Accueil > Documents parlementaires > Amendements
Version PDF
APRÈS L’ART. 12
N° 150 (2ème rect.)
ASSEMBLEE NATIONALE
8 décembre 2005

DROIT D’AUTEUR ET DROITS VOISINS
DANS LA SOCIÉTE DE L’INFORMATION - (n° 1206)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 150 (2ème rect.)

présenté par

MM. Mariani et Vanneste

----------

ARTICLE ADDITIONNEL

APRÈS L’ARTICLE 12, insérer l’article suivant :

Après l’article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 335-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 335-2-1. –  Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, le fait :

« 1° de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit,  un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés ;

« 2° d’inciter sciemment à l’usage d’un dispositif mentionné au 1°. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

L’essor des nouvelles technologies de l’information offre aux industries culturelles un potentiel de développement considérable, qui a pour corollaire la multiplication et la diversification des services de contenus culturels offerts au grand public.

Pour autant, les opportunités offertes par la révolution numérique ont entraîné des dérives tels que des usages qui nuisent gravement à la viabilité des industries culturelles portés notamment par des logiciels d’échanges peer-to-peer.

Ces usages ont, en effet, fortement contribué à la mise en circulation et au partage illicites de fichiers protégés par des droits de propriété intellectuelle.

Le développement de ces pratiques a lourdement pesé sur l’industrie musicale en tout premier lieu : perte d’emplois et restructurations, crise de la distribution spécialisée, perte de revenus pour les ayants droit et diminution drastique des opportunités offertes aux jeunes artistes.

Dès aujourd’hui, la crise qui touche l’industrie de la musique est de nature à gagner l’industrie du cinéma avec des effets d’autant plus graves et rapides que les investissements dans la production de films sont plus lourds.

La responsabilité des éditeurs de logiciels de peer-to-peer qui ont facilité les échanges et le partage de fichiers protégés sur Internet sans l’autorisation des ayants droit a récemment été confirmée par deux décisions de justice provenant, pour l’une, de la Cour suprême américaine et, pour l’autre, de la Cour fédérale australienne.

Le 27 juin 2005, dans un litige qui opposait les éditeurs de logiciels de peer-to-peer Grokster et StreamCast aux studios Metro-Godwyn-Mayer (MGM), les neufs juges de la Cour suprême des Etats-Unis ont reconnu à l’unanimité la responsabilité de Grokster et Streamcast pour trois motifs : ils encourageaient les utilisateurs à violer le droit d’auteur, n’avaient pas mis en place de dispositif destiné à réduire la réalisation d’actes de contrefaçon, et tiraient un avantage financier de ces contrefaçons.

Le 5 septembre 2005, dans l’affaire Universal Music Australia Pty Ltd vs. Sharman License Holdings Ltd, la Cour fédérale australienne a reconnu Sharman Networks (propriétaire de Kazaa) coupable d’inciter ses utilisateurs à échanger illicitement des fichiers protégés par le copyright. Elle constate que plutôt que de prendre des mesures pouvant limiter le nombre de téléchargements illégaux, Sharman Networks publiait régulièrement des messages sur le site de Kazaa encourageant les utilisateurs à partager davantage de fichiers. Outre sa condamnation à verser d’importants dommages-intérêts, Kazaa a été mise en demeure par le juge australien d’installer, dans les deux mois, soit un filtre par mot-clé sur la version actuelle du logiciel soit une solution consistant à introduire une empreinte numérique sur ses fichiers, et d’inciter les utilisateurs à mettre à jour leurs logiciels plus anciens.

L’éditeur du logiciel de peer-to-peer Kazaa, en application de la décision de la Cour fédérale australienne, offrira désormais à ses utilisateurs des fichiers répertoriés et disponibles selon des conditions fixées en accord avec les ayants droit.

Les deux décisions majeures de la Cour suprême des États-Unis et de la Cour fédérale australienne ouvrent la voie à une mise en œuvre généralisée à l’ensemble des éditeurs de logiciels de peer-to-peer de systèmes d’identification, de maîtrise des flux et de filtrage.

Ces nouvelles règles de fonctionnement des logiciels de peer-to-peer vont encourager le développement de modes inédits de distribution, via ces mêmes logiciels, en complément des circuits traditionnels de distribution.

Cependant, ces nouveaux canaux de distribution numérique qui se conformeront à la légalité des conditions d’exploitation fixées en accord avec les ayants droit, se développeront d’autant mieux qu’ils ne subiront pas la concurrence déloyale d’éditeurs de logiciels de peer-to-peer qui, eux, continueraient de permettre ou de faciliter l’échange et le partage illicites de contenus protégés par un droit de propriété littéraire et artistique.

Si les règles de la responsabilité du droit français permettent déjà d’agir à l’égard de ces éditeurs, il est important que le législateur français y consacre une disposition explicite.

Une telle disposition aurait le mérite d’expliciter le cadre juridique pour ces nouveaux services de la société de l’information et ce faisant d’indiquer clairement aux éditeurs de logiciels de peer-to-peer à quelles conditions leur responsabilité pourra, le cas échéant, être engagée, ce qui épargnera, également, au juge de longues et fastidieuses procédures.

Il convient en particulier de caractériser et sanctionner la faute intentionnelle, qui correspond à la mise sur le marché d’un logiciel manifestement destiné à des échanges illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique, ou à l’incitation en connaissance de cause des utilisateurs de ce logiciel à pratiquer de tels échanges. Dans ce cas, la responsabilité pénale serait engagée au titre du délit de contrefaçon ;

L’objectif de l’amendement proposé n’est pas de sanctionner l’utilisateur, que l’amendement contribuera toutefois à sensibiliser aux usages conformes à la loi des logiciels de peer-to-peer auxquels il pourra accéder, mais les éditeurs de logiciels qui permettent ou facilitent la mise à disposition illicite de fichiers protégés.

Cet amendement incitera les éditeurs de logiciels à agir dans la légalité et constituera un signal fort en faveur du développement rapide de nouveaux modes de distribution via un réseau peer-to-peer dont les conditions d’exercice respecteront les prérogatives reconnues aux ayants droit par la loi.

L’objectif de cette disposition n’est pas de frapper d’illégalité la technologie du peer-to-peer. Bien au contraire, sa vocation est essentiellement de favoriser son utilisation légale.

Le texte n’ajoute et ne retranche rien au droit positif quant aux mesures susceptibles d’être prises au titre des conséquences attachées à la responsabilité des éditeurs de logiciels concernés, conformément au droit commun : sanctions pénales, dommages-intérêts, possibilité de demander au juge des mesures appropriées pour mettre fin au dommage qu’il appartiendra au juge de décider, le cas échéant, en fonction notamment de critères de faisabilité technique et économique.

A ce titre, l’amendement proposé n’a pour but ni de modifier le régime de responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet tel qu’établi par la loi pour la confiance dans l’économie numérique, ni de déclencher des procédures judiciaires en filtrage sur les réseaux électroniques. Il est ainsi rappelé que tant les ayants droit que les fournisseurs d’accès à Internet ont pris des engagements communs par une charte signée le 29 juillet 2004 sous l’égide des pouvoirs publics et se sont prononcés dans le cadre de sa mise en œuvre pour une coopération sur des mesures de filtrage du peer-to-peer, notamment via des solutions sur le terminal du client. Ces mesures doivent ainsi faire l’objet d’expérimentations ainsi que l’a prévu la charte susvisée.

En outre, la responsabilité des éditeurs de logiciels de peer-to-peer dans les conditions prévues par le présent texte est pleinement compatible avec une sensibilisation et une responsabilisation des utilisateurs dans le cadre de mécanismes prévoyant des actions de prévention à destination des utilisateurs et, en cas d’inefficacité, des sanctions adaptées au caractère massif des comportements constatés. Bien plus, le mécanisme exposé ci-dessus sera d’autant mieux compris que seront évitées les incitations à la fraude opérées par certains éditeurs de logiciels et que l’utilisateur aura été sensibilisé comme indiqué ci-dessus aux règles d’usage en matière d’échanges de fichiers protégés par des droits de propriété littéraire et artistique.

Au total, cet amendement tend à créer les conditions d’un exercice du peer-to-peer au bénéfice de tous : les ayants droit, dont les droits légitimes seront préservés; les utilisateurs, qui pourront pratiquer le peer-to-peer en toute quiétude et bénéficier de services personnalisés ; et enfin, les acteurs de l’Internet et opérateurs de télécommunications, pour lesquels le développement de nouveaux services légaux créera des opportunités de croissance.

Si toutes ces conditions sont remplies, il est en effet possible de créditer ces secteurs de potentiels de développement considérables, dont les effets bénéfiques, en termes de création d’emplois et de valeur, auront un impact sur l’ensemble de la société. Les industries de divertissement, loisirs et média représentent environ 3 % des emplois de l’Union Européenne et enregistrent un taux de croissance moyen de 5 % par an.

Cet amendement est conforme à l’esprit de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 (droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) et fait écho à la fois à l’évolution récente de la jurisprudence internationale et à celle des moyens techniques de protection. La France, qui a toujours veillé à conférer aux créateurs un haut niveau de protection et soutenu la diversité culturelle, ne peut manquer cette occasion d’inscrire dans la loi cette évolution décisive des conditions d’exercice légal des éditeurs de logiciels de peer-to-peer et ainsi ouvrir la voie à ce mouvement dans d’autres pays européens et peut-être dans d’autres pays du monde. Cette initiative ne manquera en effet pas de trouver un écho dans de nombreux autres pays, voire d’inspirer le législateur communautaire au moment de la révision de la directive du 22 mai 2001.