2020, année virale ! Alors que le virus à l’origine de la COVID-19 impacte profondément notre société, d’autres virus ont mis à mal la filière sucrière française occasionnant la jaunisse des betteraves et une importante chute de leur rendement.

La saison culturale 2020 a cela de particulier qu’elle s’est inscrite dans le prolongement d’un hiver et d’un printemps particulièrement doux qui ont favorisé la prolifération des pucerons verts vecteurs des virus provoquant ces jaunisses qui réduisent l’activité photosynthétique et altèrent la croissance des betteraves.

Depuis septembre 2018 et la concrétisation de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le recours aux substances néonicotinoïdes est interdit alors qu’elles constituaient l’un des principaux remparts pour faire face à l’attaque des pucerons.

Dans un contexte favorable à la pression virale et en l’absence de pratiques culturales efficaces, efficientes, généralisables et effectivement inoffensives pour l’environnement, la filière sucrière, déjà en situation de fragilité, se trouve dans une impasse. Au regard des enjeux qu’elle représente pour plusieurs régions, pour la France et sa souveraineté alimentaire, une solution est nécessaire et attendue ; autant par les agriculteurs que par les industriels de la transformation des betteraves en sucre et divers co-produits.

Le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire apporte une solution temporaire dans l’attente de techniques culturales, de luttes intégrées et d’évolutions variétales qui permettront, à terme, de protéger les cultures de betteraves.

Ciblant la mise en place d’une dérogation provisoire et strictement encadrée à l’interdiction de l’utilisation des néonicotinoïdes, ce projet de loi provoque des peurs au motif qu’il serait une renonciation à la suppression de substances nocives pour les populations d’abeilles. Si la dangerosité des substances de la famille des néonicotinoïdes pour l’environnement et pour la santé humaine ne peut être niée, le recours aux substances de substitution, telles les molécules de la famille des pyréthrinoïdes, n’élimine pas les risques. Ces pyréthrinoïdes, appliqués en pulvérisation de brouillards, détruisent, outre les pucerons, l’ensemble des communautés d’insectes présents dans la culture, comme les coccinelles, prédatrices des pucerons verts.

Le projet de loi apporte les garanties nécessaires pour réduire la levée de l’interdiction aux seules situations qui le nécessitent.

En premier lieu, la dérogation est strictement limitée dans le temps : jusqu’en juillet 2023 au plus tard. Elle ne peut donc s’étendre au-delà des deux prochaines campagnes de production betteravières. Parce que le temps de la recherche est un temps long, ce délai permettra à la communauté scientifique de disposer d’une période supplémentaire utile pour formuler des solutions de protection des betteraves vis-à-vis des virus de la jaunisse. De surcroît, une fois mise en œuvre, l’autorisation dérogatoire ne peut excéder 120 jours.

En second lieu, en complément du cadrage temporel, l’encadrement des dérogations est très strict. Seul l’usage des néonicotinoïdes en enrobage des graines de betteraves est visé par le processus législatif et règlementaire. Plus de 90% des utilisations avant l’interdiction de 2018 demeurent non autorisées. La procédure dérogatoire impose aussi la signature d’un arrêté conjoint des ministres de l’agriculture, de l’environnement et de la santé. Enfin, un conseil de surveillance est mis en place. Réunissant des experts du domaine, deux objectifs lui seront assignés : le contrôle de la bonne application de la loi et le suivi de l’avancement des recherches sur les alternatives aux produits phytopharmaceutiques.

Le projet de loi vise à résoudre une équation complexe où les enjeux économiques et les enjeux environnementaux s’affrontent. Il m’apparaît comme une réponse pragmatique. Pragmatique d’abord car il apporte un sursis de deux campagnes de production permettant à la filière de s’adapter. Pragmatique encore car la météorologie des deux prochains hivers déterminera la nécessité, ou non, de recourir aux dérogations. Pragmatique aussi car l’importation de sucre du Brésil, produit à partir de canne à sucre, induit d’autres conséquences, certes plus lointaines, mais dévastatrices pour la biodiversité et pour le climat. Pragmatique enfin car le projet de loi est adossé à une stratégie de soutien à la filière apicole, en particulier dans le cadre du plan de relance.