Je m’oppose vigoureusement à ce projet de loi qui constitue un recul sans précédent pour la préservation de la biodiversité. L’article premier ne respecte pas la Charte de l’environnement, et en particulier son article 2 qui fait référence à « l'amélioration de l'environnement » et donc au principe de non-régression, ni sutout son article 3 sur le principe de prévention en vertu duquel « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ». Or, du fait de leurs caractéristiques, les conséquences des néonicotinoïdes sur les écosystèmes ne sont pas « limitables », ni dans le temps, ni dans l’espace et leurs impacts irréversibles sur de nombreuses espèces non cibles telles que les pollinisateurs sont établis par une littérature scientifique abondante. Ces substances sont des poisons, extrêmement toxiques et persistants. Ils provoquent une contamination généralisée des écosystèmes, dont témoigne une nouvelle étude réalisée en Deux-Sèvres et publiée dans Agriculture, Ecosystems & Environment. Celle-ci prouve la présence d’un néonicotinoïde – l’imidaclopride, dont le projet de loi entend réautoriser l’usage –  dans des haies et des terres où ces substances n'ont jamais été utilisées, ainsi que la bioaccumulation d'imidaclopride chez les vers de terre à des taux faramineux. Au regard des effets létaux et sublétaux de l'imidaclopride pour les lombrics qui représentent plus de 50% de la biomasse des animaux terrestres, ce projet de loi menace la vitalité des sols dont dépendent l’agriculture et notre sécurité alimentaire.

C’est à juste titre que le législateur en 2016 avait interdit les néonicotinoïdes qui sont à l’origine de la disparition massive des abeilles, des insectes, des oiseaux, des invertébrés aquatiques et des vers de terre. Or le projet de loi prévoit d’autoriser l’utilisation de substances non seulement interdites en France par la loi de 2016, mais interdites en Europe depuis 2018 pour ces mêmes raisons. A ce sujet la Cour de justice de l’Union européenne vient d’infliger un camouflet à l’argumentation du gouvernement quant à la modification de l’article L253-8 du code rural pour des raisons de conformité au droit européen.

Ce projet de loi est fondé sur une étude d’impact biaisée, contestée devant la Conférence des Présidents par le groupe Ecologie-Démocratie-Solidarité. Les conséquences de l’utilisation de néonicotinoïdes en enrobage de semences sont passées sous silence alors que 80 à 98 % du poison contenu dans les semis se répand dans le sol et les eaux. Les données relatives à la situation de la filière betterave à sucre s’avèrent inexactes, les baisses de rendement liées à la jaunisse étant inférieures à celles annoncées. En outre, d’autres solutions socio-économiques et agronomiques existent pour remédier à ces pertes et des enjeux économiques de court terme, qui ne mettent pas en danger la sécurité d’approvisionnement de la France en sucre puisque cette production est largement exportée, et ne peuvent justifier une atteinte massive aux écosystèmes là où la Charte de l’environnement dispose que « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ».

La constitutionnalité de plusieurs dispositions paraît encore douteuse s’agissant du conseil de surveillance, créé par amendement en contradiction avec les dispositions de l’article 40 de la Constitution ; de l’article 3 ajouté au Sénat alors que plusieurs députés à l’Assemblée nationale ont vu leurs amendements sur des sujets comparables déclarés irrecevables au motif qu’ils n’avaient pas de lien avec l’objet du projet de loi ; ou encore de l’article 2 prétendant limiter le dispositif de dérogation à la seule filière betterave à sucre. L’intention du législateur sur ce point est vaine dans la mesure où dans la nature, l’ensemble des cultures et de la flore à proximité de celles de betterave seront contaminées. Le projet de loi méconnait ainsi les conséquences de l’utilisation de ces produits sur la biodiversité, mais aussi pour les autres productions agricoles dont l’apiculture.

Le législateur ne peut prendre la responsabilité délibérée de sacrifier des milliards d’abeilles, d’insectes, d’oiseaux, de vers de terre et ni décider d’une pollution volontaire dont les effets persisteront dans plus de vingt ans alors que 85% des populations d’insectes et un tiers des oiseaux des champs ont été détruites du fait de l’utilisation des néonicotinoïdes depuis les années 90.

C’est pourquoi ce projet de loi sera déféré au Conseil constitutionnel.