Accueil > Documents parlementaires > Amendements
Version PDF
APRES L'ART. 4
N° 173
ASSEMBLEE NATIONALE
8 décembre 2005

DROIT D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
DANS LA SOCIÉTE DE L'INFORMATION - (n° 1206)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 173

présenté par

MM. Dionis du Séjour et Baguet

----------

ARTICLE ADDITIONNEL

APRES L'ARTICLE 4, insérer l'article suivant :

Le 2° de l’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :

« 2° A sa radiodiffusion directe ou indirecte et à sa cablodistribution simultanée et intégrale, ainsi qu'à sa reproduction strictement réservée à ces fins, effectuée par ou pour le compte d'entreprises de communication audiovisuelle en vue de sonoriser ses programmes propres diffusés sur son antenne ainsi que sur celles des entreprises de communication audiovisuelle qui acquittent la rémunération équitable.

« Dans tous les autres cas, il incombe aux producteurs desdits programmes de se conformer au droit exclusif des titulaires de droits voisins, prévu aux articles L. 212-3 et L. 213-1 ci-dessus. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

La loi du 3 juillet. 1985 a institué à l’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) une licence obligatoire s’imposant aux titulaires de droits voisins, aux termes de laquelle certaines utilisations de la musique enregistrée sur des phonogrammes du commerce peuvent être effectuées par des exploitants sans autorisation préalable des titulaires de droits (producteurs et artistes interprètes), à la condition de leur verser, par l’intermédiaire d’une société de gestion collective dédiée, une “ rémunération équitable ”, fixée par accord collectif ou décision d’une commission administrative.

C’est une société de gestion collective, la SPRE, qui est chargée d’en collecter le montant auprès des exploitants.

Cette licence porte exception aux droits exclusifs, énoncés aux art. L. 212-3 (artistes) et L. 213-1 (producteurs).

Le 2° de l’article L. 214-1 porte ainsi dispense d’autorisation pour l’utilisation du phonogramme, pour “ sa radiodiffusion… ”

C’est-à-dire la radio proprement dite, mais aussi la télévision.

L’usage des musiques fixées sur des phonogrammes du commerce, à la télévision avait été clairement évoqué lors des discussions parlementaires ayant abouti à l’art. L. 214-1.

En pratique, l’utilisation des phonogrammes à la télévision est la suivante :

– Utilisation dans un support audiovisuel, pour son usage associé à l’image : bandes-annonces, génériques et illustrations sonores d’émissions sportives, de variété, d’information, de jeux, de “ télé réalité ”, etc.

– Usage “ en direct ”de phonogrammes du commerce : diffusion intégrale ou par extraits ou fonds musicaux dans des émissions de plateaux.

En vérité, la quasi-totalité des utilisations sont faites selon la première de ces modalités.

A l’ère du numérique et de la TNT, l’hypothèse du passage sur la platine en direct, n’a plus de sens et devient totalement désuète.

Pourtant, la Cour de cassation, dans une salve d’arrêts récents (16 novembre 2004), s’en est tenue à une application littérale de l’article L. 214-1 : celui-ci ne visant que la radiodiffusion du “ phonogramme ”. Si le phonogramme est reproduit sur un autre support, ce serait alors le droit exclusif qui reprendrait son empire.

Le problème est qu’elle a mis sur le même plan, en se servant d’une motivation identique, deux situations entièrement différentes.

– Celle où le télédiffuseur utilise des phonogrammes pour sonoriser les programmes destinés à être diffusés sur son antenne (arrêt TF1) ; c’est alors lui qui réalise le transfert de support , aux seules fins de sa programmation .

– Et celle où il ne fait que transmettre à son public des programmes à l’origine desquels il ne se trouve pas à titre principal et déjà sonorisés par des phonogrammes (arrêts Canal + et M6 : achat clé en mains de vidéomusiques, utilisation de programmes non propres à la chaîne).

La position des juges français est d’autant plus difficile à tenir qu’elle se trouve en contradiction avec pas moins de trois normes internationales et européennes, ayant par contraste pris en compte cette considération pragmatique et simple.

– D’abord, la Convention de Rome du 26 octobre 1961 relative à la protection des artistes interprètes et producteurs de phonogrammes, en vigueur en France depuis 1988, dont l’article 12, qui porte sur la rémunération équitable, évoque dans cette perspective le phonogramme “ ou une reproduction ” de celui-ci, visant ainsi clairement son incorporation.

– Ensuite, la directive CE du 19 novembre 1992 relative notamment aux droits voisins, non transposée à ce jour en France, dont l’art. 8, lui aussi consacré à la rémunération équitable, reprend la même formule d’usage d’une « reproduction » du phonogramme.

– Enfin, le Traité OMPI du 20 décembre 1996, relatif aux droits des artistes et producteurs de phonogrammes (entré en vigueur en 2002, signé mais non encore ratifié par la France), dont l’art. 15 utilise une formule différente, mais synonyme, au sujet de l’assiette de la rémunération équitable : utilisation des phonogrammes « directement ou indirectement ».

« Reproduction », « indirectement », tous ces vocables manifestent l’indifférence aux supports d’utilisation de la musique, CD ou enregistrement audiovisuel. Ce qui compte, des termes mêmes des travaux préparatoires susvisés de l’article L. 214-1, est de faciliter la gestion des utilisateurs, dès lors qu’ils s’acquittent d’une “ rémunération équitable ” auprès des ayants droit.

La Cour de cassation a considéré que ces normes seraient d’ordre supplétif, de sorte que les Etats-membres pourraient s’en affranchir, ce qu’aurait fait ici la France.

Au demeurant il faut rappeler que lors de la ratification, la France n’a fait état d’aucune réserves.

Cependant, si on peut admettre une telle interprétation judiciaire d’un texte vieux de 20 ans, de nombreuses raisons justifient qu’il soit aujourd’hui ajusté, parmi lesquelles on en privilégiera deux.

– D’abord, le principe constitutionnel et européen de sécurité juridique, qui exige qu’une réglementation imposant des obligations à une catégorie de sujets de droit soit claire et précise, afin qu’ils puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence.

Ici, la sécurité juridique des télédiffuseurs se trouve singulièrement malmenée, à partir du moment où ils se trouvent confrontés à des ayants droit qui le plus souvent, jouant de l’ambiguïté des textes, réclament cumulativement la rémunération équitable et le respect du droit exclusif, les artistes interprètes et les producteurs de phonogrammes ayant au demeurant depuis des années des positions différentes sur la question.

Les télédiffuseurs ne savent plus quoi payer, ni à qui.

– Ensuite, le principe de pluralité et de diversité culturelle: le recours systématique au droit d’autoriser et d’interdire des ayants droit, que la licence légale dans un souci pratique permettait d’éviter, aura pour effet d’alourdir de manière excessive l’accès aux phonogrammes du commerce en favorisant certainement la signature d’accord avec les grands catalogues, au détriment de la diversité culturelle et de l’intérêt des petits producteurs.

Dans ces conditions, afin de ne léser aucune des parties prenantes, l’art. L. 214-1 pourrait prévoir clairement les deux situations différentes susvisées.

– D’un côté, utilisation du phonogramme pour sonoriser une émission produite par la chaîne, ou par toute personne opérant pour elle , sans distinguer selon que son usage est direct ou indirect.

– De l’autre, diffusion de programmes produits par des tiers non spécifiquement pour l’entreprise de communication audiovisuelle, qui restent couverts par le droit exclusif.