Première séance du samedi 17 mai 2025
- Présidence de M. Jérémie Iordanoff
- 1. Droit à l’aide à mourir
- Discussion des articles (suite)
- Article 2 (suite)
- Amendement no 8
- Mme Brigitte Liso, rapporteure de la commission des affaires sociales
- Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
- Amendements nos 834, 1038, 674, 2000, 290, 633, 603, 838, 495, 845, 1597, 1426, 9, 196, 2268, 2614, 512, 1247, 1248, 1249, 751, 1246, 531 et 1437
- M. Olivier Falorni, rapporteur général, pour la commission des affaires sociales, de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir
- Rappel au règlement
- Article 2 (suite)
- Suspension et reprise de la séance
- Rappel au règlement
- Article 2 (suite)
- Article 2 (suite)
- Discussion des articles (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1. Droit à l’aide à mourir
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir (nos 1100, 1364).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s’arrêtant à l’amendement no 8 à l’article 2.
Article 2 (suite)
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 8.
M. Patrick Hetzel
Cet amendement vise à rendre plus intelligible l’objectif de cette proposition de loi en reprenant dans l’article 2 la définition de l’Académie des sciences médicales de Suisse, qui indique que le suicide assisté est « accompli dans l’intention de permettre à une personne capable de discernement de mettre fin à ses jours, après la prescription de médicaments par un médecin à des fins de suicide ».
Nous avons déjà discuté de la terminologie, qui présente deux enjeux essentiels. D’abord, la loi doit être intelligible. Ensuite, comme l’a rappelé hier soir notre collègue Philippe Juvin, elle doit être conforme aux normes constitutionnelles. Je vous invite d’ailleurs à lire ce qu’indique à cet égard le Conseil d’État, qui devrait nous engager à employer des termes clairs.
J’espère, au moins, que l’expression d’aide active à mourir pourra être retenue.
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Liso, rapporteure de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission.
Mme Brigitte Liso, rapporteure de la commission des affaires sociales
Votre amendement supprime la référence à l’accompagnement de la personne, qui est pourtant le sujet central de ce texte. Il supprime également la possibilité qu’un tiers administre la dose létale, une proposition qui serait contraire au principe d’égalité.
M. le président
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, pour donner l’avis du gouvernement.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl
Je soutiens l’amendement de Patrick Hetzel parce qu’il poursuit l’objectif de rendre la loi claire, intelligible, et d’informer correctement nos compatriotes, qui sont trompés sur les intentions de ce texte. On nous dit qu’il vise à pallier les difficultés qui peuvent exister dans des cas rares ou extrêmes de fin de vie, ou de maladies qui occasionnent une souffrance particulière chez certains de nos concitoyens. Or les expériences de légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté menées dans d’autres pays occidentaux montrent que, très rapidement, leur nombre explose. Je me fonde notamment sur l’exemple du Canada, où les législateurs pensaient d’abord que le nombre de personnes concernées serait à l’étiage, soit quelques dizaines voire centaines de personnes, alors que dans un laps de temps très court, ils connaissent déjà plusieurs milliers de cas d’euthanasie ou de suicide assisté.
Je souhaite que les rapporteurs, les promoteurs de cette proposition de loi et le gouvernement soient clairs sur les intentions de ce texte, qui vise bien à introduire dans notre ordre juridique l’euthanasie humaine et le suicide assisté par l’État.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Madame Liso, vous indiquez que l’amendement ne ferait pas référence à la possibilité du choix entre suicide assisté et euthanasie, mais je tiens à rappeler que le texte initial faisait du suicide assisté la règle proposée et que le recours à un tiers n’interviendrait que lorsque la personne ne pouvait s’administrer elle-même la substance létale.
En commission, l’exception euthanasique a également été supprimée, ce qui montre que le texte que nous examinons va bien plus loin que ceux adoptés par un certain nombre de pays étrangers il y a quelques années.
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 834.
M. Charles Sitzenstuhl
Par cet amendement, je souhaite revenir sur la manière dont l’euthanasie et le suicide assisté vont être introduits dans notre ordre juridique. Le suicide assisté et l’euthanasie entreraient en effet, avec ce texte, dans la première partie du code de la santé publique qui porte le titre « Protection générale de la santé ». En quoi pouvons-nous considérer que l’euthanasie et le suicide assisté visent à protéger des gens, alors qu’il supprime leur vie ? En quoi est-ce un acte de santé, alors que le Conseil national de l’ordre des médecins, notamment, a eu l’occasion de dire que cela ne pouvait, en aucun cas, être considéré comme un soin ?
La deuxième partie traite de la santé sexuelle et reproductive, la troisième de la lutte contre les maladies et les dépendances, la quatrième des professions de santé, la cinquième des produits de santé, la sixième des établissements et services de santé. Nos prédécesseurs ont donc construit un ordre juridique sur les questions médicales et de santé qui visent à protéger exclusivement la vie.
C’est un modeste amendement de repli qui demande, par souci de clarté, que soit créée une septième partie dans le code de la santé publique, afin de dissocier les objectifs de cette proposition de loi du reste de l’ordre juridique médical.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Je voudrais rappeler que c’est la personne elle-même qui engage le processus, et ce quelle que soit la procédure que nous déterminerons. Je ne voudrais pas que l’on pense que, dans ce pays, des médecins ou des personnes pourraient décider pour quelqu’un d’autre d’engager ce processus. Vous parlez d’euthanasie, mais vous ne parlez pas de la possibilité de l’aide à mourir qui peut prendre la forme de l’autoadministration, qui n’est pas à négliger.
Plutôt que d’introduire une nouvelle partie dans le code de santé publique, rassemblons dans un même chapitre les dispositions relatives à l’accompagnement des malades en fin de vie. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
J’ai la même position que votre rapporteure, car comme le prévoit la suite du texte que nous examinons, le droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance comprendrait la possibilité d’accéder à l’aide à mourir. Le positionnement des dispositions sur l’aide à mourir dans la partie du code de la santé publique relative à la protection générale de la santé, à la suite des dispositions relatives aux droits de la personne et à l’expression des malades en fin de vie, se justifie donc pleinement. C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
M. le président
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat
Ce texte, fruit de choix français, est travaillé depuis des années. Il s’est inspiré des exemples étrangers, mais il est différent en ce que la demande doit toujours provenir d’un patient dont la maladie va entraîner la mort, et que l’on accompagne dans cette phase de sa vie.
Ce texte a également pour but de protéger les soignants dans leur exercice, parce que l’on sait que la procédure se fait aujourd’hui, mais relève d’un exercice illégal de la médecine. C’est une évolution nécessaire et attendue, tant par les citoyens français, qui auront cette possibilité et l’exerceront ou pas, que par les soignants qui seront protégés. Ce texte doit être intégré dans le quotidien des Français.
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
Je crois que nous n’avons pas lu le même texte, madame Dubré-Chirat. Ce texte ne concerne pas que des personnes dont la mort est imminente, mais aussi des personnes qui seront atteintes d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital ne sera pas engagé à court terme. Parfois, le décès pourra intervenir plusieurs mois ou années plus tard. Il ne faut pas mentir : nous sommes en train d’introduire une possibilité qui, telle qu’elle est actuellement rédigée, ne correspond pas à ce qui est dit.
Ce qui est prévu, c’est de l’inscrire au cœur du chapitre premier du titre premier du livre premier de la première partie du code de la santé publique. L’amendement de notre collègue Sitzenstuhl a le mérite, au contraire, de l’introduire après, afin de faire de l’euthanasie une exception, d’indiquer que ce n’est pas une option sur la table, mais un dernier recours.
Ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire : nous produisons un cadre très large qui créerait une option. Et cela peut d’ailleurs changer le rapport du malade au soignant, parce qu’avant même que le plan thérapeutique soit mis en place et qu’il ait eu accès aux soins palliatifs, cette possibilité existera. Le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont la mort arrivera un jour, n’a peut-être des souffrances réfractaires qui ne sont à ce stade que psychologiques. Le texte prévoit en effet que les souffrances peuvent n’être que psychologiques et pas forcément physiques. Toutes ces conditions cumulées montrent qu’on n’est pas dans l’exception. Au contraire, cet amendement introduit la notion d’exception.
(L’amendement no 834 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de vingt-trois amendements, nos 1038, 674, 2000, 290, 633, 603, 838, 495, 845, 1597, 1426, 9, 196, 2268, 2614, 512, 1247, 1248, 1249, 751, 1246, 531 et 1437, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 290 et 633 sont identiques, de même que les amendements nos 495, 845 et 1597, les amendements nos 9, 196, 2268 et 2614 et les amendements no 531 et 1437.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 1038.
M. Dominique Potier
Vous avez fait hier, monsieur le rapporteur général, fait un vibrant plaidoyer sur la charge historique du mot « euthanasie », et j’avoue y avoir été sensible. Mais je voudrais rappeler que des autorités spirituelles, culturelles et scientifiques utilisent ce mot sans que personne ne songe à leur faire le procès de méconnaître l’histoire – je pense notamment au grand-rabbin de France, qui a encore fait une intervention sur ce thème dans la semaine.
Les mots ont un sens, on peut les voir comme des balises qui nous guident dans nos débats. On a évoqué à ce propos les sources européennes, les sources françaises, ces grandes chartes qui fondent notre République, mais l’on n’a pas cité celle issue de l’expérience tragique de la nuit de l’Europe, de la nuit de la Shoah : la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est René Cassin qui contribue en 1948 à l’écriture de l’article 1er en y mentionnant à nouveau le devoir de fraternité. En l’occurrence, nommer les choses, c’est rétablir le devoir de fraternité qui est le nôtre : les hommes sont libres et égaux, ils ont le devoir d’agir les uns pour les autres. Or il me semble qu’il n’y a pas de continuité, je veux le redire ici, entre les soins palliatifs d’une part, et l’aide à mourir, l’euthanasie ou le suicide assisté d’autre part, mais au contraire une rupture qui aura des conséquences massives sur notre société, en touchant les plus fragiles d’entre nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Mme Hanane Mansouri applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Juvin, pour soutenir l’amendement no 674.
M. Philippe Juvin
L’idée, vous l’avez bien compris, est de remplacer les termes de « droit à l’aide à mourir » par ceux qui désignent réellement ce qu’il en est : « euthanasie » et « suicide assisté ». Il est en effet nécessaire, d’une part, que la loi soit compréhensible et, d’autre part, qu’elle ne soit pas source de confusion lexicale, puisque l’aide à mourir, cela existe déjà. Tous les médecins, toutes les infirmières aident à mourir : mes collègues et moi aidons à mourir en accompagnant les familles, et bien sûr les patients dans leurs derniers instants, en soulageant les douleurs, en soutenant psychologiquement et en nous assurant que les besoins les plus élémentaires – l’alimentation, l’hydratation ou encore la propreté – sont satisfaits, et ce sans provoquer la mort. Nous aidons à mourir en permanence dans nos métiers. Et ici aider à mourir, cette notion très classique dans la médecine, se transforme malheureusement, sans le dire, par un jeu d’euphémisation, en euthanasie et en suicide assisté. Les soignants aident à mourir depuis toujours, ne leur retirez pas cela.
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet, pour soutenir l’amendement no 2000.
M. Vincent Trébuchet
Cet amendement vise à rétablir l’article 2 dans sa rédaction initiale, notamment à retirer la mention du mot « droit ». Il ne s’agit pas du tout de nier le fait que si cette proposition de loi est votée, elle instaurera la possibilité de recourir au suicide assisté ou à l’euthanasie, mais de constater que l’introduction du mot « droit » dans une loi donne une connotation très positive à l’acte en question, et ce en contradiction avec le but que poursuivent certains d’entre vous – permettre un moindre mal quand on ne sait plus comment soulager, etc. Maintenir le mot « droit » dans cet article préparerait à l’élargissement futur du champ d’application de cette loi. Ainsi, quelqu’un qui a longtemps porté le combat de l’ouverture du droit au suicide assisté et à l’euthanasie sur nos bancs, Jean-Louis Touraine, expliquait récemment que ce serait mettre le pied dans la porte pour pouvoir ensuite ouvrir ce droit aux mineurs, et ainsi de suite. Je redis qu’inscrire dans ce texte le mot « droit » reviendrait à dire à nos citoyens que c’est quelque chose de positif et qu’il vaudrait mieux y recourir que s’en abstenir. Voilà pourquoi je propose de retirer ce terme de la rédaction de cet article.
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Bonnet, pour soutenir l’amendement no 290.
Mme Sylvie Bonnet
Il est proposé de modifier la rédaction de cet article, car l’aide à mourir ne peut être conçue ou présentée comme un droit absolu qui ne supporterait aucun cadre ni aucune limite.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 633.
M. Patrick Hetzel
On notera que l’amendement suivant, sur la même ligne que le mien, a été déposé par M. Peu – il ne pourra être défendu, faute de signataires présents. Cela montre bien qu’il n’y a pas d’un côté les progressistes et, de l’autre, les conservateurs : la situation est bien plus complexe que cela, puisque les collègues communistes sont quelques-uns aussi à défendre ce type d’approche.
J’en viens à la question de fond. Cet amendement vise à supprimer la référence au mot « droit » à l’article 2, car la formulation « droit à l’aide à mourir » nous semble pour le moins paradoxale. Dans un communiqué en date du 6 mai, l’Académie nationale de médecine demande, elle aussi, que les choses soient clarifiées, pas seulement sous l’angle juridique, mais aussi sous l’angle médical, en insistant sur le fait que ce concept très flou d’aide à mourir n’est pas explicite dans la mesure où il peut recouvrir deux réalités bien distinctes : le suicide assisté d’une part, l’euthanasie d’autre part. Sa demande a du sens, et je suis assez étonné de constater que l’on exclut la possibilité de prévoir une section spécifique au sein du code de la santé publique alors que, je le souligne encore une fois, on voit bien que l’aide à mourir est un dispositif tout à fait spécifique. Ne pas vouloir en tenir compte me conduit à me demander s’il n’y a pas une volonté de banaliser les choses alors que ce dont il est question est évidemment tout sauf banal.
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Dogor-Such, pour soutenir l’amendement no 603.
Mme Sandrine Dogor-Such
Le texte dans sa réaction actuelle, en occultant la réalité, en occultant les termes « euthanasie » et « suicide assisté », promeut une mort programmée. Le recours à l’euphémisme est trompeur, car l’emploi du mot « aide » donne une connotation positive à un acte qui n’est autre qu’une mort administrée. De surcroît, il conduit à l’amalgame entre deux actes différents. Certains vont jusqu’à qualifier la mort programmée de « soin ultime », dans une contradiction totale avec la notion même de soin. Voilà un dévoiement susceptible de dégrader un système de santé déjà bien malade. D’où mon amendement proposant de remplacer les mots « aide à mourir » par les mots « mort programmée ».
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 838.
M. Charles Sitzenstuhl
Mon amendement vise à préciser, une fois encore, les termes de cet article afin que les promoteurs de ce projet soient clairs sur leurs intentions : introduire l’euthanasie dans notre ordre juridique. Lors du débat d’hier soir, j’ai été pour le moins étonné, monsieur le rapporteur général, par les procédés rhétoriques que vous avez utilisés sur la question de l’euthanasie. Disons-le franchement, j’ai été choqué de vous entendre invoquer des arguments consistant non pas à débattre du fond, mais à faire référence à une étymologie déjà bien connue et bien documentée – il y aurait beaucoup à dire sur la période historique à laquelle vous avez fait référence. L’usage des arguments d’autorité vise précisément à pulvériser le débat en sidérant les adversaires. Je partage ce que vient de dire Patrick Hetzel il y a quelques instants : le mot « euthanasie » est encore largement utilisé de nos jours, que ce soit par le grand-rabbin de France, la Conférence des évêques de France, les autorités de la grande mosquée de Paris ou encore le Conseil national de l’Ordre des médecins, de même que de très nombreux médecins. Et je ne pense pas, monsieur le rapporteur général, qu’on puisse considérer que ces personnes et a fortiori ces institutions si importantes dans le fonctionnement de la société française souillent d’une façon ou d’une autre le débat en utilisant ce terme. Je souhaite que nous en revenions au fond du débat et qu’il ne soit plus fait usage d’arguments d’autorité.
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 495.
Mme Justine Gruet
C’est un sujet essentiel que nous devons traiter sans idéologie et sans certitude. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Si on ne me laisse pas parler, je vais prendre mes affaires et partir ! (Exclamations sur divers bancs.)
M. Alexis Corbière
Si vous êtes perturbée par des chuchotements, c’est sûr que ça risque d’être compliqué !
Mme Justine Gruet
En vertu de l’éthique, puisque cette proposition de loi vise à légaliser l’administration d’un produit létal par un professionnel de santé ou par le patient lui-même si les critères prévus sont respectés, il m’apparaît essentiel de le mentionner explicitement, c’est pourquoi je vous propose d’insérer le mot « active ». La formulation « aide active à mourir » vise à mettre en évidence l’action qui sera réalisée, puisqu’il s’agit de provoquer activement la mort et non de faire le constat d’une mort naturelle. Cette précision est essentielle pour assurer la transparence du texte. J’ai une réelle difficulté avec la formulation « aide à mourir », qui ne définit pas précisément ce sur quoi vous souhaitez légiférer. En effet, l’aide à mourir peut aussi être associée aux soins palliatifs.
Hier, monsieur le rapporteur général, on a cité des exemples pris à l’étranger qui montrent que l’on n’utilise pas dans tous les pays les mots « euthanasie » et « suicide assisté » – j’ai noté qu’au Canada, c’est l’« aide médicale à mourir », formulation à laquelle je ne suis pas favorable, parce que l’injection d’une substance létale n’est pas en soi médicale. La formulation que nous proposons apparaît un bon compromis.
Mais je trouve, monsieur le rapporteur général, que vous êtes très fermé à toutes nos propositions alors que, même s’il y a une forte attente de la société – ce dont je ne suis pas intimement convaincue –, je rappelle que nous ne sommes pas les méchants dans ce débat : pour moi comme pour mes collègues, la gestion de la souffrance physique – et psychologique, d’ailleurs – doit être la priorité.
Je conclurai en disant que j’apprécie l’idée de la création d’une septième partie dans le code de la santé publique, ce qui permettrait de hiérarchiser les nouvelles dispositions en fonction de leur importance et de bien montrer que l’acte légal sera le dernier recours, faute de soins possibles. Il ne faut pas conserver le texte à la place prévue dans le code de la santé publique, c’est-à-dire au chapitre 1er de la première partie, parce que cela revient à mettre sur le même plan des soins et cet acte létal. Si l’emploi du mot « euthanasie » vous heurte, on pourrait choisir l’intitulé que vous retiendrez, par voie d’amendement ou de sous-amendement, pour pouvoir la créer.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 845.
M. Patrick Hetzel
Je considère qu’il s’agit d’un amendement de repli d’un repli, mais l’objectif demeure le même : que l’on ne se trompe pas sur ce que nous sommes en train de faire. Depuis maintenant des décennies, le courant des soins palliatifs s’est développé très courageusement pour mettre fin à l’obstination déraisonnable et pour que l’on accompagne jusqu’au bout, que l’on aide à mourir. Si vous interrogez les professionnels des soins palliatifs, qui ont développé une véritable éthique du soin, ils vous répondent qu’ils ne souhaitent pas que l’on fasse un amalgame entre leur pratique professionnelle, cet engagement magnifique auquel ils se consacrent depuis de longues années, et un acte qui consiste à administrer la mort. Il serait donc pertinent de veiller au moins à dire les choses en précisant qu’il s’agit bien d’une aide active à mourir, d’un acte très spécifique pour que la mort intervienne plus rapidement – alors qu’à l’inverse, la préoccupation des professionnels des soins palliatifs, c’est de ne pas hâter la mort sans qu’il y ait pour autant d’acharnement thérapeutique. C’est cet équilibre très fragile qui est leur éthique, une éthique fondamentalement humaniste. Mais on est en train de créer une rupture dans une forme d’humanisme.
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 1597.
M. Thibault Bazin
Aujourd’hui, quand une personne est en fin de vie, elle est accompagnée dans ses derniers jours, ses dernières heures, par les soignants, par des bénévoles et par ses proches. Cette présence et les soins qui sont donnés à ce moment-là sont précieux. Je tiens à saluer l’engagement de toutes les personnes qui « aident à mourir ». Ils aident à mourir sans provoquer la mort – leur intention n’est pas celle-là. Avec l’article 2, vous proposez d’administrer une substance létale avec l’intention de provoquer la mort, ce qui n’est pas du tout du même ordre. L’action intentionnelle implique la personne elle-même, les soignants qui l’accompagnent et même, au fond, la société, dans la réponse qu’elle apporte à une demande d’aide.
Quand le pronostic vital d’une personne n’est pas engagé à court terme, la mort ne pourrait pas intervenir sans cette action. C’est pourquoi je propose d’ajouter le mot « active » après « aide à mourir », conformément aux préconisations du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Cette clarification sémantique est d’autant plus importante que les soignants des unités de soins palliatifs sont déjà, très concrètement, des aidants à mourir : ils accompagnent les derniers jours d’une vie sans forcément provoquer la mort.
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet, pour soutenir l’amendement no 1426.
M. Yannick Monnet
Il réaffirme que l’aide à mourir est un droit, mais qu’il s’agit bien d’une « aide médicale à mourir ». Je me suis déjà exprimé sur le sujet hier, je n’y reviens donc pas.
M. le président
Nous en venons à quatre amendements identiques.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 9
M. Patrick Hetzel
Comme l’a souligné notre collègue Charles Sitzenstuhl, la terminologie est importante. Le 6 mai dernier, l’Académie nationale de médecine elle-même a recommandé de distinguer, dans le débat sur l’aide à mourir, l’euthanasie et le suicide assisté. Cette recommandation émane d’une institution dont l’autorité est reconnue : nous devrions donc la prendre en considération.
On nous a présenté des arguments d’autorité pour défendre la formulation proposée à l’article 2, mais j’aimerais savoir ce qu’il en est juridiquement et médicalement. Pourquoi réfutez-vous la distinction entre euthanasie et suicide assisté ? Une terminologie comme « aide à mourir » est très englobante alors que nous parlons de deux situations de nature différente. Une personne qui s’administre une substance létale, ce n’est pas la même chose qu’une personne qui se voit administrer une substance létale par un tiers.
Un autre argument milite en faveur de cette clarification. En Oregon, un certain nombre des patients qui ont reçu une prescription médicale pour obtenir une substance létale ne vont jamais la chercher. Et parmi ceux qui vont la chercher, un pourcentage non négligeable ne l’utilisent jamais. Ce phénomène mérite de toute évidence d’être pris en considération dans la manière dont nous écrivons la proposition de loi.
M. le président
L’amendement no 196 de Mme Josiane Corneloup est défendu.
La parole est à Mme Christine Loir, pour soutenir l’amendement no 2268.
Mme Christine Loir
En parlant d’« aide à mourir », cet article laisse croire que soigner c’est donner la mort, qu’accompagner c’est mettre fin à la vie. Pour garantir la clarté de la proposition de loi et la sincérité de nos débats, il est essentiel que les mots soient employés avec justesse. Un soignant soigne et accompagne.
J’ai été soignante et j’ai accompagné un grand nombre de personnes en leur tenant la main, en les rassurant, en les soulageant. Jamais, en aucun cas, en leur donnant la mort. Pour les soignants, c’est inenvisageable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Juvin, pour soutenir l’amendement no 2614.
M. Philippe Juvin
Le risque d’une mauvaise compréhension de la loi nous inquiète et nous aurons alerté l’Assemblée à plusieurs reprises sur le sujet. Le refus d’utiliser certains mots pourrait être vu comme une sorte de dissimulation sémantique. Dans une démocratie mature, on nomme les actes avec justesse, même s’ils sont douloureux et difficiles. Il est d’autant plus regrettable que nous ne le fassions pas que nous entamons ce débat.
Souvenez-vous de nos échanges sur la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs : nous avons plusieurs fois eu des discussions parce que les mots « aide à mourir » surgissaient dans le texte et que nous ne savions pas de quoi nous parlions exactement. À tel point que certains se demandaient si l’aide à mourir prévue dans les unités de soins palliatifs ou les maisons d’accompagnement incluait l’acte d’euthanasie. De toute évidence, nous étions dans le flou le plus total il y a encore quelques jours. Tout le monde s’en plaignait d’ailleurs, que ce soit par volonté d’inclure ou d’exclure l’euthanasie. Les choses n’étaient pas clairement dites.
Si vous avez un doute sur cette dissimulation sémantique, je vous renvoie à un point que nous discuterons un peu plus loin : avec ce texte, il va être demandé aux médecins qui signent le certificat de décès de cocher la case « mort naturelle ». Il n’y a pourtant pas de mort moins naturelle qu’une mort après administration d’une substance létale. Et contrairement à ce qui a été dit, on ne meurt pas de la maladie, mais de l’acte réalisé – si l’on mourait de la maladie, cette proposition de loi serait inutile.
La confusion sémantique nuit à la compréhension du texte et à son acceptabilité sociale.
M. Thibault Bazin
Il a raison !
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 512.
Mme Justine Gruet
Il semble que chacun commence à convenir du fait que les mots « aide à mourir » ne sont pas satisfaisants. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
M. Stéphane Delautrette, rapporteur de la commission des affaires sociales
Ah non, désolé, on ne convient de rien du tout !
Mme Justine Gruet
J’ai bien entendu vos arguments hier soir, monsieur le rapporteur général, mais, pour avoir participé à de nombreuses réunions publiques sur le terrain et expliqué l’état actuel de notre législation, je n’ai pas eu le sentiment que les termes « suicide assisté » et « euthanasie » heurtaient nos concitoyens.
Les mots ont un sens et l’absence de clarté a des conséquences. Il serait important que nous reconnaissions collectivement que la notion d’aide à mourir n’est pas suffisamment précise. Pour que nos concitoyens comprennent bien ce sur quoi nous légiférons, nous devons aussi continuer de soutenir les soins palliatifs. Un patient en fin de vie peut demander à son docteur de l’aider à mourir sans nécessairement vouloir recourir à une substance létale.
Nous devons sécuriser les médecins et ne pas faire l’impasse sur les soins palliatifs. Cette proposition de loi ne saurait revenir sur toutes les heures de débat que nous avons eues et sur le travail quotidien de ceux qui accompagnent les personnes en fin de vie dans les unités de soins palliatifs, à l’hôpital ou à domicile.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 1247.
M. Christophe Bentz
Vous le savez, monsieur le rapporteur général, le débat sur la sémantique est fondamental et révélateur. À défaut d’avoir réussi à supprimer l’article 1er et de pouvoir déjà supprimer l’article 2 et la proposition de loi dans son ensemble, j’ai déposé plusieurs amendements constituant autant de propositions de repli successives.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur
Et d’obstruction !
M. Christophe Bentz
Il est indispensable, vis-à-vis des Français, de préciser les termes. Certains mots ne doivent pas être tabous, notamment celui de suicide. Le suicide existe malheureusement depuis très longtemps dans notre société. C’est toujours un drame humain. À cette volonté de mort, le devoir de notre société est d’opposer trois actions : prévenir, sauver, soigner. Voilà l’une des très nombreuses raisons pour lesquelles je m’oppose à ce texte. La vocation sociale de la France est de secourir la vie humaine quoi qu’il arrive, en tout lieu et en tout temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir les amendements nos 1248 et 1249, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. Christophe Bentz
Ces amendements proposent deux formulations de repli pour l’alinéa 3 : « Droit à l’euthanasie et au suicide assisté » pour le no 1248, « Droit au suicide assisté ou délégué » pour le no 1249.
Monsieur le rapporteur général, je vous l’ai déjà dit : vous m’avez en partie convaincu s’agissant du terme « euthanasie », dont la charge historique est lourde, même si le mot en tant que tel n’y est pour rien.
Pour la bonne compréhension de nos débats, je vous propose l’expression « suicide délégué ». Elle n’est sans doute pas parfaite, mais elle est plus consensuelle. Comme je l’ai expliqué hier soir, le suicide assisté que vous proposez est encadré par la loi alors que le suicide délégué est une volonté de mort déléguée à une personne tierce, laquelle pourrait à terme ne pas être soignante – pour le moment, seuls les médecins et les infirmiers sont concernés.
M. le président
La parole est à M. Charles Rodwell, pour soutenir l’amendement no 751.
M. Charles Rodwell
Je souhaite dire, dans le respect des convictions de chacun, que la raison principale de mon opposition à ce texte réside dans ma conviction que son champ d’application sera élargi dans les années à venir. Les parlementaires canadiens, belges et de plusieurs autres pays l’ont constaté après avoir adopté, de bonne foi, la légalisation de l’aide active à mourir. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas anticipé l’élargissement du champ d’application du texte dans les années qui ont suivi.
La notion de « droit à l’aide à mourir », au-delà du débat juridique, ne fera qu’accélérer l’élargissement du champ d’application du texte à l’avenir. C’est peut-être d’ailleurs le souhait du rapporteur général et d’un certain nombre de nos collègues.
À titre personnel, je ne souhaite pas que l’on ouvre la boîte de Pandore et je ne ferai pas partie de ceux qui l’ouvriront. C’est la raison pour laquelle je vous propose de supprimer le mot « droit » à l’alinéa 3.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 1246.
M. Christophe Bentz
Pourquoi, dans les sondages et les enquêtes d’opinion réalisés depuis plusieurs mois, les Français se disent-ils majoritairement favorables à l’aide à mourir ?
Mme Christine Pirès Beaune
Très majoritairement favorables !
M. Christophe Bentz
C’est en raison d’une inversion sémantique. Je ne le répéterai jamais assez : dans l’esprit de la majorité des Français, l’aide à mourir est avant tout une aide et donc un accompagnement, un accompagnement jusqu’à la fin de la vie. Pour la majorité des Français, l’aide à mourir, ce sont les soins palliatifs. Ils y sont donc évidemment favorables !
Un sondage de début avril a montré leur incompréhension des trois différentes notions utilisées, ce qui prouve que les sondages sont confus et désorientent les Français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
M. le président
Nous terminons cette discussion commune par deux amendements identiques.
La parole est à Mme Annie Vidal, pour soutenir l’amendement no 531.
Mme Annie Vidal
Cette discussion commune montre combien la définition pose question. Vous considérez qu’elle est claire, ce qui est vrai d’une certaine manière : l’aide à mourir consiste à recourir à une substance létale. Elle recouvre toutefois des situations très diverses. Pour moi, elle concerne les soignants, dans les hôpitaux, les cliniques, les Ehpad et à domicile, qui aident des patients en train de mourir. Je suis donc gênée par la formulation du texte. Je rappelle par ailleurs que le CCNE et le Cese utilisent la terminologie « aide active à mourir ».
Je voudrais vous lire un extrait du document « Focus sur l’aide à active à mourir » publié l’année dernière par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), au début de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Nous avions en effet constaté que les différents termes, parfois techniques, semaient la confusion.
Qu’est-ce que l’aide active à mourir ? Selon le CNSPFV, « l’aide active à mourir désigne tout acte ayant pour finalité de provoquer la mort d’une personne à sa demande » – cela correspond à la définition de l’article 2 – « lorsqu’elle est atteinte d’une maladie grave et incurable » – c’est encore la définition – « en phase avancée ou terminale. Le terme d’aide active à mourir peut renvoyer à la fois à l’euthanasie et au suicide assisté ».
Si je comprends qu’en France on ne veuille pas utiliser les termes « suicide assisté » ou « euthanasie », nous avons le moyen de distinguer l’aide à mourir apportée par les soignants dans tous les lieux sans utilisation de substance létale et cet acte, correspondant à un droit, qui consiste à recourir à une substance létale. Franchement, je ne comprends pas pourquoi nous n’utilisons pas la terminologie d’aide active à mourir : elle permettrait d’avoir une définition beaucoup plus claire. J’ai cru comprendre qu’un certain nombre de personnes sont favorables à cette définition : nous éviterions ainsi les débats sémantiques, très longs, j’en conviens, mais absolument nécessaires si nous ne voulons pas perdre tout le monde.
Vous n’avez pas de raison objective pour refuser cette terminologie d’aide active à mourir. Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, si nous voulons avancer sur ce texte, comprenez qu’il faille clarifier les choses et entendre celles et ceux qui souhaitent cette clarification.
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 2000, par le groupe UDR ; sur les amendements identiques nos 495, 845 et 1597, par le groupe Droite républicaine ; sur les amendements identiques no 9, 196, 2268 et 2614, par les groupes Rassemblement national et UDR ; sur l’amendement no 1248, par le groupe UDR ; sur l’amendement no 1249, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 1437.
M. Dominique Potier
L’idée, avec ces précisions, est d’éviter la confusion et le manque de clarté, qui constitueraient sans doute la plus grande faute politique que nous puissions commettre. Il s’agit de dire qu’en la matière, on a vraiment une rupture avec l’éthique de soin. Le soin est la prise en compte des vivants à la fin de leur vie, mais également des morts à travers les obsèques, obsèques dont beaucoup d’anthropologues pensent qu’elles ont fondé notre humanité.
Je voudrais qu’en précisant ces mots d’aide active à mourir, nous ne créions pas de confusion avec cette épopée véritablement humaniste de l’avancée des soins palliatifs depuis trois décennies, marquée par le refus des arguments d’autorité de la médecine à travers des cocktails létaux, le refus de la douleur et de l’acharnement.
Si on veut de la clarté dans la vie politique, on peut se référer à un philosophe et théologien protestant, Paul Ricœur, qui n’a pas encore été convoqué dans ce débat. Ces quelques mots de Paul Ricœur, que je voudrais partager avec vous, m’ont vraiment inspiré :« Et s’il est vrai qu’en certains cas extrêmes, qui rendent le suicide respectable, l’acte de se donner la mort devient celui qui fait coïncider, une seule fois, la vie et la mort, l’acte de vivre et l’acte de mourir – et s’il faut avouer que les pratiques clandestines d’euthanasie active sont inéradicables, et si l’éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire – même alors le législateur ne saurait donner sa caution. » (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Charles Sitzenstuhl
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Olivier Falorni, rapporteur général, pour la commission des affaires sociales, de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir, pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements en discussion commune.
M. Olivier Falorni, rapporteur général, pour la commission des affaires sociales, de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir
Il y a beaucoup d’amendements…
M. Yannick Monnet
Ils ne se valent pas tous ! (Sourires.)
M. Olivier Falorni, rapporteur général
… et leurs objectifs diffèrent, même s’ils tournent tous autour de la sémantique et si quasiment tous, à l’exception de celui de M. Monnet, sont défendus par des adversaires résolus de l’aide à mourir, ce qui est évidemment tout à fait légitime.
J’aborderai d’abord la question de la clarté du terme d’aide à mourir. J’ai eu l’occasion de le dire hier, la définition de l’aide à mourir donnée dans la loi est on ne peut plus claire et explicite : « Le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale afin qu’elle se l’administre ou se la fasse administrer par un médecin ou un infirmier. » On peut difficilement être plus clair, plus précis, plus explicite. Sollicité sur ce texte, le Conseil d’État écrit au point 21 de son avis que l’emploi de l’expression d’aide à mourir « n’appelle pas d’objection de (sa) part ».
Les notions d’euthanasie, de suicide assisté, d’assistance au suicide et de suicide délégué apparaissent dans un certain nombre d’amendements.
Je ne reviendrai pas sur le mot « euthanasie ». Il ne s’agit pas pour moi, contrairement à ce qu’affirme M. Sitzenstuhl, d’user d’un argument d’autorité,…
M. Emeric Salmon
Si, c’en est un !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
…mais de me référer à un argument historique : à un moment, il faut intégrer la réalité de l’évolution des mots dans l’histoire. Si le mot « euthanasie » avait gardé son acception originelle, étymologique, je serais le premier à le défendre, parce que c’est un mot magnifique. Cela signifie la belle mort, la bonne mort, des notions que je défends. Mais ce mot, je l’ai dit, a été souillé, défiguré par une politique de crimes de masse d’État.
Mme Ayda Hadizadeh
Oui, il a été défiguré !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
On ne peut pas rester complètement fermé à ce que les mots portent en eux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
On parle d’un mot qui a été utilisé pour justifier le crime de masse de 300 000 personnes handicapées et qui a été – je le rajoute – le prélude idéologique et technique de la Shoah. De la même façon, pour évoquer un ultime recours, personne dans cet hémicycle n’utiliserait une expression composée de deux mots d’une banalité absolue, celle de « solution finale ».
Mme Ayda Hadizadeh
Exactement !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je le répète, les mots « solution » et « finale » pris séparément sont d’une banalité confondante, mais associés, ils forment une expression que personne ici n’oserait utiliser !
Mme Ayda Hadizadeh
Eh oui, c’est la même chose !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je remercie Christophe Bentz d’avoir mesuré la charge morale historique du mot « euthanasie ». S’il demeure utilisé par un certain nombre d’acteurs – d’ailleurs tous hostiles à cette loi –, le refus de l’employer ne repose pas sur un argument d’autorité, mais sur le poids de l’histoire et le poids des mots dans l’histoire.
M. Alexis Corbière
Bravo !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je salue la créativité lexicale de M. Bentz, à l’origine de l’expression « suicide délégué ». J’ai évoqué hier la confusion que suscitent les expressions de « suicide assisté » et « suicide délégué », et je renvoie à l’avis de l’Observatoire national du suicide de février 2025 ; il relève que les législations sur l’aide à mourir dans le monde peuvent permettre une prise en charge précoce du mal-être et contribuer à la prévention du suicide.
J’en viens à l’expression « aide active à mourir » que certains – Mmes Vidal et Gruet, MM. Potier, Bazin et Hetzel – souhaitent substituer aux mots « aide à mourir ». Pour moi, les termes « aide à mourir » sont extrêmement clairs ; « aide active à mourir » laisserait supposer, par exemple, que la sédation profonde et continue serait une aide passive à mourir.
M. Dominique Potier
Non, la mort n’est pas donnée intentionnellement !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Certes, l’intentionnalité n’est pas la même, mais si l’on admet qu’il existe une aide active à mourir, il y aurait donc des aides passives à mourir. La sédation profonde et continue est-elle une aide passive ? Absolument pas ! Le fait que la mort ne soit pas intentionnelle dans ce cadre ne change rien à notre débat sémantique : on nous parle d’aide à mourir dans d’autres circonstances, mais la sédation profonde et continue n’est pas une aide passive. D’ailleurs, existe-t-il la moindre aide passive à mourir ? Personne n’est passif dans ce cas – à moins de se contenter de regarder la personne mourir, ce qui n’est pas une aide.
M. Monnet a utilisé l’expression « aide médicale à mourir ». À mon sens, l’adjectif est superfétatoire. Tout indique clairement dans le texte que l’aide est apportée par le corps médical, aussi bien dans le cadre de l’autoadministration – puisque le médecin est forcément présent – que dans celui de l’administration par un tiers.
Concernant le droit à l’aide à mourir, je tiens à rappeler – puisque nous sommes rapporteurs de la commission des affaires sociales – que l’amendement ayant introduit ce droit a été voté à une très large majorité par cette commission. Ce n’est pas anodin.
Contrairement à ce qu’ont affirmé certains, ajouter la notion de droit – qui correspond à la réalité du texte – n’a pas pour effet de créer un droit inconditionnel à recourir à l’aide à mourir. Au contraire, chaque fois que le législateur crée un droit – nous le faisons régulièrement dans cette enceinte –, il en précise les conditions d’exercice. C’est le cas ici : ce texte définit un nouveau droit, il en détermine les conditions d’accès et précise les modalités de sa mise en œuvre. Je suis donc très favorable au maintien de cette notion de droit à l’aide à mourir, d’ailleurs solennisée dans le titre de cette proposition de loi qui est désormais « relative au droit à l’aide à mourir ».
Nous aurons l’occasion de débattre ultérieurement du rétablissement de la priorité donnée à l’autoadministration de la substance létale. Il se trouve que certains amendements portent à la fois sur ce sujet et sur le changement de l’appellation de l’aide à mourir. Hostile à ce changement, je ne peux qu’être défavorable à ces amendements.
M. Rodwell propose d’exclure les mineurs de l’accès à l’aide à mourir : ça tombe bien, c’est déjà le cas.
M. Charles Rodwell
Non, c’est un autre amendement !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Dont acte, je confonds sans doute avec l’amendement no 750, dont vous êtes également l’auteur, et qui vise bel et bien à exclure les mineurs du dispositif.
Enfin, je ne suis pas favorable à l’amendement de Mme Barèges qui, en supprimant la possibilité de mettre en œuvre l’aide à mourir, empêche l’exercice de ce droit.
Ainsi, j’émets un avis défavorable sur la totalité de ces amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC. – Mme Camille Galliard-Minier applaudit également)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Monsieur Potier, tout à l’heure, vous nous avez interpellés à propos de la fraternité. Si sur un sujet aussi important il est naturel que les avis puissent fortement diverger les uns des autres, il paraît compliqué de considérer qu’il y aurait plus de fraternité à laisser souffrir le patient en fin de vie dont la souffrance réfractaire ne peut être soulagée qu’à lui répondre lorsqu’il demande à mourir de manière réitérée dans les conditions définies à l’article 5.
Je ne sais pas où est la fraternité, mais je crois que nous l’avons tous en partage. Le travail que nous faisons ici dans l’hémicycle en ce moment procède de la fraternité, raison pour laquelle je suis très réservée sur votre analyse : personne ici ne peut être contre cette notion de fraternité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, Dem et EPR.)
Beaucoup d’entre vous ont évoqué la notion d’accompagnement du patient, qui nous interpelle les uns et les autres. Si vous avez été plusieurs à rendre hommage au travail des soignants – hommage auquel je m’associe – nous pouvons nous interroger : jusqu’où va cet accompagnement ? Une fois encore, je vais établir le parallèle avec la sédation profonde et continue. Dans ce cadre, le soignant procède à l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation.
Certes, l’intention de donner la mort est absente, mais nous savons tous les conséquences de cet acte et nous devons les avoir à l’esprit. Vous avez raison, madame Gruet : il n’y a pas, d’un côté, les bons et, de l’autre, les méchants ; il y a celles et ceux qui cherchent à réfléchir.
J’ai une divergence profonde avec le rapporteur et le vote de la commission sur la notion d’autoadministration – nous y reviendrons. Le texte est fondé sur la liberté du patient : c’est le patient qui formule et qui réitère sa demande ; celle-ci est examinée afin de déterminer s’il peut bénéficier de l’aide à mourir. Le cas échéant, suivant la logique d’autonomie du patient, il me paraît logique que ce soit bien lui qui s’autoadministre le produit, sauf cas exceptionnels où il n’a physiquement pas la possibilité de le faire.
Je suis également en désaccord avec le vote de la commission sur la notion de droit à l’aide à mourir plutôt que d’aide à mourir. Pour le gouvernement, il s’agit non pas d’un droit, mais d’une liberté encadrée par des conditions médicales strictes qui définissent l’éligibilité ; c’est ce qui était prévu dans le texte présenté l’année dernière et c’est pourquoi nous sommes défavorables à ce terme.
Par conséquent, pour revenir aux amendements en discussion, si je ne suis pas favorable à l’amendement no 2000 tel qu’il est rédigé, j’adhère aux deux idées qu’il défend : celle de l’autonomie du patient et celle de l’inopportunité de la notion de droit. L’amendement no 2650 du gouvernement me paraît toutefois mieux adapté. Je vous propose donc, monsieur Trébuchet, de retirer votre amendement au profit du nôtre ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Je suis en revanche favorable aux amendements no 290 et identique, qui ont pour objectif de ne pas présenter l’aide à mourir comme un droit.
M. le président
J’ai beaucoup de demandes de prise de parole. Compte tenu du fait qu’on débat d’une trentaine d’amendements, j’accorderai une prise de parole par groupe.
La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis Corbière
Comme c’est la première fois que je m’exprime, je voudrais commencer par remercier tout le monde pour la grande qualité des échanges. Il m’arrive d’avoir le verbe un peu vif, mais je trouve toutes les interventions intéressantes, quels que soient les bancs sur lesquels siège l’orateur. Même si notre débat est juridique et législatif, il a indéniablement une dimension philosophique, et le fait d’en parler honore notre assemblée.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie également pour les mots que vous avez eus hier et aujourd’hui. Vos arguments sur les termes m’ont fortement convaincu. Vous êtes allé à l’essentiel : en effet, certains mots sont marqués par l’histoire ; c’est en particulier le cas du mot « euthanasie », qui a été utilisé pour désigner l’euthanasie eugéniste. J’approuve donc votre refus de l’inscrire dans la loi.
Certains collègues ont évoqué les arguments avancés par les grandes confessions. Ils sont respectables, mais quand on lit les textes, on constate que pour la Conférence des évêques de France comme pour le grand-rabbin, l’aide à mourir est un péché contre le Dieu créateur. Je comprends l’argument, mais étant laïque, je ne peux le considérer comme valable dans nos échanges et j’estime que le législateur doit s’en émanciper. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Le suicide est un fait social terrible, mais nous parlons là d’une configuration très précise. Nous allons tous mourir, mais notre liberté tient au fait que nous ne savons pas quand la mort aura lieu.
M. le président
Merci de conclure !
M. Alexis Corbière
C’est dans cette ignorance que nous bâtissons des projets. Lorsque le corps médical dit que le malade est en phase avancée ou terminale, il ne s’agit plus d’un suicide.
M. le président
Merci, monsieur le député.
M. Alexis Corbière
Nous entrons alors dans une séquence où la mort va avoir lieu, et l’ultime liberté consiste à organiser sa fin selon l’idée que l’on se fait de soi-même. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Antoine Léaument
Bien dit, monsieur Corbière !
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à Mme Stéphanie Rist, pour un rappel au règlement.
Mme Stéphanie Rist
Je me fonde sur l’article 100 relatif à la tenue de nos débats.
Compte tenu du nombre d’amendements en discussion commune et de l’importance du sujet sur lequel ils portent, je demande que vous autorisiez, si nécessaire, deux prises de parole par groupe. En effet, les avis peuvent diverger au sein d’un groupe et n’avoir qu’un seul orateur est alors frustrant. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC. – M. Gaëtan Dussausaye et Mme Hanane Mansouri applaudissent également.)
M. Antoine Léaument
C’est vrai !
M. le président
Je prendrai exceptionnellement deux prises de parole par groupe en cas de demande en ce sens. Cependant, le débat est de bonne tenue et, vu le nombre d’amendements, chaque position est exprimée et tous les points de vue sont entendus. Nous sommes nombreux, chacun ne peut pas donner son avis sur l’ensemble des amendements.
Article 2 (suite)
M. le président
La parole est à M. Jean-François Rousset.
M. Jean-François Rousset
L’aide à mourir consiste à offrir un accompagnement aux patients qui ne sont pas pris en charge par des structures de soins palliatifs, et à les aider à décéder. Le texte va loin puisqu’il précise que le malade capable de s’exprimer peut, sur prescription, prendre une substance létale s’il a la capacité de le faire, ou se faire aider par un membre du personnel soignant – infirmière ou médecin. La demande est forte – les débats de la Convention citoyenne sur la fin de vie et de notre assemblée l’ont montré – et la mesure, attendue. Cependant, quel que soit le nombre de malades qui demandent l’aide à mourir, la décision sera prise par un médecin après une discussion collégiale.
Il faut également penser aux soignants – beaucoup, ici, s’appuient sur leur parole. Les soignants pratiquant les soins palliatifs sont très engagés, mais certains d’entre eux ont conscience que ces soins ne règlent pas tout, et se prononcent en faveur de l’aide à mourir. Ils évoquent d’ailleurs l’ambiguïté des dispositions actuelles, qui permettent d’arrêter tout traitement, de mettre en place une sédation profonde et continue, et, en fonction des souffrances physiques ou morales du malade, d’augmenter progressivement les doses des médicaments antalgiques pour atteindre la dose létale. Interrogés, ces soignants que je respecte beaucoup expriment une certaine souffrance face à cette hypocrisie.
Soyons clairs dans nos décisions : nous avons beaucoup débattu des soins palliatifs ; maintenant, nous parlons de patients qui ont besoin d’autre chose et de soignants qui doivent être protégés par une loi. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Océane Godard.
Mme Océane Godard
La qualité de nos débats est à saluer, mais je prendrai un ton plus ferme. Nous sommes d’accord sur la nécessité de rigueur intellectuelle, notamment dans le choix des mots ; Olivier Falorni a été très précis dans ses prises de parole et nous pouvons collectivement le reconnaître. Comment, dès lors, pouvons-nous nous entendre accuser de vouloir supprimer la vie des gens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Pensez-vous franchement que la majorité des Français veulent une loi qui consiste à supprimer la vie des gens ? Notre débat mérite-t-il cette accusation, les Français la méritent-ils ? Je ne le crois pas. (Mêmes mouvements.)
Si vous étiez atteints d’une affection grave et incurable, que feriez-vous – en toute humilité, car le sujet touche à l’intimité ? Que feriez-vous si vous deveniez dépendants, si vous ressentiez des souffrances réfractaires insupportables ? Vous nous accusez de vouloir supprimer la vie des gens alors que nous voulons que les femmes et les hommes de notre pays aient le choix.
M. Thibault Bazin
C’est une pente glissante !
Mme Océane Godard
C’est la maladie qui tue, non la loi – c’est ce qu’exprime la notion de droit à l’aide à mourir, au cœur de nos discussions.
Pour terminer – je me réfère à une idée que j’ai déjà entendue et qui n’est pas acceptable –, ce n’est pas parce que la loi autorise l’aide à mourir qu’elle oblige d’y avoir recours. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
On ne peut pas remettre en cause la notion de droit. Le droit n’empêche pas l’encadrement, mais garantit l’accès égal à une possibilité. Refuser la notion de droit à l’aide à mourir, c’est risquer de tomber dans des pratiques bien plus hasardeuses.
J’ai proposé de parler d’aide « médicale » à mourir précisément pour qualifier ce droit. Je comprends que l’on juge l’adjectif superfétatoire, mais il garantirait qu’il s’agit d’une aide encadrée et non d’une aide de n’importe quelle nature.
Monsieur Juvin, j’apprécie vos réflexions, même si je n’y adhère pas toujours. Vous m’avez profondément convaincu que « l’aide à mourir » était le bon terme. Je ne suis pas d’accord pour dire que les soignants aident le patient à mourir quand ils soulagent une douleur : non, ils l’aident à vivre. Ce qui donne envie de mourir, c’est justement le fait que la douleur ne puisse pas être soulagée, et tout le sens de ce texte est d’apporter une réponse à ces situations. Quand on ne peut plus aider à vivre, il faut qu’on ait le droit d’aider à mourir, lorsque la personne le demande du fait, par exemple, de ses douleurs réfractaires – critère inscrit dans le texte. Oui, vous m’avez convaincu : « le droit à l’aide à mourir » – j’ajouterais « médicale » – est vraiment le bon terme.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Notre collègue Corbière a évoqué l’avis des autorités religieuses, mais l’autorité laïque qu’est le Comité consultatif national d’éthique utilise le terme d’« aide active à mourir ».
L’avis du Conseil d’État a également été invoqué pour rejeter les amendements. Or le Conseil d’État affirme certes que l’emploi de l’expression « aide à mourir » « n’appelle pas d’objection de sa part », mais il faut lire l’intégralité de la phrase en question – dont vous ne citez que le début : « sous cette expression, le projet de loi crée une procédure autorisant l’assistance au suicide et l’euthanasie à la demande de la personne » – cette institution me semble d’une prudence suffisante.
Je me permets de lire le dernier alinéa : « Le Conseil d’État appelle l’attention du gouvernement sur l’importance qui s’attache, au regard notamment des considérations relatives au droit pénal présentées au point 39, à définir de manière suffisamment claire et précise les actes entrant dans le champ de l’aide à mourir. À ce titre, il recommande de modifier le projet de loi pour prévoir expressément que l’aide à mourir couvre non seulement l’administration d’une substance létale » – administrer une telle substance, qu’est-ce d’autre que donner la mort ? –, « mais consiste aussi à mettre une telle substance à disposition d’une personne qui en a exprimé la demande, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne. »
Monsieur Falorni, quand vous faites référence à l’avis du Conseil d’État, vous n’en retenez que quelques éléments isolés, alors que vous devriez tenir compte de l’intégralité, notamment du souci de clarification qui s’y exprime. Comme nous l’affirmons depuis le début, tout est fait pour éviter une telle clarification.
M. le président
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
Je souhaite m’associer aux propos de Mme Godard : certains sont favorables au texte, d’autres ne le sont pas. Il faut se respecter – chaque position peut s’entendre –, sans prêter aux autres de sombres intentions,…
M. Emeric Salmon
Il faut s’appliquer cette règle à soi-même !
M. Nicolas Turquois
…car un tel débat mérite plus de hauteur de vue.
Je voudrais, à la suite du rapporteur lui-même, réagir aux propos de notre collègue Sitzenstuhl. D’après lui, M. le rapporteur aurait eu recours à un argument d’autorité pour écarter l’expression d’euthanasie ; il s’agit au contraire d’un argument de réalité. Le vocabulaire de notre langue évolue, le sens de ce mot a évolué.
Bien sûr, la définition initiale décrit l’euthanasie comme « une pratique visant à provoquer, par action ou par omission, généralement de la part d’un médecin ou sous sa surveillance, le décès d’un individu atteint d’une maladie incurable ». Il s’agit en quelque sorte de la définition historique, mais si vous parlez d’euthanasie à nos concitoyens, ils feront le lien avec la barbarie nazie. On ne peut plus utiliser ce mot sans évoquer cette connotation, ce qui est normal puisque notre langue évolue.
Parlez à vos propres adolescents : nous employons parfois des expressions qu’ils n’entendent plus, ou plus de la même façon. C’est très bien ainsi : notre langue évolue parce qu’elle est vivante.
On peut donc parfaitement refuser le mot d’euthanasie pour ce texte-là. L’expression « aide à mourir » est celle qui convient le mieux, car elle renvoie à un geste d’humanité. En effet, que nous demandent les personnes souffrant d’une maladie incurable ? Elles nous demandent de l’aide, jamais une aide active – précision presque superfétatoire : quand quelqu’un vous demande de l’aide, cela renvoie à une intention, à une action. L’expression d’aide à mourir correspond donc à la réalité et recouvre un maximum d’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Éric Martineau et Mme Marie-Pierre Rixain applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Ce débat sur le droit à l’aide à mourir dans la dignité est particulièrement intéressant, et montre que la question ne se réduit pas au fait d’être de droite ou de gauche, pas même à celle de la croyance religieuse, puisque certains croyants souhaitent la création de ce droit que leur religion réprouve.
D’autres, dont je suis, ont des convictions philosophiques personnelles qui sont celles des humanistes : ceux-ci considèrent que ce qui nous forge en tant qu’êtres humains, c’est avant tout notre liberté. Cette liberté n’existe pas au moment de notre naissance, puisque nous ne choisissons pas d’allumer la lumière ; au fur et à mesure de notre vie, nous nous construisons par nos actions et notre capacité de choisir rend notre liberté totale. Les notions de choix et de liberté me semblent précisément constituer l’enjeu de la discussion sur le droit à l’aide à mourir dans la dignité. C’est la raison pour laquelle une grande partie du groupe de la France insoumise, mais non la totalité, défend la création de ce droit, de cette possibilité supplémentaire – ce n’est pas une obligation – par l’Assemblée nationale, représentant tout le peuple français. En effet, lorsque le corps devient une prison, la liberté suprême, c’est de pouvoir choisir sa fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe SOC. – Mme Nicole Dubré-Chirat applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Gaëtan Dussausaye.
M. Gaëtan Dussausaye
Je m’inscris en faux de ce que vient de dire M. le rapporteur général. Je suis de ceux qui soutiennent l’instauration de ce nouveau droit, je soutiens cette proposition de loi dans sa rédaction actuelle et je suis favorable à ce qu’on puisse rendre à chaque individu la liberté de choisir le moment et les conditions dans lesquelles il peut mettre fin à ses jours, dès lors qu’il est atteint d’une maladie incurable et provoquant une grande souffrance. Cela ne m’empêche pas d’employer les bons mots que fournit la langue française : euthanasie et suicide assisté.
J’aimerais d’ailleurs vous faire part d’un témoignage qui illustre le véritable fossé séparant les discussions que nous avons ici de l’opinion populaire, majoritaire qui plus est. Quand je suis dans ma circonscription et que l’on m’interroge sur ce qui se passe en ce moment à l’Assemblée, je fais exprès – pour éprouver votre argumentation – de répondre par les mots : « Nos travaux prennent du temps, car ils portent sur l’euthanasie. » Cela ne suscite pas une opposition frontale soudaine. Au contraire : « C’est bien, il faut que ça avance ! » Voilà la première chose que l’on me répond. Je ne vois donc pas où est le problème.
Sans être insensible à votre argumentaire, monsieur le rapporteur, je crains qu’en n’utilisant pas les bons mots – euthanasie et suicide assisté –, vous abdiquiez face à ceux qui les manipulent et les tordent pour évoquer l’horreur la plus abjecte que nous ayons connue.
Au vu de la teneur de notre débat, je regrette d’ailleurs que nous le confinions entre les murs de l’Assemblée nationale, au lieu d’y associer les 68 millions de Français par le biais d’un référendum.
J’appelle enfin à faire preuve de justesse dans le débat : si ce nouveau droit pouvait être mis à mal pour une simple question de sémantique, c’est que nous aurions mal fait notre travail. (Mmes Sandrine Dogor-Such et Hanane Mansouri ainsi que M. Christophe Bentz applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri
Je suis en profond désaccord avec les propos qu’a tenus Mme la ministre : je ne crois pas que nos débats concernent la fraternité. C’est au contraire le texte sur les soins palliatifs qui aurait dû être l’occasion de parler de fraternité. Nous aurions pu apporter un soutien beaucoup plus fort aux Français, nourrir des ambitions bien plus élevées, tout simplement en assurant à chacun d’entre eux la présence d’une unité de soins palliatifs (USP) dans son département. C’est ainsi que nous aurions pu parler de fraternité.
Nous poursuivons un tout autre débat, qui porte sur l’euthanasie et le suicide assisté – ces mots sont les plus justes pour désigner ce dont nous parlons.
Monsieur Falorni, vous n’admettez pas le terme « euthanasie », qui vous rappelle l’Allemagne nazie – pourquoi pas ? –, mais nous vous en avons proposé plusieurs autres, notamment l’expression d’aide active à mourir, qui est tout de même assez juste.
M. Hadrien Clouet
« L’Allemagne nazie, pourquoi pas ? » C’est hallucinant d’entendre ça !
Mme Hanane Mansouri
Monsieur Monnet, le défaut de l’expression « aide médicale à mourir » est que l’acte de provoquer la mort n’a rien de médical, puisqu’il ne relève pas du soin.
Nous avons d’autres propositions – je ne sais plus quels termes utiliser. Je vous demande seulement de réfléchir à la question, afin que nous ayons le discours le plus juste possible à l’adresse des Français. Nous savons tous – chacun le constate dans sa circonscription – qu’ils nourrissent une défiance à notre égard : ils considèrent que nous leur mentons, que notre action à l’Assemblée nationale ne correspond pas à leurs attentes. Essayons au moins d’être honnêtes sur un sujet qui concerne leur vie ou leur mort ! (Mme Laurence Robert-Dehault et MM. Pierre Meurin et Auguste Evrard applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Stéphanie Rist.
Mme Stéphanie Rist
Dans ce texte, nous, Français, créons un droit nouveau, celui consistant à recevoir une aide active à mourir – l’expression est juste à mon sens. Il s’agit bien d’un droit nouveau, c’est en tout cas la ligne que je défends à titre personnel : créer un tel droit, qui permette d’accompagner l’ensemble des Français de façon encadrée.
Alors que M. le rapporteur reconnaît que nous créons un droit nouveau, il souhaite conserver le terme qui désigne déjà l’endormissement prolongé jusqu’au décès. Il nous faut au contraire assumer la nouveauté de ce droit en employant une nouvelle expression, « aide active à mourir », qui n’est pour le moment en usage ni en France ni dans les autres pays. Je serai donc très favorable à ce que nous l’employions.
D’autre part, pour les soignants, cette aide constituera aussi une pratique nouvelle, dans laquelle ils s’engageront ou non, comme le prévoit la clause de conscience. Reconnaître qu’il s’agit d’une mesure active de leur part constituerait aussi une marque de respect à leur égard. (Mme Justine Gruet applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Laurent Panifous, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Laurent Panifous, rapporteur de la commission des affaires sociales
En créant ce droit, il me semble légitime de nous poser la question des mots : quels mots choisir pour définir au mieux ce nouveau droit ? Il ne s’agit pas seulement d’euthanasie ou d’assistance au suicide, mais d’une démarche plus englobante. Je ne reviendrai pas sur les raisons, parfaitement exposées par Olivier Falorni, de ne pas choisir le mot d’euthanasie et de ne pas parler d’assistance au suicide.
Il s’agit en effet d’aider une personne, qui a fait en ce sens une demande libre et éclairée jusqu’au dernier instant, à mettre un terme définitif à des souffrances insupportables et réfractaires. Cela revient bien à aider cette personne à mourir, et cela de deux manières : en permettant soit l’autoadministration – nous examinerons plus tard s’il faut en faire la règle –, soit l’administration par un médecin ou un infirmier.
En tout cas, personne ne se cache derrière son petit doigt en appelant ce nouveau droit « aide à mourir ». L’expression est parfaitement claire : nous allons aider à mourir des personnes dont les souffrances sont insupportables et qui nous demandent d’y mettre un terme. (Applaudissement sur les bancs du groupe SOC. – MM. Yannick Favennec-Bécot, Stéphane Lenormand et Éric Martineau applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Puisque cet important débat que nous poursuivons depuis hier porte sur les mots, je tiens à dire qu’en toute sincérité, personne ici ne cherche à les euphémiser. L’expression « aide à mourir » est le fruit d’un long travail de réflexion transpartisan. Le CCNE, dont l’avis 139 a constitué le point de départ de nos travaux, y a d’ailleurs été associé et il les a validés – je le rappelle à l’intention de M. Hetzel. Ce sont bien nos réflexions collectives qui ont conduit à employer l’expression d’aide à mourir, qui marque à la fois le respect et la solidarité que nous devons à la personne.
Pour ma part, quand je retourne dans ma circonscription et que j’explique que je travaille sur l’aide à mourir, tout le monde comprend ce que je veux dire. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes HOR, EPR, LFI-NFP et SOC.)
Il a beaucoup été question d’éthique et, à cet égard, on a cité l’avis du CCNE. Je voudrais citer également celui de l’Académie nationale de médecine de juin 2023 : cet avis décrit l’évolution du corps médical, passé d’une « éthique de conviction » à une « éthique de responsabilité », au terme d’un long cheminement, ce qui doit nous amener à réfléchir.
Je vous fais ouvertement part de mes doutes quant à l’opportunité d’inscrire l’aide à mourir dans la loi sous la forme d’un droit, ce qui n’était d’ailleurs pas le cas dans le texte initial.
Pour finir, cette proposition de loi constitue bien un texte de fraternité. J’ignore le sens que chacune et chacun d’entre nous donne à ce mot, mais lorsque je suis confrontée à un malade pour qui aucune solution n’existe et qu’il demande que l’on abrège des souffrances que rien ne peut soulager, la fraternité consiste selon moi à essayer de l’accompagner et à répondre à sa demande. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Hubert Ott.
M. Hubert Ott
Il me semble nécessaire de rappeler qu’il existe quelque chose qui s’appelle la sédation profonde et continue jusqu’au décès – c’est le terme exact. Ce soin revient à choisir d’entrer dans un tunnel dont l’issue est la mort, et conduit à une dégradation progressive de certaines fonctions vitales : il n’y a pas de retour en arrière possible. Ici, il s’agit de créer une alternative en permettant de décider, de façon volontaire, du moment où la mort intervient.
M. le président
Nous avons terminé le débat sur ces amendements en discussion commune ; nous pouvons donc procéder aux votes.
(Les amendements nos 1038 et 674, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 2000.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 119
Nombre de suffrages exprimés 116
Majorité absolue 59
Pour l’adoption 36
Contre 80
(L’amendement no 2000 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 290 et 633. Je vous propose un scrutin public, compte tenu de l’avis défavorable de la commission, mais favorable du gouvernement.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 119
Nombre de suffrages exprimés 118
Majorité absolue 60
Pour l’adoption 51
Contre 67
(Les amendements identiques nos 290 et 633 ne sont pas adoptés.)
(Les amendements nos 603 et 838, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 495, 845 et 1597.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 122
Nombre de suffrages exprimés 119
Majorité absolue 60
Pour l’adoption 50
Contre 69
(Les amendements identiques nos 495, 845 et 1597 ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 1426 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 9, 196, 2268 et 2614.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 124
Nombre de suffrages exprimés 124
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 49
Contre 75
(Les amendements identiques nos 9, 196, 2268 et 2614 ne sont pas adoptés.)
(Les amendements nos 512 et 1247, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1248.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 123
Nombre de suffrages exprimés 121
Majorité absolue 61
Pour l’adoption 45
Contre 76
(L’amendement no 1248 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1249.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 117
Nombre de suffrages exprimés 117
Majorité absolue 59
Pour l’adoption 45
Contre 72
(L’amendement no 1249 n’est pas adopté.)
(Les amendements nos 751 et 1246, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(Les amendements identiques nos 531 et 1437 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sur les amendements identiques nos 752, 836 et 1250, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Charles Rodwell, pour soutenir l’amendement no 752.
M. Charles Rodwell
Je serai bref, car mes arguments seront les mêmes que tout à l’heure. Si je suis opposé à ce texte, c’est principalement parce que l’élargissement de son champ d’application est inévitable dans les années qui viennent, comme nous avons pu le constater au Canada, en Belgique et dans plusieurs États américains. Les garde-fous qui nous sont proposés pourront aisément être modifiés dans un futur proche. Je suis convaincu que la notion de « droit à l’aide à mourir », au-delà du débat juridique qui l’entoure, ne fera qu’accélérer cette dynamique d’élargissement ; je vous propose donc de la supprimer.
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 836.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est encore l’utilisation du terme d’euthanasie qui fait ici débat. J’aimerais répondre aux arguments utilisés par le rapporteur général tout à l’heure, en disant à ceux qui les approuvent qu’ils ne reflètent que partiellement la réalité et qu’ils sont remplis d’approximations. M. le rapporteur général a dit que le terme « euthanasie » n’était plus utilisé que par les opposants au texte et à l’acte en question. Mais comment expliquez-vous, alors, que sur le site de l’ADMD – Association pour le droit de mourir dans la dignité –, figure la phrase suivante : « L’ADMD entend obtenir qu’une loi visant à légaliser l’euthanasie […] soit votée par le Parlement » ? L’ADMD elle-même utilise le terme d’euthanasie, monsieur le rapporteur général !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Certes !
M. Gérard Leseul
Ils ont le droit !
M. Charles Sitzenstuhl
Comment expliquez-vous que M. Touraine, qui a été mentionné par beaucoup de collègues depuis hier soir – pour ma part, c’est la première fois que je le cite – et qui était favorable à la mesure dont nous parlons, ait utilisé, dans une tribune publiée par Le Figaro en mars 2023, les vocables de « geste euthanasique » ? Comment expliquez-vous que dans une tribune publiée par Le Monde en avril 2025, Theo Boer, un professeur d’éthique néerlandais bien connu, qui était favorable au texte relatif à l’euthanasie adopté aux Pays-Bas, utilise à plusieurs reprises le terme d’euthanasie ?
Si nous voulons avoir un débat honnête, il serait bon que les arguments employés par ceux qui défendent le texte soient complets et établissent l’ensemble des faits.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 1250.
M. Christophe Bentz
Vous l’avez bien compris, nous contestons sur le fond votre définition de l’aide à mourir. Nous proposons donc de supprimer l’alinéa 6 du présent article. En effet, administrer une substance létale à une personne humaine vivante, qu’elle soit en fin de vie ou pas, qu’elle soit malade ou pas, c’est et ce sera toujours donner – ou se donner – la mort. En quoi administrer une substance létale peut-il être une aide ? En quoi aide-t-on un malade, quelqu’un qui souffre, en mettant fin à ses jours plutôt qu’à ses douleurs ?
Associer les termes « aide » et « mourir » au sein d’une même notion, c’est finalement un oxymore. Le beau terme d’aide est universellement reconnu comme profondément positif, mélioratif et rassurant ; or administrer une substance létale, c’est provoquer la mort, c’est interrompre la vie humaine : ce ne sera jamais une aide. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN. – Mme Hanane Mansouri applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Pour des raisons déjà évoquées, je suis défavorable à ces amendements. Vous voulez supprimer l’alinéa 6 de l’article 2, qui est pourtant la clé de voûte du chapitre Ier ; or cette définition ne vient pas de nulle part, comme certains l’ont déjà rappelé. Elle est issue des travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie et du CCNE, auxquels se sont ajoutés ceux de la mission d’évaluation menée par la commission des affaires sociales sur la loi Claeys-Leonetti. Nous avons nous-mêmes déjà largement débattu sur ce sujet, l’année dernière sous le gouvernement Attal – vous défendiez déjà cette définition, madame la ministre : l’article en question avait été voté ici même, dans l’hémicycle, avant la dissolution du 9 juin 2024.
M. Thibault Bazin
M. Macron a aidé le Parlement à mourir, ce jour-là !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Plus récemment, nous en avons encore débattu en commission, où nous avons adopté le texte il y a quinze jours. Ce qui est reconnu, c’est un droit nouveau qui, cela a été dit, n’enlève rien à personne, et laisse aux professionnels de santé toute liberté d’y recourir ou non.
Par ailleurs, monsieur Rodwell, vous avez évoqué tout à l’heure « l’ouverture de la boîte de Pandore ».
M. Thibault Bazin
Eh oui !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Mais jetons un œil aux débats passés sur l’IVG – …
M. Stéphane Delautrette
Exactement !
M. Thibault Bazin
Rien à voir !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
…je n’étais pas là, puisque j’étais encore de l’autre côté du poste, comme on dit : certains disaient alors que les femmes, si on les autorisait à interrompre leur grossesse, n’utiliseraient plus de contraception. (Mme Ayda Hadizadeh applaudit.)
M. Charles Rodwell
Ça n’a rien à voir !
M. Thierry Tesson
Rien à voir !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
C’est exactement la même chose : cette dérive potentielle était systématiquement mise en avant au cours des débats sur la loi de Simone Veil. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Plus récemment, lors d’une précédente législature, au cours des débats sur la bioéthique et la PMA – procréation médicalement assistée – pour toutes, on nous a là encore promis le pire : certains disaient que la loi relative à la bioéthique allait faire de nous des eugénistes et que la PMA pour toutes serait la porte ouverte à la GPA – gestation pour autrui. De fait, tout cela n’a pas eu lieu. Et quand bien même vos craintes se réaliseraient, monsieur Rodwell, ce qu’une loi fait, elle peut le défaire ! Pour l’heure, contentons-nous de légiférer sur ce texte ; nous verrons bien par la suite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer tout à l’heure sur le sujet : pour les mêmes raisons, je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.
M. le président
La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme Clémentine Autain
Je voudrais m’associer à ceux qui ont souligné la qualité de nos débats. Ce dont nous sommes en train de discuter est un sujet grave et fondamental, qui touche à l’intime. Chacune et chacun, quand il est question de la mort, fait face à sa propre intimité, et c’est ce qui confère à nos débats une particulière gravité. Nous avons donc le devoir de faire preuve d’une certaine hauteur de vue, en faisant appel à la rationalité et à la raison, pour délibérer en nous appuyant moins sur notre subjectivité que sur ce qui est juste du point de vue des principes.
Je souhaite vraiment que cette loi, qui revêt une importance considérable, soit adoptée : nous devons accomplir ce pas de liberté, qui ne retire rien à personne. C’est un droit qui n’oblige pas et qui n’enlève pas de droits aux autres, mais qui ouvre une liberté à des personnes qui sont en souffrance.
Ce texte, de par sa nature, suscite des critiques de deux ordres. Les premières, venant de la droite, convoquent des arguments conservateurs qui puisent leur origine dans la religion, laquelle interdit le suicide et, d’une manière plus générale, de maîtriser son corps. D’une certaine manière, c’est un débat qui me fait penser à celui qui s’est tenu ici même en 1974, lorsqu’il s’est agi de légaliser le droit à l’avortement. Les arguments étaient de même nature. En France, mais aussi dans le monde, le droit pour une femme de maîtriser sa fécondité et de disposer librement de son corps est maintenant massivement reconnu. De la même manière, sur la question qui nous réunit aujourd’hui, certains se montrent encore un peu frileux et des convictions peuvent se trouver bousculées, mais en restant attachés au même principe de la liberté de disposer de son propre corps, nous réussirons à progresser dans cette direction.
M. le président
Veuillez conclure, madame la députée.
Mme Clémentine Autain
Je reprendrai la parole plus tard pour vous présenter un autre type d’argument, de nature anthropologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Christine Pirès Beaune.
Mme Christine Pirès Beaune
Je respecte du fond du cœur les opinions des uns et des autres à l’égard de ce texte et je comprends que l’on puisse y être hostile. Cependant, j’aimerais que celles et ceux qui le combattent le fassent pour ce qu’il contient et non pour ce qu’il n’est pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
S’il était adopté en l’état, ce texte serait le plus restrictif d’Europe. (Exclamations sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. Thibault Bazin
N’importe quoi !
Mme Christine Pirès Beaune
En agitant le chiffon rouge pour attiser les peurs, en critiquant, comme je l’ai entendu tout à l’heure, les résultats des sondages qui montrent une adhésion grandissante des Françaises et des Français à ce texte, sous prétexte que nos concitoyens n’auraient pas compris la question qui leur était posée, certains de nos collègues font preuve de malhonnêteté.
Vous trouvez suspect de préférer les termes d’aide à mourir à ceux de suicide assisté ou d’euthanasie. Je ne suis pas d’accord. Outre les arguments excellemment développés par le rapporteur général de la proposition de loi, les mots « aide à mourir » permettent de rappeler que ce dispositif est conditionné, d’abord et avant tout, à la demande du malade. Ce n’est pas un euphémisme, encore moins un procédé rhétorique ou une dissimulation sémantique que ce choix. Aucun des arguments que vous avez invoqués ne saurait faire autorité. La suppression de l’alinéa 6 serait au contraire dramatique, aussi voterons-nous contre l’amendement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Annie Vidal.
Mme Annie Vidal
Je serai favorable à la suppression de l’alinéa 6, car la définition très claire qui y est donnée du droit à l’aide à mourir est une offense faite aux soignants lesquels, précisément, aident les malades à mourir.
D’autre part, ce texte est loin d’être le plus restrictif. Il serait même le plus permissif. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, DR et UDR. – M. Charles Sitzenstuhl applaudit également.)
En effet, il prévoit d’autoriser l’administration de la substance létale par un tiers, mais aussi l’autoadministration. De surcroît, la procédure n’est collégiale que de nom, puisque le second médecin appelé à se prononcer n’est pas obligé de rencontrer le patient, il peut se contenter de consulter le dossier. En Belgique, la procédure fait systématiquement intervenir deux médecins et si l’un des deux considère que la mort n’est pas attendue « à brève échéance », pour reprendre les termes qu’ils emploient, l’intervention d’un troisième médecin est obligatoire. Ne serait-ce que pour ces quelques raisons – mais il en existe bien d’autres –, on ne peut pas dire de ce texte qu’il serait plus restrictif qu’ailleurs, bien au contraire. Disons les choses telles qu’elles sont. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, DR et UDR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Dogor-Such.
Mme Sandrine Dogor-Such
J’irai plus loin que Mme Vidal : le texte que nous examinons, tel qu’il a été rédigé, est le plus permissif au monde. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
C’est vrai !
Mme Sandrine Dogor-Such
Depuis le début de mon mandat, je me suis investie sur ce sujet, M. Falorni le sait. J’ai fait partie du groupe d’études sur la fin de vie, de la mission d’évaluation de la loi dite Claeys-Leonetti, j’ai participé aux réunions de la commission des affaires sociales pour travailler à ce texte avec Mme Firmin Le Bodo et j’ai même rencontré des députés européens…
M. Hadrien Clouet
On a hâte de savoir lesquels !
Mme Sandrine Dogor-Such
…originaires des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Portugal. Ils ont été sidérés d’apprendre que nous nous apprêtions à créer un délit d’entrave et que tous nos amendements pour que la demande d’aide à mourir soit formulée par écrit avaient été rejetés, alors que les demandes écrites sont un principe dans les pays où cette pratique est autorisée. Pour eux, je reprends leurs mots, ce que nous faisons est gravissime.
M. Hadrien Clouet
L’extrême droite espagnole vous a dit ça ? Les bras nous en tombent !
Mme Sandrine Dogor-Such
Madame la rapporteure, je ne comprends pas ce que vous avez dit au sujet du CCNE, car le terme d’euthanasie apparaît à vingt-huit reprises dans son avis et l’expression « suicide assisté » à vingt-cinq. Je ne vous cache pas mon extrême inquiétude. Le texte relatif aux soins palliatifs mettra du temps à porter ses fruits, même si nous l’avons adopté à l’unanimité. En revanche, je ne doute pas que celui qui crée le droit à l’aide à mourir s’appliquera bien plus rapidement. Ce n’est pas ainsi que je conçois la fraternité et l’égalité de notre devise républicaine (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 752, 836 et 1250.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 128
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l’adoption 46
Contre 81
(Les amendements identiques nos 752, 836 et 1250 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 1598, 11, 309, 675 et 1917, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 309, 675 et 1917 sont identiques.
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 1598.
M. Thibault Bazin
L’alinéa 6 prévoit de définir le droit à l’aide à mourir comme l’autorisation donnée à une personne, qui sera accompagnée dans son geste, de recourir à une substance létale – ce qui n’est pas admis aujourd’hui. Or cette définition n’est pas claire, aussi souhaiterais-je lui apporter une clarification sémantique, en cohérence avec l’avis rendu par le Comité consultatif national d’éthique, même si je demeure fermement opposé à la création de ce droit, eu égard aux risques de dérives qu’il comporte.
Je voudrais revenir sur la rédaction retenue en commission, qui laisse au malade le choix de s’administrer lui-même la substance létale ou de demander à un médecin ou à un infirmier d’accomplir ce geste à sa place. Ce faisant, nous irions encore plus loin que le texte initial de l’an dernier. En supprimant la mention selon laquelle la personne se fait administrer la substance lorsqu’elle n’est pas physiquement en mesure d’y procéder, la commission a fait fi de l’exception d’euthanasie proposée par le CCNE. Vous aurez tous compris, chers collègues, que l’acte, pour un tiers soignant, d’administrer la substance n’est pas de même nature quand le malade est incapable de le faire lui-même et quand il en est capable. Dans ce dernier cas, le médecin ou l’infirmier est associé encore plus étroitement à un geste interdit aujourd’hui. Mais lui, il survivra à cet acte et devra vivre avec. Mesure-t-on bien la portée de ce qu’on lui demande ? Je vous invite à contenir au mieux les effets de ce nouveau droit en le définissant clairement et en limitant la possibilité pour le malade de demander à un médecin ou un infirmier de lui administrer la substance létale au seul cas où il ne serait pas en mesure physiquement de se l’administrer lui-même.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 11.
M. Patrick Hetzel
L’imprécision sémantique de l’alinéa 6 pourrait, très rapidement, entraîner des complications juridiques. Les termes choisis emportent des responsabilités d’ordre juridique, mais aussi éthique, qui ne seront pas les mêmes selon que la personne malade se sera administré elle-même la substance létale ou aura demandé à un tiers de la lui injecter. Des professionnels de santé n’ont d’ailleurs pas manqué de nous alerter sur les risques. L’Académie nationale de médecine nous a ainsi enjoint, le 6 mai dernier, de clarifier la rédaction.
M. le président
La parole est à Mme Josiane Corneloup, pour soutenir l’amendement no 309.
Mme Josiane Corneloup
Le terme « droit », en l’espèce, n’est pas du tout approprié. Il ne s’agit pas, en effet, de créer un nouveau droit, mais d’autoriser, en l’encadrant, un acte dont les implications humaines et médicales seront multiples. D’autre part, je suis d’accord avec Patrick Hetzel : les termes d’aide à mourir sont flous en ce qu’elle recouvre deux pratiques qui ne sont pas interchangeables, l’euthanasie et le suicide assisté, qui diffèrent de par leur nature et les responsabilités qu’elles engagent, notamment pour les soignants.
M. le président
Sur les amendements no 309 et identiques, je suis saisi par le groupe Droite républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Philippe Juvin, pour soutenir l’amendement no 675.
M. Philippe Juvin
Pour des raisons que je comprends, je n’ai pas pu reprendre la parole tout à l’heure et répondre à Mme Autain et à Mme la rapporteure que l’IVG n’a rien à voir avec l’aide à mourir. Et c’est un député qui a voté l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution qui vous le dit ! C’est sans ambiguïté !
M. Alexis Corbière
Ben si !
M. Philippe Juvin
Regardez donc ce que votent les gens avant d’affirmer quoi que ce soit !
D’autre part, M. Corbière a évoqué tout à l’heure, très justement, la liberté. Vous dites vous-mêmes que c’est une loi de liberté. Qu’entendez-vous par liberté ? Sommes-nous libres quand nous n’avons pas vraiment le choix ? La moitié des Français qui auraient besoin de soins palliatifs pour soulager leur souffrance n’y ont pas accès. Tout le monde sait que les personnes sans domicile fixe ou les personnes âgées, pour ne citer qu’elles, sont mal prises en charge. Par conséquent, cette liberté que vous évoquez est purement formelle car, dans la réalité, les gens n’ont pas le choix. C’est un élément clé de ce débat : la liberté n’est pas complète. Pour l’être, il faudrait avoir le choix. Or ce n’est pas le cas. Je ne vais pas vous donner un cours sur le concept marxiste de liberté formelle, mais convenez que ce point pose une difficulté majeure. (M. Alexis Corbière s’exclame.)
Enfin, vous avez raison, il faut combattre ce texte pour ce qu’il contient. Ainsi, nous verrons bientôt qu’il est faux de prétendre qu’il ne s’agit d’autoriser l’administration d’une substance létale qu’en cas de douleur insurmontable. Ce n’est pas vrai : les douleurs visées à l’article 4 ne sont pas les seules douleurs réfractaires, puisque l’aide à mourir sera accessible à un patient qui aura décidé de ne pas recevoir un traitement pourtant susceptible d’apaiser sa douleur.
Mme Karine Lebon
C’est sa liberté !
M. Philippe Juvin
Ce n’est pas un texte très restrictif, tant s’en faut. La lecture précise des différents termes montre que cette proposition de loi est mitée et ouvre largement l’accès à l’aide à mourir.
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet, pour soutenir l’amendement no 1917.
M. Vincent Trébuchet
Je reste sur des questions sémantiques et confirme ce qu’a dit plus tôt M. Sitzenstuhl. Dès notre élection, l’ADMD nous a envoyé un kit en vue de faire adopter une loi légalisant l’« euthanasie » ; elle y définissait l’euthanasie comme « l’administration d’un produit létal par un tiers, le plus souvent un soignant » et le suicide assisté comme « l’autoadministration d’un produit létal délivré sous contrôle médical ». Il n’existe donc, y compris chez les partisans du texte, aucune gêne à utiliser ces deux termes. Par ailleurs, même l’ADMD parle d’« aide active à mourir », ce qui témoigne d’un consensus pour juger floue la notion d’« aide à mourir » qui, pour certains, englobe les soins palliatifs.
D’autre part, M. le rapporteur général a avancé que la légalisation du suicide assisté contribuerait à la prévention du suicide. L’étude la plus fournie sur le sujet a été menée en 2015 aux États-Unis. En comparant les États qui avaient procédé à une telle légalisation et ceux qui ne l’avaient pas fait, David Paton et David Albert Jones ont conclu que l’autorisation du suicide assisté contribuait à une augmentation du nombre global de suicides et n’entraînait aucune diminution de celui des suicides non assistés.
Mme Élise Leboucher, rapporteure de la commission des affaires sociales
Ce n’est pas vrai !
M. Vincent Trébuchet
Je réfute donc les propos de M. le rapporteur général et l’invite à lire cette étude, qui repose sur des données statistiques sérieuses.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je vous invite, monsieur Trébuchet, à lire le dernier rapport, précis et argumenté, de l’Observatoire national du suicide – qui date quant à lui, non pas de 2015, mais de 2025. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’agit pas d’une petite institution et que ses membres font bien leur travail, sous l’autorité du ministère de la santé. Remettre en cause leur analyse me paraît peu pertinent – pour employer un euphémisme.
Les amendements que nous examinons reviennent toujours sur les mêmes débats. Beaucoup visent à introduire les termes « euthanasie » et « suicide assisté » dans le texte. Sur ce point, j’ai eu l’occasion d’expliquer mon avis négatif et les députés se sont massivement exprimés contre de telles demandes. D’autre part, certains amendements visent à supprimer le mot « droit » de cet article. Là aussi, j’ai déjà expliqué mon désaccord et j’ai été très largement suivi. J’ajoute que l’amendement qui privilégie l’autoadministration mentionne les termes de suicide assisté et d’euthanasie : je mets en garde ceux qui sont favorables à ce principe et les invite, en tout état de cause, à voter contre cet amendement.
Je suis défavorable à l’ensemble des amendements.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Ces amendements visent à revenir sur la notion de droit à l’aide à mourir. J’ai eu l’occasion d’expliquer ma préférence pour la notion de liberté. Votre assemblée venant de se prononcer sur le sujet, je n’y reviens pas.
La fin de l’alinéa 6 dispose que le produit létal est soit autoadministré, soit administré par un médecin ou par un infirmier. La rédaction actuelle retient donc les deux options : c’est un point sur lequel nous aurons l’occasion de débattre. Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble extrêmement important de revenir au principe de liberté retenu à la fois par Mme Firmin Le Bodo l’année dernière et par la Convention citoyenne sur la fin de vie, à savoir celui de l’autoadministration. À ce stade, je suis défavorable à l’ensemble des amendements en discussion commune. Je reviendrai sur la question de l’autoadministration au moment de l’examen de l’article 9.
M. le président
La parole est à M. Michel Lauzzana.
M. Michel Lauzzana
Après avoir agité maintes fois la commission des affaires sociales, les débats sémantiques arrivent dans l’hémicycle. Pour ma part, je n’ai pas peur des mots, mais M. le rapporteur général a rappelé que certains avaient une charge particulière. Je nous invite donc à éviter ces débats, car nous sommes regardés. À la télévision comme sur les réseaux sociaux, l’outrance ainsi que la caricature dominent et certains mots sont employés pour faire peur. Nous devons éviter de tels travers, nous garder des amalgames et avoir des débats calmes et apaisés, comme nous avons réussi à le faire jusque-là.
Par ailleurs, j’ai entendu beaucoup de comparaisons avec d’autres pays, où la législation serait, selon les cas, plus ou moins restrictive que ce que prévoit la proposition de loi. En tout cas, aucun des pays qui ont déjà légiféré sur la fin de vie ne souhaite revenir en arrière.
M. Emeric Salmon
Ils ont peut-être tort !
M. Michel Lauzzana
La France aussi doit aller de l’avant. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC.)
M. le président
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
Je tiens moi aussi à saluer la qualité des débats sur l’article 2. Ils offrent l’occasion de faire preuve du courage de la nuance, ce qui passe d’abord par la pratique de l’écoute réciproque. Je suis favorable à l’aide à mourir. C’est une liberté et je dis, non pour trancher le débat mais pour donner mon point de vue, qu’une liberté n’a de sens que si elle est consacrée par le droit. Montesquieu disait que la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. La liberté de réunion, la liberté de culte et la liberté syndicale n’ont été effectives qu’après avoir été consacrées par le droit. C’est pourquoi je trouve qu’opposer les concepts de droit et de liberté crée un faux débat.
Tout en étant favorable à cette proposition de loi, je fais partie de ceux – et c’est la nuance que j’apporte au débat – qui souhaitent que le droit et la liberté qu’elle instaure ne modifient en rien notre regard sur les vulnérabilités. Ni les vieux, ni les fous, ni les handicapés ne doivent devenir, d’une manière ou d’une autre, les victimes collatérales d’une possibilité nouvelle qui ne serait pas suffisamment et intelligemment encadrée.
M. Philippe Juvin
Très bien !
M. Jérôme Guedj
Le débat sur les mots est tout à fait respectable. Je suis favorable à la proposition de loi, et pourtant, j’utilise le terme « euthanasie ». Mais je pense, comme M. le rapporteur général, qu’il ne faut pas le faire figurer dans le texte. La victoire sémantique et culturelle interviendra quand, dans la pratique quotidienne, plutôt que les termes technocratiques d’autoadministration ou d’hétéroadministration, on utilisera ceux de suicide assisté ou d’euthanasie comme déclinaisons de l’aide à mourir, cette liberté reconnue et consacrée par le droit. Cessons de tenter de discréditer la finalité de la proposition de loi par la dramatisation du terme d’euthanasie ! Je pense qu’il s’imposera dans le débat public, comme celui de suicide assisté. Pour les raisons qu’a indiquées M. le rapporteur général, je comprends que ces deux termes ne figurent dans le texte mais, à la fin de l’histoire, la pratique et l’appropriation des mots par les soignants et par les familles nous permettront de dépasser ce débat.
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
Je ne vous laisserai pas nous cataloguer comme des personnes n’écoutant pas les Français, qui nous demandent de considérer leurs souffrances. Je vais m’efforcer d’être la plus factuelle possible. Mme Firmin Le Bodo assure que le texte concerne des situations où il n’existe pas de solutions. Or, dans sa rédaction actuelle, il pourrait s’appliquer dans des cas où le patient ne souhaite pas avoir recours aux solutions existantes. Je ne remets pas en cause la liberté de choix du patient…
Mme Élise Leboucher, rapporteure
Si, justement !
Mme Justine Gruet
…mais le texte pourrait s’appliquer dans des cas où le pronostic vital du patient n’est pas engagé à court terme. La différence est fondamentale entre une personne qui va mourir en raison de l’absence de solution thérapeutique et la personne qui veut mourir sous prétexte de liberté individuelle. À l’étranger, beaucoup nous envient la loi Claeys-Leonetti, à la fois texte du quotidien et trésor national. Ma position sur le suicide assisté a évolué, mais le terme global d’aide à mourir ne permet pas de prendre en compte la différence éthique fondamentale que crée l’intervention d’une tierce personne.
Notre rôle de législateur est de poser un cadre. Mme Pirès Beaune considère que celui qui est prévu est très restrictif. Je crois au contraire que nous devrons fixer des critères qui le soient encore plus.
Il me semble, enfin, que ces amendements posent une question éthique. J’ai entendu l’argument selon lequel la création d’un droit nouveau n’enlèverait rien à personne. C’est absolument faux, car toute personne éligible à l’aide à mourir, en fonction des critères que nous allons définir, sera de fait privée de la liberté de ne pas se demander s’il ne serait pas mieux qu’elle soit morte. (M. Dominique Potier applaudit. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Danielle Simonnet
Elle restera libre de ne pas se poser la question !
Mme Justine Gruet
Vivre deviendra alors une décision, ce qui constitue un changement fondamental. (Mêmes mouvements.) Je suis factuelle : vous ouvrez la possibilité de se demander si continuer à vivre est le bon choix.
M. Maxime Laisney
Ce n’est pas factuel, c’est fallacieux !
Mme Justine Gruet
Il relève de l’éthique de prévoir les critères les plus restrictifs possible pour éviter qu’à l’annonce d’une maladie, trop de personnes se demandent si le meilleur choix est de vivre ou de mourir.
M. le président
La parole est à M. Laurent Panifous, rapporteur.
M. Laurent Panifous, rapporteur
Je profite de la discussion de ces amendements pour réagir aux propos de M. Juvin. Comme il l’a fait tout au long des débats en commission et comme sa collègue vient de le faire, il cherche à instiller l’idée que la proposition de loi serait permissive parce qu’elle ne limiterait pas l’accès à l’aide à mourir aux personnes qui ont des souffrances insupportables liées à une maladie grave et incurable mais qu’elle l’ouvrirait aussi à des personnes qui refuseraient les traitements. Cette affirmation n’est pas acceptable, car refuser un traitement est un droit.
M. Philippe Juvin
Je suis d’accord avec ce point !
M. Laurent Panifous, rapporteur
Comment pourrait-on instaurer l’aide à mourir et imaginer de dire à une personne qui aurait refusé un traitement qu’elle n’y a pas droit ? Cela reviendrait à lui déclarer : « Vous, vous souffrez parce que vous avez refusé d’être soulagé. » Établir une telle différence est inenvisageable, d’autant que, comme nous le verrons dans les jours qui viennent, le texte n’a rien de permissif et fixe un cadre précis et strict. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
(Les amendements nos 1598 et 11, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 309, 675 et 1917.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 123
Nombre de suffrages exprimés 123
Majorité absolue 62
Pour l’adoption 45
Contre 78
(Les amendements identiques nos 309, 675 et 1917 ne sont pas adoptés.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures trente.)
M. le président
La séance est reprise.
Je vous informe que nous avançons au rythme de 11 amendements à l’heure et qu’il en reste 1975. Je vous invite donc à être succincts dans vos argumentations.
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 204, 1935, 10, 869, 383, 1596, 2495 et 835, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 383, 1596 et 2495 sont identiques.
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 204.
M. Christophe Bentz
Notre collègue Lauzanna déplorait que le débat sémantique revienne sans cesse lors de l’examen du texte. Or c’est bien normal, ne serait-ce que parce que tous nos collègues n’étaient pas présents en commission. Le fait de présenter en séance les mêmes arguments fait partie du jeu parlementaire. Par conséquent, nous n’allons pas cesser d’avoir ce débat. Nous en avons le droit et même le devoir. C’est précisément le rôle de l’Assemblée nationale. Oui, nous répétons, oui, nous insistons et nous continuerons à le faire.
Un débat philosophique important, et plus profond, se pose également – nous avons commencé à l’évoquer – autour des notions de droit et de liberté. Dans la vie réelle, on est libre de se suicider – malheureusement, des milliers de personnes commettent cet acte chaque année en France. Cela ne crée pas pour autant un droit à la mort car c’est la nature qui décide du moment où une personne meurt. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Lisette Pollet, pour soutenir l’amendement no 1935.
Mme Lisette Pollet
Il vise à employer dans le texte les mots justes : « euthanasie » et « suicide assisté ». Hier soir, monsieur le rapporteur général, vous avez cité l’exemple de différents pays. Vous avez ainsi expliqué que le Portugal avait fait le choix de ne pas employer ces mots dans la loi. C’est faux, ils y figurent bien.
Je sais que vous n’aimez pas ces mots qui, pour vous, renvoient à la seconde guerre mondiale – je peux le concevoir. Cependant, je pense qu’il faut appeler un chat un chat. Car, actuellement, nos concitoyens font l’amalgame entre les deux textes, comme j’ai pu le constater en échangeant avec de nombreuses personnes dans ma circonscription. Ils souhaitent une fin de vie sans douleur, c’est-à-dire la loi Claeys-Leonetti. La main qui soigne ne doit pas être celle qui donne la mort.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 10.
M. Patrick Hetzel
Si nous avons déposé tous ces amendements, c’est parce que, jusqu’à présent, ce n’est pas seulement la loi qui fondait l’interdit de l’acte létal. Lorsque vous interrogez certains professionnels de santé, ils vous expliquent que ce qui est en jeu, ce sont des principes qui s’inscrivent dans la continuité d’une philosophie de l’accompagnement humain et social des personnes vulnérables et des malades jusqu’au terme de leur existence.
Dès lors, on ne peut affirmer que l’évolution législative ne produirait pas une rupture profonde, non seulement du point de vue de l’éthique de l’engagement des soignants mais aussi sur le plan anthropologique. On crée une confusion en assimilant les mesures prévues par ce texte à un accompagnement dans le cadre d’une approche humaniste des soins palliatifs.
Il est admis par nombre de personnes qu’il existait un modèle français en matière de fin de vie. Or ce qui se dessine avec cette loi est très différent car on veut accorder la liberté de donner la mort.
Personne ne conteste que, dans tous les pays qui ont cru pouvoir contrôler les protocoles et les procédures liées à la fin de vie, les tentatives d’énoncer dans la loi – forcément générale et normative – les critères qui délimiteraient strictement son champ d’application se sont révélées vaines. Je citerai simplement l’exemple de la Belgique, qui dérive progressivement.
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 869.
M. Charles Sitzenstuhl
Il vise à supprimer les mentions du « droit » aux alinéas 6 et 7. Il existe à mes yeux une contradiction ontologique entre la notion de droit et le fait de mourir.
Une telle rédaction fausse les termes du débat et vise à donner une image adoucie de la mort, de la fin de l’existence – une réalité qui fait partie de la vie.
Dès lors que nous aurons introduit cette notion dans notre ordre juridique, des millions de Français seront obligés, mécaniquement, de se demander s’ils ne deviennent pas une charge pour la société, pour leur famille, pour leurs proches, pour leurs amis. Nous avons la chance de vivre dans un pays où, pour le moment, cette question ne se pose pas.
Il est bien normal que chacun réfléchisse à la mort. D’ailleurs nous y pensons très tôt, nous commençons à y réfléchir et à l’imaginer dès l’enfance. Cependant, c’est une question très différente que ce texte invitera à se poser : à partir de quel moment considère-t-on que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue ou qu’elle représente un poids pour son entourage, sur le plan psychologique et social mais aussi financier ? C’est un débat qu’il faudra avoir. La notion de « droit » à l’aide à mourir constitue une inversion totale des valeurs.
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 383.
Mme Justine Gruet
Je souhaite revenir sur trois points. Tout d’abord, Jérôme Guedj a expliqué qu’il était favorable à l’inscription des mots « aide à mourir » dans le texte mais qu’il prévoyait que, dans la société, on emploierait les mots « euthanasie » et « suicide assisté ». C’est intéressant mais aussi quelque peu surprenant.
M. Jérôme Guedj
Non, c’est réaliste !
Mme Justine Gruet
Par ailleurs, l’expression globalisante « aide à mourir » efface la différence entre euthanasie et suicide assisté. Or ces deux actes sont totalement distincts selon moi – comme je vous l’ai dit, ma réflexion sur ces questions a mûri depuis un an et demi. Il est donc dommage que la rédaction ne reflète pas cette différence notable.
Enfin, vous avez refusé de créer une septième partie dans le code de la santé publique si bien que l’aide à mourir se trouve au même niveau que les soins. Or, par respect pour tous nos médecins et professionnels de santé engagés dans le soin et l’accompagnement, il n’est pas possible de placer dans la même catégorie les soins et l’acte d’aide à mourir.
Mme Élise Leboucher, rapporteure
Il y a des médecins que ça ne dérange pas !
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 1596.
M. Thibault Bazin
Alors que nous arrivons à l’alinéa 6 de l’article 2, nous devons éviter les outrances, nous concentrer sur le fond et surtout nous poser les questions éthiques comme l’exige notre fonction de législateur dès lors que nous examinons un texte de ce type.
Il nous faudra aussi prêter une attention particulière aux personnes vulnérables et en perte d’autonomie – je rejoins sur ce point certains des orateurs précédents.
J’ajoute que l’option que vous proposez doit, au minimum, être présentée – et comprise – comme étant une situation exceptionnelle. Il faut aussi clairement la nommer pour que chacun se rende compte de ce qu’elle représente car l’acte en soi aura des conséquences sur les personnes qui restent – sur leur comportement, leurs réactions.
Il faut faire attention aux mots que l’on emploie et être conscient qu’ils n’ont pas le même sens pour tous nos concitoyens, qu’ils recouvrent des réalités différentes. La langue française est riche, nous devons employer le vocabulaire à bon escient. D’ailleurs, en fonction des situations, nous préférons utiliser tel ou tel mot.
Il faudra que les termes de la proposition de loi – si elle est adoptée – soient très clairs, non seulement pour les personnes qui demanderont l’aide à mourir mais aussi et surtout pour celles qui seront chargées d’y répondre.
Vous ne cessez de souligner que le dispositif est très bien encadré. Or ce n’est pas vrai : il peut concerner des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme ou dont les souffrances sont uniquement psychologiques ;…
Mme Karen Erodi
Ce n’est pas vrai !
M. Thibault Bazin
…la décision n’est pas prise de façon collégiale et il n’y a pas de recours prévu en cas d’accord – sauf par le patient mais il sera décédé…
Vérifiera-t-on que le discernement du patient n’est pas altéré ? Que le demandeur n’est soumis à aucune pression financière, sociale ou familiale ? Pourquoi avoir refusé de créer un délit d’incitation à la mort provoquée ?
Je suis de ceux qui pensent que, en l’état, les mots employés dans cette proposition de loi sont trop flous, que leur sens est trop large. Cela posera un problème d’intelligibilité aux personnes qui se demanderont si elles sont éligibles à ce droit.
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Bonnet, pour soutenir l’amendement no 2495.
Mme Sylvie Bonnet
Cet amendement de notre collègue Philippe Juvin vise à clarifier les termes utilisés dans la proposition de loi en substituant aux mots « aide à mourir » les mots « suicide assisté » et « euthanasie ». Dans la même logique, il convient également de retirer le terme « accompagner ».
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 835.
M. Charles Sitzenstuhl
Cet amendement vise à clarifier les termes du débat en employant le mot « euthanasie ». Notre collègue Clémentine Autain évoquait tout à l’heure la question de l’avortement – et je l’en remercie. Cependant, les deux questions n’ont pas grand-chose à voir. D’ailleurs je tiens à préciser, afin d’éviter toute caricature des personnes opposées à l’euthanasie, que j’ai voté pour la constitutionnalisation de l’IVG : ce fut un grand honneur et un grand plaisir. Nous aurons sans doute l’occasion d’en discuter mais j’espère que la question de l’IVG ne sera pas utilisée dans les débats pour discréditer, avec des arguments d’autorité une nouvelle fois, les opposants au texte. D’après moi, il faut bien dissocier les deux thématiques.
Cette réflexion sur l’IVG renforce d’ailleurs mon opposition à ce texte. En effet, l’objectif premier et fondamental de l’IVG était de sauver des vies, de sauver la vie des femmes.
Mme Clémentine Autain
Non !
Mme Sandrine Rousseau
Vous exagérez !
M. Charles Sitzenstuhl
C’était de sauver des vies, la vie d’un certain nombre de femmes.
Mme Sandrine Rousseau
On ne peut écouter cela qu’avec circonspection !
M. Charles Sitzenstuhl
C’est pour la même raison que j’ai voté la constitutionnalisation de l’IVG et que je m’oppose à ce texte : je suis pour la vie et je la défends.
Mme Sandrine Rousseau
Tous les arguments ne sont pas bons !
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 204, par le groupe Rassemblement national ; sur l’amendement no 10, par le groupe Droite républicaine ; sur les amendements no 383 et identiques, par les groupes Droite républicaine et UDR ; sur l’amendement no 835, par le groupe UDR.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général
S’agissant de l’IVG, je crois qu’il y a maldonne ! Nous avons évoqué le débat sur l’IVG de 1974…
Mme Sandrine Rousseau
Sur son autorisation !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
…et non celui qui s’est tenu plusieurs décennies après, en vue de la constitutionnaliser ! Ce n’est pas du tout le même sujet ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. Mmes Karen Erodi et Karine Lebon applaudissent également.) Il était quand même beaucoup plus facile de la constitutionnaliser que de créer le droit d’y recourir !
Mme Sandrine Rousseau
Bien sûr !
Mme Justine Gruet et M. Philippe Juvin
Nous n’étions pas là !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Moi non plus, j’avais deux ans, mais j’ai lu le compte rendu des débats de l’époque.
M. Philippe Juvin
Si jeune ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je ne les ai pas lus à deux ans, rassurez-vous ! (Sourires.) Pour avoir lu la quasi-totalité des comptes rendus des débats sur la loi Veil, je me réjouis que nous n’ayons plus aujourd’hui à subir les mots que Mme Veil a entendus. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et SOC.) Je rappelle qu’alors qu’elle se trouvait à cette tribune, elle, la rescapée d’Auschwitz, a tout de même entendu parler de centres d’extermination embryonnaire ! Je suis vraiment heureux que nous ayons gagné en maturité dans cette discussion, plus de cinquante ans après.
En tout état de cause, les députés qui ont fait référence au débat sur l’avortement ne parlaient pas de la constitutionnalisation de l’IVG. Sans vouloir en quelque manière que ce soit minorer la portée de cet acte de constitutionnalisation, je nous invite à avoir un peu de mémoire et à nous rappeler que le combat de 1974, c’était vraiment autre chose ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Mme Catherine Vautrin, ministre
Ça n’a rien à voir !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Ce fut un combat brillamment mené par Mme Veil et soutenu par de nombreux députés de tous les bancs, notamment ceux qui étaient issus de la gauche et qui ont permis à l’époque l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
J’émets un avis défavorable sur tous ces amendements, pour une raison très simple : ce sont exactement les mêmes que ceux dont nous avons débattu il y a un quart d’heure, avant la pause.
M. Thibault Bazin
Ce sont des amendements de cohérence !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je reviens, monsieur Hetzel, sur les propos que vous avez tenus tout à l’heure au sujet des soignants. Je rappelle que le texte, dans son état actuel, comporte un élément majeur : il ouvre la possibilité de faire jouer la clause de conscience, ce qui permet que chacun soit respecté. Il s’agit à certains égards de la même logique que celle qui se manifeste dans cet hémicycle : l’idée est que personne ne soit obligé d’accomplir un acte contre sa volonté. Sur ce point, je pense qu’il se dégage à l’Assemblée un consensus qui méritera d’être respecté.
Quant aux conditions, nous y viendrons à mesure qu’avanceront nos débats. Il appartient vraiment aux parlementaires, au fil des quatre lectures du texte, de les définir précisément. J’y insiste, car vous êtes revenu sur la question du pronostic vital. On se souvient très bien qu’il y a un an, la grande difficulté que nous avions rencontrée tenait au fait que nous ne disposions pas d’une définition du pronostic vital engagé à moyen terme. Depuis, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu un avis, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir et qui a fait évoluer la manière dont on peut définir cette notion de pronostic vital. Je crois que cet avis est important, y compris – reconnaissons-le – quand la HAS elle-même estime qu’il n’est pas possible de se référer à la notion de moyen terme. Nombreux d’ailleurs étaient les parlementaires qui reconnaissaient alors cette grande difficulté. De ce point de vue, la capacité à écouter et à essayer de faire évoluer le texte, qui caractérise nos débats, en fait la qualité.
Monsieur Sitzenstuhl, vous avez évoqué les personnes âgées. Je voudrais vous rappeler que le fait générateur reste la maladie, la souffrance.
M. Charles Sitzenstuhl
Je n’ai pas parlé de ça !
Mme Catherine Vautrin, ministre
L’élément le plus important est la pathologie du patient ainsi que, en fonction de cette pathologie, la capacité de lui conférer ce que j’appelle une liberté. Certains ont voté la notion de droit. Je choisirai un troisième terme : celui de possibilité, celle que ce texte donne à un patient d’affirmer son souhait de choisir lui-même le moment de son décès dès lors qu’il se sait condamné par une maladie et que sa souffrance est sans remède, sa situation sans réponse. Ce sont, une fois encore, toutes ces conditions qui, réunies et examinées par un collège médical, permettront de déterminer si le patient peut accéder à ce droit, cette liberté, cette possibilité. Il ne s’agit donc pas d’un droit ouvert tous azimuts : des conditions médicales très exigeantes doivent être satisfaites. Nous sommes bien face à une notion de liberté du patient de faire valoir ce droit.
Madame Gruet, avant la pause, vous avez dit de la loi Claeys-Leonetti qu’elle était un « trésor national ». Je rappelle qu’Alain Claeys lui-même est d’avis que la sédation profonde et continue, même si elle n’est pas un acte létal, constitue une aide à mourir – c’était son désaccord de fond avec Jean Leonetti. Je ne me permettrai pas de parler en leur nom mais je le rappelle simplement, car je crois que l’idée d’accorder une très grande considération au caractère irrémédiable de la situation du patient est d’une importance majeure. Lorsque se présente une situation face à laquelle aucune réponse médicale susceptible de soulager le patient ne peut être fournie dans l’état actuel de la science, le texte ouvre la possibilité, dès lors que le patient le souhaite, que le collège médical réponde à ce souhait, exclusivement à sa demande. J’insiste : cette réponse ne peut être fournie qu’exclusivement à la demande du patient. Il s’agit d’un élément clair du texte dans la version que nous examinons aujourd’hui, dont la discussion des différents amendements nous donnera l’occasion de débattre.
À ce stade, je suis défavorable à l’ensemble des amendements qui viennent d’être défendus.
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Le rapporteur général, M. Falorni, a expliqué tout à l’heure pourquoi il ne voulait pas du terme d’euthanasie dans le texte. Je vais vous dire pourquoi il me semble qu’un suicide n’est pas du tout la même chose qu’une aide active à mourir. Le suicide, c’est un acte solitaire, désespéré, souvent caché aux siens, à ses proches. C’est un acte qui, souvent, est clandestin. Il est accompli dans la honte, dans le désespoir.
L’aide active à mourir, c’est tout l’inverse. C’est un acte qui peut être partagé avec les personnes que l’on aime, qui sont proches et accompagnent ce dernier geste. C’est un acte conscient, totalement conscientisé, qui n’est pas accompli sur un coup de tête mais au contraire prévu, organisé, planifié. C’est un acte serein, là où le suicide est violent et clandestin.
C’est la raison pour laquelle il ne faut pas inscrire le mot « suicide » dans la loi, parce que le suicide, c’est autre chose, et qu’il faut des politiques de lutte contre ce phénomène. De plus, quand on se suicide seul, l’issue est incertaine. Il faut donc absolument déployer tous les moyens possibles pour éviter que les gens se suicident.
L’aide active à mourir, en revanche, accorde à des personnes la possibilité de connaître une fin sereine, partagée avec leurs proches. C’est une manière de planifier ses derniers instants et de dire à ceux que l’on aime sa gratitude et tout l’amour qu’on leur porte. C’est pour cela que je me bats pour la fin de vie et pour une aide active à mourir, et que je me battrai toujours contre le suicide et voterai toujours les budgets consacrés à la lutte contre le suicide lors de l’examen des PLFSS. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – M. Éric Martineau applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Je voudrais tout d’abord dire quelques mots à notre collègue Sitzenstuhl, qui a fait référence à l’IVG, et remercier le rapporteur général d’avoir remis au cœur du débat l’enjeu réel de la discussion.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est Mme Autain qui en a parlé !
Mme Marie-Noëlle Battistel
L’IVG, c’est la liberté et le choix de la femme de disposer de son corps. L’approche que vous avez adoptée dans ce débat, monsieur Sitzenstuhl, est donc tout à fait inappropriée. (M. Charles Sitzenstuhl s’exclame.) Je tenais à le souligner. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mmes Karine Lebon et Véronique Riotton applaudissent également.)
Je voudrais aussi faire référence au livre du Simone de Beauvoir intitulé Une Mort très douce – un certain nombre d’entre vous l’ont probablement lu. Cet ouvrage raconte l’agonie de sa mère, hospitalisée pour une fracture du fémur. À cette occasion, un cancer de l’intestin grêle foudroyant s’est révélé et Simone de Beauvoir et sa sœur se sont relayées pour l’accompagner, alternant soins attentifs et veilles nocturnes tout en observant l’évolution tragique de sa douleur et de ses traitements médicaux.
Au-delà du simple journal intime, le récit devient une méditation philosophique sur la relation mère-fille mais surtout sur la violence, parfois inutile, dont fait usage le corps médical pour prolonger la vie au prix de souffrances extrêmes. Simone de Beauvoir y déploie sa réflexion existentialiste et interroge le droit à une mort choisie dans la dignité, la frontière entre soin et acharnement thérapeutique et l’impérieuse nécessité d’un accompagnement empreint de compassion et de respect de la liberté individuelle.
Ces mots doivent aussi résonner en nous alors que nous nous apprêtons à prendre des décisions importantes. Lorsqu’il n’y a pas de réponse à la souffrance, comment peut-on s’opposer à l’idée d’accorder aux personnes qui ne veulent plus souffrir la liberté de choisir leur mort ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mmes Karine Lebon et Sandrine Rousseau applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
Si vous en êtes d’accord, monsieur le président, je vais laisser Mme Firmin Le Bodo s’exprimer en faveur de ces amendements.
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Merci, monsieur Trébuchet. Je tiens à le dire, car ce sera assez rare au cours de ces débats : je suis favorable à l’amendement no 869 de M. Sitzenstuhl, qui supprime uniquement les mots « le droit à ». Très clairement, nous discutons d’un texte de liberté, qui tend à offrir une possibilité. Je pense qu’il ne faut pas aller jusqu’à inscrire un « droit à » dans la loi. Le groupe Horizons & indépendants votera donc cet amendement, même si je suis très défavorable à la manière dont M. Sitzenstuhl a défendu son amendement. Il a en effet affirmé que nous allions inciter les personnes les plus vulnérables à demander l’aide à mourir. Ce n’est certainement pas le cas : il s’agit bien d’une loi faite à destination de malades auxquels aucune réponse thérapeutique ne peut être apportée.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour un rappel au règlement.
M. Charles Sitzenstuhl
Ce rappel se fonde sur l’article 70, alinéa 3. Je serai très bref. Nous devons nous montrer fair-play dans les débats. Chère collègue Battistel, peut-être n’étiez-vous pas là tout à l’heure.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Si, j’étais là !
M. Charles Sitzenstuhl
Vous avez affirmé que j’avais introduit le sujet de l’IVG dans notre échange. Or, je le dis tout de suite pour clore ce débat, ce n’est pas moi qui ai versé cette thématique dans la discussion de ce matin. C’est Mme Autain qui en a parlé la première et je ne lui en ai fait aucun reproche : on peut en discuter.
Je vous demande, ainsi qu’au rapporteur général, de ne pas sous-entendre que j’aurais utilisé cette thématique pour faire passer mes idées.
Article 2 (suite)
M. le président
La parole est à Mme Caroline Colombier.
Mme Caroline Colombier
En ce qui concerne l’aide à mourir, j’insiste sur la nécessité de bien distinguer le « suicide assisté », c’est-à-dire le cas où une personne s’injecte elle-même la substance létale, de ce que j’appelle le « suicide assisté délégué », où elle doit recourir à l’aide de quelqu’un, parce qu’elle ne peut pas se donner la mort elle-même. Cette distinction est très importante pour les médecins et les soignants qui feront face à ces phénomènes et qui auront à s’en occuper.
Je suis très amère, parce que la loi sur l’aide à mourir risque d’être appliquée bien plus rapidement que la loi sur les soins palliatifs, puisqu’il faudra des années avant de rendre accessibles les soins palliatifs dans tous les départements.
Madame la ministre, je me permets un petit aparté. Vous évoquiez le respect de la clause de conscience des médecins et des infirmières, mais n’oublions pas les aides-soignantes. Elles sont très inquiètes.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Bien sûr, vous avez raison !
Mme Stéphanie Rist
Très bien !
Mme Caroline Colombier
Vous aurez compris que je me bats pour la vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Karen Erodi
Mais nous aussi !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je n’ai pas parlé des aides-soignantes, non pas parce qu’elles ne seraient pas concernées, mais simplement parce qu’elles ne sont pas autorisées à administrer la substance létale.
Mme Caroline Colombier
D’accord !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Bien évidemment, les aides-soignantes sont essentielles dans le quotidien des patients. Puisque ce sont elles qui sont le plus souvent au contact quotidien des patients et présentes dans les moments les plus intimes de la vie du patient, nous avions, dès les débats de l’année dernière, décidé de les associer à la procédure collégiale.
Mme Caroline Colombier
Merci !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 204.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 122
Nombre de suffrages exprimés 121
Majorité absolue 61
Pour l’adoption 46
Contre 75
(L’amendement no 204 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 1935 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 10.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 125
Nombre de suffrages exprimés 125
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 51
Contre 74
(L’amendement no 10 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 869.
(Le vote à main levée n’ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 125
Nombre de suffrages exprimés 124
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 57
Contre 67
(L’amendement no 869 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 383, 1596 et 2495.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 121
Nombre de suffrages exprimés 121
Majorité absolue 61
Pour l’adoption 50
Contre 71
(Les amendements identiques nos 383, 1596 et 2495 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 835.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 124
Nombre de suffrages exprimés 124
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 47
Contre 77
(L’amendement no 835 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Annie Vidal, pour soutenir les amendements nos 532 et 535, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Annie Vidal
L’amendement no 532 tend à insérer le mot « active » après le mot « aide » à l’alinéa 6. Il est très important de distinguer l’acte qui consiste à recourir à une substance létale des autres formes d’aide à mourir. De nombreux collègues, ainsi que l’Académie de médecine, ont demandé que cette distinction soit faite.
Cette précision est nécessaire et importante, parce que si le législateur maintenait « aide à mourir », il y aurait un flou qui pourrait mettre les médecins et les soignants en difficulté pour répondre à une demande ou qui pourrait engendrer des contentieux.
J’appelle toutes celles et ceux qui sont favorables à ce nouveau droit à employer l’expression « aide active à mourir », comme l’a d’ailleurs fait Mme Rousseau tout à l’heure. Modifier en ce sens la définition proposée à l’article 2 apporterait d’utiles précisions législatives et fluidifierait nos débats en nous épargnant de débattre des heures durant de ces questions de sémantique.
M. Thibault Bazin
Ce serait bien !
Mme Annie Vidal
L’amendement no 535 est un amendement de repli qui vise à substituer au mot « consiste » les mots : « peut notamment consister ». On ne peut pas réduire l’aide à mourir au recours à une substance létale ; la formulation que je propose suggère qu’il existe d’autres formes d’aide à mourir. La rédaction actuelle, trop floue, mettrait des professionnels, voire des patients, en difficulté. Il est d’autant plus nécessaire de préciser les choses que l’administration de la substance par un tiers ne constitue plus, dans la rédaction actuelle, une exception.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Nous avons déjà débattu de l’aide « active » à mourir en commission. Elle a fait l’objet de plusieurs votes ce matin. Votre deuxième amendement est satisfait, puisque le recours à l’aide à mourir relève d’une démarche volontaire. Le patient peut donc y renoncer à tout moment.
La rédaction que vous proposez me semble inopportune, parce qu’elle laisserait à penser qu’il existe une autre forme d’aide à mourir que celle prévue par l’article 2.
Mme Annie Vidal
D’autres formes existent !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Soyons rigoureux dans le choix des termes que nous employons. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme Clémentine Autain
Monsieur Sitzenstuhl, vous avez critiqué ma comparaison avec les débats de 1974 sur l’avortement, mais cette comparaison est pertinente pour deux raisons. Premièrement, parce que le droit de disposer de son corps que j’évoque était au cœur du débat en 1974, tel qu’il avait été posé par les militantes féministes.
Évidemment, il y avait d’autres arguments. Pour les quelques députés de droite qui s’étaient ralliés à Simone Veil, il fallait surtout mettre un terme à la catastrophe sanitaire. C’était un argument, mais l’argument fondamental était la défense de la liberté de disposer de son corps.
Mme Élise Leboucher
Elle a raison !
Mme Clémentine Autain
Deuxièmement, parce que si certains d’entre vous ont voté pour la constitutionnalisation de la liberté de recours à l’IVG, l’auriez-vous fait en 1974 ?
M. Thibault Bazin
M. Sitzenstuhl n’était pas né !
Mme Clémentine Autain
Ce n’est pas certain, puisque c’est l’évolution de la société qui fait que votre famille politique accepte désormais un droit qu’elle n’acceptait pas à l’époque.
M. Emeric Salmon
Quel argument !
M. Philippe Juvin
Mais c’est notre famille politique qui l’a fait adopter !
Mme Clémentine Autain
Cette trajectoire se répète aujourd’hui. Le droit de recourir à l’aide à mourir est un progrès, il est une nouvelle liberté. Je comprends qu’il n’ait rien d’évident et que l’on puisse s’inquiéter. Quand on appartient à une famille politique conservatrice, il est peut-être plus difficile d’envisager ce changement.
M. Thibault Bazin
M. Sitzenstuhl ne fait pas partie de cette famille ! On ne peut pas dire qu’EPR est un parti conservateur !
Mme Clémentine Autain
L’une de nos collègues d’extrême droite a affirmé que cette loi serait la plus permissive au monde : c’est délirant ! Les conditions d’accès à l’aide à mourir sont strictes : pronostic vital engagé en phase avancée ou terminale et souffrances physiques ou psychologiques réfractaires à tout traitement. Nous sommes très loin du laisser-faire. Ce droit, qui est encadré, est un vrai progrès, que réclame l’évolution de notre société. (Mme Danielle Simonnet et M. Arnaud Simion applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Annie Vidal.
Mme Annie Vidal
Madame la rapporteure, vous dites que mon amendement est satisfait parce que le recours à l’aide à mourir relève d’un choix du patient, mais ce que je conteste, c’est la rédaction même de l’article.
Écrire que l’aide à mourir « consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale », cela revient à exclure toute autre forme d’aide à mourir. Or il en existe d’autres, et c’est pourquoi je propose d’écrire que l’aide à mourir « peut consister » à recourir à une substance létale. Vous excluez de fait toute autre forme d’aide à mourir en écrivant qu’elle consiste à recourir à une substance létale. Votre argument ne tient pas.
M. Thibault Bazin
C’est le combat des rapporteures !
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
Madame Autain, vous faites un procès d’intention à la famille politique à laquelle j’appartiens, alors qu’en 1974, c’était un président de la République de droite,…
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Giscard était un centriste, il n’était pas de droite !
Mme Justine Gruet
…un premier ministre de droite,…
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Chirac n’était pas non plus de droite !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
C’était un radical-socialiste !
Mme Justine Gruet
…un gouvernement de droite et une ministre de la santé de droite qui ont voté la dépénalisation de l’IVG. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme Clémentine Autain
Ce n’est pas vrai ! La majorité des députés de droite s’y est opposée !
Mme Justine Gruet
Je veux bien tout entendre, mais prétendre que j’incarne le conservatisme, franchement, cela nuit à la qualité de nos débats. Je vous fais part de mes incertitudes pour que nous mettions l’éthique au cœur de nos échanges, et vous ne trouvez rien de mieux à faire que de systématiquement nous caricaturer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Mme Annie Vidal se lève et applaudit.)
J’ai rappelé hier que le recours à l’IVG se fonde sur l’équilibre entre la protection du bébé et la liberté de la mère. C’est le défi qui s’offre à nous : trouver un équilibre entre la protection de la vie et la liberté individuelle.
À quoi servent finalement les critères, si la décision relève de la liberté individuelle ? Dès lors qu’on considère que prime la liberté de disposer de son corps, comment faire pour juger si une demande de recours à l’aide à mourir est légitime ou non ?
Notre défi en tant que législateur sera de garantir la sécurité nécessaire au maintien d’un cadre éthique, comme nous l’avons fait lors du vote sur l’IVG.
(Les amendements nos 532 et 535, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 1094.
M. Charles Sitzenstuhl
Amendement de repli, que je défends en désespoir de cause, il tend à préciser que l’aide à mourir ne peut être demandée qu’« en ultime recours ».
Comme vient de le dire Justine Gruet, il est important qu’il y ait une éthique des débats. On peut entendre beaucoup de choses dans cet hémicycle et je comprends les raisons qui poussent certains collègues à soutenir ce texte, mais les arguments d’autorité, monsieur le rapporteur général, et les procès d’intention, chère collègue Autain, doivent cesser.
Monsieur le rapporteur général, vous avez cité tout à l’heure des termes qui n’ont pas été prononcés au cours de nos débats, ni même l’an dernier, mais il y a plus de cinquante ans. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.) Ces termes sont honteux, choquants et scandaleux ; en les jetant ainsi dans l’hémicycle, vous avez fait usage d’un procédé rhétorique qui vise à sidérer les opposants à ce texte, à pulvériser les débats et à laisser entendre que dans le fond, certains ici partageraient les convictions des députés qui, voilà plus de cinquante ans, ont tenu ces propos honteux, scandaleux et injurieux.
Mme Sandrine Rousseau
On ne va pas discuter de l’IVG pendant des heures !
M. Charles Sitzenstuhl
S’il vous plaît, chers collègues, retrouvons l’éthique de nos débats !
Mme Sandrine Rousseau
On a compris, vous auriez été irréprochable à l’époque.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Je m’en tiendrai à l’expression de cet avis : il est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Philippe Juvin.
M. Philippe Juvin
L’amendement est très bon, car il mentionne l’ultime recours, qu’on trouve à deux reprises dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. En outre, les défenseurs de celle-ci utilisent cette expression dans nombre de leurs prises de parole publiques.
Ce qui est très intéressant, c’est qu’alors qu’on trouve l’ultime recours dans l’exposé des motifs, nous ne discutons pas d’une proposition de loi d’ultime recours. Compte tenu des critères choisis, cette proposition de loi pourrait s’appliquer à des gens à qui il reste potentiellement plusieurs années à vivre, car une maladie terminale n’est pas toujours une maladie de fin de vie.
D’aucuns disent que je raconte des balivernes quand je soutiens que la proposition de loi n’est pas relative à la fin de vie : admettons. Je les invite à aller au bout de leur logique, en votant cet amendement, qui tend à rappeler que l’aide à mourir est dispensée en ultime recours.
Il serait paradoxal que la notion d’ultime recours apparaisse dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, mais pas dans son texte même. Je suis prêt à reconnaître mon erreur et à admettre que la proposition de loi ne concerne que la fin de vie, mais dans ce cas, acceptez l’amendement tendant à rappeler que c’est une proposition de loi d’ultime recours. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme Pascale Got.
Mme Pascale Got
Si nos débats sur la sémantique et la syntaxe peuvent avoir leur importance, nous devons garder à l’esprit ce qui fait la garantie, la qualité et la nécessité de ce texte : la liberté du soignant, la liberté du patient, l’encadrement de la procédure et la rétractation possible.
Il n’est pas toujours facile de se projeter et d’envisager la fin de sa vie, mais cette proposition de loi tend à offrir aux Français un choix. Ils se sentent certainement apaisés et rassurés de pouvoir le faire.
Cette considération humaniste ne doit pas être occultée par un zèle sémantique, qui a surtout pour but de nous priver d’un nouveau droit dans une République laïque et démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Danielle Simonnet applaudit également.)
(L’amendement no 1094 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Annie Vidal, pour soutenir l’amendement no 574.
Mme Annie Vidal
Je ne pense pas que l’effort de définir avec une certaine rigueur intellectuelle un nouveau droit aux conséquences si importantes soit assimilable à du zèle, quelle que soit la position que l’on ait au sujet de ce droit.
Inspiré par cet esprit de rigueur, mon amendement tend à substituer au mot « accompagner » le mot « assister », à l’alinéa 6 de l’article 2.
L’accompagnement est mentionné à l’article L. 1110-10 du code de la santé publique et constitue l’une des dimensions des soins palliatifs. Il vise notamment à offrir à son bénéficiaire un soutien social et humain, complémentaire des soins et traitements visés dans le même code.
Selon moi, l’implication des professionnels dans le geste létal dont nous discutons relève plus de l’assistance que de l’accompagnement, ce qui justifie mon amendement.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Le terme d’accompagnement me paraît plus approprié que celui d’assistance, car c’est bien le patient qui accomplira un acte positif, en prenant lui-même la décision de demander l’aide à mourir. La suite de la procédure relèvera d’une décision collégiale, puis d’un accompagnement à l’application de celle-ci.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je partage l’avis de la rapporteure. La notion d’accompagnement est très importante : elle rappelle que l’initiative revient au patient ; celles et ceux qui veulent consacrer sa volonté doivent y être sensibles. Celui qui a l’initiative et agit de manière positive, c’est bien le patient et nous souhaitons qu’il en soit ainsi tout au long de la procédure. Lui seul déterminera sa volonté.
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl
Je soutiens cet amendement, que j’ai cosigné. Les précautions auxquelles notre collègue Vidal nous invite sont indispensables et je veux dire à un certain nombre de collègues favorables à ce texte que l’argument selon lequel la législation que nous envisageons serait la plus restrictive et la plus robuste est faux. Je le dis sans faire de procès d’intention à quiconque.
Certains pensent peut-être de bonne foi que le texte qui nous est soumis est extrêmement rigoureux et strict. Ce n’est pas le cas.
Ce texte, nous le verrons au cours du débat, retient un certain nombre de critères qui sont flous. Pour répondre à l’intervention qu’a faite tout à l’heure Mme Pires Beaune, il y a en Europe des pays qui ont adopté récemment des législations beaucoup plus circonscrites que celle que nous projetons.
L’Autriche, par exemple, a légiféré uniquement sur le suicide assisté et non sur l’euthanasie. En Autriche, il est prévu qu’il faille passer devant un notaire, ce qui n’est pas envisagé dans le présent texte. En Autriche, le patient doit consulter deux médecins, indépendants l’un de l’autre et dont l’un est spécialiste en soins palliatifs – ce n’est pas prévu par la proposition de loi. Il est enfin prévu que le suicide assisté soit réalisé dans un cadre privé, alors qu’il sera possible en France d’y procéder dans des lieux publics à vocation sanitaire ou médicale.
C’est sans faire de procès d’intention que je vous apporte ces informations, qui prouvent que la loi que nous préparons n’est pas la plus restrictive d’Europe.
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Je pense que le terme d’assistance déshumanise la relation et je pense même qu’il peut produire des effets inverses à ceux que vous recherchez. Laisser le patient décider et se contenter de l’assister peut avoir les effets contre lesquels vous vous élevez. Choisir la notion d’accompagnement, c’est au contraire affirmer qu’on ne fait pas n’importe quoi en matière d’aide à mourir.
Je ne partage pas l’idée que les gens de gauche seraient pour la proposition de loi et que les gens de droite seraient contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et HOR.)
C’est un mauvais procès, c’est faux. La proposition de loi rencontre des oppositions à gauche, tout à fait construites et légitimes, et des soutiens à droite, tout aussi légitimes et dont les arguments s’entendent.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Merci de le rappeler !
M. Yannick Monnet
On ne doit surtout pas déplacer notre débat sur ce terrain : ce serait prendre le risque de graves confusions. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
(L’amendement no 574 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur les amendements n° 386 et identiques, je suis saisi par les groupes Rassemblement national et UDR de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de quatre amendements, nos 386, 757, 1999 et 387, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 386, 757 et 1999 sont identiques.
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 386.
Mme Justine Gruet
Je défendrai en même temps mon amendement no 387. Il s’agit de préciser que l’aide à mourir ne peut concerner qu’une personne « majeure » – pour le no 386 – ou « âgée de 18 ans révolus » – pour le no 387 . La majorité est l’un des critères retenus à l’article 4 de la proposition de loi – nous y reviendrons donc –, mais du point de vue éthique, elle me paraît fondamentale, et c’est pourquoi il me semble important de l’inscrire dans la loi dès l’article 2.
En Belgique, les mineurs n’avaient d’abord pas accès à l’aide à mourir, mais des droits nouveaux leur ont été ouverts récemment. Je souhaite que la représentation nationale ne se contente pas de mentionner ce critère à l’article 4, mais qu’elle l’intègre à la définition même de l’aide à mourir, ce qui permettrait de donner à ce droit un cadre plus fixe, plus rigide et plus restrictif.
M. le président
La parole est à M. Charles Rodwell, pour soutenir l’amendement no 757.
M. Charles Rodwell
En défense de mon amendement, j’invoquerai l’élargissement potentiel du champ d’application de la proposition de loi qui pourrait être décidé à l’avenir. N’en déplaise à la rapporteure Liso, dont je retiens les propos à mon égard, je respecte son point de vue et j’attends qu’elle respecte le mien. Dans ce débat,…
M. Nicolas Sansu
Convivial !
M. Charles Rodwell
…vous avez été la première à établir un lien entre l’interruption volontaire de grossesse et l’aide à mourir. Vous vous êtes réjouie de l’élargissement de la protection des droits des femmes et de leur possibilité de recourir à l’IVG. Je défends aussi cet élargissement, cela va de soi, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle – une fois n’est pas coutume –, j’ai été plutôt sensible aux arguments de Clémentine Autain et j’ai voté la constitutionnalisation de ce droit – c’est la seule occasion qui m’a été donnée de me prononcer au sujet de l’IVG.
Vous avez évoqué l’élargissement du champ d’application de la loi sur l’interruption volontaire pour soutenir un éventuel élargissement du champ de la proposition de loi que nous étudions à l’avenir. C’est là où nos avis divergent, ce qui est parfaitement respectable : je ne souhaite pas que l’élargissement du champ d’application de la proposition de loi soit acté par des lois futures.
Pour cette raison, j’insiste, avec cet amendement de repli, sur la situation des patients mineurs. Le rapporteur général a souligné qu’il n’était pas prévu que le texte s’applique à eux et je crois qu’il est important que nous le confirmions aujourd’hui, en votant cet amendement.
Je rappelle que le texte présenté avant la dissolution avait fait l’objet d’amendements visant à légaliser l’euthanasie des mineurs de moins de 15 ans, sans consentement des parents. Telle n’est pas ma conception du progrès et je souhaite donc voir mon amendement adopté.
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet, pour soutenir l’amendement no 1999.
M. Vincent Trébuchet
La protection de l’enfance nous réunit tous et les nombreux travaux de notre assemblée le prouvent, notamment l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires.
Pour cette raison, nous souhaitons que le droit à l’aide à mourir ne soit pas ouvert aux mineurs.
Pourquoi ? Parce qu’au fondement de la majorité, il y a la notion de discernement, c’est-à-dire la capacité à choisir en toute connaissance de cause de recourir ou non au droit au suicide assisté ou à l’euthanasie, que ce texte vise à ouvrir. Je me réfère également à la législation d’autres pays, notamment à celle des Pays-Bas qui, il y a deux ans, a ouvert ce droit aux mineurs de 1 à 12 ans, en laissant la possibilité aux parents d’un enfant qui ne serait pas véritablement en mesure d’exprimer son choix de le faire à sa place.
La Société française de pédiatrie (SFP) s’interrogeait en 2023 quant aux risques liés à ce genre d’évolutions législatives pour les mineurs : « Cependant, écrivait-elle, l’acquisition de la maturité psychique nécessaire pour s’abstraire de la dynamique familiale et décider pour soi n’est ni synchrone ni proportionnelle avec les acquisitions intellectuelles. Cette discordance peut conduire à des conflits de loyauté insolubles chez des enfants pour qui il est impossible de vouloir autre chose que ce que veulent leurs parents. » Vous voyez combien le sujet est délicat, alors que l’enfant est quasiment incapable de faire preuve d’un discernement construit en la matière. Il semble donc essentiel de garantir dès à présent, à l’article 2, l’exclusion des personnes mineures du droit à l’aide à mourir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
L’amendement no 387 a été défendu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Il n’existe pas dans cet hémicycle un profil type de député favorable ou opposé à ce texte ; nous sommes tous concernés à titre individuel, et chacun prendra la décision qui convient – qui lui convient – au moment opportun. Cette situation explique sans doute pourquoi nos débats ont été si apaisés jusqu’à présent – cela a été plusieurs fois souligné, et j’en suis moi-même ravie, évidemment.
Je reviens aux amendements. Le présent texte ne laisse aucun entrebâillement susceptible de conduire à déroger à la limite d’âge de 18 ans pour exercer ce droit, point. Apporter cette précision dès l’article 2 ne renforcerait donc pas le texte à cet égard. Le critère d’âge figure dans un groupe de cinq critères cumulatifs pour pouvoir recourir à cette aide. Pourquoi insister dès maintenant sur celui-ci au détriment des autres ? Nous risquerions de créer une hiérarchie entre les cinq critères…
M. Vincent Trébuchet
C’est ce que nous voulons !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
C’est pourquoi je suis opposée à ces amendements.
Monsieur Rodwell, pour classer définitivement l’affaire : il n’est évidemment pas question de débattre à nouveau de l’avortement. Je voulais simplement souligner que dans toute élaboration d’une loi sociétale – celle sur l’IVG comme la proposition que nous examinons aujourd’hui – les législateurs que nous sommes définissent des critères puis votent pour ou contre le texte. Je ne sais pas à quoi ressemblera celui-ci, ni même s’il sera voté, mais il n’en reste pas moins qu’on ne pourra jamais, à aucun moment, se prémunir de l’avenir. Il faut raisonner sur le texte tel qu’il est aujourd’hui proposé.
M. Emeric Salmon
Certes, mais on a le droit de poser des questions !
Mme Brigitte Liso, rapporteure
J’espère que nous nous sommes compris. (Sourires.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous aurons l’occasion de discuter plus longuement de l’exclusion des mineurs à l’article 4. Je veux être complètement claire à ce sujet. Dès le projet de loi initial, déposé l’année dernière, les mineurs ont été totalement exclus de la procédure. D’importants travaux ont été menés entre-temps – je salue notamment celui d’Agnès Firmin Le Bodo, ceux du CCNE ou du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Ce dernier a d’ailleurs adopté sa position en mars 2023 après avoir consulté l’ensemble de ses conseils départementaux – c’est dire l’ampleur du travail de consultation effectué –, dans laquelle il se dit « défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d’aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté ».
Le CCNE a pour sa part renvoyé son avis à des consultations extérieures. Quant au Conseil d’État, dans un avis rendu le 7 février 2013 à l’occasion d’une proposition de loi sénatoriale relative à l’aide à mourir ouverte aux mineurs de 16 ans émancipés, il a estimé que si l’article 6.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) sur le droit à la vie ne paraît pas s’opposer pas à l’intégration des mineurs émancipés dans le champ d’une loi ouvrant un droit à une aide à mourir, il rend nécessaire la mise en place d’une procédure adaptée à leur situation particulière « comportant des garanties renforcées pour s’assurer du caractère libre et éclairé de leur volonté ».
Le gouvernement a choisi de ne pas ouvrir l’aide à mourir aux mineurs pour deux types de raisons. D’abord pour des raisons scientifiques, notamment le fait – très important – que les traitements actuels les plus prometteurs concernent les affections qui touchent les jeunes. Le cancer est en effet la première cause de décès pour cause de maladie chez les enfants de plus de 1 an. Chaque année, en France, plus de 2 300 enfants ou adolescents sont touchés par un cancer. Or le taux de survie à cinq ans après le diagnostic, souvent synonyme de guérison, est passé, pour ce qui concerne les enfants entre 0 et 15 ans, de 81 % entre 2000 et 2004 à 85 % entre 2010 et 2016. Ensuite pour des raisons éthiques, car le mineur n’est pas toujours capable d’un discernement plein et entier. Le rôle des parents titulaires de l’autorité parentale dans cette prise de décision peut être discutable, du fait de leur responsabilité évidente vis-à-vis de la santé de l’enfant. Pour toutes ces raisons, je réaffirme à cet instant combien l’interdiction de l’aide à mourir aux mineurs est centrale dans le texte. Néanmoins, ce dernier sera mieux ordonné si cette clause n’est inscrite qu’à l’article 4 ; c’est pourquoi je suis défavorable à tous les amendements en discussion commune.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Vous venez de souligner que le projet de loi initial était parfaitement clair concernant cette question de la majorité, madame la ministre. Je précise que la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de déposer l’est tout autant.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Bien sûr !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Au reste, la commission des affaires sociales, sous l’autorité du président Valletoux, a écarté la possibilité d’ouvrir ce droit aux mineurs et elle a confirmé qu’il fallait être majeur pour éventuellement en bénéficier. Le présent texte est donc très clair à cet égard, ce qu’a confirmé très largement la commission – et par très largement, j’entends unanimement.
Mme Angélique Ranc
Non !
M. Thibault Bazin
Ce n’était pas si clair, car nous discutions alors des enfants âgés de 16 à 18 ans !
M. le président
La parole est à M. Gaëtan Dussausaye.
M. Gaëtan Dussausaye
Vous avez raison, madame la rapporteure, cette proposition de loi est sociétale et, comme pour toutes les lois de ce type, il devrait revenir à la société de trancher par le biais d’un référendum. Je renouvelle la demande d’en organiser un.
Si l’obligation d’avoir 18 ans – l’un des critères cumulatifs pour recourir à l’aide à mourir – figure bien à l’article 4, plus précisément à l’alinéa 5, nous savons néanmoins qu’il existe un consensus quasi unanime pour réserver ce droit aux majeurs et en exclure les mineurs. À propos de clarté, monsieur le rapporteur général, n’oublions pas celle qui caractérise les amendements de certains députés, de certains groupes politiques, qui cherchent à revenir sur cette exclusivité pour intégrer les mineurs. La quasi-unanimité cohabite donc aussi avec une crainte, aussi bien chez les partisans du texte que chez ses opposants, de voir ses dispositions être étendues aux mineurs. Dépassons pour une fois les clivages et les positions personnelles de chacun sur ce texte en votant en faveur de ces amendements, afin d’inscrire dès à présent dans l’article 2 que l’aide à mourir est réservée aux personnes majeures. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Stéphane Delautrette, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur de la commission des affaires sociales
J’aurais presque pu faire un rappel au règlement au titre de la bonne tenue et de la clarté de nos débats, car évoquer des choses qui ne figurent pas dans le texte n’apporte aucune clarté…
Mme Catherine Vautrin, ministre
C’est vrai !
M. Stéphane Delautrette, rapporteur
Je comprends que la question de la minorité se pose, mais le texte n’en parle pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Karine Lebon applaudit également.)
Mme Ayda Hadizadeh
Eh oui !
M. Stéphane Delautrette, rapporteur
Le texte n’offre pas la possibilité aux mineurs de recourir à une aide à mourir – ce n’est écrit nulle part ! –…
M. Thibault Bazin
Précisons-le, dans ce cas !
M. Stéphane Delautrette, rapporteur
…alors pourquoi perturber la discussion ? De plus, vous anticipez l’examen des prochains articles, ce qui ne contribue pas, là non plus, à la bonne tenue ni à la clarté des débats. Si nous voulions réellement avancer, nous en finirions avec les débats sémantiques qui nous occupent depuis ce matin, 9 heures, quant au fait de savoir s’il faut parler d’« euthanasie » et de « suicide assisté » pour qualifier l’aide à mourir. Maintenant que nous en avons fini avec la séquence terminologique, le bon sens voudrait que l’on passe à la séquence suivante, c’est-à-dire à un débat de fond sur la procédure elle-même. C’est à ce moment-là, lorsque nous examinerons les critères d’éligibilité, que nous pourrons débattre des questions que vous évoquez.
M. Emeric Salmon
Et le droit d’amendement, alors ?
M. Stéphane Delautrette, rapporteur
Quant au fait d’inscrire dans la proposition de loi qu’elle ne pourra pas être modifiée ultérieurement, c’est de la politique-fiction ! Ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire. Envisager un jour d’ouvrir aux mineurs le droit à l’aide à mourir ne pourrait se faire qu’au moyen d’un processus législatif. Personne ne peut empêcher par avance le Parlement – quelle que soit sa composition dans les années qui viennent – soit de revenir en arrière, soit de faire évoluer la loi ; c’est le principe de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Thibault Bazin
La proposition de loi Falorni 2 est-elle déjà prête ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Pur fantasme !
M. Thibault Bazin
J’essaie de contrôler mes fantasmes !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Attention à ne pas devenir trop intimes !
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 386, 757 et 1999.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 123
Nombre de suffrages exprimés 123
Majorité absolue 62
Pour l’adoption 57
Contre 66
(Les amendements identiques nos 386, 757 et 1999 ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 387 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 202.
M. Christophe Bentz
Cet amendement de ma collègue Mme Marie-France Lorho vise à s’assurer que la personne qui veut recourir à l’aide à mourir est « en pleine possession de son discernement ». Seul le discernement permet le consentement libre et éclairé.
M. Michel Lauzzana
C’est déjà dans l’article 4 !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Même réponse que précédemment : nous en discuterons à l’article 4, où il est clairement indiqué que la personne doit être « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». L’inscrire à l’article 2 n’apporterait rien de plus.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Philippe Juvin.
M. Philippe Juvin
Il faut distinguer deux choses : la définition, à l’article 2 ; et les critères, à l’article 4. Convenons que nous pouvons être plus solennels lorsque nous proposons une définition. En l’occurrence, l’amendement vise à ajouter la mention « en pleine possession de son discernement », ce qui nous plaît à tous. Selon vous, madame la rapporteure, ce serait inutile, car la mention serait déjà présente plus loin dans le texte. Ce n’est pas tout à fait le cas, en réalité…
M. Michel Lauzzana
Oh là là !
M. Philippe Juvin
Ce n’est même pas le cas du tout, puisqu’il est question, à l’article 6, alinéa 3, d’une « personne dont le discernement est gravement altéré ». Cela prouve bien que vous prévoyez une exception pour les personnes dont le discernement serait non pas altéré, mais gravement altéré ! Nous souhaitons quant à nous qu’il ne le soit pas du tout – ni un peu, ni gravement. Or si nous ne votons pas en faveur de cet amendement maintenant, nous n’aurons pas cette assurance lors de l’examen de l’article 6.
M. le président
La parole est à Mme Christine Pirès Beaune.
Mme Christine Pirès Beaune
Je voulais réagir à l’interpellation de M. Sitzenstuhl, mais on dirait qu’il est parti…
M. Thibault Bazin
Il va revenir !
Mme Christine Pirès Beaune
Quant au fait de savoir si ce texte est restrictif ou permissif, je précise que tous les pays qui ont institué le droit à une aide à mourir l’ont semblablement accordé : aux personnes majeures ; atteintes d’une affection grave et incurable ; connaissant des souffrances inapaisables ; dont la demande est le reflet d’une volonté libre et éclairée. Toutes ces conditions figurent aussi dans notre texte.
J’ai parlé d’une proposition de loi restrictive parce qu’en l’état – je dis bien en l’état –, elle retient la notion de pronostic vital, en phase avancée ou terminale, elle ne laisse aucune place aux directives anticipées, et parce qu’elle réserve ce droit aux Français ou à ceux qui résident en France de manière stable et régulière. Si la Belgique et la Suisse avaient été aussi restrictives, les Français n’iraient pas mourir là-bas ! Au reste, dans l’arrêt Mortier du 4 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que les conditions françaises de l’aide à mourir ne méconnaissaient pas l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit à la vie. Voilà pourquoi je juge qu’en l’état ce texte est restrictif. J’espère que nous pourrons l’améliorer lorsque nous examinerons l’article 4, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
(L’amendement no 202 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 980, 1252 et 384, pouvant être soumis à une discussion commune.
Sur l’amendement no 1252, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour soutenir l’amendement no 980.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Si j’appliquais la méthode de M. Bazin, je dirais qu’il est rédactionnel. (Sourires.) L’alinéa 6 dispose que « le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale ». Je propose de remplacer « en a exprimé la demande à recourir à » par « a demandé à se voir prescrire ».
M. le président
La parole est à M. Christophe Bentz, pour soutenir l’amendement no 1252.
M. Christophe Bentz
Je pourrais aussi dire qu’il s’agit d’un amendement rédactionnel, mais ce n’est pas vraiment le cas. Je propose de formuler, dans l’alinéa 6, l’expression de la demande d’aide à mourir au présent plutôt qu’au passé composé. En effet, le passé composé suggère le caractère ponctuel de la demande, alors que le présent signifie son caractère à la fois permanent et réitéré.
M. le président
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 384.
Mme Justine Gruet
Il s’agit d’insérer le terme « récemment » afin que l’alinéa 6 soit ainsi rédigé : « le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a récemment exprimé la demande à recourir à une substance létale ». Certes, la procédure prévoit la réitération de cette demande. Cependant, la définition légale de l’aide à mourir, comme l’a rappelé Philippe Juvin hier, doit être intelligible. Pour cela, nous devons la préciser par des critères les plus objectifs possibles. Dans la définition actuelle, la temporalité de la demande n’est pas indiquée ; c’est l’occasion de le préciser par cet adverbe.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Je dois avouer, madame Firmin Le Bodo, que lorsqu’on commence par se référer à la méthode de M. Bazin pour défendre un amendement rédactionnel, je suis conduit à redoubler de vigilance ! (Sourires.)
M. Yannick Monnet
Très bon réflexe !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Non pas que les amendements de M. Bazin ne soient pas réellement rédactionnels quand ils prétendent l’être, mais il peut arriver qu’ils le soient un peu moins que de coutume.
M. Thibault Bazin
Je plaide coupable !
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Aucun de ces amendements n’est véritablement rédactionnel. L’amendement no 980 de Mme Firmin Le Bodo vise à ce que l’aide à mourir soit définie comme la prescription d’une substance létale afin que la personne qui souhaite y recourir se l’administre ou se la fasse administrer. Il me semble que cette formulation ne reflète pas le fait que la première demande de la personne qui souhaite qu’on l’aide à mourir ne s’accompagne pas nécessairement de la demande de prescription d’une substance létale.
Quant à l’amendement no 384 de Mme Gruet, il tend à préciser que la personne doit avoir « récemment » demandé à bénéficier de l’aide à mourir. Or cela est déjà prévu dans le texte.
Enfin, la rédaction proposée par l’amendement no 1252 de M. Bentz ne rend pas compte de la procédure qui, telle qu’elle est organisée, prévoit bien une demande initiale.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous en sommes au stade de la définition de l’aide à mourir. La suite du texte précise, à l’article 4, les conditions d’accès à cette aide et, à partir de l’article 5, la procédure à suivre. Lorsque nous examinerons ces dispositions, nous pourrons déterminer très précisément chacune des étapes.
Madame Gruet, admettez que l’adverbe « récemment » ne constitue pas un critère particulièrement normatif. Je comprends l’esprit de votre amendement, mais le texte prévoit déjà la réitération de la demande du patient.
Nous aurons l’occasion de revenir sur la question du mode d’administration de la substance létale – par soi-même ou par un tiers. À ce stade de la définition, la formule de l’alinéa 6, « afin qu’elle se l’administre ou se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier », me paraît suffisante ; elle laisse la possibilité de préciser ensuite la procédure.
Avis défavorable à ces trois amendements.
(L’amendement no 384 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Stéphanie Rist.
Mme Stéphanie Rist
L’amendement no 980 d’Agnès Firmin Le Bodo me paraît intéressant. En effet, il permet de placer le soignant, le médecin, au cœur de la définition de l’aide à mourir. Certes, nous pourrons en débattre plus tard, lors de l’examen de la procédure. Mais le texte, tel qu’il est rédigé au sortir de la commission, prévoit bien qu’un médecin prendra son stylo pour signer un document prescrivant une substance létale. Ce serait une façon de respecter cette réalité que de préciser dans la définition de l’aide à mourir qu’il s’agit bien d’une prescription. Je voterai donc en faveur de l’amendement no 980.
(L’amendement no 980 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1252.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 113
Nombre de suffrages exprimés 113
Majorité absolue 57
Pour l’adoption 42
Contre 71
(L’amendement no 1252 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 866.
M. Charles Sitzenstuhl
Il vise à préciser que la volonté du patient doit être exprimée « librement et expressément ». Il s’agit d’un point fondamental. Je suis assez étonné d’entendre plusieurs collègues considérer la liberté, en pratique, comme quelque chose d’absolu, de pur et de parfait. Il suffit de se référer à d’éminents travaux de sociologie ou de philosophie pour savoir que la liberté humaine est toujours conditionnée et influencée. Nous sommes tous soumis à des stimulus interpersonnels,…
M. Thibault Bazin
Parfois à des pressions !
M. Charles Sitzenstuhl
…sociaux, culturels, géographiques, historiques ou situationnels – je pourrais poursuivre cette liste à l’infini ou presque.
Ce sont des personnes extrêmement vulnérables qui demanderont à recourir à cette aide à mourir ; on peut aisément comprendre que leur liberté sera encore plus altérée et influencée que celle des personnes « bien portantes » – si j’ose dire, et sans vouloir porter de jugement de valeur.
Le texte, tel qu’il est rédigé, demeure particulièrement flou et appelle des débats nourris.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
L’amendement de M. Sitzenstuhl est très précis. Il tend simplement à assurer que la demande d’aide à mourir soit libre et expresse. J’ai beaucoup de mal à comprendre que vous soyez opposés à l’adoption d’un tel amendement, riche de sens. Nous avons déjà débattu de la façon dont pouvait s’exprimer la volonté du patient. En tant que législateur, nous devons tout faire pour protéger le patient et éviter que le texte donne lieu à des abus de faiblesse. Il convient donc, comme l’indique l’exposé sommaire de l’amendement, d’instaurer des garde-fous. Les partisans du texte soutiennent que toutes les précautions sont prises ; si tel est bien le cas, il serait pertinent d’adopter un tel amendement.
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
Je soutiens à mon tour cet amendement qui paraît particulièrement approprié dans un contexte où les soins palliatifs n’ont pas été déployés sur l’ensemble du territoire. Où seront la liberté et la fraternité dans les Ehpad sous-dotés et en manque de personnel ? Un quart des décès, en France, surviennent dans ces établissements ; 30 % d’entre eux sont dépourvus de médecin coordonnateur et un grand nombre ne disposent d’aucun professionnel de santé la nuit. Une part importante des personnes en fin de vie sont ainsi envoyées aux urgences, parfois pour mourir dans des couloirs, car les professionnels des Ehpad ne sont pas formés et changent sans cesse. Qu’a-t-on fait, depuis vingt ans, pour sauvegarder la dignité ?
Dans un tel contexte, marquer dès le début du texte que le consentement doit être exprimé de façon expresse et libre, c’est garantir que, y compris dans les lieux où les soins palliatifs n’auront pas été déployés, le choix de recourir à l’aide à mourir soit véritablement un choix et non un choix par défaut, parce qu’on n’aura pas trouvé de solution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
Ayant donné la parole à deux orateurs favorables à l’amendement, je donnerai la parole à deux orateurs qui y sont opposés. La parole est à M. Laurent Panifous, rapporteur.
M. Laurent Panifous, rapporteur
La recherche d’un consentement libre et éclairé est essentielle. Simplement, ce n’est pas l’endroit du texte pertinent pour cela. L’article 2 définit la demande d’aide à mourir ; la recherche d’une expression libre et éclairée de cette demande sera traitée dans les articles suivants. Pour la parfaite clarté du texte, il importe d’inscrire cette recherche au bon endroit, c’est-à-dire dans les articles qui suivent. Il n’est donc pas souhaitable que l’amendement soit adopté.
M. le président
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
J’irai dans le même sens que M. Panifous. Que la volonté du patient soit libre et éclairée est primordial ; c’est pour cela que le texte précise plus loin que la demande du patient doit être réitérée et que nous nous sommes opposés à ce qu’une demande d’aide à mourir puisse être formulée dans le cadre des directives anticipées.
Monsieur Sitzenstuhl, vous avez reproché à plusieurs reprises au rapporteur général d’utiliser ce que vous avez appelé des arguments d’autorité. S’agissant des vôtres, ils me semblent de nature à ralentir nos débats : le sujet que vous évoquez est important, mais ce n’est pas le lieu du texte pertinent pour en discuter. Ces amendements visant à ajouter des conditions dans la définition de l’aide à mourir semblent dilatoires.
(L’amendement no 866 n’est pas adopté.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra