Le député Raphael GERARD regrette que les débats dans le cadre de l’examen du présent projet de loi n’aient pas conduit l’Assemblée nationale à élaborer une doctrine claire sur le type de régime à privilégier en matière de restitution de biens culturels à des autorités étrangères.

Selon lui, le régime des lois d’exception dont le présent projet de loi est la traduction apparaît comme le plus équilibré et le plus respectueux des institutions.

En effet, la décision de restitution relève sans conteste du champ politique : d’une part, parce que les réponses du droit international sont articulées sur un principe de non-rétroactivité qui exclut du champ d’application des conventions internationales les faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de ces normes et d’autre part, parce que la plupart des objets aujourd’hui présents dans les collections des musées français n’ont pas été acquis en tant que butin de guerre, mais dans une configuration beaucoup plus complexe marquée par le fait colonial. En l’espèce, la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal ne relève pas du champ d’application de la convention de l’UNESCO de 1970 ou de la convention Unidroit de 1995. Elle s’inscrit dans une démarche politique initiée par le Président de la République visant à répondre à l’enjeu éthique posé par l’exercice effectif par la jeunesse africaine de ses droits culturels, compte tenu de l’hyperconcentration des éléments du patrimoine africain dans les collections muséales françaises.

Considérant que toute restitution nécessite de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques, il revient aux parlementaires, parce qu’ils sont les représentants de la Nation, de se prononcer, au cas par cas, sur son opportunité.  En effet, fruit des longs débats qui ont accompagné l’ouverture au public des collections royales dans le salon carré du Louvre, le principe d’inaliénabilité postule que les œuvres des collections royales, puis de la République sont les biens communs de la Nation et qu’ils doivent à ce titre participer à l’éducation, la formation et la délectation du peuple dans son ensemble, d’où l’enracinement des musées français investis d’une mission de service public dans une conception universaliste.

Dans ce contexte, une loi-cadre aurait pour effet de priver le parlement de ce débat en abandonnant le pouvoir de déclasser les biens culturels à l’administration ou, comme c’était le cas auparavant, au seul pouvoir exécutif. Or, il n’appartient pas à des scientifiques de prendre ce type d’engagement :  il leur revient, en revanche, d’apporter leur éclairage sur la valeur artistique et symbolique des collections et sur leur mode d’acquisition, d’où l’importance du travail de recherche sur la provenance des œuvres qui est substantiel au travail des conservateurs dont l’avis est aujourd’hui sollicité au moment de l’instruction des demandes de restitution par le Quai d’Orsay.

Enfin, une loi-cadre pourrait ne pas atteindre les objectifs escomptés par les partisans d’une restitution d’ampleur du fait de la lourdeur du processus administratif et de la rigidité des critères qui pourraient être définis. De fait, rien ne doit empêcher les autorités compétentes, après avis scientifique, de pouvoir se dessaisir d’objets qui auraient été acquis régulièrement, mais qui apparaitraient comme des pièces sémaphoriques pour tel ou tel partenaire.

A cet égard, le régime d’exception affranchit chaque projet de restitution de toute forme de conditionnalité, gage d’une relation de confiance et d’amitié avec les pays d’accueil dans un contexte postcolonial. D’aucuns se demandent parfois si ces pays sont bien en mesure d’assurer la bonne conservation de ces objets. Au-delà de ses accents condescendants, ce type de question souligne le fait que les Nations africaines ont trop longtemps été perçues comme des mineures inaptes à décider de leur avenir et condamnées à assimiler un passé qui n’était pas le leur. Or, il faut accepter que des objets du patrimoine africain, une fois retournés sur leur sol originel, puissent revêtir ou recouvrer un sens différent de celui prêté par le regard français, ce qui n’empêche nullement l’accompagnement et le financement par la France de projets de coopération scientifique et muséographique à la demande des pays concernés.