Première séance du mercredi 11 juin 2025
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Questions au gouvernement
- Délinquance des mineurs
- MaPrimeRénov’
- Bilan écologique du gouvernement
- Situation à Gaza
- Financement des CIDFF
- Suppression des ZFE
- Conférence des Nations unies sur l’océan
- Accès des mineurs aux sites pornographiques
- Rassemblement des extrêmes droites européennes dans le Loiret
- Difficultés du prêt-à-porter français
- Interception de la flottille Madleen
- 2. Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le Printemps de l’évaluation
- M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
- M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
- M. David Amiel (EPR)
- Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)
- M. Laurent Baumel (SOC)
- M. Thierry Liger (DR)
- M. Tristan Lahais (EcoS)
- M. Emmanuel Mandon (Dem)
- M. François Jolivet (HOR)
- M. Emmanuel Maurel (GDR)
- M. Philippe Lottiaux (RN)
- Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Les résultats de la politique d’éloignement des personnes sous obligation de quitter le territoire français
- Mme Sophie Ricourt Vaginay, rapporteure
- M. Éric Pauget, rapporteur
- Mme Anne Bergantz, rapporteure
- M. Matthieu Bloch (UDR)
- M. Julien Odoul (RN)
- M. Thomas Portes (LFI-NFP)
- M. Paul Christophle (SOC)
- Mme Félicie Gérard (HOR)
- M. Laurent Mazaury (LIOT)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
- M. Matthieu Bloch (UDR)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- Mme Marie-France Lorho (RN)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. Bruno Clavet (RN)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. Sébastien Huyghe (EPR)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. François Piquemal (LFI-NFP)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. François Piquemal (LFI-NFP)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. Romain Eskenazi (SOC)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- Mme Céline Hervieu (SOC)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- Mme Anne Bergantz (Dem)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- M. Salvatore Castiglione (LIOT)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- Mme Véronique Besse (NI)
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Délinquance des mineurs
Mme la présidente
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot
« Il faut une meilleure régulation de la vente d’armes blanches » : ce sont vos mots, monsieur le premier ministre. Interdire les couteaux, les machettes et les haches ne réglera rien ; c’est pourtant votre préconisation après qu’un adolescent de 14 ans a poignardé à mort une surveillante de collège.
Votre prochaine recommandation, pour stopper la violence juvénile, sera-t-elle de remplacer nos couverts par des baguettes ? Proposerez-vous d’interdire les voitures pour lutter contre les refus d’obtempérer, d’élargir les trottoirs pour lutter contre le harcèlement de rue, d’interdire l’argent liquide pour lutter contre le trafic de drogue ? Ce sont tous ces petits renoncements qui font la grande lâcheté de ce gouvernement. Je fais partie de ceux qui, comme beaucoup dans nos campagnes, ont souvent un Opinel dans leur sac, que ce soit pour couper une corde ou pour préparer un casse-croûte dans les Cévennes. (Exclamations sur divers bancs.)
Le problème, ce n’est pas le couteau : c’est la main qui porte le coup, c’est la barbarie qui s’empare des âmes et c’est le vide qui lui répond ; c’est cette jeunesse totalement abandonnée par un État complaisant et manifestement perdu. Dans une société sans verticalité, sans figures d’autorité, où tout a été sapé par le laxisme, les actes les plus violents explosent chez les adolescents, notamment chez les garçons, avec quarante-deux homicides en 2022. Hier encore, une mère a été enlevée à son enfant. On compte 5 000 homicides et tentatives d’homicide chaque année. Emmanuel Macron détient ce triste record, qui fait de la France l’un des pays les plus dangereux d’Europe (« Allez ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP) – et pendant que l’État dégaine des éléments de langage, la barbarie dégaine une lame et tue.
Dans ce contexte, qu’attendez-vous pour faire exécuter les lois d’Éric Ciotti, votées mais jamais appliquées par les gouvernements Hollande et Macron depuis 2012 ? Allez-vous réactiver la loi de 2011 qui a instauré un encadrement de type militaire pour les mineurs délinquants ? Allez-vous supprimer les allocations familiales pour les familles défaillantes ? Les Français veulent de la fermeté, du courage, de la lucidité,…
Mme Andrée Taurinya
Ce ne sont pas les Français, c’est l’extrême droite qui dit ça !
M. Alexandre Allegret-Pilot
…pas des élucubrations sur la taille des couteaux ! Dénoncer la barbarie, c’est bien ; la combattre vraiment, c’est mieux. C’est ce que nous attendons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je livrerai d’abord quelques éléments statistiques qui témoignent de la banalisation du port et de l’usage de l’arme blanche chez les mineurs. Comme nous l’a encore rappelé le drame survenu hier, c’est une réalité devenue très prégnante. Cette banalisation s’accompagne aussi d’une évolution de la délinquance des mineurs, qui a changé de visage : elle est à la fois plus radicale – je pense notamment à la radicalisation de la violence liée aux trafics – et plus diffuse.
Si entre 2016 et 2024, la délinquance a eu plutôt tendance à rester stable, elle a augmenté s’agissant des actes les plus violents : son intensité est devenue beaucoup plus forte. Le nombre de mineurs de 13 à 17 ans qui ont été mis en cause pour homicide est ainsi passé de 39 à 119, soit la plus forte progression toutes classes d’âge confondues. Dans 57 % des homicides commis par des mineurs, l’arme utilisée est une arme blanche.
Ces chiffres n’ont pas vocation à justifier quoi que ce soit ; ils servent à constater objectivement la situation. Il est absolument nécessaire que nous renforcions notre capacité à détecter les signaux faibles le plus rapidement possible. D’ailleurs, en travaillant sur le bas du spectre, la stratégie nationale de prévention de la délinquance, qui sera bientôt rendue publique, aura pour principe de restaurer l’autorité – celle des parents, du maire, de la justice –, de sorte que très tôt, l’on puisse prendre des mesures efficaces – voire contraignantes, s’il le faut – pour reprendre en main tout individu chez qui des moments de déviance auront été détectés. C’est très clair !
Le deuxième aspect de la réponse est pénal. Des évolutions législatives ont déjà eu lieu,…
Mme la présidente
Merci, monsieur le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre
…mais elles devront être appliquées très rapidement. Je n’ai malheureusement pas le temps d’en dire plus.
MaPrimeRénov’
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.
M. Frédéric Falcon
Le gouvernement vient d’annoncer la suspension de MaPrimeRénov’. Ce dispositif, présenté hier comme le pilier de la rénovation énergétique, est un échec. Il est gangrené par une fraude massive : Tracfin évalue le détournement à environ 400 millions d’euros par an, soit 10 % des fonds du dispositif.
M. Antoine Léaument
Ça vous connaît, le détournement !
M. Frédéric Falcon
Mais MaPrimeRénov’ sert avant tout de prétexte pour justifier l’instauration de contraintes réglementaires.
M. Inaki Echaniz
Ah !
M. Frédéric Falcon
Vous avez fait du DPE, cet indicateur décrié pour son manque de fiabilité, le critère suprême de votre politique de rénovation. Vous avez piégé des millions de petits propriétaires dans une mécanique infernale : baisse arbitraire de la valeur de leur bien, baisse imposée des loyers, suspension des APL, injonctions judiciaires à réaliser des travaux hors de prix, interdiction de louer.
Face à cette politique kafkaïenne, les Français ne veulent plus être bailleurs, préférant retirer massivement leurs biens du marché locatif. Une baisse de près de 75 % des annonces a été enregistrée en trois ans à Paris et 5 millions de logements sont concernés. Vous avez poussé la logique bureaucratique jusqu’à imposer aux copropriétés un plan pluriannuel de travaux, une contrainte excessive qui leur coûte 10 000 euros. Depuis 2022, le Rassemblement national donne l’alerte sur cette dérive.
M. Inaki Echaniz
Mais ne propose rien !
M. Frédéric Falcon
Nous réclamons la levée immédiate de l’interdiction de louer fondée sur la note DPE ainsi qu’un changement de cap susceptible de favoriser une rénovation incitative, fondée sur le confort plutôt que sur des objectifs technocratiques, respectueuse de la propriété privée et adaptée aux réalités économiques que vivent les Français.
Je rappelle aux fanatiques du climat… (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS)
M. Damien Girard
Oh là là !
M. Erwan Balanant
Climatosceptique !
M. Inaki Echaniz
Vous n’aimez pas les sciences !
M. Frédéric Falcon
…que l’immobilier résidentiel représente à peine 12 % des émissions de CO2 en France, laquelle n’émet que 0,9 % des émissions mondiales. En trente ans, pour un parc immobilier qui a augmenté de 50 % en surface, on consomme moins d’énergie qu’en 1990. Nous sommes les plus vertueux d’Europe !
À la suite de la suspension de MaPrimeRénov’, le Rassemblement National demande la levée immédiate des contraintes liées au DPE et la fin du socialo-macronisme (Exclamations sur quelques bancs des groupes EPR et Dem),…
M. Erwan Balanant
Le socialo-macronisme, vraiment ? (Sourires.)
M. Frédéric Falcon
…qui prélève des taxes et des impôts pour distribuer des chèques. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Inaki Echaniz
Vive le logement insalubre avec le RN !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Face aux générations futures, ce n’est pas le populisme qui doit s’exprimer. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – M. Inaki Echaniz applaudit également. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Richard Ramos
Exactement !
M. Hervé de Lépinau
Ni le socialisme !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Le gouvernement doit conduire des politiques écologiques ambitieuses, afin de protéger nos populations, de favoriser toutes les transitions…
M. Sébastien Humbert
Quelles transitions ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…et, surtout, de préserver nos intérêts économiques et notre souveraineté. Savez-vous que 80 % des emplois, en France, dépendent directement ou indirectement des espaces naturels ?
M. Thibault Bazin
Quel est le rapport entre le DPE et les espaces naturels ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Voulez-vous que demain, suivant le constat accablant que vous dressez, nous craignions de boire l’eau du robinet parce qu’elle sera polluée ?
M. Hervé de Lépinau
On parle des logements, pas de l’eau !
M. Sébastien Humbert
Hors sujet !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
S’agissant de MaPrimeRénov’, le gouvernement s’est exprimé pour expliquer que dès le mois de septembre prochain, nous pourrons reprendre le travail. De la même manière, un texte sur le DPE, qui traitera notamment des logements classés G, sera présenté d’ici la fin de cette session. Plutôt que d’essayer de surfer sur les craintes, les mécontentements et les contraintes que peut susciter la transition écologique (Exclamations sur les bancs du groupe RN), vous devriez soutenir les efforts des Françaises et des Français ainsi que ceux du gouvernement,…
M. Hervé de Lépinau
3 300 milliards de dette !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…c’est-à-dire la mobilisation d’argent public qui permet, pas à pas, de progresser sur le chemin de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
M. Sébastien Humbert
Ce n’est pas lié au DPE !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous avons cette fierté de les avoir fait baisser de 10 % et à aucun moment, sur aucun texte votre groupe n’a soutenu cette politique !
M. Sébastien Humbert
On parle du DPE !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Mais eu égard aux décennies à venir et aux besoins de la France, pour que demain nous ne soyons plus dépendants d’énergies fossiles venant de l’extérieur…
M. Alexandre Dufosset
Hors sujet !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…et pour que les Françaises et les Français puissent enfin revivre, en toute confiance, dans une société protégée des évolutions du dérèglement climatique, nous poursuivrons sur cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Alexandre Dufosset
Charabia !
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.
M. Frédéric Falcon
Je prends les Français à témoin : comme nous l’avons fait pour les ZFE et le ZAN, nous allons abolir les contraintes liées au DPE ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Alexandre Dufosset
Il a raison !
Bilan écologique du gouvernement
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
Déploiement de la planification écologique, généralisation des ZFE, investissements inédits dans la rénovation énergétique avec MaPrimeRénov’, interdiction de la location de passoires thermiques, réouverture des petites lignes de train, leasing électrique, loi Agec relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, loi « industrie verte », produits bio et circuits courts dans la restauration collective, plan national d’adaptation au changement climatique, ZAN, accélération de la production des énergies renouvelables, relance du programme nucléaire :…
M. Fabien Di Filippo
Beaucoup de lois inappliquées !
M. Pierre Cazeneuve
…depuis huit ans, sous l’impulsion du président de la République Emmanuel Macron (Sourires et exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP), nous avons massivement agi en matière d’écologie, pour endiguer le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme Anne-Laure Blin
La belle commande présidentielle !
M. Fabien Di Filippo
Une question sponsorisée par l’Élysée !
M. Pierre Cazeneuve
Cette semaine encore, à la conférence des Nations unies sur l’océan, la France a su mobiliser une centaine de pays du monde entier pour accentuer notre effort et notre action en matière de protection des océans. Cette politique fonctionne : depuis 2017, nous avons fait quadrupler le rythme de baisse des émissions de CO2 ! (Plusieurs députés du groupe LFI-NFP miment des marionnettes.)
M. Fabien Di Filippo
Vous vous êtes trompé, monsieur le premier ministre : vous lui avez donné à lire la réponse, il fallait lui donner la question !
M. Pierre Cazeneuve
Malheureusement, depuis plusieurs mois, les populistes et démagos de tous bords (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem) détricotent une à une ces mesures indispensables à notre transition écologique.
M. Kévin Mauvieux
Tu as vu ton bilan avant de critiquer ?
M. Pierre Cazeneuve
Il y a huit jours, les climatosceptiques du Rassemblement national se sont alliés avec les climato-cheguévaristes de La France insoumise (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP, dont plusieurs députés lèvent le poing) pour abroger les ZFE, en faisant fi de toutes les recherches scientifiques, des avis de tous les experts mais surtout des 48 000 décès par an en France lié à la pollution de l’air, que vous avez ignorés en votant l’amendement en question ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Les mêmes qui criaient hier au manque d’ambition écologique et parlaient de « mesurettes » pleurnichent aujourd’hui en prétextant que ces dispositions seraient trop difficiles à appliquer. Alors, à tous ceux qui veulent continuer à faire vivre notre planète à crédit en faisant abstraction du dérèglement climatique, nous vous le disons solennellement : nous ne vous laisserons pas faire ! Monsieur le premier ministre, notre maison brûle et notre jeunesse nous regarde droit dans les yeux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Erwan Balanant et Mme Anne-Cécile Violland applaudissent également.)
M. Ugo Bernalicis
Excellent ! (M. Ugo Bernalicis forme un cœur avec les doigts.)
M. Alexandre Dufosset
Allez, dehors !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Monsieur Pierre Cazeneuve, merci. (« Ah ! » sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Hervé de Lépinau
Nous voilà rassurés !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Face aux enjeux du dérèglement climatique, nous choisissons en effet la vérité plutôt que l’émotion et les injonctions. Nous assumons un cap clair,…
M. Hadrien Clouet
Un cap clair !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…pas un alignement opportuniste. Depuis 2017, nous avons avancé, sans doute pas assez vite mais clairement dans le bon sens ! Nos émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 9,6 % rien qu’en 2023, ce qui constitue la plus forte baisse enregistrée depuis 2015.
M. Jérémie Iordanoff
La blague !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
L’empreinte carbone des Français a été réduite de 4,1 % en 2023 par rapport à 2022. Ces chiffres ne sont pas des trophées : ce sont des jalons. Ils montrent que nos choix portent leurs fruits,…
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Bienvenue à l’amicale des macronistes !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…que ce soit la rénovation des logements, le leasing social, le soutien à l’agriculture durable ou la décarbonation de l’industrie. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Au-delà de l’atténuation de nos émissions, nous préparons aussi notre pays à un scénario de résilience à plus 4 degrés, par l’élaboration d’un plan national d’adaptation au changement climatique. Encore hier, à Nice, le président de la République et le gouvernement ont détaillé des annonces historiques pour protéger nos océans en interdisant les activités qui dégradent les zones marines vulnérables. Au total, près de 15 % des eaux françaises seront classées en protection forte, soit trois fois plus qu’avant, et près de 10 % des eaux françaises seront classées en protection stricte, c’est-à-dire ne permettant aucune activité humaine.
M. Hervé de Lépinau
Vous n’êtes même pas capables de les surveiller !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Cela concerne notamment 900 000 kilomètres carrés, en particulier en Polynésie et dans la mer de Corail, en Nouvelle-Calédonie.
M. Hervé de Lépinau
Il faut des bateaux pour surveiller la mer !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Ces mesures sont un signal clair supplémentaire : la France assume son leadership mondial et incite d’autres pays à suivre. Cependant, il ne suffit pas d’avoir eu raison une fois : il faut tenir bon, encore et toujours, et ensemble ! Merci encore pour votre parole claire et pour votre exigence. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Ugo Bernalicis
Eh oh, on est là !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
L’écologie n’est pas un confort, c’est une responsabilité et le gouvernement, sous l’autorité du premier ministre, l’assume ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Situation à Gaza
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot
Monsieur le premier ministre, où êtes-vous ? Où est la France ?
Mourir de faim ou mourir d’une balle. Avez-vous vu les images insoutenables des Palestiniens abattus par l’armée israélienne alors qu’ils venaient juste chercher de l’aide alimentaire ? Où êtes-vous ? Que dites-vous ?
Combien de crimes encore allez-vous laisser commettre avant de prendre enfin des sanctions contre l’extrême droite de Netanyahou ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Édouard Bénard applaudit également.) Où êtes-vous ? Que faites-vous ?
La flottille de la liberté, elle, a vogué pour briser le blocus de l’aide humanitaire. (« Des clowns ! » et autres exclamations sur les bancs du groupe RN.) C’est la fierté de la France que l’équipage compte six de nos concitoyens, dont une représentante du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – MM. Stéphane Peu et Alexis Corbière applaudissent également.)
M. Hervé de Lépinau
La croisière s’amuse !
Mme Mathilde Panot
Ils ont fait plus en dix jours que vous en vingt mois – comme les dockers de Marseille qui, en bloquant l’exportation d’armes vers Israël, ont fait honneur à notre pays. Gloire à la flottille de la liberté ! Gloire à Rima Hassan ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hervé de Lépinau
Gloire à Mao Zedong ! Gloire à Staline !
Mme Mathilde Panot
Gloire aux dockers de Marseille ! Gloire aux peuples du monde qui se mobilisent pour le peuple palestinien !
Monsieur le premier ministre, l’arrestation illégale, dans les eaux internationales, d’un équipage ; la détention illégale d’une eurodéputée et de trois de nos concitoyens, depuis trois jours, par un État dirigé par un homme sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, sans un mot de condamnation de votre part, c’est du jamais-vu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Les 45 000 mails de soutien que vous avez reçus vous dérangent plus que le blocus illégal qu’ils dénoncent. Vous manquez à tous vos devoirs, légalement, moralement, diplomatiquement. Et vous n’avez rien à dire quand une parlementaire subit le chantage insupportable la sommant de reconnaître une action illégale qu’elle n’a pas commise !
Vingt mois de génocide, mais vous tergiversez pour reconnaître l’État de Palestine. Vous refusez l’embargo sur les armes et les sanctions contre Israël.
Monsieur le premier ministre, pourquoi protégez-vous Netanyahou plutôt que nos concitoyens et qu’une représentante du peuple ? Pourquoi ne faites-vous rien pour faire respecter notre pays et le droit international ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Un député du groupe Dem
Pas un mot sur le Hamas ! Pas un mot sur les otages ! C’est moralement scandaleux !
Un député du groupe LFI-NFP
Tais-toi ! (Exclamations sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Un député du groupe RN
Quelle violence !
M. Erwan Balanant
On ne peut pas demander à un parlementaire de se taire !
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Madame la présidente Mathilde Panot, il y a deux volets dans votre question. Le premier concerne Gaza. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza est inacceptable et intolérable ; c’est une souffrance, y compris pour ceux qui ont toujours défendu l’existence d’Israël.
Une députée du groupe LFI-NFP
Il faut arrêter de livrer des armes, alors !
M. François Bayrou, premier ministre
La France est un des premiers États à avoir dénoncé cette situation (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) et à travailler aujourd’hui à une réponse effective qui nous permettra d’avancer vers deux États, seul moyen d’obtenir la paix et la sécurité des uns et des autres.
Mme Sarah Legrain
Et les sanctions ? Et l’arrêt des ventes d’armes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Mais on ne peut pas parler de Gaza sans parler du 7 octobre ; on ne peut pas parler de Gaza sans parler de l’assaut et du pogrom que le Hamas a perpétrés ce jour-là.
M. Patrick Hetzel
Très juste !
M. François Bayrou, premier ministre
Pour vous dire le fond de ce que je pense, je crois que ceux qui ont lancé l’assaut du 7 octobre voulaient obtenir la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Patrick Hetzel
Évidemment !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce qu’ils prévoyaient, c’était le caractère inacceptable de ce pogrom, et la réponse inéluctable d’Israël, qui ne pouvait être, dans leur esprit, qu’extrêmement puissante et violente. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Marie Mesmeur
Contre les enfants ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ce qu’ils voulaient obtenir, la vraie cible du Hamas le 7 octobre, c’était la possibilité de faire un jour la paix avec Israël – la paix entre Israël et les Palestiniens, entre Israël et les pays arabes qui l’entourent.
J’en viens au deuxième volet de votre question : la flottille. Je dois vous dire que ces militants ont obtenu l’effet qu’ils voulaient obtenir, mais que c’est une instrumentalisation à laquelle nous ne devons pas nous prêter. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe RN. – M. David Habib applaudit également. – Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous pensons et nous croyons que l’action du gouvernement français à l’égard du gouvernement d’Israël… (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
S’il vous plaît ! Laissez M. le premier ministre terminer sa réponse !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous pensons que c’est précisément par l’action diplomatique et l’effort pour regrouper plusieurs États afin de faire pression sur le gouvernement d’Israël…
Un député du groupe LFI-NFP
Ça ne marche pas !
M. François Bayrou, premier ministre
…qu’on peut obtenir la seule solution possible, et la seule digne. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe LIOT.)
M. Ugo Bernalicis
Vous ne pourrez pas dire dans trente ans que vous ne saviez pas !
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot
Monsieur le premier ministre, vous reprenez les éléments de langage de Netanyahou. Convoquez l’ambassadeur israélien pour exiger une libération immédiate et inconditionnelle ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre
Madame, je ne reprends aucun élément de langage, de qui que ce soit. (« Si ! » et autres exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je prends le seul élément de langage qui nous réunit,…
Mme Mathilde Panot
Une parlementaire française est détenue depuis trois jours !
M. Erwan Balanant
Écoutez-le !
Mme la présidente
Un peu de calme, s’il vous plaît !
M. François Bayrou, premier ministre
…c’est-à-dire le regard des Français sur une situation inacceptable mais instrumentalisée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
Mme Mathilde Panot
Honte à vous ! Cela fait trois jours qu’elle est détenue ! (Exclamations sur divers bancs.)
Mme la présidente
Madame la présidente Panot, s’il vous plaît ! Mes chers collègues, un peu de calme ! (Les députés du groupe LFI-NFP s’exclament, font de la main le chiffre trois et se lèvent pour quitter l’hémicycle. – Exclamations sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem, et HOR. – Quelques députés des groupes RN, EPR et Dem désignent de la main la sortie de l’hémicycle.)
M. Sylvain Berrios
Au revoir !
Mme Mathilde Panot
Cela fait trois jours que des Français sont emprisonnés ! (Exclamations sur divers bancs.)
M. Patrick Hetzel
Rappel à l’ordre ! Sanctions ! Ils créent du tumulte !
Mme la présidente
Si vous quittez l’hémicycle, faites-le dans le calme, s’il vous plaît ! Vous pouvez rejoindre la salle des Quatre Colonnes, si vous le souhaitez. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. – La plupart des députés du groupe LFI-NFP quittent l’hémicycle en vociférant.)
M. Arnaud Le Gall
Et le droit international, alors ? (M. Arnaud le Gall, en bas des travées, interpelle directement M. le premier ministre.)
Mme la présidente
Pensez au spectacle que nous sommes en train de donner !
Merci par ailleurs de bien vouloir respecter le temps de parole de votre collègue Mme Pantel, qui pose la question suivante.
Financement des CIDFF
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Pantel.
Mme Sophie Pantel
Monsieur le premier ministre, « CIDFF en danger » est le titre d’une campagne nationale qui vise à interpeller les médias et le grand public sur la situation des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Une mobilisation des CIDFF est prévue à compter du 23 juin, avec fermeture au public pendant une semaine. Cette mobilisation, inédite, intervient après des mois de discussion avec votre gouvernement afin d’obtenir l’enveloppe manquante, à savoir 5,7 millions d’euros, pour couvrir la convention pluriannuelle d’objectifs. Ces crédits ont pourtant fait l’objet d’une contractualisation sur le programme 137.
De quoi parle-t-on ? Des moyens réels donnés à la politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Les CIDFF sont en danger ; or ce sont les moyens pour lutter contre les violences faites aux femmes – on a compté 140 féminicides en 2024 – et pour agir en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ces moyens servent aux politiques publiques qui justifient l’agrément que donne l’État aux CIDFF.
Sans ce soutien, il y aura des suppressions de postes, des fermetures de permanences ou de services dans nos territoires, au détriment de nos populations ; ce sera donc moins d’accompagnement pour celles et ceux qui attendent d’être protégés par l’État. Le retard de notification et de versement fragilise considérablement les associations, donc le public accueilli.
C’est face à ces constats que le conseil d’administration de la Fédération nationale des CIDFF a décidé à l’unanimité une mobilisation d’ampleur, à la mesure de la gravité de la situation pour ce réseau. L’État va-t-il apporter des réponses concrètes avant le 18 juin, date à laquelle le conseil d’administration lancera cette mobilisation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Vous posez une question importante, qui concerne à la fois notre politique d’égalité entre les femmes et les hommes et notre politique de lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes. Nous connaissons tous le rôle déterminant joué par les CIDFF dans nos territoires.
Nous avons augmenté, vous le savez, la rémunération des travailleurs sociaux – ce que l’on appelle la prime Ségur. C’est une bonne nouvelle, car ils avaient besoin d’être considérés de la même manière que d’autres professions médico-sociales. Mais cela a évidemment posé des difficultés à un certain nombre de centres.
C’est la raison pour laquelle le budget de mon ministère a connu une augmentation significative en 2025 : il dispose désormais d’une enveloppe dédiée de 7 millions d’euros, votée à l’unanimité par le Sénat et conservée par le premier ministre lors du recours à l’article 49.3.
Dans les jours qui viennent, les CIDFF recevront la compensation qui leur permettra de financer la prime Ségur – il s’agira de la compensation dans sa totalité, pas seulement de la part de l’État. Bien évidemment, nous devons nous engager pour que cette compensation soit versée non seulement en 2025, mais aussi dans les années qui viennent. Il s’agit de garantir la pérennité de ces postes, qui sont indispensables dès lors que nous voulons lutter efficacement contre toutes les formes de violences faites aux femmes, singulièrement contre les féminicides, que vous avez évoqués.
Je rappelle ici que cet engagement ne dépend pas d’un seul ministère, ni même des seuls pouvoirs publics, mais de toute la société. Il faut que l’éradication des violences faites aux femmes soit l’affaire de toute la République. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Pantel.
Mme Sophie Pantel
Je vous remercie pour ces annonces relatives aux CIDFF. Je rappelle simplement que la politique d’égalité femmes-hommes est un des trois piliers de l’Union européenne ; c’est une politique qui s’impose à la France et qui est une chance pour la France. Nous resterons vigilants à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Yannick Monnet applaudit également.)
Suppression des ZFE
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Laure Blin.
Mme Anne-Laure Blin
Monsieur le premier ministre, il y a quelques semaines, je vous interrogeais sur l’avenir des zones à faibles émissions.
M. Alexandre Portier
Ce sont des zones de forte exclusion !
Mme Anne-Laure Blin
Depuis, notre assemblée a dit stop, par un vote clair et transpartisan, à cette écologie punitive qui fait bouillir nos territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) En effet, cet acronyme barbare ne renvoie pas à une simple question technique, comme on le croit dans la technocratie parisienne coupée des réalités ; c’est une mesure très concrète qui affecte la vie quotidienne de millions de Français pour qui la voiture est non pas un luxe mais bien une nécessité absolue.
Pourtant, deux membres de votre gouvernement ont remis en cause le vote souverain de la représentation nationale. Les députés sont élus démocratiquement ; ils représentent le peuple français. Votre gouvernement, lui, est nommé ; il est responsable devant l’Assemblée nationale et non l’inverse. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Monsieur le premier ministre, les Français ne supportent plus cette politique du mépris que vous leur envoyez au visage. Si vous ne considérez pas les gueux, avez-vous oublié les gilets jaunes ? Se déplacer serait-il pour vous un tel luxe que ceux qui n’ont ni tramway, ni métro, ni pistes cyclables seraient condamnés à ne pas pouvoir se rendre à la grand-ville ?
Vous me répondrez certainement en invoquant la qualité de l’air, mais connaissez-vous le coût social de cette mesure que vous occasionnez pour nos compatriotes, qui se sentent tellement déconsidérés ? Non, monsieur le premier ministre, les habitants de la France des campagnes, de la France des provinces, ne devraient pas avoir besoin de redoubler d’énergie pour démontrer qu’ils sont des Français comme les autres.
Nous sommes le peuple de France, et le peuple de France a décidé, par la voie de ses représentants, de mettre définitivement fin aux ZFE. Votre gouvernement respectera-t-il la volonté des élus de la nation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et UDR. – M. Matthias Renault applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Je vous remercie d’avoir montré que nous pouvons avoir des nuances ou des désaccords sans forcément hurler ou nous montrer du doigt les uns les autres.
M. Alexandre Portier
C’est l’élégance de la droite républicaine !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
En l’occurrence, la position du gouvernement n’a pas varié. Elle est et sera évidemment respectueuse de la souveraineté parlementaire. La proposition du gouvernement était de revenir à un principe de responsabilité, en faisant confiance aux collectivités locales et aux élus locaux en matière d’application des ZFE.
M. Alexandre Portier
C’est parti dans tous les sens !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
La proposition était, conformément à nos engagements européens, que seules les deux agglomérations où les seuils de pollution sont dépassés, à savoir Paris et Lyon, continuent à appliquer le dispositif.
L’Assemblée nationale a décidé, en effet dans un vote souverain, de le supprimer purement et simplement. Mais l’expression du peuple de France – le ministre des relations avec le Parlement se permet de vous le rappeler – prend corps non seulement dans la position de l’Assemblée nationale mais également dans celle du Sénat. À la fin de cette semaine, quand vous aurez terminé l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique, nous convoquerons une commission mixte paritaire. C’est donc dans la discussion entre députés et sénateurs, sachant que le gouvernement ne siège pas en CMP, que des décisions définitives pourront être prises.
Nous respectons évidemment la position des parlementaires, mais il était sage de pouvoir conserver ce dispositif dans les villes où les seuils de pollution sont régulièrement dépassés. Au cours des dernières années, une nouvelle activité s’est développée dans ces villes – la kinésithérapie respiratoire sur de très jeunes enfants, des bébés. Je sais que vous n’êtes pas insensible à cet argument.
Mme Justine Gruet
Ça a toujours existé !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Aussi, dans ces grandes villes, ce dispositif s’impose. Dans les autres, plus encore dans celles auxquelles vous avez fait référence, les ZFE ne verront pas le jour, sauf si les élus en décident autrement – nous leur faisons confiance pour prendre leurs responsabilités. (M. Philippe Vigier applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Laure Blin.
Mme Anne-Laure Blin
La représentation nationale s’est exprimée d’une voix très claire : nous refusons les ZFE, où qu’elles se trouvent, même à Lyon ou à Paris !
M. Inaki Echaniz
Votre parti ne participe-t-il pas au gouvernement ?
Mme Anne-Laure Blin
L’Assemblée a voté en ce sens. Je vous rappelle que la France n’est responsable que de 0,9 % des émissions mondiales de CO2 ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme Delphine Batho
Aucun rapport !
M. Alexandre Portier
L’exécutif exécute !
Conférence des Nations unies sur l’océan
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Louis Roumégas.
M. Jean-Louis Roumégas
Je reviens de Nice où se tient la conférence des Nations unies sur l’océan. La France aurait pu saisir cette occasion pour mettre ses aires marines protégées de l’Hexagone en conformité avec les recommandations scientifiques et les objectifs internationaux.
Au lieu de cela, nous avons eu droit à des discours et à une manipulation des chiffres.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. Jean-Louis Roumégas
Vous nous avez présenté une carte bidon, qui ne change rien. Toutes les ONG s’accordent sur ce point : pour l’essentiel, la prétendue extension des zones protégées, les fameux 4 %, c’est de la poudre de perlimpinpin, puisque le chalutage de fond y était déjà interdit ! On nage en plein greenwashing devant le monde entier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Mathilde Feld applaudit aussi.)
Quels sont les vrais chiffres ? Nous voulons de la transparence : avec qui avez-vous conçu cette carte qui ne protège rien de plus que ce qui l’est déjà ? Pas avec les ONG ni avec les scientifiques ! La protection à la française n’est même pas conforme aux normes internationales : ce n’est pas uniquement le chalutage qu’il faut interdire dans les zones protégées, mais toutes les méthodes de pêche destructrices !
Votre carte ne satisfait que les lobbys de la pêche industrielle, qui menacent et intimident, comme le montre le vandalisme qu’a subi le domicile de Claire Nouvian. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
Emmanuel Macron dit n’avoir de leçon d’écologie à recevoir de personne : je crains qu’il se trompe. Le Royaume-Uni vient de lui en donner une en interdisant le chalutage de fond dans 50 % des aires protégées anglaises. (Mme Cyrielle Chatelain applaudit.)
N’y a-t-il personne pour me répondre ?
Mme la présidente
J’allais dire que la parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement
Ma collègue Agnès Pannier-Runacher aurait aimé vous répondre car les annonces faites par le président de la République dans le cadre de l’Unoc sont l’aboutissement du travail qu’elle a mené en partenariat avec toutes les parties prenantes, dont les ONG et les scientifiques. Elles témoignent de son engagement déterminé en faveur de la protection des océans, aux côtés du président de la République et sous l’autorité du premier ministre.
Ces annonces sont fortes, notamment celles qui concernent les aires marines protégées. Nous déployons une stratégie cohérente de protection des fonds marins. Vous avez évoqué le chalutage de fond : c’est un sujet important mais ce n’est pas le seul. D’autres sources de pression sur les fonds marins sont moins médiatisées, mais tout aussi réelles. Pour notre part, nous nous intéressons à toutes ces problématiques – au chalutage, plus généralement à la pêche, au nautisme, à l’extraction minière et même aux pollutions d’origine terrestre. Nous nous appuyons donc bien sur la science : c’est technique, exigeant et pas toujours médiatique, mais nécessaire pour atteindre les résultats qu’attendent nos concitoyens.
En réalité, le chalutage de fond est déjà interdit dans 50 % des eaux hexagonales et, dans 97 % des eaux territoriales, il n’est pas pratiqué. Ce sont des faits !
Dans le même temps, en Polynésie française, nous créons la plus grande aire marine protégée du monde, qui englobe la plus grande aire strictement protégée au monde – un bijou de biodiversité.
De même, nous avons obtenu que quatre-vingt-seize pays signent une déclaration commune en faveur d’un futur traité ambitieux contre les plastiques, à la hauteur des connaissances scientifiques et des attentes de nos concitoyens.
Certes, il est toujours possible de progresser, de s’améliorer – c’est un état d’esprit sain. Les acteurs avec lesquels nous travaillons ne manquent pas de nous le rappeler. Mais pourquoi proférer des mensonges ? Cela ne rend pas service à nos océans. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Louis Roumégas.
M. Jean-Louis Roumégas
Vous noyez le poisson, si j’ose dire. (Applaudissements et sourires sur les bancs EcoS.) Vous n’avez pas donné de réponse précise à la question posée, qui portait sur les aires marines protégées hexagonales. L’ONG Bloom a produit une carte qui montre que les zones que vous prétendez protéger le sont déjà ! C’est le statu quo. Tout Nice bruisse de ce mensonge d’État : vous abîmez l’image de la France à l’international. Voilà la vérité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. Philippe Gosselin
C’est modéré !
Accès des mineurs aux sites pornographiques
Mme la présidente
La parole est à Mme Louise Morel.
Mme Louise Morel
Il y a quelques jours, plusieurs sites pornographiques ont annoncé se retirer du territoire numérique français. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
M. Fabien Di Filippo
La France, tu l’aimes ou tu la quittes !
Mme Louise Morel
Cette décision est entièrement de leur fait : si ces sites quittent notre territoire, ce n’est pas en raison d’une censure arbitraire mais parce qu’ils refusent de se conformer à une loi adoptée dans cet hémicycle. Cette loi, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteure, avec mes collègues Paul Midy, Denis Masséglia, Anne Le Hénanff et Mireille Clapot, impose aux plateformes pornographiques de vérifier l’âge de leurs utilisateurs – une mesure de bon sens.
Rappelons les chiffres : en France, un mineur sur trois consulte un site pornographique au moins une fois par mois et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des contenus pornographiques.
Faut-il encore souligner une évidence ? Ce qui est interdit aux mineurs dans la rue, dans les écoles et dans nos foyers, devrait l’être tout autant dans l’espace numérique. L’exposition précoce à des contenus pornographiques violents entraîne des souffrances chez les enfants : troubles du développement, addiction, banalisation de la violence sexuelle, notamment envers les femmes, reproduction de schémas toxiques, voire criminels.
Mme Anne-Laure Blin
Exactement !
Mme Louise Morel
Ces plateformes diffusent en toute impunité des contenus où se mêlent viols, inceste, actes de torture, humiliations extrêmes.
Là où d’autres pays ont flanché – Royaume-Uni, Australie, plusieurs États américains –, nous avons tenu bon. Car en France, ce ne sont pas les plateformes qui font la loi. Mais il nous faut aller plus loin et agir en Européens.
Madame la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, face aux pressions de ces acteurs qui pensent pouvoir dicter leurs propres règles, je vous pose deux questions : que faites-vous pour que cette mesure ne puisse pas être contournée et qu’elle reste efficace ? Comment la France entend-elle soutenir cette forme de protection des mineurs au niveau européen afin qu’elle y devienne un modèle et une exigence partagée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique
Ces sites ont décidé de ne plus être accessibles depuis la France : ils ne veulent pas respecter nos lois, ni respecter nos enfants. Mais personne n’est au-dessus des lois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
L’adoption de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a fait suite à un combat extrêmement long mené par les associations, mes prédécesseurs – Jean-Noël Barrot et Marina Ferrari – et vous, ici, au Parlement. Vous avez envoyé un message très simple : qu’un garçon de plus de 10 ans sur deux et une fille du même âge sur trois puissent avoir accès à des contenus pornographiques en cliquant sur un bouton, c’est fini ! Cela fait plus de trente ans que ce type de contenus est interdit aux enfants ; les sites doivent respecter leurs obligations.
On nous a dit que ce serait impossible, mais les solutions existent. Certains sites les utilisent et se conforment ainsi à nos lois. Si les autres ne veulent pas respecter nos lois ni protéger nos enfants, qu’ils s’en aillent ! (M. Laurent Croizier applaudit.)
Nous continuerons à mener ce combat en Européens. Ce n’est pas l’Europe qui est en retard, c’est la France qui a été en avance. Je sors d’une réunion du Conseil européen, et je vous assure que tout le monde nous regarde avec fierté.
La liberté des adultes de consommer de tels contenus ne doit pas s’exercer au détriment des enfants. Ces plateformes mentent et cherchent à intimider en affichant sur leur site que la nouvelle législation nous donnerait accès aux données de nos concitoyens, qui ont tout à fait le droit de consommer ces contenus s’ils sont majeurs. C’est faux, c’est un mensonge ! Si ces sites souhaitent continuer d’utiliser ces méthodes pour se faire de l’argent sur le dos de nos enfants, nous leur intimons de s’en aller ! Ils comptaient peut-être frapper à la porte de l’Union européenne pour trouver d’autres pays plus accommodants. Mais l’Europe répond aussi à l’appel, en empruntant la voie de la France.
Le numérique, c’est formidable, mais à ceux qui refusent de respecter nos lois, je dis « bon vent ! » (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs des groupes DR et LIOT. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
Rassemblement des extrêmes droites européennes dans le Loiret
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy
Laissez-moi vous citer les propos de quelques hommes politiques européens : « Nous ne laisserons pas […] violer nos filles et nos femmes », déclarait Viktor Orbán ce lundi à propos des migrants ;…
M. Thomas Ménagé
Qu’est-ce que c’est scandaleux, dites donc !
Mme Constance de Pélichy
…« On ne peut pas considérer les urgences comme la solution à un mode de vie non civilisé », affirmait Matteo Salvini à propos de l’IVG il y a quelques mois ; « À l’égard de la démocratie, nous avons une position plutôt sceptique », confiait Krzysztof Bosak ; « Le réchauffement climatique est la plus grande escroquerie de l’histoire », proclamait Santiago Abascal ; « Si vous êtes noir, repartez ! », enjoignait enfin Martin Helme.
Suis-je la seule à être choquée par ces propos ? (« Non ! » sur plusieurs bancs des groupes LIOT, EPR, SOC, DR, EcoS, Dem, et GDR.)
Qu’ont en commun toutes ces personnes, outre le fait qu’elles bafouent nos valeurs démocratiques, républicaines et européennes ? Elles s’exprimaient ce lundi dans le Loiret, mon département, dans le cadre du rassemblement de l’extrême droite européenne organisé par Marine Le Pen. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, EPR, SOC, EcoS, Dem, HOR et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
J’en profite pour rappeler que le Loiret n’est pas une terre d’extrême droite.
M. Thomas Ménagé
Vous avez été élue par LFI !
Mme Constance de Pélichy
Cet événement a le mérite de la clarté : le RN nous rappelle qu’il cautionne les thèses racistes,…
M. Philippe Gosselin
Le mot est lâché, les masques tombent !
Mme Constance de Pélichy
…discriminatoires, qu’il nie le réchauffement climatique, qu’il est contre les femmes, qu’il promeut un pouvoir autoritaire, qu’il est anti-UE et qu’il sert la propagande pro-Poutine ! (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Gosselin
Eh oui !
Mme Constance de Pélichy
On est loin du discours sans aspérités tenu ces derniers mois ! D’ailleurs, Mme Le Pen y a salué la « valeureuse Hongrie » d’Orbán, qui muselle sa presse, ses universitaires et sa justice, et qui est ouvertement homophobe, anti-IVG, xénophobe et pro-Kremlin ! (Mêmes mouvements.)
M. Matthias Renault
On est en démocratie !
M. Erwan Balanant
Vous assumez ? Les masques tombent !
M. Philippe Gosselin
Elle a bon dos, la démocratie !
Mme Constance de Pélichy
Que dire, monsieur le premier ministre, du silence assourdissant de ce gouvernement ? Qu’attendez-vous pour dénoncer les propos tenus lundi ?
Se taire, c’est cautionner ; c’est fragiliser durablement notre pacte républicain ; c’est renier notre devise – Liberté, Égalité, Fraternité. (Les députés des groupes LIOT, EPR, SOC, EcoS, Dem et GDR se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR, dont plusieurs députés se lèvent également.)
M. Jean-Philippe Tanguy
C’était nul !
Mme la présidente
Je vous en prie, un peu de tenue !
M. Philippe Gosselin
Soyez un peu plus modeste et humble !
M. Jean-Philippe Tanguy
C’était même très nul !
M. Erwan Balanant
C’est toi qui es nul !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement
Liberté, Égalité, Fraternité ne sont pas de simples mots gravés sur le fronton de nos mairies ; ce sont les biens les plus précieux de notre République, les pierres angulaires sur lesquelles se fondent toutes les politiques publiques que nous menons sous l’autorité du premier ministre. Comme vous, ce gouvernement y est profondément attaché. C’est au nom de ces principes que nous agissons chaque jour, afin de garantir les libertés individuelles et collectives, de construire ensemble une société plus juste, plus solidaire et plus fraternelle, et de faire vivre partout l’idéal républicain.
Je ne peux donc pas laisser dire, ni même laisser penser, que ce gouvernement cautionnerait d’une quelconque manière des propos ou des comportements qui porteraient atteinte aux droits fondamentaux, au respect de la démocratie, aux valeurs de la République ou aux engagements pris en matière de transition environnementale.
M. Inaki Echaniz
Ça va quand même mieux en le disant !
M. Philippe Gosselin
Ce n’est pas ce qui est reproché au gouvernement !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Nous sommes clairs et cohérents : il ne peut y avoir de compromis avec les principes fondateurs de la République française. (M. Thomas Ménagé s’exclame.) Toute parole publique, tout arbitrage politique doit s’inscrire dans le respect absolu de cette devise qui nous unit et nous engage tous : Liberté, Égalité, Fraternité.
Je le dis avec gravité et conviction : ce gouvernement ne s’écarte pas de cette boussole républicaine et il ne s’en écartera jamais. Nous condamnons les propos que vous venez de rapporter. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Difficultés du prêt-à-porter français
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland.
Mme Anne-Cécile Violland
Le prêt-à-porter français traverse une crise profonde. Entre 2023 et 2024, plus de quinze enseignes ont été placées en redressement ou en liquidation judiciaire, emportant avec elles des milliers d’emplois et entraînant la fermeture de centaines de points de vente sur nos territoires – plus de 35 000 emplois ont été supprimés en dix ans.
C’est tout un modèle économique qui vacille, fragilisé par la hausse des coûts de production, la baisse du pouvoir d’achat, la mutation des modes de consommation et la concurrence grandissante de la mode express et ultraexpress, dont l’impact dépasse largement la seule question climatique.
Hier, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, défendue par le groupe Horizons & indépendants auquel j’associe mon collègue Antoine Vermorel et toutes les filières de la mode. Je salue l’engagement des sénateurs : ils ont mené un travail rigoureux et constructif sur ce texte qui apporte une réponse concrète à une triple urgence – écologique, économique et sociale.
Je remercie la rapporteure, Sylvie Valente-Le Hir et le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, d’avoir maintenu l’examen du texte. Je remercie également pour leur soutien fort les ministres Agnès Pannier-Runacher et Véronique Louwagie et, l’an dernier, Christophe Bechu.
Grâce à un travail constructif des deux chambres et à l’engagement du gouvernement, la France est devenue un fer de lance sur ce sujet – comme elle a pu l’être sur le principe du pollueur-payeur – pour légiférer et inspirer le travail européen.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser la position de la France dans le cadre des négociations européennes sur la taxe des petits colis de provenance extraeuropéenne ? Pouvez-vous également détailler l’ambition que vous entendez promouvoir pour rétablir des conditions de concurrence équitables et protéger les filières industrielles françaises, en particulier la filière textile ?
Au-delà du cadre européen, le gouvernement est-il enfin prêt à lancer une initiative internationale en faveur d’une révision des tarifs postaux mondiaux afin de mettre fin aux avantages indus dont bénéficient encore certains pays – tels que la Chine – au détriment de notre production nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.– M. Vincent Jeanbrun et Mme Liliana Tanguy applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire
Je partage votre constat et je veux vous remercier de votre engagement sur ce sujet. Le secteur textile français connaît effectivement de graves difficultés dont témoignent les fermetures d’enseignes que vous avez évoquées. Notre commerce souffre d’un certain nombre de pratiques industrielles et commerciales, émanant de plateformes étrangères, qui s’apparentent à de la concurrence déloyale.
Ces pratiques ont des répercussions au niveau environnemental – l’impact du fret aérien est cent fois plus important que celui du fret maritime – et au niveau économique : nos commerces ferment et la vitalité de nos centres-villes en pâtit. Je rappelle que le chiffre d’affaires de l’enseigne Kiabi – dont les trois cent cinquante points de vente participent à la vie de nos territoires – ne dépasse pas celui d’une plateforme étrangère.
Il est temps d’agir !
Vous avez évoqué la proposition de loi adoptée hier au Sénat : elle prévoit un malus sur le textile fast fashion par le biais d’une taxe de 2 à 4 euros sur les colis.
Au niveau européen, ma collègue Amélie de Montchalin travaille avec ses homologues pour réviser le dispositif d’exemption des droits de douane jusqu’à 150 euros et revoir les tarifs douaniers au travers des frais de gestion.
J’ai demandé à la DGCCRF de tripler les contrôles sur les articles prélevés et de contrôler toutes les plateformes étrangères à 360 degrés.
Enfin, une étude est en cours pour appliquer dès 2026 des frais de gestion destinés à financer la régularité et la conformité des articles et de tout ce qui participe à leur contrôle.
Interception de la flottille Madleen
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
Ce lundi, un navire humanitaire qui tentait de briser le blocus humanitaire de Gaza – le Madleen – a été arraisonné par les forces de sécurité israéliennes. À son bord, douze personnes, dont six ressortissants français.
Cette interception dans les eaux internationales, qui constitue une violation grave du droit international, n’a toujours pas été condamnée par la France. J’apporte le soutien de mon groupe à l’équipage, dont nous demandons la libération immédiate et sans condition. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Que cherchent à exprimer les autorités israéliennes en agissant de la sorte ? Le message est clair : le blocus continuera ; l’aide humanitaire, pourtant vitale, ne franchira pas les frontières de Gaza.
Gaza, affamée, asphyxiée où, selon l’Unicef, plus de 15 000 enfants ont déjà péri ; Gaza, dont chaque jour les images nous bouleversent et, parmi elles, hier encore, celles de Palestiniens abattus alors qu’ils tentaient d’accéder à une aide humanitaire.
Israël, enfermé dans une logique coloniale, piétine le droit international : les crimes de guerre, l’apartheid, le nettoyage ethnique se poursuivent, inexorablement, jusqu’au gouffre d’un génocide.
Face à cela, la réaction des plus hautes autorités de l’État n’est pas à la hauteur. C’est pourquoi la société civile, par l’intermédiaire de la flottille ou des dockers de Marseille– qui ne supportent plus cette inaction –, tente par tous moyens de briser un blocus meurtrier et de mettre fin aux livraisons d’armes de la France à Israël.
À l’heure où l’on comprend que, sous les pressions, le président de la République s’apprête à reculer sur la promesse, faite lors de la conférence de New York, d’une reconnaissance de l’État palestinien, je n’aurai qu’une question : quand la France saura-t-elle trouver le courage d’une diplomatie ferme, respectueuse du droit des nations, au service de la paix entre les peuples ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS et sur plusieurs bancs du groupe Dem.– Mme Martine Froger applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
En premier lieu, puisque votre question m’y invite, je voudrais rendre hommage aux agents du ministère des affaires étrangères : ils ont admirablement géré la situation difficile de nos six ressortissants qui tentaient de gagner Gaza par bateau en les alertant sur les risques auxquels ils s’exposaient, en interpellant en amont les autorités israéliennes pour prévenir tout incident, enfin, en se tenant à leurs côtés depuis leur arrivée sur le territoire israélien. Le consul général s’est entretenu avec les quatre ressortissants qui, ayant refusé de signer les papiers permettant leur expulsion, donc leur retour en France, sont encore présents sur place.
Tout cela, les agents du ministère l’ont fait en dépit de la vacuité de cette opération de communication. Ils l’ont fait alors que, sous l’impulsion de certains irresponsables, le centre de crise et de soutien du ministère, mes équipes et moi-même avons été harcelés, submergés par des milliers, des dizaines de milliers de mails et alors qu’eux-mêmes, agents du ministère des affaires étrangères, ont été diffamés et calomniés par ces mêmes irresponsables.
M. Bruno Bilde
Quelle honte !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Rien de tout cela ne sert la cause des Palestiniens ou la sécurité de nos six compatriotes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Vous soulevez la question de la légalité de l’arraisonnement de ce bateau en mer : c’est une question légitime dont je comprends qu’elle puisse avoir une importance fondamentale pour vous. Il appartiendra aux juridictions de la trancher lorsqu’elles auront tous les éléments en mains mais la priorité doit être le cessez-le-feu immédiat, (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC) la libération de tous les otages du Hamas et l’accès immédiat, sans entrave et massif de l’aide humanitaire à Gaza pour abréger les souffrances des populations civiles.
Les gesticulations de Mme Rima Hassan (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR et Dem) et son instrumentalisation de la souffrance des Gazaouis ne concourent en rien et d’aucune manière à atteindre ces objectifs. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR et sur quelques bancs des groupes RN et Dem.)
M. Philippe Gosselin
C’est de la mise en scène !
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2.
Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales
sur le Printemps de l’évaluation
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat consacré à la restitution des travaux sur le Printemps de l’évaluation.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Si nous sommes peu nombreux cet après-midi dans l’hémicycle, c’est sans doute que nous avons perdu l’habitude de discuter de ces questions. En effet, un débat sur les travaux relatifs au Printemps de l’évaluation était prévu en juin 2024 mais, comme vous le savez, en raison de la dissolution de l’Assemblée, il n’a pu avoir lieu.
L’Assemblée nationale a été fondée au moment de la Révolution française sur des questions budgétaires. Il fallait en effet décider de l’usage de l’argent public. Or, depuis trois ans, les députés n’ont pas voté le budget de l’État : trois ans, trois 49.3.
Ce n’est pas tout. Non seulement l’Assemblée est privée de vote du budget mais, en plus, les budgets imposés par les gouvernements ne sont pas sincères. On nous impose en effet un premier texte – déjà peu réjouissant – mais celui-ci se trouve ensuite défiguré par les gels, puis par les annulations de crédits. Cela s’est passé en 2024, nous l’observons déjà en 2025 et cela risque de se reproduire en 2026.
La commission des finances, que je préside, auditionne depuis un mois chaque ministre. Ce temps fort de la démocratie parlementaire et budgétaire qu’est le Printemps de l’évaluation a malheureusement été marqué par une faible mobilisation des députés lors des auditions. Je le regrette. Peut-être faut-il s’interroger sur le format de ce rendez-vous – nous devrons en tout cas réfléchir à cette question.
Je note cependant un point positif : ce cycle d’auditions a permis d’entendre de nombreux membres du gouvernement à propos de l’exécution du budget de l’an dernier qui avait fait l’objet d’annulations massives de crédits en cours d’exercice.
J’aimerais à présent citer les propos, guère rassurants pour les mois à venir, de certaines personnes auditionnées.
Selon le ministre des outre-mer, il faut « incontestablement être vigilant » en 2025.
La ministre du logement, elle, a déclaré à propos de MaPrimeRénov’ que 2025 serait « une année charnière ». Au vu de l’actualité, il faut reconnaître que c’était le moins que l’on puisse prédire – 2025 est même une année couperet.
Le ministre des affaires étrangères a dit, à propos du nombre d’emplois dans la diplomatie, que « notre trajectoire […] a déjà été tronquée ou a dû être tronquée substantiellement en 2025 […].
Le ministre de l’enseignement supérieur et la recherche a déclaré, à propos des « choix budgétaires pour 2024 comme pour 2025 » que « les contraintes budgétaires en [avaient] nécessairement réduit un peu les ambitions ».
La ministre de la culture a reconnu, à propos de l’audiovisuel public, que des « ajustements […] [s’imposaient] du fait de la trajectoire dégradée des finances publiques ».
La ministre chargée de la ville a déclaré à propos des quartiers populaires que « l’année 2025 [s’annonçait] aussi complexe ».
Tous ces propos, certes diplomatiques, donnent une idée de l’opinion que partagent certains ministres. Lorsqu’on les entend, on peut s’inquiéter d’une tendance qui semble s’installer : la présentation de budgets qui non seulement ne sont plus votés mais qui sont aussi trompeurs puisqu’on les modifie quelque temps après leur présentation.
Je mets donc en garde : attention aux apprentis sorciers qui veulent encore diminuer les budgets de l’État alors que, comme le confirment les auditions, ils sont déjà à l’os. Il a été demandé aux ministères de faire remonter les dépenses prévues en 2026. Or, d’après nos informations, cette méthode n’a pas produit l’effet escompté : on m’a expliqué que les chiffres, y compris s’agissant des personnels, étaient plutôt en hausse. Je lance aussi cet avertissement : à force d’ignorer sciemment les besoins de la population, le gouvernement prend des risques inconsidérés.
J’en reviens aux chiffres de 2024, qui ont fait l’objet du cycle d’auditions du Printemps de l’évaluation. L’audition des différents membres du gouvernement a permis de pointer les décalages importants entre un budget théorique, imposé par 49.3, et la réalité des moyens alloués, nettement inférieurs.
C’est notamment le cas s’agissant de l’ensemble des moyens alloués à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui ont fortement baissé en cours d’année, passant de 32,3 milliards d’euros prévus à 31,5 milliards en réalité. Ce sont donc 800 millions qui ont été retirés aux universités et aux chercheurs en cours d’année. Je note que cette baisse se poursuit en 2025 puisque le montant actuel s’élève à 30,8 milliards, n’en déplaise au ministre Baptiste qui, lors de son audition, n’a pas souhaité, semble-t-il, rendre de comptes sur ce point, alors que son ministère est chef de file de la mission interministérielle et concentre une très grande part de ces crédits.
Nous pourrions continuer longtemps ainsi : la baisse de crédits en cours d’année 2024 est de 714 millions pour la politique du logement, de 604 millions pour l’enseignement scolaire, de 335 millions pour la justice, de 248 millions pour l’agriculture ou encore de 115 millions pour la culture et l’audiovisuel public.
Cependant, les auditions du Printemps de l’évaluation devraient être consacrées non seulement aux dépenses mais également aux recettes, en particulier au problème causé par la politique de l’offre et surtout par la nouvelle politique fiscale menée depuis 2017. Celle-ci conduit, vous le savez, à une perte de 60 milliards d’euros de recettes par an pour l’État, malheureusement surtout au bénéfice des ultrariches et des très grandes entreprises et au détriment de la grande majorité des Français.
Cette situation est aggravée par une inflation en berne qui, après 2,3 % en 2024, devrait, en 2025, être « particulièrement basse à 1,3 % en raison du reflux des prix des services et de l’électricité » selon la Banque de France, qui poursuit : « En 2026 et 2027, l’inflation totale resterait modérée à 1,6 % et 1,9 % respectivement ».
Mme la présidente
Monsieur le président, il faut conclure.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Quand les prix augmentent moins vite, les recettes baissent, notamment s’agissant des rentrées de TVA. Je crains fort que cette politique entraîne des baisses de recettes globales. Dès lors, le budget 2026 devra sûrement se construire sur des sables mouvants.
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
J’aimerais aborder deux points. Premièrement, le Printemps de l’évaluation est un exercice très important dans un contexte budgétaire particulièrement préoccupant. Vous le savez tous, au moment où cette évaluation intervient, la situation des finances publiques est marquée par une gravité inédite, qu’il s’agisse de l’endettement public ou de la trajectoire déplorable du déficit de l’État. Ces dérives trouvent leur origine dans des sous-jacents macroéconomiques et des prévisions de recettes erronés mais aussi dans un pilotage budgétaire imparfait.
Par ailleurs, le budget ayant été considéré comme adopté à la suite du recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, nous avons évalué, durant ce Printemps – comme d’ailleurs en 2023 – des crédits que nous n’avions pas votés. Or ce rendez-vous doit permettre au Parlement d’évaluer les politiques publiques et de contrôler l’action du gouvernement, en vertu de l’article 24 de la Constitution.
Enfin, ce moment doit permettre d’anticiper le projet de loi de finances pour 2026 pour lequel, nous l’espérons, le Parlement pourra enfin se prononcer par un vote. Nous pouvons regretter que les réponses des ministres n’aient pas toujours été satisfaisantes – même si certains ont joué le jeu – et que la nouvelle organisation des auditions, échelonnées sur près de deux mois, ait quelque peu dilué l’exercice.
J’en viens à mon deuxième point. J’aimerais revenir sur certains thèmes abordés lors des auditions des ministres et de la présentation des travaux des rapporteurs spéciaux.
J’évoquerai tout d’abord la mission Sécurités. D’une part, les crédits relatifs aux heures supplémentaires dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris n’avaient pas été anticipés en loi de finances initiale, ce qui nous interroge sur la rigueur de programmation budgétaire pour un événement de cette ampleur. En effet, le montant de ces crédits, non budgétés, a atteint 800 à 900 millions.
D’autre part, les événements de Nouvelle-Calédonie ont conduit à la mobilisation de crédits exceptionnels en gestion – mais, contrairement aux Jeux, ces dépenses n’étaient pas prévisibles.
Les crédits de la mission ont donc été fortement mis sous tension en 2024. Cette situation met en lumière l’importance d’un strict respect de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), notamment en matière et de sincérité et de soutenabilité budgétaire, comme le rappelle d’ailleurs la note d’analyse de l’exécution budgétaire (la NEB) de la Cour des comptes.
Il est intéressant de se pencher également sur la mission Justice. La gestion des crédits d’investissement réclame la plus grande vigilance. S’agissant de la gestion immobilière et du programme de création de places en détention, 656 millions de crédits d’investissement ont été annulés par la loi de fin de gestion. Selon le ministre, de telles annulations, fréquentes, sont par ailleurs compensées par le projet de développement de structures pénitentiaires modulaires du ministre de l’intérieur. Permettez-moi toutefois de souligner le montant exceptionnel de ces annulations en 2024 et de noter que les crédits d’investissement du ministère de l’intérieur ne sauraient se substituer à ceux du ministère de la justice. Il est donc nécessaire d’améliorer l’exécution budgétaire en sanctuarisant les crédits d’investissement structurants.
En matière de gestion des ressources humaines, des difficultés persistent s’agissant de la question des sous-effectifs. Plusieurs leviers doivent être activés sans délai, notamment des dispositifs d’incitation financière au recrutement et à la mobilité, mais il faut également mener une réflexion approfondie sur l’évolution statutaire afin de mieux répondre aux exigences contemporaines du service public de sécurité.
Enfin, l’audition de Mme la ministre du logement a permis de revenir sur la récente réforme du prêt à taux zéro (PTZ). Supprimé en 2024 et rétabli en février dernier, celui-ci a bénéficié, selon la ministre, à plus de 45 000 ménages en 2025, ce qui témoigne de son efficacité en matière d’accession à la propriété. Dans cette perspective, les débats sur le PLF pour 2026 reviendront sans aucun doute sur les conditions et le zonage du dispositif. La persistance de la crise du logement appelle en effet à une mobilisation accrue des leviers budgétaires et fiscaux. Nous attendons avec impatience les conclusions de la mission d’information parlementaire confiée à nos collègues Mickaël Cosson, député, et Marc-Philippe Daubresse, sénateur, qui nourriront notre réflexion sur le sujet. En la matière, vous le savez, je soutiens la création d’un statut du propriétaire-bailleur, idée qui a d’ailleurs fait l’objet d’une proposition de loi.
Le Printemps de l’évaluation constitue donc non seulement un outil essentiel du contrôle parlementaire mais aussi un levier d’anticipation dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2026. Il met en lumière l’enjeu central d’une meilleure efficacité de la dépense publique, du point de vue tant de l’exécution que des performances politiques menées. Il apparaît plus urgent que jamais de progresser en matière de gestion des finances publiques afin d’assurer la soutenabilité budgétaire et la crédibilité de l’action de l’État.
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
La loi de 2022, qui réforma le cadre d’examen de lois de financement de la sécurité sociale, est venue consacrer un exercice inauguré dès 2019 et qui consiste à évaluer, chaque printemps, les lois de financement de la sécurité sociale lors de plusieurs séances en commission. En 2024, ce rendez-vous avait été annulé en raison de la dissolution. Par conséquent, je me réjouis que nous ayons pu renouer cette année avec le Printemps social de l’évaluation.
Comme de coutume, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) y a pris toute sa part. Je veux donc remercier ses coprésidents, Jérôme Guedj et Cyrille Isaac-Sibille, mais aussi notre rapporteur général de la commission des affaires sociales, Thibault Bazin, ainsi que tous les rapporteurs, pour leur participation active. Je remercie également les directeurs généraux des caisses nationales de sécurité sociale et les représentants des administrations centrales qui ont pris part aux réunions de la commission.
Cette confrontation, en toute transparence, a été utile et fructueuse afin d’éclairer les législateurs que nous sommes concernant nos deux autres missions constitutionnelles : contrôler l’application de la loi et évaluer les politiques publiques, ce qui est plus que jamais nécessaire au vu des interrogations que peuvent susciter certaines de nos politiques sociales et la situation de nos comptes sociaux.
Comme chaque année, nous nous sommes efforcés d’évaluer des dispositions de la LFSS intéressant toutes les branches de la sécurité sociale, au cours de trois séances qui se sont achevées ce matin même. Je vais maintenant présenter rapidement quelques-unes des conclusions et recommandations qui en sont issues, hélas trop succinctement compte tenu du temps qui m’est imparti.
S’agissant de la branche maladie, Jean-François Rousset et Yannick Monnet ont évalué l’article 51 de la LFSS pour 2020, concernant les aides financières à l’installation des jeunes médecins. Ils estiment indispensable de disposer à l’avenir d’une vision consolidée de l’ensemble des montants versés pour favoriser l’exercice médical dans les zones sous-dotées. Ils considèrent que la question des aides financières à l’installation doit être posée dans le cadre plus large de l’étude d’un renforcement de la politique d’attractivité des territoires, d’un retour des services publics de proximité et d’un pilotage renforcé de l’offre de soins. Ils plaident donc pour une plus grande efficience et pour une clarification de la gouvernance des aides financières, en laissant notamment à la négociation conventionnelle le soin de fixer le droit commun des aides directes.
Concernant la branche autonomie, Thierry Frappé et Annie Vidal ont évalué l’article 47 de la LFSS pour 2022, relatif aux Ehpad centres de ressources territoriaux. Ils déplorent que leur montée en puissance ait été plus lente que prévu et que leur ambition ne paraisse pas à la hauteur des enjeux démographiques. Ils invitent donc à réinterroger la cohérence d’ensemble de la stratégie domiciliaire au regard de ces évolutions démographiques.
Eu égard aux branches famille et vieillesse, Farida Amrani et Cyrille Isaac-Sibille ont évalué l’article 98 de la LFSS pour 2023, relatif aux procédures de sanction administrative en cas de fraude aux prestations. Ils font apparaître les difficultés d’application de cette mesure et l’insuffisance du suivi statistique du contentieux. Ils proposent de relever le seuil de passage devant la commission des pénalités ainsi que le délai entre la saisine de la commission et le rendu de son avis. Ils appellent à la vigilance quant aux outils de traitement des données et à une distinction claire entre ce qui relève de la fraude et ce qui tient de l’erreur de bonne foi, afin de réduire les différences de pratiques entre caisses.
Enfin, quant à la branche accidents du travail/maladies professionnelles, Hadrien Clouet et Cyrille Isaac-Sibille – décidément mis à pied d’œuvre ces dernières semaines – ont évalué l’article 17 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023, prévoyant la création du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu). Constatant qu’en raison d’une demande trop timide, le fonds a consommé à peine 30 % des crédits disponibles en 2024, ils proposent de fluidifier ses décaissements. Ils souhaitent que soient développées les statistiques de sinistralité à l’échelle des métiers ainsi que les actions de sensibilisation qui permettent d’améliorer la prise de conscience des risques et la modification des comportements.
En conclusion, je tiens à insister sur une dimension capitale de ce travail, car le contexte politique actuel accentue la signification qu’elle revêt : conformément aux modalités de fonctionnement qui ont toujours été celles de la Mecss et que sa coprésidence incarne, toutes ces évaluations ont été réalisées par des binômes issus des trois blocs politiques qui structurent notre assemblée. Je veux voir dans cette manière de faire et dans les conclusions constructives et les propositions partagées à l’issue de ces quatre évaluations l’illustration de notre capacité de faire émerger ensemble des réponses aux nombreux défis auxquels est confronté notre modèle de protection sociale. Puissent cet état d’esprit et ces résultats inspirer nos discussions de l’automne !
Mme la présidente
La parole est à M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
Je me réjouis de présenter dans cet hémicycle les travaux que la commission des affaires sociales a menés dans le cadre du Printemps social de l’évaluation. Comme vous le savez, l’édition 2024 des Printemps de l’évaluation a été percutée, à l’instar de tous les travaux parlementaires, par la dissolution malvenue annoncée par le président de la République le 9 juin 2024. De ce fait, certains travaux pourtant très intéressants n’avaient pas pu être présentés devant notre assemblée. Je salue donc le choix effectué par la Mecss de les réinscrire à son programme de travail.
Il en va ainsi de l’évaluation menée par nos collègues Farida Amrani et Cyrille Isaac-Sibille sur la nouvelle procédure de sanction administrative en cas de fraude instaurée dans les branches vieillesse et famille ou de celle qui examine le déploiement des Ehpad centres de ressources territoriaux, dont les rapporteurs étaient Thierry Frappé et Monique Iborra, avant qu’Annie Vidal ne succède à cette dernière.
Le programme du Printemps social de l’évaluation a été complété par deux autres évaluations dont l’une, confiée à Jean-François Rousset et Yannick Monnet, a trait aux aides à l’installation des jeunes médecins, tandis que l’autre, menée par Cyrille Isaac-Sibille et Hadrien Clouet, a pour objet de contrôler le fonctionnement du Fipu créé à l’occasion de la réforme des retraites.
Le temps me manque pour restituer dans le détail et avec précision les riches enseignements que nous pouvons tirer de ces évaluations. Aussi concentrerai-je mon intervention sur un point de méthode, qui pose également des questions plus larges d’ordre institutionnel et – oserai-je dire – organique. Les missions menées dans le cadre du Printemps social de l’évaluation ont pour objectif d’évaluer l’application des LFSS et de formuler des recommandations destinées à améliorer les dispositifs sur lesquels elles portent.
Pourtant, force est de constater que ces recommandations ne relèvent pas toutes du champ d’application de ces lois. Entre autres exemples, les rapporteurs du Printemps social de l’évaluation proposent ainsi de tirer les conséquences de la loi dite Essoc pour mieux distinguer les notions d’erreur et de fraude en matière de prestations sociales ou de développer les statistiques de sinistralité à l’échelle des métiers, en vue de définir la cartographie des métiers éligibles aux financements du Fipu.
Les tables rondes que nous avons tenues se sont aussi avérées riches de propositions en matière de lutte contre la fraude, de maîtrise régulée des dépenses ou d’amélioration de l’accès aux soins. À titre d’exemple, l’application de certaines propositions visant à améliorer le taux de recouvrement des cotisations sociales éludées par certains employeurs requiert une modification du code de commerce ou du code monétaire et financier. D’autres mesures relèvent quant à elles de la politique conventionnelle vis-à-vis des professionnels de santé.
À l’inverse, certaines mesures relèvent sans aucun doute des lois de financement de la sécurité sociale mais leur caractère financier empêche, madame la ministre chargée des comptes publics, qu’elles procèdent de l’initiative parlementaire. Je pense à la recommandation d’accroître la hausse de la dotation de l’assurance maladie consacrée au financement de la promotion des parcours coordonnés et qualité des soins, formulée par nos collègues Rousset et Monnet.
Madame la ministre, les conclusions présentées dans le cadre du Printemps social de l’évaluation sont le fruit d’un travail transpartisan de qualité. Dès lors, pourriez-vous nous indiquer si et, le cas échéant, comment vous comptez vous appuyer sur ces travaux pour améliorer l’efficacité et la portée des mesures adoptées dans les LFSS ? Des projets de loi sont-ils envisagés pour mieux lutter contre la fraude sociale, garantir l’accès aux soins ou renforcer l’efficience de l’organisation territoriale de notre système de santé, ou bien le gouvernement compte-t-il sur des initiatives parlementaires ? Une modification du cadre organique tendant à renforcer le caractère pluriannuel des lois de financement et à remettre au c?ur les enjeux de prévention recevrait-elle le soutien du gouvernement ?
Nous, parlementaires, sommes disposés à accompagner les efforts du gouvernement en matière de redressement des finances publiques. Encore faut-il qu’il se montre attentif et ouvert aux propositions que nous formulons dans le cadre de notre mission constitutionnelle de contrôle de son action et d’évaluation des politiques publiques. Nous ne relèverons pas les défis qui nous font face sans mieux travailler ensemble. Nous avons du pain sur la planche et nous sommes prêts à travailler.
Mme la présidente
Nous en venons aux inscrits. Je laisserai s’exprimer un orateur par groupe. La parole est à M. David Amiel.
M. David Amiel (EPR)
Le Printemps de l’évaluation, créé en 2018 à l’initiative d’Éric Woerth et d’Amélie de Montchalin puis rejoint par le Printemps social de l’évaluation, constitue un événement très important pour la préparation de nos budgets. Il est plus nécessaire que jamais dans la période actuelle, alors que nous devons nous engager, après les grandes crises sanitaire et énergétique, dans de nombreuses années de consolidation budgétaire.
On parle souvent des fameux 40 milliards mais ce sont en réalité 120 milliards d’euros qu’il faudra dégager au fil de plusieurs années, aux seules fins de stabiliser la dette en part du PIB. Le simple énoncé de ce chiffre permet de comprendre que nous n’y parviendrons ni par une augmentation d’impôt – le gain que permettrait le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune ne représenterait que 2 % de ce montant –, ni en appliquant la technique du rabot. Au contraire, si nous voulons pouvoir soutenir les investissements nécessaires et le progrès social qu’attendent nos concitoyens, nous aurons besoin de réformes profondes.
Je salue la qualité des travaux menés cette année en ce sens, dans le cadre du Printemps de l’évaluation. Je pense à ceux de nos collègues Thomas Cazenave et Charles Sitzenstuhl, qui proposent une réforme juste et courageuse des bourses étudiantes visant à les étendre aux élèves des classes moyennes et populaires qui en ont le plus besoin, en contrepartie de la suppression d’une niche fiscale : la réduction d’impôt pour les enfants étudiants. C’est l’exemple même de ce que nous devrons défendre lors de l’examen des budgets à venir : investir dans l’éducation, défendre la méritocratie et la justice sociale et le faire sans dégrader le déficit public, en proposant donc des pistes de financement
Benjamin Dirx a réalisé un travail inédit et colossal de prise en compte de l’impact global des Jeux olympiques, qui inclut, au-delà du Cojop, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques – qui a réalisé un excédent qui n’est pas monnaie courante dans ce type d’exercice –, la Solideo, ou Société de livraison des ouvrages olympiques, la sécurité, le tourisme, l’emploi, les transports et les collectivités locales.
Nos collègues Mathieu Lefèvre et Charles Rodwell se sont également penchés sur la trajectoire de construction des centres de rétention administratifs et Daniel Labaronne sur le fonctionnement du Cese, le Conseil économique, social et environnemental, tandis que nos collègues de la commission des affaires sociales ont étudié les aides à l’installation des médecins – ce sont les travaux de Yannick Monnet et Jean-François Rousset – et évalué les centres de ressources territoriaux – nos collègues Annie Vidal et Thierry Frappé s’en sont chargés. Ces travaux sont indispensables, très utiles et, qui plus est, menés sans concession. Ils nous permettent donc de réorienter la dépense publique vers les domaines où elle est la plus nécessaire.
Néanmoins, je crois qu’il faut se montrer lucide s’agissant des limites de ce Printemps de l’évaluation. Concrètement, l’évaluation consiste pour les députés en une série d’auditions, d’enquêtes, de documentation – la plupart du temps, on demande aux administrations concernées de fournir des chiffres –, ce qui est fort utile et permet de faire la lumière sur des réalités souvent méconnues et de dégager des recommandations politiques. Cet exercice n’en demeure pas moins très éloigné des standards de l’évaluation des politiques publiques telle qu’on la pratique dans d’autres pays. On peut le mesurer particulièrement en commission des finances ou en commission des affaires sociales : l’écart d’expertise entre le Parlement et le gouvernement, soutenu par les administrations, est tout à fait écrasant. Nous chiffrons nos amendements à la main ou presque – même si certains outils, développés ici, nous aident marginalement – et nous ne sommes pas en mesure d’évaluer scientifiquement l’impact causal des politiques publiques, comme le font les universitaires ou des institutions comme le CBO, le Bureau du budget du Congrès américain, pour citer la référence absolue en matière de contrôle parlementaire des finances et des politiques publiques.
Tout cela est indigne d’un parlement moderne. Si nous voulons vraiment accomplir notre mission constitutionnelle d’évaluation, après l’étape très importante qu’a constituée la création du Printemps de l’évaluation, nous devons envisager de nous appuyer bien davantage sur les organismes et laboratoires extérieurs qui disposent de la capacité scientifique d’évaluer les politiques publiques. Je pense à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, à l’IPP, l’Institut des politiques publiques ou encore au Liepp, le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, tous organismes sollicités par l’administration, France Stratégie et sans doute, demain, par le haut-commissariat au plan et sur lesquels l’Assemblée nationale s’appuie trop peu. Nous devrions travailler sur des accords-cadres qui permettraient de leur demander des notes flash d’éclairage et des études approfondies.
Mme la présidente
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)
Il m’est difficile, en cinq minutes, de faire la liste de toutes les faillites des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron en matière budgétaire : faillite démocratique, avec plus de vingt 49.3 sur tous les budgets depuis deux ans ; banqueroute financière, avec une augmentation de la dette de 1 000 milliards d’euros en sept ans et un déficit record ; naufrage social, à l’heure où la France n’a jamais été aussi inégalitaire, où l’on a compté 67 000 défaillances de PME l’année dernière et 381 plans sociaux en un an, alors que 11 millions de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté ; et, bien sûr, faillite morale du macronisme, voué à disparaître.
Malgré cela, avant cette disparition, la ligne de conduite ultralibérale du gouvernement et de son socle commun consiste à poursuivre sa marche sur le même chemin, en pire, après avoir perdu les élections. Ainsi, 40 milliards d’économies ont déjà été annoncés pour 2026 et – pire – le projet d’instaurer la TVA sociale refait surface. Vous devez l’assumer et tous les Français le savoir : vous souhaitez augmenter l’impôt le plus injuste, la TVA.
Et il faut rappeler ici, pour celles et ceux qui nous regardent, de quoi vous parlez lorsque vous envisagez cette TVA antisociale : il s’agit d’une modification du fonctionnement du financement de la protection sociale, soit une mise en danger de la sécu. En effet, vous voulez supprimer les cotisations sociales dites patronales que vous appelez charges, assises sur les salaires, pour les remplacer par des points de TVA supplémentaires, assis sur les dépenses de consommation des ménages. Ce n’est rien d’autre qu’une nouvelle aide publique aux entreprises, sans condition ni contrepartie, alors que les dispositifs d’exonération de cotisations sociales ont déjà fait la preuve de leur inefficacité, en termes tant d’emploi que de compétitivité ou d’attractivité de l’économie française, le tout au détriment des plus modestes, qui se serrent déjà la ceinture. Rappelons que cette TVA sociale existe déjà depuis 2011 : les cadeaux du gouvernement aux grandes entreprises en matière de réduction de cotisations sont compensés par une part des recettes de la TVA, soit aujourd’hui 57 milliards payés chaque année par tout le monde, montant qui a explosé sous Emmanuel Macron. Pour les plus modestes, cela représente 12,5 % de leurs revenus contre 5 % pour les plus riches. L’Insee le rappelle : « À court et moyen terme, une hausse de la TVA est supportée par les ménages modestes et augmente les inégalités. »
La TVA sociale est appuyée – d’une manière tout à fait surprenante… – par votre allié le Medef et par Gilbert Cette, le président du conseil d’orientation des retraites choisi par Emmanuel Macron pour faire taire le précédent président, avec une lettre de mission très claire : suggérer de faire travailler les Français le plus longtemps possible. Qui est Gilbert Cette ? Un macroniste favorable à la suppression du Smic, à la retraite à 64 ans et qui a inspiré la loi travail El Kohmri – avec M. Macron –, sous le quinquennat de M. Hollande. Son projet est dorénavant de faire travailler les Français jusqu’à soixante-six ans et demi… C’est l’objet du rapport qui a déjà fuité et qui sera publié demain ; un projet fondé sur des hypothèses mensongères, c’est-à-dire sur une baisse des recettes des cotisations qui représenterait un point de PIB et sur une baisse du solde migratoire.
Voilà votre projet depuis 2017 : détricoter la sécurité sociale, privatiser, faire travailler les plus précaires plus longtemps, prendre dans les poches de tous ou presque, y compris des plus modestes, pour continuer à se mettre au service de quelques-uns : les plus riches et les grandes entreprises. Le tout alors qu’il manque 62 milliards dans les caisses tous les ans car vous avez supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune,…
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Il y a l’IFI tout de même !
Mme Gabrielle Cathala
…baissé les impôts de production, baissé les impôts sur les sociétés, supprimé l’ exit tax et la taxe d’habitation, avant tout au bénéfice des ménages les plus fortunés. Il manque, dis-je, 62 milliards par an sans compter les 200 milliards d’aides aux grandes entreprises sans contrepartie écologique ou sociale, lesquelles peuvent donc licencier en toute impunité : j’ai ici une pensée pour les salariés de Michelin, d’Auchan ou encore d’ArcelorMittal. Pendant ce temps, peu vous importe que les 1 % les plus riches captent 96 % des dividendes distribués en France et que les groupes du CAC 40 aient versé un montant record de 98 milliards d’euros de dividendes ou de rachats d’action à leurs actionnaires en 2024. Peu vous importe que la note de votre propre ministère révélée par Le Monde, montre que les revenus des 0,1 % des ménages français les plus aisés ont doublé en vingt ans, avec une accélération notable depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron. Peu vous importe qu’une personne parmi les 1 % les plus riches gagne en six jours ce qu’une personne parmi les 50 % des plus pauvres gagne en un an. Peu vous importent les super héritages, votre jackpot fiscal pour les plus riches qui permet que sur les trente prochaines années, vingt-cinq milliardaires puissent transmettre à leurs héritiers plus de 460 milliards d’euros et sur lesquels l’État perdra 160 milliards si les niches fiscales et les exemptions actuelles sont maintenues ! Vous n’avez également que faire des votes de l’Assemblée nationale, comme celui en faveur d’une taxe à 2 % sur les 1 800 ménages les plus riches, la taxe Zucman, qui rapporterait à elle seule près de 20 milliards d’euros !
Grâce à vous, la France est un paradis fiscal pour milliardaires, un paradis qui rend d’autant plus violente votre proposition de TVA sociale car pour les 35 % de Français qui ne peuvent pas manger trois repas par jour, la vie quotidienne dans la France d’Emmanuel Macron est déjà un enfer. (M. le président de la commission des finances et Mme Céline Thiébault-Martinez applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Baumel.
M. Laurent Baumel (SOC)
Depuis 2017 et singulièrement depuis 2024, en vertu d’une lecture institutionnelle curieuse considérant que l’exercice des responsabilités continue d’échoir à ceux qui ont été le plus sanctionnés par les urnes, la politique budgétaire de la France est définie par des gouvernements macronistes. Si elle a connu quelques adaptations forcées et inévitables au moment de la crise sanitaire, elle demeure le fruit d’une approche sociologique et idéologique faisant de la défiscalisation des plus riches son fil directeur, son intouchable totem. Le renoncement corrélatif à des dizaines de milliards d’euros de recettes a engendré, on le sait, un déficit chronique qui permet, en retour, à la droite française de reprendre son refrain favori sur le niveau inconsidéré de nos dépenses publiques et de justifier de nouvelles mises en cause de l’état social, de ses services publics et de ses régimes sociaux.
En ce printemps 2025, ce que nous évaluons donc d’abord, ce sont les effets de cette politique, non pas l’attractivité exceptionnelle d’une économie française de nouveau altérée par une vague de délocalisations et que le ruissellement macroniste peine visiblement à empêcher ; ce que nous mesurons sur nos territoires, c’est le recul des services publics marqué, par exemple, par les fermetures de classes en milieu rural et le sentiment d’abandon, la perte de confiance, que ces fermetures engendrent, et la difficulté des collectivités locales, comprimées dans leurs dotations et démagogiquement accusées par vous de dérives dépensières, à planifier leurs investissements et à financer des services porteurs de solidarité, de qualité de vie et d’épanouissement individuel pour nos concitoyens.
En ce printemps 2025, ce que nous lisons, c’est aussi le rapport d’Oxfam qui indique que les quatre milliardaires français les plus riches ainsi que leurs familles ont vu augmenter de 87 % leur fortune depuis 2020, alors que la fortune cumulée de 90 % des Français a baissé, et que les parents fortunés peuvent transmettre plus d’un demi-million d’euros tous les quinze ans à leurs héritiers sans payer le moindre impôt, tandis qu’en dignes protecteurs de leurs intérêts, vous et les vôtres refusez obstinément la taxe Zucman et une grande réforme sur l’héritage.
En ce printemps 2025, ce que nous évaluons aussi, c’est l’échec d’une méthode dans l’élaboration même des budgets. Au début de cette année, après la chute du gouvernement Barnier, à laquelle nous avons participé, nous socialistes, par esprit de responsabilité et avec le souci de faire de cette législature une séquence éventuellement utile au pays, avons accepté d’explorer les voies d’un compromis parlementaire autour du budget. Le gouvernement a reporté ici ou là quelques-unes des régressions les plus inacceptables qu’il avait envisagées, mais a refusé pour l’essentiel de faire la moindre concession sur les grandes orientations de ce budget, d’envisager le moindre bouger substantiel sur les recettes et la mise à contribution sérieuse des plus riches. Vous avez continué à nous donner des leçons d’économie – que vous êtes évidemment les seuls à comprendre –, démontrant au passage votre inaptitude à comprendre le sens même du mot concession. Votre premier ministre, qui se présentait comme l’héritier d’une tradition centriste de dialogue, a montré à cette occasion son véritable visage : celui d’un homme politique autoritaire, n’écoutant personne, en tout cas pas la gauche, et incapable de se passer du recours au lamentable article 49.3 de la Constitution pour faire passer un budget.
Alors puisque nous sommes à mi-parcours, madame la ministre, que nous venons de rejeter les comptes 2024 et que s’approche le moment où vous allez devoir produire vos premières copies budgétaires, permettez-moi de vous prévenir de notre état d’esprit : ne pensez pas que nous porterons éternellement sur nos épaules la responsabilité de ne pas priver les élus, les associations et les entreprises de notre pays de budget ; nous ne nous satisferons pas pour celui de 2026 d’une coconstruction autoproclamée et factice, encadrée par les vérités indiscutables de je ne sais quel rapport d’expert ou par les leçons de morale lénifiante de François Bayrou sur la dette. Nous sommes prêts à entendre que dans un parlement sans majorité absolue – et même relative –, tous les points de vue ont vocation à laisser une trace dans la loi de finances du pays si nous voulons laisser à celle-ci une chance d’être adoptée sans que la question même de l’existence du gouvernement ou d’un budget soit posée. Mais parmi les points de vue à prendre en compte, il y a celui des parlementaires de gauche, qui représentent ici entre un quart et un tiers des électeurs de ce pays,…
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Surtout les socialistes, n’est-ce pas ?
M. Laurent Baumel
…et qui ne peuvent pas accepter d’être seulement les témoins de la poursuite obstinée d’une politique qui a échoué et qui a été sanctionnée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Liger.
M. Thierry Liger (DR)
Nous débattons aujourd’hui de la restitution des travaux du Printemps de l’évaluation. Au cours du mois de mai, les commissaires aux finances ont auditionné les différents ministres sur l’exécution des crédits de l’ensemble des missions du budget de l’État pour 2024. Le constat principal que nous pouvons tirer de nos travaux est que l’exécution du budget de l’État s’est effectuée dans un contexte économique, budgétaire et institutionnel singulier.
Rappelons tout d’abord que le déficit budgétaire de l’État a atteint 155 milliards en 2024, supérieur de 9 milliards à l’objectif de la loi de finance initiale. Il s’agit d’un mauvais résultat et d’un écart substantiel par rapport à la prévision – l’amélioration du solde budgétaire de 17 milliards par rapport à 2023 correspondant à un effort minimal qui reposait sur l’extinction des mesures massives de soutien, notamment les boucliers tarifaires décidés en 2022 pour faire face au prix de l’énergie.
Le niveau toujours très élevé du déficit tient d’abord aux faiblesses de la loi de finance initiale. Ainsi, dans sa partie recettes, celle-ci reposait sur des prévisions trop optimistes avec in fine un écart majeur de 22 milliards entre prévisions et réalisations, tandis que dans sa partie dépenses, elle manquait d’ambition, aucune économie structurelle n’étant programmée. Si pour 2024, les dépenses de l’État ont diminué de 11 milliards par rapport à 2023, pour s’établir à 443 milliards, les autres dépenses ont continué d’augmenter, à hauteur de 10 milliards. À ces deux facteurs se sont ajoutés les très mauvais résultats de l’exercice 2023, qui n’ont pu être mesurés que très tardivement. Ainsi, les prévisions de recettes et de déficit de la loi de finances initiales pour 2024 sont devenues inatteignables avant même que commence l’exercice.
Dans ces conditions, dès février 2024, les députés de la Droite républicaine avaient réclamé le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative pour en tirer toutes les conséquences et pouvoir prendre les mesures nécessaires afin d’essayer de préserver la crédibilité de l’objectif de déficit qui venait d’être adopté. Par son refus, le gouvernement s’est privé du seul vecteur en sa possession pour opérer un ajustement de recettes. À notre grand regret, il a préféré opter pour un pilotage erratique des crédits, une succession de reports, de gels, de surgels et de coups de rabot, avec à la clef des effets immédiats sur la dépense mais peu en termes d’économies pérennes. Au total, environ 17 milliards d’euros de crédits auront été gelés sur l’ensemble de l’année. Ce pilotage de la dépense sans aucune ligne directrice a mis sous tension toutes les dépenses de l’État et l’ensemble des missions budgétaires en ont été impactées. Ce cafouillage budgétaire est à l’image du contexte politique tumultueux qui a marqué l’année 2024 : un budget adopté sous le gouvernement Borne, exécuté par les gouvernements Attal puis Barnier, évalué ensuite par le gouvernement Bayrou. Une instabilité politique et institutionnelle qui a fortement impacté l’équilibre de nos finances publiques.
Enfin, au terme du Printemps de l’évaluation, je tiens à saluer l’apport des rapporteurs spéciaux, notamment ceux de la Droite républicaine dont les travaux permettent d’évaluer avec précision l’efficacité des dépenses sur des périmètres stratégiques : je pense en particulier aux travaux de Corentin Le Fur sur le traitement des enjeux migratoires au sein de l’aide publique au développement, ainsi qu’à ceux de Jean-Didier Berger sur les centres éducatifs fermés.
M. Emeric Salmon
Il n’était même pas là.
M. Thierry Liger
Car c’est bien aujourd’hui la qualité et l’efficacité de la dépense publique qui doivent retenir toute notre attention. Il est grand temps que la France redevienne crédible vis-à-vis de ses partenaires européens en proposant un plan d’économies structurelles pérennes dans le cadre de l’automne budgétaire qui s’annonce. Les députés de la Droite républicaine y prendront toute leur part, en responsabilité.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Tristan Lahais.
M. Tristan Lahais (EcoS)
Je tiens tout d’abord à saluer le travail des collègues et des services mobilisés depuis plusieurs semaines pour le bon déroulement de ce printemps de l’évaluation. Nous nous retrouvons au lendemain de l’examen des projets de loi de règlement et d’approbation des comptes sociaux de 2024, repoussés par des motions de rejet que nous avons soutenues en raison de l’insincérité manifeste qui a entouré l’exercice budgétaire de cette année. Et puisqu’il nous est donné l’occasion de revenir sur cette exécution, je souhaitais partager avec vous quatre limites à nos débats que j’ai identifiées.
La première concerne les manquements aux principes démocratiques et méthodologiques tout au long de la procédure budgétaire. Nous avons eu l’occasion de l’évoquer rapidement hier : il aura été impossible à la représentation nationale de débattre sereinement du budget puisque la loi de finances pour 2024 a été adoptée sous 49.3 et que le pouvoir exécutif s’est employé à utiliser tous les moyens dont il disposait en cours d’exécution – gels, décrets d’annulation – pour surtout ne pas avoir à débattre de choix politiques qu’il prétendait n’être que des choix de gestion. L’ampleur des écarts entre les prévisions et le réalisé, connus dès le début de l’été, aurait justifié un projet de loi de finances rectificative, qu’il s’agisse du respect de la démocratie comme de la capacité à redresser la barre, capacité fatalement réduite sans cette procédure. Au lieu de mener un travail sérieux avec le Parlement, le gouvernement aura décidé seul de choix budgétaires majeurs – c’est encore malheureusement le cas cette année. Les motions de rejet d’hier étaient le rappel de cette réalité car il ne peut y avoir de compromis sans le respect de la démocratie et, en l’absence de majorité même relative au sein de cette assemblée, sans le respect de l’ensemble des sensibilités qui la composent, singulièrement celle de gauche oubliée depuis le début de cette législature.
La deuxième limite est due à des conventions comptables qui exonèrent le débat d’une discussion nourrie sur les dépenses fiscales, et ce alors que leur poids est croissant dans le budget de l’État. Représentant 90 milliards d’euros de manques à percevoir, elles échappent structurellement au débat de fond. Ce sont pourtant des prélèvements implicites sur nos grands impôts progressifs – impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu –, et qui profitent en masse aux grandes entreprises et aux contribuables les plus aisés.
Si les dépenses fiscales strictement liées au soutien aux entreprises étaient rattachées à la mission Économie, celle-ci deviendrait le premier poste budgétaire de l’État. L’assistanat n’est donc pas toujours là où on le croit… En dehors des caricatures habituelles, je suggère qu’à l’avenir, on regarde froidement, sans affect particulier, l’effet de toutes ces dépenses, pour séparer le bon grain de l’ivraie afin de conserver celles dont le rendement est avéré et supprimer celles qui occasionnent des effets d’aubaine coûteux au budget de l’État.
La troisième limite est la conséquence du fait que trois grandes missions budgétaires – Solidarité, insertion et égalité, Travail, emploi et administration des ministères sociaux ainsi que Défense – ont été largement absentes des échanges lors du Printemps de l’évaluation alors qu’elles pèsent ensemble plus de 120 milliards d’euros, soit 20 % du budget de l’État. Ces absences nous amènent à nous interroger sur la cohérence des arbitrages et sur la transparence du débat budgétaire.
Enfin, la dernière limite est écologique et territoriale. Un vent climatosceptique s’est levé à l’extrême droite de l’hémicycle et le gouvernement, plutôt que tenir la barre et le cap, se laisse porter et détricote son propre héritage, au risque d’effets délétères sur la santé de nos concitoyens.
M. Emeric Salmon
Ça n’a rien à voir avec l’exécution budgétaire…
M. Tristan Lahais
Principaux acteurs de la transition écologique dans les territoires, les collectivités sont l’autre variable d’ajustement. Il s’agit là d’un arbitrage facile pour l’exécutif puisque la baisse de leurs recettes, donc la dégradation de leurs capacités d’intervention, est immédiatement associée, par le citoyen contribuable, aux décisions non du gouvernement mais du maire ou du président du conseil département ou régional. Citons deux exemples concrets qui illustrent ce recul sur la question écologique et cette dégradation de la capacité à agir des territoires. Le fonds Vert a été amputé en cours d’année, contrairement aux promesses d’une montée en charge répondant aux recommandations du rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Le second renoncement, que nous avons appris ces derniers jours, concerne MaPrimeRénov’, moins dotée puis sous-consommée en 2024 avant d’être supprimée pour ce qu’il reste de l’année 2025.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Non, monsieur le député !
M. Tristan Lahais
Il faudra nous expliquer pourquoi vous dites non !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je le ferai précisément !
M. Tristan Lahais
Vous envoyez un signal incohérent et brutal qui témoigne du peu d’égard que vous avez à l’endroit de la transition écologique comme des entreprises et des artisans concernés.
Faute d’un travail sérieux avec le Parlement, vous réservez vos annonces à la presse et pas un jour ne se passe sans qu’une nouvelle idée n’émerge pour satisfaire l’objectif d’une réduction du déficit public de 40 milliards d’euros. Pour conclure, je formulerai donc deux questions. Pouvez-vous revenir à la raison et considérer enfin le rôle du Parlement, dont nous rappelons qu’il est historiquement construit sur le vote et le contrôle du budget ? Pouvez-vous prendre l’engagement que l’écologie et les territoires verront leurs budgets préservés tant ceux-ci sont indispensables à la cohésion sociale et à la préparation de l’avenir ?
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Mandon.
M. Emmanuel Mandon (Dem)
L’évaluation des politiques publiques est non un simple exercice technique mais un acte démocratique fort. Il nous faut absolument rétablir la confiance des citoyens envers les institutions, aujourd’hui fragilisée, et notre travail doit permettre de replacer la vérité des faits au cœur du débat public. L’exercice de suivi et d’évaluation des politiques publiques contribue à cette œuvre de transparence et de rationalisation. Alors que l’état des finances publiques est extrêmement préoccupant, il nous aide à faire des choix plus pertinents, plus cohérents et, nous l’espérons, plus efficaces et plus performants. On dit que tirer les leçons du passé permet d’éclairer l’avenir. Telle est l’ambition du Printemps de l’évaluation, que nous avons su faire vivre collectivement grâce à l’implication des commissions des finances et des affaires sociales.
Toutefois, je ne saurai aborder ce débat sans une certaine dose d’amertume au regard de ce qui s’est passé hier après-midi dans cet hémicycle. Pour justifier leur rejet des lois d’approbation des comptes pour 2024, certains groupes ont mis en doute la fiabilité des chiffres fournis et considéré que les indicateurs sur lesquels nous basons nos travaux d’évaluation étaient faux. N’y a-t-il pas là un problème ?
M. Emeric Salmon
Non !
M. Emmanuel Mandon
Ne pas approuver l’exactitude de la présentation comptable, dernière étape de toute procédure budgétaire, c’est décrédibiliser le principe même de l’évaluation, c’est se priver d’un constat qui est le premier acte de la construction du futur budget. Voilà un sujet qui devrait nous permettre de dépasser nos clivages. J’espère que nous aurons le courage de travailler en ce sens en nous concentrant sur l’avenir. Nous notons d’ailleurs avec satisfaction l’engagement pris par M. le premier ministre et par le gouvernement d’exposer en toute clarté les données de la préparation du prochain budget et d’y associer les parlementaires.
C’est pourquoi je veux faire part à Mme la ministre d’une remarque sur laquelle nous attendons des réponses. Le Parlement est très souvent confronté à un déficit criant d’informations concernant les niches fiscales. Le coût, les effets et le nombre de bénéficiaires de dizaines d’entre elles sont tout simplement inconnus, sans que les ministères concernés aient été en mesure de nous indiquer les raisons d’une telle situation. Alors qu’en 2025, le coût total des dépenses fiscales atteindrait 99,4 milliards d’euros, l’amélioration de leur suivi est une condition essentielle pour garantir le bon usage des deniers publics. Madame la ministre, des réformes sont-elles envisagées en ce sens ?
Je finirai en portant à votre connaissance les principaux résultats des travaux de mes collègues rapporteurs spéciaux du groupe Les Démocrates. Jean-Paul Mattei a souligné que le financement du compte d’affectation spéciale Gestion du patrimoine immobilier de l’État relevait d’une logique à bout de souffle et a rappelé la pertinence du projet de foncière publique qui a vocation à incarner un mode de gestion responsable, durable et sobre de l’immobilier de l’État. De son côté, Sophie Mette, qui a pu examiner l’ensemble de la politique d’aménagement du territoire, a relevé la difficulté à évaluer l’efficacité réelle des crédits alloués à l’ingénierie territoriale. Les travaux de Perrine Goulet ont, quant à eux, porté notamment sur les unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped). Elle appelle à poursuivre les efforts pour que chaque département et juridiction soit doté d’une telle unité d’ici à la fin de l’année, conformément au plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour la période 2023-2027.
Enfin, Marina Ferrari et moi-même avons travaillé sur la péréquation. Nous avons relevé le caractère très imparfait des mécanismes qui la composent. Pour réduire les fractures territoriales, nous devons mieux cibler les collectivités locales défavorisées et rapprocher les critères des dispositifs de péréquation afin de renforcer la cohérence du système. Dans un esprit de responsabilité, nous souhaitons que le Printemps de l’évaluation 2025 soit suivi d’actes concrets.
Mme la présidente
La parole est à M. François Jolivet.
M. François Jolivet (HOR)
Le Printemps de l’évaluation est désormais un moment fort de la vie parlementaire. Son principe est simple : voter la loi ne suffit pas, il faut aussi infuser la culture du résultat dans l’action publique et mesurer.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Il a raison !
M. François Jolivet
C’est tout l’enjeu de l’exercice, car la crise démocratique que nous traversons est celle de l’écart entre les promesses politiques et le quotidien des Français. Les cahiers de doléances écrits lors de la crise des gilets jaunes en disent long sur les attentes et les incompréhensions de nos concitoyens. Je n’oublie pas cette période. Le Printemps de l’évaluation est une réponse à cette défiance. Dans un contexte budgétaire de sursis permanent, toutes les politiques publiques doivent être pleinement justifiées et l’argent des Français doit être bien utilisé.
À cet égard, je salue au nom du groupe Horizons & indépendants les ministres qui se sont prêtés à cet exercice de transparence ainsi que l’ensemble des rapporteurs spéciaux et des fonctionnaires qui y ont participé. Ils ont fait preuve de rigueur et d’exigence. Cette attitude constructive est en léger – voire grand – décalage avec notre époque, où la politique relève plus de la volonté de salir que de celle de construire ou d’agir. Loin des caméras, le consensus et le travail en commun peuvent pourtant exister.
Je veux aussi saluer l’action du gouvernement dans le domaine du logement et, notamment, la reprise d’amendements portant sur les prêts à taux zéro (PTZ) et sur les donations adoptés à l’Assemblée nationale à l’époque du gouvernement Barnier. J’avais réuni tous les groupes politiques sur ces sujets, ce qui prouve que nous pouvons faire avancer les choses tous ensemble lorsque nous nous préoccupons des Français.
Monsieur le président de la commission des finances, le choix, réitéré cette année, de ne retenir qu’un nombre restreint de rapports d’information, concentrés sur des thèmes jugés prioritaires, va dans le bon sens. Ce recentrage permet des auditions approfondies, des travaux plus ciblés et un meilleur suivi des conclusions. De plus, il permet d’aboutir à des documents faciles à lire et synthétiques.
Je souhaite apporter un triple témoignage sur des travaux d’évaluation auxquels j’ai pu participer, avec d’autres députés, dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Avec Kévin Mauvieux, j’ai travaillé sur la politique immobilière de l’État. Madame la ministre, ce dernier ne peut pas se permettre d’ignorer son propre patrimoine et la politique immobilière ne peut être contrainte par les règles de l’annualité budgétaire. L’État a 194 000 bâtiments et 96 millions de mètres carrés à entretenir, ce qui représente sa deuxième dépense. Nous avons proposé la création expérimentale d’une foncière publique qui gérerait ce patrimoine sur une partie du territoire national. Son périmètre serait étendu à la France entière si le retour d’expérience est positif. Jean-Paul Mattei, Thomas Cazenave et moi-même allons déposer un texte dans ce sens.
Autre sujet : le contrôle des investissements étrangers en France, qui sont actuellement autorisés par le seul ministre des finances, lequel est d’ailleurs très isolé dans cette tâche. Afin d’accentuer le contrôle de l’action publique et du gouvernement, nous souhaitons la création d’une délégation parlementaire chargée de ce sujet. Cela permettrait aux députés de s’interroger sur la protection des intérêts vitaux de la nation.
Enfin, avec Jean-Philippe Tanguy, je me suis penché sur la rémunération de l’épargne populaire. Dans un pays où l’encours de l’épargne dépasse les 6 000 milliards d’euros, un constat s’impose : les classes moyennes et modestes épargnent massivement, mais leur effort n’est pas justement rémunéré. Nous le savons tous. C’est la raison pour laquelle il nous faudra réfléchir ensemble sur ce sujet. À travers des propositions très concrètes, le chemin d’une épargne mieux respectée, utile et plus équitable devra être trouvé. Nous recommandons notamment de supprimer certains produits pour en créer un nouveau, afin que l’épargne populaire soit mieux rémunérée. Comme les personnes plus riches, les gens qui ont eu moins de chance dans la vie mais épargnent néanmoins doivent pouvoir se protéger de l’érosion monétaire.
Madame la ministre, ces trois exemples montrent que les députés évaluent. Ils le font en commission des finances, en commission des affaires sociales et au sein du comité de contrôle et d’évaluation des politiques publiques placé auprès de la présidente de l’Assemblée nationale. Il vous suffit de piocher dans nos recommandations. Nous ne disposons certes pas des effectifs qui seraient nécessaires pour en rédiger les études d’impact, mais les trois propositions que je viens d’exposer ne coûtent rien à la nation.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Maurel.
M. Emmanuel Maurel (GDR)
Ce débat sur le Printemps de l’évaluation montre les impasses budgétaires de 2024 et annonce ce qui risque de nous arriver en 2025, c’est-à-dire peu ou prou la même chose. La chronologie de la régulation budgétaire 2025 ressemble à s’y méprendre à celle de l’année précédente : d’abord un budget insincère, puis des crédits gelés à hauteur de 9 milliards d’euros – on se doute que le gouvernement ne va pas revenir dessus –, enfin un décret d’annulation supplémentaire, pour 3,1 milliards, en avril ; tout porte à croire qu’il sera suivi par d’autres mesures du même ordre. Tout cela est problématique, du point de vue tant économique qu’institutionnel.
Je serais curieux de savoir comment procèdent les autres pays européens. Comment nos homologues des autres pays européens réagiraient-ils s’ils apprenaient que leur exécutif rectifie, module, reporte à sa guise des montants aussi importants ? Où est la transparence des comptes publics lorsque le premier ministre ou Bercy décide, en toute opacité, d’annuler et de geler autant d’argent ? On finit par se demander à quoi ressemble notre démocratie parlementaire. Non seulement, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, les projets de loi de finances sont adoptés par 49.3, c’est-à-dire sans aucun consentement de l’Assemblée nationale, mais en plus ils sont corrigés par des régulations budgétaires en cours d’année qui concernent presque tous les ministères et dont il n’est pas rare qu’on apprenne l’ampleur au hasard d’une conversation.
Ce qui ressort des investigations des collègues qui ont travaillé sur le Printemps de l’évaluation, c’est d’abord que ce sont toujours les mêmes qui paient l’addition : la recherche, la justice, la culture – 115 millions d’euros en moins pour cette dernière. Derrière ces chiffres, ce sont des territoires qui souffrent, des services publics en difficulté, l’action territoriale endommagée.
Je voudrais mettre l’accent sur quelques points. D’abord, la transition écologique : le président de la République et une bonne partie du gouvernement expliquent qu’elle est devenue une priorité de la nation. Le président a même fait un discours solennel et très enthousiaste sur la protection des océans et sur la rénovation énergétique. Or nous sommes confrontés dans ce domaine à des changements de pied incessants, que même le président finit par déplorer parce qu’ils vont à l’encontre de ce qui est proclamé. J’en veux pour preuve ce qui se passe avec MaPrimeRénov’, autre exemple de mauvaise gestion, avec des décisions prises à la va-vite et qui, mises bout à bout, finissent par coûter davantage, du fait de la dégradation de l’activité économique, qu’elles ne rapportent en lignes de crédits budgétaires.
Même pour les politiques censées être sanctuarisées, il y a loin de la coupe aux lèvres. Je pense évidemment à la défense, dont les reports de charges ont augmenté de 79 % entre la fin 2022 et 2024 alors que, d’après la loi de programmation militaire, ces reports étaient censés baisser de 13 %. N’y a-t-il pas là un problème ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
Eh oui !
M. Emmanuel Maurel
Je vois qu’un des rapporteurs généraux suit. (Sourires.) C’est quand même un problème colossal, qui concerne tous les élus de cette assemblée, et pas seulement les oppositions à la minorité présidentielle.
Pour finir, j’en viens à l’un des budgets les plus sacrifiés – c’est du moins ce qui a été constaté à l’occasion du Printemps de l’évaluation. Il se trouve que je suis, avec ma collègue Estelle Mercier, corapporteur spécial pour la mission Travail, emploi et administration des ministères sociaux. Arrêtez le massacre ! Moins 2,2 milliards en autorisations d’engagement, moins 1,5 milliard en crédits de paiement : c’est ce qu’on appelle pudiquement une « forte mise à contribution ». Les gels sont colossaux. Au début de la discussion budgétaire, à l’automne, on nous avait promis que les montants dédiés aux missions locales seraient préservés. La promesse n’a pas été tenue. Les missions locales souffrent, au point d’envisager des réductions d’effectifs, au moment même où les besoins augmentent et les missions s’accroissent. Même chose pour l’insertion par l’activité économique, pour l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi ou pour la formation professionnelle. Je regrette vivement que, contrairement à la plupart des ministres, Mme Vautrin n’ait pas jugé bon de venir plancher devant la commission des finances : il eût été intéressant de l’interroger sur ces incessantes baisses de crédits alors même que le chômage est en train de repartir à la hausse – vous transmettrez à votre collègue, madame la ministre.
Bref, ce Printemps de l’évaluation porte bien mal son nom : alors qu’il est censé renforcer la coordination de la politique budgétaire entre l’exécutif et le législatif, la gestion gouvernementale le vide totalement de sa substance. C’est bien dommage, parce que ce n’est pas de cette façon que nous sortirons de la crise par le haut.
Je remercie celles et ceux qui ont bien voulu m’écouter.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mais nous vous avons écouté, monsieur le député !
M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
C’était très intéressant !
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
C’était très bien – quoique pas tout à fait convaincant.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Lottiaux.
M. Philippe Lottiaux (RN)
Ces dernières semaines ont été l’occasion, pour les membres de la commission des finances, d’auditionner les ministres sur l’exécution budgétaire 2024 et, pour ceux de la commission des affaires sociales, de les auditionner sur les dépenses sociales.
Le fait est que le terme d’« exécution » n’aura jamais été aussi approprié : ce ne fut pas un budget, ce fut un massacre. Conséquence de l’instabilité gouvernementale, Rome eut, en 69, l’année des quatre empereurs – ce fut après la chute de Néron. Pour notre part, nous avons eu, en 2024, l’année des quatre premiers ministres – mais Emmanuel Macron est toujours en fonction.
Je parlerai d’abord de la forme. Je trouve que ce retour, ministère par ministère, sur ce qui s’est passé en 2024 est au cœur de la mission de notre assemblée. C’est pourquoi j’ai un regret : que les auditions en commission des finances se tiennent concomitamment aux séances publiques, où peuvent avoir lieu des votes importants ; de ce fait, elles n’ont pas toujours le public qu’elles mériteraient car il nous faut jongler entre l’hémicycle et la commission. J’en viens à me demander si ces auditions ne mériteraient pas, dans leur schéma actuel – une présentation du ministre, une présentation de chaque mission et une intervention par groupe –, une semaine de séances spécifique, sans les limiter au périmètre de la commission des finances, car savoir comment ont été utilisés ou non les crédits budgétaires concerne l’ensemble de la représentation nationale, comme on le constate cet après-midi.
Venons-en maintenant au fond et à ce qui ressort des différentes auditions. Me vient en tête, en l’espèce, la phrase de Sénèque : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. » L’exécution 2024 confirme en effet ce que la commission des finances, qui s’était dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête afin d’étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, avait mis en lumière : des chiffres pour partie tronqués, une gestion au jour le jour, l’absence de réforme de fond et de réel pilotage et, en définitive, l’impression d’assister à un sauve-qui-peut généralisé.
C’est ainsi que l’on voit, çà et là, entre gels, surgels – pour tenter de compenser autant que faire se peut les prévisions insincères de recettes du projet de loi de finances – et dérapages incontrôlés de certains postes – que dire de l’augmentation massive de la masse salariale de l’État en 2024 ! –, un ensemble de décisions de gestion qui, pour certaines, nient la capacité de décision et de contrôle du Parlement, pour d’autres, ne répondent pas aux besoins réels du pays.
Que dire ainsi des reports massifs de crédits – plus de 16 milliards en 2024, contre 2,4 milliards en moyenne avant 2019 –, qui dévoient le concept même d’autorisation budgétaire ? Que dire des annulations réglementaires de crédits en l’absence de tout projet de loi de finances rectificative, que nous avions pourtant demandé – absence liée, comme le fut la surestimation des recettes et de la croissance, à de pures considérations électorales ? Que dire encore d’un ensemble de décisions erratiques, parmi lesquelles, entre autres exemples, l’abandon des 79 millions de crédits de soutien à l’entretien du réseau routier local, la sous-compensation des missions de service public de La Poste, l’abandon de l’investissement dans le patrimoine immobilier des gendarmeries ou de la France à l’étranger, le dérapage des crédits d’hébergement d’urgence, véritable tonneau des Danaïdes du fait de la saturation des centres d’hébergement par les clandestins, ou encore celui des crédits destinés à la garantie de l’exercice du droit d’asile – mais il est vrai que notre pays ressemble de plus en plus à un asile à ciel ouvert ?
Non, vous ne pouvez pas dire – et vous ne pouvez pas nous faire dire – que surestimer les recettes en début d’exercice, de l’ordre de 10 milliards pour l’impôt sur les sociétés et d’autant pour la TVA, puis publier en catastrophe un décret d’annulation de 10 milliards de crédits, c’est de la saine gestion. Vous ne pouvez pas dire que le rabot généralisé est l’alpha et l’oméga d’une politique de réduction de la dépense publique. Celle-ci est aujourd’hui impossible car vous vous refusez à aborder de front les sujets majeurs : le coût direct et indirect de l’immigration ; le coût exponentiel de notre contribution à l’Union européenne ; la gabegie des aides aux énergies intermittentes, qui participent au surcoût de l’énergie dans notre pays ; la fraude, fiscale et sociale ; la ponction que représente pour les budgets de l’État et des collectivités comme pour le secteur productif le poids délirant des normes et des surtranspositions ; la suradministration de l’éducation ou de la santé ; le coût des agences et autres démembrements de l’État.
Comment s’étonner, dès lors, de voir notre dette publique s’envoler encore, ce qui, avec l’évolution des taux, va faire du poids de la dette notre premier poste de dépenses budgétaire à très court terme ? Comment s’étonner de voir la Cour des comptes constater que la séquence budgétaire 2023-2024 a été « particulièrement préoccupante » et souligner que « la France, seule en Europe, a encore dégradé ses finances publiques », alors même que 2024 aurait dû être une année, nous dit la Cour, favorable à la modération des dépenses ?
Si 2024 s’apparente à une Bérézina, si 2025 prend d’ores et déjà des allures de Trafalgar budgétaire, la question qui doit nous préoccuper aujourd’hui est : comment éviter un Waterloo en 2026 ? Force est de constater que vos premiers ballons-sondes sont des plus inquiétants. En guise de baisse des dépenses, sur quoi semblez-vous vous appuyer ? Sur la baisse des dépenses fiscales, qui ne constituent pas une économie, mais correspondent à une nouvelle augmentation d’impôts. Or, à force de baisse de pouvoir d’achat et de hausse des prélèvements obligatoires, la colère gronde chez les éternels ponctionnés, à savoir les classes moyennes. Alors, madame la ministre, après ce Printemps de l’évaluation, évitez aux Français un nouvel hiver fiscal et écoutez enfin les propositions du Rassemblement national pour un été des économies budgétaires et de la modération fiscale. La France attend. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mesdames et messieurs les députés, merci d’avoir pris part à ce débat. Lorsque cet exercice a été institué, Éric Woerth était président de la commission des finances ; avec quelques députés issus de tous les bancs – il s’agissait d’une initiative transpartisane qui regroupait l’ensemble des bancs représentés à la commission des finances et au bureau, Insoumis inclus –, nous avions voulu mettre l’accent sur l’exécution, à savoir sur ce que la dépense avait réellement permis de faire, plutôt que sur la budgétisation, qui peut conduire à la description d’un monde merveilleux qui, les Français le voient bien, ne se concrétise jamais. Il serait d’ailleurs bon que, dans la culture administrative, il y ait plus de vigilance en matière d’évaluation.
Monsieur le président Coquerel, je ne pense pas que l’on puisse dire que nous cherchons à priver le Parlement de quoi que ce soit ; en tout cas, ce n’est ni mon intention ni mon éthique. Je crois que nous l’avons démontré depuis le 23 décembre dernier. Certes, le budget est passé grâce au 49.3, mais il a été adopté par cette voie, sur la base d’un texte qui a été étudié dans les moindres détails par une commission mixte paritaire conclusive – processus inédit, puisque, à part en 1978, il n’avait jamais été fait recours à une loi spéciale ni à une commission mixte paritaire conclusive pour valider un budget.
Vous avez, les uns et les autres – notamment M. Maurel, que j’ai écouté avec attention –, évoqué la question des reports, des annulations et des gels de crédits. Premièrement, comme l’a bien noté, dans son rapport, la commission des finances dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, nous sommes l’un des pays d’Europe qui dispose du plus faible nombre d’outils de gestion dite infra-annuelle, et cela parce que nous avons des budgets de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités parmi les plus rigides, c’est-à-dire que nombre de nos dépenses proviennent du passé, à savoir d’engagements pris antérieurement, par des financements pluriannuels. Bien que l’on dise toujours que nous sommes contraints par l’annualité, une part croissante de dépenses est en réalité préengagée – la Cour des comptes le montre bien. Ce qui est vrai, c’est que nous recourons, dans le cadre des plafonds autorisés par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), à deux mesures qui me semblent utiles, et tout particulièrement dans un monde soumis à beaucoup d’aléas, notamment macroéconomiques.
Il s’agit, d’une part, de ce qu’on appelle la réserve de précaution, qui a été fixée cette année à 5,5 % pour les dépenses hors masse salariale et à 0,5 % pour les dépenses de masse salariale. Pour que ceux qui nous écoutent en tribune comprennent, cette réserve de précaution correspond à de l’argent que nous nous autorisons à dépenser uniquement si les temps sont favorables ; et lorsqu’ils ne le sont pas, l’argent n’est pas dépensé, de manière à pouvoir faire face aux aléas macroéconomiques. Le deuxième outil, c’est l’annulation : lorsque les conditions macroéconomiques l’exigent, nous annulons les crédits.
Ce qu’il convient de dire, c’est que l’intégralité de ces mouvements fait l’objet d’une information en continu, ligne par ligne, transmise au rapporteur général et au président de la commission des finances, et qu’ils ne sont effectués que dans le strict cadre de la Lolf. Par exemple, cette année, les plafonds maximaux pour l’État sont de 6 à 8 milliards d’euros pour un total de dépenses de 487 milliards. Il s’agit donc d’une proportion relativement faible des dépenses.
En revanche, vous avez raison, monsieur le député Maurel : les reports ont été utilisés de manière démesurée en 2021, 2022, 2023 et 2024. Entre 2024 et 2025, nous avons divisé par deux le volume des reports de crédits ministériels : ils s’élèvent à 4,4 milliards, contre près de 8 milliards entre 2023 et 2024. Je souhaite – je le dis très clairement – que nous les divisions par deux de nouveau l’an prochain, en vue de revenir à la pratique d’avant le covid, quand ils s’élevaient à 1 milliard par an environ – je vous transmettrai les chiffres, monsieur le rapporteur général de la commission des finances. Il faut avoir des objectifs dans la vie ; le mien est de caler le pilotage des finances publiques sur les pratiques d’avant le covid, à une époque où les parlementaires avaient une vision beaucoup plus claire de ce que nous faisions puisque les reports de crédits étaient bien plus faibles.
J’en viens à un deuxième élément, l’évaluation, objet de la question du député Amiel. Bien que ce ne soit pas mon rôle, je rappelle qu’à l’initiative de la commission des finances il fut un temps où cette assemblée avait commandé à plusieurs laboratoires d’économie spécialisés – dont le Laboratoire interdisciplinaire des politiques publiques (Liepp), l’Institut des politiques publiques (IPP) et celui de l’Université d’Aix-Marseille – des études macroéconomiques et de chiffrage, dont le financement par la présidence de l’Assemblée assurait l’indépendance. Je me souviens en particulier, monsieur le député Jolivet, qu’une très bonne étude avait estimé les dépenses induites par plusieurs mesures dans le domaine du logement. Chacune de ces études coûtait à peu près 10 000 euros, un tel financement permettant à des chercheurs, des postdoctorants et des thésards de mener une recherche de qualité. Je suis sûr que les députés de la présente législature pourront retrouver dans les archives la manière dont nous avions procédé à l’époque, et il me semblerait sain pour le débat que vous puissiez vous réapproprier ces éléments – le gouvernement vous laissera évidemment toute latitude pour le faire.
J’en viens au logement et à MaPrimeRénov’. Je vais vous expliquer comment nous procédons et procéderons. Pour 2025, nous avons affecté un budget de 3,6 milliards d’euros à ce dispositif. La ministre du logement, le ministre de l’économie et moi-même prenons devant vous l’engagement de ne pas réduire ce budget. Nous rencontrons néanmoins un très grave problème : selon une estimation conservatoire, les fraudes représenteraient entre 12 % et 20 % du volume des aides versées. En 2025, le montant moyen de devis déposés au guichet MaPrimeRénov’ pour des rénovations globales a crû de près de 50 %. Dit autrement, les dossiers se sont multipliés, pour des montants demandés en très forte hausse et un niveau de fraude s’élevant annuellement à des centaines de millions d’euros – pour ne parler que de de la fraude identifiée.
Nous avons donc pris la décision suivante : tous les dossiers doivent être déposés avant début juillet, afin que nous procédions à leur revue exhaustive entre juillet et début septembre. Au terme d’un tri très simple, soit le dossier est identifié comme fiable, sérieux, honnête, les personnes l’ayant déposé seront alors payées comme elles l’attendaient ; soit le dossier semble frauduleux, complexe ou survalorisé. Dans ce dernier cas, conformément à une importante disposition – vous l’avez adoptée, dans le cadre de la proposition de loi de Thomas Cazenave visant à lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques – qui nous permet de suspendre le versement d’une aide en cas de suspicion de fraude, le dossier sera mis de côté et, si la fraude est établie, il ne donnera lieu à aucun paiement.
Procéder ainsi nous permettra de réallouer à d’honnêtes gens qui auront déposé d’autres dossiers lors de la réouverture du guichet mi-septembre tout l’argent des aides demandées frauduleusement, de sorte que les 3,6 milliards d’euros seront bien consommés en intégralité.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’exposer très clairement ici ce que nous faisons. C’est important car que si nous laissons les fraudeurs qui ont trouvé dans ce dispositif une poule aux œufs d’or y alimenter leurs trafics – Tracfin trouve des millions d’euros de MaPrimeRénov’ à l’étranger ! –, certains d’entre vous sur ces bancs s’indigneront, légitimement, que cet argent public censé servir une politique vertueuse – que je souhaite défendre – soit ainsi détourné et volé.
En ce qui concerne, toujours en matière de logement, l’immobilier de l’État, certains députés – dont Thomas Cazenave, vous-même, monsieur Jolivet et le député Mattei – appellent de leurs vœux la création d’une foncière d’État. Ça tombe bien, moi aussi ! Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait cette avancée, mais le Conseil Constitutionnel l’a censurée, considérant qu’il ne s’agissait pas d’une mesure budgétaire directe.
Je souhaite que nous avancions, que nous fassions preuve d’une ambition encore plus grande, en ne créant pas seulement une foncière de l’État, mais une foncière gérant aussi l’immobilier de ses opérateurs, celui de la sécurité sociale, voire celui des universités, des collectivités et des hôpitaux qui le souhaiteraient.
M. François Jolivet
Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’ajoute que l’immobilier de l’État a été payé par les Français ; il s’agit d’un actif national. Mon premier objectif est qu’il y ait du rendement, que nous obtenions une forme de retour sur investissement. Puisque c’est notre argent, que ce sont les impôts passés de tous qui ont financé ces bâtiments – il y a parfois des siècles, notamment dans le cas de nombreux hôtels particuliers devenus des musées ou en tout cas des lieux qui se visitent –, je souhaite assurer leur rentabilité, de sorte que nous ayons les moyens de bien les entretenir, de bien les valoriser, de bien les rénover et de bien les utiliser. Dans ce but, je travaille actuellement avec la direction de l’immobilier de l’État, dans l’idée d’aller au-delà encore des objectifs que nous avions fixés en la matière dans le projet de loi de finances pour 2025, ambition que vous pourrez partager, me semble-t-il.
Nombre d’entre vous ont également abordé la question des dépenses fiscales.
Monsieur le député Mattei, je parlais justement de vous. (Mme la ministre se tourne vers M. Jean-Paul Mattei, qui rejoint son banc.) Vous serez heureux d’apprendre que je soutiens votre projet de foncière, avec une ambition décuplée.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Vous avez des préférences !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’ai des projets !
M. Charles de Courson, rapporteur
Des chouchous aussi !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
À une époque où Joël Giraud était rapporteur général du budget, et moi-même députée et commissaire aux finances, nous avions lancé une revue assez exhaustive des dépenses fiscales, qui faisait en particulier apparaître celles qui ne bénéficient qu’à un très petit nombre de contribuables. Dans le cadre de la loi de finances pour 2019, nous en avions supprimé plus d’une vingtaine, car nous avions considéré, conformément à ce que la Cour des comptes avait déjà signalé, que le chiffrage était rudimentaire, l’évaluation inexistante, et donc l’utilité collective douteuse.
En tant que ministre, j’affirme aujourd’hui très solennellement qu’un tel travail est à reprendre. Dans de trop nombreux cas, le chiffrage fait défaut, tout comme l’évaluation de la redondance de certaines politiques publiques consistant à la fois en subventions et en dépenses fiscales. Outre qu’ils s’ajoutent les uns aux autres, ces dispositifs sont inégalement connus des contribuables. Il arrive par conséquent, comme vous l’avez souligné, qu’un très faible nombre d’acteurs trouvent une très avantageuse niche fiscale ; faute d’en connaître l’existence, d’autres n’en bénéficieront pas à situation équivalente, ce qui est inéquitable.
J’ai annoncé à plusieurs reprises qu’avec 474 niches fiscales, nous avons matière à en rapprocher certaines, à en réduire d’autres, à limiter la portée d’autres encore. Il ne s’agit pas de décréter combien de milliards nous devrions en retirer, mais d’engager une dynamique d’évaluation. J’ai ainsi eu un échange avec votre collègue Christine Pirès Beaune au sujet du crédit d’impôts service à la personne. Il n’est pas question de toucher à ce qui fonctionne utilement, dont les gardes d’enfant et les aides aux personnes âgées ou handicapées. Tout un autre champ des services à la personne mérite en revanche d’être examiné, qu’il s’agisse des taux, des plafonds ou des périmètres des dépenses fiscales concernées. Les parlementaires sont d’ailleurs particulièrement bien placés pour adresser des propositions de travail en ce sens au gouvernement. Cela fera l’objet d’un dialogue que nous conduirons avec tous les groupes politiques, tant le compromis nous importe, quand il y va du bon usage de l’argent public.
Comme l’établit un rapport de la Cour des comptes d’avril 2025, le coût – supporté par la collectivité – de certaines niches fiscales croient de 12 %, de 15 %, voire de 18 % par an, alors que la croissance du PIB gonflée par l’inflation est de l’ordre de 3 % ou 4 %, voire 5 % dans les périodes fastes. Une telle évolution des dépenses fiscales signifie donc que nous octroyons aux politiques en question plus de moyens que les recettes ne le permettent.
M. Emmanuel Maurel
Par exemple, le crédit d’impôt pour l’emploi à domicile !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Ainsi, hors du quotient familial, les niches réduisent de 23 % le rendement de l’impôt sur le revenu et de 30 % celui de l’impôt sur les sociétés. Mon objectif – je le répète ici, après certains députés, comme Mathieu Lefèvre –…
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Il ne veut plus de niche fiscale du tout !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…est de faire évoluer le système fiscal en substituant des impôts plus bas pour tout le monde à un barème qui apparaît élevé, mais dans lequel nous ménageons des niches. Sur ces bancs (Mme la ministre indique les bancs du groupe RN), vous affirmez qu’il s’agirait d’une hausse d’impôt déguisée. Tel ne sera pas le cas si nous tirons parti de la suppression de certaines niches sectorielles et ponctuelles en recyclant ce qui rentrerait dans les caisses de l’État sous forme de baisses d’impôt qui profitent à tous. Dans les nombreux pays où elle a été suivie, une telle logique a favorisé la croissance tout en améliorant la lisibilité et l’équité de la fiscalité.
Pour conclure, dans la construction du budget pour 2026, nous souhaitons nous appuyer le plus possible sur les revues de dépenses, les rapports et les propositions des parlementaires. Dans les prochaines semaines, avant la fin de la session extraordinaire prévue le 11 juillet, Éric Lombard et moi-même recevrons tous les députés et sénateurs qui le souhaiteront, comme nous l’avons fait en janvier et février derniers lors de nos prises de fonction. En effet, pour bâtir un plan d’ensemble visant à ce que la dette de notre pays cesse de croître, conformément à ce que le premier ministre a annoncé, il convient de nous appuyer sur les travaux des parlementaires, à l’image de ceux du Printemps de l’évaluation, dont je veux encore une fois saluer le sérieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
Le débat est clos.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Les résultats de la politique d’éloignement des personnes sous obligation de quitter le territoire français
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les résultats de la politique d’éloignement des personnes sous obligation de quitter le territoire français. »
Ce débat a été demandé par le groupe UDR dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l’organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d’abord les rapporteurs, qui ont établi une note mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale ; nous entendrons ensuite les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons enfin à une séance de questions-réponses.
La parole est à Mme Sophie Ricourt-Vaginay, rapporteure désignée par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Sophie Ricourt Vaginay, rapporteure
Nous sommes réunis pour débattre des résultats de la politique d’éloignement des personnes sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Je le dis d’emblée : dans sa forme actuelle, cette politique est inefficace et sans résultats depuis des décennies, alors même que l’immigration irrégulière est l’une des premières préoccupations de nos concitoyens, que la maîtrise des frontières et des flux migratoires est la marque de tout État souverain et que la France n’a pas les moyens d’accueillir toute l’immigration du monde.
Les chiffres sont clairs : moins d’une OQTF sur dix est effectivement exécutée. Certes, des biais statistiques expliquent une partie des échecs rencontrés : certaines OQTF ne sont pas exécutoires et d’autres sont abrogées par l’administration ou annulées par le juge ; certains étrangers peuvent faire l’objet de plusieurs OQTF.
Ces explications sont cependant très partielles. Elles ne doivent pas dissimuler l’échec des gouvernements successifs en la matière, un constat qui ne date pas d’hier. Depuis des années, malgré des lois toujours plus strictes, malgré les circulaires et les effets d’annonce, la machine reste grippée.
J’ai dit que cette politique était sans résultats, mais c’est inexact. Son vrai résultat, ce sont les 600 000 à 900 000 étrangers en situation irrégulière qui vivent aujourd’hui en France, un pays qui manque de logements, d’emplois, d’hôpitaux et de moyens financiers.
Derrière ces chiffres se cachent des femmes, des hommes et parfois des enfants plongés dans une précarité extrême. Cette précarité, nous la fabriquons, comme l’insécurité qui va avec.
À force de multiplier des obligations d’éloignement sans perspective crédible d’exécution, nous créons des limbes juridiques, sociales et humaines. Nous affaiblissons l’État de droit et l’autorité de l’État en prononçant des décisions dont nous savons qu’elles resteront lettre morte.
Nous connaissons aujourd’hui les causes de notre impuissance en matière d’éloignement. Elles ont été analysées par la Cour des comptes en 2024 et par le sénateur François-Noël Buffet en 2022, et confirmées par les représentants des administrations que nous avons auditionnés, Mme Bergantz, M. Pauget et moi-même.
Premièrement, trop de pays d’origine refusent de délivrer des laissez-passer consulaires, pour des raisons parfois très discutables – les pièces justificatives fournies sont par exemple systématiquement mises en doute.
Deuxièmement, nos centres de rétention administrative (CRA) sont saturés. Ils ne totalisent que 2 000 places, ce qui est dérisoire au regard de l’ampleur de l’immigration irrégulière et de la dangerosité d’une partie de celle-ci. Or sans place en CRA, les étrangers en situation irrégulière peuvent échapper à la vigilance de l’administration et disparaître – parfois pour le pire, comme l’actualité l’a montré.
Troisièmement, 18 % des OQTF émises sont annulées par les tribunaux administratifs. Certaines le sont à juste titre, mais d’autres le sont pour de simples motifs de procédure, parce que nos procédures sont kafkaïennes, aussi bien devant les tribunaux administratifs que devant le juge des libertés et de la détention (JLD) amené à statuer sur un maintien en rétention.
Pour pallier ces faiblesses, le groupe UDR propose des solutions concrètes. D’abord, le développement de la rétention administrative. La rétention est une mesure coûteuse, certes, mais elle est efficace : le taux d’exécution des OQTF concernant les étrangers placés en CRA atteint 40 % ; c’est quatre fois plus que le taux moyen d’exécution des OQTF.
Or nous manquons cruellement de capacités d’accueil en CRA. Nous ne disposons que de 2 000 places, quand il en faudrait au moins 5 000. Il est donc temps d’assumer un investissement massif.
Pour être à la hauteur de l’enjeu, il faut aussi renforcer la sécurité des centres, prolonger la durée maximale de rétention pour les profils les plus dangereux – pas uniquement les terroristes – et reprendre le contrôle juridique des CRA, en confiant l’accompagnement de ceux qui s’y trouvent aux agents de l’État plutôt qu’à des associations militantes, souvent hostiles à la logique même de l’éloignement.
Ensuite, il faudrait renforcer les moyens juridiques et matériels de l’administration. Les services préfectoraux sont débordés et il faut leur fournir des outils adaptés. Ils pourraient utilement disposer d’un accès contrôlé aux téléphones portables des personnes réticentes à décliner leur nationalité, mais aussi expérimenter l’intelligence artificielle dans la détection des origines linguistiques ou utiliser le bracelet électronique pour mieux contrôler les assignations à résidence.
Je cite là des mesures de bon sens, respectueuses des libertés si elles sont bien conçues et nécessaires pour garantir l’autorité de l’État. S’y ajoute une réforme structurelle indispensable, la création d’un fichier national centralisé, interopérable entre tous les services de l’État. Préfectures, forces de sécurité intérieure, justice, Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), tous les services doivent pouvoir partager l’information en temps réel.
Ce fichier garantirait la traçabilité des décisions, la coordination opérationnelle entre les acteurs et l’effectivité de l’éloignement. C’est un outil de souveraineté administrative, aussi fondamental que la loi elle-même.
Enfin, il faut accélérer la délivrance des laissez-passer consulaires, qui constituent l’un des principaux verrous du système. Aujourd’hui, seuls 30 % des laissez-passer consulaires demandés sont délivrés par les pays d’origine : ce taux est inacceptable et notre diplomatie doit hausser le ton. Il faut aussi évaluer l’efficacité du levier des visas, centraliser les demandes auprès d’un service spécialisé et agir au niveau européen.
La France ne peut plus accepter que des pays refusent systématiquement de reprendre leurs ressortissants sous de faux prétextes.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous qui êtes impliqué sur les questions migratoires, qu’allez-vous faire de ces propositions ? Allez-vous agir ?
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur désigné par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Éric Pauget, rapporteur
Beaucoup a été dit au sujet des OQTF : des rapports ont été publiés par la Cour des comptes et par la commission des lois du Sénat, de la main même de M. François-Noël Buffet, alors sénateur. Les causes des difficultés d’exécution des décisions d’éloignement sont donc bien connues, et les auditions conduites en commission avec mes corapporteurs les ont confirmées. La loi « immigration » de 2024 vise certes à renforcer notre politique d’éloignement grâce à diverses mesures – simplification du contentieux, allongement de la durée initiale de rétention –, mais les résultats restent insuffisants ; la chaîne de l’éloignement demeure incomplète et les leviers d’action sous-employés. Ce déficit d’exécution affecte notre maîtrise des flux migratoires.
Nous avons identifié quatre axes de réforme. Je ferai quelques propositions issues de nos travaux, de manière non exhaustive mais pragmatique.
Les premières concernent la rétention administrative. Cela a été dit, lorsque la personne étrangère est placée en rétention, 40 % des OQTF sont exécutées. Quoique cela représente quatre fois plus que le taux global, la capacité des CRA reste très inférieure aux besoins. Avec environ 2 000 places disponibles actuellement, et 3 000 prévues en 2027 par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), cette capacité reste insuffisante au regard des 130 000 personnes visées chaque année par une OQTF. L’objectif de 5 000 places constitue une cible réaliste, à condition de prévoir un cadre juridique spécifique – tel que celui de projet d’intérêt général, expérimenté lors des Jeux olympiques.
Nous soutenons par ailleurs la proposition de loi de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, adoptée par le Sénat, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive en allongeant la durée maximale de rétention – fixée actuellement à quatre-vingt-dix jours – afin de traiter les profils les plus sensibles et dangereux et de disposer du temps nécessaire à la finalisation des démarches consulaires. Une telle mesure serait utile à toute la chaîne de l’éloignement. À titre personnel, je suis partisan d’allonger cette durée de rétention jusqu’à dix-huit mois.
Pour avoir visité le centre de Nice, la sécurisation des CRA m’apparaît comme un impératif absolu. Outre la sécurité des personnes retenues, les incidents qui s’y multiplient affectent les conditions de travail des personnels, lesquels doivent pouvoir disposer de moyens, notamment de surveillance.
Dans un souci de neutralité, nous proposons enfin que l’activité de conseil juridique des associations soit transférée à des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
À titre personnel, je préconise également l’extension de la procédure spécifique de rétention des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme aux étrangers connus pour de tels faits mais non condamnés à ce titre ; la généralisation de la possibilité d’exécuter une OQTF visant un étranger placé en CRA sans recours suspensif – comme cela se pratique sur l’île de Mayotte ; l’encadrement du rôle du JLD en matière de libération des retenus dans les CRA, en augmentant le nombre des motifs de prolongation de la rétention.
J’aborderai à présent les mesures visant à renforcer les moyens juridiques et matériels de l’administration. Vous le savez, monsieur le ministre, les préfectures sont engorgées. Le différentiel entre le nombre d’OQTF prononcées et les moyens dédiés à leur exécution est très préoccupant : alors que les décisions ont augmenté de 60 % entre 2018 et 2023, la hausse des effectifs affectés à leur exécution n’a été que de 9 %. Il est urgent de remédier à cette situation.
Une première mesure consisterait à autoriser un accès encadré au contenu des téléphones portables à des fins d’identification. Toutes les forces de l’ordre l’ont demandé lors de nos auditions ; elles en ont besoin sur le terrain.
Pour améliorer le suivi des assignations à résidence, nous préconisons aussi l’introduction – encadrée – du bracelet électronique, en particulier pour les personnes impliquées dans des troubles à l’ordre public. Cette disposition, censurée par le Conseil constitutionnel dans la loi « immigration » de 2024, doit être urgemment remise sur la table.
J’en viens au troisième axe de réforme. Nous pourrions créer un délit de séjour irrégulier sans incarcération ; j’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. Une telle mesure permettrait de doter nos forces de l’ordre de véritables pouvoirs d’enquête, à l’instar de la faculté d’accéder au téléphone portable pour identifier plus facilement les personnes visées.
Je défends également une idée nouvelle : étendre aux personnes sous OQTF non exécutées le délit de maintien irrégulier, en modifiant les articles L. 824-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Nous disposons en effet des outils pour aller plus loin.
Enfin, il faut tout faire pour améliorer le taux de délivrance des laissez-passer consulaires, qui s’élève à 30 % et reste beaucoup trop faible, en renforçant notre coordination diplomatique – je sais que vous vous êtes attelé à cette tâche, monsieur le ministre. Je pense notamment aux négociations portant sur les accords de retour, à la centralisation du traitement des demandes – qui serait un atout supplémentaire – ainsi qu’à l’évaluation du levier des visas. Comment jugez-vous ces propositions qui se veulent concrètes et pragmatiques, monsieur le ministre, afin que notre pays reprenne le contrôle et la maîtrise de son immigration ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Bergantz, rapporteure désignée par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Anne Bergantz, rapporteure
Les obligations de quitter le territoire français cristallisent aujourd’hui une part importante du débat public sur l’immigration. Souvent brandies comme un révélateur d’impuissance de l’État, elles sont aussi le reflet d’une complexité administrative, juridique et diplomatique que nous devons regarder en face, avec lucidité et sans excès. Les auditions récentes organisées en amont de ce débat avec la direction générale des étrangers en France (DGEF), la police aux frontières (PAF), la préfecture de police de Paris, mais aussi avec des universitaires, ont permis de mieux cerner les contours de ce sujet – les définitions, les chiffres, le cadre juridique, etc.
Elles ont d’abord révélé les biais de l’indicateur habituellement retenu pour juger de l’éloignement : le fameux taux d’exécution de 11,5 %, souvent cité pour dénoncer une prétendue inefficacité de l’action publique, ne tient pas compte des nombreuses OQTF non exécutoires, des étrangers concernés par plusieurs OQTF, des OQTF non notifiées, ni surtout de la doctrine française consistant – contrairement à nos voisins européens – à émettre systématiquement une OQTF en cas de séjour irrégulier, en conformité avec la directive « retour ». On ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable.
Nous devons également à la sincérité du débat de tenir compte du nombre, plutôt que du taux, des éloignements effectifs : celui-ci s’établit à environ 15 000 retours par an, plaçant la France en tête des pays européens, à égalité avec l’Allemagne, et loin devant l’Espagne et l’Italie. Il faut dire aussi que le taux d’exécution passe de 11,5 à 40 % depuis les centres de rétention administrative. Ces établissements sont donc en première ligne de notre capacité à éloigner.
Cela dit, nous devons faire mieux. La politique de l’éloignement se heurte à des obstacles structurels depuis des années. C’est pourquoi je souhaite insister sur trois leviers d’actions majeurs – intimement liés les uns aux autres.
Premier levier : renforcer les capacités et l’efficacité des centres de rétention administrative. Que le taux d’éloignement y atteigne 40 % est crucial dès lors que ces centres accueillent en priorité des profils dangereux ou délinquants. Néanmoins, avec à peine 2 000 places disponibles, nous sommes loin de pouvoir répondre aux besoins réels. L’objectif de 3 000 places d’ici à 2027, inscrit dans la Lopmi, doit impérativement être tenu, voire dépassé. Au cours de nos auditions, nous avons appris qu’en 2024, faute de places disponibles, 5 423 étrangers déjà sous OQTF interpellés à Paris par les services de la préfecture de police n’avaient pu être placés en CRA. Au total, en Île-de-France, seules environ 10 % des demandes de placement aboutiraient. Pouvez-vous nous renseigner, monsieur le ministre, sur la suite du parcours de ces étrangers, notamment ceux qui représentent un trouble grave à l’ordre public ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour s’assurer qu’ils ne représentent pas une menace pour nos concitoyens en restant en liberté ?
Nous devons en parallèle optimiser la coordination avec les services pénitentiaires. Il faut commencer les démarches de demande de laissez-passer consulaire dès l’incarcération, afin d’éviter que la rétention de 90 jours – ou de 210 jours, à terme, pour les profils les plus dangereux si la proposition de loi de la sénatrice Eustache-Brinio est adoptée – ne se solde par une libération sèche.
Deuxième levier : améliorer l’identification des personnes visées. L’une des principales causes d’échec des OQTF est en effet l’impossibilité d’identifier avec certitude leur nationalité et leur identité. L’accès au téléphone portable lors des enquêtes d’identité, s’il est bien encadré, pourrait grandement faciliter ces demandes de laissez-passer consulaire – on le sait, même lorsqu’ils déclarent ne pas avoir de titre d’identité, les étrangers possèdent presque toujours la copie d’un document sur leur mobile.
Toujours à des fins d’identification, le recours à la coercition pour relever les empreintes digitales est attendu par les services, notamment parce qu’ils ont accès à Visabio et des fichiers européens. Nous devrons néanmoins faire preuve de vigilance à l’égard de cette mesure, qui avait fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel en 2024, et nous assurer de sa compatibilité avec le respect des droits fondamentaux.
Troisième levier : fluidifier la délivrance des laissez-passer consulaires. Dernier maillon de la chaîne de l’éloignement, il est aussi celui qui la bloque le plus, puisque seuls 30 % des laissez-passer sont aujourd’hui délivrés. Or sans ce document, l’éloignement est impossible. Il faut donc poursuivre et intensifier les efforts diplomatiques à destination des pays rétifs.
Enfin, ne sous-estimons pas le potentiel des retours aidés. Le quasi-doublement de l’aide versée par l’Ofii à partir d’octobre 2023 a permis une hausse de 62 % des retours volontaires en un an. Ce mécanisme, quatre fois moins coûteux qu’un éloignement forcé, mérite d’être développé et mieux promu ; il constitue une voie complémentaire, humaine et économiquement rationnelle.
En somme, nous avons besoin d’une politique d’éloignement certes plus efficace, mais aussi crédible, proportionnée, respectueuse. Cela suppose d’agir sur chaque maillon de la chaîne, sans idéologie ni précipitation, et d’outiller nos administrations sans excès.
Mme la présidente
Nous allons à présent entendre les orateurs des groupes.
La parole est à M. Matthieu Bloch.
M. Matthieu Bloch (UDR)
OQTF : cet acronyme est devenu ces dernières années l’un des plus célèbres du paysage politique et médiatique. Il fait aussi partie, ne nous le cachons pas, des sujets de discussion à la table familiale du dimanche ou devant la machine à café au bureau. OQTF : obligation de quitter le territoire français. Disons-le franchement, tout sonne faux dans cet acronyme. L’obligation n’en est pas une – ceux qui doivent quitter ne quittent malheureusement pas, pour la plupart ; quant aux frontières de ce territoire que l’on prétend défendre, nous les abandonnons à la sous-traitance avec une imprudence consternante.
L’OQTF est aujourd’hui une fiction. Ce qui devait être un instrument de souveraineté est devenu le symbole d’un mensonge politique, que nous nous répétons à nous-mêmes à chaque fois que nous prononçons ces quatre lettres. Imaginez un arbitre de foot brandissant un carton rouge – une OQTF du football, en somme. Le joueur sort, c’est immédiat, la décision est respectée. Imaginez maintenant qu’il refuse de quitter le terrain, que la décision soit négociée, suspendue, qu’un entraîneur ou un délégué la conteste. C’est absurde. Pourtant, c’est exactement ce que nous faisons.
Je ne suis pas venu ici avec des chiffres, monsieur le ministre. Vous les connaissez mieux que moi, ils sont alarmants. Je suis venu vous parler d’un poison qui ronge l’autorité de l’État, mine la confiance dans la République et met des vies en danger : l’impuissance publique ou, pire encore, l’impuissance politique organisée. Une nation qui n’est plus capable de faire exécuter ses propres décisions administratives d’éloignement n’est plus souveraine.
Or cette impuissance tue, hélas. Lola, 12 ans, violée, torturée, assassinée par une femme sous OQTF ; Olivier Maire, prêtre tué en Vendée par un Rwandais qui faisait l’objet de trois OQTF successives, toutes restées lettre morte ; Philippine, 19 ans, étudiante, violée puis tuée dans le bois de Boulogne par un Marocain, lui aussi sous OQTF ; citons aussi cette autre étudiante violée à Paris par un Tchadien sans papiers qui aurait dû être expulsé ; et la liste s’allonge : Créteil, Marseille, Saint-Étienne, Drancy, tant d’affaires où des agresseurs auraient dû être éloignés. Ces drames ne sont pas des exceptions : ce sont les conséquences directes de décisions non appliquées, d’une impuissance devenue malheureusement structurelle.
Cette impuissance n’est toutefois pas une fatalité. Elle n’est même pas toujours subie. Car l’État sait être puissant quand il le veut, et l’être redoutablement : pour lever l’impôt à la source, pour imposer un confinement général, pour gérer des millions de QR codes, notre administration est efficace, disciplinée, méthodique. Mais quand il s’agit d’éloigner ceux que nous avons nous-mêmes déclarés indésirables, soudain, tout s’enraye. Alors osons poser la vraie question : pourquoi ? Pourquoi une telle faiblesse, une telle inertie, une telle résignation ? Parce qu’une partie du pouvoir politique préfère reculer plutôt que d’assumer ; parce qu’elle craint les juges, les ONG, les tribunes, parce qu’elle s’est soumise à une gauche bien-pensante, devenue l’idiote utile du frérisme et de l’angélisme migratoire.
Dans ce théâtre des renoncements, l’État de droit devient l’excuse permanente de l’État faible. Or rien ne nous contraint à subventionner ceux qui bloquent l’action publique, à accorder des visas à des pays qui refusent de coopérer, rien ne nous oblige à sacrifier notre souveraineté à des normes internationales que le peuple français n’a ni choisies ni voulues. Tous ces obstacles sont des chaînes que le pouvoir politique s’impose à lui-même et, pire encore, qu’il impose à ceux qui n’ont pas renoncé à se déplacer aux urnes. Il est temps de nous ressaisir.
Le droit ne doit pas être un écran derrière lequel se cacher, mais un outil d’action et un instrument de protection. L’OQTF ne peut plus rester l’acronyme de la honte et du renoncement ; elle ne peut plus incarner la faiblesse, l’impuissance et l’aveuglement idéologique ; elle ne peut plus symboliser des vies volées, des drames évitables et des décisions non appliquées. Elle doit redevenir ce qu’elle aurait toujours dû être : un outil clair, ferme et républicain, au service de la protection des Français ; un instrument de souveraineté, un signal de fermeté, une réponse non pas contre les étrangers, mais contre ceux qui défient nos lois, notre hospitalité et notre sécurité. Il ne s’agit pas de haine, mais de protection. Il ne s’agit pas de repli, mais de responsabilité. Il ne s’agit pas de peur, mais de courage.
Faisons de l’OQTF non plus le symbole d’un État qui recule, mais celui d’un État qui protège. Non plus un acronyme du renoncement, mais celui d’une promesse tenue. Pour cela, il faut cesser de trembler, cesser de composer, cesser de mentir. Comme le disait Clemenceau, « il faut savoir ce qu’on veut ; quand on le veut, il faut avoir le courage de le dire, et, quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. » Il est temps, mes chers collègues, d’avoir le courage de dire et, surtout, de faire.
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Odoul.
M. Julien Odoul (RN)
Nous sommes censés débattre de la politique d’éloignement des personnes placées sous OQTF – obligation de quitter le territoire français. Mais de quelle obligation parle-t-on ? Par honnêteté intellectuelle et pour cesser de mentir aux Français, vous devriez plutôt parler de SQTF – suggestion de quitter le territoire français –, ou de PQTF – proposition de quitter le territoire français. En effet, l’État ne décide plus, il constate ; l’exécutif n’exécute plus, il subit.
Le bilan est implacable : sur 130 000 OQTF délivrées en 2024, seules 15 000 ont été exécutées, soit une sur dix. Neuf fois sur dix, ces obligations sont ignorées, leurs destinataires laissés dans la nature, comme si la loi n’était qu’un paillasson, comme si la République s’excusait d’exister. Voilà la réalité, monsieur le ministre, que vous avez fait advenir. Mais pendant que vous multipliez les notifications sans exécution et les discours stériles sans action, des Français tombent.
Je veux avoir une pensée pour une jeune Française. Elle s’appelait Philippine, elle avait 19 ans. Elle a croisé le chemin d’un homme condamné pour viol, qui était sous OQTF – une OQTF non exécutée. Ce barbare n’aurait jamais dû être là mais, comme trop souvent, le gouvernement a laissé faire – et Philippine est morte. Voilà le résultat de la politique de votre gouvernement : des papiers et des cercueils. (M. Sébastien Huyghe s’exclame.) Avant cela, Lola, 12 ans, était violée et assassinée par une Algérienne sous OQTF ; à Rennes, un enfant de 2 ans était percuté et tué par un individu sous OQTF ; à Orsay, un agent municipal était tué par un individu sous OQTF. Je pourrais citer Mulhouse, Saint-Étienne, Bobigny et Martigues ; à chaque fois, la même phrase résonne comme le procès de votre incompétence : « il faisait l’objet d’une OQTF ».
À force de ne pas appliquer la loi, vous avez laissé s’installer une vérité insupportable : une OQTF, en France, n’est pas une mesure d’éloignement, mais un ticket d’attente pour le prochain drame. L’Algérie est passée maître dans l’art des gifles diplomatiques : elle refuse de reprendre ses clandestins – neuf fois sur dix, elle dit non. Face à cela, que fait la France ? Elle s’incline, elle continue de délivrer des visas, elle ouvre deux consulats supplémentaires, elle fait venir des imams pendant le ramadan, elle paie pour être humiliée.
Monsieur Retailleau, dans cette arène, vous êtes un gladiateur en carton recyclé : en carton, car votre emballage contient du vide et prend l’eau ; recyclé, car vos postures et vos impostures ont comme un air de déjà-vu. Dès votre nomination, vous avez déclaré vouloir atteindre les mêmes objectifs que Gérald Darmanin – la belle affaire ! Pas une rupture mais une continuité, disiez-vous, pas un électrochoc mais une reconduction. Vous parlez fort, mais vous ne proposez rien : pas de gel automatique des visas, pas de sanctions contre les pays qui insultent nos lois, pas de réponse graduée. Rien, juste du blabla sur des politiques molles. Vous n’êtes pas une solution, vous êtes la dernière mise en scène du macronisme migratoire.
À vos côtés se trouvent ceux que les LR ont contribué à faire élire : les membres de La France insoumise, qui militent pour davantage d’insécurité et qui revendiquent la cohabitation avec toutes les brebis galeuses de la Terre. Quand un radicalisé est placé en rétention, une députée LFI vole à son secours et se précipite au CRA ; quand un multirécidiviste doit être reconduit à la frontière, LFI proteste, manifeste, dénonce. La France insoumise visite les centres de rétention, jamais les familles des victimes ; elle défend ceux qui refusent d’embarquer, jamais ceux qui n’auraient pas dû croiser leur route. Nous, nous protégeons Philippine, Lola et tous les enfants de France. Eux, ils protègent les délinquants et les criminels étrangers.
LFI n’a pas choisi la France. Elle a choisi les frontières ouvertes, l’impunité et le règne de la violence. Nous, au Rassemblement national, nous proposons une rupture nette et républicaine :…
M. Romain Eskenazi
Républicaine ?
M. Julien Odoul
…exécution immédiate de toutes les OQTF, sans exception ; expulsion automatique de tout étranger condamné, y compris les fichés S ; rétention prolongée et systématisée pour les profils dangereux ; gel des visas, suspension de l’aide publique au développement, blocage des transferts d’argent vers les pays qui refusent de reprendre leurs clandestins ; enfin, rétablissement du délit de séjour irrégulier, pour que la loi cesse d’être un vœu pieux. C’est cela, le programme du Rassemblement national : une politique de fermeté, de clarté, et surtout d’efficacité.
Pour nous, Philippine et Lola ne seront jamais des « faits divers » servant à nous « brainwasher », mais la dramatique réalité de votre impuissance et de votre lâcheté. L’heure n’est plus aux discours. L’heure est au sursaut, pour garantir aux Français la première des libertés : leur sécurité.
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Portes.
M. Thomas Portes (LFI-NFP)
OQTF : quatre lettres qui sonnent comme une sentence. Quatre lettres brandies, pour flatter l’extrême droite, par tous les locataires successifs de la place Beauvau. Quatre lettres devenues le cauchemar quotidien de milliers de familles. Quatre lettres symbolisant les réalités personnelles effacées au nom d’une politique migratoire purement comptable.
Les OQTF sont devenues un outil punitif aux mains de l’administration, un levier de communication au service d’un programme politique. Le résultat est clair : une course aux chiffres dans les préfectures, sans discernement ni humanité. La France délivre autant d’OQTF que la Grèce, l’Italie et l’Espagne réunies. En 2024, 140 000 OQTF ont été prononcées, pour 20 000 retours effectifs. Entre 2019 et 2022, leur nombre a bondi de 60 %.
Cette situation a été aggravée par votre circulaire du 23 janvier 2025, qui prolonge la brutalité de la loi Darmanin de 2024 – la 117e réforme migratoire depuis 1945, la quatrième sous Emmanuel Macron. Cette loi est une réforme de plus, toujours dans le même sens : plus d’expulsions, moins de droits. Cette circulaire, calibrée pour les plateaux de CNews, impose aux préfets de prononcer systématiquement une OQTF à chaque refus de titre de séjour. Les éléments d’appréciation de la situation individuelle – ancrage familial, scolarisation des enfants, conjoint français, situations de vulnérabilité – sont écartés. La procédure devient mécanique, aveugle, inhumaine.
Ne tentez pas de justifier cette politique au nom de la sécurité : les chiffres sont clairs et vous contredisent. Entre 2019 et 2022, 93 % des OQTF visaient des personnes n’ayant aucun passé judiciaire. La Cour des comptes elle-même tire la sonnette d’alarme face à cette grave dérive. Elle dénonce, dans son rapport de janvier 2024, la « systématisation des OQTF […] devenue un enjeu de communication administrative ». Elle révèle aussi une réalité inquiétante : des préfectures débordées, comme celle de Seine-Saint-Denis, incapables de mener une analyse qualitative des situations et qui prononcent des OQTF à l’encontre de personnes pourtant insérées dans la société.
Cela conduit à des situations indignes d’un État de droit. Dans ma circonscription, en Seine-Saint-Denis, une OQTF a été délivrée à une mère d’un enfant de 6 ans, né en France, plongeant dans l’anxiété cette femme censée pourtant être protégée par son statut de parent d’un mineur né sur notre sol. Je pense aussi à ce militant kurde, rescapé de la tuerie raciste de la rue d’Enghien, visé par une OQTF alors qu’il est le seul témoin oculaire du drame et qu’il est appelé à s’exprimer devant la cour d’assises en 2026. L’éloigner, c’est faire obstacle à la justice française et le renvoyer dans un pays où il risque la prison pour son engagement politique. Enfin, je pense à Shama, menacée d’expulsion vers Gaza alors qu’elle avait rejoint son frère franco-palestinien à Aix-en-Provence pour l’accompagner dans ses soins quotidiens. Expulser des personnes vers une terre dévastée par un génocide en cours, où l’aide humanitaire est elle-même entravée : voilà le résultat absurde de la politique que vous menez.
Vous allez jusqu’à utiliser l’OQTF comme un outil de tension diplomatique, agitant le chiffon rouge devant nos amis algériens, au mépris des binationaux, au détriment des liens familiaux qui unissent des millions de Français et d’Algériens. Sachez, monsieur le ministre, que nous avons honte pour vous : honte de votre politique qui criminalise les étrangers ; honte de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) et de la dématérialisation des démarches qui provoque des ruptures de droits massives et systématiques, comme l’a dénoncé la Défenseure des droits ; honte aussi des politiques européennes que vous soutenez, et de leurs terribles conséquences : une crise de l’accueil faite de barbelés, de murs et de mers transformées en cimetières, où les cadavres s’accumulent.
Quel est le résultat de cette politique ? L’augmentation du nombre d’OQTF, pour rassurer vos électeurs et remporter un congrès, pour surfer, de concert avec vos amis d’extrême droite, sur un amalgame honteux et infondé entre immigration et insécurité. En 2022, le mot OQTF apparaissait 5 598 fois sur les radios et les plateaux télé. Or 70 % de ces occurrences se concentraient sur une seule chaîne : CNews, celle de votre ami Vincent Bolloré, celui-là même qui soutient le commerce du bois servant au financement des guerres civiles, qui contraignent des milliers de personnes à l’exil. Voilà où nous, Insoumis, appelons à regarder, vers les causes profondes des migrations : guerres impérialistes, crises climatiques et capitalisme prédateur.
Tant que ces causes seront niées, votre politique restera ce qu’elle est : une machine à exclure, à briser, à faire mal. Vos pratiques de fichage et de harcèlement administratif, les propos islamophobes et racistes que vous encouragez dans l’espace public, vos politiques discriminatoires : tout cela alimente la haine. Nos concitoyens l’ont payé de leur vie, en particulier Hichem Miraoui, assassiné par un homme qui se revendiquait soutien du Rassemblement national.
Nous, humanistes et antiracistes, sommes fiers de défendre un autre horizon : celui de la créolisation, qui est la rencontre des humanités et des altérités au sein de cultures et de modes de vie communs. Jamais nous ne céderons aux divisions et aux haines racistes. Jamais nous n’encouragerons, comme l’extrême droite, la division du peuple. Au contraire, nous revendiquons l’unité du peuple pour mettre un coup d’arrêt à vos politiques. Monsieur le ministre, sachez que vous nous trouverez toujours sur votre chemin, chaque fois que vous menacerez celles et ceux qui sont aujourd’hui cette nouvelle France.
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophle.
M. Paul Christophle (SOC)
Les OQTF sont un acte administratif. Or trop souvent, dans le débat public, des personnes ne sont plus désignées que par cet acronyme – « les OQTF » – plutôt que par leur nationalité ou leur humanité. Certains élus de droite et d’extrême droite choisissent de réduire ces personnes à un simple statut. C’est là un trait distinctif de la politique migratoire : la tendance à réduire les gens aux processus dans lesquels ils sont pris, à les assimiler au statut plus ou moins précaire que l’administration leur applique. Chaque année, cela a été dit, les préfectures délivrent en France 130 000 obligations de quitter le territoire français – un record dans l’Union européenne. L’administration emploie le verbe « délivrer » pour désigner une décision administrative qui change profondément la vie de la personne qui la reçoit : elle a alors trente jours pour quitter le territoire, sous peine de se retrouver dans l’illégalité.
Plusieurs chiffres sont source d’interrogations : on compte 60 000 obligations de quitter le territoire en Grèce, 38 000 en Espagne, 27 000 en Italie, bien loin de notre chiffre record de 130 000. Nous pourrions penser que, parce que nous accueillons en France davantage d’étrangers qu’ailleurs, il est logique que nous demandions à davantage de personnes de ne pas rester sur notre sol. Or il n’en est rien : nous accueillons en France environ 160 000 étrangers par an, soit deux fois moins qu’en Italie ou qu’en Espagne.
Nous détenons un second record : avec 12 000 éloignements forcés par an, la France est le deuxième pays de l’Union européenne qui expulse le plus. Cependant, 90 % des personnes visées par une obligation de quitter le territoire français n’ont commis aucune infraction. Il s’agit donc d’étrangers qui n’ont pas le droit de travailler dans notre pays, qui ne peuvent pas se loger, et qui pourtant sont arrivés jusqu’ici et n’ont jamais enfreint la loi française.
Enfin, 90 % des obligations ne sont pas exécutées. Cela veut dire qu’après avoir refusé une demande de titre de séjour, l’administration prend le temps d’envoyer une obligation de quitter le territoire français à des personnes dont elle sait pertinemment qu’elles ne partiront pas, parce qu’elles n’en ont pas la volonté, parce qu’elles travaillent parfois et parce que l’administration n’a pas les moyens de les forcer à quitter notre pays. Ces étrangers, après trente jours, demeurent donc illégalement sur le territoire, entrant dans une précarité presque absolue, dans une sorte de « ni-ni » : ni régularisables, ni expulsables.
Je résume la situation : la France accueille moins d’étrangers que ses voisins ; elle refuse davantage de titres de séjour mais délivre entre deux et quatre fois plus d’obligations de quitter son territoire, tout en se sachant incapable de les appliquer, ce qui engendre une détresse immense pour celles et ceux qui restent. Pourriez-vous nous expliquer en quoi, selon vous, cette politique migratoire est efficace ?
Si vous manquez d’idées d’améliorations, en voici quelques-unes : élargissons les voies légales de l’immigration, autorisons l’accès au travail sans condition de titre, cessons de faire croire aux Françaises et aux Français qu’on doit expulser des étrangers alors qu’on a besoin d’eux pour construire l’avenir de notre pays.
Mme la présidente
La parole est à Mme Félicie Gérard.
Mme Félicie Gérard (HOR)
Nous débattons des résultats de la politique d’éloignement des personnes placées sous OQTF.
Depuis votre arrivée place Beauvau, monsieur le ministre, vous avez souhaité augmenter significativement le nombre de contrôles aux frontières, lutter contre les passeurs et assurer de votre fermeté au sujet des OQTF.
Par conséquent, le nombre de personnes sous OQTF augmente ; mais il ne suffit pas de prononcer une obligation de quitter le territoire français pour que l’individu visé le quitte effectivement. Avant de pouvoir procéder à son éloignement, nous devons respecter le délai légal de départ volontaire puis obtenir, de la part du pays d’origine, le fameux laissez-passer consulaire. En attendant, que pouvons-nous faire ? Nos centres de rétention administrative, trop peu nombreux, sont souvent déjà remplis. Si les forces de sécurité intérieure font un travail formidable, il est évident que nous ne pouvons mettre un policier ou un gendarme derrière chaque individu sous OQTF. Nous ne pouvons surveiller constamment, interpeller et éloigner l’ensemble de ces personnes.
L’État n’est ainsi plus en mesure de faire face à l’importante augmentation du nombre d’OQTF prononcées par les autorités administratives et se trouve dans l’impossibilité de les faire toutes exécuter. Alors que le nombre des OQTF prononcées a augmenté de 123,8 % entre 2011 et 2022, leur exécution a enregistré sur la même période une baisse de 13,74 %.
En résumé : nous appréhendons des individus, nous prononçons des OQTF, mais nous peinons à les faire exécuter.
Pensez-vous que le système des OQTF est toujours adapté, cohérent et efficace et qu’il est à même de nous permettre de renvoyer dans leur pays les personnes en situation irrégulière ? Quel autre système ou quel autre outil peut-on envisager pour lutter contre la massification de l’immigration illégale ? Faut-il nécessairement en passer par un accord de coopération européen visant à assurer une même politique publique dans tout l’espace Schengen ?
J’en viens au sujet des OQTF prononcées contre des étrangers ayant commis des crimes ou des délits sur notre sol. Ces personnes, appréhendées par la police, sont jugées puis détenues dans nos prisons. La théorie veut qu’à l’issue de leur peine, une OQTF leur soit signifiée et qu’à leur sortie de prison, elles soient renvoyées dans leur pays d’origine. Toutefois, nous constatons que dans certains départements, la coopération entre les services pénitentiaires et les services préfectoraux est difficile. Dans bien des cas, l’OQTF n’est signifiée que quelques jours avant la sortie de prison. À l’issue de sa peine, la personne est donc placée en centre de rétention administrative dans l’attente d’un traitement de la demande de laissez-passer consulaire, avant d’être finalement libérée au terme des délais légaux, sans qu’il soit possible de la renvoyer dans son pays d’origine.
Afin de gagner en efficacité, ne pourrions-nous pas signifier l’OQTF bien en amont de la sortie de prison ? Si vous êtes un étranger en situation irrégulière et que vous avez commis un délit ou un crime, vous ne devriez pouvoir sortir de prison pour rien d’autre que pour monter dans l’avion qui vous reconduira dans votre pays d’origine. C’est un cadre simple, nécessitant un peu de coopération entre les acteurs concernés. Nos compatriotes ne sauraient cependant imaginer qu’il en aille autrement.
Monsieur le ministre, dans quelle mesure pouvons-nous assurer partout sur le territoire national, au moyen de circulaires conjointes avec le garde des sceaux, une coopération efficace entre les services des préfectures et l’administration pénitentiaire ?
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury (LIOT)
Depuis leur création par la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, les OQTF n’ont de cesse de faire débat – par leur forme, par les personnes qu’elles visent et par leur difficile application.
Or l’exécution des OQTF représente un véritable enjeu pour notre souveraineté nationale voire, nous l’avons malheureusement constaté, pour notre sécurité. Si la France se distingue aujourd’hui par le nombre élevé des mesures d’éloignement qu’elle prend, leur taux d’exécution figure parmi les moins bons d’Europe. En 2023, les autorités ont ainsi émis 138 000 OQTF – deux fois plus que dix ans auparavant. Le taux d’éloignement, pourtant, n’augmente pas : seules 7 % des OQTF ont été exécutées en moyenne ces dernières années. À titre de comparaison, l’Allemagne réussit à exécuter 30 % des mesures d’éloignement qu’elle prononce, soit quatre fois plus que la France.
Si ces chiffres démontrent l’inefficacité de nos institutions, ils nous alertent également sur notre faible capacité à faire respecter l’État de droit. Ces résultats peu probants nourrissent un sentiment d’injustice chez nos concitoyens et affaiblissent la crédibilité de l’État, autrement dit de notre République. En laissant des personnes sous OQTF rester sur notre territoire pendant de longs mois, voire des années, nous créons des zones d’ombre, des situations de précarité et parfois des risques en matière de sécurité publique. Il est inadmissible qu’une puissance mondiale comme la France soit incapable de faire appliquer dans des délais raisonnables des décisions administratives claires et fondées en droit.
Il est temps d’agir pour nous donner les moyens de le faire. Face à la non-exécution des OQTF et à la difficulté d’obtenir, de la part de certains pays, les laissez-passer consulaires, la France a tenté de restreindre les visas délivrés aux ressortissants de ces pays réfractaires. Les consulats français en Algérie, au Maroc et en Tunisie ont ainsi reçu pour consigne de refuser 50 % des demandes de visa. Mais si ces mesures ont eu pour effet de dégrader nos relations avec ces trois pays, elles ne les ont pas conduits à réadmettre davantage de leurs ressortissants.
Il est donc urgent de trouver de nouveaux leviers diplomatiques pour pallier ces refus et protéger nos concitoyens. L’acte terroriste qui a endeuillé une nouvelle fois notre pays le 22 février a été commis par une personne sous OQTF pour laquelle la France avait demandé à dix reprises un laissez-passer consulaire à son pays d’origine – demandes qui avaient toutes été refusées.
C’est dans ce contexte que j’ai déposé, en mars dernier, deux propositions de loi.
La première vise à garantir la rétention administrative des étrangers dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste : ils ne pourraient pas sortir de CRA avant la délivrance du laissez-passer consulaire. La seconde vise à doubler, pour ce même type de personnes, le temps de rétention. Cela impliquerait cependant d’augmenter le nombre de places en CRA, quand ces structures sont confrontées à des difficultés en matière d’effectifs, d’équipement et d’aménagement.
Ces mesures ne sauraient toutefois, à elles seules, constituer une réponse efficace aux difficultés bien connues d’obtention des laissez-passer consulaires. Il est impératif de renforcer vigoureusement nos relations diplomatiques avec les pays qui demeurent réticents à les délivrer.
Dans cette perspective, la proposition de loi visant à interdire le mariage d’une personne faisant l’objet d’une mesure d’expulsion, d’éloignement ou d’interdiction du territoire national s’inscrit dans une démarche cohérente. Je ne peux qu’y souscrire, ayant déjà eu à faire face à ce problème en tant qu’adjoint au maire.
Des mesures fortes sont nécessaires non seulement pour assurer la sécurité de nos concitoyens, mais également pour restaurer la confiance dans nos institutions. La France doit, au minimum, s’aligner sur les standards européens, tout en veillant au respect des droits fondamentaux. La rigueur dans l’application de la loi n’est pas incompatible avec le respect des droits humains ; au contraire, elle est indispensable à l’établissement d’un cadre juste et équitable pour tous. Il est de notre responsabilité d’agir avec efficacité, équité, humanité, mais aussi avec fermeté.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Les questions ont été nombreuses : je vais essayer de les regrouper et je commencerai par aborder un certain nombre d’entre elles dans un propos liminaire.
Tout d’abord, je voudrais rectifier une erreur : l’OQTF ne sanctionne pas un trouble à l’ordre public, mais un séjour irrégulier – ce sont les termes de la loi européenne.
Les statistiques sont d’un usage problématique, comme l’a fort bien indiqué l’une des rapporteures. On dit qu’une OQTF sur dix est exécutée, mais il convient d’y ajouter les interdictions du territoire français, qui doivent également être exécutées, et d’en retrancher, par exemple, les OQTF que le juge abroge, celles qui ne sont pas notifiées, celles qui le sont à l’encontre d’une personne connue sous un alias – certains étrangers en situation irrégulière utilisent plusieurs noms – et celles qu’on ne peut pas notifier parce que les gens ont disparu dans la nature. Le taux réel, comme vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, est d’un peu plus de 21 %. Eurostat vient de publier ses dernières statistiques : au premier trimestre de cette année, la France est passée devant l’Allemagne en valeur absolue du nombre d’exécutions de mesures d’éloignement – résultat important, même si je conviens qu’on ne peut s’en satisfaire.
Il faut également comprendre que tout n’est pas à notre main. C’est la directive « retour » qui nous oblige à prendre des OQTF. J’en veux pour preuve les événements survenus en Allemagne : le rabbin qui a été attaqué à deux reprises l’a été, la seconde fois, par un Palestinien qui n’était pas sous l’équivalent allemand de l’OQTF mais qui bénéficiait d’une Duldung – une mesure de tolérance, sans expulsion ni pour autant acceptation sur le territoire. Pour cette dernière raison – parce qu’elle ne prenait pas, de manière systématique, des mesures d’éloignement du territoire – l’Allemagne a été condamnée en 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Ce n’est donc pas le gouvernement français qui veut prendre beaucoup d’OQTF – ce serait bien plus facile d’en prendre moins ! –, mais c’est le droit européen, droit auquel nous nous sommes toujours conformés, qui nous oblige à prendre systématiquement des OQTF pour sanctionner le délit de séjour irrégulier.
Si la décision de prendre des OQTF n’est pas à notre main, leur exécution ne l’est pas non plus, pour deux raisons.
À cause de cette folle directive « retour » de 2008, tout d’abord : depuis mon arrivée au gouvernement, je n’ai de cesse de tenter de convaincre mes collègues européens – et je suis sûr d’être sur le point d’y parvenir – de la nécessité de la réviser. Cette directive, par exemple, donne à l’étranger en situation irrégulière un délai de départ volontaire ; mais vous pensez bien que l’individu concerné en profite pour s’évanouir dans la nature. Ce n’est pas la France qui a voulu cela, mais cette fameuse directive européenne. Heureusement, j’y reviendrai tout à l’heure, les choses vont changer de ce côté-là, ce qui ne sera pas sans conséquences importantes. Il y a là un succès, certes partiel et perfectible, qui nous permettra d’avancer. Nous devons donc prendre des OQTF sous la contrainte du droit européen, sans même parler de la jurisprudence de la CJUE du 21 septembre 2023 qui nous oblige à alourdir, pour les étrangers en situation irrégulière, les procédures à nos frontières – encore quelque chose qu’il faudra changer.
La nécessité d’obtenir des laissez-passer consulaires, ensuite, fait également que l’exécution des OQTF ne dépend pas de nous, mais du bon vouloir des pays des ressortissants en situation irrégulière – nous aurons sans doute à revenir sur les difficultés que nous rencontrons à ce sujet avec le régime algérien.
Tel est le cadre très contraignant qui s’impose à nous. Le droit de l’immigration – je le savais certes avant d’être ministre – est un des plus complexes. S’il a été en partie élaboré par des députés et des sénateurs, il a été considérablement modifié par les jurisprudences des cours suprêmes – notre Conseil constitutionnel, la CJUE ou encore la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Derrière les statistiques, il y a des crimes commis par des étrangers qui n’avaient absolument rien à faire sur le sol français. S’il convient de ne pas les instrumentaliser, il est clair que notre capacité à éloigner les plus dangereux des étrangers en situation irrégulière est pour nous un enjeu fondamental. C’est ce dont témoigne notre politique relative aux CRA, politique sur laquelle vous m’avez interrogé. Nous y plaçons en priorité les individus les plus dangereux, en dépit des grandes complications que cela entraîne pour ceux qui les surveillent ou pour la police aux frontières – visitez des CRA, et vous verrez la tension qui y règne. Cette politique, essentielle, nous permet cependant de faire monter à 40 %, pour les individus placés dans les CRA, le taux d’exécution des OQTF. Nous entendons ainsi éviter que des individus dangereux soient remis dans la nature.
Je reparlerai tout à l’heure de la proposition de loi de Mme Eustache-Brinio, qui nous permettra d’éviter que se reproduisent des cas comme celui de Philippine. Ce n’est cependant pas le gouvernement qui a décidé de libérer ce ressortissant marocain sous OQTF, monsieur Odoul ; c’est un juge des libertés et de la détention, considérant que la perspective d’éloignement était très incertaine en l’absence de laissez-passer consulaire. Vingt-quatre heures après la remise en liberté, pourtant, le laissez-passer consulaire marocain est arrivé.
Nous sommes confrontés à un contexte compliqué et il est hors de question de s’en satisfaire. Il n’y a pas de fatalité. Certes, tout ne dépend pas que de nous ; il n’empêche qu’entre octobre 2024 et avril 2025, les éloignements forcés ont augmenté de 14 %, tandis que les expulsions préfectorales ou ministérielles ont plus que doublé en moyenne mensuelle. Même si la situation est loin d’être parfaite, même si nous faisons face à de nombreuses contraintes juridiques et jurisprudentielles, nous devons avancer.
Notre stratégie repose sur trois piliers, que je m’efforce de renforcer depuis que je suis ministre de l’intérieur. Il n’existe pas de panacée, nous devons adopter une vision globale. Ma stratégie repose d’abord sur la dimension internationale. C’est pourquoi nous avons intensifié nos efforts diplomatiques, notamment avec le Maroc : nous avons pratiquement doublé le nombre de laissez-passer consulaires, avec une hausse de 93,5 % par rapport à l’année précédente, et les retours forcés depuis les CRA ont progressé de plus de 55 %.
Toujours avec le Maroc, nous développons une initiative importante : comme l’un d’entre vous l’a souligné, le premier obstacle aux éloignements réside dans la destruction de leur pièce d’identité par des individus dont il faut pourtant renseigner l’identité. Le Maroc nous a proposé une mission conjointe, que j’ai acceptée et discutée avec mon collègue marocain. Cette mission nous permettra d’identifier les profils les plus dangereux, en nous appuyant sur l’expertise marocaine en matière de dialectes et d’autres indices permettant d’identifier les individus concernés.
Par ailleurs, je suis pleinement favorable au rétablissement du délit de séjour irrégulier, non pour infliger des amendes qui ne seront jamais payées, mais parce qu’il nous permettra de renforcer nos capacités d’investigation, notamment grâce à la fouille des téléphones. C’est essentiel pour détecter des images qui peuvent révéler des indices liés au terrorisme – nous l’avons déjà observé – ou nous renseigner sur le pays d’origine, de transit ou de séjour. Ce délit est donc une pièce maîtresse de notre stratégie. Nous allons plaider pour son rétablissement dans le cadre de la réforme de la directive « retour », qui va devenir un règlement – j’y reviendrai.
À l’international également, nous avons multiplié les accords avec les pays tiers : Vietnam, Ouzbékistan et Kazakhstan, récemment, et bientôt, l’Égypte et l’Afrique des Grands Lacs. Pourquoi est-ce important ? En cas d’accord avec un pays tiers, vous pouvez prendre une décision d’éloignement forcé sans le consentement de l’individu, à condition que vous puissiez précisément documenter le fait que, sans que ce soit son pays d’origine, il a pu y séjourner ou y transiter. C’est pourquoi cet étage diplomatique est fondamental.
Le deuxième étage, c’est l’échelon européen. La directive « retour » – que j’ai toujours qualifiée de « directive anti-retour » – pose de nombreuses difficultés, notamment en raison du délai de départ volontaire qu’elle impose. Conçue au début des années 2000, elle est donc datée et nous n’avons pas réussi à la réformer.
La plupart de mes collègues partagent le même constat – et ils ne sont pas tous de droite, puisque certains sont sociaux-démocrates. C’est pourquoi, le 11 mars, la Commission a présenté un projet de règlement. Il est perfectible – et nous allons nous attacher à l’améliorer – mais, dans 80 % des cas, il supprimera le délai de départ volontaire. De plus, il prévoit la criminalisation, la pénalisation, du séjour irrégulier.
Comme il s’agit d’un règlement, son application sera quasi directe en droit interne. Cela modifiera profondément notre approche. Comme d’autres ministres de l’intérieur avant moi, j’ai adressé de nombreuses demandes à la Commission pour rétablir le contrôle aux frontières internes. Nous obtenons ce que nous demandons, mais nous devons composer avec des jurisprudences et des contraintes juridiques, et le système est peu efficace. Ce nouveau règlement améliorera notre efficacité ; c’est fondamental.
Toujours sur le plan européen, plusieurs d’entre vous m’ont interrogé : pourquoi ne pouvons-nous pas faire pression sur certains pays qui ne respectent pas nos accords ? Cette question est légitime. Il y a quelques semaines, la France a expérimenté une restriction temporaire de la délivrance des visas pour certains pays du Maghreb. Les résultats ont été limités, probablement parce que nous avons visé un peu large.
Nous devons donc passer par l’outil européen. En effet, trois leviers permettront d’exercer une pression sur les pays récalcitrants.
Premier levier : les visas. Si tous les pays européens restreignent leur délivrance, le risque de rétorsion diminue fortement et l’efficacité est renforcée.
Deuxième levier : les tarifs douaniers et le système des préférences généralisées (SPG). Nous plaidons pour que l’Europe considère le commerce comme un levier stratégique, en conditionnant certains avantages douaniers à l’octroi de laissez-passer consulaires.
Troisième levier : l’Europe est le premier financeur du développement et de l’aide humanitaire. Il est essentiel d’utiliser ces dizaines de milliards d’euros comme instrument de pression.
Ce cadre européen est protecteur de notre diplomatie et il sera plus efficace pour faire pression sur les États qui ne respectent ni les accords signés, ni le droit international, ni parfois même le droit tout court.
J’en arrive enfin au niveau national, sur lequel vous avez été nombreux à m’interroger. Le 28 octobre, j’ai publié une circulaire qui rappelle aux préfets leur rôle de pilotage dans l’identification des étrangers à éloigner, les plus dangereux devant être placés en CRA.
Elle leur demande aussi de faire systématiquement appel des décisions de remise en liberté des étrangers sous OQTF. C’est la raison pour laquelle il faudra que l’Assemblée nationale examine avec bienveillance la proposition de loi Eustache-Brinio.
Il ne s’agit pas seulement d’augmenter la durée maximale de rétention de 90 à 210 jours, mais aussi de faire en sorte que l’appel des décisions de remise en liberté des étrangers sous OQTF soit suspensif, même quand il est demandé par le préfet – cela aurait tout changé pour la jeune Philippine.
En l’état du droit, seul le procureur peut faire appel. Désormais, je souhaite que les préfets le fassent systématiquement et que l’appel soit suspensif dès que l’individu est réputé dangereux. En l’espèce, il avait déjà été condamné pour un crime sexuel – un viol. On connaissait donc sa dangerosité et le risque de réitération. Si le procureur ne fait pas appel, il faut donc que les préfets le fassent systématiquement et que cet appel soit automatiquement suspensif. C’est un outil capital.
Vous avez eu raison de souligner que la politique des centres de rétention est essentielle. Nous atteindrons bientôt les 3 000 places prévues par la Lopmi, avec des ouvertures à venir à Dunkerque, Dijon ou Bordeaux. Si vous le souhaitez, je pourrai vous donner les dates et les lieux précis.
Mais nous ne devons pas nous en contenter. J’ai mis sur la table trois propositions. Tout d’abord, comme lors des Jeux olympiques ou pour Notre-Dame, des motifs d’intérêt général doivent nous permettre d’aller plus vite et d’être exonérés de certaines règles, mais cela nécessite une loi.
Ensuite, il nous faut analyser les capacités d’extension des CRA existants : il est plus facile d’agrandir un centre que d’en créer un nouveau. Cela engendre des économies d’échelle et facilite l’acceptation du projet par les élus et la population.
Enfin, si l’on voulait faire du chiffre, il faudrait pouvoir retenir dans des CRA plus légers – si vous me permettez l’expression – les profils moins dangereux. Créer des CRA modulaires, moins chers, permettrait de développer notre capacité d’accueil.
Je reviens sur la proposition de loi Eustache-Brinio. Elle vise à augmenter la durée maximale de rétention de 90 à 210 jours. Monsieur Pauget, vous plaidez plutôt pour dix-huit mois – le règlement « retour » permettra d’aller jusqu’à vingt-quatre mois, alors que l’actuelle directive permet de faire six, puis douze mois. Mais il faut faire attention : un allongement trop important des durées de rétention risquerait d’engorger les CRA, alors qu’un certain niveau de rotation est nécessaire.
J’ai demandé aux préfets de travailler avec l’administration pénitentiaire pour anticiper les expulsions des détenus en situation irrégulière. Le garde des sceaux nous transmet d’ailleurs par anticipation, chaque semaine, les libérations afin que nous puissions préparer les laissez-passer consulaires avec les pays d’origine.
Il faut également développer la libération-expulsion. C’est assez peu connu – le préfet du Val-d’Oise l’avait mis en place avec l’autorité judiciaire. Lorsqu’un détenu étranger en situation irrégulière est en prison et que son expulsion est programmée, on lui propose par exemple trois mois de remise de peine à condition qu’il retourne directement dans son pays d’origine. C’est une bonne formule – tout le monde y gagne. Pourquoi s’en priver puisque le droit le permet ?
Monsieur Pauget, j’ai également noté vos préoccupations concernant certaines associations qui confondent rôle militant et délégation de service public – elles peuvent être titulaires de marchés publics, notamment dans les CRA. Votre proposition nous permettrait de réaliser des économies et clarifierait les choses ; j’y suis favorable. Sur le régalien, il faut faire attention à ce que l’État ne délègue pas trop certaines de ses responsabilités. Députés et sénateurs travaillent sur le sujet.
Les services préfectoraux, notamment ceux en charge de l’immigration, sont sous forte pression. J’en ai visité plusieurs – ils étaient très peu visités jusqu’à présent. Les fonctionnaires de ces services sont extrêmement méritants, car les dossiers qu’ils ont à traiter sont très volumineux et ne sont pas numérisés. L’État territorial est à l’os – je le pense depuis longtemps. Dans les préfectures, les services les plus en souffrance sont ceux liés à l’immigration. C’est pourquoi j’ai tenu à affecter la centaine d’emplois que j’ai pu mobiliser à l’administration territoriale de l’État, et plus spécifiquement à ces services d’immigration, afin de fluidifier les procédures. L’Anef y contribuera également.
Pour conclure, nous voyons bien qu’il est difficile d’exécuter les OQTF et de procéder aux éloignements. C’est pourquoi il faut être très prudent sur les entrées. Une politique d’immigration ne se limite pas aux sorties – voyez les contraintes auxquelles nous sommes confrontés. Il faut donc mieux gérer et piloter les entrées. Les visas de long séjour, qui dépendent de mon ministère, ont baissé de 7 % au cours des derniers mois.
Nous sommes de très loin le premier pays européen en termes de délivrance de visas, avec un écart d’un million par rapport à l’Allemagne, sans rapport avec notre poids démographique. Mais alors, qu’est-ce qui justifie cette différence ?
Je suis convaincu que le ministre de l’intérieur devrait aussi être celui des visas. C’est en partie le cas, mais il faut que nous pilotions correctement les entrées – et aujourd’hui, ce n’est pas le cas, je le dis franchement. Une véritable politique de l’immigration repose sur le contrôle des entrées et des sorties.
Vous avez dû auditionner Didier Leschi, qui a écrit sur le sujet. Lorsqu’on compare la France aux autres pays européens s’agissant de l’aide médicale de l’État (AME) ou des titres de séjour accordés aux étrangers malades, on constate que nous sommes les mieux-disants. Pourtant, nous évoluons tous dans l’espace européen. Je plaide donc pour une révision systématique de nos dispositifs afin qu’aucun d’entre eux ne soit plus avantageux que la moyenne européenne.
Enfin, il ne faut pas se méprendre : les gens ne viennent pas d’eux-mêmes. Ils sont manipulés par des filières de trafiquants d’êtres humains, qui relèvent de la criminalité organisée. J’ai des chiffres précis sur ces réseaux. Ce sont ces filières qui orchestrent l’arrivée de ces personnes déracinées.
La plupart des femmes, dans leur exode, subissent le viol, et les hommes, parfois, l’esclavage. Ce sont ces filières qu’il faut atteindre et qui se livrent à une comparaison – benchmarking, comme on dit en Vendée – des régimes les plus attractifs. Or, puisqu’une grande partie du droit européen s’applique en matière d’immigration, nous avons la responsabilité de veiller à ce qu’aucun des dispositifs français ne soit plus favorable que ceux en vigueur ailleurs en Europe.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions, d’une durée de deux minutes chacune, comme les réponses, et sans droit de réplique.
La parole est à M. Matthieu Bloch pour deux questions.
M. Matthieu Bloch (UDR)
Si vous avez déjà répondu en partie à nos questions, monsieur le ministre, je tiens néanmoins à revenir sur les reconduites aux frontières, en particulier vers l’Algérie. Vous avez dit tout à l’heure que nos accords avec le Maroc s’étaient renforcés, ce pays coopérant efficacement. Ce n’est, hélas, pas le cas de son voisin, et vous avez en effet essuyé quelques revers dernièrement, l’Algérie ayant refusé de reprendre ses ressortissants dans le cadre d’OQTF. On se demande jusqu’à quand va durer notre impuissance vis-à-vis de ce pays alors que nous disposons des leviers nécessaires, qu’il s’agisse des visas, de la coopération au développement, de l’accès aux soins médicaux… Quand allons-nous cesser de nous faire humilier par l’État algérien, d’autant que de nombreuses OQTF concernent des ressortissants de ce pays ?
Ma seconde question concerne les CRA saturés, sous-dotés – vous l’avez mentionné –, à peine fonctionnels. On compte à peine 2 000 places pour tout le territoire. La loi, à ce stade, n’est malheureusement plus qu’un rite vidé de sa substance. Or sans capacités de rétention suffisantes, il n’y a pas d’exécutions possibles, sans exécutions, pas d’autorité et, sans autorité, c’est la République elle-même qui vacille. Une république qui parle fort mais agit peu perd sa crédibilité.
Au-delà des places en CRA qu’il faut construire, une réflexion plus large doit s’ouvrir sur la création de zones temporaires de rétention situées à nos frontières extérieures ou hors du territoire national, en coopération avec nos partenaires européens. Des zones tampons sécurisées, administrativement coordonnées, où les personnes frappées d’une OQTF pourraient être maintenues dans l’attente de leur réadmission effective dans leur pays d’origine. Voilà qui suppose une vision diplomatique, logistique, opérationnelle et qui suppose que nous cessions de subir. Entendez-vous par conséquent, monsieur le ministre, lancer un plan d’augmentation massive des capacités de rétention sur le sol national et envisagez-vous d’engager la France dans une initiative européenne visant à créer de telles zones de rétention extraterritoriales, temporaires mais efficaces à l’échelle continentale ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je ne cache pas nos difficultés diplomatiques avec l’Algérie. Elles ont culminé avec la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, et ce n’est pas dix mais quatorze fois que nous avons présenté aux autorités algériennes le terroriste islamiste auteur de l’attentat de Mulhouse, et, à deux reprises, mon prédécesseur Gérald Darmanin avait saisi à ce sujet l’ambassadeur d’Algérie en France. C’est pourquoi, donc, il y a eu ce bras de fer.
Nous ne sommes pas restés inactifs : nous avons suspendu l’accord de 2013 permettant l’exemption de visas pour le personnel diplomatique ; nous avons parfois renvoyé des personnalités de la nomenklatura algérienne ; enfin, nous avons bloqué la prise de poste en France de huit consuls – c’est la première fois que cette information est rendue publique.
J’ajoute que, dans une quinzaine de jours, nous saurons quel sort sera réservé à Boualem Sansal. Ce sera une étape importante et vous comprendrez que je n’en dise pas plus aujourd’hui. Attendons cette échéance humanitaire.
Je me souviens qu’Éric Ciotti avait défendu, lors de l’examen de la Lopmi, l’amendement visant à créer 3 000 places en CRA. Je me suis exprimé tout à l’heure sur la possibilité de construire de nouveaux CRA. Une discussion est en cours au niveau européen sur les centres de retour. Il faut qu’ils fonctionnent. Je connais bien le ministre de l’intérieur italien, qui me rend compte, très régulièrement, de l’expérience menée par la péninsule avec l’Albanie. Elle n’est pour l’heure pas concluante puisque c’est le droit interne qui s’applique et qu’en vertu de ce droit les juges italiens l’ont rejetée. S’il s’agit simplement d’externaliser des gens pour une durée de 90 jours ou de 110 jours mais que les mêmes reviennent, l’effet n’est pas probant.
Toujours dans un cadre européen, nous sommes en train d’étudier très sérieusement d’autres solutions qui nous permettront d’être beaucoup plus efficaces. Je pense du reste au pacte européen sur la migration et l’asile, grâce auquel nous pourrons créer des zones de rétention, y compris pour les demandeurs d’asile, ce qui, pour la France, ne va pas sans problème, du fait du préambule de la Constitution de 1946 et de la protection des « combattants de la liberté » voulue par le général de Gaulle.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-France Lorho.
Mme Marie-France Lorho (RN)
Avec 40 % d’OQTF exécutées pour des étrangers placés en CRA, ces centres apparaissent comme l’une des voies les moins défaillantes en matière de retour des étrangers en situation irrégulière. Pourtant, dans un récent rapport de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, Fernand Gontier, ancien directeur central de la police aux frontières, a dressé un état des lieux alarmant de ces centres. Si l’on en croit la Cour des comptes, seuls 5 % des étrangers frappés d’une OQTF sont placés en CRA – il s’agit des retenus les plus dangereux placés prioritairement.
Je m’inquiète que le gouvernement n’ait décidé d’accroître, d’ici à 2027, que d’un millier le nombre de places en CRA. En effet, selon le rapport de l’Observatoire, ce sont 15 000 places qui seraient nécessaires pour répondre aux besoins. Par ailleurs, Fernand Gontier a montré que 10 % à 15 % des places étaient inutilisables et que la sécurité de ces CRA était largement insuffisante. Le rapporteur évoque des zones de vulnérabilité, notamment des espaces privés de caméra, afin « d’éviter de donner un caractère trop carcéral à ces bâtiments ».
Quelles mesures envisagez-vous pour sécuriser et rendre effectif l’accès en CRA et pour créer un plus grand nombre de places que celui prévu ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Vous avez raison : 40 % des OQTF concernent des étrangers placés en CRA. Concernant ceux qui s’y trouvent pour cause de trouble à l’ordre public, il faut retenir et enfermer – pardon de le dire comme je le pense – des individus qui doivent être éloignés et qui sont dangereux : c’est notre devoir pour la protection de la population française.
J’ai indiqué que le nombre de places en CRA devant être créées n’était pas suffisant mais celles dont nous disposons nous situent déjà au premier rang de tous les pays européens. Quand on se compare on peut se consoler, même si l’on peut faire mieux – et j’ai dit comment. Travailler dans un CRA est difficile puisque l’on se trouve en contact avec des individus qui ont commis des délits, parfois des crimes, et qui peuvent avoir des profils relevant de la psychiatrie – les CRA disposent d’équipes médicales que je rencontre régulièrement et auxquelles je rends hommage.
La deuxième cause de l’échec de l’éloignement est le manque de places dans les CRA. Je vous rejoins sur ce point et j’ai dit comment on pouvait étendre les capacités de ces centres. Au cours des prochaines années, nous allons créer environ 140 places, à chaque fois, à Dijon, Dunkerque – financées ici par les fonds Sandhurst, donc par le Royaume-Uni –, Nantes, Béziers, Oissel, Périchet et Luynes. Nous devons commencer à travailler différemment, y compris sur des profils moins liés aux troubles à l’ordre public, et donc envisager des CRA plus « légers ».
Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Clavet.
M. Bruno Clavet (RN)
La France a prononcé près de 130 000 OQTF en 2024, dont 30 000 environ à l’encontre des seuls ressortissants algériens. Pourtant, seuls 10 % des laissez-passer consulaires sont délivrés par Alger, si bien que moins de 3 000 éloignements sont effectifs chaque année vers ce pays. Autrement dit, ces individus dont nous ne voulons plus, l’Algérie n’en veut pas non plus. Et, à la fin, c’est elle qui gagne puisque c’est nous qui les gardons. Certains de ces indésirables nous remercient, d’ailleurs, en commettant des assassinats sur notre territoire.
Face à cette situation, le gouvernement a dégainé l’arme apparemment la plus lourde qu’il avait en sa possession : la fameuse réponse graduée. Or cette arme est un pétard mouillé qui ne sert à rien sinon à rendre la France docile et faible. Preuve de cette faiblesse, la France, en 2024, a accordé 250 000 visas aux Algériens, comme si de rien n’était.
Dès lors, monsieur le ministre, quand cesserez-vous ces circonvolutions et oserez-vous suspendre voire abroger les accords qui nous lient à l’Algérie ? Ces accords n’ont en effet plus lieu d’être : l’Algérie n’a plus besoin de la France et la France n’a pas besoin de l’Algérie pour se développer. Nous n’avons pas non plus besoin d’un président de la République, Emmanuel Macron, tolérant l’ingratitude d’un régime qui a la volonté de nous humilier. Nous n’avons pas besoin d’un président qui négocie, quémande, invoque sans cesse une époque révolue. Nous avons au contraire besoin de montrer que nous sommes un pays qui décide pour lui-même, qui sait couper les vivres et balayer des traités quand ils ne sont plus respectés. C’est dans cette fermeté que repose la crédibilité de la France.
Cette fermeté, aurez-vous l’audace de l’appliquer ? Je pense que vous répondrez par l’affirmative : dès lors, qu’attendez-vous ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
J’attends d’avoir les pleins pouvoirs. (Sourires.)
M. Romain Eskenazi
Non merci !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Plus sérieusement, la population d’origine algérienne au sein des CRA représente environ 40 % du total, c’est la première population retenue. Vous connaissez la crise diplomatique avec l’Algérie et je vous ai donné les éléments de notre riposte graduée. Il faut encore patienter une quinzaine de jours, je l’ai dit, pour connaître la réponse d’Alger concernant notamment le sort de notre compatriote Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, octogénaire et malade – comme son épouse. Il est évident que, demain, s’il n’y a pas de réaction de l’Algérie ou une réaction allant dans le mauvais sens, je serai favorable – et je l’ai affirmé dès le départ – à l’abrogation d’accords d’un autre temps et qui ont déformé l’immigration algérienne dans un sens qui ne répond pas aux besoins de l’économie française – il s’agit en effet d’une immigration de peuplement, familiale, plutôt que professionnelle.
Chacun doit garder ses nerfs : deux ou trois semaines, c’est peu de temps.
Le droit international, c’est la réciprocité. J’ai évoqué l’accord de 2013 sur les visas et sur les passeports diplomatiques. Il y a aussi l’accord de 1994, aux termes duquel l’Algérie doit réadmettre sur son sol les individus dont nous avons la preuve qu’ils sont algériens – je pense à l’attentat de Mulhouse. Puis il y a l’accord de 1968. Voilà les trois accords qui marquent l’histoire de la relation entre la France et l’Algérie, histoire dont je sais, comme vous, qu’elle a été souvent orageuse, tumultueuse. Mais il faut, désormais, que chaque pays puisse défendre ses intérêts propres.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe (EPR)
Je tiens avant tout, monsieur le ministre d’État, à saluer votre engagement constant sur l’exécution des OQTF depuis votre prise de fonctions. Le constat n’en demeure pas moins préoccupant : 93 % des OQTF ne sont pas exécutées, même si j’ai compris qu’il fallait revoir cette statistique en fonction des éléments que vous avez donnés tout à l’heure. Même lorsqu’il s’agit de personnes représentant une menace pour l’ordre public, et parmi les profils les plus dangereux, le taux de retours ne dépasse pourtant pas 35 % à 40 %.
L’une des principales causes de cette situation réside dans le refus persistant de certains pays d’origine de coopérer, notamment en ne délivrant pas les laissez-passer consulaires indispensables aux éloignements forcés.
En réponse, vous avez réaffirmé la semaine dernière, en commission des finances, votre volonté d’activer plusieurs leviers de pression : l’aide au développement, les droits de douane et enfin, les visas de réadmission. C’est sur ce dernier levier qu’un consensus semble se dessiner à l’échelle européenne.
Il consiste à conditionner la délivrance des visas à une coopération effective en matière de réadmission dans le pays d’origine. Les chiffres montrent la pertinence que pourrait avoir ce levier. En 2023, par exemple, 238 000 visas ont été délivrés à des ressortissants marocains alors que, dans le même temps, à peine 1 680 retours forcés ont pu être effectués vers le Maroc.
Ma question est triple : quelles mesures entendez-vous prendre pour rendre cette politique plus lisible et surtout plus efficace ? À quels résultats concrets espérez-vous parvenir à moyen terme si ce levier est pleinement activé, en particulier à l’égard des pays les moins coopératifs ? Un mécanisme européen et contraignant est-il réellement envisageable à court ou à moyen terme ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
La meilleure façon de faire pression sur les pays récalcitrants, c’est de s’inscrire dans un cadre européen, puisque l’Europe est la première puissance en termes d’aide au développement. C’est un levier qu’il faut utiliser car je ne vois pas pourquoi on continuerait à donner de l’argent à des États qui ne jouent pas le jeu.
L’Europe se fait fort de développer des accords commerciaux, et de conférer des tarifs douaniers très avantageux à un certain nombre de pays, fort bien. Mais je ne vois pas au nom de quoi on soutiendrait cette politique de la nation la plus favorisée – comme on le disait à propos des États-Unis – au bénéfice de pays qui ne jouent pas le jeu.
Enfin, c’est la même chose pour les visas. Si l’Europe veut être une puissance, elle doit faire preuve de volonté. Sur le plan diplomatique, elle peut constituer une masse suffisante pour faire pression sur les pays qui ne veulent pas nous octroyer des laissez-passer consulaires quand on a documenté l’origine des personnes, car la première cause du non-éloignement, c’est la difficulté à établir quelle est la nation d’origine. Mais quand on peut s’appuyer sur une certitude, il faut exercer une pression.
La France a récemment mené une politique de restriction des visas à l’égard de trois pays du Maghreb qui n’a pas abouti, car elle a sans doute été trop courte.
Ensuite, il faut faire très attention à ajuster notre réponse : soit on cible la nomenklatura, soit on cible la population.
Mme la présidente
La parole est à M. François Piquemal.
M. François Piquemal (LFI-NFP)
Deux fois plus que l’Allemagne, quatre fois plus que la Grèce, six fois plus que les Pays-Bas, soixante fois plus que le Danemark : ce n’est pas le nombre de boucliers de Brennus remportés par le Stade toulousain, mais bien le nombre absurde d’OQTF prononcées en 2024.
Absurdes, car la plupart des OQTF prononcées sont illégales, injustifiées, et donc retoquées par la justice. Récemment, nous avons vu le cas de Rayen Fakhfakh, étudiant en cinquième année de médecine, visé par une OQTF qu’il a finalement réussi à contester. Tout le monde n’a pas cette chance. Je pense notamment à cette famille kurde, en France depuis sept ans, et à leur fils en CM1 à l’école Michoun à Toulouse, menacée d’expulsion et d’arrachement à la vie construite ici, sans aucune raison valable.
Moi-même, j’assume et je suis fier de dire que je suis le parrain républicain d’une famille dont l’un des deux parents est sous OQTF. Pourtant, Houria, en CM1, Muhammad, en cinquième et Hourayra, en quatrième, ne demandent qu’à continuer de grandir dans le pays où ils passent leur enfance et où ils ont trouvé refuge.
Il y a des centaines de familles comme celle-là en France, placées sous la menace d’un retour dans un pays où ils se savent en danger. Derrière la chasse au nombre d’OQTF, monsieur Retailleau, il y a des humain, souvent absents de vos propos. Les nombreuses contestations devant les tribunaux administratifs montrent que les OQTF sont souvent prononcées sans raison, sur des cas où elles ne devraient pas s’appliquer, ou sans respect des procédures.
Pourquoi le gouvernement prononce-t-il des OQTF dont l’immense majorité est illégale ? Quand cesserez-vous ce harcèlement, qui coûte du temps et de l’argent à tout le pays et pèse surtout sur la vie de familles entières ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
La politique consiste à être en désaccord, et je suis en désaccord radical avec vous. Cela ne vous surprendra pas, et vous fera même plaisir.
D’abord, l’assertion selon laquelle une grande majorité d’OQTF est illégale et serait annulée est fausse. L’annulation par les tribunaux administratifs des OQTF prises par les préfets est de 18 %. Si l’on connaît un peu l’arithmétique, cela ne représente pas une grande majorité mais une minorité. Et, croyez-moi, souvent, les tribunaux administratifs regardent ces contentieux avec beaucoup d’attention.
Ensuite, qui est le plus humain ? Je me méfie de la fausse générosité qui consiste à dire que les filières de trafiquants d’êtres humains ne posent pas de problème, laissant penser que l’on va accueillir toute la chair à canon convoyée, moyennant rançon, sur de frêles bateaux, qui peuvent sombrer en Méditerranée ou dans la Manche. C’est une fausse générosité de dire que l’on doit ouvrir les bras à toute la misère du monde, quand notre pays n’a plus la capacité d’accueil, en termes d’accès aux soins, à l’éducation, au logement.
Selon les enquêtes d’opinion, dans tous les pays d’Europe, une majorité de ceux qui votaient à gauche réclament des politiques migratoires fermes. Quant à ceux qui sont favorable à la créolisation et à la suppression des frontières, ils ont, bien sûr, suffisamment d’argent pour reconstituer des frontières autour de chez eux : ils habitent les beaux quartiers, préservés des désordres, mettent leurs enfants dans de bonnes écoles, où ils n’auront pas de soucis. C’est cela, la fausse générosité.
Un pays, ce sont des frontières, c’est un dedans et un dehors. C’est un corps politique. Il faut respecter les règles, et ne pas entrer par effraction, illégalement, sur le sol français ; comme dans une maison. C’est le bon sens, ce bon sens que nos compatriotes, dans leur grande majorité, réclament.
Mme la présidente
La parole est à M. François Piquemal, pour une seconde question.
M. François Piquemal (LFI-NFP)
Les ministres de l’intérieur passent, et les discours restent. Depuis que je suis député, cela n’a pas beaucoup évolué : on répète que l’on ne va pas accueillir toute la misère du monde. Mais la France n’accueille pas toute la misère du monde. Vous le savez bien, monsieur Retailleau, vous êtes intelligent : la majorité des migrations se font au sein des pays du Sud ; ce sont les faits. Par ailleurs, selon Eurostat, nous sommes l’un des pays qui prononcent le plus d’OQTF en Europe.
Vous avez parlé tout à l’heure, à juste titre, du meurtre de Philippine par quelqu’un qui était sous OQTF. Mais avant d’être sous OQTF, cet homme était un violeur. On ne peut pas essentialiser une personne en la réduisant à sa seule OQTF, ou alors je peux vous citer les cas de Roland, à Poitiers, qui était sous OQTF et a sauvé une octogénaire des flammes, ou celui de Nouari, également sous OQTF, qui a sauvé Michel de la noyade, ou encore celui de Mohamed, sous OQTF aussi, qui a sauvé deux enfants des flammes.
L’OQTF n’a rien à voir avec la valeur de la personne, ni avec sa potentielle délinquance. C’est pourtant à cette généralité du type de celles qu’on entend sur CNews à laquelle vous vous êtes prêté en parlant du meurtre de Philippine.
Enfin, vous avez parlé, à raison, du fait que les gens ne migrent pas par plaisir. Contrairement à vous, je pense qu’ils ne font pas de benchmarking pour savoir dans quel aller.
Le chemin de la migration est semé de violences, vous en conviendrez. Notre pays doit-il pour autant ajouter de la violence à celle déjà subie, en menant cette politique inhumaine à l’égard de toutes ces personnes en situation irrégulière mais qui ne demandent qu’une chose : vivre dignement dans notre pays ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je pense que je ne vous convaincrai pas. Vous n’étiez pas là lorsque j’ai abordé la question des OQTF et le meurtre de Philippine. Les OQTF ne sanctionnent pas un comportement représentant une menace à l’ordre public, mais un fait simple et clair : le séjour irrégulier. Le Marocain qui a violé et tué Philippine était un meurtrier. J’ai indiqué les conditions dans lesquelles il avait été libéré : il n’y a aucune essentialisation.
Les OQTF, c’est la loi. Je suis démocrate et républicain. Démocrate, cela signifie que l’on accepte la règle de la majorité, et républicain, que la loi doit être appliquée. En l’espèce, il s’agit d’une double loi, la loi française et la loi européenne.
Environ 500 000 étrangers entrent chaque année en France, soit comme demandeurs d’asile, soit de manière irrégulière, soit grâce à l’octroi d’un premier titre de séjour. C’est l’équivalent de la ville de Lyon. La majorité de nos compatriotes pense que, désormais, c’est trop et que l’on est incapables de bien les accueillir. Quand on ne peut pas bien accueillir, il vaut mieux dire stop, pour mieux accueillir, et moins.
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi (SOC)
Le gouvernement affiche comme un gage de fermeté le chiffre de 130 000 OQTF prononcées chaque année. Mais derrière ce chiffre, qu’y a-t-il ? Mon collègue, M. Paul Christophle l’a démontré : la politique du tout-OQTF est inefficace, contre-productive et injuste.
Je vais vous parler de l’histoire de monsieur T., trois ans de labeur, employé polyvalent, apprécié de tous, exemplaire : emploi, logement, famille, lien social et – faut-il le préciser ? – aucune infraction aux lois de la République. Ce n’est pas lui, mais son employeur qui est venu me demander d’appuyer sa demande de régularisation. À l’issue du rendez-vous que je lui ai obtenu à la préfecture, il a reçu… une OQTF, vécue comme un coup de poignard bureaucratique. Monsieur T. n’est pas une exception : 93 % des personnes sous OQTF n’ont jamais troublé l’ordre public. Elles sont, pour la plupart, insérées, travailleuses, paisibles. Leur seul crime est de n’être pas nées ici.
Elles soignent nos anciens, construisent nos logements et tiennent les secteurs en tension à bout de bras. Pourtant, on les traite comme des indésirables, on les stigmatise. On laisse croire que toute personne sous OQTF serait une menace. L’intervention de M. Odoul a été, en ce sens, une démonstration éclairante de malhonnêteté intellectuelle. À force de tout amalgamer, on ne distingue plus entre les coupables et les innocents, on fabrique des boucs émissaires, ce qui est précisément antirépublicain, contrairement à ce qui a été avancé par nos collègues du Rassemblement national.
Cette politique de masse noie les cas légitimes dans un déluge de décisions absurdes. Les préfectures, débordées, sous-dotées, passent leur temps à courir après des fantômes, au lieu de viser les vraies menaces. On cible tout le monde, et donc on ne cible plus personne. L’outil devient inopérant, inapplicable.
Les régularisations ont chuté de 10 % en un an alors que les besoins explosent dans le bâtiment, la restauration, la santé et la sécurité. Un État fort est un État juste, pas un État brutal. Le gouvernement confond volume et efficacité, communication et sécurité.
Ma question est simple : quand mettrez-vous fin à cette logique absurde, pour enfin mener une politique migratoire juste, humaine et efficace, qui régularise les travailleurs utiles à notre économie et expulse, avec discernement, les personnes qui constituent un vrai danger ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je mène une politique migratoire juste, humaine, et je souhaite qu’elle soit efficace.
D’abord, vous dites que nous menons une politique du tout-OQTF. Plus que moi, sans doute, vous êtes favorable à un certain fédéralisme européen. Vous avez en tout cas acquiescé à différents traités ou à différentes étapes. Or, c’est justement l’Europe qui nous demande de prendre des OQTF. D’abord, la directive « retour » est européenne. Ensuite, la CJUE a condamné l’Allemagne en juin 2021 – dans une jurisprudence importante en matière de droit de l’immigration – parce qu’elle ne prenait pas assez d’OQTF.
Ensuite, ce qui est juste, c’est de s’occuper des 420 000 étrangers en situation régulière qui sont au chômage. Que fait-on de ceux-là ? Avant de régulariser ceux qui sont entrés sur le sol français par effraction, je préfère – c’est le sens de la circulaire que j’ai cosignée avec Mme Astrid Panosyan-Bouvet – que l’on puisse réinsérer les étrangers qui ont respecté les règles républicaines, plutôt que de faire passer en coupe-file celles et ceux qui sont entrés par effraction sur le territoire. C’est le sens d’une politique juste et efficace.
Compte tenu de nos besoins économiques, on ne peut pas écarter, en les laissant au chômage, sans même les qualifier, tous ces étrangers qui sont entrés régulièrement sur le territoire national. Néanmoins, nous sommes en situation de chômage de masse, alors occupons-nous aussi des citoyens français, afin qu’ils trouvent un emploi.
À mes yeux, l’irrégularité est une faute. Si en tant que ministre de l’intérieur je laissais entendre aux étrangers qu’ils pourraient être régularisés et récompensés, malgré leur entrée par effraction, je créerais de fait un appel d’air ; croyez-vous que ce serait une politique efficace ? Une politique juste ? Non.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu (SOC)
Puisque nous parlons de la faisabilité de l’exécution des OQTF, je me permets de vous donner un conseil très simple : prononcez moins d’OQTF, vous améliorerez les statistiques. Je le dis aussi pour vous, monsieur le ministre, parce que leur exécution est difficile à réaliser, d’autant plus que la France, en multipliant par 3,5 en treize ans le nombre d’OQTF prononcées, détient un triste record. Les rapports se succédant à ce sujet, il y a manifestement un problème que vous devez résoudre.
Quand vous expliquez que les OQTF sanctionnent un délit d’irrégularité, je m’inquiète, parce que vous ne précisez pas que, bien souvent, ce sont les délais de la préfecture qui font que des gens parfaitement intégrés se retrouvent en situation irrégulière. Cela pose problème, d’autant plus que les contentieux liés aux étrangers constituent désormais 41 % des décisions de justice administrative.
Qui est touché par ces OQTF ? Ce sont des Souleymane, livreur de repas dont l’histoire vraie est reprise par le merveilleux film L’Histoire de Souleymane – je ne sais pas si vous l’avez vu –, ce sont des Rayen Fakhfah, ce sont des gens qui travaillent, des étudiants, des bénévoles en association. Voilà à qui on notifie une OQTF. Cela arrive tous les jours dans nos circonscriptions.
Je suis bénévole dans un CRA pour France terre d’asile et je vois qui s’y trouve : des ouvriers sans-papiers, raflés pour travailler sur des chantiers pour Vinci, qui ne parlent pas français et qui ne comprennent rien à leurs droits ou bien des pères de famille qui prennent le bus sans ticket. Ne vous étonnez pas que les CRA soient débordés, si on y met n’importe qui. D’ailleurs, monsieur le ministre, laissez tranquilles les associations qui travaillent dans les CRA. On en a besoin.
Pour terminer, un mot sur Philippine. Respectez la mémoire de cette jeune fille. Elle a été victime d’un drame absolu. Arrêtons de manipuler ce drame pour des ambitions politiques. C’est d’autant plus grave que 75 % des viols ont lieu dans le cadre familial et que vous n’arrivez pas à endiguer ce phénomène, alors même que vous êtes chargé de la protection des femmes. Arrêtez de parler de Philippine pour justifier vos orientations en matière de politique migratoire.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
C’est faux, ce ne sont pas les délais des préfectures qui créent des situations d’irrégularité. Ce sont d’abord les déboutés du droit d’asile, parce que celui-ci est détourné. Vous le savez parfaitement. Ensuite, parce que les gens viennent avec des visas pour des courts séjours, notamment des visas de tourisme, dont ils outrepassent la durée pour se maintenir illégalement, alors qu’ils sont entrés légalement.
Deuxième inexactitude, parmi les personnes détenues dans les CRA, 92 % le sont pour des troubles à l’ordre public. Ce ne sont pas des ouvriers. Vous ne ferez pas pleurer Margot avec vos inventions. Je ne sais pas dans quel CRA vous avez été,…
Mme Céline Hervieu
À Créteil !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…mais absolument toutes les statistiques montrent que ce que vous racontez est faux. Si vous voulez me démontrer le contraire, faites-le chiffres à l’appui. Faites l’addition – unité par unité, CRA par CRA –, vous verrez alors.
Troisièmement, je répondais à M. Odoul qui m’attaquait au sujet de Philippine. Vous avez rencontré sa famille ? Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises ; la dernière fois, il y a quinze jours. Je n’ai aucune leçon à recevoir de quiconque en la matière. Je n’utilise pas le meurtre de Philippine pour quoi que ce soit. Sachez seulement que ses parents attachent beaucoup d’importance à ce que les durées de détention en CRA soient allongées. C’est parce que l’on m’a attaqué que j’ai parlé de Philippine.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos réponses, toujours précises et documentées. J’aimerais poser deux questions. La première – je suis désolée d’y revenir – porte sur le nombre de places en CRA. Vous avez parlé de l’objectif de 3 000 places en CRA à l’horizon 2027, des projets en cours, des CRA « légers » ; quel serait le nombre idéal de places en CRA ? Lors des auditions, il a été question de 5 000 places ; êtes-vous d’accord avec ce chiffre ?
Par manque d’effectif, les 1 900 places en CRA ne sont pas toutes ouvertes. Il faut avoir ce problème à l’esprit. Il nous a aussi été remonté qu’il y a des problèmes d’effectif concernant les escortes, jusqu’à reporter l’expulsion, au risque de l’empêcher. Cela participe de l’embolisation des CRA. Que pouvez-vous faire pour renforcer les effectifs dans les CRA, notamment pour les escortes ?
Enfin, la loi « asile et immigration » prévoit la tenue d’audiences délocalisées, grâce à la visioconférence dans les CRA. Cette disposition devait libérer du temps d’encadrement pour les agents chargés de l’escorte des étrangers aux tribunaux. Un an et demi après la promulgation de la loi, dans quelle mesure ces visioconférences ont été instaurées ? Ont-elles donné lieu à des gains organisationnels ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
La Lopmi a fixé un objectif de 3 000 places mais, si demain les CRA étaient plus légers, en modulaire, on pourrait augmenter les capacités. On pourrait atteindre 5 000 places ; pas en une année, mais on pourrait en ajouter des centaines, voire mille, dans une durée raisonnable. On changerait de politique, en faisant plus de chiffre. Les CRA « légers » le permettraient. La capacité d’accueil des CRA est actuellement limitée à 140 places, mais en ajoutant une dizaine de places à chaque CRA, on obtiendrait un chiffre important.
En réalité, 10 % des places ne sont pas ouvertes, à cause de dégradations et des travaux qu’elles engendrent, 5 % le sont par manque d’effectif. Je discute souvent avec la directrice de la PAF des moyens pour rendre la profession plus attractive. Les professionnels, à qui j’ai rendu hommage, travaillent dans des conditions difficiles, à cause de la tension notamment. Ils font tout leur possible pour rendre le séjour des détenus en CRA le plus humain possible. Un travail est en cours pour savoir comment rendre leur job plus attractif.
Bien sûr qu’il faut utiliser la visioconférence, mais cela dépend de la volonté des juridictions. Nous avons eu l’occasion de discuter de ce problème au sujet de M. Amra, qui a été déplacé au tribunal pour assister à l’audience au lieu que le juge vienne en prison. Les nouveaux CRA sont systématiquement équipés de salles de visioconférence ; les anciens ne le sont pas, mais ils devraient l’être. Reste que cela dépend de la volonté des juridictions. Cela représente également beaucoup d’argent public. Il vaudrait mieux qu’une seule personne se déplace, plutôt qu’une personne accompagnée d’une escorte entière parce qu’elle est dangereuse. Vous avez raison.
Mme la présidente
La parole est à M. Salvatore Castiglione.
M. Salvatore Castiglione (LIOT)
La France semble exercer, à cause de ses politiques sociales généreuses et ses infrastructures médicales, une attraction indéniable sur les populations qui n’ont presque rien. Les OQTF apparaissent comme une réponse insuffisante à l’arrivée massive de migrants en quête d’un avenir meilleur. Ne faudrait-il pas envoyer un message clair en forme de réponse aux rêves de migration afin de faire savoir qu’une France où tout serait gratuit et accessible n’est qu’un mirage vendu par des filières de migration mafieuses, pour leur propre bénéfice ?
Dans son rapport thématique de 2024, la Cour des comptes recommande de « simplifier le contentieux de l’éloignement en réduisant le nombre de procédures juridictionnelles et en les distinguant selon le degré réel d’urgence ». Comptez-vous mettre en œuvre cette recommandation ? Si oui, comment ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Pour tous nos dispositifs, nous devrions au moins être dans la moyenne européenne. Nous sommes le seul pays d’Europe dans lequel se côtoient des dispositifs tels que le titre de séjour pour étranger malade et l’AME (aide médicale de l’État). Cela nous distingue fortement des 26 autres pays européens. Quand on sait que 2 millions de Français n’ont pas de complémentaire santé et qu’un sondage de l’Ifop, paru à la fin de 2023, montre qu’un quart des Français renoncent à des soins ou à des équipements médicaux, faute de moyens, cela devient aussi un enjeu de justice et d’équité, au-delà d’être un simple facteur d’attractivité. Là aussi, plaçons-nous dans la moyenne européenne.
En Espagne, il y a une franchise pour les médicaments. En Suède, au Danemark ou en Allemagne, la réalisation de certains actes médicaux dépend d’une autorisation préalable. Pourquoi n’applique-t-on pas un tel dispositif en France ? L’excellent rapport sur l’AME de Claude Evin et Patrick Stefanini montrait qu’un tel dispositif finissait par enfermer les personnes en situation irrégulière dans la clandestinité. Je suis d’accord avec vous, mais encore faut-il avoir le courage politique d’y faire face – et une majorité pour le voter !
En ce qui concerne les recommandations de la Cour des comptes, je rappelle que la loi du 26 janvier 2024 a réalisé de gros progrès en matière de procédure. Elle pourrait encore être améliorée, mais ce n’est pas ce qui nous donnera le meilleur avantage pour l’éloignement. L’avantage décisif, ce sont les règles européennes en cours de modification qui nous le donneront. Grâce à la loi du 26 janvier 2024, nous sommes passés d’une douzaine de procédures à trois procédures. Je considère que le travail a été fait et que le constat fait par la Cour des comptes n’est plus valable.
Encore une fois, nous devons nous améliorer. À l’échelle nationale, nous avons des moyens de le faire, mais c’est surtout à l’échelle européenne que nous pourrons le faire, notamment avec la directive « retour » qui deviendra un règlement. C’en est au stade du trilogue, mais rapidement nous entrerons dans le vif du sujet.
Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Besse.
Mme Véronique Besse (NI)
Le maire de Béziers est poursuivi pour avoir refusé de célébrer le mariage entre une citoyenne française et un ressortissant algérien notifié d’une OQTF. Son tort ? Avoir refusé de cautionner un contournement manifeste de nos lois, car célébrer une telle union revenait à nier l’autorité de l’État, à faire un pas de plus vers le désordre, pire, à illustrer l’impuissance chronique de notre politique d’éloignement.
Mme Véronique Besse
Or les chiffres, qui ont été rappelés, sont accablants ; les personnes en situation irrégulière pourtant frappées d’une mesure d’éloignement restent sur notre sol, ce qui entraîne parfois des conséquences dramatiques, qui ont également été rappelées. La véritable question qui se pose est la suivante : un État incapable de faire appliquer ses propres lois est-il encore un État de droit, et cet État peut-il encore se prétendre garant de la sécurité de ses concitoyens ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Bien sûr que non, vous avez raison ! Ce que vous évoquez à propos du maire de Béziers s’est d’ailleurs reproduit dans un autre département il y a trois semaines : c’est arrivé à une femme maire, dans des conditions similaires – c’était en Saône-et-Loire, je crois, en tout cas dans la région Bourgogne-Franche-Comté.
Mme Véronique Besse
En Saône-et-Loire, oui !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Les Français ne peuvent pas comprendre qu’il soit possible d’échapper ainsi au droit et qu’un maire soit condamné parce qu’il veut faire respecter sinon le droit, au moins le bon sens ! Une proposition de loi traitant de ce sujet a été votée par le Sénat récemment – la proposition de loi visant à renforcer les prérogatives des officiers de l’état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés ; elle devrait prochainement être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour que cette situation prenne fin.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
J’invite l’Assemblée à l’examiner avec beaucoup de bienveillance, parce qu’elle contient des mesures attendues. Des questions d’ordre constitutionnel se posent, c’est vrai ! J’ai dit à plusieurs reprises que le droit de l’immigration était foisonnant : c’est un des droits les plus compliqués. Mais à l’avenir, si nous voulons reprendre le contrôle sur l’immigration, ce que souhaitent tous les États européens et même occidentaux, je pense que nous devrons recourir au référendum. Pour le moment, ce n’est pas possible, parce que l’article 11 de la Constitution ne le permet pas, mais il faudrait modifier la Constitution pour élargir les possibilités de recours au référendum.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
En effet, même la proposition de loi dont je viens de parler comporte des risques d’inconstitutionnalité. Certains constitutionnalistes disent qu’il n’y a pas de problème et qu’il faut la voter, mais d’autres ne sont pas de cet avis. Quant au référendum, je vous rappelle qu’il s’impose depuis la jurisprudence énoncée par le Conseil constitutionnel après le référendum de 1962 : le Conseil constitutionnel a toujours considéré, à juste titre selon moi, qu’il est l’expression la plus directe de la souveraineté populaire et donc nationale.
Mme la présidente
Le débat est clos.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Discussion de la proposition de résolution européenne rappelant l’urgence démocratique d’appliquer pleinement et entièrement le règlement européen sur les services numériques.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra