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Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

SOMMAIRE

Fin du Chapitre I

IV. La maturité du parc, un atout à gérer conformément a l’intérêt national

C. La rente nucléaire française et l’avenir d’EDF 1

1. Le parc électronucléaire français bientôt amorti comptablement et économiquement 1

2. Les différentes affectations possibles pour les liquidités générées par les tranches amorties 3

3. Un investissement souhaitable, dans le lancement d’une tête de série EPR 4

4. La rente électronucléaire, une raison de plus pour que EDF reste une entreprise publique 6

C. La rente nucléaire française et l’avenir d’EDF

Dans son document d’octobre 1998 exposant sa stratégie pour EDF, document intitulé « Vers le client, le compte à rebours européen », le Président d’EDF, M. F. Roussely indiquait que la production d'électricité nucléaire représente près de la moitié de la valeur ajoutée de l'entreprise et les trois quarts de sa capacité d'autofinancement. Cela « constitue pour deux décennies notre principal avantage. Patrimoine essentiel d'EDF, il l'est aussi pour la Nation ».

Actif industriel de quelques 280 milliards de francs, le parc nucléaire n’est pas seulement un patrimoine. Les réacteurs nucléaires en service en France vont devenir dans les années qui viennent, une source de bénéfices importants.

D’ores et déjà, il est possible d’en estimer l’ordre de grandeur et utile d’examiner les utilisations possibles au service de la Nation.

1. Le parc électronucléaire français bientôt amorti comptablement et économiquement

En 25 ans, la France a su construire un parc électronucléaire de 63 GWe capable de lui apporter plus du tiers de son approvisionnement en énergie primaire. Dans le même intervalle de temps, le pays perdra cet source en cas de non renouvellement du parc, en temps et en heure.

· • la disparition possible en 25 ans de 37,7 % des ressources en énergie primaire

La figure suivante décrit la montée en puissance du parc et sa future décroissance, selon que sa durée de vie sera de 30 ou de 40 ans. Selon la doctrine de la DSIN, chaque réacteur fera l’objet d’autorisations spécifiques de prolongation de la durée de vie nominale de 30 ans. La courbe réelle sera donc probablement entre les deux extrêmes représentés sur le graphique ci-après, le choix entre trente et quarante ans jouant un rôle crucial.

Figure : montée en régime et décroissance du parc électronucléaire français actuel

· La prolongation de la vie des réacteurs : un enjeu considérable

De nombreux réacteurs américains mis en service plus tôt qu’en France, ont dépassé les 30 ans d’activité. De nombreux autres pays envisagent des durées de vie largement supérieures. Ainsi le Japon envisage des durées de vie de 60 ans pour certains de ses réacteurs en fonctionnement. La Suisse vient de prolonger de 15 ans la vie de certains de ses réacteurs qui commencent à arriver dans la zone des 30 à 40 ans.

EDF essaie actuellement de mettre au point des méthodes d'analyse des cuves de ses réacteurs à eau pressurisée. L'objectif est d'en démontrer la sûreté à l'horizon d'une cinquantaine d'années de fonctionnement1. Les difficultés à surmonter seront nombreuses : il faut pratiquer des analyses in situ, non destructrices et suffisamment fines pour détecter des micro-fissures pouvant apparaître dans le métal du fait de la fluence des neutrons. Mais grâce à l'optimisation de l'architecture des cœurs et de la gestion des combustibles, la fluence réelle est très largement inférieure aux spécifications (7,3.109 neutrons par cm2).

La probabilité d’une durée de vie allant jusqu’à 40 ans, en respectant toutes les conditions de sûreté imposée par l’autorité de sûreté, est donc forte. Un enjeu financier important est attaché à cet allongement.

L’âge moyen des réacteurs EDF étant de l’ordre de 14 ans, les premiers d’entre eux commencent à dégager un « cash flow » substantiel, du fait d’un amortissement dégressif sur 30 ans

Le cash flow engendré par l’ensemble du parc des réacteurs nucléaires sera considérablement accru si la durée de vie atteint 40 ans. Dix années de vie supplémentaires du parc représentent un « cash flow » cumulé compris entre 100 et 150 milliards de francs suivant les hypothèses de calcul

Au demeurant, c’est la Nation toute entière qui a vocation à bénéficier de la rente dégagée par un parc électronucléaire en voie d’amortissement dans lequel elle a investi.

2. Les différentes affectations possibles pour les liquidités générées par les tranches amorties

La première utilisation de l’accroissement de la marge d’exploitation provenant de la fin de l’amortissement est la diminution de l’endettement. La dette financière d’EDF s’élevait au 31 décembre 1997 à 136,9 milliards de francs, contre 144,2 fin 1996 et 159,5 fin 1995.

Le remboursement de la dette a permis un allègement sensible des charges financières et d’exploitation, qui ne représentaient plus que 3,31 milliards de francs, fin 1997, contre 9,19 milliards de francs fin 1993 et 25,84 fin 1985.

Le même mouvement sera profitable à l’avenir et pourra être accéléré.

La deuxième utilisation possible de l’amélioration de la capacité d’autofinancement pourra bien entendu être la rémunération de l’Etat actionnaire. Toutefois, les dividendes versés à l’Etat ne devront pas compromettre le renouvellement du parc.

Figure : Catégories d’utilisation des bénéfices cumulés provenant de l’exploitation du parc électronucléaire

La troisième utilisation a trait à la constitution de fonds destinés à permettre la couverture de charges futures fatales.

La quatrième utilisation est celle du financement des investissements.

3. Un investissement souhaitable, dans le lancement d’une tête de série EPR

Le tableau de financement d’EDF en 1997 décrit ci-après, montre que les investissements ont représenté 54 % des ressources.

Figure : Tableau de financement d’EDF - Emplois

Figure : Tableau de financement d’EDF - Ressources

Le tableau retraçant la répartition de ces investissements depuis 1993 montre que la part du parc électronucléaire n’est pas prépondérante.

Tableau : Evolution des investissements d’EDF depuis 19932

milliards de francs courants hors taxe

1993

1994

1995

1996

1997

parc électronucléaire de production d’électricité

7,5

7,9

7,7

7,7

5,2

autres moyens de production d’électricité

2,2

1,8

2,0

1,9

1,7

réseau de transport haute tension

6,5

5,9

5,2

5,7

4,7

réseau de distribution

15,6

15,4

15,3

14,1

13,4

autres

1,1

4,1

5,3

6,7

4,0

total

32,9

35,1

35,5

36,1

29,0

Les investissements dans le parc de production d’électricité – au total 6,9 milliards de francs en 1997, soit 23,8 % du total – apparaissent peser nettement moins sur les comptes de l’entreprise que ceux dans le réseau de transport et de distribution – au total 18,1 milliards de francs en 1997, soit 62,4 % du total.

S’agissant du parc électronucléaire, la tendance est à une diminution rapide des investissements, le programme de construction de réacteurs du palier N4 touchant à sa fin avec la mise en service des tranches de Civaux.

Pour être possible le moment venu, le renouvellement de ce parc par du nucléaire doit être préparé.

A cet effet, c’est la construction d’une tête de série du réacteur du futur EPR qui doit désormais être inscrite à l’ordre du jour d’EDF.

Même si l’introduction de la concurrence crée une incertitude notable sur les recettes, la capacité d’autofinancement d’EDF – 43,8 milliards de francs en 1997 – paraît appelée à augmenter fortement dans les années à venir. Il paraît donc possible et souhaitable pour peu que l’Etat n’accroisse pas sa rémunération d’actionnaire et accorde une aide limitée, EDF investisse dans la construction d’un prototype du réacteur du futur EPR.

4. La rente électronucléaire, une raison de plus pour que EDF reste une entreprise publique

Le jargon financier qualifie les investissements amortis et dont l’exploitation est rentable de « vache à lait ». C’est exactement ce que va devenir le parc électronucléaire français dans les années à venir.

La Suède depuis 1980 et l’Allemagne depuis 1998 mesurent la difficulté d’abandonner un outil de production payé, rentable, et permettant de fournir de l’électricité à un prix compétitif, avec une stabilité des prix à long terme et une sécurité d’approvisionnement quasiment totale.

Il importe que la France touche les dividendes de sa politique d’équipement des années 1980 en optimisant ses réacteurs nucléaires sur tous les plans – régularité de fonctionnement, extension de la durée de vie, sûreté d’exploitation, limitation des rejets dans l’environnement –.

Il importe aussi que ce soit la collectivité qui bénéficie des retombées de cet investissement. Collectivité nationale entendue comme la Nation et non pas comme la collectivité des actionnaires français ou étrangers.

En conséquence, la privatisation d’EDF ne peut en aucun cas être envisagée, dans les prochaines années aussi bien qu’à l’horizon des années 2020-2030.

C’est la Nation qui doit tirer les bénéfices de la rente électronucléaire pour toute la durée de vie du parc électronucléaire et non une catégorie sociale particulière, celle des détenteurs d’actions en l’occurrence, et ce quels qu’ils soient, groupes privés ou fonds de pension français ou étrangers.

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Pour de nouvelles installations, les analyses traditionnelles concluent à la convergence des coûts des différentes filières mais avec des biais méthodologiques :
I la convergence des compétitivités selon les études récentes de la DIGEC, de l'AEN-OCDE et de l'EDF

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1 Nucleonics Week, n°39-40, 1/10/98.

2 Rapport d’activité 1997 d’EDF.



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