L’épidémie de Covid-19 qui s’abat sur le monde depuis plus d’un an a contraint la France à mettre en place l’état d’urgence sanitaire. En instaurant, par la loi 23 mars 2020, cet état d’urgence sanitaire, la France a fait le choix justifié de recourir à un état d’exception pour prendre les mesures adéquates et exceptionnelles face à un péril sanitaire.

Ce projet de loi nous paraît, à nous députés membres du mouvement « En Commun ! » nécessaire. Il est d’autant plus nécessaire qu’il est inévitable : l’état d’urgence sanitaire s’arrêtant le 1er juin, il convient d’adopter un texte de loi organisant sa sortie jusqu’au 31 octobre 2021.

Les dispositions qu’il contient tendent à adapter les pouvoirs de police administrative, exorbitants au droit commun, conférés au pouvoir réglementaire pour lutter contre l’épidémie. Y figure ainsi la possibilité de demander un « passe sanitaire » pour pouvoir accéder « à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes ». Cette disposition, qui a suscité des inquiétudes, a pu heureusement être précisée.

Par ailleurs, le texte prévoit une extinction du couvre-feu le 30 juin, en précisant son amplitude qui ne pourra pas aller au-delà de 21 heures et traite aussi de matières diverses, jusqu’au droit électoral.

In fine, cet état d’urgence aura été prorogé à quatre reprises et si tout se passe comme le prévoit ce projet de loi, la crise sanitaire aura duré en France un an et sept mois.

En revanche, si une nouvelle crise sanitaire devait éclater, le régime juridique, élaboré depuis la loi du 23 mars 2020 dans l’urgence et adapté continuellement, aux bases fragiles et à la construction empirique, ce régime censé être exceptionnel, serait alors encore le nôtre pour des semaines, voire des mois. Se poserait alors aux yeux des députés d’En Commun ! une question de principe, alors même que nous venons de vivre trois cents jours d’état d’exception.

Nous entendons aujourd’hui chez nos concitoyens la lassitude croissante envers une urgence qui n’en est plus une. Et nous considérons qu’un état d’exception ne saurait devenir la règle, sauf à dénaturer nos institutions et porter atteinte au bon fonctionnement de notre vie démocratique.

Si la crise sanitaire a souligné une fois encore l’utilité et la légitimité d’un cadre légal qui permet d’agir vite et fort, elle a illustré également le risque de s’accommoder de procédures simplifiées et de s’accoutumer à des restrictions de liberté qui, dans un contexte de normalité, seraient insupportables pour une démocratie comme la France.

Les précédents, même légitimes, créent des habitudes. Or, nous ne pouvons ni ne voulons pas nous habituer à voir les Français vivre dans un état d’exception permanent, et ce faisant accepter – pour des motifs toujours réels mais de plus en plus nombreux - la restriction de leurs libertés.

S’il est indispensable, en conséquence, de mettre en œuvre des mesures nécessaires, adaptées et proportionnées, destinées à juguler l’épidémie en cours, la liberté doit demeurer, en toute circonstance, le principe et la restriction, l’exception.

L’état d’urgence, quelle que soit sa nature, ne peut plus reposer que sur la loi du 3 avril 1955 ou la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles. C’est pourquoi nous devons réfléchir à aller plus loin que le texte du projet de loi qui nous est soumis : les régimes d’état d’urgence doivent faire l’objet d’une unification afin qu’ils ne constituent plus la règle mais une règle.

Il pourrait ainsi paraître, à cet égard, utile d’inscrire dans notre Constitution le régime de l’état d’urgence qui, contrairement aux pouvoirs exceptionnels de l’article 16 ou de l’état de siège, n’y est pas mentionné. Cela permettrait de l’assortir de solides garde-fous en matière de protection des libertés fondamentales.

Cela serait, par ailleurs, l’occasion de réfléchir collectivement à la place et au rôle du Parlement et des collectivités territoriales en période de crise ainsi que de définir et expliciter la composition, les missions, les prérogatives et le contrôle d’instances de décisions qui - comme le conseil de défense - n’ont aujourd’hui pas d’existence institutionnelle ce qui alimente l’idée d’une certaine forme d’opacité, voire même de défiance.

Si nous devons vivre avec le virus, comme avec d’autres menaces, notre système juridique doit, lui aussi, les appréhender correctement. Assurer la validité et l’acceptabilité de l’état d’urgence suppose un renforcement de sa légitimité : débattons-en.