Première séance du lundi 16 juin 2025
- Présidence de M. Roland Lescure
- 1. Programmation nationale énergie et climat pour les années 2025 à 2035
- Présentation
- M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
- M. Antoine Armand, rapporteur de la commission des affaires économiques
- M. Jean-Marie Fiévet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Présentation
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Programmation nationale énergie et climat pour les années 2025 à 2035
Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant programmation nationale énergie et climat pour les années 2025 à 2035 (nos 463, 1522).
La conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, fixant à quarante heures le temps de parole global attribué aux groupes. J’aurai l’occasion de rappeler les règles relatives à cette procédure au cours de nos débats.
Présentation
M. le président
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Je veux d’abord saluer l’initiative du groupe Les Républicains au Sénat et le travail déjà mené sur cette proposition de loi. Ce débat est bienvenu ; mieux : il est indispensable, car l’énergie n’est pas un sujet sectoriel, c’est le nerf de notre économie, le cœur battant de notre souveraineté. Et parfois, soyons clairs, elle peut devenir un talon d’Achille.
Ce débat est lourd d’enjeux. Nous devons prendre dès aujourd’hui des décisions qui s’inscrivent dans le temps long et qui engagent notre système énergétique sur des décennies, voire sur le siècle à venir. Il nous faut collectivement les peser, avec toutes les incertitudes qui entourent l’avenir.
Mais surtout, ce débat reflète une méthode que j’assume : celle du dialogue, de l’écoute et de la construction commune. Nous avons ouvert ce chantier au Sénat, en octobre 2024. Je remercie le travail réalisé par ma prédécesseure, Olga Givernet, désormais députée. Nous l’avons poursuivi ici même, dès le mois d’avril, et nous continuons avec la même boussole : les faits, rien que les faits. Nous avançons ensemble, au-delà du dogme et de la posture : sur l’énergie, on ne peut pas se payer de mots.
Au-delà d’un sujet indéniablement technique, nous parlons en effet d’un bien commun, d’un levier stratégique, d’un socle industriel et social. L’énergie est un enjeu existentiel, c’est ce qui alimente les usines, ce qui éclaire les foyers et ce qui forge notre place dans le monde. Elle irrigue tout : la facture de nos concitoyens, la compétitivité de nos entreprises, notre diplomatie et notre sécurité. Je me dois de le répéter, car c’est ma conviction profonde, celle sur laquelle il ne faut rien lâcher : l’énergie est au cœur de notre souveraineté, de notre cohésion et de notre prospérité. L’énergie n’est pas un luxe.
C’est pourquoi je veux rappeler les ambitions du gouvernement qui tiennent en deux axes, qui sont aussi deux convictions.
Première conviction : il faut sortir de la dépendance aux énergies fossiles importées – celles que l’on importe cher et qui nous rendent vulnérables. Décarboner, diversifier, maîtriser : voilà notre ligne. En ce qui concerne l’électricité, il faut rappeler – et plus encore, convaincre – que nucléaire et renouvelables ne s’opposent pas. Ces énergies se complètent et nous protègent.
Deuxième conviction : il faut mettre l’énergie au service de la France, de ses citoyens, de ses entreprises et de ses territoires. Cela suppose une énergie compétitive, prévisible et décarbonée ; une énergie qui renforce, pas qui freine. Voilà notre cohérence et notre cap, que je viens défendre ici avec détermination.
Nos choix énergétiques sont des choix de long terme, des choix d’avenir. Ils engagent notre pays sur plusieurs décennies et répondent à quatre impératifs : souveraineté, résilience, décarbonation, compétitivité. Le constat est sans appel : notre dépendance aux énergies fossiles nous coûte cher. Ce sont 70 milliards d’euros qui pèsent négativement dans notre balance commerciale en 2023. C’est encore bien davantage en période de crise, lorsqu’un acteur comme la Russie décide d’instrumentaliser le gaz ou lorsque l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) décide de réduire sa production pour faire monter les cours.
Cette vulnérabilité stratégique, exploitée sans hésitation par des puissances concurrentes, nous ne souhaitons plus la subir. Désormais, le gouvernement la combat par des actions concrètes et structurées en deux axes : d’une part, décarboner massivement nos usages et les électrifier dès que possible ; d’autre part, s’appuyer sur un mix énergétique souverain, combinant nucléaire et énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que l’énergie nucléaire est un atout historique de la France et un pilier de notre souveraineté, et parce que les énergies renouvelables sont des leviers de diversification et d’implantation locale. Nous avons besoin des deux pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Les objectifs de décarbonation fixées par le gouvernement sont ambitieux : nous visons 58 % d’énergie décarbonée en 2050. Pour y parvenir, nous agissons sur tous les leviers. Dans l’industrie, par exemple, France 2030 consacre des moyens massifs à la décarbonation de nos sites stratégiques – 1,6 milliard d’euros ont été ajoutés en loi de finances en 2025. Nous soutenons aussi les industriels électro-intensifs avec des dispositifs ciblés. Nous leur appliquons des taux réduits d’accise et leur proposons des mécanismes d’aide à la décarbonation.
Dans le domaine de la mobilité, le bonus automobile et le leasing social sont des soutiens à la demande de véhicules électriques. La loi de finances pour 2025 a permis d’aller plus loin, avec le verdissement des flottes professionnelles qui représentent un véhicule neuf sur deux. Le déploiement accéléré des 2,5 millions de bornes de recharge, dont 160 000 librement accessibles, y contribue également.
Dans le domaine du logement, nous finançons la rénovation : pompes à chaleur, biogaz, chaleur renouvelable – aucun levier n’est oublié. La planification écologique passe aussi par là. Nous continuerons à financer la rénovation thermique, filière par filière, territoire par territoire.
Décarboner, électrifier : encore faut-il produire une énergie compétitive, abondante et souveraine. Pour cela, il faut dépasser le clivage apparent entre nucléaire et renouvelables : ce n’est pas une opposition, c’est une complémentarité. Les renouvelables ne concernent pas la seule électricité : ce sont aussi la chaleur, les gaz verts ou les carburants du futur. Ce sont surtout des énergies produites ici, sur notre sol, au service de nos territoires. C’est pourquoi nous soutenons l’approche de votre rapporteur : il faut parler d’énergies décarbonées, sans les opposer, mais en les additionnant.
Vous l’aurez compris – mais je souhaite insister sur ce point : l’équilibre que nous recherchons, au carrefour de nos objectifs de souveraineté, de décarbonation, de résilience et de compétitivité, se trouve dans ce bouquet énergétique.
Commençons par notre force historique. Le nucléaire, c’est la France : une énergie bas-carbone, stable, compétitive ; un atout stratégique ; un pilier de notre souveraineté. Il est au cœur de la stratégie du gouvernement – une stratégie qui vise à retrouver les standards de production historiques et à prolonger le fonctionnement du parc au-delà de cinquante ans, voire de soixante ans.
Cette stratégie – je souhaite le mentionner – s’inscrit dans le sens de l’histoire, qui rattrape aujourd’hui les dogmes d’hier. L’histoire redonne au nucléaire la place qu’il mérite et ce n’est pas la France seule qui le dit : je veux saluer le signal fort que constitue le partenariat inédit entre la Banque mondiale et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). C’est un tournant car, quand le monde s’électrifie, le nucléaire redevient un bien commun.
Pour revenir en France, nous investissons également dans de nouveaux réacteurs. Le programme EPR 2 est lancé : six réacteurs sont confirmés et une seconde tranche de huit réacteurs supplémentaires est envisagée, pour une décision en 2026. Conformément aux décisions prises en Conseil de politique nucléaire, nous avons engagé les échanges avec la Commission européenne sur les modalités de soutien au nouveau nucléaire. Le schéma de financement des réacteurs de type EPR 2 est en cours de validation : il prévoit notamment un prêt pour au moins la moitié du devis. Sur ce sujet comme sur tous les autres, nous avançons avec méthode et détermination pour sécuriser l’avenir du nucléaire. Nous ne lâcherons rien.
Nous investissons aussi dans l’avenir : nous soutenons le développement des petits réacteurs modulaires (SMR) et voulons avancer sur la fermeture du cycle avec la perspective des réacteurs à neutrons rapides. Une feuille de route sera présentée d’ici à la fin de l’année. Le message du gouvernement est clair : nous croyons à l’innovation nucléaire française. Il est important que la loi reprenne cette ambition. Celle-ci figurait dans l’article 3 de cette proposition de loi, qui a été supprimé lors de son examen en commission. Nous ferons une proposition de rétablissement de cet article, en prenant en compte également les amendements adoptés sur le sujet.
La relance nucléaire suppose une filière mobilisée et un cadre clair. Nous avons pu le constater lors de la signature du contrat de filière, la semaine dernière, avec le ministre Éric Lombard. Pour réussir, il faut une filière solide, pas un monopole. C’est pourquoi nous nous opposons à l’article 1er A de la proposition de loi du sénateur Gremillet, qui réinstaure un monopole d’EDF, y compris sur les SMR. En effet, la filière nucléaire doit rester un écosystème – j’y reviendrai dans quelques instants.
Pourtant, le nucléaire seul n’est pas suffisant pour sortir de notre dépendance aux importations d’hydrocarbure. Nous investissons également dans les énergies renouvelables, avec force et discernement. Conformément aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), nous avons réduit la part carbonée de notre électricité de 9 % à 5 % en cinq ans. Le gouvernement se tient aux objectifs qu’il s’est fixés.
Les renouvelables remplacent les fossiles, pas le nucléaire. C’est pourquoi nous avons fait un choix clair pour 2050 : un mix équilibré entre nucléaire et énergies renouvelables. C’est cet équilibre qui garantit notre sécurité, notre compétitivité et notre indépendance.
Nous fixons aussi des ambitions claires pour la chaleur, le biogaz, les carburants, ainsi que pour l’éolien, l’hydroélectricité, l’hydrogène vert. Ces objectifs ont été inscrits aux articles 5, 6 et 7 de la proposition de loi. Nous agissons avec pédagogie pour favoriser l’acceptabilité locale, au plus près des territoires. Chaque projet doit être anticipé, discuté et compris. Les retombées locales, industrielles et fiscales doivent être mises en valeur auprès des élus comme des riverains. La transition ne se décrète pas, elle se construit.
Le décret de la PPE, attendu dans les prochaines semaines, viendra décliner ce cap et donnera la visibilité souhaitée par les filières, les élus, les citoyens et les territoires. Il doit permettre aux industriels d’investir, aux collectivités de planifier et aux citoyens de comprendre. En effet, la transition énergétique n’est pas une question technique ; c’est une bataille collective, pour la souveraineté, la prospérité et l’avenir.
Il est important de garder de la flexibilité dans les objectifs par filière, pour nous adapter aux dynamiques liées à la consommation et à la production, avec une seule boussole : assurer la sécurité d’approvisionnement. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas que la loi fige des objectifs filière par filière. C’est l’orientation qu’a donnée le rapporteur et que nous soutenons.
La seconde ambition du gouvernement est simple : mettre l’énergie au service des Français et de l’industrie – une énergie plus propre, aux prix plus stables, moins chère ; une énergie qui libère, pas qui contraint.
Pour les particuliers, nous avons trois priorités : protéger, clarifier, stabiliser. Protéger les consommateurs des à-coups du marché ; clarifier les règles du jeu pour que chacun comprenne enfin sa facture ; stabiliser un cadre qui donne confiance. Pour cela, nous avons besoin d’une EDF solide, capable d’investir, de maintenir et d’innover. Nous avons besoin de fournisseurs d’énergie responsables, qui répondent aux besoins de leurs clients.
Plusieurs textes réglementaires sont attendus dans les prochains mois, afin d’appliquer le dispositif, adopté en loi de finances, qui s’appliquera après la fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). Je peux vous assurer de mon engagement et de celui de mes services à faire de ce dispositif un outil de clarté et de certitude au profit des ménages et de tous les citoyens français.
Pour l’industrie, je mène chaque jour le combat de la compétitivité et de l’électricité moins chère, grâce à notre parc nucléaire. Vous connaissez ma conviction profonde : l’énergie doit être un outil au service de notre industrie et de sa compétitivité. En 2022, nos entreprises ont payé leur électricité 35 % de moins que la moyenne européenne. Notre énergie nucléaire est une arme industrielle ; comme toute arme, elle doit être entretenue, affûtée et protégée.
Nous devons faire de l’énergie une force au service de la réindustrialisation. C’est « la mère des batailles », comme l’a récemment déclaré le président de la République. C’est tout l’objet de l’accord passé entre l’État et EDF en novembre 2023. À cet égard, je veux saluer le travail engagé par Bernard Fontana et ses équipes d’EDF pour relancer les négociations des contrats de long terme avec les industries électro-intensives. Il s’agit d’un enjeu concret et stratégique. L’énergie n’est pas qu’une ligne comptable. Nos choix énergétiques ne sont pas abstraits, ils façonnent des existences. C’est pourquoi nous avons une responsabilité immense : faire de l’énergie un levier de puissance industrielle et de justice sociale.
Enfin, je tiens à rappeler que l’énergie n’est pas seulement un levier de production, mais une filière industrielle à part entière qui comporte des emplois, des savoir-faire, des chaînes de valeur. C’est un pilier de notre réindustrialisation ainsi qu’un gisement d’avenir. Le nucléaire, ce sont 200 000 emplois qualifiés. Les renouvelables, ce sont des milliers d’emplois territorialisés, non délocalisables. Ensemble, ils forment une filière stratégique à haute valeur ajoutée, une filière qui a besoin de bras, de têtes, de formations, de perspectives.
C’est pourquoi j’ai signé deux contrats de filière contenant des engagements clairs. Le premier, conclu en février, concerne les nouveaux systèmes énergétiques, un secteur qui représente plus de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 250 000 emplois. Ce contrat, qui formalise les engagements réciproques de l’État, des industriels et des syndicats, a pour ligne directrice l’ambition réaffirmée de faire de la transition énergétique une occasion de réindustrialiser la France. Ce n’est pas une charge, mais une chance.
Le second contrat, signé la semaine dernière aux côtés du ministre Éric Lombard, concerne le nucléaire. Il exprime le soutien clair du gouvernement à l’ensemble des acteurs de la filière, sans aucune exclusivité ni aucun monopole. (M. Matthias Tavel rit.) Oui, EDF est un atout national ; non, le monopole n’est pas la condition de l’excellence. C’est pourquoi le gouvernement est opposé à l’article 1er A de la proposition de loi. Une filière ne progresse que lorsqu’elle respire, qu’elle innove, qu’elle coopère.
La filière nucléaire doit recruter 100 000 personnes dans les dix prochaines années ; c’est un défi, mais aussi une chance pour toute une génération qui, je peux en témoigner, n’attend que cela. Je l’ai rencontrée au lycée Léon-Blum du Creusot. Elle est faite de jeunes passionnés, engagés, qui veulent être utiles à leur pays. Donnons-leur un cap clair, une vision, une promesse ; formons-les ; valorisons-les ; reconnaissons-les. C’est cela, une politique industrielle digne de ce nom. C’est ce que cette proposition de loi, puis la programmation pluriannuelle de l’énergie, doivent impulser.
Nous vivons un moment charnière, une décennie où se joue bien plus que notre trajectoire énergétique : il s’agit de souveraineté, de cohésion, de prospérité. Dans ce moment, les Français n’attendent pas de nous des demi-mesures. Ils attendent de la clarté, du courage, un cap.
Produire une énergie abondante, décarbonée, compétitive, souveraine, ce n’est pas un slogan, c’est un engagement envers les citoyens, envers les entreprises, envers les territoires, envers notre avenir commun. Cela suppose de planifier, de simplifier, de coconstruire, mais surtout d’oser : oser regarder loin, oser sortir des blocages. Notre boussole, c’est la réindustrialisation. Notre carburant, c’est l’énergie. Notre mission, c’est de garantir à chaque Français une énergie propre, souveraine, abordable. À nous de prouver que, sur ce sujet crucial, nous pouvons faire nation. Je compte sur vos débats et sur votre engagement ; les Français aussi. (M. Jean-Luc Fugit applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Armand, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Antoine Armand, rapporteur de la commission des affaires économiques
Merci, monsieur le président ; je suis heureux de vous retrouver pour parler d’un sujet que vous connaissez bien. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du sénateur Daniel Gremillet ; je salue son travail ainsi que celui de MM. Cadec et Chauvet, rapporteurs au Sénat. Comme je l’ai dit en commission – je le répète en séance à l’intention de M. le ministre –, ce débat comble une carence de l’exécutif.
Celui-ci avait en effet la responsabilité – ni morale ni abstraite, mais légale – de présenter un texte. La loi « énergie-climat » de 2019 dispose : « Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique. » L’instauration de cette loi quinquennale de programmation est censée garantir au Parlement la possibilité de se prononcer à échéance régulière sur les grands objectifs de politique énergétique.
Le dépôt d’un projet de loi aurait permis de disposer d’une étude d’impact approfondie, du croisement de différentes études scientifiques et techniques et, bien sûr, des consultations propres à éclairer de telles dispositions. Nous touchions au but : sous le ministère de M. Lescure ou sous celui de Mme Pannier-Runacher ont été réalisés des travaux préparatoires qui ne demandaient qu’à être convertis en projet de loi. Malheureusement, ils n’ont été repris par aucun gouvernement depuis. C’est donc l’initiative parlementaire qui se charge de combler ce manque. Un premier texte en ce sens a d’ailleurs été inscrit à l’ordre du jour au printemps 2024, à l’initiative de notre collègue Julie Laernoes. (M. Matthias Tavel s’exclame.)
Je remercie cependant le gouvernement d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Je regrette qu’il n’ait pas engagé la procédure accélérée qui aurait permis d’aboutir plus rapidement, alors même que le premier ministre a annoncé son souhait de publier la programmation pluriannuelle de l’énergie d’ici la fin de l’été. Je profite de cette occasion pour vous demander, monsieur le ministre, des précisions quant aux propos que vous avez tenus hier. Vous avez dit que le gouvernement ne souhaitait pas attendre la fin de la navette parlementaire pour prendre le décret relatif à la PPE. Je crois pourtant comprendre qu’il souhaite donner l’occasion au Sénat d’examiner le texte en deuxième lecture, dans la version qui résultera des débats de l’Assemblée nationale.
M. Matthias Tavel
Il n’y aura pas de vote conforme !
M. Antoine Armand, rapporteur
Je reconnais volontiers que, dans le cas où les deux versions seraient très différentes et où une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, qui pourrait ne pas avoir lieu avant la fin de l’année, serait nécessaire, l’urgence commanderait de prendre un décret avant la fin de la navette. Nous ne pouvons pour autant évacuer la possibilité que les deux versions présentent des points de convergence. Imaginons que nous adoptions un texte qui ressemble à grands traits à celui qu’a voté le Sénat : pourquoi le gouvernement, pour fonder sa programmation sur cinq ans, se priverait-il d’une assise aussi solide que celle de la loi et du cadre qui l’accompagne ?
M. Philippe Brun
Il a raison ! C’est le Parlement qui doit décider !
M. Antoine Armand, rapporteur
Cette proposition de loi nous offre une occasion unique. Jamais aucun texte n’a permis au Parlement de matérialiser aussi clairement son attachement au parc industriel français – nucléaire, mais pas seulement –, ni acté une telle relance du nucléaire, tant industriel que de recherche ; je pense à l’énergie nucléaire de quatrième génération. Le texte a ses défauts, mais, dans un contexte de fragmentation politique extrême, il nous donne à tous, y compris au gouvernement, la possibilité de définir démocratiquement un cadre général en matière de politique énergétique.
Qu’on soit pour ou contre le nucléaire, on peut considérer que des investissements aussi lourds et des décisions aussi importantes nécessitent l’aval de la représentation nationale. En toute honnêteté, je ne crois pas qu’il soit sage de remettre à plus tard la décision démocratique et de prendre un décret alors que le Parlement débat encore. Cette position serait certes compréhensible si les divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat se révélaient massives, mais peut-être pourriez-vous préciser, monsieur le ministre, qu’en cas de convergences entre les deux chambres, le gouvernement pourrait surseoir quelques semaines encore à la prise d’un décret ?
Le contexte a changé depuis l’adoption de la dernière PPE. Je ne me couvrirai pas de ridicule en faisant un exposé géopolitique de tous les changements drastiques survenus en quelques mois au Moyen-Orient, en Ukraine ou encore aux États-Unis. Même les scénarios dans lesquels RTE, le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité, prévoyait une « mondialisation contrariée », et qui faisaient figure d’épouvantail il y a quelques années, passent désormais pour des hypothèses optimistes. On les estimait autrefois peu probables, même en cas de crise géopolitique ; ils sont désormais dépassés. Les représentants de RTE, lors des auditions menées en commission, nous ont confirmé qu’ils envisageaient la publication d’un scénario reposant sur des conditions encore plus dégradées.
À mon sens, ces évolutions fondamentales devraient amener le gouvernement à s’interroger sur certaines des hypothèses qui fondent la PPE. Les réflexions du groupe de travail dont le premier ministre m’a confié la direction, ainsi qu’au sénateur Gremillet, et auquel certains collègues ont eu l’amabilité de participer, conduisent à penser que certaines de ces hypothèses pourraient être revues.
S’il est absolument nécessaire d’avoir ce débat et d’adopter un texte de loi, c’est aussi parce que la PPE en vigueur est obsolète. Il y est question de fermer quatorze réacteurs nucléaires à l’horizon 2035, ce qui, fort heureusement, n’est plus d’actualité.
Il est entendu que nous avons besoin d’un nouveau cadre légal. Est-ce pour autant le rôle de notre assemblée que d’inscrire dans la loi, à la décimale ou au centième près, les objectifs de déploiement des énergies renouvelables, qu’elles soient électriques ou thermiques ? Nos débats en commission sont souvent tombés dans ce travers. Est-ce à nous de décider si l’éolien terrestre doit produire chaque année 1,2 gigawatt à partir de 2034 ou 1,3 gigawatt à partir de 2036 ? N’est-ce pas plutôt le rôle d’un décret, pris après consultation des organes concernés, travaillé avec les spécialistes et avec les institutions ?
Les débats en commission au sujet de l’article 5 relatif aux énergies renouvelables le montrent bien : ils ont abouti à une sorte de foire à tout. Certains amendements ont été rejetés par principe ; d’autres adoptés parce que nous avons tous, en circonscription, un interlocuteur qui nous a alertés quant à l’emprise foncière du photovoltaïque ; d’autres encore ont été adoptés car nous trouvions sympathique de soutenir les emplois dans le secteur de l’éolien en mer, comme s’il n’y en avait pas dans celui de l’éolien terrestre.
M. Matthias Tavel
Ne méprisez pas le travail de la commission !
M. Antoine Armand, rapporteur
Ne vous énervez pas, cher collègue : vous êtes d’accord avec ce que je dis !
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est mauvais signe !
M. Antoine Armand, rapporteur
C’est lui qui est d’accord avec moi, pas l’inverse. (Sourires.) En matière d’énergies renouvelables, la meilleure garantie que nous puissions donner aux industriels et aux créateurs d’emplois consiste à passer par un décret pour définir des objectifs par filière et à s’en tenir, au niveau législatif, à des objectifs de déploiement d’énergie décarbonée. Car malgré nos divergences parfois profondes, il me semble que nous partageons tous la volonté de décarboner l’énergie et de sortir des énergies fossiles, lesquelles représentent deux tiers du mix énergétique actuel ; cela passe d’ailleurs par l’électrification des usages.
Il est logique, dans le cadre d’une loi de programmation, de s’en tenir à des objectifs industriels, énergétiques et économiques. Néanmoins, une grande partie des projections réalisées à partir du scénario de RTE se fondent sur l’électrification des usages, sur la décarbonation et sur l’hypothèse que nous ferons des économies d’énergie. Il faudra donc adosser à ce texte une loi de financement contenant les mesures que l’exécutif est prêt à mettre en œuvre pour, par exemple, financer de manière stable et pérenne la rénovation des bâtiments,…
M. Matthias Tavel
Au hasard !
M. Antoine Armand, rapporteur
…ou pour aider les secteurs qui peinent à se décarboner à réaliser des économies d’énergie.
Enfin, malgré nos très nombreux désaccords en matière énergétique, nous avons réussi à resserrer le texte en supprimant les articles non programmatiques, à fixer dans l’article 5 un objectif mesuré en volume d’énergie décarbonée, sans distinction de source, ou encore à maintenir la suppression d’un objectif exprimé en pourcentage d’énergie renouvelable. Bref, nous avons avancé.
Cependant, la commission a décidé de rejeter l’article 3. Des intérêts de boutique ou des arrangements de couloir ont prévalu, à l’abri des regards, moins concentrés sur les travaux des commissions que sur la séance publique. J’espère que les amendements de rétablissement que nous défendrons, enrichis et modifiés par l’intégration des différents amendements adoptés en commission, permettront de clarifier la position de chaque groupe et qu’au moment de voter ce qui pourrait être la plus grande relance nucléaire de l’histoire de notre pays, personne ne se cachera derrière son petit doigt, prétextant l’absence de telle ou telle précision pour refuser de soutenir une industrie souveraine, décarbonée et pourvoyeuse d’emplois.
C’est dans cet esprit, sans préjuger du résultat du vote et en comptant sur l’esprit de responsabilité de notre assemblée, que je vous propose d’examiner cette proposition de loi. (M. Joël Bruneau applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Marie Fiévet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à laquelle la commission des affaires économiques a délégué l’examen des articles 11, 16 bis, 22 ter, 22 quater et 22 quinquies.
M. Jean-Marie Fiévet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 16 octobre 2024, portant programmation nationale énergie et climat pour les années 2025 à 2035. J’ai été désigné rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire pour les cinq articles qui lui ont été délégués au fond.
Le texte vise à satisfaire à l’obligation qui incombe au Parlement de définir les orientations énergétiques nationales. En effet, depuis 2023, date butoir fixée par le code de l’énergie pour adopter la première loi quinquennale de programmation de l’énergie, aucun cap n’a été solennellement fixé. Privés de cette boussole, les porteurs de projet, qu’il s’agisse des collectivités ou encore des entreprises des différentes filières, réclament de la visibilité ; cela est indispensable lorsqu’il est question d’investissements à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros.
Le Sénat a donc pris l’initiative et nous transmet une proposition de loi de programmation assortie d’un volet de simplification. Avec le rapporteur de la commission des affaires économiques, Antoine Armand, nous nous sommes attachés en commission à élaborer une proposition de loi solide, équilibrée et ambitieuse, qui déterminera le contenu des programmations pluriannuelles de l’énergie et de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
La commission des affaires économiques a délégué l’examen de cinq articles à la commission du développement durable. L’article 11 de la proposition de loi constitue la pierre angulaire de notre politique climatique. Cet article, qui relève à 50 % l’objectif de réduction des émissions brutes de gaz à effet de serre d’ici à 2030, traduit les efforts encore nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Lors de la COP21, en 2015, 196 pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone pour limiter l’augmentation de la température planétaire à 2 degrés Celsius, en consentant tous les efforts nécessaires pour ne pas dépasser 1,5 degré. L’article 11 n’est finalement rien d’autre que la réalisation de nos engagements internationaux.
Pourtant, tel qu’issu du Sénat, l’article affaiblissait le droit en vigueur, en préférant une formulation plus souple, « tendre vers une réduction », à l’affirmation d’un objectif clair et contraignant. Cette formulation est insuffisante étant donné l’importance des enjeux : nous devons avoir un objectif clair pour construire les feuilles de route de décarbonation, secteur par secteur, et poursuivre les efforts de planification écologique entrepris au cours des dernières années. Une formulation allégée nuirait à la crédibilité internationale de la France. C’est pourquoi la commission a adopté plusieurs amendements identiques pour conserver une formulation ambitieuse : l’objectif n’est plus de « tendre vers une réduction des émissions », mais bel et bien de les « réduire ». C’est une avancée positive et je m’attacherai à obtenir qu’elle soit conservée en séance.
La commission a ensuite créé un article 11 bis, inscrivant parmi les priorités énergétiques l’objectif de réduire notre empreinte carbone. C’est un indicateur utile, qui prend non seulement en compte les émissions émises sur le territoire national mais aussi les émissions importées. Cet objectif est cohérent avec les recommandations du Haut Conseil pour le climat ainsi qu’avec la future stratégie nationale bas-carbone, qui comportera un budget carbone indicatif portant sur l’empreinte carbone.
L’article 16 bis, tel qu’issu du Sénat, créait une catégorie de « stock stratégique » pour les matières radioactives dont les perspectives de valorisation ne sont pas encore opérationnelles. Il visait à affirmer l’importance de l’uranium appauvri, qui pourra être utilisé au sein des futurs réacteurs à neutrons rapides. Je suis bien entendu favorable à la relance du parc nucléaire français et à la valorisation des matières radioactives. Cependant, il est essentiel que la politique nucléaire soit conciliée avec la gestion sûre et durable des substances radioactives.
La France compte actuellement plus de 340 000 tonnes d’uranium appauvri ; cette quantité, en augmentation constante, pourrait atteindre 569 000 tonnes en 2040. L’augmentation prévisible du stock d’uranium appauvri invite à se concentrer en premier lieu sur les solutions sûres et durables pour entreposer ces matières ainsi que sur la structuration des filières industrielles capables à terme de le valoriser. De plus, le cadre juridique actuel permet d’ores et déjà d’apprécier des perspectives de valorisation de l’uranium appauvri, même si elles ne sont pas opérationnelles à court terme. Aussi la commission a-t-elle estimé qu’il n’était pas opportun de créer une nouvelle catégorie de « stock stratégique » et supprimé cette disposition.
En matière de foncier, l’article 22 ter issu de la commission étend au solaire thermique l’exemption d’artificialisation des sols dont bénéficie déjà le photovoltaïque. Cette exemption dite ZAN, pour zéro artificialisation nette, accordée au photovoltaïque a déjà démontré son utilité. L’étendre au solaire thermique est cohérent, car l’implantation de ces centrales est techniquement similaire. En revanche, je partage l’avis de la commission des affaires économiques sur la nécessité de restreindre le périmètre de la proposition de loi en le recentrant, ce qui peut faire l’objet d’un consensus, sur les seules mesures de programmation énergétique. C’est la raison pour laquelle je présenterai au cours des débats un amendement de suppression de cet article.
Enfin, les articles 22 quater et 22 quinquies issus du Sénat tendaient à compléter l’effort de simplification. Le premier prévoyait de limiter à douze mois l’instruction des nouveaux projets d’énergies renouvelables situés dans les zones d’accélération issues de la loi Aper. Le second visait à appliquer le même principe d’encadrement des délais d’instruction aux opérations de rééquipement des installations d’énergies renouvelables existantes. Si ces propositions paraissaient séduisantes et si elles sont réclamées par certains acteurs, je me félicite cependant que la commission du développement durable ait acté leur suppression. Ces deux propositions demeuraient en effet en retrait de la procédure issue de la loi « industrie verte », qui fixe déjà un plafond théorique de six à neuf mois pour toutes les autorisations environnementales.
Mes chers collègues, la relance de l’énergie nucléaire et le développement des énergies renouvelables répondent en premier lieu à l’urgence climatique. C’est grâce à un mix énergétique décarboné que nous atteindrons la neutralité carbone.
Nous devons à présent définir le cap. En le faisant, le Parlement est à sa juste place. Je formule donc le vœu que nos débats soient aussi constructifs que ceux que nous avons tenus en commission.
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Enfin, notre assemblée légifère sur les priorités énergétiques pour le pays de manière cohérente, pas seulement dans des débats généraux ou à travers des propositions de loi éparses ! Je remercie les rapporteurs MM. Armand et Fiévet pour leur travail. Je souscris aux propos du rapporteur Antoine Armand lorsqu’il soutient que les parlementaires pallient une carence du gouvernement – une carence que je qualifierai de grave.
Le gouvernement n’a en effet pas voulu nous soumettre un projet de loi global, alors même que la loi « énergie-climat » du 8 novembre 2019 fixe le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie. Il s’en remet à une proposition de loi, donc à un texte sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État, alors que l’une et l’autre peuvent être considérés comme indispensables pour une question aussi stratégique que l’énergie.
Comme il ne s’agit pas d’un texte du gouvernement, il y a dans cette proposition de loi beaucoup d’angles morts. De nombreux amendements ont été déclarés irrecevables alors que, dans le cadre d’une loi de trajectoire énergétique, ils auraient été discutés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Malheureusement, nous sommes bien loin d’une loi de planification énergétique, d’autant que le gouvernement vient de prendre des décisions à rebours d’objectifs qui figurent dans le texte, telle la diminution de la consommation d’énergie : avec le gel du dispositif MaPrimeRénov’ et de son financement, la rénovation thermique des logements est mise en pause. (Mêmes mouvements.)
La commission des affaires économiques a examiné cette proposition de loi issue du Sénat la semaine dernière. Ayant délégué cinq articles à la commission du développement durable, elle a entériné les amendements que celle-ci a adoptés.
Notre commission a choisi à la majorité de se concentrer sur la programmation énergétique nationale. Sur proposition du rapporteur Antoine Armand, elle a supprimé des dispositions éparses de modification de normes et ramené le texte à quatorze articles. Le gouvernement a tant tardé, malgré le calendrier fixé par la loi, qu’il semblait urgent d’en venir à l’essentiel, en déterminant quelles productions d’énergie nous voulions dans les dix prochaines années, en définissant la part du nucléaire, celle des énergies renouvelables, et les moyens d’y arriver.
Alors que le gouvernement envisageait de fixer par simple décret, donc sans débat ni vote des parlementaires, la programmation pluriannuelle de l’énergie, nous entamons fort heureusement un débat. Le décret, je l’affirme, devra tenir compte du cap fixé par le législateur. Je suis d’ailleurs fort étonnée, monsieur le ministre, que vous ayez affirmé quelques heures seulement avant le début de l’examen en séance que le décret serait publié sans attendre le vote de cette proposition de loi, un texte sur lequel les parlementaires auront planché des dizaines d’heures. Je trouve cela fort peu respectueux de notre travail et même, de la démocratie parlementaire ! (Mêmes mouvements.) C’est d’ailleurs contraire à l’engagement que le gouvernement a pris en conférence des présidents.
Ne pas prendre en considération les élus de la nation, leur travail et leur vote serait irresponsable, compte tenu de l’importance de ces questions pour nos concitoyens, notamment pour leur pouvoir d’achat, et pour les entreprises ; ce serait irresponsable étant donné la crise écologique et le dérèglement climatique.
Enfin, ce serait irresponsable eu égard aux immenses montants en jeu. La décision de construire six nouveaux EPR est un choix à 80 milliards d’euros – sans compter les coûts induits. Une solution qui n’a pas encore démontré sa fiabilité technique et qui ne réglera rien au problème avant 2038, au mieux. Il faut que le débat ait lieu avec les élus de la nation.
Parmi les amendements importants adoptés lors des débats en commission, je citerai celui qui vise, à l’article 1er, à redonner à EDF le statut d’établissement public industriel et commercial (Epic) d’EDF – c’est à dire à renationaliser le groupe (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Philippe Brun applaudit également) – et celui qui a pour objet de rétablir les tarifs réglementés de vente du gaz. Tous deux montrent combien les parlementaires souhaitent restaurer une forte régulation publique des marchés de l’énergie, de la soustraire aux cahots du marché. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
À l’article 5 ont été votés la mise en service de 18 gigawatts de capacité éolienne en mer à l’horizon 2035, celle de 250 mégawatts pour les hydroliennes à la même échéance, le développement de la biomasse et de la géothermie profonde, etc. Nous avons aussi voté pour une planification et une répartition territoriale des éoliennes terrestres ainsi que pour une plus forte régulation des capacités photovoltaïques.
Chers collègues, la planification énergétique, c’est sérieux ; cela ne relève pas du « peut-être », encore moins de l’opinion. En effet, nous devons viser les besoins humains ; nos choix doivent être adossés aux limites des écosystèmes, aux études scientifiques et à des capacités techniques réalistes. J’espère que nous prendrons cette exigence au sérieux cette semaine. J’espère, monsieur le ministre, que vous prendrez au sérieux les débats et les votes des parlementaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles
Les défis que pose le changement climatique à notre société sont connus. Le premier est celui de tenir nos engagements internationaux en sortant des énergies fossiles et en atteignant la neutralité carbone d’ici 2050. Nous le savons, ces engagements requièrent des transformations économiques, sociales, territoriales et culturelles majeures, qui doivent être réalisées dans un laps de temps si court qu’elles nécessitent selon nous une planification rigoureuse qui doit mobiliser des moyens publics et privés considérables.
Or le débat que nous entamons sur ce texte est marqué du manque de volonté et de courage politiques d’un gouvernement qui s’est refusé à présenter sa feuille de route et sa stratégie énergétique pour la décennie à venir. Au lieu de cela, l’exécutif nous propose une forme de voiture-balai législative avec une proposition de loi d’origine sénatoriale, dont on nous dit aussi, « en même temps », qu’il n’en sera pas tenu compte dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, dont le décret devrait paraître avant la fin de la navette parlementaire. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’il y a de moins en moins de cohérence dans la politique énergétique de notre pays.
La loi relative à l’énergie et au climat de 2019 avait pourtant prévu expressément qu’avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, le Parlement devrait voter une loi de programmation quinquennale pour déterminer les grands objectifs de notre politique énergétique. Mais aucun des derniers gouvernements n’a présenté un tel texte.
À la place, nous avons eu droit à la juxtaposition de consultations publiques, en 2022, en 2023, en 2024, avant que le premier ministre ne confirme qu’il n’y aurait finalement pas de texte gouvernemental. En guise de lot de consolation, nous avons eu le privilège d’un débat sans vote, ici même, avant que ne soit confirmée la décision d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée cette proposition de loi.
Une telle façon de procéder et d’appréhender les grands choix stratégiques en matière énergétique et les conséquences qu’ils impliquent pour l’avenir du pays n’est pas à la hauteur. Nous en observons les effets dans les conditions d’examen de ce texte, son contenu et ses équilibres. Tout bouge – cela a été le cas en commission –, sans que personne n’ait pu préalablement se positionner, faute d’étude d’impact et de travaux préparatoires à la hauteur sur les grandes trajectoires et prospectives énergétiques et climatiques, qui ne cessent d’évoluer – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.
Son examen ne viendra donc pas combler l’impression de navigation à vue que laisse la politique énergétique conduite ces dernières années par le président de la République. En 2022 et en 2023, nous avons examiné un projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, puis un projet de loi d’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, sans que le gouvernement adapte ou révise la trajectoire énergie-climat fixée en 2019.
Qui dit nouvelle trajectoire de référence dit anticipation, mesure des risques, marges de manœuvre à conserver, estimation du niveau des soutiens publics et budgétaires nécessaires. Or aucune garantie budgétaire n’est donnée pour cette programmation. Pire, la brutalité des arbitrages en cours et l’obsession de la baisse des dépenses publiques ont conduit à revenir sur les mesures les plus efficaces pour faire face à la précarité énergétique et faire baisser nos consommations.
Suspension de ma MaPrimeRénov’, gel du leasing pour les véhicules électriques, hausse des taxes sur l’électricité : alors que nous sommes engagés dans une course de vitesse pour faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre et accélérer l’électrification des usages, ces décisions ne font que ralentir encore les transitions nécessaires.
Il résulte de tous ces contresens une France surcapacitaire, qui produit bien plus d’électricité qu’elle n’en consomme et se retrouve à exporter des quantités records, alors même que les deux tiers de son mix énergétique sont issus d’énergies fossiles – 37 % de pétrole et 21 % de gaz naturel.
Monsieur le ministre, des signaux d’alerte vous ont pourtant été envoyés par les autorités indépendantes qui ont eu à donner leur avis sur cette politique erratique. Il y a quelques semaines, le Haut Conseil pour le climat s’alarmait du « manque de clarté » du projet de PPE, qui ne constitue pas une « planification robuste détaillant des mesures quantifiées, déclinées temporellement, pilotées et évaluées en termes de potentiel et d’efficacité ». Le HCC s’inquiétait aussi de l’insuffisante prise en compte de l’accompagnement nécessaire des ménages modestes.
Nous le répétons : il n’y aura pas de transition juste et efficace sans un soutien massif à ceux qui n’ont pas d’autre choix que de vivre dans des passoires énergétiques et de prendre leur véhicule thermique pour aller au travail ou se déplacer au quotidien. Plutôt que de raboter ou de supprimer à la va-vite les aides à la rénovation des logements ou à l’électrification des véhicules, nous devons faire le choix de les soutenir massivement, tout comme l’ensemble des transports publics et collectifs. Monsieur le ministre, le budget 2026 ne doit pas renforcer les inégalités sociales et territoriales, mais il doit marquer un tournant en faveur des classes populaires, de ces millions de ménages modestes condamnés à la précarité, que cela concerne leur consommation d’énergie ou leurs moyens de mobilité.
Le haut-commissariat à l’énergie atomique, autre autorité indépendante qui a eu à donner son avis, insiste, lui aussi, sur le besoin urgent de planifier les investissements et de reprendre la main sur la recherche nucléaire. Il s’agit notamment de ne pas laisser à d’autres le déploiement industriel des réacteurs de quatrième génération et des petits réacteurs modulaires.
Le haut-commissariat nous alerte surtout sur le fait que la complémentarité entre énergies renouvelables et nucléaire, qui caractérise la stratégie de l’offre énergétique, repose sur un équilibre pour le moins précaire. Cela risque de se solder par un sous-emploi du nucléaire et par des surcoûts pour les consommateurs et les industriels.
Bien sûr, la situation vient de ce que la volte-face stratégique, après la fermeture de la centrale de Fessenheim et l’arrêt calamiteux du programme de recherche Astrid, s’est produite trop tardivement. Mais il n’est pas trop tard pour agir. Et si ce texte peut être utile, c’est de retrouver une ambition dans ce domaine.
La même absence de vision affecte malheureusement le développement des filières industrielles. Nous nous interrogeons toujours sur l’absence de véritables plans de filière et de formation pour produire sur notre sol les panneaux solaires, les éoliennes, les pompes à chaleur, les batteries et les infrastructures électriques dont nous aurons tant besoin dans les années à venir.
À quoi bon sortir de notre dépendance aux importations de combustibles fossiles si nous continuons à importer massivement de Chine, des États-Unis ou d’Europe du Nord les productions essentielles à la transition ?
Au-delà de ces critiques de fond sur la politique conduite par le gouvernement, nous nous réjouissons que le texte ait permis, notamment grâce aux travaux en commission, d’enregistrer des évolutions majeures.
Je pense, d’abord, à l’affirmation du monopole public d’EDF sur la construction et l’exploitation des réacteurs électronucléaires, y compris sur les petits réacteurs modulaires, qui ne doivent pas être confiés à des acteurs privés.
Je pense aussi à la révision du mode de calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité, afin qu’ils reflètent les coûts de production, à l’introduction du principe de la transformation d’EDF en Epic, qui est pour nous une avancée majeure, ainsi qu’au rétablissement des tarifs réglementés du gaz. Nous défendrons bien sûr ces avancées, qui doivent être conservées.
Par ailleurs, le texte redonne la main au Parlement pour fixer les objectifs de politique énergétique liés aux réseaux électriques et à l’hydrogène ainsi qu’au développement des capacités d’énergie éolienne, hydrolienne et photovoltaïque, avec toutes les limites que ces chiffrages impliquent. En effet, ils dépendent prioritairement de notre capacité à électrifier massivement les usages, d’une part, et à anticiper les besoins en énergie liés à la nécessaire réindustrialisation du territoire et à la réduction des émissions importées, d’autre part.
À ce stade de l’examen du texte, nous avons cependant plusieurs regrets. Le premier tient à la suppression de l’article 3, qui visait à définir les objectifs de politique énergétique liés à l’énergie nucléaire. La réponse aux besoins d’énergie décarbonée au-delà de 2050 nécessitera de maintenir des capacités nucléaires importantes et d’éviter tout effet falaise dans la capacité de production. Nous devons donc réintroduire nos grandes ambitions dans ce domaine.
En outre, parce qu’ils répondent en partie au problème d’épuisement des ressources auquel devra faire face l’humanité dans les prochaines décennies et qu’ils permettent le traitement des combustibles usés actuels, nous devons renforcer, comme le proposait cet article, l’effort de recherche et d’innovation publiques sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération.
Nous soutiendrons l’inscription, dès à présent, d’une perspective de déploiement industriel des réacteurs à neutrons rapides. Ne laissons pas à d’autres – Américains, Chinois ou Russes – la capacité de concevoir et de nous vendre ces réacteurs dans les prochaines décennies.
Nous proposerons donc le rétablissement de l’article 3, convaincus que nous ne pouvons risquer une perte de souveraineté énergétique et industrielle dans ce secteur clef pour notre avenir, comme nous le sommes de la nécessité de construire de véritables filières dans les énergies renouvelables.
Notre second regret porte sur l’insuffisante prise en compte des enjeux liés à la réduction de notre empreinte carbone. Vous avez évoqué ce problème, monsieur le rapporteur Fiévet.
Selon un rapport conjoint de Carbone 4 et du Stockholm Environment Institute, entre 1995 et 2022, l’empreinte carbone totale de la France a diminué de 7 %, mais cette baisse relative cache deux tendances totalement opposées : d’une part, une réduction de 33 % des émissions émises sur le territoire et, d’autre part, une augmentation de 32 % des émissions importées.
Environ la moitié de l’empreinte carbone de la France est ainsi liée aux importations. La Chine est la plus grande source d’émissions importées, suivie de l’Allemagne, des États-Unis et de l’Italie.
Ce constat impose une politique volontariste de réduction des émissions importées. Elle passe, en particulier, par la réindustrialisation de notre pays, en ciblant les secteurs clés et les technologies les moins émettrices. Elle suppose d’anticiper les besoins en énergie et doit être articulée à une politique de planification industrielle rigoureuse. Seulement, celle-ci fait cruellement défaut, ce qui nous interdit de connaître avec précision les besoins énergétiques de notre pays à l’horizon 2050. J’espère que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Nous défendrons également par amendement la définition d’une stratégie nationale équilibrée de mobilisation de la biomasse. Comme le soulignait le HCC dans son dernier avis, une hiérarchisation stricte des usages de la biomasse est indispensable. Il va falloir arbitrer entre les usages agricoles en faveur du maintien de la fertilité des sols et de leur teneur en carbone, la production de chaleur et de biocarburant, et la production résiduelle d’électricité. Sans stratégie nationale, nous naviguons à vue, sans pouvoir prendre en compte les réalités scientifiques et la dégradation de nos puits de carbone forestiers et agricoles. Ce n’est pas tenable.
Si nous abordons cette discussion sans illusions excessives sur les effets concrets des mesures et leur traduction finale dans la PPE, nous chercherons quand même à améliorer ce texte, afin de définir l’équilibre et l’ambition qui lui manquent.
Espérons que, dans l’attente d’un projet plus construit et assorti de moyens budgétaires clairement identifiés, cette proposition de loi permettra au Parlement de donner plus de corps à la programmation tant attendue de notre politique énergétique.
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
« Le plan ou l’anti-hasard » : cette formule de Pierre Massé, commissaire au plan sous le général de Gaulle, incarnait la vision claire d’un État capable de penser l’avenir, d’organiser l’effort national et de rendre l’économie prévisible, au service du bien commun.
En 2025, que nous reste-t-il de cette vision ? Nous sommes passés d’une planification stratégique à une gestion fragmentée, d’un cap à une succession d’arbitrages flous et idéologiques. Cela se voit – cela se paye.
C’est dans ce contexte que nous examinons enfin, grâce à la ténacité de Marine Le Pen, la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie.
Ce texte est essentiel. En effet, depuis la loi énergie-climat de 2019, le code de l’énergie impose de voter une loi de programmation tous les cinq ans. Cette loi doit fixer nos grandes priorités énergétiques et, surtout, servir de base à des textes réglementaires tels que la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas-carbone.
Or cette loi, censée être adoptée avant le 1er juillet 2023, n’a jamais été présentée par le gouvernement ! C’est donc une proposition de loi venue du Sénat, laquelle n’entrerait en vigueur qu’après la publication du décret gouvernemental, qu’on nous propose d’examiner aujourd’hui. Non seulement l’État ne planifie plus, mais il se met lui-même hors-la-loi en esquivant le débat parlementaire.
Cette incurie révèle des désaccords plus profonds sur la trajectoire énergétique à suivre. Puisqu’apparemment, le décret gouvernemental est déjà prêt à être publié, je vous propose de commencer par examiner ce qu’il contient et ce que cela impliquerait pour notre souveraineté énergétique.
Premier constat : le texte fixe un objectif d’expansion massive des parcs éoliens. Le parc terrestre doit être doublé et l’éolien en mer atteindre 45 gigawatts, soit l’équivalent de quinze fois Fessenheim en puissance installée.
Pour quel coût ? Le prix de 200 euros le mégawattheure est garanti aux développeurs, soit environ dix fois le prix du marché actuel. Le citoyen se retrouve donc deux fois contributeur : d’abord au titre de l’imposition, puis au titre de la consommation.
La punition est du même ordre dans le secteur solaire, avec un objectif de surface d’occupation multipliée par cinq, ce qui conduira immanquablement à des conflits d’usage en zones agricoles, à des tensions foncières et à une hausse des importations de matériaux en provenance d’Asie.
Le décret prévoit aussi une réduction de la consommation d’énergie finale de l’ordre de 30 % d’ici 2035. Or, depuis dix ans, cette consommation a déjà reculé de 11 %, du fait de la désindustrialisation. Réduire encore la demande, et donc faire le choix délibéré de ne pas réindustrialiser, revient tout simplement à planifier notre décroissance. Ce n’est plus une politique énergétique, c’est un programme d’appauvrissement économique.
De Dominique Voynet à Nicolas Hulot, puis à Élisabeth Borne… sous les mandats de Nicolas Sarkozy, de François Hollande et d’Emmanuel Macron, tous les gouvernements, depuis vingt-cinq ans, ont organisé la destruction de notre souveraineté énergétique en encourageant des énergies intermittentes au détriment du parc nucléaire.
L’arrêt d’Astrid et de la filière des neutrons rapides, c’était vous, chers collègues macronistes ! L’arrêt de Fessenheim, c’était encore vous ! Le décret de fermeture a été paraphé en février 2020 par la ministre de la transition écologique Élisabeth Borne et le premier ministre Édouard Philippe, qui laisse désormais le soin aux Français de payer le prix de ses mensonges.
Toutes ces décisions ont eu pour unique objectif de freiner le développement de notre premier atout économique : le nucléaire. Celui-ci est bien le premier ennemi des décroissants, car il garantit une énergie pilotable, abondante, 100 % décarbonée et à bas coût.
Le « en même temps » nous a menés droit dans le mur, qu’il s’agisse de la stratégie industrielle ou des consommateurs, qui ont vu leur facture d’électricité bondir de près de 60 % entre 2018 et 2024. Disons-le clairement aux Français qui peinent à payer leurs factures : si nous avions poursuivi le plan Messmer de 1974, nous disposerions d’une électricité quasi gratuite, et l’énergie serait pour la France, comme elle l’est pour la Norvège, une source presque inépuisable de revenus. Là-bas, les producteurs rémunèrent les citoyens ; ici, l’État et les citoyens surpayent les producteurs.
Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), les prix négatifs dans l’éolien en mer ont représenté pour l’État une perte de près de 30 millions d’euros en 2024. Par ailleurs, selon André Merlin, l’ancien président de RTE, les subventions pour les nouveaux parcs représenteront 18 milliards à l’horizon 2050.
Ce système en dit long sur le modèle que nous subissons depuis des années. Nous subventionnons massivement les énergies intermittentes et en finançons les infrastructures, alors que les impôts de nos parents et de nos grands-parents ont déjà financé les infrastructures du parc nucléaire actuel. D’un autre côté, nous garantissons les prix aux producteurs d’énergies intermittentes, mais quand les profits explosent, rien ne nous revient. Les promoteurs éoliens encaissent, pendant que l’État continue de subventionner. C’est un modèle où le risque est pris par la puissance publique, mais où les bénéfices reviennent aux promoteurs étrangers.
Les panneaux solaires, les batteries, les composants électroniques, les éoliennes demeurent majoritairement fabriqués en Chine et il nous faudrait des années avant de développer une filière 100 % européenne. Ce décret, en misant sur des énergies intermittentes importées, en plus d’appauvrir les Français, creusera encore davantage le déficit extérieur sans créer d’emplois en France. Vous allez me dire que c’est pour une meilleure transition écologique ? Mais nous sommes déjà l’un des pays qui produisent l’électricité la plus décarbonée au monde, grâce au nucléaire !
Le fameux principe de non-régression environnementale suppose, dans les faits, une énergie disponible, pilotable et décarbonée. Sans un nucléaire puissant, la transition restera incantatoire. Il nous faut donc sortir d’un modèle idéologique pour revenir à une électricité bon marché, décarbonée, facteur de compétitivité, de réindustrialisation et de puissance.
Pour cela, planifions dès aujourd’hui le nucléaire pour 2050, à un prix acceptable pour le consommateur. Surtout, ne cédons pas aux sirènes de la décroissance relayées par les partis de gauche qui n’ont rien trouvé de mieux pour combattre le nucléaire que de le renvoyer à plus tard.
Cessons ensuite de subventionner indéfiniment des marchés prétendument immatures. S’ils ont besoin de subventions après quinze ans, c’est qu’ils ne sont pas compétitifs. Prenons au sérieux les signaux d’alerte, comme le blackout ibérique. Cessons de répéter que le nucléaire et les énergies intermittents sont complémentaires alors que, dans les faits, c’est le nucléaire qui s’efface pour laisser place à l’intermittence, au risque d’abîmer durablement nos centrales.
Enfin, soyons ambitieux et faisons de l’énergie un revenu pour les Français. Pour que demain les investisseurs choisissent la France pour son électricité abondante et abordable. Pour que demain nous puissions vendre notre électricité décarbonée à nos voisins, plutôt que de subir leurs pics intermittents lorsqu’il y a du vent ou du soleil.
Le groupe UDR rappelle que la mission première de l’État n’est pas de gérer la pénurie mais de créer les conditions de l’abondance. C’est à cette exigence que nous subordonnerons notre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Maxime Amblard.
M. Maxime Amblard
J’aimerais, à cette tribune, pouvoir me réjouir.
Me réjouir d’abord d’une prise de conscience, même tardive. Après des années d’errance, de renoncements, d’inconstance, de revirements empreints d’idéologie, d’électoralisme, voire de lâcheté, voilà enfin que l’on s’accorde à reconnaître que l’énergie n’est pas un sujet périphérique mais l’ossature même de notre souveraineté !
Me réjouir ensuite d’un tournant – du moins en apparence –, car trois ans après la prétendue relance du nucléaire, nous sommes contraints de constater qu’au-delà des discours, rien n’avance vraiment. Pouvait-il en être autrement de la part de ceux qui, deux ans auparavant, fermaient Fessenheim, l’une des centrales les plus sûres du pays, pour satisfaire à une idéologie hors-sol ?
Me réjouir enfin d’une victoire : celle d’avoir obtenu, grâce à Marine Le Pen et au poids politique du Rassemblement national, l’ouverture de ce débat indispensable. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Indispensable, car il n’y a pas de nation puissante sans un approvisionnement énergétique abondant, décarboné, durable et abordable.
J’aimerais pouvoir me réjouir de tout cela mais, hélas, les dogmes ont la peau dure. Les croyances absurdes, les raisonnements paresseux, les slogans creux : tous flottent encore dans cet hémicycle comme les vestiges d’une époque où l’on croyait que l’énergie pouvait se gouverner à coups de vœux pieux.
Au centre, la majorité devenue minoritaire, incapable de choisir, gère notre avenir énergétique comme un gestionnaire de portefeuille boursier : un peu de tout, sans hiérarchie ni cohérence, comme si toutes les sources d’énergie se valaient. De l’EPR, du SMR, du solaire, de l’éolien, de l’hydrogène, du biogaz et même de l’hydrolien... La Macronie saupoudre un argent essentiel et gaspille un temps précieux.
À gauche, au moins, on a le mérite de choisir. Choisir la décroissance, où le confort moderne devient presque un péché, où l’on rêve d’un monde 100 % renouvelable, comme s’il s’agissait d’un retour vertueux à un âge d’or pastoral. Soyez assurés, chers collègues de gauche, qu’en plus de partager votre objectif louable, la réduction de notre empreinte carbone, j’aimerais pouvoir partager votre vision. Le problème, c’est qu’elle fait l’impasse sur un point essentiel : l’appauvrissement de la France et des Français. Pour vous, cela semble un détail. Pour nous, au Rassemblement national, c’est inacceptable.
Alors que vous vous enfermez dans une écologie du renoncement, punitive, déconnectée du réel, fascinée par l’idée d’un monde sans industrie, sans machine, sans confort, sans ambition, qui ressemble plus à la résignation et à l’abandon qu’au progrès et à la prospérité, au Rassemblement national, nous décidons d’emprunter un autre chemin. Celui d’un approvisionnement énergétique abondant, décarboné, durable et abordable. Celui qui redonnera à la France sa pleine souveraineté énergétique. Celui qui permettra de réindustrialiser le pays, de réduire une empreinte carbone aujourd’hui massivement exportée, de vivre confortablement dans une société moderne et de donner à notre nation les moyens de dépolluer, reboiser, recycler, préserver notre environnement. En somme, de prospérer, au lieu de régresser.
C’est pour cela qu’au Rassemblement national, nous ne rejetons aucune solution par principe. Mais ne pas exclure ne signifie pas tout accepter et la lucidité doit être accompagnée de discernement. Non, toutes les sources d’énergie décarbonées ne se valent pas, ne vous en déplaise. Quoi de mieux que d’en revenir à la physique pour nous éclairer sur un sujet éminemment scientifique ?
M. Matthias Tavel
Ah, la physique !
M. Maxime Amblard
La physique, elle, ne ment pas : les énergies pilotables et concentrées sont et seront toujours bien plus efficaces et bien plus facilement exploitables que les énergies diffuses et intermittentes.
Eh oui, mes chers collègues, il faut vingt fois plus de matériaux pour produire un kilowattheure d’électricité éolienne ou photovoltaïque que pour produire un kilowattheure nucléaire ou hydraulique. C’est comme ça, c’est un fait. Certains peuvent bien trafiquer les chiffres, déformer les analyses et adapter les hypothèses à leur idéologie, mais la réalité est implacable.
M. Matthias Tavel
Vous, ce sont les comptes de campagne que vous trafiquez !
M. Maxime Amblard
C’est pourquoi, au Rassemblement national, nous assumons pleinement de faire un choix : celui de donner la priorité aux sources décarbonées, pilotables et concentrées. Nucléaire, hydraulique, biomasse, géothermie, aérothermie et biogaz : c’est cela qui rendra possible la prospérité sans culpabilité, la décarbonation sans punition.
Alors que la science nous éclaire, la bêtise humaine, pendant des années, a produit de l’obscurité. (Sourires sur les bancs du groupe RN. – M. Thierry Tesson applaudit.) Freins administratifs, normes absurdes, étouffement financier, stratégies de désoptimisation volontaire ont transformé une énergie nucléaire et un mix électrique français, pourtant physiquement optimal et exemplaire, en victime expiatoire d’un sabotage organisé. Résultat : une filière freinée, des délais allongés, des coûts gonflés, avec comme conséquences une hausse des prix pour les Français, une décarbonation plus lente pour le pays et une souveraineté énergétique plus compromise que jamais.
Cette hausse des prix, il est désormais impératif de l’enrayer. C’est pourquoi nous nous opposerons fermement à toute mesure qui pèserait encore davantage sur la facture des Français (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Qu ’ il s’agisse de nouvelles taxes, d’un prix du nucléaire artificiellement gonflé – comme vous l’appréciez tant ! –, de délais interminables pour déployer des capacités pilotables ou du gaspillage dogmatique de milliards dans des sources intermittentes et diffuses comme l’éolien ou le photovoltaïque : tout cela serait tout simplement inacceptable.
Mes chers collègues, il est temps, avec le débat qui s’ouvre, d’en finir avec trente années de politiques énergétiques absurdes et de se doter enfin d’une programmation énergétique à la hauteur des enjeux.
Il nous faut une énergie abondante pour produire, une énergie décarbonée pour préserver, une énergie durable pour stabiliser, une énergie abordable pour soulager. Parce que la France ne mérite pas moins, parce que les Français n’en attendent pas moins et parce qu’au Rassemblement national, nous n’accepterons pas moins. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Luc Fugit.
M. Jean-Luc Fugit
À l’occasion du débat du 28 avril sur la souveraineté énergétique de la France, voulu par le premier ministre, il est apparu que nous étions globalement d’accord sur l’idée que nous devions sortir de notre trop forte dépendance aux énergies fossiles.
C’est un défi majeur qui dépasse les clivages politiques et que nous devons collectivement réussir à relever. C’est une nécessité écologique et c’est notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. C’est aussi un impératif économique et de souveraineté, tant l’importation d’énergies fossiles affaiblit la balance commerciale – de 180 millions d’euros par jour ! N’oublions pas que notre consommation énergétique globale actuelle reste dominée à 60 % par les énergies fossiles.
Face à ce constat, nous nous sommes dotés d’une stratégie française pour l’énergie et le climat (Sfec), que notre groupe soutient et qui est basée sur quatre briques complémentaires : la sobriété et l’efficacité énergétiques, le renforcement du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Cette stratégie porte ses fruits, puisque la baisse de nos émissions de CO2 s’est accélérée ces dernières années. Cette baisse doit se poursuivre et même s’intensifier. C’est l’urgence qui doit nous guider.
Dans ce contexte, la France dispose d’un atout majeur ; un mix électrique décarboné à 95 % reposant, d’après les chiffres de RTE pour 2024, pour plus des deux tiers sur le nucléaire et pour près d’un tiers sur les énergies renouvelables. Afin d’accélérer la sortie progressive des énergies fossiles, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer à la fois sur l’énergie nucléaire et sur les énergies renouvelables électriques et thermiques. Il importe de créer un mix pluriel en ne négligeant aucune opportunité, aucune technologie, aucune énergie susceptible de concourir à notre résilience. Notre groupe estime que nous n’avons ni le luxe ni le temps d’opposer le nucléaire aux énergies renouvelables, car il n’y a pas de solution unique pour remplacer progressivement les énergies fossiles. Le développement de ce mix est d’ailleurs largement soutenu par les Français, comme l’indique une étude de l’Ifop publiée au mois de mai.
La diversification et la relocalisation sur le territoire français de notre production énergétique s’imposent donc comme une évidence. C’est le sens du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, que nous avons élaboré collectivement à la suite d’une large concertation lancée il y a quatre ans. Cette PPE devrait selon nous être publiée le plus rapidement possible, afin de donner aux filières la visibilité nécessaire à leurs investissements. Les acteurs l’attendent : ils nous le disent régulièrement depuis plusieurs mois. Nous savons, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de la situation mais je tenais à vous rappeler qu’il est urgent d’agir.
Dans le même esprit, nous pensons que la publication de la PPE devrait aussi être accompagnée d’une stratégie pluriannuelle de financement, alignée sur les grands objectifs de chaque filière. Dans ce contexte, le groupe EPR estime que l’examen de cette proposition de loi sénatoriale doit être un moyen de préciser notre stratégie énergétique. Nous y sommes en partie parvenus en commission des affaires économiques – mais en partie seulement. Nous avons notamment suivi la proposition du rapporteur de conserver dans le texte principalement les articles faisant référence à la programmation énergétique avec une ligne claire : le développement des énergies renouvelables doit être poursuivi et massifié, en complément d’une énergie nucléaire appelée, elle aussi, à être fortement soutenue.
Nous approuvons la volonté de simplification affichée par le rapporteur, mais nous tenons à préciser que nous ne sommes pas opposés aux mesures de renforcement de la protection des consommateurs ou d’extension du champ des compétences de la CRE, initialement inscrites dans la proposition de loi ; nous avions d’ailleurs déposé des amendements pour enrichir le texte sur ces points. Nous pensons, monsieur le ministre, que ces sujets méritent un débat à part entière et nous appelons le gouvernement à s’en saisir à travers un futur projet de loi.
Ce débat serait aussi l’occasion de travailler ensemble sur la transformation des modes de consommation énergétiques, car nous avons une responsabilité à l’égard de nos concitoyens : celle de leur garantir une énergie accessible et décarbonée, quels que soient le territoire où ils vivent et leur niveau de vie. Ce sont les conditions d’une transition socialement juste et cela dépasse le débat budgétaire, que je n’ouvrirai pas ici même s’il y aurait beaucoup à dire sur MaPrimeRénov’, le leasing social et d’autres mesures d’accompagnement nécessaires.
J’en viens maintenant à nos travaux en commission concernant le volet programmatique. Dans l’esprit qui est le nôtre – développer la complémentarité entre nucléaire et énergies renouvelables –, nous y avons fait inscrire des objectifs touchant le développement des énergies renouvelables : traduction du pacte éolien en mer, signé par l’État en 2022 ; valorisation de l’énergie hydrolienne et de l’hydrogène ; production de chaleur renouvelable.
En revanche, nous avons eu la mauvaise surprise de voir supprimer l’article 3, qui visait à acter nos engagements en matière de développement de l’énergie nucléaire. Ce n’est pas sérieux ! Il y a là un mauvais signal, à la fois pour les industriels et pour nos concitoyens : on ne peut parler sérieusement, je le répète, de stratégie énergétique sans s’appuyer sur le nucléaire. Encore une fois, l’opposition entre nucléaire et renouvelables ne saurait entraîner qu’un débat stérile ; les enjeux, notamment celui de défossiliser progressivement l’économie, sont bien plus importants !
Nous avons besoin d’un texte programmatique de raison, qui permette de trouver un équilibre. Notre groupe soutiendra la réintroduction de l’article 3. Par ailleurs, nous présenterons des amendements tendant à supprimer certaines mesures adoptées en commission. En effet, le rétablissement des tarifs de vente réglementés du gaz exposerait inévitablement l’État à la censure des juridictions nationales ou européennes (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) et engendrerait pour les consommateurs une insécurité juridique. Quant à la restauration du statut d’Epic d’EDF, elle déclencherait une procédure d’infraction de la Commission européenne.
M. Matthias Tavel
C’est le Parlement français, ici !
M. Jean-Luc Fugit
Nous soutiendrons aussi certaines propositions en faveur du froid renouvelable ou de la production de chaleur issue de combustibles solides de récupération ; ce sont peut-être là des sujets techniques, mais non de petits sujets !
Enfin, afin d’enrichir l’objectif d’optimisation du réseau électrique, nous défendrons un amendement inspiré des travaux parlementaires, plus précisément de la note scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) « Adaptation des réseaux électriques : enjeux technologiques et scientifiques », que j’ai récemment coprésentée avec le sénateur Daniel Salmon.
Le débat que nous allons consacrer à la stratégie énergétique ne doit pas nous faire oublier la nécessité d’une réflexion plus large concernant la planification, le financement de notre modèle. L’accélération de l’électrification des usages, notamment dans l’industrie ou la mobilité, conduira à une forte augmentation des besoins en matière de raccordement ; ces évolutions impliquent des changements structurels touchant le développement des réseaux, le stockage, la flexibilité.
Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un écosystème de recherche particulièrement performant et innovant, qui – j’insiste sur ce point – doit voir ses moyens d’agir préservés.
Face à ces enjeux, à la sortie de notre dépendance des énergies fossiles, à l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, nous devons rester à la fois pragmatiques et déterminés, garder en tête un principe de réalité physique, économique, qui donne tout son sens à la mise en œuvre progressive de la politique énergétique que nous souhaitons. C’est à ces conditions que notre pays pourra faire face à un triple impératif : affirmer sa souveraineté énergétique, renforcer la compétitivité de son industrie, accélérer la lutte contre le changement climatique.
Mme Clémence Guetté
Côté applaudissements, c’est la Macronie en délire !
M. le président
La parole est à M. Matthias Tavel.
M. Matthias Tavel
La France respectera-t-elle l’accord de Paris sur le climat, ou bien engagerez-vous notre pays dans la voie du trumpisme énergétique ?
Mme Clémence Guetté
Voilà !
M. Matthias Tavel
Dans cinq ou dix ans, la France produira-t-elle assez d’électricité ? Les Français pourront-ils encore payer leur facture d’électricité ou de gaz, nos entreprises auront-elles accès à une électricité à prix stable et compétitif ? Voilà les grandes questions dont nous allons décider (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) – enfin !, serait-on tenté de dire, car nous aurions dû avoir ce débat en 2023 au plus tard.
Le gouvernement macroniste a préféré se mettre hors la loi en ne déposant pas le projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) qu’il aurait dû nous présenter. Il faut dire qu’il était assez ridicule d’entendre tout à l’heure un ancien ministre se plaindre de l’attitude du ministre actuel, sous la présidence d’un autre ancien ministre,…
M. Marc Ferracci, ministre
Respectez le président Lescure ! (Sourires sur les bancs des commissions.)
M. Matthias Tavel
…sachant que compte tenu de leurs fonctions passées, présentes et peut-être futures, la responsabilité des trois est à tout le moins engagée ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) À la place du projet de LPEC, nous aurons donc un ersatz, une proposition de loi issue de la droite sénatoriale et constituant une base inacceptable tant par la méthode que sur le fond.
Nous avons commencé à remédier à cela en transformant le texte en commission, mais nous n’y sommes toujours pas : nous n’avons pas d’étude d’impact, pas de discussion ayant trait aux enjeux financiers, budgétaires – et la semaine dernière, sans attendre le vote de notre assemblée, le gouvernement s’est empressé de signer un contrat avec la filière nucléaire au sujet d’un programme de nouveaux réacteurs pourtant supprimé par la commission il y a quinze jours. Avec la Macronie, c’est toujours la même méthode, le passage en force ! (Mêmes mouvements.)
M. Maxime Laisney
Scandaleux !
M. Matthias Tavel
Reste qu’en matière d’énergie, comme de retraites, le passage en force est la marque des faibles. Le bilan de vos choix, c’est que la France est en retard sur sa trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre ; en retard sur la sortie des énergies fossiles ; en retard sur le développement des énergies renouvelables. Votre bilan, ce sont des factures d’énergie qui font du yoyo et atteignent des sommets ; plus de 1 million de coupures, l’an dernier, pour les Français ; toute une économie, des boulangers à la sidérurgie, dépendante du coût de l’énergie, qui souffre du manque de visibilité, de planification, de régulation.
Monsieur le ministre, alors que votre inaction coûte terriblement cher à la France, aux Français, vous voulez poursuivre dans cette impasse. Ça suffit ! Il y a urgence à faire tout autrement, urgence à prendre le chemin de l’intérêt général, de la bifurcation énergétique, de la reconquête de la maîtrise publique de l’énergie – bien commun indispensable à tous et non marchandise comme les autres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
L’intérêt général humain est clair : il faut sortir des énergies fossiles pour tenir nos engagements climatiques. L’intérêt national va dans le même sens. Pétrole et gaz représentent encore les deux tiers de notre consommation d’énergie, et plus de 60 ou 70 milliards d’euros de déficit commercial chaque année. Il faut sortir de ces dépendances géopolitiques et énergétiques climaticides ! Cela passe par une vraie planification écologique, articulée autour d’un triptyque clair : sobriété, efficacité énergétique obtenue notamment par l’électrification, développement des énergies renouvelables afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement. (Mêmes mouvements.)
Le gouvernement fait tout le contraire : au lieu de sobriété, vous suspendez les aides à la rénovation énergétique ; au lieu d’efficacité, d’électrification, vous mettez sur courant alternatif le leasing social ; au lieu de développer les renouvelables, vous préférez une loi centrée sur le nucléaire, nucléaire dont elles seraient la variable d’ajustement.
Jusqu’ici, heureusement, nous avons mis votre plan en échec ; par nos victoires en commission, nous avons montré qu’une autre politique énergétique était possible, qu’une autre majorité était trouvable sur ce texte si nous continuions dans cette voie.
Nous avons rétabli le principe d’un objectif ferme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La lutte contre le changement climatique ne constitue pas une option, une opinion parmi d’autres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Nous avons supprimé le programme du nouveau nucléaire. Nous avons préservé l’article consacré aux énergies renouvelables électriques. Pour une politique énergétique véritablement souveraine et juste, qui protège le pouvoir d’achat des Français, nous avons fait adopter plusieurs amendements visant à tirer les leçons de l’échec du marché de l’énergie : retour d’EDF au statut d’établissement public (Mêmes mouvements) ; rétablissement des tarifs réglementés du gaz ; renforcement des tarifs réglementés de l’électricité.
Mais vous vous entêtez et voulez revenir à un texte qui signifierait, en somme : tout pour le nucléaire, rien pour les renouvelables ; tout pour le marché, rien pour le service public – on en vient à se demander, monsieur le ministre, si certains de vos amendements n’ont pas été rédigés par le Rassemblement national.
Mme Clémence Guetté
Exactement !
M. Matthias Tavel
Vous êtes otage de la droite sénatoriale et de ses relais au sein du gouvernement ; vous voulez sacrifier l’intérêt du pays, sa politique énergétique, à de petits calculs politiciens à courte vue !
M. Jean-Philippe Tanguy
Alors que vous…
M. Matthias Tavel
Que je sache, ni Mme Le Pen ni M. Retailleau ne sont encore premier ministre ou ministre de l’énergie !
M. Jean-Philippe Tanguy
Hélas !
M. Matthias Tavel
Si nos collègues macronistes étaient présents, je leur dirais que c’est l’heure des choix, qu’ils ne sont pas obligés de courir derrière la droite sénatoriale et le Rassemblement national. Ont-ils l’intention de chercher une majorité auprès de ce parti qui prétend construire en vingt ans quarante EPR 2 – on n’est pas sûr qu’EDF puisse en construire six –, exploiter le gaz de schiste, noyer des vallées entières sous des barrages par dizaines, comme il l’a assumé sans honte en commission ? Feront-ils le choix du trumpisme énergétique en mendiant les voix des climatosceptiques qui siègent à l’extrême droite de cet hémicycle ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Ou le choix de la raison, de la décarbonation, de l’accord de Paris, en rejoignant les positions que nous défendons : sobriété, efficacité, énergies renouvelables ? (Mêmes mouvements.)
Quelle que soit notre opinion sur le nucléaire, le programme de nouveaux réacteurs n’a rien à faire au sein d’un texte de programmation à l’horizon 2035 ; c’est un fait. Notre opinion est connue : nous estimons ce nouveau nucléaire trop lointain, trop cher, trop hasardeux d’un point de vue industriel et technologique, trop lourd de conséquences durables en matière d’approvisionnement en uranium et de gestion des déchets, pour constituer une solution pertinente à l’urgence climatique et au besoin d’une électricité à prix accessible. Même si vous ne partagez pas ce jugement, vous devez bien admettre que le premier EPR 2 ne sera pas prêt en 2035. Ce ne sont pas La France insoumise, les écologistes ou Greenpeace qui le disent,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Si !
M. Matthias Tavel
…mais le Conseil de politique nucléaire, présidé par M. Macron lui-même.
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est pareil !
M. Matthias Tavel
Selon ce Conseil des ministres restreint, le premier réacteur sera, si tout se passe bien, disponible au mieux en 2038, les suivants encore plus tard, sans doute pas avant 2045, voire 2050 pour les six premiers ; ne vous en déplaise, tout cela se situe après 2035, donc hors du champ d’application de cette loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Vos amendements à ce sujet auraient presque dû être déclarés irrecevables pour cause de lien insuffisant avec le texte !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Exactement !
M. Matthias Tavel
Quant à figer cette semaine un engagement concernant ce programme d’EPR 2, c’est irresponsable : EDF ne communiquera que dans plusieurs mois ses coûts et calendriers. Dans son rapport sur la filière EPR, la Cour des comptes elle-même signale que l’« accumulation de risques et de contraintes pourrait conduire à un échec du programme EPR 2. »
Être responsable aujourd’hui, c’est ne pas faire à l’aveuglette des choix qui risquent fort de se transformer en fiasco industriel, boulet budgétaire ou machine à produire une électricité à plus de 100 euros le mégawattheure, comme l’EPR de Flamanville 3. Ne lançons pas un programme qui a toutes les allures d’un Flamanville 4 ! (Mêmes mouvements.)
Être responsable aujourd’hui, c’est au contraire préférer des choix sûrs, efficaces, rapides, reposant sur des technologies maîtrisées ; choisir la sobriété, engager d’urgence un plan massif de rénovation du bâti, au lieu de suspendre MaPrimeRénov’ comme vient de le décider le gouvernement ! (Mêmes mouvements.)
Vous prétendez qu’il n’y a pas d’argent pour cela, tout en refusant de mettre à contribution les ultrariches ; vous êtes les derniers dogmatiques ! À moins que vous ne refusiez cette justice fiscale, pas seulement par idéologie, mais aussi par intérêt personnel ? Les deux tiers des ministres actuels sont millionnaires : si vous voulez trouver de l’argent pour la transition énergétique, commencez par regarder vos déclarations de patrimoine ! (Mêmes mouvements.)
Être responsable aujourd’hui, cela consiste à faire le choix de l’efficacité énergétique, en particulier du soutien massif à l’électrification des usages, du petit véhicule de tous les jours jusqu’au haut-fourneau. Nous devons à la fois maîtriser ces usages pour réduire notre consommation globale d’énergie et augmenter notre recours à l’électricité renouvelable afin de remplacer le pétrole, le charbon, le gaz et leurs émissions de gaz à effet de serre. Là encore, disons-le clairement : le problème de la France n’est pas de produire trop d’électricité, il tient à son retard sur la hausse de la consommation d’électricité dont le pays et le climat ont besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Le problème de la France, c’est qu’elle n’est pas sûre de produire assez d’électricité demain, car elle dépend d’un parc nucléaire qui vieillit, qui a vocation à fermer, peut-être même brutalement si l’Autorité de sûreté nucléaire n’en autorise pas la prolongation. (Mêmes mouvements.)
Être responsable aujourd’hui, c’est opter de façon nette pour les énergies renouvelables, électriques et thermiques, afin de remplacer rapidement les énergies fossiles.
Le premier ministre affirmait ici même, le 28 avril, que l’énergie française devait être « abondante, compétitive, décarbonée et souveraine ». Chiche ! Dans ce cas, le bon choix, ce sont les énergies renouvelables. Les renouvelables sont compétitives – le nouveau nucléaire, lui, coûtera beaucoup plus cher. Elles sont abondantes – leur croissance potentielle sera la plus rapide. Elles sont décarbonées – elles ne produisent pas, en plus, de déchets radioactifs pour des milliers d’années. (Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.) Elles seront la garantie de notre souveraineté si le gouvernement veut bien leur donner de la visibilité et les protéger de la concurrence déloyale : planification énergétique et politique industrielle doivent enfin aller de pair ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’absence de planification et le retard de la publication de la troisième PPE menacent des filières industrielles entières, comme l’éolien en mer. General Electric a déjà supprimé 800 emplois en Loire-Atlantique, mon département. Je me réjouis que nous ayons adopté de façon transpartisane un amendement visant à confirmer l’objectif de 18 gigawatts d’éolien en mer d’ici à 2035.
Nous vous proposerons également de fixer des objectifs pour le photovoltaïque et l’éolien terrestre. Je vous invite aussi à confirmer le soutien voté en commission aux autres énergies de la mer, notamment au démarrage industriel de l’hydrolien.
Refuser les énergies renouvelables, comme le font le Rassemblement national ou la droite, c’est condamner la France à une double impasse : ne pas sortir des énergies fossiles, ou manquer d’électricité. Refuser les énergies renouvelables, c’est un crime contre l’intérêt du pays. C’est avoir, demain, des coupures d’électricité signées Marine Le Pen.
M. Sébastien Humbert
C’est l’inverse !
M. Matthias Tavel
Quoi qu’on en pense, le nouveau nucléaire que vous voulez imposer arrivera trop tard : nous aurons besoin de produire davantage d’électricité dès 2030, dès 2035. Ne vous en déplaise, tous les scénarios envisagés par RTE à l’horizon 2050, tous sans exception prévoient un développement massif des énergies renouvelables, y compris lorsqu’ils incluent une part importante de nucléaire. (Mêmes mouvements.)
Pour autant, l’électrification ne pourra se faire que si le prix de l’électricité est abordable et maîtrisé. Pour cela, il convient de sortir l’électricité du marché. (Mêmes mouvements.) Le marché est incapable de planifier la transition écologique, d’orienter les investissements vers le long terme. Depuis la libéralisation du marché de l’électricité, les factures ont été multipliées par deux, depuis que l’électricité n’est plus un service public mais une marchandise comme les autres, ça coûte plus cher et ça marche moins bien ! (Mêmes mouvements.)
Les directives européennes, la loi Nome, portant nouvelle organisation marché de l’électricité, la privatisation de Gaz de France ou la transformation d’EDF en société anonyme n’ont fait qu’organiser l’impuissance publique en matière énergétique, jusqu’à risquer la privatisation de nos barrages. Nous proposons de faire de cette loi la première étape du retour de la puissance publique dans le domaine de l’énergie. (Mêmes mouvements.)
La France a tous les atouts pour relever ces défis. Elle a les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers, hommes et femmes attachés à l’intérêt général et au service public. Elle a encore un savoir-faire énergétique et industriel qui, même s’il s’amoindrit, pourrait se déployer. ( Mêmes mouvements.) Elle dispose de sites appelés à devenir des pointes avancées de la bifurcation énergétique – c’est le cas de la centrale électrique de Cordemais, qui ne demande qu’à devenir un site pilote avec des projets axés sur les énergies renouvelables. Il est temps que le gouvernement et EDF renoncent à son abandon et à sa fermeture, respectent la parole du président de la République et ordonnent la conversion du site. (Mêmes mouvements.)
Le défi climatique et énergétique peut être mortel pour la France si elle reste engluée dans les énergies et les logiques du XXe siècle. Il peut aussi être un formidable accélérateur de progrès écologique, industriel et social si nous le décidons. Alors, en avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sophia Chikirou
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Nous voilà enfin appelés à débattre d’un texte proposant une programmation énergétique pour notre pays, attendue depuis près de trois ans. Cette proposition de loi est cependant bien éloignée du souhait que nous avions collectivement exprimé. Pendant plus de deux ans, nous avons réclamé un projet de loi portant sur l’énergie et le climat ; cette demande a été sans cesse refusée. M. le rapporteur l’a lui-même souligné. Cette carence du gouvernement est dommageable pour le pays et nous avons perdu beaucoup de temps.
Nous allons discuter d’un texte construit par des sénateurs du groupe Les Républicains. Sans nier le travail du rapporteur Gremillet, ce texte n’est l’expression ni de la position du gouvernement ni de la position de la majorité. Il est examiné en parallèle de la réflexion d’un groupe de travail, souhaité par le premier ministre et piloté par MM. Armand et Gremillet. Ce texte est en décalage avec le projet de troisième programmation pluriannuelle de l’énergie. Par nature, il ne comporte ni évaluation préalable ni étude d’impact.
Convenez donc que c’est une bien mauvaise base de travail ; il s’agit d’un chantier, pour reprendre les mots de M. le rapporteur. La structuration de son titre 1er autour d’articles thématiques n’a pas facilité les débats en commission. Malgré tous ces défauts, c’est bien le cadre que le gouvernement nous a imposé. Le groupe Socialistes et apparentés a fait le choix, comme en 2022 dans le cadre de l’examen de la loi Aper, de prendre toute sa part dans la définition de cette programmation énergétique tant attendue. Il s’est placé dans une logique constructive, en se recentrant sur les articles programmatiques.
Nous avions anticipé ce débat en lançant, dès la fin de l’année 2023, un groupe de travail interne. Alliant parlementaires et experts de haut niveau dans le domaine de l’énergie, ce groupe a mené de nombreuses auditions. La stratégie énergétique socialiste qui en a découlé a été présentée le 4 juin. Elle sert de fil conducteur à nos propositions sur ce texte, constituées autour de trois piliers programmatiques.
Le premier, c’est la souveraineté. Il s’agit de tenir compte des leçons de la guerre en Ukraine et de faire face à la nouvelle guerre froide économique menée par la Chine, la Russie et désormais les États-Unis.
Le deuxième, c’est la décarbonation. La sortie des énergies fossiles nous libérera de la dépendance envers ces États concurrents, réduira notre exposition à la volatilité des prix de ces énergies et permettra de concilier nos objectifs économiques et climatiques dans le respect de nos engagements internationaux.
Enfin, la compétitivité constitue le troisième pilier. Il n’y aura de souveraineté économique et de réindustrialisation que si nous parvenons à construire un mix énergétique, notamment électrique, qui offre les prix les plus compétitifs à nos entreprises et permette de préserver le pouvoir d’achat des ménages.
La réduction de nos besoins en énergies fossiles passe d’abord par le développement d’une politique de sobriété et d’efficacité énergétique ambitieuse permettant l’électrification des usages. Cela nécessite de déployer un effort public constant dans le temps et de donner de la visibilité aux bénéficiaires et aux acteurs économiques. Or le stop and go en matière de financement, les changements constants de critères et de niveaux de prise en charge de dispositifs comme MaPrimeRénov’, la prime à la conversion ou le leasing social donnent l’impression que Bercy œuvre délibérément au sabotage de la transition énergétique. Cette dernière est pourtant une condition de notre souveraineté économique et industrielle.
De ce point de vue, il est apparu pour le moins absurde de débattre des objectifs de rénovation thermique des bâtiments en commission alors que la suspension du guichet MaPrimeRénov’ était annoncée à peine deux heures plus tard.
Les conséquences ne sont pas neutres : le retard accumulé dans l’électrification des usages risque de créer un décalage croissant entre la demande et l’offre d’électricité, déjà ponctuellement perceptible. Il est urgent que le gouvernement déploie des moyens concrets pour l’électrification des usages afin que nos débats sur la production électrique ne soient pas, sans mauvais jeu de mots, déconnectés.
L’énergie est notre bien commun, elle est au cœur de notre souveraineté. À l’issue de nos travaux, nous considérons que les énergies renouvelables constituent la réponse la plus adéquate aux trois piliers précités. En effet, elles sont moins coûteuses que les infrastructures nucléaires nouvelles, elles peuvent être déployées plus aisément et plus rapidement, elles assurent une indépendance énergétique en matière de combustibles et leur empreinte carbone est très faible. La France doit ainsi rechercher à atteindre un mix énergétique intégrant la plus grande part possible d’énergies renouvelables, dans la limite des possibilités techniques existantes. Elle répondra ainsi à ses engagements européens.
Compte tenu des sources énergétiques variables qu’elles exploitent, les énergies renouvelables – à l’exception notable de l’hydroélectricité, qui me tient à cœur – ne sont pas aussi pilotables et agiles que le nucléaire historique. Elles permettent cependant d’équilibrer notre réseau électrique à tout moment et de garantir notre sécurité d’approvisionnement. Un mix intégralement ou très majoritairement composé d’énergies renouvelables nécessiterait de diversifier ces énergies pour atténuer leur variabilité, mais aussi de développer massivement les capacités de stockage d’énergie et les technologies de pilotage du réseau.
En 2024, 65 % de l’électricité produite provenait de nos centrales nucléaires. Cependant, en 2025, trente-deux des cinquante-sept réacteurs dépasseront ou auront dépassé les quarante années d’exploitation commerciale – la durée maximale d’exploitation initialement prévue. La question de leur nécessaire prolongation au-delà de cette durée de vie se pose, celle de leur éventuel remplacement aussi. EDF estime pouvoir prolonger leur durée d’exploitation à soixante ans ; cela fait l’objet d’une procédure d’évaluation par l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Toutefois, d’importantes incertitudes subsistent quant à une durée d’exploitation supérieure.
De plus, les difficultés rencontrées sur le parc nucléaire historique ces dernières années, à l’instar du problème de corrosion sous contrainte, laissent imaginer que pourraient être découvertes des défaillances critiques sur un ou plusieurs réacteurs d’une même génération. Cela pourrait remettre en cause la poursuite d’exploitation avant même cette échéance. Les anomalies détectées sur la centrale de Civaux la semaine dernière montrent que ce risque ne doit pas être écarté.
Dès lors, une question fondamentale se pose : en 2040, date à laquelle pourrait débuter la sortie d’exploitation de ces trente-deux réacteurs, les énergies renouvelables auront-elles été suffisamment développées pour prendre le relais du parc historique ? Les technologies de pilotage du réseau et de stockage auront-elles atteint une maturité suffisante pour garantir notre sécurité d’approvisionnement ?
À ce jour, nous sommes au regret de constater que les conditions ne sont pas réunies. Dans un domaine aussi essentiel et stratégique pour notre pays, nous ne pouvons pas fonder nos choix de long terme sur un pari technologique par nature incertain.
Dès lors, le lancement d’un nouveau programme électronucléaire apparaît nécessaire. Il permettrait de prévenir la survenue de l’effet falaise lié au calendrier de sortie d’exploitation des réacteurs du parc nucléaire historique, tout en maintenant des capacités de production pilotables et robustes aptes à assurer la sécurité d’approvisionnement et la stabilité du réseau.
En cohérence avec le pilier précité lié à la compétitivité, le calibrage de ce nouveau programme électronucléaire doit impérativement être crédible sur le plan industriel et financier, et pertinent sur le plan économique. Ceux qui promettent jusqu’à vingt nouveaux réacteurs électronucléaires ne sont aujourd’hui pas dans le registre de l’ambition, mais dans celui de l’imagination.
Le rapport de Jean-Martin Folz paru en 2019 le rappelait : les changements de pied en matière de nucléaire intervenus au cours des quinze dernières années ont entraîné une perte de compétences et de savoir-faire qui sera longue à reconstituer. Sur le plan humain, la filière devra recruter 10 % de l’ensemble des ingénieurs formés en France d’ici à l’année 2035 pour alimenter le seul projet de construction de six EPR 2.
En outre, EDF aborde ce défi alors que l’entreprise est financièrement dépendante d’une dette importante, dans un contexte de taux d’intérêt élevés, et qu’elle doit consentir à d’importants investissements sur le parc existant.
Dans un rapport de janvier 2025, la Cour des comptes estimait à 79,9 milliards d’euros le coût de réalisation des trois premières paires d’EPR 2, déjà annoncées par le président de la République. Ce projet n’est crédible ni industriellement ni financièrement ; les interrogations sont immenses quant à un calibrage qui serait fixé à quatorze réacteurs. En effet, ce nouveau programme doit être économiquement viable. Il doit contribuer à un prix de sortie de l’électricité le plus bas possible pour les industriels, les collectivités et les citoyens. Or, d’après ce même rapport, le prix moyen du mégawatt produit par un EPR 2 sera près de 50 % supérieur à celui produit par les sources renouvelables et deux fois plus important que celui du nucléaire historique, largement amorti. Même en tenant compte du différentiel des coûts de réseau, il demeure largement supérieur.
Dès lors, le format pertinent pour un nouveau programme électronucléaire est celui qui intègre le plus petit nombre de nouveaux réacteurs, juste suffisant pour apporter les avantages du nucléaire au mix – stabilité, prévisibilité et pilotabilité – tout en laissant les énergies renouvelables constituer la majeure partie du prix final de l’électricité. C’est le format que nous proposons. Ce calibrage présente l’avantage de ne pas nécessiter le développement de capacités supplémentaires en matière d’entreposage et de stockage de déchets radioactifs. Cohérent avec le scénario « N1 » de RTE, il comporte huit nouveaux réacteurs, incluant les six déjà annoncés.
Certes, cette position ne répond pas à l’intégralité de nos interrogations sur le nucléaire. Pour autant, elle apparaît comme une proposition pragmatique et réaliste pour un mix équilibré, diversifié, résiliant et compétitif.
Elle s’accompagne naturellement d’une accélération importante du déploiement des énergies renouvelables, en particulier de l’énergie solaire et de l’éolien en mer, et de leur diversification. C’est la position que nous avons défendue en commission.
Monsieur le rapporteur, nous avons fait la démonstration de notre approche constructive en commission. Depuis, nous avons échangé sur les conditions qui permettraient de tracer le chemin d’un compromis sur ce texte en séance publique. Oui, notre ambition est bien de voter pour ce texte, s’il instaure un nécessaire équilibre entre renouvelables, ancien et nouveau nucléaire, et s’il propose un mix fondé sur les piliers que j’ai précédemment évoqués. Vous avez indiqué ne pas vouloir d’un catalogue de puissances installées par énergie renouvelable ; nous avons indiqué y être prêts, à la condition qu’un objectif global de production d’énergie renouvelable au sein des énergies décarbonées soit inscrit dans ce texte – un tel objectif se déduisant essentiellement du productible nucléaire, nul ne comprendrait l’opposition à son inscription.
Nous avions proposé d’inscrire en dur dans le texte l’objectif de prolongation du parc nucléaire historique jusqu’à soixante années d’exploitation. Vous nous avez dit ne pas vouloir obérer la possibilité d’aller au-delà, nous vous avons écouté : notre amendement de rétablissement de l’article 3 en est la preuve.
De même, vous refusez de limiter le nouveau programme électronucléaire à huit réacteurs, comme nous le demandons. Nous avons proposé un compromis : prévoir une clause de revoyure en 2030 – date à laquelle, conformément à la loi actuelle, un nouveau texte devrait être soumis à l’Assemblée nationale –, pour déterminer la pertinence d’une tranche supplémentaire, eu égard aux critères de viabilité et de faisabilité que j’ai évoqués.
Il en va de même pour les SMR, dont nous ne rejetons pas le principe technologique, mais pour lesquels nous refusons de fixer des objectifs quantitatifs, tant que nous n’aurons pas déterminé une doctrine d’emploi claire et évalué les enjeux de sûreté et de sécurité induits, surtout en cas d’usage sur des plateformes industrielles, potentiellement exploitées par le privé. Là encore, nous proposons une réévaluation d’ici à 2030.
Enfin, nous ne remettons en cause ni les objectifs en matière de recherche et d’innovation sur le nucléaire, ni ceux relatifs à la gestion et la valorisation du combustible et des déchets – nous formulerons même des propositions complémentaires.
Monsieur le rapporteur, nous vous avons largement tendu la main sur ce texte, en répondant à plusieurs des conditions posées en commission, tout en respectant notre identité. Vous connaissiez ces propositions ; les amendements que vous avez déposés, comme ceux du gouvernement, ne nous rassurent pas quant à votre volonté d’aboutir à un compromis.
Je dois dire aussi, monsieur le ministre, que la signature du contrat stratégique de la filière nucléaire, survenue entre l’examen en commission et l’examen en séance publique est pour le moins irrespectueuse du Parlement. Vous avez affirmé ici que vous souhaitiez que nous travaillions ensemble : il vous incombe désormais de saisir notre main tendue. Nous avons proposé toutes les voies de compromis possibles pour ce qui nous concerne, mais il faut être deux pour aboutir à un accord.
Monsieur le rapporteur, à vous de choisir entre une majorité de confort avec l’extrême droite, sur un mauvais mix irréalisable, et une majorité exigeante avec nous, sur un mix qui répondra aux attentes de tous et garantira une transition juste et réaliste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à M. Jérôme Nury.
M. Jérôme Nury
Il y a un an, les Français étaient appelés aux urnes pour élire leurs représentants ; une campagne éclair avait fait suite à une dissolution capricieuse et ratée. Un an plus tard, l’incompréhension d’une telle décision demeure et le moins que l’on puisse dire, c’est que la clarification politique annoncée n’a pas eu lieu. Les avancées se font au compte-goutte et elles sont noyées dans pléthore de textes qui relèvent davantage du bavardage ou de l’affichage que d’une transformation en profondeur du quotidien de nos concitoyens.
Avec cette proposition de loi, nous avons l’occasion de démontrer que le Parlement a des préoccupations plus essentielles que la discrimination capillaire ou les caractéristiques techniques des colliers canins, qu’il sait prendre un peu de hauteur, décider, choisir et arbitrer, quand l’exécutif, lui, hésite, louvoie ou bricole. La preuve de ces atermoiements nous a été donnée le 28 avril, ici même, dans un hémicycle quasi vide, quand lors d’un pseudo-débat sur l’énergie, le premier ministre s’est contenté de poser moult constats et questions, plutôt que d’indiquer une direction et d’établir une stratégie. Nous étions nombreux ce jour-là à penser que sur un tel sujet, la nation aurait mérité un vrai premier ministre plutôt qu’un président bis de RTE. (Sourires sur les bancs des commissions.) Ce jour-là aussi, les discours ont mis en lumière nos différences de fond.
Avec la gauche, d’abord, pour qui chaque attaque contre l’énergie nucléaire s’apparente à une victoire. J’en veux pour preuve la suppression en commission de l’article 3 sur la relance du nucléaire, à l’insu du plein gré des députés socialistes, à la suite de l’adoption de l’un de leurs amendements, applaudie par l’ensemble du NFP et de ses affidés.
Depuis des années, la gauche a construit un discours antinucléaire fondé sur la peur, là où nous avions besoin de rationalité et de pragmatisme. C’est ainsi que par pur calcul électoral, avec en tête l’avenir de la gauche plurielle plutôt que celui de la France, un texte fermant quatorze réacteurs nucléaires a été adopté.
Ceux-là mêmes qui ont fait passer leurs intérêts politiciens avant ceux des Français veulent aujourd’hui quadrupler nos capacités en photovoltaïque et doubler celles en éolien ! Tout cela au détriment de la souveraineté énergétique de la France et sur le dos des Français, qui verront leurs factures d’électricité exploser encore plus, si cette pure folie va jusqu’au bout.
Construire des parcs offshore d’énergies intermittentes, importer des panneaux photovoltaïques chinois ou des éoliennes allemandes, qui ne tournent qu’un cinquième de l’année en moyenne, n’a aucune efficacité énergétique et pèse lourdement sur les prix de l’électricité. L’estimation des 300 milliards d’euros pour le déploiement des énergies renouvelables d’ici à 2035 est réelle. Elle doit être entendue et comprise. Oui, la France doit cesser d’installer des éoliennes sur son territoire. Le président de la République lui-même avait fixé un objectif de 37 gigawatts d’éolien terrestre à l’horizon 2050. Or, en additionnant les capacités en service et celles déjà autorisées, la puissance installée atteindra d’ici quelques mois 38 gigawatts, soit un objectif dépassé avec quinze ans d’avance.
Quand on sait que lorsqu’elles fonctionnent à pleine capacité, les éoliennes peuvent, en raison de l’absence de solutions de stockage à grande échelle, saturer le réseau et engendrer de fortes perturbations, voire une coupure de courant généralisée comme ce fut le cas en Espagne il y a quelques semaines, il est temps de dire stop à cette hérésie. La France n’a pas les moyens d’investir dans des raccordements de réseau pour des énergies diffuses et non pilotables ni d’assurer des prix supérieurs au marché pour inciter au développement d’énergies intermittentes.
Il est urgent d’assumer un discours de vérité et de regarder l’énergie objectivement. Il n’y a pas une énergie de droite et une énergie de gauche, seulement des énergies qui doivent être adaptées à notre géographie, à notre climat, à nos savoir-faire industriels et à nos besoins de consommation. Le nucléaire a été et doit rester notre socle.
Il faut donc réinvestir et relancer cette filière abandonnée, conspuée et méticuleusement brisée par les pouvoirs successifs depuis 2012, jusqu’au miracle de Belfort et la conversion à l’atome du président Macron. L’énergie nucléaire doit être défendue par tous : elle permet d’offrir l’électricité la moins émettrice en CO2 parmi toutes les sources d’électricité, elle a déjà montré qu’elle nous avait fait bénéficier des coûts les plus compétitifs, avant que nous ne soyons obligés de financer des énergies intermittentes, et elle permet de créer de l’emploi dans les territoires, notamment des postes d’ouvriers et d’ingénieurs hautement qualifiés.
Surtout, chers collègues qui voulez lutter contre le grand capital, choisir le nucléaire et les énergies électriques pilotables permet de ne pas se placer dans les mains de fonds spéculatifs étrangers dont le seul objectif est de profiter des prix subventionnés pour assouvir une soif de rentabilité qui ne crée aucun emploi à haute valeur ajoutée dans les territoires ruraux.
Oui, je ne désespère pas que d’autres miracles comme celui de Belfort puissent se produire. Saint Paul, après sa conversion sur le chemin de Damas, a bien évangélisé le monde. Pourquoi Emmanuel n’évangéliserait-il pas à son tour ses disciples ?
Dans ce débat et ceux à venir, la Droite républicaine montrera qu’elle est favorable aux énergies renouvelables – aux énergies renouvelables pilotables, celles qui permettent aux Français de bénéficier de l’électricité quelle que soit l’heure ou la météo. Notre vision est simple : tout faire pour que notre consommation énergétique délaisse les énergies fossiles au profit d’une électricité décarbonée, pilotable et bon marché.
Nous, nous ne mélangeons pas les obligations de résultat et de moyens. Si demain, nous trouvons une énergie encore plus vertueuse que le nucléaire ou l’hydroélectricité pour atteindre notre but, nous en étudierons la faisabilité car nous croyons au progrès technique. Nous en sommes convaincus : outre la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles, la France peut en tirer un avantage compétitif certain pour les décennies à venir, mais aussi une indépendance évidente en matière économique.
Qui peut croire une seule seconde que nos industriels vont délaisser le pétrole importé qui leur permet de fonctionner jour et nuit pour se tourner vers une électricité qui dépendrait du taux d’ensoleillement ou du vent ? Quel aveuglement ! Quelle erreur stratégique ! La réalité, c’est que nous observons une stagnation de notre consommation électrique malgré une électrification plus importante des usages. Ce temps que le progrès technique nous accorde, il faut le consacrer à la construction de nouvelles capacités de production nucléaire – en cela, nos positions sont claires.
Pour électrifier massivement les usages et décarboner les secteurs les plus consommateurs d’énergies fossiles, nous devons tendre vers au moins 27 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées à horizon 2050. Pour cela, la construction d’au moins 10 gigawatts d’ici 2026 et d’au moins 13 gigawatts d’ici 2030 devra être engagée. Nous souhaitons le maintien en fonctionnement des réacteurs existants aussi longtemps que l’ASNR l’autorisera. Cette prolongation garantira l’efficience économique des investissements consentis depuis plus d’un demi-siècle et assurera une continuité de la production essentielle dans la période de transition.
Nous nous opposerons à toute nouvelle installation de production d’électricité liée aux énergies intermittentes. À défaut de pouvoir revenir sur les autorisations déjà accordées, nous nous battrons pour instaurer un moratoire sur les futurs projets éoliens et photovoltaïques, à l’exception de ceux en autoconsommation. Il y va du pouvoir d’achat de nos concitoyens, de l’efficacité de la dépense publique et de notre capacité à protéger notre réseau électrique.
Nous sommes également attachés à ce que le coût des raccordements au réseau soit pris en charge par les porteurs de projets de parcs électriques intermittents et à ce qu’il soit mis fin à la baisse du facteur de charge du nucléaire au profit des énergies intermittentes, pour permettre à EDF d’optimiser autant que possible ses capacités de production d’origine nucléaire.
Enfin, nous défendrons notre souveraineté en ce qui concerne les barrages hydroélectriques, qui doivent rester sous pavillon tricolore. Les conclusions de la mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques, dont fait partie notre collègue député de Savoie, Vincent Rolland, vont d’ailleurs dans le sens du texte initial.
M. Antoine Armand, rapporteur
Il cite la Savoie ! C’est trop !
M. Jérôme Nury
Chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Droite républicaine entend défendre la parole de celles et ceux qui n’en peuvent plus de payer leur électricité hors de prix. Les enjeux dépassent désormais les simples clivages politiques. Chacun ici doit désormais choisir entre la politique de la continuité énergétique, qui écrase le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, et celle du courage, qui prend le risque d’assumer une parole difficile mais ô combien nécessaire à nos intérêts économiques et écologiques.
L’examen de ce texte doit nous permettre collectivement de faire des choix forts, contrairement à ce qui a été fait depuis plusieurs années – le naturel politicien, en ménageant la chèvre et le chou et en ne voulant contrarier personne, a conduit à faire croire que toutes les énergies se valaient et étaient complémentaires.
En clair, il faut rayer de la carte cette mauvaise tambouille appelée « le mix énergétique », qui serait un peu comme une recette de cuisine où il suffirait d’ajouter les énergies comme de simples ingrédients : de l’éolien par-ci, du photovoltaïque par-là, et une pincée de nucléaire pour le goût.
Mme Sophia Chikirou
C’est irresponsable de dire ça !
M. Jérôme Nury
C’est cette mauvaise recette qui donne un plat improbable et indigeste payé au prix d’un étoilé Michelin. Monsieur le ministre, soyez le Philippe Etchebest de l’énergie : faites cesser ce cauchemar énergétique en remettant de l’ordre et en concoctant une recette claire, rationnelle et à un prix acceptable. Nous comptons sur vous !
M. le président
Merci, monsieur le député. Sachez que je n’ai pas pris personnellement votre remarque sur la discrimination capillaire.
La parole est à Mme Julie Laernoes.
Mme Julie Laernoes
Quand le réchauffement climatique, notre dépendance aux énergies fossiles et l’explosion des factures énergétiques ont-ils disparu de l’agenda politique ? Depuis quand a-t-on cessé d’écouter les alertes des scientifiques ? Depuis combien de temps ignore-t-on la voix des salariés et des entrepreneurs engagés dans la rénovation thermique et les énergies renouvelables ? Pourquoi a-t-on décidé, en dépit du bon sens, que donner un cap sérieux et crédible à notre trajectoire énergétique serait trop hasardeux politiquement ?
Il y a trois ans à peine, nous scrutions les bulletins de RTE car la moitié du parc nucléaire était à l’arrêt pour corrosion, la guerre en Ukraine faisait exploser les prix du gaz et du pétrole et nos factures énergétiques flambaient sous le poids des importations. Nous nous posions alors une question très concrète : aurons-nous assez d’électricité pour passer l’hiver ? Ces contraintes se seraient-elles évanouies d’ici là ?
Pendant l’été 2023, nous avons toutes et tous planché sur l’avenir énergétique de notre pays et, malgré nos différences, nous avons tiré trois leçons claires, largement partagées. Premièrement, la sobriété et l’efficacité énergétique sont les premiers piliers d’une planification sérieuse, car la meilleure énergie est celle que nous ne consommons pas. Deuxième leçon, la montée en puissance des énergies renouvelables est indispensable. Enfin, l’option nucléaire ne pourra être un recours qu’à long terme puisque aucune nouvelle installation ne verra le jour avant 2040, au mieux. Cette même année 2023, l’État devait présenter une loi de programmation sur l’énergie et le climat, mais il n’en a rien été.
Que s’est-il passé ? Pourquoi examinons-nous une proposition de loi qui, objectivement, peine à tracer une trajectoire claire, un texte dépourvu de cohérence qui ne comporte ni évaluation, ni étude d’impact ? Pourquoi examinons-nous une proposition de loi à laquelle, monsieur le rapporteur, vous-même ne croyez pas vraiment,…
M. Antoine Armand, rapporteur
C’est faux !
Mme Julie Laernoes
…soutenue par une droite qui combat les énergies renouvelables et détricote par tous les moyens la rénovation énergétique, proposition de loi qui intègre tous les fantasmes d’une industrie nucléaire aux abois ?
Monsieur le ministre, à vous qui défendez ce texte, je déclare : on ne joue pas avec l’avenir énergétique du pays pour préserver un maroquin ministériel quelques semaines ou quelques mois de plus. La politique énergétique mérite mieux qu’un texte bricolé dans l’urgence.
Mme Sophia Chikirou
Ouh là là !
Mme Julie Laernoes
Elle exige une vision fondée sur la science, le climat, l’intérêt général ; elle ne peut s’apparenter à une opération de survie politique. Elle mérite une programmation pluriannuelle dans le cadre d’un projet de loi digne de ce nom !
Monsieur le ministre, alors que vous affirmez défendre le nucléaire et les énergies renouvelables, vous jugez crédible d’introduire un objectif chiffré pour le nouveau nucléaire – dont les plans ne sont même pas prêts – sans étude d’impact économique ou financière tout en refusant catégoriquement de faire de même pour les énergies renouvelables, pourtant fiables et déployables rapidement ! Si vous vous gargarisez des mots « énergies renouvelables », vous laissez couler dans une indifférence déconcertante leurs filières implantées en France et vous misez tout sur le nucléaire.
Le nucléaire ne sert qu’à éviter de remplir notre mission fondamentale : préparer l’avenir, se sevrer des fossiles, ne pas laisser les factures des Françaises et des Français s’enflammer. Il est le prétexte de l’inaction et de tous les reculs possibles et imaginables : suspension des aides à la rénovation, fin du leasing social, abandon de lignes de train, révision à la baisse de l’arrêté sur le solaire, retards criants sur l’éolien offshore, sous-financement du fonds chaleur…
Faire du nucléaire la solution unique relève moins d’un choix stratégique que de la nostalgie d’un passé où l’électricité était publique et peu chère. Mais les faits sont là et vous les connaissez, monsieur le rapporteur ! Lors de la commission d’enquête présidée par M. Raphaël Schellenberger, vous avez entendu comme moi les responsables d’hier – M. Henri Proglio, Mme Anne Lauvergeon – évoquer Flamanville à la louche, les malfaçons, les retards, les surcoûts et les guerres de clans.
Ce ne sont pas les écologistes qui ont conduit la filière nucléaire dans le mur, mais ses dirigeants, du fait de leurs paris hasardeux, de leur arrogance et de leur aveuglement. (Mme Dominique Voynet et M. Mathias Tavel applaudissent.) Et nous voudrions que les mêmes logiques président aux destinées de notre avenir énergétique ?
Ne vous saute-t-il pas aux yeux que ceux qui nient le réchauffement climatique sont aussi les plus fervents partisans du nucléaire ?
M. Antoine Armand, rapporteur
Non, cela ne saute pas aux yeux !
Mme Julie Laernoes
Ils évoquent le climat uniquement pour mieux vendre de nouvelles centrales. Il faut être aveugle ou insensé pour faire ce pari-là !
Il faut surtout arrêter de mentir : le nucléaire ne sera pas moins cher que les économies d’énergie ou les énergies renouvelables. Au contraire ! Les faits sont là : le solaire photovoltaïque est passé de 200 à 60 euros environ le mégawattheure en dix ans, l’éolien terrestre est à 50 euros, l’offshore approche les 70 euros, la chaleur renouvelable varie entre 40 et 90 euros. Les économies d’énergie issues de rénovations coûtent entre 30 et 50 euros le mégawattheure tandis que le nouveau nucléaire, lui, dépasse déjà les 120 euros. En 2023, si le soutien public aux énergies renouvelables électriques représentait environ 9 milliards d’euros, il a permis à l’État de récupérer près de 14 milliards grâce au mécanisme de soutien à prix garanti.
M. Maxime Amblard
Pour quelles dépenses ?
Mme Julie Laernoes
Autrement dit, les énergies renouvelables ont rapporté plus qu’elles n’ont coûté. Dès lors, pourquoi parier sur la solution la plus lente, la plus coûteuse, la plus incertaine ? Faire ce choix n’est pas de la stratégie, mais de l’aveuglement.
Il ne s’agit pas seulement d’un mauvais pari technico-économique, c’est aussi un non-sens démocratique. Les Français ont déjà tranché. Publiés il y a quinze jours, les résultats d’un sondage Ifop réalisé auprès de plus de 12 000 personnes, sont limpides : 84 % des Français ont une bonne image des énergies renouvelables, qui sont les énergies les plus populaires. Les Français préfèrent l’éolien au nucléaire !
Mme Caroline Colombier
Non !
Mme Julie Laernoes
Plus on vit à proximité d’une infrastructure renouvelable, plus on les soutient : parmi ceux qui vivent à côté d’une installation, 94 % en ont une opinion favorable. Enfin, 62 % des Français jugent le développement des renouvelables insuffisant. Cela s’appelle l’acceptabilité sociale et elle est décisive !
Ces chiffres nous disent que les énergies renouvelables sont comprises, soutenues, appropriées. Elles incarnent une transition que nos concitoyens veulent réussie. À quoi bon persister dans une fuite en avant nucléaire, centralisée, verrouillée et coûteuse qui nous rend dépendant de régimes autocratiques comme la Russie et dont les nouveaux électrons n’arriveront peut-être jamais ?
Les écologistes sont constants ; ils portent des projets d’énergies renouvelables, ils se battent pour sortir des énergies fossiles, préserver les lignes ferroviaires, renforcer la rénovation des bâtiments. En commission, ils ont démontré une chose essentielle : quoi que vous en pensiez, une majorité de fond existe dans cet hémicycle pour construire cette stratégie énergétique crédible, ambitieuse et réaliste. Une majorité de gauche, avec des parlementaires du socle gouvernemental, peut se retrouver autour de la seule trajectoire possible pour les vingt prochaines années : réduction structurelle de la consommation d’énergie, efficacité énergétique dans tous les secteurs et développement massif des énergies renouvelables. Ces leviers ne sont pas secondaires, ils sont centraux. Ils permettent de décarboner efficacement, de renforcer notre souveraineté, de maîtriser les coûts et d’assurer la résilience de notre système.
Chers collègues du socle gouvernemental, vous avez les moyens d’avancer si vous le souhaitez : tournez-vous vers la gauche, vers la sobriété, l’efficacité, les renouvelables. C’est ici que se trouve la majorité !
En commission, nous avons adopté ensemble un objectif en matière de rénovation de logement.
M. Antoine Armand, rapporteur
Absolument !
Mme Julie Laernoes
Vous pouvez faire le même travail sur les énergies renouvelables que celui que nous avons mené en commission sur la rénovation et voter pour nos amendements en fixant des objectifs clairs et cohérents. Ne vous bercez pas d’illusions : le monde de plus en plus instable dans lequel nous évoluons nous rappelle que la relance du nucléaire est une impasse énergétique et politique et un danger géopolitique. Vous avez les cartes en main !
Le groupe Écologiste et social sera pleinement mobilisé pour défendre un autre choix : celui d’une énergie maîtrisée que l’on peut produire vite, distribuer équitablement, consommer intelligemment et gouverner démocratiquement. Une énergie que l’on maîtrise n’est pas un mirage technologique, mais un choix collectif. Il nous incombe de construire une politique énergétique qui éclaire l’avenir plutôt que d’engager une fuite en avant qui l’assombrit. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Bolo.
M. Philippe Bolo
Alors que s’ouvre l’examen du texte relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie pour les années 2025 à 2035, je souhaite vous présenter la position du groupe Les Démocrates et préciser la manière dont nous abordons ces débats attendus sur un texte qui touche le quotidien de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos collectivités territoriales.
Depuis la crise énergétique qui a suivi l’invasion russe en Ukraine, notre rapport à l’énergie a été sensiblement modifié et il le restera à long terme. Si jusqu’alors l’accès à l’électricité reposait sur les gestes en apparence anodins d’actionner un interrupteur ou de brancher une prise, nous avons collectivement pris conscience que notre consommation pouvait rencontrer des limites en matière de disponibilité, mais aussi de prix et de justice sociale, sujet auquel notre groupe est particulièrement attaché.
L’énergie soulève des questions de budget et de pouvoir d’achat, mais aussi de compétitivité, pour toutes les entreprises, des plus grandes aux plus petites. De l’énergie dépend la capacité des collectivités territoriales, partout sur le territoire national, à poursuivre leurs politiques publiques. Nous avons collectivement compris le caractère stratégique de la production d’énergie pour une nation souveraine. La stratégie énergétique est devenue une question politique justifiant un débat parlementaire public à la hauteur des enjeux, transparent, respectueux de la science et des divergences, destiné à définir les contours et les orientations de notre action.
Si la volonté parlementaire de se saisir du débat énergétique a émergé il y a plusieurs années avec l’adoption d’une loi quinquennale de programmation pluriannuelle de l’énergie, cette demande transpartisane n’a malheureusement jamais abouti, en raison notamment des équilibres politiques précaires au sein de notre hémicycle. La France ayant besoin d’une programmation énergétique, les gouvernements successifs ont choisi de contourner le blocage par une PPE adoptée par décret, sans débat et sans vote. C’est cette situation qui nous amène à débattre ce soir.
Pour le groupe Les Démocrates, il était nécessaire que le Parlement se saisisse pleinement de la question de la PPE. Nous espérons que, grâce aux travaux déjà menés sur la PPE 3, nos débats aboutiront à un texte fixant la programmation pluriannuelle de notre pays d’ici à 2035. Mais si la programmation pluriannuelle de l’énergie est bel et bien un sujet de débat parlementaire, elle ne peut être réglée dans tous ses détails par ce seul débat.
M. Henri Alfandari
Tout à fait !
M. Philippe Bolo
En effet, face aux incertitudes majeures du contexte macroéconomique et géopolitique, personne sur nos bancs ne peut définir, dans la granularité de chaque énergie, les objectifs de puissance et les trajectoires de production et de consommation d’ici à 2035. En revanche, il nous appartient d’arrêter les grandes lignes de cette programmation pour garantir que notre système énergétique apportera durablement une énergie abondante au juste prix tout en assurant la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux inévitables aléas.
Le texte que nous examinons doit avant tout fixer une exigence de souveraineté énergétique pour la France. Celle-ci doit s’appuyer sur la sécurité d’un approvisionnement qui assure des interconnexions européennes en cas de crise et la possibilité d’exporter notre production excessive hors de nos frontières.
La proposition de loi que nous examinons doit fixer la feuille de route de la décarbonation de nos consommations énergétiques au service de la protection de l’environnement et de la compétitivité des entreprises. Elle doit favoriser la flexibilité thermique grâce à un mix de moyens de production privilégiant les synergies par rapport aux oppositions frontales.
L’article 3 de la proposition de loi, supprimé en commission, tout comme l’article 4 sur les flexibilités ou l’article 5 sur les énergies renouvelables et décarbonées, constituent les briques essentielles de cet édifice. Nous avons besoin du nucléaire et des énergies renouvelables : ne les opposons pas, mais utilisons-les de manière complémentaire, au service de notre souveraineté énergétique et de sa résilience !
La proposition de loi répond aussi à une nécessité de lisibilité dans le temps long, construite en cohérence avec l’équilibre et la stabilité des réseaux pour éviter la situation de blackout vécue par nos voisins espagnols fin avril dernier – le jour de notre débat sur la souveraineté énergétique de la France ! Nous ferons des propositions en ce sens à l’article 1er.
La programmation énergétique doit garantir, à long terme, un prix stable et accessible de l’énergie. Elle doit être le point de rendez-vous entre les investissements dans les nouvelles capacités de production et la trajectoire d’électrification des consommations. À cet égard, nous travaillons, avec Maxime Laisney, sur le prix de l’électricité dans le cadre d’une mission d’information de la commission des affaires économiques.
Le groupe Les Démocrates souhaite qu’au bénéfice de nos intérêts stratégiques, nous parvenions à inscrire les ambitions d’une programmation cohérente et robuste dans le texte dont nous allons débattre. Nous devons dépasser les points de blocage issus du débat en commission et construire un équilibre durable et utile à nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Henri Alfandari applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Nous devons saisir la chance, offerte par cette proposition de loi, de donner un cadre plus lisible et plus cohérent à notre trajectoire énergétique. À l’heure où l’histoire semble s’accélérer, où la guerre est sur le continent européen, où le Proche-Orient s’embrase et où les routes de l’approvisionnement se tendent, les équilibres énergétiques mondiaux vacillent. Plus que jamais, notre souveraineté énergétique apparaît comme un enjeu de sécurité nationale et même comme la racine de ce que devrait être notre stratégie d’indépendance.
Cette initiative parlementaire intervient à la suite des interrogations légitimes que suscite la rédaction actuelle de la PPE 3. Après l’attente d’une LPEC qui n’est jamais venue et des débats nourris sur l’orientation, après des concertations à répétition, des reports, des nominations et des appels d’offres publiés ou bloqués, chacun d’entre nous peut mesurer à quel point l’ambition de régler à court terme ce qui se déploie dans le temps long mène à une impasse, tout comme la volonté de passer par la loi pour un sujet qui devrait relever du pouvoir réglementaire.
Nous devrions aborder ce texte en gardant à l’esprit la gravité de la situation internationale, mais aussi toutes les lourdeurs et les difficultés financières de notre pays.
Depuis trop longtemps, nos trajectoires sont ajustées au gré du vent, sans vision d’ensemble ou d’approche systémique, ce qui a pour conséquence un manque flagrant de stabilité, de lisibilité et de continuité dans nos politiques. Il est temps de marquer une étape importante vers la construction d’une stratégie énergétique cohérente, structurée et surtout durable.
L’énergie ne se gère pas au rythme de l’agenda politique. Nous ne rejetons pas les efforts entrepris ces dernières années – beaucoup a été fait –, mais il nous faut aller encore plus loin, plus haut, plus longtemps et surtout de manière structurée, en hiérarchisant et en assumant enfin nos choix. Il convient de s’inscrire dans le temps long, dans le respect des cycles industriels et avec l’impérieuse conscience de ce que nous devons aux générations futures.
En matière d’action sur le temps long, le nucléaire constitue un pilier. Décarboné, pilotable, maîtrisé, il est l’un de nos derniers grands atouts technologiques et industriels. Nous devons l’assumer avec fierté tout en investissant massivement dans l’innovation, la sûreté, le recyclage des déchets et la montée en compétence de nos filières.
Les énergies renouvelables représentent évidemment un pilier complémentaire. Cependant, elles nécessitent une planification rigoureuse, qui prenne en considération leur intermittence, les injections dans les réseaux et leur articulation avec l’énergie nucléaire centralisée.
Le nucléaire et les renouvelables : telles sont les énergies décarbonées que nous devons produire pour nous sevrer de nos dépendances fossiles. Nous ne devons pas chercher à les mettre en concurrence, mais tirer le meilleur de leurs avantages pour les intégrer dans un système énergétique équilibré qui garantit la transparence stratégique de nos choix, une concurrence saine des mécanismes de régulation, la compétitivité de l’économie française et la protection des consommateurs.
L’indépendance énergétique est un enjeu d’attractivité, donc de prix. Trop de nos entreprises subissent des écarts de prix insoutenables par rapport à leurs concurrentes. Trop de nos concitoyens voient leurs factures exploser sans comprendre pourquoi.
Nous avons besoin d’un modèle énergétique qui protège et stabilise, qui redonne de la puissance à notre économie et de la justice à nos ménages et qui nous permette de respecter nos engagements climatiques.
C’est pour cette raison qu’avec le groupe Horizons & indépendants, je vous proposerai d’adopter quatre amendements pour définir un véritable cap énergétique national à long terme. Au passage, je regrette que notre amendement principal ait été découpé en quatre amendements placés à différents endroits du texte, ce qui ne contribuera pas à la clarté des débats. Je me permettrai donc, lors de la discussion des articles, de prendre le temps de vous expliquer clairement notre point de vue sur la stratégie énergétique de notre pays.
Nous souhaitons définir un cap cohérent, aligné sur nos engagements climatiques, nos impératifs économiques et notre exigence d’indépendance. Avec ce cap, fixé ici même, nous déterminons un objectif de production d’énergie décarbonée qui nous permettra de nous passer définitivement des importations d’énergie fossile. Ce cap engage, par la loi, un État qui se voit confirmé dans son rôle en matière réglementaire et dans sa capacité à mener une action puissante pour réaliser des objectifs qui conditionnent notre indépendance. Le respect de ce cap et cette action seront contrôlés tous les ans par les commissions compétentes de nos assemblées et par l’Opecst afin de confirmer ce qui fonctionne et de corriger, avant qu’il ne soit trop tard, ce qui ne marche pas.
La France n’est pas une île. Le monde autour de nous est en mouvement – il bouge même terriblement. Notre pays ne peut se permettre de perdre deux ans. Avec cette proposition de loi, nous avons la chance de pouvoir agir de façon décisive pour notre pays et nos concitoyens. Saisissons-la !
Le groupe Horizons & indépendants s’est beaucoup investi lors du travail sur ce texte, avec la conviction que notre pays peut être à la fois une puissance énergétique, une nation industrielle et un acteur majeur de la transition climatique.
Mme Clémence Guetté
Ça se voit !
M. Henri Alfandari
Nous sommes déterminés à vous rallier à notre vision. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau
Enfin ! Le code de l’énergie prévoit qu’une loi de programmation dans le secteur de l’énergie doit intervenir « à compter du 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans » : cette proposition de loi était donc attendue. Jusqu’à présent, le gouvernement avait renoncé à présenter un texte, mais il a travaillé sur une programmation pluriannuelle de l’énergie fixée par décret. Il a ainsi empêché la représentation nationale d’avoir son mot à dire sur le futur du mix énergétique français, un sujet ô combien déterminant, d’autant plus que nous sortons enfin d’une longue période d’atermoiements concernant l’avenir de notre filière nucléaire.
Lorsqu’on parle d’énergie, on parle bien sûr de développement économique et de compétitivité des entreprises, mais aussi de pouvoir d’achat des ménages, ainsi que d’environnement, à l’heure où la décarbonation de nos sociétés est l’enjeu du siècle et où, en France, 60 % de l’énergie consommée est toujours d’origine fossile. C’est dire à quel point la stratégie énergétique de la nation doit s’inscrire dans le long terme et sur une base solide. Aussi mérite-t-elle incontestablement beaucoup mieux qu’un simple décret.
On ne dira jamais assez à quel point les différentes filières énergétiques ont besoin d’orientations claires et d’une stratégie stable sur le long terme – conditions indispensables pour mobiliser les investissements nécessaires. Une telle stratégie ne doit pas reposer sur des dogmes mais sur des réalités techniques et budgétaires. Cela vaut à la fois pour la filière nucléaire, essentielle à la souveraineté énergétique nationale, mais aussi pour les filières renouvelables, qui peuvent compléter le mix énergétique national.
La programmation de l’énergie, très stratégique, est un art difficile en l’absence d’éléments clés. En effet, si le gouvernement, sous les pressions politiques, a enfin inscrit à l’ordre du jour un texte sur le sujet – ce qui est heureux –, il a en réalité repris une initiative sénatoriale, ce qui nous prive d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. En outre, le gouvernement n’a pas été présent en commission alors qu’il est a priori le mieux à même de répondre à certaines questions.
Par ailleurs, plusieurs points ne sont toujours pas réellement éclaircis, par exemple les modalités de financement de la relance du nucléaire. Celles-ci dépendent en grande partie des négociations menées par la France avec la Commission européenne au sujet de ce qui peut s’apparenter à des aides de l’État.
D’autres questions aussi cruciales se posent s’agissant de la juste quantité d’électricité à produire. Le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie a été critiqué par de nombreux acteurs – et non des moindres : le Haut Conseil à l’énergie atomique et l’Académie des sciences, par exemple, qui redoutent qu’une hypothèse de consommation trop élevée soit envisagée.
En arrière-plan se pose donc la question de la part de la production des énergies renouvelables dans notre mix énergétique, ces dernières devant être couplées à des productions pilotables. N’oublions pas que nous ne disposons pas, à ce jour, des capacités de stockage ni de la flexibilité nécessaires pour faire face à leur intermittence.
Une certaine prudence me semble légitime afin d’éviter un excès de production énergétique. Nous sommes bien conscients des limites et des difficultés d’une planification énergétique. Nous ne pouvons pas nous permettre un excès de production, qui serait coûteux pour nos finances publiques et risqué pour la stabilité du réseau. À l’inverse, une production insuffisante d’électricité compromettrait notre capacité à soutenir l’électrification des usages et à atteindre nos objectifs en matière de décarbonation.
La hausse de la production doit donc être graduelle pour éviter un décalage massif avec celle de la consommation – celle-ci stagne depuis plusieurs années et ne devrait pas augmenter à l’avenir en raison du développement de certaines technologies.
Nous ne devons pas pour autant renoncer à tabler sur des perspectives de croissance. C’est pourquoi il faut, premièrement, acter le programme de relance des six nouveaux EPR tout en travaillant à l’allongement de la durée de vie des centrales existantes. Ensuite, il faut préparer la création des huit réacteurs supplémentaires en poursuivant les recherches technologiques qui permettront, nous l’espérons, d’en réduire les coûts de construction. Enfin, il faut veiller à bien adapter la croissance des énergies renouvelables – dont le prix de rachat est garanti par la facture du consommateur – à la réalité des besoins afin d’éviter l’apparition, lors des pics de production, de prix négatifs, facteur de déstabilisation.
Nous souhaitons recentrer la proposition de loi sur les mesures programmatiques. Cela nous permettra de consacrer les débats uniquement à l’objectif premier du texte, en l’occurrence doter la France de perspectives en matière de mix énergétique, mais aussi d’augmenter nos chances de voir ce texte adopté en limitant les sujets de friction, voire d’accélérer les débats – même s’il s’agit là peut-être d’un vœu pieux.
L’examen en commission des affaires économiques a permis des avancées notables en ce sens, notamment grâce à la suppression de la quasi-intégralité du titre II.
Sur d’autres points, en revanche, la proposition de loi issue de la commission nous laisse perplexes. En effet, l’article visant à fixer des objectifs en matière de production nucléaire, un des piliers essentiels – si ce n’est le seul – du texte, a été purement et simplement supprimé. Nous proposerons évidemment de le rétablir, avec toutefois une nuance concernant les dispositions relatives aux SMR, une technologie qui ne nous semble pas suffisamment mûre à l’horizon 2030.
Par ailleurs, conférer à Électricité de France le statut d’Epic, comme l’a proposé LFI, aurait des conséquences économiques et juridiques préjudiciables. Cela contreviendrait en effet aux règles de concurrence de l’Union européenne. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Eh oui, chers collègues, nous ne sommes pas seuls dans ce monde ! Nous serions alors exposés à des sanctions et fragilisés à l’heure où la France doit négocier les modalités de son aide à l’entreprise EDF pour la relance du nucléaire.
De même, nous considérons que le rétablissement des tarifs réglementés de vente du gaz entre en contradiction avec le droit européen. En outre, est-il bien légitime de procéder de façon contraignante à une augmentation du prix du fossile ?
Telles sont les idées que nous défendrons au cours de la discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
M. le président
La parole est à Mme Clémence Guetté.
Mme Clémence Guetté
Nous voilà de nouveau réunis pour participer à la tragédie orchestrée par Macron et qui consiste à envoyer notre pays droit dans le mur tout en piétinant l’Assemblée nationale.
Voici votre nouvelle méthode : en un mois, à coups de 49.3 déguisés, vous avez réintroduit les pesticides, supprimé MaPrimeRénov’, outrepassé la décision de justice sur l’A69 et coupé à la tronçonneuse dans les agences permettant de surveiller le changement climatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Erwan Balanant
Vous avez supprimé les ZFE !
Mme Clémence Guetté
La Macronie organise ainsi le détricotage autoritaire et généralisé du droit environnemental – du peu qui reste encore pour préparer notre pays face à la crise existentielle qui s’annonce.
Cette proposition de loi constitue l’étape suivante. Depuis que vous avez perdu les élections en juillet dernier, depuis que vous êtes minoritaires au sein de l’Assemblée, vous êtes devenus experts en magouilles parlementaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sophia Chikirou
Ça, c’est vrai !
Mme Clémence Guetté
Vous laissez le gouvernement aller chercher sa majorité à droite, avec les sénateurs et contre les représentants du peuple que nous sommes. La Macronie en fin de règne fait pitié : elle abaisse notre fonction, laisse l’État agir en hors-la-loi en faisant fi des délais imposés s’agissant du vote de la loi de programmation énergétique, et ses députés sont absents de l’hémicycle pour un débat absolument majeur.
Vous nous invitez aujourd’hui à examiner une proposition de loi qui arrive en catimini du Sénat et qui doit nous servir de base de travail pour déterminer la planification et le mix énergétique de notre pays. Les gens qui nous écoutent doivent bien comprendre que, pour vous, cette discussion est une farce que vous conclurez en rejetant votre propre texte si des amendements contraires à votre agenda climatosceptique et à vos aspirations fantasmagoriques au tout-nucléaire sont adoptés. Quoique… Peut-être n’aurez-vous même pas besoin de le faire puisque le ministre Ferracci a annoncé hier dans la presse qu’il n’attendrait pas la fin de l’examen du texte pour publier la programmation énergétique par décret !
Cela ne nous empêchera pas de mener cette bataille parlementaire, comme nous l’avons fait pour les autres textes, et d’engranger des victoires contre votre dogmatisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) À vous entendre, vous savez tout mieux que tout le monde. La semaine dernière, Emmanuel Macron affirmait à la télévision qu’il n’avait aucune leçon à recevoir en matière d’écologie.
M. Erwan Balanant
Certainement pas de la part de ceux qui ont supprimé les ZFE !
Mme Clémence Guetté
Il faut reconnaître que c’est une déclaration très audacieuse dans la bouche d’un président qui empêche méthodiquement, depuis huit ans, notre pays de s’engager dans la bifurcation écologique dont nous avons besoin.
M. Jimmy Pahun
Nous n’avons pas voté pour la suppression des ZFE !
Mme Sophia Chikirou
C’est injuste, les ZFE ! Pourquoi faire payer les pauvres ?
Mme Clémence Guetté
Malheureusement, cette mauvaise farce est criminelle. Le mois de mai 2025 a été le deuxième le plus chaud jamais enregistré. Résultat : la glace au Groenland a fondu dix-sept fois plus vite qu’en moyenne – le président de la République l’aura constaté hier lors de son déplacement. En France, il devrait faire 40 degrés Celsius dans le Nord en fin de semaine !
Ce sont encore et toujours les plus pauvres, contraints de vivre dans des passoires thermiques que vous refusez de rénover à un rythme décent, qui sont les premières victimes de votre politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sophia Chikirou
Voilà !
M. Erwan Balanant
On en a rénové combien, depuis 2017, des passoires thermiques ?
Mme Clémence Guetté
Chaque année, 10 000 personnes meurent de la précarité énergétique et de ses conséquences ! Très concrètement, donc, votre sabotage en bande organisée tue.
Ce texte s’inscrit dans la parfaite continuité de la politique de l’autruche que vous dictent les idéologues de la croissance verte et de la toute-puissance du marché. Ce n’est pas sérieux ; c’est même irresponsable ! Nous légiférons aujourd’hui sans étude d’impact. Nous ne nous disposerons d’aucun avis d’expert ni d’aucune projection du coût des dispositions envisagées pour éclairer nos choix relatifs au mix énergétique (M. Erwan Balanant s’exclame), au prolongement des centrales nucléaires vieillissantes et au calendrier qu’il faudra respecter pour réduire drastiquement nos émissions carbone.
Les partisans de l’austérité généralisée oublient miraculeusement, à cette occasion, qu’un nouveau réacteur nucléaire coûte 10 à 20 milliards, que vous voulez en construire quatorze et que le premier, au mieux, ne serait prêt qu’en 2038. On ne trouve rien non plus dans ce texte au sujet de la formation des travailleurs essentiels à cette bifurcation. Nous n’avons plus le temps pour vos approximations et votre incompétence, plus le temps de faire des paris sur l’avenir climatique de notre pays !
En commission, nous avons montré, malgré votre passage en force, qu’une autre politique énergétique était possible en rétablissant les tarifs réglementés du gaz, en reprenant la main sur EDF, en empêchant la relance du nouveau nucléaire et en accélérant le développement des énergies renouvelables. Nous y sommes parvenus sans ceux qui se complaisent dans le rôle de roue de secours d’un gouvernement illégitime – ils se reconnaîtront !
Notre politique énergétique mérite mieux que vous, qui faites la courte échelle permanente à l’extrême droite de cet hémicycle, cette force qui se dit sérieuse, mais qui en est toujours à vouloir démanteler les éoliennes ! Vous n’avez aucune ambition pour mener à bien la bifurcation énergétique de notre pays vers les renouvelables et voulez imposer le nouveau nucléaire de façon autocratique. Ni écologie, ni démocratie, donc !
Aucun scénario sérieux ne fait le pari de la sortie des fossiles par un mix majoritairement nucléaire. Un horizon d’avenir nous montre le chemin : le 100 % énergies renouvelables et la sobriété. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Bref, il est urgent que vous vous en alliez ! Les gens aspirent à une vie plus douce, loin de vos politiques de malheur, une vie où on ne leur imposera pas de choisir entre se chauffer et se nourrir et où on leur permettra de s’éclairer et de se déplacer sans penser aux factures impayées. Bientôt, nous ferons mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Lionel Vuibert, le dernier orateur. En tant que député non inscrit, il sera le seul, dans le cadre du temps législatif programmé, à disposer d’un temps de parole contraint, qui ne pourra dépasser cinq minutes.
M. Lionel Vuibert
La question énergétique est au cœur de toutes les urgences : urgence climatique, urgence économique, urgence sociale. Elle n’est pas l’affaire d’experts à Paris, mais une réalité vécue dans chaque foyer, chaque entreprise, chaque territoire. L’énergie est devenue une condition de base de la vie moderne. Chacun doit pouvoir se chauffer, se déplacer, produire et consommer sans craindre l’explosion de sa facture ni dépendre des aléas d’un marché mondial erratique.
Or force est de constater que le coût de l’énergie est devenu un facteur de stress généralisé. Il met sous pression le budget des PME, des agriculteurs et des familles et constitue un frein à la relocalisation des industries stratégiques.
La France dispose d’un atout que beaucoup nous envient : un parc nucléaire puissant, un potentiel renouvelable diversifié, un réseau structuré. Nous ne partons pas de zéro, mais encore faut-il investir, planifier et fixer un nouveau cap clair. C’est là que cette proposition de loi, malgré ses limites, joue un rôle utile. Elle fixe une trajectoire, affirme des principes forts : le maintien des tarifs réglementés, la stabilité des prix, la diversification du mix ou encore le contrôle public d’EDF.
Toutefois, nous devons aller plus loin. Garantir des prix abordables, ce n’est pas une question technique, mais une exigence sociale. Cela suppose des investissements massifs dans la production pilotable, dans la modernisation des réseaux, mais aussi dans l’isolation des logements. Je pense à MaPrimeRénov’, qui ne doit être ni affaiblie, ni mise entre parenthèses.
La décision du gouvernement de suspendre les nouvelles demandes pendant l’été marque le coup d’arrêt d’une politique pourtant essentielle. Cette pause, présentée comme nécessaire, crée de l’incertitude au sein des ménages comme des entreprises du bâtiment. Elle doit désormais constituer l’occasion de remettre à plat ce qui doit l’être : les délais de traitement, le ciblage des aides, la qualité des contrôles tant des entreprises que des bénéficiaires.
Le rendez-vous annoncé du 15 septembre devra avoir lieu. C’est à cette condition que nous pourrons redonner confiance aux acteurs, amplifier la dynamique de rénovation et faire de cette politique un levier puissant de transition énergétique. Je le dis clairement : nous avons trop souffert de l’imprévisibilité. Les règles du marché européen en mutation, les allers-retours s’agissant de la fiscalité : tout cela crée une instabilité que paient nos usines, que subissent nos collectivités locales, que redoutent nos concitoyens.
Nous devons également défendre notre souveraineté énergétique. Depuis la guerre en Ukraine, tout le monde a compris à quel point la dépendance est dangereuse. Mais attention : la souveraineté n’est pas l’autarcie ! C’est la capacité à choisir, à produire, à sécuriser nos approvisionnements. Pour jouir de cette capacité, il faut relancer une filière nucléaire maîtrisée à 100 % en France, soutenir les énergies renouvelables de manière pragmatique et anticiper les tensions dans les territoires.
Cette souveraineté passe aussi par la recherche et l’innovation. Nous devons croire dans l’hydrogène décarboné, dans les petits réacteurs nucléaires modulaires, dans les systèmes de stockage et dans les carburants alternatifs. Nous devons investir dans la formation, dans l’ingénierie et dans les compétences. C’est aussi un levier d’emploi, de développement territorial, de reconquête industrielle.
Un mot sur l’électrification des usages : nous savons tous ici que, dans les années à venir, la consommation d’électricité va bondir, malgré une sobriété énergétique déjà engagée. Voitures électriques, pompes à chaleur, data centers, industrie verte : tout converge vers l’électricité. Il faut donc augmenter la production, moderniser les réseaux, renforcer la résilience et penser le système dans son ensemble.
Enfin, je soulignerai que, comme d’autres sur ces bancs, je regrette que la version du texte issue des travaux de la commission ait perdu en ambition sur plusieurs points. Il en va ainsi de la suppression des dispositions relatives à la simplification normative, des objectifs intermédiaires de la relance du nucléaire ou encore de la programmation quinquennale. Tout cela affaiblit l’efficacité du texte et reflète la difficulté politique de construire des majorités sur ces sujets pourtant structurants.
Malgré cela, nous devons avancer ! Il est temps de sortir des postures et des logiques de camp. Il s’agit de garantir l’indépendance du pays, la justice sociale et la compétitivité économique. Il s’agit de faire en sorte que l’énergie ne soit plus une source d’angoisse, mais un outil d’émancipation. Cela, mes chers collègues, c’est notre responsabilité collective !
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er A
M. le président
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.
La parole est à M. Raphaël Schellenberger – pour cinq minutes au plus, je vous le rappelle.
M. Raphaël Schellenberger
Ce sera un propos à caractère général sur cette proposition de loi pour souligner l’absurdité de la discussion que nous entamons puisque nous ne savons pas à quoi elle va servir. À force de vouloir toucher à tout, nous avons abouti à un système devenu ingouvernable.
Ce texte n’a pas beaucoup d’intérêt. Il aurait fallu remonter bien plus haut si on voulait vraiment reconstruire un cadre permettant un débat énergétique compréhensible de tous et efficace pour les acteurs. Mais le gouvernement préfère utiliser le vecteur d’une proposition de loi qui passait par là et qui n’avait pas vocation, lorsqu’elle a été élaborée au Sénat, à produire du droit, mais visait simplement à exposer des positions politiques pour mesurer l’ambiance à l’Assemblée et en tirer les conséquences.
L’Assemblée est censée traiter de choses sérieuses. Considérer, comme le fait le gouvernement, que ces discussions ont seulement pour objet de lui permettre de mesurer la température pour savoir s’il pourra ou non prendre des décrets et éventuellement les modifier, c’est complètement dévaloriser le travail du Parlement. Il faut dénoncer cette méthode ! Le législateur ne débat pas d’un texte seulement pour savoir si le gouvernement va ou non prendre des décrets ! Chacun sa responsabilité.
Notre pays aurait besoin d’un texte énergétique qui prenne un peu plus de recul. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Ce texte manque beaucoup de courage au regard des questions énergétiques qui se posent au gouvernement.
Je m’en tiens là pour le moment et je m’exprimerai à nouveau quand mon amendement de suppression sera appelé.
M. le président
La parole est à M. Maxime Laisney.
M. Maxime Laisney
Je vais expliquer pourquoi nous allons voter pour cet article, introduit par la commission, qui propose qu’EDF détienne le monopole de la construction et de l’exploitation des installations nucléaires en France. Cela paraît évident s’agissant de réacteurs de puissance, mais j’ai cru comprendre que plusieurs groupes de la droite élargie – qui cachent plus ou moins leur caractère extrême – étaient prêts à abandonner les EPR 2 et les ingénieurs d’EDF pour partir sur des modèles étrangers, et donc éventuellement pour permettre à des entreprises pas forcément publiques d’exploiter des réacteurs de puissance, en contradiction avec le principe du monopole national.
Je voudrais concentrer mon propos sur les petits réacteurs modulaires, les SMR, et les réacteurs modulaires avancés, les AMR. L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection nous indique que comme ils reposent sur des concepts différents, leur développement n’est pas pour demain. Si on arrive à disposer de deux ou trois prototypes dans les dix ans qui viennent, ce sera bien le maximum, parce qu’il faudra construire toute la filière industrielle autour, en amont comme en aval – ce que certains appellent le cycle du combustible. Mais surtout, l’ASNR nous met en garde contre les risques en matière de sûreté et de sécurité. Car même si ce seront peut-être des petits réacteurs, ce seront tout de même des réacteurs nucléaires, ce qui renvoie évidemment à des enjeux de sûreté – il ne faut pas qu’ils nous pètent à la figure une fois mis en marche –, ainsi qu’à des enjeux de sécurité – ils devront être protégés d’éventuelles agressions extérieures.
Je rappelle que les petits réacteurs modulaires ont vocation à être construits dans des sites Seveso, c’est-à-dire des sites où il y a déjà des installations industrielles qui présentent un certain nombre de risques. On peut dès lors envisager qu’une défaillance sur un SMR produise un accident dans l’installation industrielle voisine, et réciproquement d’ailleurs, comme on en avait parlé à l’époque de l’explosion de l’usine AZF.
En plus, les SMR ont vocation à être construits dans des zones parfois beaucoup plus habitées que les installations nucléaires existantes – on a vu d’ailleurs, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, que certains voulaient même qu’ils soient installés en dehors du périmètre des installations nucléaires existantes, contrairement à ce qui nous avait été promis, il y a deux ans, lors de l’examen du projet de loi d’accélération du nucléaire. Et pour couronner le tout, ce sont des start-up qui se proposent de développer la recherche conceptuelle sur ce nouveau type de réacteurs…
Ce n’est pas moi qui le dit, mais l’Autorité de sûreté nucléaire, y compris dans sa nouvelle version : on a selon elle affaire à des acteurs qui n’ont pas conscience de tous les enjeux de sûreté et de sécurité qu’une telle industrie comporte – certains collègues sur les bancs d’en face diraient que c’est de la physique, mais le fait que cela marche sur le papier ne garantit rien. En fait, ces acteurs ne sont pas prêts à contribuer au développement des SMR de manière sûre.
Nous préférons donc faire confiance à l’opérateur historique et public. C’est la raison pour laquelle le groupe LFI votera en faveur de cet article qui affirme le monopole d’EDF dans la construction et l’exploitation des installations nucléaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
La discussion des articles, il faut bien le dire, commence de manière paradoxale : nous aimerions comprendre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi cet article, créé en commission avec le soutien du Rassemblent national, pose problème. Si j’en crois l’exposé sommaire de vos amendements, la suppression de l’article 1er A se justifierait par la nécessaire conformité du texte avec les règlements de l’Union européenne. Mais, jusqu’à preuve du contraire, l’Union européenne, y compris dans les années 1990, a toujours autorisé la France à confier à EDF le monopole de la construction et de l’exploitation des réacteurs nucléaires – j’ose espérer qu’elle continuera de le faire au cours des années à venir.
Je ne vois donc pas en quoi réaffirmer ce principe de bon sens pose problème à ce gouvernement. Ce devrait même être l’inverse : à partir du moment où on a besoin de relancer le programme nucléaire français, forts de la confiance de nos compatriotes et de la filière, il est certain que le modèle français qui confie la construction et l’exploitation des réacteurs à EDF, une entité publique, montre encore une fois sa pertinence et son efficacité. Je ne parlerai pas du modèle américain et du modèle japonais, qui ont failli : ils correspondent à un autre choix, par lequel la construction et l’exploitation ont été confiées à plusieurs entreprises privées, qui, de toute évidence, ont eu intérêt, parfois pour le pire, à ne pas investir de manière suffisante dans la sûreté du parc.
Encore une fois, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement s’oppose à maintenir ce monopole pour EDF. C’est d’autant plus paradoxal que vous avez dépensé plusieurs milliards d’euros pour renationaliser EDF… Cela n’a ni queue ni tête. Il nous semble sincèrement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que l’argument de la conformité au droit européen n’a pas de sens ici.
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Je veux prendre le temps d’expliquer le sens de mon amendement no 279, qui résulte d’un amendement que le service de la séance a découpé en quatre et dont la première partie a été rattachée à cet article. Si les amendements de suppression sont adoptés, l’amendement no 279 sera dès lors sans objet alors que sa portée est beaucoup plus substantielle que ce dont nous discutons pour le moment.
Le décret relatif à la PPE est encadré par les articles L. 100-1 à L. 100-5 du code de l’énergie. Cet amendement propose de réécrire l’article L. 100-1 afin de définir les objectifs dont découlera le décret. Il est essentiel de donner de solides fondations à cet article car c’est l’un des points centraux de nos débats que d’arriver à ce que le décret soit cohérent avec les articles que j’ai mentionnés pour pouvoir établir la politique énergétique de la France.
Chers collègues, je vous demande de rejeter les amendements de suppression de sorte que l’on puisse discuter du fond du sujet, c’est-à-dire de l’amendement no 279, ainsi que des amendements nos 498 de M. Nury et 689 de M. Bolo, qui posent le principe d’une réécriture de l’article L. 100-1 du code de l’énergie, essentielle pour redéfinir la politique énergétique de notre pays.
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Je tiens à expliquer les arguments pour lesquels la commission des affaires économiques a voté en faveur de l’article 1er A qui confie le monopole de la construction et de l’exploitation des réacteurs nucléaires à la puissance publique et et à EDF. Premièrement, c’est une question de sûreté, de savoir-faire et de compétences. Seule EDF paraît aujourd’hui en mesure d’assurer ces missions. On pourrait même parler d’une fonction régalienne étant donné les risques et les enjeux importants corrélés au nucléaire.
Deuxièmement, cet article permet d’éviter la multiplication des opérateurs, qui entraînerait celle des risques techniques et une dilution des responsabilités. Le monopole d’EDF permet une cohérence opérationnelle et la planification. Troisièmement, le nucléaire nécessitant des investissements extrêmement lourds – 15 à 20 milliards par nouveau EPR, avec des retours sur investissement seulement après plusieurs décennies –, seul un acteur public peut assumer de tels risques financiers. Quatrièmement, il y a bien sûr une question d’économies d’échelle et d’optimisation des coûts globaux. À l’inverse, multiplier les opérateurs conduit à des redondances coûteuses, y compris à des négociations multiples de contrats.
En bref, nous pensons qu’un seul acteur public doit planifier et organiser l’ensemble de la filière nucléaire et que cette tâche relève d’une fonction régalienne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements no 622 et identiques par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Rassemblement national ; sur les amendements no 279 et identiques par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire, Rassemblement national et Horizons & indépendants ; sur les sous-amendements nos 752, 711, 710 et 751 par le groupe Rassemblement national ; sur l’article 1er A par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Nous en venons à plusieurs amendements identiques, nos 622, 7, 41, 88, 472 et 488, tendant à supprimer l’article 1er A.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 622 du gouvernement.
M. Marc Ferracci, ministre
Cet amendement renvoie à plusieurs enjeux sur lesquels j’appelle l’attention de l’hémicycle. Le premier est celui de l’innovation. Concernant les petits réacteurs modulaires, il y a aujourd’hui une course à l’innovation qui se décline à l’échelle mondiale avec des acteurs très majoritairement privés, la France comptant certains d’entre eux qui sont à l’avant-garde. Cette innovation a besoin à la fois d’un écosystème, d’un soutien et d’une filière, tous les donneurs d’ordre n’étant pas majoritairement ou totalement détenus par l’État. Nous devons avoir en tête cette logique d’innovation car, derrière les SMR, il y a à la fois un enjeu d’industrialisation et un enjeu de compétitivité industrielle, avec des emplois à la clef si nous arrivons à faire émerger des acteurs français meilleurs que les autres.
La première des raisons qui me pousse à demander la suppression de cet article est qu’il ne permet pas de laisser émerger une filière autour des SMR, une filière qui aura évidemment vocation à travailler en bonne intelligence avec l’opérateur EDF. C’est d’ailleurs ce que j’ai acté en signant il y a quelques jours, avec le ministre Éric Lombard, le contrat stratégique de filière pour le nucléaire qui organise les relations entre les différents acteurs pour 2025-2028.
J’ai entendu les arguments concernant la sécurité et la sûreté nucléaires. Je tiens à dire qu’en phase de construction comme en phase d’exploitation, les SMR ont vocation à être contrôlés très rigoureusement et très étroitement par l’ASNR. Il est évident que rien ne sera fait pour revenir sur ce principe absolument fondamental, qui favorise l’acceptabilité de nos concitoyens.
Enfin, je veux appeler votre attention sur un dernier élément, car je sais qu’il y a ici des groupes politiques très attachés à l’idée de décliner l’énergie nucléaire afin de produire de la chaleur : les projets les plus matures en matière de SMR, qui sont des projets privés – d’ailleurs financés par France 2030 –, ont une vocation calogène. Veut-on se priver de ces atouts, de ces acteurs ? Veut-on se priver de la possibilité de développer une filière SMR dont la maturité est estimée non pas à dans des décennies, mais à 2030, au profit de notre souveraineté énergétique ? Je pense que non, et c’est la raison pour laquelle je demande la suppression de l’article 1er A.
M. le président
La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l’amendement no 7.
M. Raphaël Schellenberger
Cet article introduit par la commission contient plusieurs contradictions. Tout d’abord, si l’objectif était de faire du nucléaire un objet exclusif de l’action directe de l’État, c’est raté. Le ministre l’a très bien dit : les réacteurs calogènes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article.
Ensuite, s’il est intéressant de construire des technologies françaises, il faut bien savoir qu’il n’y a aucune garantie dans cet article que ce soit le cas, y compris dans la conception et l’exploitation. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant quand j’entends le Rassemblement national affirmer qu’il suffira d’importer des réacteurs nucléaires. Monsieur Tanguy, vous voulez importer des réacteurs construits à l’étranger et en plus organiser l’action directe de l’État… Je ne savais pas que vous étiez à ce point communiste au Rassemblement national pour que ce soit directement l’État qui construise absolument tout.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’une dynamique favorisant les projets conçus chez nous et la construction française. Il s’agit de concevoir des idées françaises. Mais nous avons davantage besoin de propriété intellectuelle française dans la conception des réacteurs que de construction ou d’exploitation totalement publiques. Car face au défi de la construction de nouveaux réacteurs et de l’exploitation d’outils plus modulables et plus sûrs, nous aurons besoin de toutes les forces, y compris de celles du privé. Cela n’a vraiment aucun sens de croire que l’on va accroître la performance de la filière nucléaire en la contraignant à n’être exploitée que par la puissance publique ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet, pour soutenir l’amendement no 41.
M. Vincent Trébuchet
Le groupe UDR soutient la suppression de cet article. En effet, s’il est tout à fait légitime qu’en matière nucléaire, l’État fixe les objectifs stratégiques, garantisse la sûreté et contrôle les infrastructures critiques, il nous semble, conformément à notre ADN libéral, que confier l’intégralité de la maîtrise d’ouvrage à un seul acteur pourrait conduire à étouffer le potentiel d’innovation et à concentrer les risques industriels. Par ailleurs, un écosystème plus diversifié, avec des opérateurs privés et publics, avec plusieurs porteurs de projets, nous semble davantage en mesure de répondre aux défis que représentent les alliances et les exportations de géants russes, américains et chinois du secteur. Évidemment, l’État doit rester responsable de la sûreté et de la non-prolifération, mais dans l’optique de renforcer l’autonomie de la France, d’optimiser les coûts et d’accéder aux marchés internationaux, nous pensons qu’il est dangereux de lui confier un monopole intégral.
M. le président
L’amendement no 88 de Mme Marie-Christine Dalloz est défendu.
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, pour soutenir l’amendement no 472.
M. Jean-Luc Fugit
Le groupe EPR invite l’Assemblée à supprimer l’article 1er A, sur lequel beaucoup a déjà été dit. Je veux pour ma part souligner la capacité d’innovation des investisseurs privés du secteur, comme Jimmy ou Naarea. M. Laisney sait que la France en compte plusieurs puisque l’Opecst les suit et organise régulièrement des tables rondes avec eux. Leurs réacteurs, innovants, peuvent produire de la chaleur. Or nous savons que nous ne pourrons pas décarboner et défossiliser toutes les productions industrielles grâce à l’électricité. Nous aurons aussi besoin de chaleur, une autre énergie très importante.
Ces innovations nécessitent des travaux conduits avec des fonds privés. Je trouverais donc extrêmement regrettable de maintenir cet article, qui nous priverait de cette possibilité au moment où nous voulons solliciter la jeunesse et l’amener vers la transition énergétique, laquelle passe par le nucléaire et pas par le renouvelable. Nous pensons au contraire qu’il faut être incitatif à l’égard des acteurs privés.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 488.
M. Antoine Armand, rapporteur
L’essentiel a été dit. Adopter l’article 1er A placerait forcément EDF face à un risque de contentieux internationaux. Au cours des années 1970, 1980 et 1990, M. Tanguy l’a dit, un monopole était juridiquement possible, mais des directives européennes ont été adoptées depuis qui l’empêchent désormais. On peut regretter cette situation ou s’en réjouir, mais faire d’EDF la proie de contentieux engagés par d’autres entreprises, européennes ou non, au moment où nous essayons de lui confier un programme électronucléaire d’ampleur, fragiliserait l’industrie française.
Ma deuxième remarque rejoint ce qui a été souligné par M. le ministre et par certains de mes collègues et porte sur l’innovation. Pousser les entreprises du nucléaire à innover tout en autorisant EDF, en bon acteur monopolistique, à acheter leurs technologies pour 1 euro si bon lui semble revient à condamner toute recherche non directement financée par de l’argent public en France. Je ne suis pas sûr que ce soit le souhait sur tous les bancs, y compris ceux des pronucléaires de gauche, qui ont une vision radicale de l’économie.
Enfin, comme l’a dit mon collègue Jean-Luc Fugit, les règles de l’ASNR s’appliquent de manière identique à l’ensemble des exploitants, privés ou publics. De nombreuses entreprises privées disent même que le cadre de sûreté est extraordinairement complexe et extrêmement difficile à respecter pour elles. En réalité, ce qui vous pose problème tient non à la sûreté ou à l’innovation, mais au fait que le secteur privé produise de l’énergie, une activité aux spécificités encadrées par la loi.
Pour ceux qui défendent le nucléaire, cet article serait totalement contre-productif puisqu’il y aurait du contentieux dès la promulgation de la loi, sans même attendre les décrets d’application. En revanche, il ne changerait rien pour ceux qui sont contre le nucléaire, que je ne convaincrai pas.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric Petit
Je suis opposé à la rédaction actuelle de l’article et favorable à la réécriture que propose M. Alfandari, dont je ne comprends pas pourquoi l’amendement a été saucissonné.
M. le président
On le lui a déjà expliqué ! C’était pour des raisons purement légistiques.
M. Frédéric Petit
Le résultat est « pagailleux », si je puis m’exprimer ainsi.
J’en reviens à la critique de l’article lui-même. Après s’être battus à raison pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), nos collègues de gauche confondent EDF et sûreté nucléaire. J’irai plus loin que M. le rapporteur et M. le ministre : heureusement que ce n’est pas EDF qui garantit la sûreté nucléaire ! Dans toute activité dangereuse, on sépare celui qui fait de celui qui contrôle. L’argument de la gauche est contradictoire avec sa propre vision.
Par ailleurs, de même que les réacteurs calogènes ont été évoqués, je rappelle l’existence du nucléaire à pression atmosphérique, qui se développe. Il a fonctionné très longtemps, quand on ne cherchait pas à faire des bombes, et il ne peut pas exploser.
Enfin, il faut parler du cycle du combustible en France. Si on ne permet pas les innovations, on ne pourra pas aboutir à la fermeture de ce cycle, une exigence environnementale et morale pourtant essentielle.
M. le président
Je précise que l’amendement de M. Alfandari a été découpé en quatre car il concernait quatre articles différents.
M. Henri Alfandari
Non !
M. le président
Vous pouvez protester, monsieur Alfandari, mais il s’agit d’une prérogative du service de la séance et de la présidence. Votre amendement a été divisé, ce qui est déjà arrivé. Je ne reviendrai pas sur certains précédents qui ont fait débat, mais sachez que la présidence assume totalement le travail du service de la séance.
La parole est à M. Matthias Tavel.
M. Matthias Tavel
Monsieur le ministre, ou devrais-je dire monsieur le commissaire européen, puisque l’essentiel de votre argumentation tient en une phrase : l’article est contraire au droit européen. Nous discutons de la programmation énergétique de la France, un sujet qui touche à sa souveraineté, et votre premier argument est le droit européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous avez bafoué le vote des Français en 2005 et voilà où cela vous a conduit !
Notre seul souci n’est pas la sécurité ou la sûreté nucléaires. Nous sommes d’abord soucieux de la souveraineté du peuple français en matière énergétique. Mais nous sommes aussi soucieux de la sûreté nucléaire, dont l’exploitant est le premier responsable, indépendamment des contrôles de l’ASNR. (Mêmes mouvements.)
Oui, nous pensons qu’un exploitant public en situation de monopole, pour qui la recherche de rentabilité n’est pas la question première, est préférable à des exploitants privés afin de gérer des réacteurs nucléaires qui présentent des dangers importants pour l’environnement et les populations alentour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous nous dites que nous allons empêcher l’innovation, mais nous aurions aimé discuter du rapport du haut-commissaire à l’énergie atomique, qui a été classé secret-défense. Lors de son audition, le haut-commissaire a expliqué qu’en matière d’innovation il y a loin entre ce que disent ceux qui prétendent développer des SMR et ce qu’ils seraient en réelle capacité de faire. De plus, les projets de SMR sont largement subventionnés au travers du plan France 2030. Ce serait donc la moindre des choses que leur exploitation soit publique si elle venait à être possible et décidée. Il y aurait là non une quelconque mise en cause du privé, mais seulement un retour de l’argent public vers l’action publique, qui me paraît légitime.
Voilà pourquoi nous nous opposons à la suppression de cet article. Je suis ravi de voir que nous commençons le débat sur la programmation énergétique par la question fondamentale de la place du secteur public, de la maîtrise publique, de la délibération démocratique et des entreprises publiques en matière d’énergie. Sans service public, il n’y aura aucune programmation énergétique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles
Effectivement, nous commençons nos débats avec une opposition de fond entre ceux qui souhaitent un nucléaire intégralement sous maîtrise publique, de sa conception à son exploitation en passant par la construction des centrales, et ceux qui pensent qu’on peut continuer à libéraliser le domaine de l’énergie, notamment le secteur stratégique du nucléaire. Mais il y a un absent dans ce débat : l’acceptabilité sociale du nucléaire. Pour moi qui considère que le nucléaire est fondamental pour tenir nos objectifs climatiques à l’horizon de 2050, il est indispensable d’affirmer une volonté politique farouche de maintenir la maîtrise publique du secteur, notamment pour garantir les conditions de la confiance du public et l’acceptabilité sociale de cette technologie.
Les outils industriels majeurs que sont les réacteurs ne doivent pas être mis entre les mains du marché et des financiers. L’ASNR doute de la viabilité des projets de SMR. De même, comme notre collègue Tavel vient de le rappeler, l’audition du haut-commissaire à l’énergie atomique, dont on ne connaît pas le contenu du rapport, a laissé présager des difficultés des opérateurs et du modèle économique même des start-up du secteur, ainsi que de l’insuffisance des moyens engagés. C’est pourquoi nous nous opposons fermement à la suppression de l’article 1er A. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Dans la négociation qui a eu lieu, la contrepartie au maintien du monopole de fait d’EDF en matière de centrales nucléaires a été l’Arenh, c’est-à-dire la décision de lui imposer de vendre presque 25 % de son électricité nucléaire à prix théoriquement coûtant, de façon à permettre le développement de la concurrence. On peut être pour ou contre, mais c’est l’équilibre qui a été trouvé. Si on supprime l’Arenh, on aura des difficultés à justifier le maintien du monopole. Ne mettons pas en difficulté EDF pour ne pas avoir à lui imposer un nouvel Arenh, dispositif que l’entreprise a beaucoup critiqué.
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
Je suis très heureux d’entendre les Insoumis parler de souveraineté française et refuser de se soumettre à Bruxelles. Je leur rappelle toutefois que, lorsque la Commission européenne veut imposer des amendes à la France parce qu’elle ne respecterait pas ses objectifs en matière d’énergies renouvelables, ils sont les premiers à utiliser cet argument pour contraindre la politique énergétique française. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Soit on est souverain tout le temps, soit on ne l’est jamais !
Au Rassemblement national, nous sommes pour la souveraineté française sur tous les sujets et nous n’acceptons pas les amendes de technocrates qui veulent imposer du renouvelable intermittent à la France alors qu’elle a déjà une énergie parfaitement décarbonée.
Non seulement vous ne rappelez pas cette vérité, mais en plus vous mentez aux Français en prétendant que la France aurait du retard dans le respect de ses objectifs climatiques et énergétiques ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
S’il vous plaît !
M. Jean-Philippe Tanguy
Balayez devant votre porte avant de donner des leçons de souveraineté ! Je veux bien qu’on commence l’examen du texte en racontant n’importe quoi sur les positions du Rassemblement national, mais si vous ne connaissez pas l’histoire et le choix du général de Gaulle de lancer le programme nucléaire français, si vous considérez qu’il était un agent de l’étranger,…
M. Matthias Tavel
En tout cas, il n’était pas au RN !
M. Jean-Philippe Tanguy
…vous l’expliquerez à vos électeurs. Je sais que l’UMP, ou ce qu’il en reste, a depuis longtemps complètement oublié l’histoire du gaullisme. (M. Philippe Gosselin proteste.) Non seulement nous n’avons pas oublié son histoire, mais nous incarnons le gaullisme et nous le défendons contre ceux qui l’ont trahi.
M. Philippe Gosselin
C’est un hold-up historique !
M. Jean-Philippe Tanguy
Nous l’appliquerons quand nous serons au pouvoir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN. – Exclamations sur divers bancs.)
Monsieur le rapporteur, vous avez sacrifié depuis bien trop longtemps nombre d’atouts du nucléaire. Il en reste au modèle français : la confiance qu’ont les Français dans la construction et l’exploitation des réacteurs. Il ne faut pas saboter cet atout uniquement parce que la Commission européenne pourrait interpréter ses directives dans une direction qu’elle n’a pas prise jusqu’à présent. Vous savez bien qu’on peut, face au droit européen, arguer du fait que le nucléaire est une activité économique différente des autres en ce qu’elle touche à des questions de souveraineté majeures. Si vous ne voulez pas plaider cela à Bruxelles, nous le ferons et nous gagnerons. Et si nous ne gagnons pas, au moins aurons-nous essayé.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------