Les États généraux de l’alimentation de 2018 qui ont débouché sur la loi Egalim avaient pour ambition de renforcer le revenu des agriculteurs. Il convient de reconnaitre, trois ans plus tard, que si la relance de la guerre des prix a été limitée, le revenu des agriculteurs lui ne s’est pas amélioré. 

Je constate pour ma part, en Lozère, que le prix du lait est en nette baisse tandis que les charges ne cessent d'augmenter, que certains produits sont victimes de fraudes comme l'étiquetage frauduleux et qu’à défaut de prix rémunérateurs par rapport aux coûts de production, face à la répétition et à l'aggravation des aléas climatiques et des crises sanitaires, bon nombre d'exploitations agricoles sont en sursis.

Les éleveurs sont particulièrement touchés dans les filières de l'élevage bovin ou ovin, laitier comme allaitant ; près de 2 000 exploitations disparaissent chaque année dans le plus grand silence. Avec elles, ce sont des activités et des services essentiels à une ruralité vivante qui sont en passe de disparaître, car au-delà de la production, les exploitations agricoles regorgent de biodiversité et façonnent les paysages ouverts.

Dès lors, à l’initiative de mon groupe, une commission d’enquête sur les relations commerciales entre les agriculteurs et la grande distribution a été mise en place en 2019 et a formulé des propositions, qui ont été votées à l’unanimité. 

Cette proposition de loi reprend certaines mesures telles que la pluriannualité des contrats et leurs contenus et la possibilité d’un mécanisme de règlement des différends, mais néglige la trop forte concentration des centrales d’achat, l’interdiction des pratiques discriminatoires de la grande distribution contre leurs fournisseurs et ne parle pas non plus du consommateur.

En chiffre, il y a 450 000 agriculteurs en France dont le revenu annuel médian est de 11 792€, 17 500 entreprises agroalimentaires, 4 centrales d’achat et 8 grandes enseignes de la grande distribution composées de 800 000 salariés et qui captent 75% des dépenses alimentaires des ménages. 

L’enjeu est dès lors immense face à la persistance de négociations commerciales difficiles recherchant une baisse des prix avec des méthodes parfois très contestées (déréférencement, pénalités, pression...).
Le travail parlementaire a permis de sensiblement faire évoluer le texte initial en ajoutant :
-       l’interdiction des pratiques d’alignement concurrentiel,
-       la précision que l’ensemble des volumes feront l’objet d’un contrat pour les produits agricoles,
-       une expérimentation pour un « rémunéra-score »,
-       l’interdiction de la publicité mensongère sur l’origine géographique France,
-       l’extension à cinq ans de la durée minimale des contrats de vente de produits agricoles au lieu de trois ans s’il n’existe pas d’accord interprofessionnel,
-       que les filières puissent se doter de leur propre mécanisme de règlement des différends,
-       que lors d’aléas climatiques exceptionnels, aucune pénalité ne peut être imposée à un producteur ne respectant pas les volumes prévus au contrat,
-       l’interdiction de pénalités logistiques par les distributeurs au prétexte de l’absence de livraisons de produits, etc. 

Avec mon groupe nous avons fait voter :
-       un seuil, fixé par décret, à partir duquel les matières premières agricoles et les produits transformés entrent dans le dispositif sur la transparence du prix,
-       la non-négociabilité du tarif et le fait que les indicateurs de coûts de production soient le socle des négociations commerciales et publiées,
-       l’ouverture à expérimentation de la clause dite de « Tunnel de prix »,
-       et le principe de la rémunération « ligne à ligne » : chaque rémunération d’un service ou obligation doit pouvoir être identifiée de manière unitaire.

Si cette proposition de loi est en mesure d’apporter un certain nombre de réponses, elle doit impérativement être suivie de contrôles renforcés de la direction générale de la concurrence. 

De plus, il nous faudra un jour encadrer les pratiques commerciales inacceptables de la grande distribution en faisant évoluer le paradigme qui sous-tend la construction des prix et d’opérer une révolution de notre façon de voir l’alimentation et les prix.

Il est aussi temps que les ménages français acceptent que bien se nourrir et soutenir nos agriculteurs cela a un prix, qui reste minime par rapport aux sommes investies dans certains autres produits de consommation (budget alimentation 34,6% en 1960, 20,4% en 2014).

Pour cela, il faut arrêter, et sanctionner si nécessaire, les discours, notamment de la grande distribution, dévalorisant les produits agricoles et alimentaires qui veulent faire croire que l’on peut se nourrir à prix cassés.