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APRES L'ART. 5
N° 94 Rect.
ASSEMBLEE NATIONALE
13 juin 2005

DROIT D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
DANS LA SOCIÉTE DE L'INFORMATION - (n° 1206)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 94 Rect.

présenté par

MM. Bloche, Christian Paul, Caresche, Mathus
et les membres du groupe Socialiste

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ARTICLE ADDITIONNEL

APRES L'ARTICLE 5, insérer l'article suivant :

L’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

I. – Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Cette rémunération est également versée par les personnes dont l’activité est de fournir, même à titre gratuit, un accès à des services de communication en ligne utilisables pour la reproduction à usage privé. »

II. – Le dernier alinéa est complété par les mots :

« et des débits de l’accès fourni à l’usager ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Chaque innovation technologique (piano mécanique, radio et télévision, photocopie, cassettes audio, magnétoscope) perturbe, dans un premier temps, les modèles d’affaires des industries culturelles et réactive les tensions entre auteurs, producteurs, artistes-interprètes et utilisateurs autour de la rémunération, et des modes de contrôle économique des exploitations nouvelles.

Ces conflits se sont toujours conclus, dans le passé, par des compromis dynamiques : la reconnaissance de nouveaux « droits » pour les titulaires mais tout autant pour les utilisateurs, la mise en place de nouveaux modes de rémunération, l’extension de la gestion collective, l’ouverture de nouveaux marchés, l’émergence de nouveaux acteurs.

Ce fut, notamment le cas face au développement de la diffusion radio phonique et télévisuelle comme lors de l’apparition des cassettes audio et du magnétoscope, perçus et dénoncés comme une menace mortelle par les industries culturelles. On sait ce qu’il advint : ces vecteurs sont devenus une source essentielle de croissance et de financement de la production pour la musique et le cinéma auxquels l’adoption d’une rémunération pour copie privée a apporté en outre une ressource additionnelle. L’adoption d’une redevance pour reprographie a également permis une meilleure maîtrise des pratiques de reproduction et les a assorties d’une ressource non négligeable pour les titulaires de droits.

Dans chacune de ces crises, le droit d’auteur a révélé ses capacités d’adaptation. Dans chacune de ces crises, les pouvoirs publics sont intervenus pour préserver l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droit et les intérêts du public et encourager un développement profitable des potentialités du progrès technique.

Dans le nouvel univers numérique, le développement rapide du téléchargement d’œuvres et l’essor des échanges entre particuliers bousculent le modèle économique d’ industries culturelles restant fondées sur le primat de la distribution physiques et de la vente unitaire des œuvres. Les difficultés d’une telle période de transition se manifestent aujourd’hui par la coexistence de deux phénomènes des plus préoccupants

Bien que le téléchargement individuel puisse être considéré comme de la copie privée et soit notamment pour les plus jeunes internautes un admirable vecteur d’accès à la culture dans toute sa diversité, la multiplication des poursuites et certaines condamnations font peser une insécurité juridique pour des millions de personnes et conduirait, si elles se développaient, à une spirale répressive comportant un coût social injustifiable, en dehors bien sûr de ce qui relève de la lutte contre la contrefaçon organisée dans des buts manifestement lucratifs.

Dans le même temps, l’essor de nouveaux usages des œuvres ne s’accompagne pour les titulaires d’aucune rémunération pour les œuvres téléchargées ou échangées. Cette situation qui pénalise lourdement les créateurs est d’autant plus problématique que le public ne se voit proposer aucune solution lui permettant de les rémunérer.

Les réponses à ces deux problèmes ne sont pourtant pas incompatible comme l’indique le fait que des organisations représentatives tant des artistes que le public se soient concertés et formulent conjointement des propositions pour sortir de cette impasse. Diverses études et sondages récents établissent que les internaute, loin de prôner la gratuité, sont tout a fait disposés à s’acquitter d’une redevance si celle-ci leur était proposée en contrepartie des nouveaux usages culturels que rend possibles l’Internet.

Diverses modalités sont à cet égard en débat qu’il s’agisse d’étendre la rémunération pour copie privée à tous les supports numériques – amovibles ou intégrés – ou plutôt de l’étendre à l’activité des fournisseurs d’accès qui est directement liée à l’essor des échanges numériques. Ces formules qui confirmeraient que le téléchargement individuel, non commercial et dénué d’intention frauduleuse relève des pratiques de copie privée, rejoignent les recommandations du Conseil économique et social qui proposait « de qualifier de copie privée les téléchargements d’œuvres, au lieu de les assimiler systématiquement à du piratage », l’opinion de nombreux professeurs de droit et la décision de la première Cour d’appel saisie de cette question. Elles traduisent de manière positive dans la perspective tracée par le considérant 39 de la directive recommandant que « lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exception ou la limitation pour copie privée, les Etats membres doivent dûment tenir compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui concerne la copie privée ».

Sauf si des modalités mieux adaptées était proposées dans le débat, il est souhaitable que le législateur encourage les acteurs déjà représentés à la commission chargée de fixer les rémunérations pour copie privée à sortir de l’impasse actuelle en leur rendant possible l’extension de cette rémunération aux fournisseurs d’accès, formule semblant susceptibles de rencontrer plus aisément un consensus. Les simulations disponibles attestent en effet qu’un prélèvement restant modeste pour les usagers et ne dépassant pas ce qui apparaît légitime à la plupart d’entre eux, conduirait à un apport économique très significatif pour les titulaires de droits. Outre une répartition individuelle au bénéfice des auteurs et artistes qui devrait refléter la diversité des utilisations en ligne, cette rémunération pourrait permettre de financer des actions de soutien pour accompagner les industries culturelles, en particuliers les éditeurs et producteurs indépendants, dans leur transition vers l’économie numérique des biens culturels.

Selon l’estimation de nombre de professionnels, la formule proposée par l’amendement n’est pas de nature à compromettre le succès d’offres commerciales en ligne, succès qui repose sur la capacité des éditeurs à garantir, en contrepartie d’un prix raisonnable, l’interopérabilité des plateformes et des formats, la fiabilité (intégrité des œuvres, absence de virus, etc.), le confort et la rapidité des échanges, et des services performants d’aide à la découverte des catalogues.

Outre l’apport immédiat d’une ressource décisive pour les filières de création, la mise en place d’une telle formule devrait s’assortir d’une suspension des initiatives répressives à rencontre des pratiques de téléchargement et ouvrir la voie à la recherche d’une solution garantissant plus complètement la sécurité juridique des échanges entre particuliers manifestement dénuées d’intention frauduleuse notamment des actes de mise à disposition qu’ils impliquent.