en raison de sa situation familiale ou de sa grossesse. La discrimination sur le fondement de la situation de famille ou de la grossesse d’un employé est donc déjà interdite.
    Par ailleurs, le code du travail prévoit déjà une protection des droits des salariés en ce qui concerne les absences pour des raisons médicales liées à la grossesse et à l’assistance médicale à la procréation, pour les personnes et les conjoints engagés dans un projet parental.
    L’article L. 1225-16 du code du travail dispose ainsi que : « La salariée bénéficie d’une autorisation d’absence pour se rendre aux examens médicaux obligatoires prévus […] dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l’accouchement. » La salariée bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation bénéficie, elle aussi, d’une autorisation d’absence pour les actes médicaux nécessaires.
    De même, le conjoint salarié de la femme enceinte ou bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation, ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec elle, bénéficie également d’une autorisation d’absence pour se rendre, au maximum, à trois des examens médicaux obligatoires ou nécessaires pour chaque protocole du parcours d’assistance médicale.
    Ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés, ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par la salariée au titre de son ancienneté dans l’entreprise.
    Enfin, l’article L. 1225-3-1 du code du travail, réformé en janvier 2016, a étendu aux femmes bénéficiant d’une PMA les protections contre les discriminations liées à la grossesse.
    En commission des affaires sociales, nous avons adopté la proposition de loi à l’unanimité. Madame la rapporteure, à la suite de nos questions, vous avez apporté des précisions sur la portée juridique du texte en rappelant que la rédaction actuelle de la loi évoquait la grossesse, tout en excluant le parcours spécifique de la PMA. Or ce parcours concerne parfois des hommes, alors que la loi cible les femmes. De plus, les personnes qui suivent un parcours d’adoption ne sont pas explicitement mentionnées dans la loi.
    Ainsi, même si l’article L. 1132-1 du code du travail précise déjà que les discriminations sont interdites en fonction de la situation familiale ou de la grossesse, le dispositif proposé apporte une sécurité supplémentaire aux personnes engagées dans un parcours de PMA ou d’adoption, en particulier les hommes. Par conséquent, les députés du groupe de la Droite républicaine voteront en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. –⁠ Mme Maud Petit applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    En France aujourd’hui, il suffit d’annoncer que l’on suit un parcours de PMA pour risquer de perdre son emploi. Sabrina en a fait l’amère expérience : stage arrêté et embauche annulée, simplement pour avoir voulu fonder une famille. Ce n’est pas un cas isolé. Ce n’est pas une exception. C’est une discrimination bien réelle et encore tolérée dans le monde du travail.
    Cette proposition de loi est donc nécessaire. Elle dit clairement que le projet parental, par PMA ou par adoption, pour les familles LGBTQIA + ou pour des raisons d’infertilité, doit être protégé comme n’importe quel autre droit fondamental. Il n’y a pas de projets parentaux inférieurs aux autres, il n’y a pas de famille de seconde catégorie : ces principes sont valables dès le parcours de procréation. Ne pas l’inscrire dans la loi, c’est laisser des centaines de salariés sans recours face à l’arbitraire.
    Cependant, il ne suffit pas de proclamer des droits : il faut leur donner vie. Or le parcours de PMA en France reste semé d’embûches. Depuis l’ouverture de la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules en 2021, la promesse d’égalité est restée en partie lettre morte.
    Les délais d’attente explosent, dépassant parfois dix-huit mois, faute de moyens suffisants dans les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, les fameux Cecos. Faute de recrutement de médecins et d’investissements publics massifs, des femmes sont encore contraintes de partir à l’étranger pour exercer un droit supposé acquis.
    On manque cruellement de gamètes –⁠ ovocytes et spermatozoïdes – et la situation est particulièrement compliquée pour les personnes racisées en parcours de PMA, car les dons qui correspondent à leurs caractéristiques physiques sont très peu nombreux.
    J’en profite donc pour passer un message de service, puisque le gouvernement n’a toujours pas lancé de campagne d’ampleur pour sensibiliser au don de gamètes.
    Si vous êtes un homme entre 18 et 44 ans, en bonne santé, n’hésitez pas à donner vos spermatozoïdes. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.) Au 31 décembre 2024, plus de 10 000 personnes étaient en attente d’un don de sperme, alors que seulement 1 000 hommes ont été candidats pour faire un don. Pourtant, messieurs, c’est littéralement une partie de plaisir.
    Si vous êtes une femme entre 18 et 37 ans, en bonne santé, n’hésitez pas à faire don de vos ovocytes. Au 31 décembre 2024, un peu moins de 3 000 personnes étaient en attente d’un don d’ovocytes. En parallèle, cette même année, 1 000 femmes seulement ont été candidates pour faire un don. La procédure est longue et contraignante, mais son impact pour les familles concernées est immense.
    Pour les ovocytes comme pour les spermatozoïdes, vous le voyez bien : le compte n’y est pas. Donner ses gamètes, ce n’est pas faire un enfant. C’est simplement offrir à d’autres la possibilité d’être parents.
    Une fois le parcours entamé, cela reste encore compliqué. Les rendez-vous médicaux sont nombreux et difficiles à anticiper : on ne sait pas forcément quand surviennent les règles ni quand auront lieu les échographies de contrôle, la ponction, le transfert ou l’insémination. On ne sait pas comment le corps va réagir à la stimulation hormonale, avec parfois des effets secondaires éprouvants. Tout est incertitude dans cette période d’espoir immense, à laquelle il faut ajouter le silence, le tabou, puis l’anxiété et la crainte d’être discriminée.
    Il est donc essentiel de protéger tous les projets parentaux au travail, pour toutes les familles, quels que soient leur parcours et leurs raisons. J’ajoute que l’inspection du travail est exsangue : postes supprimés, contrôles raréfiés et sanctions bien trop rares pour être dissuasives. Si nous voulons que cette protection soit réelle, il faudra reconstruire une force de contrôle digne de ce nom dans les entreprises.
    Enfin, à la veille de l’examen de la proposition de loi dite Duplomb, je ne peux m’empêcher de rappeler le chiffre que Mme la rapporteure a mis en avant : un couple sur quatre rencontre aujourd’hui des problèmes d’infertilité. Ce n’est pas un hasard. C’est le symptôme d’un modèle économique qui sacrifie la santé sur l’autel du profit. (Mme Christine Arrighi et M. Boris Tavernier applaudissent.) Comment ignorer que l’infertilité explose sous l’effet des perturbateurs endocriniens, des pesticides et de tout ce cocktail chimique imposé à nos corps ?

    M. Arnaud Bonnet

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    Évidemment !

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Protéger le parcours de PMA et d’adoption est indispensable ; protéger nos corps l’est tout autant. C’est une seule et même bataille : la bataille pour le droit à fonder une famille, la bataille pour l’égalité réelle au travail, la bataille pour vivre en bonne santé, la bataille pour un environnement sain.
    Nous voterons ce texte, parce qu’il est juste, mais nous le disons clairement : la cohérence impose aussi de combattre dès demain la proposition de loi Duplomb, qui ne ferait qu’accélérer l’exposition massive aux substances toxiques et aggraver encore l’infertilité.
    Il ne sert à rien de protéger les projets parentaux d’un côté, si c’est pour laisser certains industriels détruire la capacité même à devenir parent de l’autre. Nous voulons une loi qui protège et un monde qui n’empoisonne plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ Mme Maud Petit applaudit aussi.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.

    M. Cyrille Isaac-Sibille

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    Cette proposition de loi vise à inclure explicitement, parmi les critères de non-discrimination en matière d’emploi, le projet parental des personnes engagées dans une procédure d’assistance médicale à la procréation ou d’adoption. Le groupe Démocrates la soutient pleinement : adoptée à l’unanimité en commission, elle s’inscrit dans la logique de notre engagement en faveur du soutien aux couples ayant un désir d’enfant et d’un renforcement de la politique familiale.
    Selon une étude réalisée en 2023 par l’Union nationale des associations familiales (Unaf), le désir d’enfant, inchangé depuis 2011, est en moyenne de 2,27 enfants par famille ; or l’indicateur conjoncturel de fécondité ne s’élève qu’à 1,68 enfant par femme. Il nous faut donc mieux accompagner les couples qui ont un désir d’enfant en supprimant tous les freins qu’ils pourraient rencontrer.
    Cet écart et la diminution du taux de fécondité s’expliquent par plusieurs facteurs. Le premier réside dans un climat peu optimiste, nourri d’incertitudes par les crises économiques, sanitaires, environnementales qui se sont succédé, fragilisant les projets d’avenir et pesant sur le désir d’avoir des enfants. Le deuxième facteur tient à ce que l’évolution de la société, une articulation plus contraignante entre vies professionnelle, personnelle et familiale, conduisent à avoir des enfants à un âge plus avancé, restreignant les possibilités biologiques de fertilité. Viennent ensuite des politiques familiale et fiscale parfois désincitatives, et enfin, disons-le, des discriminations en matière d’emploi qui persistent.
    En effet, en France, un projet parental reste susceptible de freiner une carrière, injustice d’autant plus grande que le parcours de procréation assistée se révèle souvent complexe, long, éprouvant, coûteux, semé d’incertitudes, d’absences, de fatigues physiques ou psychologiques.
    Face à cette réalité, nous devons agir. Encore une fois, il est de notre devoir de nous tenir aux côtés des couples, de soutenir leur désir de parentalité. Alors que l’Institut national d’études démographiques (Ined) estime qu’un enfant sur trente est conçu grâce à l’AMP, il ressort d’une étude de 2022 qu’un projet parental réduit de 15 % les chances d’obtenir une réponse positive à une candidature en réponse à une offre d’emploi. Il s’agit là d’une discrimination majeure.
    Soutenir ce texte, c’est affirmer notre volonté d’égalité, de justice et d’un meilleur accompagnement des familles, d’autant que notre pays est confronté à de grandes difficultés démographiques : depuis dix ans, la natalité ne cesse de reculer. Au-delà de ses implications sociales, le sujet présente une importance particulière, nationale et internationale, d’un point de vue économique. Comme l’a résumé le premier ministre, alors haut-commissaire au plan : « La population est donc à la fois la finalité de l’action politique et l’un de ses plus puissants déterminants. » Madame la rapporteure, vous pouvez compter sur le soutien du groupe Modem ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe EPR.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Béatrice Piron.

    Mme Béatrice Piron

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    Je tiens à saluer cette proposition de loi, dont l’objectif est clair : adapter notre droit du travail à l’évolution des parcours de vie, en particulier de ceux qui précèdent la parentalité au sens strict. Nous devons protéger tous ceux qui ont un désir d’enfant, surtout ceux dont le parcours est compliqué.
    En France, le principe d’égalité de traitement au travail est solidement établi : l’article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination fondée sur une longue liste de critères, allant de l’origine à l’orientation sexuelle en passant par l’âge, le handicap ou l’état de santé.
    Aujourd’hui encore, certaines réalités restent à la marge du droit. C’est le cas des projets parentaux, qu’il s’agisse de PMA ou d’adoption. Tant que l’enfant n’est pas là, que la parentalité n’est pas officiellement constituée, les femmes, les hommes, plus généralement les couples engagés dans une telle démarche ne bénéficient pas toujours des protections nécessaires et restent exposés à des discriminations insidieuses : refus d’embauche, mutations injustifiées, retards de carrière. Ces situations existent, le Défenseur des droits les recense : en 2023, près de la moitié des réclamations pour discrimination concernaient le monde du travail. Nullement exceptionnels –⁠ il y a eu, en 2024, 158 000 PMA, et un couple sur quatre rencontre des difficultés à procréer –, ces parcours souvent longs de plusieurs années, parfois douloureux, demandent du temps, des démarches, des soins médicaux, des entretiens ; ils nécessitent de l’engagement, de la patience, de la résilience. Le texte vise à ce que le droit reconnaisse cet engagement, le protège, cesse de le considérer comme périphérique, simple détail de la vie professionnelle.
    Nous restons néanmoins lucides : cette proposition de loi ne résoudra pas les difficultés à elle seule ; elle ne dispensera pas les pouvoirs publics de renforcer la sensibilisation, la formation, l’information des employeurs ; elle ne remplacera pas l’indispensable travail réalisé sur le terrain par les services d’inspection et les délégués du Défenseur des droits. En revanche, elle constituera un levier efficace pour faire évoluer les mentalités et soutenir une parentalité plus inclusive, plus respectée, mieux protégée dans la vie professionnelle.
    C’est en ce sens que la rapporteure a proposé de réécrire le texte, afin de rendre la mesure plus concrète en élargissant et précisant les protections que prévoit d’ores et déjà le code du travail pour les personnes engagées dans un projet parental, sans créer de nouveau critère de discrimination.
    Nous avons ainsi adopté en commission un amendement visant à ce que les protections liées à la grossesse en matière de refus d’embauche, mutation, rupture de contrat, charge de la preuve, soient explicitement étendues aux femmes et hommes engagés dans un parcours de PMA ou d’adoption. Le texte prévoit également une autorisation d’absence pour cause de démarches préalables à l’adoption et garantit aux agents publics les mêmes droits qu’aux salariés du secteur privé.
    À la fois pragmatiques et ambitieux, ces ajustements renforcent la cohérence de notre droit et le rendent plus juste ; ils signifient à tous ceux qui aspirent à devenir parents, quelle que soit leur situation personnelle ou médicale, que la République les soutient et les protège. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Stéphane Viry.

    M. Stéphane Viry

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    La proposition de loi soumise ce soir à notre examen vise à combler une lacune juridique : l’absence de protection explicite des personnes engagées dans un projet parental. Alors que notre arsenal législatif interdit les discriminations fondées sur le sexe, la grossesse ou encore la situation familiale, force est de constater qu’une zone d’ombre subsiste concernant les projets en construction, qu’il s’agisse d’adoption ou de procréation médicalement assistée.
    Ces parcours jalonnés d’épreuves, de rendez-vous médicaux, de démarches administratives, associés à une charge émotionnelle considérable, restent largement invisibilisés, donc insuffisamment protégés dans la sphère professionnelle.
    À l’approche de l’examen de ce texte, j’ai échangé avec un couple d’Épinal qui me disait être confronté à des remarques déplacées : pas nécessairement des attaques véhémentes, mais des comportements susceptibles de fragiliser émotionnellement les personnes qui se sont battues ou se battent encore pour construire une famille telle qu’ils la souhaitent, et surtout des comportements qui ont des effets sur leur vie professionnelle. Ce n’est pas acceptable.
    J’ai toujours considéré que, loin de rester figé, le droit du travail avait vocation à accompagner les transformations sociétales, à sécuriser des droits. En l’occurrence, l’absence de cadre clair crée une insécurité juridique préjudiciable aux hommes et aux femmes qui ont un projet parental ; il en résulte une situation d’autant plus problématique que les discriminations sont par nature difficiles à prouver.
    La famille constitue le creuset essentiel où se forgent les identités, où s’élabore le lien social, où se transmettent les valeurs qui fondent notre cohésion nationale ; il importe que nous, législateurs, appréhendions cette réalité sociale dans toute sa diversité contemporaine. Nous ne saurions en rester à un modèle de la famille figé, unique et monolithique : la société française connaît une pluralité de configurations familiales.

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    C’est vrai !

    M. Stéphane Viry

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    C’est le reflet de nos aspirations individuelles et collectives mais aussi des avancées scientifiques et médicales qui ont considérablement élargi les possibilités d’accès à la parentalité. Ce soir, je veux d’ailleurs féliciter celles et ceux qui font avancer la recherche !
    Affirmer qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les différentes façons de fonder une famille, c’est reconnaître une évidence :…

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Bravo !

    M. Stéphane Viry

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    …biologique, médicalement assistée ou adoptive, la filiation relève d’une même réalité affective et sociale. Le projet parental, le fait de s’engager à élever un enfant, à l’accompagner vers l’âge adulte, constitue l’essence même de la parentalité, bien davantage que les modalités par lesquelles celle-ci s’est concrétisée.
    Je le dis avec force, la République se doit d’être la garante de cette égalité fondamentale entre tous les parcours. La protection que nous nous proposons d’inscrire dans notre droit du travail n’a donc rien d’accessoire –⁠ c’est encore moins un gadget ; elle participe de la vision universaliste qui est la mienne, qui considère chaque citoyen, dans la singularité de son projet familial, chacun d’entre eux méritant la même considération, la même protection de la part des institutions républicaines.
    Je me réjouis particulièrement que le texte, enrichi en commission, aille plus loin que sa version initiale en instaurant une autorisation d’absence dans le cadre de la PMA, si bien que les hommes devant se soumettre à des examens médicaux pourront en bénéficier : cette avancée consacre une approche véritablement égalitaire de la parentalité.
    Soutenir les familles dans leur diversité, c’est investir dans la cohésion de demain. Naturellement, le groupe LIOT votera en faveur de ce texte, qui s’inscrit pleinement dans notre vision d’une République protectrice et universelle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC. –⁠ Mmes Marie-Charlotte Garin et Maud Petit applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Émeline K/Bidi.

    Mme Émeline K/Bidi

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    Procréer ou travailler, faut-il choisir ?

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Non !

    Mme Émeline K/Bidi

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    Telle est la question que, dans le monde qui est le nôtre, se posent de plus en plus de Françaises et de Français ; elle est plus prégnante encore s’ils se trouvent engagés dans un parcours difficile.
    Pour celles et ceux qui se battent encore pour les droits des travailleurs, la proposition de loi que nous examinons ne constitue pas une petite avancée. L’examen en commission du texte s’est conclu par une réécriture globale –⁠ nous vous en félicitons. Si les députés communistes et des territoires d’outre-mer ne peuvent que souscrire à l’ambition affichée –⁠ lutter plus efficacement contre les discriminations au travail liées à un projet parental –, force a été de constater que la rédaction initiale de ce texte ne prévoyait, au regard des dispositions législatives existantes, aucune protection nouvelle. De surcroît, le dispositif proposé aurait pu se révéler contre-productif, en réduisant la portée extensive de la jurisprudence, précieuse en matière de lutte contre les discriminations.
    Nos observations ayant été entendues, la nouvelle rédaction se révèle bien différente, efficiente, plus intéressante grâce à la réflexion qu’elle engage au sujet de la protection des travailleurs. La première avancée concrète consiste à rendre visibles au sein de l’entreprise, en les mentionnant clairement dans le code du travail, les salariés, hommes et femmes, engagés dans une démarche d’adoption ou de procréation médicalement assistée.
    Il ne s’agit évidemment pas de les obliger à se signaler, mais en vertu de l’article 1er du texte, l’employeur ne pourra tenir compte d’une telle démarche pour refuser une embauche, rompre un contrat de travail, décider d’une mutation ; l’homme ou la femme concerné ne sera pas non plus tenu de faire état de son projet au moment de son recrutement. En cas de litige sur ces points, ce sera à l’employeur de communiquer les éléments qui justifient sa décision, le doute devant toujours profiter au salarié.
    L’engagement dans un parcours de PMA ou d’adoption ne pourra pas davantage être pris en considération pour justifier le non-renouvellement ou la résiliation du contrat, la rémunération, la formation ou l’affectation des travailleurs. Ce sont de véritables avancées, cohérentes avec l’évolution de notre société.
    L’article 2 est encore plus intéressant, puisqu’il renforce les droits aux autorisations d’absence en les élargissant. Il constitue une avancée importante dans la mesure où il reconnaît formellement le parcours du combattant que représente la PMA comme l’adoption.
    Cet article reconnaît l’insuffisance du droit en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie privée, qui constitue une difficulté récurrente. Il montre que « protéger les travailleurs », pour reprendre l’intitulé de la proposition de loi, ne se résume pas à garantir des protections élémentaires de non-discrimination prévues par le code du travail ; cela implique aussi de repenser le travail compte tenu des conditions de vie. Adapter le travail aux situations de vie, c’est aussi lutter contre les inégalités salariales.
    Une étude de l’Insee et de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), publiée en 2022, montre que l’arrivée d’un enfant influence différemment les trajectoires professionnelles des mères et des pères. Les mères ont tendance à réduire leur temps de travail, à changer moins souvent d’emploi et à travailler plus près de leur domicile, ce qui freine à la fois leur évolution de carrière et l’augmentation de leur salaire. En revanche, les pères augmentent leur temps de travail et sont plus nombreux à se déclarer confrontés à des situations de tension au sein de leur entreprise.
    Une étude d’OpinionWay pour l’Unaf indiquait que 42 % des parents posaient des jours de congé afin de gérer des imprévus liés aux enfants. De même, 40 % des parents ont déjà interrompu ou réduit leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant en dehors des congés parentaux.
    Ainsi, la protection des travailleurs engagés dans un projet parental est nécessaire, mais elle ne répond pas à l’ensemble des difficultés rencontrées par les parents en situation d’emploi ni à par ceux privés partiellement ou complètement d’emploi simplement parce qu’ils sont parents.
    Or, les attaques successives menées contre les droits des travailleurs au seul profit d’une intensification du travail ont œuvré à rebours de la nécessaire évolution progressive et protectrice des conditions de travail.
    Dans ce contexte, cette proposition de loi amorce un pas important ; nous la soutiendrons. Elle en appelle d’autres, plus grands tant pour réparer ce qui a pu être abîmé en matière de protection des travailleurs que pour adapter l’entreprise à leurs besoins nouveaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LIOT. –⁠ M. Denis Fégné applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Olivier Fayssat.

    M. Olivier Fayssat

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    La présente proposition de loi répond à une préoccupation simple et légitime : celle de mieux protéger nos concitoyens engagés dans un parcours de parentalité par la procréation médicalement assistée ou l’adoption qui peuvent faire face à des discriminations dans le monde du travail. Nous ne pouvons qu’être favorables à cette intention.
    Ce texte entend répondre aux difficultés bien réelles rencontrées par les femmes et les hommes qui, dans ces parcours longs, éprouvants, parfois douloureux, doivent jongler entre leurs obligations personnelles et les exigences de leur activité professionnelle.
    Il n’est pas acceptable qu’un salarié craigne de perdre son emploi ou de voir sa carrière freinée en raison de son projet parental. Le groupe UDR votera donc en faveur de cette proposition de loi.
    Toutefois, les bonnes intentions ne dispensent ni de la prudence, ni de l’exigence juridique. Il convient de s’interroger sur les conséquences concrètes du texte.
    D’une part, plusieurs dispositions du droit du travail interdisent déjà les discriminations fondées sur la grossesse, la situation de famille ou l’état de santé. Dès lors, on peut légitimement se demander si l’ajout d’un motif supplémentaire de discrimination pour projet parental ne vient pas créer un risque de confusion juridique. Une terminologie trop spécifique pourrait avoir pour effet paradoxal de remettre en cause la jurisprudence existante ou de réduire la portée d’une protection jusqu’alors plus large, notamment en contraignant les juges à des interprétations plus rigides ou plus étroites.
    D’autre part, si le texte vise à étendre certains droits d’absence aux hommes engagés dans un parcours de PMA ou aux personnes engagées dans une procédure d’adoption, nous devons veiller à ce que ces avancées soient claires, applicables et équilibrées.
    Nous appelons à la vigilance sur deux plans. Sur le plan juridique d’abord, pour garantir une application sûre et prévisible du texte. Sur le plan pratique ensuite, pour s’assurer que la loi soit connue, que les employeurs soient sensibilisés, que les salariés soient informés, et que les moyens de contrôle soient effectifs. C’est seulement à cette condition que la loi pourra véritablement être respectée.
    À droite, nous sommes favorables à l’établissement d’une véritable politique familiale et à l’encouragement à la natalité. La société française est traversée par des doutes et des fragilités. La baisse de la natalité n’est pas un hasard : c’est le signe d’un malaise plus profond.
    Cette proposition de loi ne saurait, à elle seule, y remédier. Toutefois, si elle est bien encadrée, elle peut envoyer un signal d’écoute et de soutien à ceux qui construisent un projet de vie exigeant. En ce sens, elle est susceptible de constituer une étape utile. Encore faut-il qu’elle s’inscrive dans une politique plus cohérente, plus ambitieuse, qui assume pleinement de soutenir la famille, d’encourager la parentalité et de défendre la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.
    Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons cette proposition de loi tout en appelant à son application rigoureuse et équilibrée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Angélique Ranc.

    Mme Angélique Ranc

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    À l’heure où la France fait face à un hiver démographique sans précédent, où de nombreuses femmes peinent à se rapprocher du nombre idéal d’enfants souhaités, où l’infertilité est devenue un enjeu de santé publique majeur, il est du devoir du législateur de faire tout ce qui est en son pouvoir pour accompagner les ménages souhaitant s’engager dans un projet familial.
    Dans ce contexte, la proposition de loi visant à protéger les personnes qui initient un parcours d’assistance médicale à la procréation et à l’adoption répond à nos préoccupations.
    Elle est d’autant plus légitime que de nombreux projets parentaux, en plus d’être l’objet de discriminations, sont également entravés par des circonstances économiques délétères.
    Ce sujet était déjà celui de la proposition de loi visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant, présentée dans le cadre de la niche du groupe Démocrates, qui aurait pu corriger le cap.
    Le Rassemblement national soutient pleinement la présente proposition de loi et se réjouit que la version issue des travaux de la commission intègre nos deux propositions de modification.
    D’abord, nous avons proposé de clarifier l’objet du texte en citant nommément les discriminations concernées, soit la PMA et l’adoption, dans l’article 1er. Cette précision évite ainsi un flou juridique qui aurait pu être dommageable dans le cadre de l’application de la loi.
    Ensuite, nous avons proposé d’assurer une égalité de traitement réelle entre ces deux projets familiaux en permettant aux personnes engagées dans un parcours d’adoption de bénéficier du même droit que les personnes suivant un parcours de PMA à l’obtention d’une autorisation d’absence pour se rendre aux entretiens dans le cadre d’une adoption. Pour mémoire, ces entretiens sont obligatoires pour obtenir l’agrément d’adoption.
    Il est important de rappeler que cette proposition de loi, d’apparence technique, ne traite pas seulement de principes abstraits ; elle concerne des réalités humaines. Au-delà des articles et des amendements, elle fait écho à une expérience profondément intime que j’ai moi-même traversée. J’ai effectué deux parcours de PMA à une époque où ces autorisations d’absence n’étaient pas encore reconnues par la loi du 26 janvier 2016. Je sais ce que c’est que d’être contrainte de jongler entre les obligations professionnelles et les rendez-vous médicaux, sans aucune aide ni reconnaissance de la société.
    Comment imaginer que le droit de bénéficier d’autorisations d’absence soit attribué aux seules personnes suivant un parcours de PMA, mais pas à celles qui souhaitent adopter ? Comment cautionner cette inégalité de traitement envers de nombreux couples ou individus qui veulent se lancer dans un projet familial ? Je me réjouis que ce nouveau texte puisse corriger cette injustice.
    Ces nouvelles mesures traduisent une volonté d’adaptation de notre loi aux réalités de la parentalité et viennent aider tous nos compatriotes engagés dans ces parcours longs, exigeants et parfois stigmatisants.
    Ce texte a certes une ambition limitée, ce que nous le déplorons, car il ne relancera pas la démographie, il ne permettra pas aux familles de faire face aux problèmes économiques liés à la parentalité, il n’aidera pas les ménages à trouver des maternités ou des écoles à proximité de leur domicile, il n’aura aucune influence sur l’incertitude des couples confrontés à un avenir précaire. Cependant, il aidera au quotidien de nombreuses personnes qui pourront poursuivre leur parcours d’assistance médicale à la procréation ou d’adoption avec sérénité, il contribuera à pallier les difficultés à concilier vie professionnelle et personnelle, il rétablira un peu de justice pour les ménages qui ne parviennent pas à avoir d’enfants et qui sont contraints d’avoir recours à la PMA ou d’adopter. En bref, il constitue un geste de solidarité envers ces futures familles. C’est pourquoi le Rassemblement national votera en faveur de ce texte.
    S’il ne constitue pas un aboutissement, il répond à une nécessité et il constitue un point de départ qui doit nous mener à relancer la réflexion sur la place de la famille dans notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Camille Galliard-Minier.

    Mme Camille Galliard-Minier

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    Quatre ans, c’est le temps d’attente que Cédric et Emmanuelle ont supporté entre la première insémination et la naissance de leurs jumeaux, Gabin et Gaspard. Emmanuelle et Cédric ont souhaité être parents dès leur rencontre. Le constat de l’infertilité de l’un d’eux les a menés à s’engager dans un parcours de procréation médicalement assistée.
    Quatre ans de rendez-vous médicaux auxquels il a fallu se rendre alors même que le centre de procréation médicalement assistée était situé à une heure trente de leur domicile.
    Quatre ans de vie mise entre parenthèses, oscillant entre doutes, espoirs, fatigue et tensions –⁠ tensions à la fois dans la vie quotidienne de ce couple et dans la vie professionnelle de chacun.
    À la peur de l’échec de la procréation médicalement assistée et à la fatigue du traitement s’est ajoutée pour Emmanuelle la peur d’être mal considérée par son employeur en raison de ses absences, ce qui l’a amenée à taire sa situation.
    Cette histoire illustre le parcours de centaines de familles qui s’engagent chaque année dans ces parcours longs, épuisants et exigeant de la procréation médicalement assistée. Elle rejoint celle des personnes qui s’engagent dans des procédures d’adoption.
     
    Ces courses de fond sont interminables, surtout lorsqu’aux moments d’impatience, de doute et de déception s’ajoutent la peur d’être jugée au travail, de voir sa carrière fragilisée ou d’être licenciée.
    Comme Emmanuelle, de trop nombreuses personnes engagées dans un parcours de parentalité ne se sentent pas protégées au travail. Le temps est venu de leur apporter protection et attention. C’est l’objectif de ce texte présenté par notre collègue Prisca Thevenot que nous remercions pour son engagement sur ce sujet.
    Ce texte renforce la protection des personnes engagées dans un parcours de procréation médicalement assistée ou d’adoption en étendant le champ d’application des dispositions relatives aux femmes enceintes.
    L’engagement du groupe Ensemble pour la République en faveur de la reconnaissance, de la protection et de la défense de l’ensemble des familles de notre pays est ancien et constant, aux côtés des couples hétérosexuels ou homosexuels ou des personnes célibataires exprimant l’envie de devenir parent.
    Notre groupe a souhaité porter haut cette ambition avec la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a élargi les conditions d’accès à la PMA et garantit une égalité d’accès à la parentalité sans discrimination liée à l’orientation sexuelle et au statut matrimonial.
    De même, les procédures d’adoption sont désormais ouvertes aux couples homosexuels, aux personnes célibataires ou aux couples non mariés conformément aux dispositions de la loi du 21 février 2022.
    L’accès à la PMA et à l’adoption pour toutes et tous a ainsi ouvert la voie aux droits des familles.
    À cette reconnaissance de toutes les familles doit s’ajouter une égalité des droits. Or, si le code du travail comporte des outils de protection de la femme enceinte, il n’est pas prévu que ces dispositions s’appliquent également aux femmes et aux hommes engagés dans des parcours de procréation médicalement assistée ou d’adoption. Il était nécessaire de combler ce vide juridique.
    Il est avéré que les situations de PMA et d’adoption suscitent du silence, de l’incompréhension, voire de l’hostilité dans les entreprises. Il est indispensable que des mesures de protection et de lutte contre de potentielles discriminations soient accordées à celles et ceux qui s’engagent dans ces parcours de parentalité déjà semés d’embûches et d’épreuves morales ou physiques.
    Les nombreux rendez-vous médicaux et administratifs, les traitements ont un effet sur la relation au travail. Insémination, échec, nouvelle insémination, prise de sang pour les parcours de PMA ; visite de l’assistante sociale, entretien, voyages dans le pays d’origine pour les parcours d’adoption, sont autant d’événements qui bousculent et qui bouleverse et peuvent transformer la vie professionnelle.
    Certains se taisent et d’autres parlent prenant le risque d’être jugés ou discriminés. Accorder une protection au travail aux personnes engagées dans un parcours de parentalité permet de défendre le droit de chacun de concilier vie professionnelle et vie personnelle.
    Cette protection doit être complète. Avec ce texte, c’est le cas, puisqu’il couvre à la fois le secteur privé et le secteur public, assurant une protection aux salariés comme aux fonctionnaires. Le texte protège contre l’ensemble des discriminations dans le milieu du travail. Il étend également les droits aux autorisations d’absence. S’il est adopté, ces nouveaux droits concerneront toutes les femmes et tous les hommes qui se soumettent aux contraintes de ces parcours d’accès à la parentalité.
    L’enjeu est clair, et c’est un enjeu de justice : lever un tabou, rompre le silence. À l’occasion de ce texte, ce sont tous les parcours de parentalité et toutes ces histoires de l’intime qui rentrent à l’Assemblée nationale ; le silence s’évanouit et les voix de toutes ces familles se font entendre ici à la tribune. C’est une culture qui émerge où la parentalité est reconnue et protégée sans distinction.
    Pour toutes ces raisons, le groupe Ensemble pour la République soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)

    Mme la présidente

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    Sur les articles 1er et 2, ainsi que sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République de demandes de scrutin public.
    Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à Mme Ségolène Amiot.

    Mme Ségolène Amiot

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    Aujourd’hui encore, dans le monde du travail, vouloir devenir parent expose à de lourdes discriminations, surtout quand ce désir est entravé par l’infertilité. Et ce sont toujours les mêmes qui en sont les victimes : les femmes, les personnes LGBTI, celles et ceux qui vivent déjà au croisement des oppressions.
    Le constat est clair : il faut choisir entre sa carrière et son parcours de parentalité. Avant même les inégalités d’accès à l’emploi ou d’évolution de carrière, l’accès à la parentalité demeure inégal.
    Les délais d’accès à la PMA explosent : plus de 10 000 femmes sont aujourd’hui en attente. Les centres sont saturés et en sous-effectifs. Il est donc impératif d’investir massivement dans l’assistance médicale à la procréation, d’ouvrir plus de centres et de réduire les délais, d’encourager les dons de gamètes, d’ouvrir le droit au diagnostic préimplantatoire.
    Il faut aussi reconnaître automatiquement la filiation pour tous les parents.
    Notre pays a aussi beaucoup de progrès à faire concernant l’adoption. En 2022, pour 4 516 pupilles de l’État, il y a eu seulement 634 adoptions. La marge de progrès est vertigineuse. Certes, l’adoption n’est peut-être pas la meilleure réponse pour la totalité des enfants, mais vu l’état de l’aide sociale à l’enfance (ASE), elle serait certainement préférable aux hôtels ou aux foyers auxquels certains sont condamnés.
    Enfin, je me dois de vous rappeler que la PMA n’est toujours pas accessible à tout le monde : les personnes trans n’y ont pas accès. Notre droit lui-même prévoit ces différences de traitement infondées et discriminatoires.
    Aujourd’hui, que le parent porte ou non l’enfant, les droits à congés ne sont toujours pas les mêmes. Quand un couple accueille un enfant, l’attribution d’un congé plus long pour la mère n’est qu’un terreau fertile pour une répartition genrée et déséquilibrée des rôles dans le couple. Il faut des congés de même durée pour tous les parents !
    Et ces congés ne devraient jamais donner lieu à des discriminations.
    Huit ans de Macronie ont détruit les meilleurs outils pour lutter contre ces dernières. Bon sang, qu’avez-vous fait de l’inspection du travail ? Vous avez coupé ses budgets, elle est exsangue ; 20 % des postes n’y sont pas pourvus, parce qu’ils ne sont pas ouverts.
    Qu’avez-vous fait des conseils de prud’hommes ? Là aussi, vous avez taillé dans les budgets. À Montpellier, pour les audiences censées être instantanées, il faut attendre jusqu’à dix mois. Face à ces délais interminables, les salariés ne saisissent plus les prud’hommes, dont vous avez tout simplement organisé l’aphasie !
    Avec cette proposition de loi, on se contente de repeindre les murs. Le gouvernement ne s’engage à absolument rien, et alors que vous prétendez défendre les femmes et les familles LGBT, vous empêchez dans les faits les salariés de faire valoir leurs droits. Comment lutter contre les discriminations quand on démantèle les outils précisément censés les combattre –⁠ la représentation syndicale, l’inspection du travail, les conseils de prud’hommes ?
    Alors, merci de vous intéresser aux discriminations mais, la prochaine fois, commencez par financer les institutions qui permettent de lutter contre elles ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Elle a raison !

    Mme Ségolène Amiot

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    Vous aviez, madame la rapporteure, déposé un texte contre-productif. La Défenseure des droits vous a fait comprendre que les discriminations qui touchent ces parents en devenir sont complexes et multiples.
    Votre article unique ajoutant un critère de discrimination pour projet parental était inutile. Alors, en commission, vous réécrivez tout. Je résume.
    Vous ouvrez les autorisations d’absence aux personnes engagées dans un parcours d’adoption. Très bien. Ensuite, vous ouvrez le droit aux candidats de ne pas se voir refuser un stage ou un emploi en raison du bénéfice d’une PMA –⁠ comme si les candidates et candidats allaient prendre le risque de la mentionner lors d’un entretien d’embauche. Vous prévoyez une protection du salarié contre la rupture de la période d’essai en raison du bénéfice de la PMA –⁠ là encore, comme si les employeurs allaient justifier une rupture de contrat par un parcours de parentalité.
    Le groupe La France insoumise votera ce texte, mais votre vision ultralibérale du travail a réduit en miettes les protections que l’État garantissait aux salariés. Nous ne l’oublions pas ; les salariés, que nous représentons, ne l’oublieront pas non plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)

    Mme Marie-Christine Dalloz

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    Nous aussi, madame, nous représentons les salariés !

    Mme la présidente

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    La discussion générale est close.

    Discussion des articles

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

    Article 1er

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’article 1er.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        121
            Nombre de suffrages exprimés                121
            Majorité absolue                        61
                    Pour l’adoption                121
                    Contre                0

    (L’article 1er est adopté.)
    (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)

    Article 2

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’article 2.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        121
            Nombre de suffrages exprimés                121
            Majorité absolue                        61
                    Pour l’adoption                121
                    Contre                0

    (L’article 2 est adopté.)

    Vote sur l’ensemble

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        127
            Nombre de suffrages exprimés                127
            Majorité absolue                        64
                    Pour l’adoption                127
                    Contre                0

    (La proposition de loi est adoptée.)
    (Applaudissements sur tous les bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la rapporteure.

    Mme Prisca Thevenot, rapporteure

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    Je salue le travail transpartisan du Parlement, commencé en commission par un beau travail de réécriture. Pour une fois, les polémiques ont laissé la place à la politique. Ce soir, nous avons pu créer de nouvelles protections pour les travailleurs et les travailleuses de notre pays engagés dans des parcours parentaux souvent difficiles, complexes et silencieux. C’est un très beau message que nous leur envoyons. Merci à tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.

    2. Libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal

    Discussion d’une proposition de résolution européenne

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de Mme Constance Le Grip et plusieurs de ses collègues, adoptée par la commission des affaires européennes, appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal (nos 852 rectifié, 914, 1021).

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

    Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission des affaires étrangères

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    Il est des discours à la tribune que l’on préférerait ne jamais avoir à prononcer, parce qu’ils nous contraignent à regarder en face l’injustice, la souffrance, la cruelle réalité.
    C’est de la privation de liberté, de l’embastillement même de Boualem Sansal qu’il est question. Aujourd’hui, lundi 5 mai 2025, cela fait cent soixante-neuf jours que Boualem Sansal est détenu par les autorités algériennes après avoir été arrêté à son arrivée à l’aéroport d’Alger.
    Il a été inculpé sur la base de l’article du code pénal algérien qui définit « comme acte terroriste […] tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ».
    Le 27 mars dernier, Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme.
    Depuis son arrestation et son incarcération, de nombreuses voix se sont élevées, en France, en Europe et ailleurs dans le monde, pour dénoncer la détention de Boualem Sansal et la privation de ses droits fondamentaux : outre sa liberté de mouvement, il est privé de son droit à une défense choisie et indépendante –⁠ rappelons que son avocat français n’a pas pu lui rendre visite –, de sa liberté d’opinion, de sa liberté d’expression, de sa liberté de création. Il s’est vu refuser la protection consulaire à laquelle il a pourtant droit en tant que citoyen français.
    La proposition de résolution européenne que nous examinons n’est ni un acte de défiance, ni un geste de provocation. C’est un appel, digne, à l’humanité. C’est un appel à la libération immédiate d’un écrivain, d’un intellectuel, d’un compatriote injustement privé de sa liberté. C’est aussi un rappel, celui de l’attachement des députés de la République aux principes universels que sont les libertés fondamentales, la dignité et les droits humains, notamment le droit à un procès équitable.
    Les engagements internationaux librement souscrits par les États doivent être respectés, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquelles l’Algérie a souscrit.

    Mme Constance Le Grip, rapporteure

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    Boualem Sansal, grand écrivain à l’œuvre reconnue et saluée, amoureux de la langue française, devenu l’une des figures emblématiques de la francophonie littéraire, n’a commis aucun crime, aucune faute ; il s’est exprimé, il a parlé, il a écrit. Il est enfermé pour ce que toute démocratie devrait chérir : ses mots, ses pensées, sa liberté. Boualem Sansal a 80 ans, il est malade, il souffre d’un cancer. Depuis le 16 novembre 2024, il est loin de sa famille, de ses enfants, de ses petits-enfants ; loin de ses proches, de ses livres, de sa table de travail. La voix de Boualem Sansal, libre, humaniste, universaliste, attachée à la paix, à la tolérance, au dialogue entre les cultures, à l’esprit des Lumières face à tous les obscurantismes, est bâillonnée.
    Nous ne saurions évoquer le sort inique fait à Boualem Sansal sans le placer dans le contexte de très forte dégradation des relations entre la France et l’Algérie, mais il ne saurait être la victime sacrificielle, le bouc émissaire de la mésentente entre les autorités algériennes et françaises. Il ne saurait faire les frais d’un quelconque bras de fer entre États. Nous le savons, la relation bilatérale franco-algérienne connaît un moment de très grande tension, alimentée par une série d’événements, dont certains se sont déroulés ces dernières semaines, et ce malgré la conversation entre les deux chefs d’État et le déplacement récent à Alger du ministre français des affaires étrangères.
    Des décisions brutales et unilatérales des autorités algériennes, considérées comme injustifiées et incompréhensibles par la présidence de la République française, ont en effet occasionné un très fort regain de tension. Depuis, la France appelle au retour d’un dialogue franc, lucide et exigeant. Nous ne renoncerons pas au dialogue. Mais, pour restaurer le dialogue et la confiance, il faut se parler, mais aussi se respecter et respecter les règles de droit et les engagements en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales.
    Je tiens à rappeler notre attachement aux liens qui unissent nos deux pays et nos deux peuples, notre histoire commune, notre relation intense et passionnelle, nos intérêts convergents face à des défis communs. Comme beaucoup, j’ai l’espoir que l’Algérie, un pays qui connaît le prix de la liberté, respectera la liberté d’expression et la liberté d’opinion d’un écrivain, et libérera rapidement Boualem Sansal, dans un geste d’humanité. C’est en tout cas le sens du message que cette proposition de résolution européenne adresse aux autorités algériennes.
    Je voudrais terminer cette intervention en vous lisant une courte missive que les deux filles de Boualem Sansal, Sabeha et Nawal Sansal, ont souhaité adresser à la représentation nationale. Je suis très honorée et très émue de la lire ce soir devant vous en leur nom.
    « À l’attention des députés de la République française. »
    « Mesdames et messieurs les députés, vous allez adopter une résolution solennelle appelant à la libération immédiate et sans condition de notre père, Boualem Sansal, et, ce faisant, vous allez accomplir bien plus qu’un geste politique : vous allez affirmer haut et clair que la République n’abandonne pas ceux qui défendent ses valeurs, où qu’ils soient. »
    « Notre père est en prison pour avoir refusé de se taire, pour avoir écrit, pour avoir pensé, pour avoir dénoncé l’emprise de l’obscurantisme. Ce combat, il ne l’a jamais mené pour lui-même, mais pour l’honneur, pour la vérité, pour la jeunesse de son pays et pour la jeunesse française. »
    « Aujourd’hui, par votre vote, vous allez raviver une espérance. Vous allez rendre audible la voix d’un homme bâillonné, d’un écrivain qui est aussi votre compatriote et qui promeut le français comme la langue de l’universel et des Lumières. Vous allez faire résonner, dans le silence des geôles, la force du mot "fraternité", une valeur de portée constitutionnelle en France. »
    « Nous vous en sommes infiniment reconnaissantes. Votre engagement nous touche profondément. Il nous rappelle que la République sait encore se lever quand la liberté est en danger, qu’elle sait reconnaître les siens, même exilés, même enfermés, même loin. »
    « Merci pour votre courage. Merci de faire vivre, par ce geste, l’esprit de justice, de liberté et de solidarité qui fait la grandeur de la France. »
    « Avec respect et gratitude. »
    « Sabeha et Nawal Sansal. » (Les députés des groupes EPR, RN, SOC, DR, Dem, HOR et UDR se lèvent et applaudissent. –⁠ Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. –⁠ M. Jean-Paul Lecoq se lève.)
    Je crois qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter. Soyons à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR, Dem et HOR.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.

    M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe

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    Cela fait 170 jours que Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, grand prix du roman de l’Académie française, est détenu injustement en Algérie ; 170 jours de trop pour un homme âgé, malade, tenu éloigné de ses proches, et dont le seul tort est d’avoir exercé librement sa pensée dans ses œuvres et dans les médias ; 170 jours durant lesquels les autorités algériennes, malgré nos demandes répétées, ont refusé tout accès consulaire à notre compatriote.
    Son arrestation, sa détention et le jugement qui a été prononcé contre lui ont suscité une grande émotion en France, en Europe et partout où son œuvre éveille les consciences, est connue et appréciée. Des voix fortes se sont levées, justes, solidaires : celles de ses lecteurs, de ses amis artistes et écrivains, et de tous ceux qui sont épris de liberté et de justice. Je pense aussi à son comité de soutien et aux députés européens qui ont adopté, le 23 janvier dernier, une résolution appelant à sa libération.
    Selon le jugement rendu le 27 mars par le tribunal d’Alger, dont il a fait appel quelques jours plus tard, Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende parce qu’il aurait porté atteinte à l’unité de la nation algérienne, outragé l’armée algérienne, porté atteinte à l’économie nationale et menacé la sécurité et la stabilité de l’Algérie. Ces accusations sont totalement infondées. Ce qu’on lui reproche, c’est sa pensée, sa liberté. Ce qu’on veut sanctionner, c’est son regard critique sur l’histoire, la société et les autorités algériennes. Ces accusations visent sa liberté d’opinion et sa liberté d’expression. C’est bien cela qui, depuis 170 jours, mobilise sans relâche celles et ceux qui refusent que le silence devienne la règle.
    Dès l’annonce de son arrestation, la France s’est mobilisée au plus haut niveau, jusqu’à celui du président de la République. Notre ambassade à Alger a demandé de manière répétée, en vain, de pouvoir exercer sa protection consulaire. Nous sommes aussi en lien régulier avec les proches de Boualem Sansal, tant avec sa famille qu’avec ses conseils, pour suivre au plus près sa situation physique et morale ainsi que la procédure judiciaire. Nous appelons à une issue rapide, humanitaire et digne à sa situation. Nous souhaitons qu’il puisse être soigné et libéré. Le président de la République l’a redit au président Tebboune le 31 mars ; le ministre des affaires étrangères, à ses interlocuteurs à Alger le 6 avril. C’est le message, clair et constant, que la France porte depuis.
    La discussion de cette proposition de résolution européenne témoigne de l’engagement de la France et de sa représentation nationale pour la libération de Boualem Sansal. Je salue le travail effectué depuis plusieurs semaines par les députés de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères, particulièrement celui de la rapporteure Mme Constance Le Grip. La situation de Boualem Sansal et celle de la liberté d’expression sont des sujets qui doivent dépasser les frontières partisanes. C’est un combat pour des principes universels, consacrés par le droit international, que nous devons défendre en toutes circonstances. Dans cette lutte pour les principes, la liberté d’expression occupe une place à part. Elle est le socle de toute démocratie, la condition même de l’émancipation individuelle et du débat collectif.
    Boualem Sansal s’inscrit dans une lignée d’écrivains qui, à l’instar de Voltaire, de Victor Hugo, de Vaclav Havel ou de Salman Rushdie, ont pris le risque de la parole libre face aux dogmes, aux interdits et à la peur. Il savait, comme eux, que dire, c’est déjà résister. Toute son œuvre témoigne de cette volonté et de cette exigence : une parole lucide, courageuse, sans concession ; une parole de vérité, fût-elle dérangeante.
    Le Serment des barbares, dès 1999, dénonçait résolument les dérives de l’État et la violence d’une société fracturée. Poste restante : Alger formulait un message clair, sans ambiguïté, presque testamentaire, à son pays, appelant à une réconciliation lucide avec l’histoire. Dans 2084, La fin du monde, Boualem Sansal nous alertait, comme d’autres avant lui, dans une dystopie, sur les dangers du totalitarisme religieux, de l’islamisme et de la pensée unique. Enfin, dans Le village de l’Allemand, il osait questionner les mémoires les plus sensibles, avec une audace et un talent rares.
    Le faire taire, c’est tenter de museler cette part essentielle de l’esprit humain qui questionne, qui doute, qui critique. Le défendre, c’est rappeler au monde que la liberté d’expression n’est pas une faveur octroyée ou tolérée par les pouvoirs ; c’est un droit inaliénable et absolu de chaque être humain. C’est cela aussi que nous affirmons aujourd’hui dans cet hémicycle, avec gravité et détermination. Comme le président de la République l’a affirmé le 6 janvier devant les ambassadeurs de France, notre pays se tient aux côtés « de tous les combattants de la liberté […]quand ils sont emprisonnés, quel que soit le régime et quels que soient nos intérêts ». C’est une ligne de force de notre politique étrangère, en Algérie comme ailleurs.
    Rappelons-le, l’Algérie s’est liée, en toute souveraineté, à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, et à l’accord d’association de 2002 avec l’Union européenne. Ces textes, auxquels elle a souscrit librement et souverainement –⁠ nous pourrions en citer d’autres –, protègent les droits de l’homme, tout comme la Constitution algérienne de 2020. Ils doivent s’appliquer dans le traitement de la situation de Boualem Sansal.
    La situation de Boualem Sansal, parce qu’elle suscite une vive émotion en France, m’amène naturellement à évoquer la relation qui lie la France et l’Algérie –⁠ vous l’avez fait, madame la rapporteure. Le texte de la résolution le rappelle, les peuples français et algériens ont des liens historiques et humains forts. La France n’a jamais cessé de vouloir entretenir avec le gouvernement algérien un dialogue franc et constructif et un partenariat équilibré, à la hauteur des liens entre nos peuples. Nous avons toujours dit que les Franco-Algériens, les Français qui ont un lien avec l’Algérie et les Algériens qui ont un lien avec la France, ne doivent pas faire les frais des tensions bilatérales.
    Cette relation avec l’Algérie, nous y avons travaillé –⁠ c’est le sens de la démarche du Président de la République depuis 2017. Il y va de notre intérêt stratégique. Dans leur communiqué conjoint du 31 mars 2025, le président de la République et son homologue algérien ont fixé les grandes lignes d’une reprise de la coopération dans tous les domaines. La visite à Alger, quelques jours plus tard, du ministre des affaires étrangères s’inscrivait dans la même dynamique.
    Pourtant, alors que notre justice, indépendante, a décidé d’arrêter trois ressortissants algériens présumés coupables de faits graves sur le sol français, les autorités algériennes ont décidé d’expulser douze de nos agents. Cette décision est incompréhensible, absolument infondée et disproportionnée. Je salue l’engagement de ces agents, auxquels le ministre des affaires étrangères a rendu hommage il y a quelques jours en compagnie du ministre de l’intérieur. Notre réponse à cette mesure hostile a été extrêmement ferme : nous avons procédé de façon symétrique à l’expulsion de douze agents servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France, et rappelé notre ambassadeur pour consultation.
    Nous n’avons jamais cessé de vouloir un dialogue constructif. Mais, pour l’heure, une autre voie a manifestement été choisie par Alger. Il appartient désormais aux dirigeants algériens de déterminer s’ils veulent prolonger la crise ou reprendre le chemin d’un règlement.
    Sur ce sujet comme sur tant d’autres, notre seule boussole est la protection des intérêts de la France et des Français. Nous souhaitons que l’Algérie respecte ses engagements au regard du droit international pour reprendre ses ressortissants expulsés, pour relancer la coopération dans les domaines de la sécurité, de la défense et du renseignement, et pour libérer notre compatriote Boualem Sansal. Mais pour un dialogue, il faut être deux. Notre position est claire : si l’Algérie fait le choix de l’escalade et d’une relation dégradée, nous saurons y répondre et assumer un rapport de force.
    La situation de notre compatriote Boualem Sansal fait appel à notre humanité à tous. Elle nous rappelle avec une force poignante que la liberté d’écrire, de créer, de penser et de dire ne va jamais de soi, et qu’elle demeure, malheureusement, en bien des lieux, un combat à mener. Boualem Sansal est devenu malgré lui le symbole de ce combat que mènent, souvent au péril de leur liberté, des écrivains, des journalistes, des artistes, des intellectuels, mais aussi de simples citoyens, partout dans le monde.
    La France, fidèle à ses valeurs et à son histoire, continuera de se tenir aux côtés de ces voix libres, chaque fois qu’elles sont menacées, chaque fois qu’elles sont réduites au silence. Elle le fera avec d’autant plus de détermination qu’il s’agit aujourd’hui de l’un des siens. Pour Boualem Sansal, nous poursuivrons sans relâche nos efforts, jusqu’à ce qu’il retrouve sa liberté. La République n’abandonnera pas ceux qui défendent ses valeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. –⁠ Mme la rapporteure et M. Jean-Claude Raux applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

    M. Bruno Fuchs, président de la commission des affaires étrangères

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    Il y a plus de deux siècles, notre assemblée est née d’une volonté populaire de garantir les libertés individuelles et les droits fondamentaux, socle de notre démocratie. Nous sommes réunis aujourd’hui pour défendre une cause qui dépasse les clivages politiques et qui touche précisément aux droits fondamentaux et aux libertés d’expression et d’opinion. Nous sommes réunis pour appeler à la libération immédiate de notre compatriote, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Sa seule faute : être un esprit libre et critique, qui dérange les autorités algériennes.
    Arrêté à Alger le 16 novembre 2024, Boualem Sansal est détenu depuis lors en dépit de son âge et de son état de santé inquiétant. Sa situation a suscité un très fort élan de mobilisation auquel, bien évidemment, nous avons tous pris part. La présente proposition de résolution européenne appelant à sa libération a été adoptée le 4 mars dernier, à une large majorité, par la commission des affaires étrangères. Elle vise notamment à manifester l’attention que nous prêtons collectivement au sort de notre concitoyen.
    Je crois pouvoir dire qu’il existe une certaine unanimité : nous souhaitons tous, sur ces bancs, que Boualem Sansal puisse recouvrer la liberté, celle-là même qui a forgé son œuvre littéraire. C’est là le sens et l’objectif unique et impératif de la résolution dont nous allons débattre. Je veux cependant alerter ceux qui d’entre nous auraient la tentation de profiter de l’examen de ce texte pour introduire dans le débat des considérations plus larges qui mettraient en jeu les relations bilatérales entre la France et l’Algérie, qui –⁠ ce n’est un secret pour personne – se sont altérées depuis l’été dernier. Les deux ambassadeurs ont même été rappelés dans leurs capitales respectives, malgré le déplacement réussi à Alger de notre ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
    Je le dis ici très simplement : vouloir aborder par des amendements tout sujet qui ne serait pas directement lié à la libération de Boualem Sansal aura pour conséquence, dans le contexte actuel, d’abîmer encore plus la relation bilatérale et retardera incontestablement les chances de libération de notre compatriote. Les collègues qui s’aventureraient dans cette voie iraient donc à l’inverse de l’objectif que nous poursuivons tous ici, à savoir la libération immédiate de Boualem Sansal. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
    Je vous le demande : ne brisons pas notre élan commun par des considérations personnelles ou partisanes ; restons concentrés sur notre seul objectif, la libération immédiate de Boualem Sansal. Son cas personnel doit être dissocié de toute raison d’État et faire l’objet d’un traitement respectueux des droits et de la dignité des personnes. Le libérer, c’est aussi envoyer un message fort à tous les démocrates : la liberté d’opinion ne peut être muselée par l’arbitraire. Comme Boualem Sansal l’a lui-même écrit, « les excès de la liberté seront toujours moins graves que les dérives de la censure ».
    C’est pourquoi je crois sage de réserver nos débats sur la relation bilatérale et ses enjeux politiques et historiques à un cadre propice, dans lequel la vie d’un homme ne sera pas en jeu. L’heure est paradoxalement à la retenue, à la dignité et à la détermination. La résolution européenne proposée par la rapporteure Constance Le Grip, que je remercie pour son travail, appelle les responsables algériens à la clémence, à la responsabilité et au respect du droit international humanitaire.
    En ce qui me concerne, je reste un fervent défenseur du dialogue entre les deux rives de la Méditerranée et je serai toujours disponible pour contribuer à rétablir ou retisser des liens politiques à la hauteur de notre passé commun. J’ai défendu des propositions à cet effet en commission et je continuerai à m’investir pour bâtir un avenir meilleur pour tous nos concitoyens.
    Ce soir, je joins donc ma voix forte et déterminée à l’appel à la libération immédiate de Boualem Sansal. J’ai l’espoir que, de l’autre côté de la Méditerranée, le cœur des autorités algériennes, sur ce sujet au moins, batte à l’unisson du nôtre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

    M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes

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    Cela fait donc 170 jours que Boualem Sansal est retenu prisonnier dans des conditions de détention opaques et précaires, alors qu’il est gravement malade et que nous n’avons que trop peu d’informations fiables sur son état de santé ; 170 jours que Boualem Sansal est privé de ses droits les plus fondamentaux, à commencer par un procès juste et équitable ; 170 jours que notre compatriote est enfermé dans les prisons du régime algérien pour avoir été libre dans sa parole et dans ses écrits.
    Ce soir, la responsabilité et l’honneur de notre assemblée imposent de réclamer, par le vote de cette résolution, la libération immédiate et inconditionnelle de notre compatriote injustement emprisonné. Incarcérer arbitrairement un de nos concitoyens et lui refuser l’accès aux soins dont il a besoin n’est pas à la hauteur de l’histoire de l’Algérie, ni de la relation qui unit nos deux peuples. Avec ce texte, nous appelons les autorités algériennes à prendre la décision qui lui permettra de retrouver la liberté, de se soigner et de rejoindre les siens.
    Boualem Sansal n’a rien à faire derrière les barreaux et nous ne pouvons pas accepter qu’un écrivain soit privé de liberté pour avoir exprimé ses idées, ni qu’un homme soit condamné sur la base de charges infondées, dans des conditions qui menacent sa santé et bafouent sa dignité humaine. C’est pourquoi la représentation nationale, en adoptant cette résolution, demande avec la plus grande fermeté sa libération immédiate et inconditionnelle, le respect de ses droits à la défense, ainsi que la création sans délai d’une mission médicale internationale indépendante pour protéger sa dignité et son intégrité. Je salue à cet égard la rigueur de votre travail, madame la rapporteure, vous qui avez défendu le texte devant la commission des affaires européennes, qui l’a adopté très largement, puis devant la commission des affaires étrangères.
    Au-delà de la situation de Boualem Sansal, c’est un contexte plus large de régression des libertés en Algérie qui s’impose à notre attention. Boualem Sansal partage le sort de nombreux autres prisonniers d’opinion : plus de 200 prisonniers sont détenus dans les geôles du régime d’Alger pour avoir exercé leur liberté d’expression. Face à cette réalité, nous ne pouvons rester ni silencieux ni indifférents ; nous devons nous battre pour obtenir sa liberté.
    Boualem Sansal ne doit en aucun cas devenir l’otage des tensions qui peuvent exister entre les deux côtés de la Méditerranée, ni être l’objet d’une bataille entre les différents courants politiques de notre pays. Que l’on partage ou non ses opinions, ses écrits, ses prises de position n’a aucune espèce d’importance. Affirmons ensemble un principe clair : la place d’un écrivain n’est pas en prison ; Boualem Sansal n’a pas sa place en prison. Ce soir, nous devons plaider ensemble pour sa libération parce que cet homme endure une épreuve pénible et injuste et parce qu’à travers lui, c’est notre liberté à tous qui est bâillonnée et remise en question.
    Ensemble, apportons-lui un soutien clair, celui du peuple français, qui défend la liberté des intellectuels, des chercheurs et des écrivains, qui n’oublie ni n’abandonne ses compatriotes injustement emprisonnés. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR. –⁠ M. Emmanuel Maurel applaudit aussi.)

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Ledoux.

    M. Vincent Ledoux

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    La tribune depuis laquelle je vous parle est le lieu par excellence de notre démocratie. Ici, la parole est libre : librement exposée, librement débattue. Et derrière nous, sur la tapisserie monumentale inspirée de L’École d’Athènes de Raphaël, veillent silencieusement sur nos travaux les figures fondatrices du dialogue et de la pensée critique. Elles nous rappellent que le courage de dire, de questionner, de douter est le fondement même de toute démocratie vivante et que la liberté de penser est toujours une conquête fragile, exigeante, parfois douloureuse, mais absolument essentielle.
    Socrate en fut l’un des premiers martyrs. Il a bu la ciguë pour avoir osé penser autrement, pour avoir interrogé les dogmes et mis la vérité au-dessus du conformisme. Sa sagesse, fondée sur le doute et l’examen de soi, continue de hanter toutes les consciences éprises de liberté, car les grandes avancées humaines sont souvent nées de voix qu’on a d’abord voulu faire taire.
    Aujourd’hui encore, cette liberté est mise à l’épreuve. Et aujourd’hui, c’est un écrivain, un intellectuel, un homme de lettres, qui en paie le prix : Boualem Sansal. « Il y a des écrivains qui ne sont pas des écrivains comme les autres », affirmait Christine Angot. Assurément, Sansal est un de ces écrivains « pas comme les autres » ! C’est une conscience insoumise, un écrivain lucide qui n’a jamais transigé avec la vérité. Il est emprisonné en Algérie pour avoir exercé ce que nous considérons ici comme un droit fondamental : critiquer, interroger, nommer les dérives.
    Dans 2084, La fin du monde, il imagine un régime totalitaire régi par une idéologie religieuse fanatisée. Il s’en prend non pas à la foi, mais à son détournement à des fins de pouvoir. Il met en garde, il éclaire, il résiste avec l’arme la plus pacifique et la plus redoutable : ses mots. Et c’est précisément ce courage des mots qu’on lui reproche. Sansal confiait vivre dans un pays où « écrire est un acte de résistance ». Depuis six mois, il est détenu, mais ce qu’on cherche à réduire au silence, ce n’est pas simplement un individu, c’est une parole libre, un regard implacable sur le réel, un miroir tendu à la société.
    Ce miroir inquiète, ébranle les régimes qui redoutent l’éveil des consciences. Il met mal à l’aise ceux qui veulent imposer l’oubli, la soumission et le silence. Ce n’est pas la première fois que Sansal subit la censure. Son roman Le village de l’Allemand avait été interdit. Il posait alors une question terrible qui place chacun face à sa responsabilité, non seulement celui qui écrit mais aussi celui qui le lit : que faire face à l’injustice ? Se taire ? Lui a fait le choix de parler, de mettre des mots là où règnent les non-dits. Et parce qu’il a choisi la lucidité, on tente aujourd’hui de l’éteindre.
    Sansal ne s’est jamais réfugié dans l’ambiguïté : il écrit avec clarté et rigueur, avec cette langue sans détour qui nomme les choses. Il a toujours préféré l’inconfort de la vérité à la facilité du renoncement. Il paie ce choix au prix le plus fort, mais cela fait de lui un homme debout, un écrivain au sens noble : celui qui révèle ce que d’autres veulent dissimuler. Nous avons appris qu’une idée ne s’enferme pas, qu’une œuvre ne se censure pas durablement et que la littérature ne se bâillonne pas. On peut emprisonner un corps, mais jamais l’élan intérieur qui l’anime.
    Sansal incarne un lien vivant entre la France et l’Algérie. Il unit deux histoires, deux mémoires, deux peuples. Il a choisi la France pour sa fidélité à la liberté de pensée, pour son attachement à ceux qui écrivent, qui contestent et qui éclairent. Ce combat dépasse donc son cas personnel : il s’agit d’un combat pour la dignité humaine, pour le droit d’alerter, d’interroger et de ne pas se soumettre. En exigeant sa libération, nous rappelons une évidence : penser n’est pas un crime ; dire la vérité n’est pas une faute ; écrire ne devrait jamais exposer à un danger.

    M. Sylvain Maillard

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    Il a raison !

    M. Vincent Ledoux

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    Je veux saluer avec respect le courage du peuple algérien, ce grand peuple qui, à travers son histoire –⁠ et récemment encore avec le Hirak –, a montré son aspiration profonde à la justice. Ce peuple mérite des libres-penseurs, non pas des auteurs enfermés. Notre devoir est de faire entendre notre voix. Le silence serait une forme de renoncement. Ne pas défendre Sansal serait renoncer à ce qui nous fonde. Il incarne une parole exigeante, parfois inconfortable, mais toujours lucide. C’est pour cela, précisément, qu’il mérite notre solidarité entière.
    En réclamant solennellement sa libération, nous défendons bien plus qu’un homme, nous défendons un principe universel : aucune nation ne peut se dire libre si elle enferme ses écrivains. Albert Camus, fils de cette terre algérienne, écrivait que la liberté est une « conquête perpétuelle ». Aujourd’hui, cette conquête a un nom, un visage, une urgence : Sansal. Une société qui emprisonne ses auteurs est une société qui se condamne elle-même. Libérez Sansal, libérez la pensée, libérez la vérité ! C’est tout le sens de la proposition de résolution européenne promue par notre collègue Constance Le Grip et que le groupe EPR soutient avec détermination. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. –⁠ Mmes Dieynaba Diop et Dominique Voynet applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nathalie Oziol.

    Mme Nathalie Oziol

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    Boualem Sansal doit être libéré. Nous ne pouvons accepter qu’un écrivain soit détenu pour ses idées ou pour ses propos. Je le dis clairement, nous dénonçons et nous combattons les idées de Boualem Sansal qui reprennent et propagent le fantasme réactionnaire du grand remplacement et la peur d’une prétendue islamisation –⁠ ce que l’extrême droite ne manque jamais de saluer –, mais un principe reste un principe, et nous ne transigeons pas avec les libertés fondamentales. Nous demandons donc sa libération.
    Cependant, la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui ne se limite pas à demander la libération de Boualem Sansal. Sous couvert de défense des libertés fondamentales, elle attise les tensions politiques entre la France et l’Algérie en mentionnant des arguments purement politiciens. Par exemple, elle exprime la volonté que l’Algérie se soumette à certaines conditions pour que se poursuivent les partenariats qui la lient à la France ou à l’Europe. Ce texte ne fait donc rien d’autre que nourrir la surenchère médiatique et politique engagée par le gouvernement, notamment par le ministre Retailleau, et par l’extrême droite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
    C’est pourquoi le groupe La France insoumise soutiendra un amendement de réécriture visant à supprimer toutes les mentions à visée politicienne pour appeler seulement, indépendamment de toute tentative d’instrumentalisation, à la libération immédiate de Boualem Sansal au nom des libertés d’opinion et d’expression garanties par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Tout le reste ne fait qu’entretenir l’ambiguïté, l’escalade, la surenchère, et rend vaine une telle proposition.

    Mme Ségolène Amiot

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    Elle a raison !

    Mme Nathalie Oziol

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    Nous refusons catégoriquement l’engrenage mortifère. Le dialogue avec Alger est déjà fort abîmé ; que gagnerait-on à le rompre complètement ? Certainement pas la libération de Boualem Sansal.
    Par ailleurs, comment ne pas voir que cette proposition de résolution instrumentalise la situation de M. Sansal, quand plusieurs ministres et même le premier ministre alimentent une stratégie de tension avec l’Algérie ? C’est M. Bayrou qui demande à réexaminer l’accord franco-algérien de 1968. C’est M. Retailleau qui, sortant du périmètre de son ministère, propose de ralentir les procédures d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français menés dans le désert algérien durant les années 1960 –⁠ rien d’étonnant de la part de quelqu’un qui parlait, il y a quelques années, des « belles heures » de la colonisation en Algérie.
    Il suffit de lire les amendements déposés par la droite et l’extrême droite pour comprendre ce qu’autorise ce texte. Quand il n’est plus question de Boualem Sansal mais du nombre de visas que la France devrait accorder aux Algériens, non seulement il n’est plus question de droits fondamentaux, mais on insulte des millions d’Algériens, de binationaux, de Françaises et de Français d’origine algérienne. Il est hors de question pour nous de valider ce type de proposition ; nous laissons cela aux nostalgiques de la colonisation et aux héritiers de l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
    Cette surenchère politique a des conséquences concrètes et dramatiques sur la vie d’hommes et de femmes. C’est par exemple le cas quand, dans mon département, le maire de Béziers, soutenu par M. Retailleau, interdit, au mépris des lois de la République, un mariage avec un ressortissant algérien.
    Il est évident que cette stratégie de l’escalade n’a pas amélioré, tant s’en faut, le sort de Boualem Sansal, qui a été condamné à cinq ans de prison. Pire, elle se révèle contre-productive. M. Retailleau, après avoir attisé autant qu’il l’a pu les tensions avec l’Algérie, est allé jusqu’à promettre de démissionner s’il n’obtenait pas satisfaction. Non seulement M. Sansal est en prison en Algérie, mais M. Retailleau n’a pas démissionné et poursuit les gesticulations irresponsables ; cette proposition de résolution fait de même.
    Soulignons-le, alors que le texte ouvre la possibilité de réviser l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie, le gouvernement français n’a jamais ne serait-ce qu’envisagé de demander la suppression de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’État d’Israël, pas même depuis que Netanyahou est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Ce double standard est insupportable et discrédite la parole de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)

    Mme Farida Amrani

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    Eh oui !

    Mme Nathalie Oziol

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    Nous ne voterons pas ce texte en l’état. En alimentant l’escalade anti-Algérie, il met en danger à la fois la libération de Boualem Sansal et les relations entre la France et l’Algérie. Seules la désescalade, la diplomatie, la discussion respectueuse peuvent permettre une résolution. Seul un appel simple et clair à la libération de Sansal au nom du respect des libertés fondamentales, comme nous le proposons dans notre amendement de réécriture, rendra ce texte acceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Pierre Pribetich.

    M. Pierre Pribetich

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    En 1957, lors de la réception de son prix Nobel de littérature, Albert Camus a souligné la responsabilité morale et sociale de l’écrivain. Pour lui, la littérature ne pouvait être dissociée des réalités sociales et politiques. L’écrivain, en tant qu’acteur engagé, se devait dans ses écrits de témoigner, de dénoncer les injustices, de défendre les valeurs humaines, de critiquer le pouvoir et les abus de pouvoir. C’est dans cet esprit que je souhaite évoquer la situation de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien toujours emprisonné.
    Issu comme Albert Camus du quartier de Belcourt à Alger, Boualem Sansal partage aussi son esprit critique, hérité de Voltaire. L’affaire Boualem Sansal trouve partiellement son origine dans des déclarations faites à un média français, dans lesquelles il reprenait la position du Maroc concernant les frontières avec l’Algérie tronquées sous la colonisation française. Ces propos ont conduit à son arrestation le 16 novembre pour atteinte à la sûreté de l’État.
    Si je rappelle sa filiation avec Albert Camus, c’est que la démarche de Boualem Sansal, son esprit critique et son expression intellectuelle ont entraîné son arrestation, laquelle ne peut que choquer tous les démocrates. Cette critique du pouvoir algérien a été vécue comme une offense ; la critique est pourtant naturelle dans une démocratie. Boualem Sansal est incarcéré depuis trop longtemps, depuis plus de 170 jours.
    Cependant, la confusion règne dans cette proposition de résolution européenne. Celle-ci mêle la demande de libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal, souhaitée par tous –⁠ qui parmi nous ne la soutiendrait pas ? –, et la volonté de définir ou de redéfinir la position de la France et, surtout, sa relation avec l’Algérie. J’en veux pour preuve la course à laquelle nous assistons, ébahis, entre le RN, l’UDR et la droite pour savoir qui déposera l’amendement le plus retors à ce sujet.
    La confusion tient aussi à la volonté d’exprimer à la fois un message diplomatique et une ligne de politique intérieure dure, martiale, tenue par l’extrême droite et par la droite qui cherche bien souvent à la rattraper, voire à la doubler. Cette ligne est celle du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui réduit le rapport avec l’Algérie aux questions migratoires et sécuritaires, au détriment de l’apaisement par la voie diplomatique des tensions entre nos deux pays. (M. Jacques Oberti applaudit.) Engager un bras de fer en confondant politique intérieure et diplomatie est contre-productif et ne peut mener qu’à une escalade des tensions –⁠ laquelle, je le rappelle, n’a fait que s’intensifier depuis que le président de la République, seul, a exprimé son soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, sans aucune concertation avec le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. –⁠ Mme Dominique Voynet et M. Boris Tavernier applaudissent également.)
    Réclamer une libération immédiate et inconditionnelle tout en fixant des conditions serait un non-sens, voire une aberration. Cela ferait de notre demande un cheval de Troie ; cela reviendrait à utiliser la proposition de résolution pour redessiner la relation entre la France et l’Algérie, faute de l’avoir fait dans un moment dédié, apaisé. Nous, députés du groupe Socialistes et apparentés, exprimons et réitérons notre volonté que cette résolution soit uniquement dédiée à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal, et notre opposition ferme à l’idée d’y subordonner les discussions sur la modernisation des accords d’association entre l’Union européenne et l’Algérie, entre la France et l’Algérie. Cela ne ferait qu’aviver les tensions franco-algériennes ou euro-algériennes.
    Dans son roman Le village de l’Allemand, Boualem Sansal écrit : « La paix ne se construit pas sur des mensonges et des injustices. Elle nécessite du courage et de la vérité. » Faisons en sorte de ne pas construire ce texte sur des mensonges, sur des injustices. Faisons preuve de courage et de vérité en lui donnant un contenu qui ne trahisse pas son titre.
    Nous appelons à un apaisement des tensions et à un geste de clémence du président Tebboune envers Boualem Sansal –⁠ sa libération immédiate, compte tenu de son âge et de son état de santé. Nous soutenons pleinement le titre de cette proposition de résolution, mais pas son contenu et surtout pas ses dérives futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. –⁠ M. Emmanuel Maurel applaudit également.)

    M. Inaki Echaniz

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Eric Liégeon.

    M. Eric Liégeon

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    Nous sommes réunis pour examiner la proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Âgé et gravement malade, Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, a été arrêté et est détenu de manière arbitraire dans des conditions inacceptables depuis plus de quatre mois par son pays d’origine, l’Algérie. Le jeudi 27 mars, il a été condamné à une peine de cinq ans de prison et à une amende de 500 000 dinars, ce dont il a fait appel le 2 avril.
    Survenant dans un contexte de tensions diplomatiques croissantes entre la France et l’Algérie, la détention arbitraire de Boualem Sansal s’est accompagnée de violations en cascade de ses droits fondamentaux. L’arrestation du lauréat du grand prix de l’Académie française constitue une injustice flagrante, révélatrice d’une répression intolérable.
    En agissant de la sorte, l’État algérien déroge manifestement aux engagements internationaux qu’il a pris dans le cadre de conventions internationales et d’accords bilatéraux avec la France et avec l’Union européenne. Les autorités algériennes, en bafouant ces principes, sabotent leurs relations diplomatiques avec l’Union Européenne, particulièrement avec la France. Qu’en est-il du respect du partenariat entre l’Union européenne et l’Algérie ? L’article 2 de l’accord d’association euro-algérien stipule : « Le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme […] constitue un élément essentiel du présent accord. » Sans ce respect, la poursuite des relations franco-algériennes semble fortement compromise.
    De plus, en refusant à un citoyen français, de surcroît malade et âgé, la possibilité de bénéficier d’une assistance consulaire, l’Algérie montre une indifférence totale aux obligations internationales qu’elle a contractées et au principe du respect des droits humains. L’avocat français de Boualem Sansal, maître François Zimeray, n’a toujours pas pu voir son client, sa demande de visa pour Alger restant sans réponse, ce qui constitue une nouvelle violation flagrante des droits de la défense. Ces entraves ne se limitent pas à des questions de procédure administrative ; elles symbolisent également l’isolement imposé à Boualem Sansal, renforçant ainsi le caractère arbitraire de sa détention. À cela s’ajoutent les déclarations scandaleuses suggérant à Boualem Sansal de prendre « un avocat non juif ».
    Malheureusement, cela fait déjà plusieurs années que l’Algérie malmène la liberté d’opinion, la liberté d’expression et la liberté de la presse en instaurant une forme de censure, alors que ces principes sont bien inscrits aux articles 42, 48 et 50 de sa Constitution. L’Algérie a fait de Boualem Sansal un véritable otage de son régime.
    L’arrestation de Boualem Sansal, qui a déclenché une onde de choc dans le monde entier, repose sur l’application de l’article 87 bis du code pénal algérien, utilisé pour qualifier d’« acte terroriste ou subversif » tout acte ou propos susceptible de remettre en cause la stabilité de l’État. En 2021, cet article a été renforcé par la définition de l’« acte terroriste ou sabotage », qui incrimine deux nouvelles manœuvres : « œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » ; « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou […] inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ». Ces dispositions, conçues à l’origine pour protéger la sécurité nationale, s’inscrivent dans une stratégie de répression politique. Elles sont à présent instrumentalisées de manière systématique afin de museler toute forme de critique ou d’opposition.
    Le cas de Boualem Sansal, reconnu internationalement pour son engagement en faveur de la liberté d’expression et de la critique des dérives autoritaires et des avancées de l’islamisme radical, est utilisé comme un prétexte pour renforcer le contrôle des discours et des opinions dans un pays en proie à des tensions internes. Il soulève une question universelle et essentielle, celle de la liberté de s’exprimer, de critiquer et de remettre en cause.
    Boualem Sansal n’est pas la seule victime de l’article 87 bis : depuis des années, de nombreux « prisonniers d’opinion » –⁠ plus de 200 – sont incarcérés en Algérie. Nous ne devons plus tolérer cela ; nous devons agir pour la liberté et la dignité humaine. En soutenant Boualem Sansal, nous affirmons notre engagement en faveur de la liberté. Aucun écrivain ne devrait jamais être emprisonné pour avoir exprimé ses idées ou exercé sa liberté de pensée.
    Vous l’aurez compris, le groupe Droite républicaine condamne fermement la décision des autorités algériennes et demande la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. –⁠ M. Jean Terlier applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Voynet.

    Mme Dominique Voynet

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    Je prends la parole ce soir avec gravité et avec la conscience aiguë de ce que ce moment exige de nous toutes et tous : de la hauteur, du respect, de la responsabilité. L’arrestation de Boualem Sansal, sa détention, les atteintes à ses droits fondamentaux nous bouleversent. La place d’un écrivain n’est jamais en prison. Cependant, notre devoir, en tant que parlementaires français, ne se limite pas à l’indignation ; il s’étend à la manière dont nous exprimons notre solidarité et aux conditions dans lesquelles nous œuvrons à sa libération, car un mot mal choisi peut refermer une porte que nous voulions entrouvrir.
    Les écologistes ont toujours été aux avant-postes du combat pour les libertés. Cependant, nous savons aussi que la diplomatie est une science de l’efficacité, non une simple posture de dénonciation stérile. À travers l’amendement de réécriture que nous avons déposé, nous proposons de redonner à la diplomatie parlementaire sa voix d’équilibre et d’intelligence. Nous voulons que la République française parle d’une voix qui ne crie pas, mais qui soit entendue.
    Nous demandons un geste d’humanité, eu égard à l’état de santé de Boualem Sansal, en nous plaçant dans les pas du président de la République et du ministre des affaires étrangères. Nous adressons une main tendue, non pas un coup de menton.
    Le ton actuel de cette proposition de résolution européenne porte en lui le risque d’une escalade symbolique, stérile et contre-productive. En diplomatie, les mots ont un poids, qui peut peser lourd dans la balance des négociations. La France ne doit pas être le pays qui, par maladresse ou arrogance, referme les portes qu’il faut ouvrir. Elle doit être fidèle à sa tradition, celle qu’exprime Dominique de Villepin lorsqu’il rappelle : « Nous avons payé à travers l’histoire suffisamment cher pour apprendre qu’il n’y a qu’un chemin, […] c’est celui du respect. »
    Je ne peux ainsi passer sous silence la dérive préoccupante que constitue l’instrumentalisation politique du cas de Boualem Sansal par la droite et l’extrême droite. Ces forces politiques, qui s’érigent aujourd’hui en parangons autoproclamés de la liberté d’expression, semblent utiliser la situation de Boualem Sansal pour servir des agendas idéologiques bien éloignés des principes universels des droits humains. (Mme Christine Arrighi et M. Pierre Pribetich applaudissent.) Des figures de la droite extrême ont exprimé leur soutien à Boualem Sansal, non pas par souci de justice,…

    M. Emeric Salmon

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    Si !

    Mme Dominique Voynet

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    …mais pour renforcer des discours stigmatisants à l’égard de l’Algérie et des populations issues de l’immigration.

    M. Boris Tavernier

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    Évidemment !

    Mme Dominique Voynet

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    Cette récupération politique détourne l’attention des véritables enjeux : la défense des libertés fondamentales et le respect des droits de l’être humain. Il est impératif de dénoncer cette instrumentalisation. La mobilisation pour la libération de Sansal doit rester ancrée dans une démarche humaniste et universelle, exempte de toute récupération idéologique. Nous ne pouvons permettre que la cause de la liberté soit détournée pour alimenter des discours de division et de haine.
    Nous, écologistes, sommes prêts à voter cette proposition de résolution, à la condition que le texte soit expurgé de toute provocation, de toute surenchère. Il ne s’agit pas ici de régler tous les points de désaccord qui minent la relation entre la France et l’Algérie, mais de plaider efficacement pour la libération immédiate et inconditionnelle d’un homme. On en conviendra : exiger la libération inconditionnelle de Boualem Sansal en alignant des conditions, des exigences, des menaces –⁠ larvées ou frontales –, c’est se moquer du monde. La formulation volontairement modeste de l’amendement de diplomatie humaniste déposé par Sabrina Sebaihi s’explique par la volonté de ne pas prendre en otage la liberté d’un homme et de ne pas attiser les tensions.
    Dans le contexte franco-algérien, chaque mot compte ; chaque silence aussi. Nous refusons de voter un texte par lequel on croit défendre la liberté mais qui risquerait d’en éloigner celui que nous voulons libérer. Oui, il faut parler, mais il faut parler juste, non pas pour condamner dans le vide, mais pour agir dans le réel. Pour cela, il faut bâtir des ponts, non pas ériger des tribunes. Nous devons être à la hauteur de l’histoire que nous incarnons, celle de la République française, celle d’un pays qui défend les libertés, mais qui sait aussi les préserver par la force tranquille de sa diplomatie.
    Au nom de cette tradition, au nom de la dignité humaine et au nom d’une parole politique qui ne se résout ni à la faiblesse ni à la brutalité, je vous appelle non pas à reculer, mais à faire un pas de côté, qui favorise l’intelligence et l’apaisement. C’est parfois dans la retenue que l’on déploie la plus forte des solidarités ; c’est par la diplomatie que l’on construit les victoires durables. Faisons le choix de la responsabilité et du dialogue. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)

    Mme Sabrina Sebaihi

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Maud Petit.

    Mme Maud Petit

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    Cela fait désormais six mois, 170 jours, que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est détenu dans les geôles algériennes. Le 16 novembre dernier, notre compatriote a été arrêté à l’aéroport d’Alger. Le crime qui lui est reproché, ce sont ses écrits et ses prises de position pour la liberté d’expression et les valeurs démocratiques, plus particulièrement sa position sur le Sahara occidental. Boualem Sansal avait en effet déclaré au média Frontières que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires appartenant jusque-là au Maroc.

    Mme Sandra Regol

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    Vous citez Frontières, le média d’extrême droite !

    Mme Maud Petit

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    Ces propos ont fortement déplu aux autorités algériennes. Pour poursuivre et condamner Boualem Sansal, celles-ci se sont prévalues de l’article 87 bis du code pénal algérien, qui sanctionne, comme « acte terroriste ou subversif », « tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ». À ce titre, le lauréat du grand prix du roman de l’Académie française en 2025 pour son livre 2084 : la fin du monde était passible d’une peine pouvant aller jusqu’à la prison à perpétuité. Le tribunal correctionnel de Dar el-Beida, dans la banlieue d’Alger, l’a condamné le 27 mars à une peine de cinq ans de prison ferme ainsi qu’à une amende de 500 000 dinars, équivalant à 3 335 euros.
    Son arrestation et son incarcération, considérées comme arbitraires, ainsi que ce jugement ont été fermement condamnés par le président de la République, par le premier ministre et son gouvernement ainsi que par la majeure partie de la représentation nationale. Bon nombre de nos compatriotes se sont également mobilisés pour dénoncer le sort réservé à Boualem Sansal et réclamer sa libération sans condition. La communauté internationale s’est également offusquée des conditions de cette détention, contraires à toutes les conventions internationales.
    Nous le savons bien, l’affaire Boualem Sansal est en réalité l’un des éléments les plus visibles et les plus marquants des vives tensions entre l’Algérie et la France, qui se sont révélées l’été dernier. Le refroidissement des relations franco-algériennes a pour point de départ la question du présent et de l’avenir du Sahara occidental. Depuis plus de cinquante ans, ce territoire situé dans le nord-ouest de l’Afrique est source de tensions extrêmes entre le Maroc et l’Algérie. Le Maroc le considère comme faisant partie intégrante de son territoire, tandis que l’Algérie soutient les Sahraouis du Front Polisario, mouvement indépendantiste fondé en 1973 qui réclame l’autodétermination des habitants de ce territoire.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Conformément au droit international !

    Mme Maud Petit

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    Malgré les diverses occasions de conflit et les passes d’arme qui alimentent régulièrement l’actualité, deux éclaircies étaient apparues, fruit d’un travail intense de diplomatie, qui est la voie principale à suivre selon le groupe Les Démocrates. Le 31 mars dernier, le président de la République s’était entretenu par téléphone avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, afin de trouver une voie d’apaisement et de maintenir le dialogue. Dans la foulée, le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, s’était rendu à Alger avec la même ambition et avait exhorté à un dialogue franc, lucide et exigeant avec l’Algérie. Aussi regrettons-nous le regain des tensions au cours des dernières semaines, qui a abouti à l’expulsion d’une vingtaine d’agents diplomatiques de part et d’autre.
    Boualem Sansal ne doit pas faire les frais des tensions entre les deux pays. Par sa condamnation et par les conditions arbitraires de sa détention, qui entravent la protection consulaire, l’Algérie continue de déroger aux engagements qu’elle a pris dans le cadre de conventions internationales et d’accords bilatéraux conclus avec la France et l’Union européenne. Il est urgent d’agir car, outre son grand âge et sa maladie, l’état de santé mentale de Boualem Sansal se dégrade de jour en jour.
    Le groupe Les Démocrates souhaite donc plaider et appeler, par ce texte, à un geste d’humanité. La République n’abandonne aucun de ses enfants. Nous soutiendrons cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, sur quelques bancs du groupe HOR et sur les bancs des commissions.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Bertrand Bouyx.

    M. Frédéric Valletoux

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    La voix de la raison !

    M. Bertrand Bouyx

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    Boualem Sansal, écrivain et intellectuel franco-algérien dont la qualité du travail est largement reconnue et saluée, a été arrêté en Algérie le 16 novembre dernier. Il a été condamné à cinq ans de prison pour avoir, selon les autorités algériennes, nui à l’unité nationale, à l’économie nationale, à la sécurité et la stabilité du pays.
    Le groupe Horizons & indépendants est profondément inquiet de l’arrestation et de la condamnation de Boualem Sansal. Ingénieur, enseignant, écrivain de langue française, il incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme. Avec un immense courage et un immense talent, Boualem Sansal dénonce les failles et les abus du pouvoir. Il n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires, l’islamisme radical et les tabous de la société algérienne dans ses œuvres telles que 2084, La fin du monde et Le village de l’Allemand.
    Dans une Algérie où la violation des droits fondamentaux est malheureusement trop fréquente, Boualem Sansal est la cible d’une répression politique pour avoir exercé sa libre expression, jugée insupportable par le régime. La situation de l’écrivain appelle à une mobilisation urgente des autorités européennes et françaises pour qu’il puisse bénéficier d’une protection consulaire et d’une libération immédiate et inconditionnelle. Il est victime d’une mise au secret et d’un emprisonnement arbitraire ; sa condamnation relève d’une violation flagrante de ses droits fondamentaux.
    Cependant, il n’est malheureusement pas le seul à en être victime. La situation des droits humains et de la liberté d’expression en Algérie est plus que préoccupante. Il existe une dissonance entre la Constitution du pays, qui garantit les libertés d’opinion, de conscience et d’expression, et les dispositions de son code pénal, en particulier une définition malléable du terrorisme, que les autorités peuvent utiliser pour réprimer toute forme de contestation. Au-delà de l’aspect purement juridique, nous observons une dégradation de l’ensemble de ces libertés en Algérie. Le pays a ainsi reculé, en 2024, à la 139e place du classement mondial de la liberté de la presse. Selon les ONG et les observateurs des droits humains, les journalistes, soumis à une pression croissante, sont souvent détenus et poursuivis.
    C’est d’autant plus dommageable que, dans le cadre de l’accord d’association qu’elle a signé avec l’Union européenne en 2002, l’Algérie s’est engagée à respecter les principes démocratiques et les droits fondamentaux de l’homme. Il s’agit même d’un élément essentiel de cet accord. Il est donc parfaitement justifié que l’aide accordée par l’Union européenne à l’Algérie soit conditionnée au respect de l’État de droit et de la liberté d’expression. Le respect d’un accord ne peut être à sens unique. Aussi ne pouvons-nous accepter de le renégocier, comme le suggèrent les autorités algériennes, sans exiger au préalable la libération de tous les prisonniers d’opinion.
    Par le passé, l’Europe a défendu avec force des figures comme Alexeï Navalny, Vladimir Kara-Mourza ou Osman Kavala, victimes de régimes autoritaires pour avoir osé dénoncer l’arbitraire et la corruption. L’ensemble des démocraties européennes s’est toujours mobilisé pour dénoncer de telles atteintes aux droits de l’homme et exiger la libération de ceux qui sont réduits au silence par des régimes dictatoriaux ou autoritaires.
    Âgé de 75 ans, Boualem Sansal est non seulement un écrivain, mais aussi une voix courageuse contre l’autoritarisme et le fanatisme. En le défendant, nous défendons la liberté de pensée et l’universalisme des droits humains, sel de nos démocraties. Notre mobilisation ne doit pas s’arrêter là. La France et l’Europe doivent rester fermes. Tous les artistes, les écrivains, les citoyens et leurs représentants épris de liberté doivent s’unir pour faire entendre leur voix. Le groupe Horizons & indépendants votera en conséquence en faveur de cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et DR ainsi que sur les bancs des commissions.)

    Mme la présidente

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    En réponse aux questions que plusieurs d’entre vous m’ont posées, je précise que nous prolongerons la séance un peu au-delà de minuit pour achever la discussion générale. L’étude des amendements aura lieu ultérieurement au cours de la semaine.
    La parole est à Mme Constance de Pélichy.

    Mme Constance de Pélichy

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    Il est des voix qu’aucune prison ne peut faire taire ; des voix qui, par la seule force des mots, dérangent l’ordre établi, dénoncent l’arbitraire et rappellent à chacun ce que signifie être libre. Boualem Sansal est de celles-là. Écrivain de talent, intellectuel lucide, il incarne l’exigence de vérité et de courage qui dérange les régimes autoritaires. Son arrestation, en novembre 2024, sa détention arbitraire, les pressions qu’il subit et l’isolement dans lequel il est tenu sont autant de violations flagrantes des droits humains. Nous avons le devoir d’y répondre avec clarté et fermeté.
    La proposition de résolution européenne qui nous est soumise est une réponse juste, proportionnée et responsable. Elle condamne non pas un peuple, mais un système qui choisit la répression plutôt que le dialogue. Elle rappelle aux autorités algériennes leurs engagements internationaux. Elle exige la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Elle appelle à la constitution d’une mission médicale internationale afin de tenir compte d’une santé fragile et préoccupante. Elle conditionne clairement la coopération entre l’Union européenne et l’Algérie au respect de l’État de droit.
    Pour toutes ces raisons, elle mérite notre plein soutien, d’autant plus nécessaire que Boualem Sansal n’est pas un cas isolé. Il est, malheureusement, le visage le plus visible d’un phénomène plus large, celui de la répression croissante de toutes les formes d’opposition en Algérie. Les journalistes sont bâillonnés ; les blogueurs, poursuivis ; les militants, incarcérés. Il est profondément préoccupant que soient systématiquement qualifiés de « terroristes » ceux qui osent critiquer le pouvoir. À ce jour, plus de 200 personnes détenues en Algérie sont considérées comme des prisonniers d’opinion. Ce seul chiffre devrait suffire à alerter la communauté internationale.
    Boualem Sansal est détenu dans des conditions opaques, sans liberté de contact avec l’extérieur, affaibli par la maladie, privé d’un traitement adéquat. Il aurait entamé une grève de la faim. Les droits de la défense sont bafoués. L’accès à une assistance médicale digne est compromis. Son arrestation, fondée sur des accusations floues et dont les motifs sont politiques, constitue une atteinte directe aux principes fondamentaux de justice et d’humanité.
    La France, en raison de son histoire, de ses valeurs et de sa relation particulière avec l’Algérie, ne peut rester indifférente. Et notre assemblée a, au travers de cette résolution, une responsabilité particulière. Il ne s’agit pas d’un texte diplomatique de circonstance, mais d’un acte politique concret. Dire que la France soutient la liberté d’expression, c’est affirmer que ce soutien ne s’arrête pas aux frontières de notre République. C’est dire que les droits de Boualem Sansal sont aussi les nôtres. C’est protéger nos ressortissants partout dans le monde.
    Certains craignent que cette position aggrave les tensions entre la France et l’Algérie. Mais que vaut une relation, si elle se construit sur le silence face à l’injustice ? Depuis plusieurs mois, les rapports entre les deux pays sont marqués par des crispations fortes, autour de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, de la naturalisation de Boualem Sansal ou de la censure de certains auteurs comme Kamel Daoud. Aucune de ces tensions ne pourra être gérée en renonçant à nos principes.
    Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutient la proposition de résolution parce qu’elle est fidèle à nos principes de justice, de diplomatie d’équilibre et de dialogue, de respect des droits humains. Elle ne ferme pas la porte au dialogue avec l’Algérie mais en rappelle les exigences. Elle exprime la volonté que la coopération internationale soit alignée avec nos valeurs –⁠ qui doivent être communes –, et non détournée au profit d’un régime répressif.
    Nous appelons donc, avec gravité et détermination, à la libération immédiate de Boualem Sansal. Il est urgent de rappeler que la littérature, la pensée libre, la parole critique ne sont pas des crimes. Ce combat est le nôtre, et il mérite notre engagement total. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs des groupes EPR et HOR. –⁠ Mme la rapporteure applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    En France comme ailleurs, nous défendons la liberté d’expression, la liberté de la presse, le droit de manifester pacifiquement et le droit à l’opposition politique. Les droits de la défense, l’État de droit et la garantie de nos droits fondamentaux nous sont tout aussi chers. Ils garantissent à tous sur notre territoire, aux citoyens comme à ceux qui ne le sont pas, de vivre avec dignité et d’être traités de manière égalitaire.
    Or, de plus en plus souvent, partout dans le monde, ces droits et ces libertés sont menacés, et la France n’échappe pas au phénomène. Pourtant, puisque nous prétendons défendre la démocratie, ils devraient être en première ligne de notre attention. Si beaucoup se targuent de défendre cette position, assez peu l’appliquent en toutes circonstances et en tous lieux –⁠ démonstration supplémentaire de l’application d’une politique à géométrie variable.
    La proposition de résolution européenne que nous étudions demande la libération, entre autres, de M. Boualem Sansal, que la France considère comme un prisonnier politique. Russie, États-Unis, Israël, Chine, Cuba, Argentine, Togo, et bien d’autres pays : aucun continent n’est épargné par les arrestations et les détentions de prisonniers politiques. L’Europe n’est pas en reste, avec l’incarcération de Christian Tein en France hexagonale, à 17 000 kilomètres de la Nouvelle-Calédonie. Bien qu’il s’agisse d’un territoire français, l’incarcération de militants politiques, a fortiori de partisans de l’indépendance de leur terre, à des milliers de kilomètres de chez eux, ce qui empêche leur famille de les voir, est une pratique coloniale.
    Je ne peux pas non plus m’empêcher d’avoir une pensée pour mon ami Ennaâma Asfari, prisonnier politique sahraoui au Maroc, ainsi que pour tous ses codétenus. À quand une résolution exigeant la libération de tous les prisonniers politiques sahraouis au Maroc ? À quand le respect du droit international en ce qui concerne le Sahara occidental ?
    Nous continuons à nous battre contre de telles pratiques. Il est normal que nous fassions de même pour les personnes emprisonnées pour des raisons politiques partout à travers le globe, d’autant plus s’ils sont Français ou en couple avec un Français ou une Française.
    Nous tenons à souligner l’évolution du texte dans un sens un peu plus positif et intelligent pour nos relations avec l’Algérie. En effet, lorsque cette proposition de résolution européenne est arrivée devant la commission des affaires étrangères, la demande de libération de Boualem Sansal n’était en rien inconditionnelle et semblait surtout servir de prétexte pour dégrader davantage les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie (M. Emeric Salmon exprime sa désapprobation), de telle sorte que nous nous dirigions vers un point de non-retour.
    Nous souhaitons que la France entretienne des relations au moins cordiales avec tous les pays. Compte tenu de notre histoire commune et du nombre de binationaux, cela semble encore plus important avec l’Algérie. Au risque de me répéter, j’aime aussi défendre l’idée qu’il faut faire de l’Algérie un pays ami, un pays proche. Ce serait possible, grâce à un travail diplomatique rigoureux, grâce à l’établissement de jumelages et d’échanges scolaires et universitaires. L’État, les villes et les étudiants participeraient tous à créer ce nouveau lien. Je soutiens fortement l’idée de créer un office franco-algérien pour la jeunesse. Mais puisque le premier ministre français tape en permanence sur les accords qui lient notre pays et l’Algérie, cette relation ne peut que se détériorer.
    Bien que nous soyons pour la libération de tous les prisonniers politiques, quelle que soit leur nationalité, nous ne voterons pas en faveur de la résolution telle qu’elle nous est soumise. En effet, elle vise non seulement Boualem Sansal, mais aussi tous les « militants, journalistes, blogueurs ou défenseurs des droits de l’homme », sans les nommer, ce qui nous paraît cavalier au regard de l’état actuel des relations entre la France et l’Algérie. De plus, la libération de Boualem Sansal reste présentée comme une condition à la modernisation de l’accord entre l’Union européenne et l’Algérie.
    Pour être fidèle à son titre, la résolution aurait pu se contenter de demander la libération immédiate et sans condition de Boualem Sansal –⁠ comme l’ont exprimé mes collègues Insoumis, écologiste et socialiste. Malheureusement, la droite et l’extrême droite ne manquent pas une occasion de faire de la récupération politique. (M. Emeric Salmon s’exclame.) Nous trouvons cela dommage car la situation de Boualem Sansal exige qu’il soit libéré immédiatement.
    Pour ma part, sans attendre son procès, j’étais intervenu auprès des diplomates algériens que j’ai l’habitude de rencontrer dans les instances de l’ONU pour leur demander d’agir au plus vite en faveur de sa libération, faisant valoir qu’il méritait des dispositions particulières en raison de son âge et de son état de santé. J’espère que nos amis algériens sauront entendre le message que nous portons à la tribune de l’Assemblée nationale. (Mme Émeline K/Bidi, Mme Dominique Voynet et M. Pierre Pribetich applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Michoux.

    M. Éric Michoux

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    Par sa plume et par son talent, Boualem Sansal est un amoureux de notre langue et de la France. C’est un visionnaire, un combattant, qui affirmait : « Les mots sont vivants. » Par son engagement contre ce qu’il appelle une « dictature policière, bureaucratique et bigote », il est un véritable défenseur des libertés fondamentales.
    Aujourd’hui, il est le prisonnier des mauvaises relations entre la France et l’Algérie. Depuis 169 jours, Boualem Sansal est retenu par un État voyou, qui en a fait un véritable otage politique. Depuis 169 jours, le gouvernement algérien se moque de la France, démontrant l’impuissance de nos dirigeants. Depuis 169 jours, la France multiplie les déclarations et les bavardages, sans le moindre espoir de voir Boualem Sansal être libéré.
    Le groupe UDR a déposé plusieurs amendements formulant quatre propositions qui devraient vous aider à résoudre la situation.

    Mme Nathalie Oziol

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    C’est précisément le contraire !

    M. Éric Michoux

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    La première est la suspension des visas aux ressortissants algériens (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS) ; la deuxième est la suspension de l’aide publique au développement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR) ; la troisième est la fin de la dispense de visa pour les oligarques algériens ;…

    M. Pierre Pribetich

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    Quel rapport avec la résolution ?

    M. Éric Michoux

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    …la quatrième est la fin des achats d’hydrocarbures en provenance de l’Algérie.
    Il s’agit maintenant d’assumer vos discours et d’avoir le courage d’aller jusqu’au bout de vos idées –⁠ bref, d’agir ! Il y va de la vie d’un homme de 75 ans, malade, incarcéré dans des conditions indignes et victime d’un procès injuste pour avoir défendu la liberté et une certaine idée de la France. Son crime : aimer la France.
    En ce qui concerne l’accord de 1968, le gouvernement français est dans l’impasse : les voix sont dissonantes, les ministres sont incapables de trouver une position cohérente et sont placés sous la tutelle du président de la République. La situation est ubuesque : nos collègues du groupe DR participent à un gouvernement minoritaire et impuissant vis-à-vis de l’Algérie. Alors que le gouvernement se félicite des échanges avec elle, nous constatons son immense échec : l’Algérie et sa diaspora nous coûtent 3 milliards d’euros par an ; elle est la première filière d’immigration légale et illégale.

    Mme Nathalie Oziol

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    Quel est le rapport avec Boualem Sansal ? Ces propos sont hallucinants !

    M. Éric Michoux

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    Au lieu d’assumer le bras de fer, nous continuons à délivrer toujours plus de titres de séjour, alors même que l’Algérie nous humilie et, surtout, qu’elle devient un régime autoritaire et liberticide, qui enferme écrivains, journalistes et opposants politiques.
    La manifestation du 25 mars dernier devant notre assemblée avait fait souffler un vent d’espoir : les députés, les ministres, les présidents de l’Assemblée et du Sénat s’étaient alors exprimés pour demander unanimement la libération de Boualem Sansal. Pourtant, rien n’a changé. Comme des millions de Français, nous refusons, au nom de la liberté, l’incarcération injuste de notre compatriote Boualem Sansal. Je voudrais lui dédier, m’adressant aussi à sa famille, ces quelques mots qu’il incarne tellement : le courage s’accomplit en lui comme la marche ou la respiration. Le groupe UDR votera en faveur de cette résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Guillaume Bigot.

    M. Guillaume Bigot

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    En confirmant la volonté, exprimée par le Parlement européen, de conditionner tout nouvel accord entre Bruxelles et Alger à la libération de Boualem Sansal, la proposition de résolution que nous examinons va dans la bonne direction. Elle le fait sans pour autant avancer d’un millimètre, puisqu’aucun levier de pression national n’est envisagé. Le groupe RN aurait aimé un texte plus courageux, plus ambitieux, mais nous soutiendrons celui proposé par notre collègue Constance Le Grip.
    Soutenir ne nous oblige pas à être dupes. N’oublions pas qu’en commission, le 9 avril, Mme Le Grip rejetait avec dédain les propositions plus fermes formulées par notre collègue Manon Bouquin, parce que membre du Rassemblement national. Or ces amendements reprenaient mot pour mot ce que Mme Le Grip avait elle-même proposé le 4 mars. N’oublions pas non plus que le bloc central, auquel appartient Mme Le Grip, soutient un ministre des affaires étrangères qui se fait balader à Alger, tel un touriste étourdi dans un souk. Mais il y a plus grave : la lâcheté d’une certaine gauche…

    M. Pierre Pribetich

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    Oh là la !

    M. Guillaume Bigot

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    …et de certains centristes qui ont refusé l’envoi d’une mission médicale internationale pour Boualem Sansal. À tous ceux-là, qui préfèrent la soumission à la solidarité –⁠ parmi lesquels certains osent encore se prétendre insoumis –, je rappellerai cette phrase de l’auteur, qui devrait les inciter à réfléchir : « Il s’était rendu coupable de haute mécréance, un crime par la pensée, il avait rêvé de révolte, de liberté et d’une vie nouvelle […]. »
    Le seul crime de Boualem est de bien écrire le français, d’aimer la France et de dire la vérité. Aux yeux des potentats d’Alger, c’est une atteinte à la sûreté de l’État. Le régime ne peut supporter le miroir que lui tend Sansal et qui lui renvoie sa médiocrité. Le miroir risque donc de finir brisé : cinq ans de prison pour un octogénaire souffrant d’un cancer, c’est déjà une condamnation à mort –⁠ sans compter que les opposants incarcérés dans les geôles d’Alger connaissent souvent une fin tragique. Mais s’ils le tuent, Boualem aura gagné. Mon ami, si tu meurs, tu auras été un martyr de la liberté, un témoin de ce que la force ne peut rien contre la grandeur d’âme. S’il venait à mourir en tenant tête à ses bourreaux, Boualem aurait gagné, mais la France aurait, quant à elle, perdu bien plus qu’un de ses fils.
    En effet, Boualem nous tend à nous aussi un miroir peu reluisant de ce que nous sommes en train de devenir. Que vaut la protection d’un passeport français ? S’il avait été Américain, Boualem serait déjà libre. Qu’avons-nous fait pour le protéger ? Ce n’est pas faute de disposer de leviers pour agir face à ce régime corrompu et isolé : suspension de l’aide au développement, réduction du nombre de visas, dénonciation de l’accord de 1968, entre autres. Combien de caciques algériens se font soigner dans nos hôpitaux ? Combien de biens mal acquis par les généraux se trouvent à Paris ? Mais la kleptocratie algérienne sait bien que vous n’oserez jamais frapper là où ça fait mal. Le régime torture ce vieil homme avec la perversité de ceux qui savent qu’ils resteront impunis.
    Il fut un temps, pas si lointain, où les persécutés du monde entier tournaient leurs yeux vers la France, sachant qu’ici, depuis des siècles, la force et l’humanité marchaient la main dans la main. Aujourd’hui, le monde voit que la France abandonne l’un des siens, un écrivain francophone mondialement reconnu. Dans le même temps, des faux demandeurs d’asile déferlent, et on laisse faire. Où est la cohérence ? Où est la justice ? On abandonne un Algérien qui n’a jamais cessé de nous témoigner son amour fou, jusqu’à en mourir, et l’on tremble devant une poignée de Franco-Algériens excités et séparatistes. Où est la cohérence ? Où est la justice ?
    On comprend donc que si Boualem venait à mourir, ceux qui, chez nous, de petits en grands arrangements, de petites en grandes compromissions, courbent l’échine s’en trouveraient peut-être soulagés. Thomas Jefferson disait : « Tout homme libre a deux patries : la sienne et la France. » C’est sans doute aussi ce que croyait Sansal lors de son arrestation, le 16 novembre dernier. Si Boualem venait à mourir, une certaine idée de la France s’éteindrait.
    Je demande solennellement à Mme la présidente de l’Assemblée nationale que le portrait de Boualem Sansal soit accroché aux grilles du Palais-Bourbon tant qu’il sera privé de liberté, au même titre que ceux des deux journalistes actuellement retenus en Iran. Mes chers collègues, il ne s’agit plus seulement de défendre un homme, mais de défendre ce que nous sommes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)

    M. Christophe Bentz

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Belkhir Belhaddad.

    M. Belkhir Belhaddad

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    Je vous remercie, madame la présidente, de nous permettre de terminer la discussion générale en prolongeant la séance au-delà de minuit.
    L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, détenu depuis près de 170 jours, a été accusé d’atteinte à l’intégrité de l’État et condamné par un tribunal algérien à cinq ans de prison. On peut en effet s’inquiéter du sort réservé à cet écrivain, d’autant que son état de santé est extrêmement fragile. On ne peut accepter qu’il soit porté atteinte, par intimidation policière ou privation arbitraire de liberté, à toute forme d’expression émanant d’un écrivain, d’un journaliste ou de tout citoyen cherchant à exprimer librement un point de vue. Nous espérons tous une grâce présidentielle. Nous souhaitons que cette affaire trouve une issue humanitaire et digne. Cette cause dépasse tous les clivages politiques.
    Je saisis néanmoins cette occasion pour condamner l’instrumentalisation de cette affaire par l’extrême droite et une partie de la droite qui, par leurs propositions d’amendement, voudraient remettre en cause l’accord de 1968, limiter drastiquement le nombre de visas ou couper l’aide au développement. Ces propositions n’ont rien à voir avec la situation de notre compatriote Boualem Sansal.
    Les sujets relatifs à l’immigration cristallisent souvent les tensions. Quant aux relations franco-algériennes, elles déchaînent les passions –⁠ c’est le fruit d’une histoire commune douloureuse. L’accord de 1968 est souvent montré du doigt comme la source de tous les maux, au motif qu’il conférerait de nombreux privilèges ; c’est juste une blague ! Du reste, la possibilité de le dénoncer demeure incertaine, car il ne comporte pas de clause de dénonciation. Il y a là, selon moi, un risque juridique. En outre, cet accord a été révisé plusieurs fois : en 1974, très peu de temps après sa conclusion ; en 1985, avec l’introduction de conditions de ressources et des conditions plus exigeantes pour la  délivrance des certificats de résidence ; en 1994, avec l’obligation de présenter un passeport et un visa. Enfin, notre administration exerce son pouvoir discrétionnaire de telle sorte que, depuis de nombreuses années, cette immigration est plutôt maîtrisée.
    Que connaissez-vous de la relation franco-algérienne que vous dépréciez tant aujourd’hui ? Où étiez-vous lors de la guerre civile, lorsque l’Algérie se battait contre l’islamisme politique et le terrorisme, demandant la protection de la France, lorsque des rédactions entières de journalistes étaient décimées par le Groupe islamiste armé (GIA) ? Il n’y avait personne !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Exactement !

    M. Belkhir Belhaddad

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    Je ne vous laisserai jamais attiser la haine entre nos pays. Je suis convaincu que cette mémoire, souvent évoquée dans nos relations, n’est pas monolithique. Il importe de regarder cet héritage sous toutes ses facettes et dans toute sa complexité pour bien vivre ensemble et écrire la suite du récit de l’histoire entre nos deux peuples. Non, la colonisation n’a pas été bienfaitrice ; elle a nié des droits fondamentaux humains, ce qui ne doit pas nous empêcher de nous projeter vers l’avenir.
    Français et Algériens entretiennent des liens affectifs et partagent un avenir commun. Plus de sept millions de Français ont des liens personnels avec l’Algérie. Ils forment un pont humain francophone entre les deux pays ; ils souhaitent maintenir les liens précieux qui les rattachent à l’Algérie, dans le respect et la souveraineté des deux nations. Il en va de même pour bon nombre d’Algériens vivant en Algérie : ils aiment profondément la France. Cette réalité humaine et culturelle, qui ne peut être ignorée, doit être au cœur de nos échanges bilatéraux. Il est urgent de rétablir rapidement des accords politiques et diplomatiques permettant des coopérations durables, de part et d’autre de la Méditerranée, où les deux pays jouent un rôle central.
    Devant les défis à relever, l’Algérie comme la France doivent se tourner vers l’avenir. Parce qu’une Algérie forte économiquement et diplomatiquement, stable du point de vue sécuritaire, est un allié indispensable à la France et à l’Europe. Nous avons tant à construire ensemble dans tous les domaines –⁠ économique, culturel, éducatif, mémoriel –, y compris en matière de respect des libertés individuelles. Ne pourrions-nous pas nous inspirer du discours de Robert Schuman, écrit pour partie à Scy-Chazelles, dans ma circonscription –⁠ nous en célébrerons ce jeudi le 75e anniversaire –, pour insuffler un nouveau souffle à cette relation bilatérale ?
    Formons le vœu que la relation entre la France et l’Algérie suive la destinée de celle que nous avons entrepris de bâtir avec nos amis allemands, que l’on dépasse les crises et le choix de l’escalade, dans l’intérêt de nos deux pays, de nos deux peuples. C’est au nom de cette amitié franco-algérienne que nous devons réclamer la libération de Boualem Sansal. Demandons ainsi un geste de clémence de la part des autorités algériennes, et rien de plus.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La discussion générale est close.

    Mme la présidente

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    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
    Questions au gouvernement ;
    Discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur ;
    Discussion de la proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dont la plainte est classée sans suite ;
    Suite de la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane ;
    Discussion de la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière ;
    Discussion de la proposition de résolution visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l’environnement ;
    Suite de la discussion de la proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.
    La séance est levée.

    (La séance est levée, le mardi 6 mai 2025, à zéro heure dix.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra