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Session ordinaire de 2004-2005

commission des finances, de L’économie générale
et du plan

réunion du jeudi 4 novembre 2004

Projet de loi de finances pour 2005

Audition de M. Dominique Perben, Garde des Sceaux,
ministre de la justice
sur les crédits de son ministère
et de Mme Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux droits des victimes

 

PRÉSIDENCE de M. Pierre MÉHAIGNERIE
président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan
et de M. Pascal CLÉMENT,
président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation
et de l’administration générale de la République

La séance est ouverte à neuf heures trente.


 

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Je suis heureux d’accueillir, avec M. Clément, Dominique Perben et Nicole Guedj. La clé du succès des commissions élargies réside dans le caractère dynamique du débat, beaucoup moins contraint qu’en séance publique.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Les débats en commission élargie doivent en effet gagner en vivacité et en capacité d’échange ce qu’ils perdent en solennité. Je souhaite qu’ils traduisent en tout cas toute l’importance de ce budget.

Monsieur le ministre, vous êtes, avec Nicole Guedj, l’interlocuteur naturel de notre commission. Je voudrais d’abord vous féliciter d’avoir fait qu’aient été créés dès 2005 dans l’administration pénitentiaire 70 % des emplois prévus par la loi d’orientation et de programmation pour la justice. Le calendrier est ainsi respecté. La progression est, en revanche, moins rapide pour les juridictions administratives. Le retard sera-t-il comblé dans les deux dernières années d’application de la loi d’orientation ? Par ailleurs, comment envisagez-vous d’endiguer la progression des frais de justice, qui se fait au détriment des autres dépenses ? Où en est la mise en œuvre des contrats de partenariat public–privé ?

M. Dominique Perben, Garde des sceaux, ministre de la justice - Pour favoriser le jeu des questions-réponses, je n’évoquerai dans mon propos liminaire que quelques chiffres-clé. D’abord, le budget de la justice augmente de 4 % pour 2005, soit de 210 millions. Cette hausse s’entend bien sûr à périmètre constant, c’est-à-dire après neutralisation du transfert des allocations familiales. 1 100 emplois budgétaires sont créés, soit un tiers des créations dans l’ensemble du budget de l’Etat. Les crédits de fonctionnement, un des points durs du budget de la justice, augmentent de 8 %. Je vous assure que cette augmentation n’a pas été facile à obtenir du ministre du budget ! Mais elle est pleinement justifiée par les besoins qui s’expriment dans l’administration pénitentiaire, à cause de l’augmentation du nombre des détenus, et dans les juridictions. Quant à l’effort d’investissement, il reste stable avec 320 millions.

Nous mettons ainsi en œuvre la troisième année de la loi d’orientation et de programmation. La priorité a été donnée à l’administration pénitentiaire pour faire face aux réalités à l’augmentation du nombre de détenus. La capacité d’accueil de l’école d’Agen est renforcée et nous comptons maintenir un flux de recrutement de 2000 surveillants par an, qui couvre les créations de poste et les départs à la retraite. Cela permet, comme disent les surveillants, d’avoir « du monde dans les coursives » dans cette période de surpopulation carcérale.

Les créations de postes de magistrats ont, elles, légèrement baissé. J’espère corriger cette situation en 2006 et 2007, mais il fallait faire des choix. Il faut toutefois compter avec l’effet à terme de deux réformes majeures : la mise en place des juges de proximité – une centaine a été nommée par le Conseil supérieur de la magistrature que je présidais hier – et la réorganisation en pôles pour les dossiers de grande criminalité, classique ou financière, qui engendrera des progrès en termes de productivité. Le ministère de la justice a aussi fait un gros effort de simplification des procédures. A partir du 1er janvier par exemple, le divorce par consentement mutuel se fera en une seule audience, engendrant une économie de temps importante pour les juges aux affaires familiales. Le rapport Magendie sur la qualité et la célérité de la justice contient aussi nombre de propositions intéressantes et novatrices qui devraient permettre à terme d’augmenter la productivité et la rapidité des procédures.

En ce qui concerne les crédits de fonctionnement, ils augmentent de 10 % pour l’administration pénitentiaire. Ils permettront de poursuivre les travaux de sécurisation des établissements engagés depuis 2002, tels que les filets anti-hélicoptère, les tunnels à rayons X ou le brouillage des téléphones portables. Cette dernière opération, qui constituait une exigence forte il y a deux ans, est quasiment achevée pour l’ensemble des zones à risque. Ils permettront également d’améliorer la santé dans les prisons. Nancy a mené une expérience réussie d’unité hospitalière sécurisée interrégionale. Avec le ministère de la santé, nous sommes décidés à progresser dans cette direction. Enfin, ces crédits permettront de développer l’éducation dans les prisons, dans la perspective de la loi Warsmann. Le budget prévoit la création de 200 emplois de conseillers d’insertion et de probation. Les 160 qui ont déjà été recrutés en 2004 sont en train d’achever leur formation. Il leur appartient de s’occuper de 13 000 personnes chaque année.

Sur le plan immobilier, nous progressons. Ainsi, seront livrées en 2005 les deuxièmes tranches des palais de justice de Pontoise, Besançon et Narbonne et les travaux de l’Ecole nationale des greffes et des palais de justice de Toulouse, Thonon, Nanterre Avesne-sur-Helpe, Ajaccio, Bordeaux et Niort démarreront. Je rappelle que nous avons augmenté la capacité d’accueil pénitentiaire de près de 1 700 places en deux ans, soit par l’ouverture d’établissements nouveaux, soit grâce à des travaux d’aménagement. C’est heureux ! En 2005, l’effort se poursuivra avec la mise en service de l’établissement de Sequedin, la mise en chantier des premiers établissements pour mineurs, de la maison d’arrêt de La Réunion – très attendue – et de trois centres de semi-liberté à Aix, Bordeaux et Lille. L’année 2005 verra également se poursuivre la rénovation des établissements de Fleury-Mérogis et des Baumettes, travaux considérables qui s’étendront sur plusieurs exercices. Enfin, l’extension de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire s’achèvera ; sa capacité d’accueil a été doublée, et les lieux ont été aménagés pour permettre une formation plus pratique.

S’agissant des partenariats public–privé, les annonces d’appels publics à la concurrence ont été publiées en juillet dernier pour quatre établissements et les attributions de marché se feront en 2005. Il s’agit, je le rappelle, de déléguer la maîtrise d’ouvrage et d’obtenir du secteur privé un service complet comprenant la construction, la maintenance et la gestion des établissements pénitentiaires.

J’en viens à l’évaluation des résultats. Nous disposons désormais d’instruments de mesure de performance transparents et les contrats d’objectifs passés entre la Chancellerie et les juridictions se généraliseront progressivement, ce qui traduira un changement d’état d’esprit garant d’une meilleure efficacité. Des résultats probants sont déjà constatés tant à Douai qu’à Aix, les deux cours qui ont, les premières, expérimenté ce nouveau dispositif. L’instauration de la rémunération au mérite participe du même objectif. Enfin, je m’apprête à créer un baromètre trimestriel des 181 juridictions, qui récapitulera leur activité sous forme de statistiques.

Le ministère de la justice prépare donc la LOLF dans des conditions satisfaisantes. Son projet annuel de performance, significativement plus lisible que le document traditionnellement soumis au Parlement, recense 70 indicateurs dont le suivi, au fil des ans, permettra d’intéressantes comparaisons. Déjà, les résultats constatés depuis deux ans présentent des éléments encourageants. Notre effort continu porte ses fruits, comme en atteste la décroissance de la délinquance des mineurs, après des années préoccupantes. Le nombre des mineurs emprisonnés est passé de plus de 900 à moins de 600, en baisse, donc, de 30 %. Les solutions alternatives à l’emprisonnement, tels que les centres éducatifs fermés, se sont développées. Par ailleurs, les délais de traitement des affaires civiles diminuent dans les cours d’appel et, pour la première fois, dans les TGI. Enfin, le taux de réponse pénale augmente et, corrélativement, le nombre des classements sans suite baisse.

Telles sont les informations que j’ai souhaité porter à votre connaissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux droits des victimes - L’amélioration de la prise en charge des victimes, l’une des priorités du Gouvernement, s’est concrétisée par la création du secrétariat d’Etat aux droits des victimes, qui traduit la volonté de reconnaître la condition des victimes et d’établir et de préserver leurs droits par l’élaboration d’une politique publique globale. J’ai présenté un premier train de mesures au Conseil des ministres, le 29 septembre dernier. Ce plan d’action tend à généraliser et à mettre en cohérence les dispositifs de prise en charge des victimes, à améliorer l’indemnisation et à agir en faveur de la réinsertion sociale, affective et professionnelle. 750 000 euros sont inscrits à cet effet en mesure nouvelle au budget du ministère ; ils seront complétés, à hauteur de 250 000 euros, par les crédits destinés à l’accompagnement de dispositifs innovants, éligibles au FSE, au bénéfice des publics les plus fragiles. Ce million supplémentaire traduit une augmentation de 13 % du budget consacré à ces actions par la Chancellerie, sans tenir compte des mesures présententielles, transférées en 2004 sur les frais de justice.

Le secrétariat d’Etat s’attachera à renforcer les capacités d’intervention auprès des associations conventionnées par les cours d’appel, et des services d’aide aux victimes. A ce jour, il existe 168 de ces associations, qui ont accueilli près de 240 000 personnes en 2003. Leur financement repose sur le ministère de la justice mais aussi sur les crédits du fonds interministériel pour la ville et sur les contributions des différentes collectivités territoriales. L’amélioration de la prise en charge des victimes se traduira par la création d’astreintes téléphoniques et par l’élargissement des horaires de permanence. De plus, un numéro unique d’appel – le « 08 Victimes » – sera créé dans les tout prochains mois, et des psychologues seront recrutés pour venir en aide aux victimes traumatisées.

Le secrétariat d’Etat organisera d’autre part des actions, sur le plan national, en relation avec les autres ministères et tous les partenaires concernés : associations, collectivités territoriales, universités, entreprises… Le secrétariat d’Etat a en effet vocation à appuyer les associations qui œuvrent dans d’autres domaines que ceux dévolus au ministère de la justice, pour aider par exemple les victimes de catastrophes naturelles ou les victimes de l’amiante. Je souligne que, compte tenu des crédits encore disponibles, le choix a été fait de ne pas demander cette année la consolidation du fonds de réserve prévu en cas d’accident collectif ou de catastrophe, dont les actions en cours concernent notamment le crash de Charm-el-Cheikh et le procès du Mont-Blanc.

Dans un autre domaine, le secrétariat d’Etat s’attache à développer la politique d’accès au droit et d’aide aux victimes à l’intention des publics fragilisés. Il s’agit particulièrement d’aider les victimes de violences familiales ou de discrimination, pour favoriser leur réinsertion professionnelle. Cette démarche originale trouvera sa place au sein des dix plates-formes Europe récemment créées par la Chancellerie, et elle pourra aussi bénéficier d’un financement dans le cadre du projet d’initiative communautaire EQUAL. Cette politique est dans la droite ligne du plan d’action de la justice en faveur des personnes en difficulté et de la réflexion interministérielle de lutte contre les violences familiales. Il s’agit de mettre au point des dispositifs expérimentaux adaptés à la situation des personnes les plus touchées par la précarité, la désinsertion et la violence, en organisant des collaborations actives entre les conseils départementaux d’accès au droit, les auxiliaires de justice, les associations et les organismes de formation et de réinsertion, en liaison avec les réseaux associatifs spécialisés.

Telles sont, très brièvement, les grandes lignes de l’utilisation des crédits attribués au secrétariat d’Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances - Comme l’a indiqué le Garde des Sceaux, le budget de la justice augmentera de 4 % en 2005. De ces crédits, 41,6 % seront alloués aux services judiciaires, un peu plus de 30 % aux services pénitentiaires, quelque 11 % à la protection judiciaire de la jeunesse et 13,6 % à l’administration générale. Les effectifs du ministère sont d’un peu plus de 72 000 agents, soit 3,6 % des effectifs de l’Etat. Le projet de budget qui nous est présenté, légèrement inférieur à 2 % du budget global de l’Etat en termes de crédits, est encore perfectible si nous souhaitons que les retards chroniques de la justice française soient progressivement comblés. Tel est d’ailleurs l’objet de la LOLF. En 2005, le ministère de la justice connaîtra 1100 créations d’emploi et 135 emplois seront consolidés, dont 120 sont des emplois jeunes et 15 des postes d’assistants de justice. L’administration pénitentiaire est la principale attributaire des emplois créés, avec 533 emplois nouveaux. Les services judiciaires se voient dotés de 355 nouveaux postes mais l’ont constate une relative faiblesse des recrutements de magistrats, avec 121 nominations nouvelles seulement. Ce retard devra être rattrapé au cours des années 2006 et 2007.

Les crédits de fonctionnement, auxquels les magistrats sont spécialement attachés en ce qu’ils permettent d’assurer le fonctionnement quotidien des juridictions, augmentent globalement de 8 %, l’administration pénitentiaire en étant la principale bénéficiaire. Les crédits de paiement sont stabilisés à 318 millions.

Comme l’a indiqué le Garde des Sceaux, le programme de création de huit nouveaux établissements pénitentiaires se poursuit, quatre devant faire l’objet d’un partenariat public–privé. Il s’agit, chacun le sait, d’un processus juridique un peu complexe face auquel les vieilles habitudes doivent évoluer.

Nous disposerons dans quelques jours d’un rapport d’exécution de la LOPJ. Il semble que la difficulté majeure soit liée au nécessaire rattrapage des créations de postes de magistrats, notamment dans l’ordre administratif où le contentieux des étrangers tend à  exploser. A cet égard, il conviendra de veiller à doter les juridictions implantées à proximité des centres de rétention de moyens nouveaux suffisants.

La surpopulation carcérale commande de trouver des alternatives à l’incarcération plus efficaces que celles qui existent aujourd’hui. Autre point préoccupant, le fléchissement du travail en prison, alors que chacun sait qu’il y a là pour les détenus un moyen privilégié de préparer la réinsertion.

S’agissant de la prévention de la récidive, l’excellent rapport de la mission d’information présidée par Pascal Clément a légitimement insisté sur les insuffisances du suivi socio-judiciaire. Notre système pâtit du manque de juges d’application des peines et de services d’appui à la réinsertion. Quant au secteur psychiatrique pénitentiaire, il est confronté à une véritable crise des vocations, extrêmement préoccupante à tous égards.

La PJJ a fait l’objet d’un rapport très sévère de la Cour des comptes. Il est vrai qu’il reste beaucoup à faire, notamment pour ce qui concerne le contrôle du secteur associatif habilité dont les dépenses croissent continûment. Le nombre de mineurs incarcérés a fortement diminué et nous nous en félicitons tous. Cependant, l’application aux jeunes majeurs des dispositions traditionnellement réservées aux mineurs a un coût, dont il faudra tenir compte à l’avenir.

Naguère évaluatifs, les frais de justice seront désormais intégrés à la loi de finances pour répondre aux préconisations de la LOLF. Cela exige un changement d’approche, d’autant qu’ils sont en augmentation constante, du fait notamment de la généralisation des expertises génétiques et du coût des interceptions téléphoniques de sécurité.

Je plaide pour une réforme rapide des tutelles, puisque 600 000 personnes sont aujourd’hui traitées par seulement 100 juges des tutelles en équivalent temps plein. Il est urgent de rétablir la situation, en conjuguant mieux le judiciaire et le social. Les conseils généraux pourraient être utilement associés à la réflexion et nous souhaitons que le projet de loi en cours de préparation à ce sujet soit rapidement déposé.

J’en viens à la mise en œuvre de la LOLF et je veux saluer d’emblée l’excellent travail d’anticipation accompli par les services de la Chancellerie. La mission justice comportera 6 programmes – justice administrative, justice judiciaire, administration pénitentiaire, PJJ, accès au droit et à la justice, soutien de la politique de la justice et organismes rattachés – et se décomposera en 33 actions afférentes. L’architecture retenue ne pêche pas par un excès de sophistication, mais elle épouse bien les contours de la politique de la justice actuelle et elle permettra de disposer d’indicateurs pérennes particulièrement lisibles. Une réserve cependant, les indicateurs de performances retenus sont essentiellement quantitatifs, ce qui n’épuise pas le champ de l’évaluation de notre service public de la justice. S’il est intéressant de disposer de données chiffrées – retraçant par exemple le nombre de dossiers traité par magistrat ou le stock d’affaires en instance –, il serait également judicieux de lancer des enquêtes de satisfaction auprès des professionnels de la justice eux-mêmes. Le GIP – dont la rigueur scientifique n’est plus à démontrer – pourrait aussi s’attacher à mieux mesurer dans le temps l’image de la justice aux yeux des Français.

Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour les services pénitentiaires et pour la protection judiciaire de la jeunesse - En augmentation de 4 %, le budget pour 2005 de l’administration pénitentiaire est parfaitement conforme aux exigences posées par la LOPJ. Les 1 100 emplois créés représentent plus du tiers des créations d’emplois publics prévues au titre du PLF du prochain exercice. En matière pénitentiaire, ce sont près de 68 % du programme fixé par la loi d’orientation qui sont d’ores et déjà exécutés. On mesure l’effort accompli. Je salue tout particulièrement l’augmentation substantielle des postes relevant des services pénitentiaires d’insertion et de probation – plus de 200 postes. C’est à ce prix que l’on interdira les « sorties sèches » de prison à l’issue de la période d’incarcération. L’ampleur des vacances de postes – 2 250 postes non pourvus – fragilise la volonté politique de poursuivre les recrutements dans la pénitentiaire. Il y a entre la volonté que retrace le budget et la réalité d’un décalage que je me devais de relever. A cet égard, les actions entreprises pour renforcer le pouvoir d’attraction des métiers de la pénitentiaire méritent d’être saluées, qu’il s’agisse des campagnes publicitaires ou des réformes statutaires des différents corps. Je n’insiste pas sur les dispositions déjà prises pour améliorer les conditions de travail des personnels. En quelques années, le taux d’encadrement dans nos établissements est passé de 2,8 détenus par surveillant à un surveillant pour 2,5 détenus.

Le programme de création de huit unités interrégionales d’hospitalisation sécurisée se poursuit. L’UHSI de Nancy fonctionne déjà, mais son taux d’occupation relativement faible nous interroge. Est-il dû au poids des habitudes ou à une légère surévaluation des besoins de la région Est ? Ce point méritera d’être éclairci.

Les programmes de rénovation des établissements se poursuivent. Fleury-Mérogis et les Baumettes sont sur la bonne voie. Le rythme d’avancement des travaux est plus modéré à la Santé, à Loos-les-Mines et à Fresnes. Le « programme 4 000 » est en voie d’achèvement et le « plan 13 000 » est lancé. Parallèlement, le plan de mise en sécurité et de prévention des évasions des centres de détention se poursuit. Trois évasions par substitution d’identité ayant été à déplorer au cours des derniers mois, le contrôle biométrique des détenus va être renforcé.

La situation faite aux délinquants sexuels et aux détenus présentant des troubles mentaux me préoccupe tout particulièrement. Au cours de la dernière décennie, les délits sexuels sont devenus la première cause d’incarcération. 7 400 personnes sont actuellement détenues à ce titre, soit 20 % des personnes condamnées. Reposant sur le consentement de la personne, la prise en charge de la délinquance sexuelle continue de poser problème, et, comme l’ont relevé MM. Clément et Léonard dans leur rapport sur la prévention de la récidive, la dangerosité sociale des délinquants sexuels ayant purgé leur peine est extrêmement difficile à évaluer. Nous manquons également de données sur l’injonction thérapeutique.

Les personnes souffrant de troubles mentaux ont représenté 50 % des entrants en prison en 2001. Il ressort de l’étude épidémiologique en voie d’achèvement que la souffrance psychique et psychiatrique tend à se développer dans le milieu carcéral. En témoignent les 500 agressions à l’encontre de personnels survenues en 2003 – contre 127 en 1996 – et le nombre des suicides en détention, en augmentation continue depuis plus de dix ans – 59 en 1990, 120 en 2003. Le nombre de détenus psychotiques ou souffrant d’un état dépressif est en augmentation constante. 10 % des personnes entrant en détention faisaient l’objet d’un suivi psychiatrique régulier dans l’année précédant leur condamnation. Les psychiatres intervenant en prison appellent notre attention sur le risque que le défaut de soins psychiatriques soit à l’origine de crimes et délits qu’une prise en charge adaptée aurait peut-être pu éviter.

L’insuffisance des moyens psychiatriques ne fait aucun doute, puisque 800 postes de psychiatres sont vacants dans le secteur public. L’impossibilité d’assurer la prise en charge de nuit des détenus souvent souffrants de troubles mentaux graves, l’interdiction de mettre en œuvre un traitement médicamenteux sans le consentement du détenu et les réticences des établissements de santé à recevoir des personnes détenues en hospitalisation d’office en l’absence de garde statique par les forces de l’ordre constituent autant d’obstacles au traitement efficace des personnes incarcérées présentant un état de détresse psychique. En vue de remédier à cette situation, l’article 48 de la LOPJ modifie les conditions d’hospitalisation pour troubles mentaux des personnes détenues en créant des unités hospitalières spécialement aménagées.

Comme M. Albertini, je voudrais évoquer l’insertion professionnelle des détenus. La population carcérale cumule les difficultés : 60 % des détenus ont un niveau inférieur à l’école primaire. Par ailleurs, 20 % de ceux qui sortent ont moins de 8 € de pécule. C’est là une des carences du système : le risque de récidive est fort.

Actuellement, 26 000 détenus travaillent et ce nombre est en hausse de 13 %. Mais l’emploi pénitentiaire est très sensible à la conjoncture : il avait baissé de 12 % entre 2001 et 2003, après une hausse de 25 % des rémunérations versées entre 1997 et 2000, quand la conjoncture était la plus favorable. En outre, les délocalisations d’emplois peu qualifiés posent un problème structurel. Je demande au Garde des Sceaux de faire de l’emploi pénitentiaire une priorité.

L’activité des services de la protection judiciaire de la jeunesse a augmenté de 77 %, ce qui est supérieur à l’évolution du nombre de mineurs mis en cause, en hausse de 57 %. En outre, le secteur public de la PJJ tend à se spécialiser dans les mesures pénales. Le nombre de mineurs en attente a reculé de 20 % entre 2002 et 2003, ce qui est très positif : la rapidité de la réponse judiciaire est le meilleur moyen de prévenir la récidive. Toutefois, dans le milieu ouvert pénal, le délai d’exécution des mesures s’établit à 51 jours, ce qui est encore trop long. Le budget de la PJJ augmente de 4,42 % et 101 postes sont ouverts. Le nombre des mineurs incarcérés diminue et c’est une évolution qui se confirme. Elle tient à l’amélioration de la réponse pénale, grâce à la bonne loi préparée par le Garde des Sceaux et la commission. Nous disposons de 47 centres de placement immédiat qui offrent une alternative à la détention provisoire des mineurs. Ces centres ont pris en charge 1 500 jeunes l’année dernière. Les 72 centres éducatifs renforcés en ont recueilli 1 100 et nous disposons également de neuf centres éducatifs fermés. Ceux-ci font l’objet d’une évaluation et je salue cette initiative de l’administration de la Justice.

Par ailleurs, la PJJ intervient maintenant dans les quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires. Dix établissements bénéficient de cette mesure, et tout se passe très bien. Cette intervention préfigure le rôle que jouera la PJJ dans les futurs établissements pénitentiaires pour mineurs.

Je salue la diversification du recrutement. Le profil moyen de l’éducateur est trop généraliste et trop scolaire. Il est bon qu’un concours interne soit ouvert aux agents de justice et qu’une troisième voie de recrutement installe des passerelles avec d’autres professions.

La PJJ a donc évolué dans le bon sens. Elle a tiré les conséquences du rapport alarmiste publié par la Cour des comptes en créant une sous-direction des ressources humaines et en se dotant d’indicateurs d’activité. Elle est entrée dans une logique d’évaluation et de contrôle.

Des décrets devraient améliorer le fonctionnement des établissements et nous fournir des indicateurs sur l’utilisation du patrimoine immobilier. Il faudrait en outre que la PJJ établisse des référentiels de bonne pratique.

Je tiens à citer un chiffre qui devrait mettre fin à la polémique : seulement 16 % des mineurs passés en centres éducatifs fermés sont ensuite incarcérés. Le taux d’échec est donc faible.

On nous annonce des indicateurs qualitatifs, ce qui est toujours difficile à mettre en place. Nous manquons tout particulièrement de données sur la récidive des mineurs.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’administration centrale et les services judiciaires - Le budget des services judiciaires augmente de 3,8 %, soit un montant de 3,2 milliards d’euros en crédits de paiement. Ces chiffres montrent que la Justice est une priorité du Gouvernement. Je salue l’action en faveur des victimes, y compris le travail remarquable du secteur associatif. Il s’agit en définitive de rapprocher la Justice des citoyens.

Dans l’ordre judiciaire, le stock des affaires à juger au civil a diminué, s’agissant de la Cour de cassation et des cours d’appel. Toutefois, en 2003, le délai moyen de traitement à la Cour d’appel était de 16,1 mois. Le stock des affaires à juger reste stable dans les tribunaux d’instance, mais il augmente dans les tribunaux de grande instance avec le contentieux aux affaires familiales.

Au pénal, le nombre des condamnations a diminué, mais c’était en 2002 : à cet égard, notre outil statistique est sans doute perfectible. La baisse constatée en 2002 s’explique par l’application de la loi d’amnistie. En 2003, le taux d’élucidation a progressé. Le taux de réponse pénale a atteint 72 % grâce à l’utilisation croissante des procédures alternatives.

Les magistrats vont bénéficier de nouveau d’une extension de la nouvelle bonification indiciaire au titre des fonctions d’encadrement, ainsi que de la revalorisation indemnitaire. Il s’agit d’un effort sans précédent : 4 % de revalorisation en 2003, 4 % en 2004 et encore 1 % en 2005. Il faut ajouter la création des primes modulables, dites « primes au mérite », qui avaient suscité la polémique : les arrêtés portent leur taux moyen de 4 à 8 %, le taux maximal pouvant aller jusqu’à 15 %. Il faut certes préserver l’indépendance des magistrats, mais la Justice est un service public qui doit répondre aux attentes de nos concitoyens. Le versement des primes modulables est fondé sur l’évaluation faite par le chef de juridiction.

Dans la juridiction administrative, j’ai observé une augmentation du contentieux devant les tribunaux administratifs. Alors que le stock est en stagnation au Conseil d’Etat et dans les cours administratives d’appel, les tribunaux administratifs sont engorgés. Le nombre d’affaires jugées a augmenté de 63 % entre 1993 et 2003 et de 27,3 % entre 2003 et 2004. Il faut donc prévoir des moyens supplémentaires, mais aussi revoir certaines procédures. Il arrive souvent, par ailleurs, que les administrations ne répondent pas aux demandes de recours gracieux, se contentant de laisser passer le délai. Les justiciables saisissent alors le tribunal administratif. Si le Gouvernement incitait les administrations à répondre, le nombre des saisines diminuerait.

Il y a eu une nette augmentation du nombre des reconduites à la frontière, ce qui est positif. Mais la procédure d’arrêté de reconduite à la frontière envoyé par la voie postale n’a aucune efficacité. Elle mobilise des juridictions pour un taux d’exécution inférieur à 4 %. Je poserai une question au Garde des Sceaux à ce sujet.

Les juridictions de proximité ont été créées par la loi du 9 septembre 2002, la loi d’orientation du 26 février 2003 et le décret du 23 juin 2003. Ces textes ont autorisé le recrutement de juges non professionnels, soumis au statut des magistrats, qui ont des compétences civiles pour les litiges d’un enjeu inférieur à 1 500 € et des compétences pénales allant jusqu’aux contraventions de police de quatrième classe et certaines de cinquième classe. Ces juges de proximité travaillent en lien étroit avec le tribunal d’instance, puisque c’est le juge d’instance qui organise les audiences et qui évalue ces magistrats. Comme le dispositif avait été critiqué, j’ai souhaité en établir un petit bilan, sachant que nous manquons encore de recul, les premiers juges de proximité n’étant entrés en fonction qu’au début de l’année. On sait qu’ils ont dû suivre une formation qui était, pour la plupart d’entre eux, probatoire. Il s’agit à 40 % de professions libérales, en majorité des avocats ; à 10 % d’anciens magistrats ; à 40 % de diplômés justifiant de quatre années d’expérience juridique ; à 8 % de personnes justifiant de vingt-cinq années d’expérience juridique ; à 1 % d’anciens greffiers et à 1 % de conciliateurs de justice en exercice. Leur âge moyen est de 53 ans. Monsieur le Garde des Sceaux, nous avons rencontré des juges de proximité et nous avons vu que le recrutement était de qualité. Ces juges s’intègrent dans le milieu judiciaire et vous avez d’ailleurs prévu un certain nombre de moyens financiers pour faciliter leur intégration.

La nomination de greffiers et d’agents de catégorie C accompagne cette réforme. Au 13 septembre 2004, il y avait 172 juges de proximité en exercice et au 15 octobre quatre promotions, soit 466 personnes, avaient été formées à l’Ecole nationale de la magistrature. Cependant, il s’écoule trop de temps entre la fin de la formation et la nomination effective. Il faudrait donc revoir la procédure. Un certain nombre de députés, dont le président de la commission des lois, ont déposé une proposition visant à accroître les compétences des juges de proximité. Si leurs « pouvoirs » sont étendus, il faudra renforcer leur formation. Quels seront les moyens disponibles pour mettre en place cette réforme lorsqu’elle sera votée ?

Enfin, les frais de justice sont difficilement maîtrisables. En 2006, les chefs de cour d’appel disposeront d’enveloppes globalisées pour remplir les objectifs prévus par la LOLF. Comment pourront-ils à la fois faire face à l’évolution de ces frais et garder une certaine marge de manœuvre ?

Je salue la réforme courageuse menée par le ministère de la justice, notamment grâce aux contrats d’objectif lancés dès 2002, pour rendre la gestion plus efficace et améliorer la qualité du service. Il s’agit d’une véritable révolution dont nous attendons qu’elle rapproche la justice des citoyens.

M. Christian Vanneste - Selon M. Hanoteau, le directeur de l’ENM, la France passe beaucoup de temps à réformer la justice sans prendre toujours le temps d’appliquer les réformes. Celles-ci sont indispensables et j’apprécie de voir augmenter chaque année les crédits du ministère de la justice afin d’appliquer la LOPJ. Leur augmentation de 4 % en 2005 permet la création de 1 100 emplois budgétaires, dont 100 emplois de magistrats, et une augmentation de 8 % des crédits de fonctionnement.

Le budget doit répondre aux attentes des justiciables, c’est-à-dire avant tout accélérer le temps judiciaire. La modernisation de l’institution et un recrutement accéléré de magistrats, de fonctionnaires et de juges de proximité doit y concourir. J’apprécie également l’augmentation des crédits d’aide aux victimes. Celle des aides judiciaires permettra d’appliquer la nouvelle procédure de rétablissement personnel. Toutes ces mesures rapprocheront les Français de leur justice.

En 2003, le nombre de décisions judiciaires a augmenté, en particulier de 3,9 % au pénal et de 13,3 % dans les juridictions spécialisées. Comme l’a dit à juste titre M. Bilger, à force de ne plus considérer la justice comme le service public qu’elle est pourtant, les notions d’efficacité, de célérité et de responsabilité finissent par s’effacer derrière la recherche de la perfection formelle dans les décisions de justice. Heureusement, ces notions de base sont au cœur des orientations de votre politique budgétaire.

S’agissant d’abord de l’efficacité, les justiciables souhaitent avoir la certitude d’une réponse. Or, il y a une certaine « perte en ligne » en raison de la mauvaise articulation entre police et justice. Elle vient peut-être de ce que nos policiers sont plus nombreux qu’ailleurs en Europe, et nos magistrats moins nombreux. D’autre part, notre taux d’incarcération est plus faible que la moyenne européenne. Dès lors, si la population des prisons est surabondante, n’est-ce pas que la bouteille est trop petite plutôt que trop pleine ? L’absence de toute initiative de la part du gouvernement socialiste est responsable de cet engorgement. Il nous faut maintenant combler le retard. Les peines de substitution, le bracelet électronique, les TIG, doivent permettre d’améliorer les choses en ce qui concerne les plus petites peines. Pouvez-vous nous informer sur l’évolution comparée des mises en détention et des places disponibles, ainsi que sur celle des peines alternatives et sur leur efficacité, notamment en ce qui concerne les TIG ? Pour ce qui est des jeunes délinquants, où en est-on de l’installation des centres d’éducation fermés ? Il n’y en a toujours pas dans ma région. Enfin, serait-il possible de faire participer des sociétés privées au transfert des détenus ?

C’est évidemment d’une efficacité accrue que dépend l’accélération du traitement des affaires. On sait comment les dossiers s’éternisent de contestation en appel. Bien juger nécessite du temps, mais de délai en délai, ce sont parfois des vies qui se désagrègent. Si la procédure du plaider coupable est une réponse, c’est l’ensemble de l’institution qui doit accélérer le traitement des dossiers. J’en viens enfin à la responsabilité des magistrats. Récemment, l’affaire d’Outreau a mis en évidence bien des dysfonctionnements. La justice doit pourtant être garante du lien social. Juges d’instruction et magistrats doivent donc faire preuve de discernement et de lucidité dans leur action. Quand la justice remet des coupables en liberté et maintient des innocents en détention, c’est un traumatisme et elle perd sa crédibilité. Selon Durkheim, la société repose sur la foi dans les institutions. La justice, institution de premier plan, doit contribuer à l’assurer pleinement.

M. André Vallini - Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir que, cette fois, votre budget ne sera pas virtuel ? Ce fut le cas en 2003 et en 2004 en raison des gels, reports et annulations de crédits. Ainsi, le décret du 16 juillet 2004 a annulé 2,9 millions d’autorisations de programmes et 4,2 millions de crédits de paiement, celui du 9 septembre a annulé 51 millions de crédits, dont 19 millions pour les services pénitentiaires, 11 millions pour les services juridiques, 6 millions pour l’informatique et la téléphonie, et 3 millions pour la protection de la jeunesse, en touchant souvent la formation. Par la circulaire du 15 juillet 2004, vous avez également institué une réserve de précaution, en gelant 8,5 % des crédits de fonctionnement. De la même façon, ce budget qui affiche une augmentation de 4 %, s’il ne devait pas être exécuté, serait insincère.

Et quand bien même il serait exécuté, il est insuffisant pour répondre aux besoins. Il est d’ailleurs inférieur à celui des autres grands pays européens : le budget de la justice en Allemagne, compte tenu du nombre d’habitants, est le double du nôtre. Contrairement à ce qu’a dit M. Garraud, de 1997 à 2002, ce budget a augmenté dans notre pays de 29 %. Vous ne partez donc pas de rien ! 2005 est une année charnière, puisque c’est la troisième année d’application de la LOPJ. Or, nous sommes loin du rythme à suivre pour qu’elle soit réalisée dans les délais.

Le coût des réformes aggrave la situation. C’est le cas avec la création des juges de proximité et la mise en application de certaines dispositions de la loi Perben II, dont 11 mesures ont des conséquences sur les frais de justice, pour lesquels les 20 millions de crédits inscrits en 2005 ne suffiront pas. De même, la personnalisation des peines, qui est une bonne mesure en soi, demandera des expertises et des enquêtes de personnalité. La politique mise en œuvre par Mme Guedj pour renforcer les droits des victimes est également positive, mais elle aura un coût, tout comme le recours à de nouvelles techniques d’investigation et à des équipements de télécommunication de plus en plus sophistiqués. Au passage, qu’en sera-t-il pour les repentis ? Rien n’est prévu au budget. La loi Perben II a mis en place un système à l’italienne ; dans ce pays, il coûte environ 80 millions par an.

S’agissant des personnels, vous avez mis fin aux emplois-jeunes sans donner aux intéressés d’autre perspective que des facilités d’accès aux concours. Au total, 135 postes de contractuels sont prévus pour les remplacer alors qu’il en faudrait 90 pour la seule cour d’appel de Paris. Vous créez un nombre insuffisant de postes de greffiers, alors que leur travail augmentera en liaison avec la justice de proximité et l’application des peines.

Le budget de l’administration pénitentiaire augmente, notamment en crédits de fonctionnement, mais l’essentiel est absorbé par l’immobilier. Nous arrivons seulement à la fin du programme 4 000 et le programme 13 000 ne commencera qu’en 2005. La prison en France reste un enfer sur terre. Ce retard est inacceptable. Il faut aller plus vite, même si les délais tiennent aussi à la passation des marchés publics. Nous avons heureusement voté les mesures Warsmann sur la libération conditionnelle et la semi-liberté, mais cela ne suffira pas. Il n’existe actuellement que deux UHSI – pour huit prévues – alors qu’il en faudrait au moins le double. 40 % des détenus souffrent de problèmes psychologiques et ne sont pas suivis comme il le faudrait ; ils représentent donc un danger pour leurs co-détenus et pour les gardiens. Les créations de postes pour le personnel pénitentiaire sont à relativiser, car il va y avoir beaucoup de départs en retraite. Finalement, les mesures Warsmann seront difficiles à mettre en œuvre. Selon les syndicats, il faudrait 3 000 agents supplémentaires pour l’aménagement des fins de peine. En 2003, par rapport à 2002, les sursis avec mise à l’épreuve ont diminué de 2,4 %, les TIG de 5,8 % et les placements en semi-liberté de 4,8 %. Espérons que la mise en application des mesures Warsmann freinera cette tendance.

Pour ce qui est de la PJJ, je déplore que les moyens soient concentrés sur les établissements en milieu fermé. L’éducation en milieu ouvert nécessiterait beaucoup de moyens supplémentaires car la prise en charge de bien des mineurs délinquants est trop tardive.

M. Garraud, dans la langue de bois dont il est familier, nous a dit que l’institution des juges de proximité fonctionnait bien. C’est exactement le contraire ! Tous les magistrats et les syndicats de tous bords le disent, c’est un échec. La vraie justice de proximité est assurée par les juges d’instance, avec un délai de traitement des dossiers de quatre mois. Mais on s’est cru obligé de créer des juges de proximité pour appliquer une promesse électorale, voire électoraliste, de M. Chirac. Les juges de proximité compliquent la justice ; or, dans une sorte de fuite en avant, vous étendez encore leurs compétences ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP)

En ce qui concerne la loi Perben II, nous gardons toutes nos craintes sur la porosité entre les procédures d’exception et ordinaires. Nous serons très vigilants, comme sur la nouvelle procédure du plaider coupable. Nous veillerons particulièrement au respect des droits de la défense, même si des garde-fous ont été prévus et que le Conseil constitutionnel a émis des réserves d’interprétation, et aux affaires sensibles, que le plaider coupable ne doit pas servir à occulter. Quant à la délinquance des mineurs, la baisse que vous évoquée doit être nuancée. Les violences contre les personnes augmentent, ainsi que la délinquance dans les zones rurales et à l’école. Le combat est donc loin d’être gagné.

Je veux également revenir sur la reprise en main de la justice que nous constatons depuis deux ans. Tous les magistrats que je rencontre, de toutes tendances, s’accordent à ce sujet. Vous avez d’abord rétabli les instructions individuelles.

M. le Président de la commission des lois - C’est la loi !

M. André Vallini - Une réforme était justement en cours d’examen, mais vous ne l’avez pas poursuivie ! Monsieur le ministre, vous ne suivez pas non plus les avis du CSM concernant la nomination des magistrats. Des nominations récentes posent problème, ainsi que celle de votre directeur de cabinet au CSM. Et que dire du déclenchement de trois enquêtes sur le verdict du tribunal de Nanterre, ou de l’entreprise de déstabilisation du procureur de Nice, Eric de Montgolfier, menée par la Chancellerie ?

M. le Garde des Sceaux - Pourriez-vous rappeler le nom du Garde des Sceaux qui a diligenté l’inspection sur M. de Montgolfier ?

M. André Vallini - C’était Mme Lebranchu, mais les mesures de déstabilisation viennent bien de votre cabinet ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le rapport de M. Lamanda fait heureusement justice des accusations contre M. de Montgolfier ! Par ailleurs, les primes au rendement qui ont été instituées sont dénoncées par l’ensemble des magistrats. Bref, il existe un faisceau d’indices graves et concordants accréditant l’idée d’une reprise en main de la justice.

Alors que la justice fait face à une crise de confiance sans précédent, votre politique pénale, au lieu de fixer le cap, varie en fonction de l’opinion publique. Après la psychose sécuritaire, qui s’est traduite par la surpopulation carcérale que nous connaissons, les préoccupations nées du procès d’Outreau vous poussent à mettre à nouveau l’accent sur les droits de la défense et revoir les conditions de la détention préventive. Nous avions préféré, quant à nous, fixer trois orientations claires : une justice accessible et rapide, indépendante et responsable, respectueuse et protectrice des libertés.

M. Michel Vaxès - Je me limiterai à quelques remarques, pour respecter le temps très restreint qui nous est alloué, du moins en ce qui concerne les représentants de l’opposition. La différence entre les règles du jeu en vigueur ici et les conditions de la séance publique n’est pas avantageuse pour nous.

Le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution de la loi de finances pour 2003 révèle que 200 millions ont été bloqués en crédits de paiement et 53 millions en autorisations de programme – et que 33 % seulement  des crédits disponibles pour les équipements judiciaires, pénitentiaires et de la PJJ ont été utilisés. Aussi convient-il de relativiser la hausse de 4 % du projet de budget pour 2005. L’Union syndicale des magistrats considère d’ailleurs que l’objectif de la LOPJ ne sera jamais atteint en 2007.

Or, le droit est devenu le nouveau langage de notre démocratie, la judiciarisation de la société n’est plus un phénomène conjoncturel. La justice doit donc disposer d’un budget en conséquence. Il n’est guère étonnant qu’elle souffre d’une mauvaise image et suscite une insatisfaction croissante, quand on sait que 7 144 magistrats rendent 2,5 millions de décisions civiles et 11,3 millions de décisions pénales et que les prisons comptent 60 000 détenus pour 22 000 surveillants ! Oui, la justice manque de moyens et votre budget n’y remédie pas.

Cette année, un million d’euros seront consacrés au recrutement des juges de proximité, qui sont censés rendre la justice plus rapide et plus efficace. Après un an d’activité, le bilan est pourtant plus que mitigé. Les juges de proximité n’ont fait preuve ni d’utilité pour le désengorgement des tribunaux, ni d’efficacité dans l’accomplissement de leur mission. La présidente d’un tribunal de grande instance a ainsi déclaré à la presse que leurs jugements étaient truffés de bourdes, sans possibilité d’appel ! Une vingtaine de ces juges, sur les 170 nommés, ont donné leur démission, l’un deux estimant que quinze jours de formation ne lui permettaient pas de remplir sa mission ! Nous attendons donc une évaluation sérieuse de cette réforme. Au lieu de cela, vous voulez étendre leurs compétences à des litiges allant jusqu’à 4 000 euros, et même aux instances introduites par des personnes morales ! A l’évidence, nous changeons d’échelle, et cette perspective inquiète particulièrement les associations de défense des consommateurs.

Comme vous, nous aspirons à une justice plus rapide mais qui ne sacrifie pas la qualité. La voie que vous avez choisie n’y conduira pas. Les primes de rendement, pudiquement appelées primes modulables, doivent ainsi être attribuées en fonction de la « contribution du magistrat au bon fonctionnement de l’institution judiciaire ». Ce critère, des plus vagues, peut donner lieu à de graves dérives, et certaines des premières primes distribuées en septembre font d’ailleurs déjà l’objet de recours hiérarchiques. Si ce critère est si imprécis, c’est bien parce que des seuils quantitatifs ne peuvent être raisonnablement retenus et que les limites d’une justice productiviste se font vite ressentir. La qualité de la justice tient à des choses plus importantes et plus impalpables, telles que le respect, l’écoute ou tout simplement le sentiment de justice. Les magistrats ne rejettent pas l’évaluation en tant que telle, mais les outils que vous avez institués.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, le conseil national des barreaux s’est étonné que le conseil national de l’aide juridictionnelle ait réduit l’indemnisation des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Est-ce à dire que le travail d’un avocat, dans cette procédure, est moins important ? C’est pourtant la liberté du prévenu qui est en jeu !

Enfin, les conditions de détention dans nos prisons sont déplorables. L’Etat vient de voir reconnaître à deux reprises sa responsabilité dans des suicides de détenus, par les tribunaux administratifs d’Amiens et de Rouen. C’est une nouvelle preuve de l’insuffisance des effectifs de l’administration pénitentiaire. La sécurité des détenus n’est pas assurée : 117 suicides ont été relevés en 2003. Le budget pour 2005 créera-t-il des conditions plus dignes ? Il y va de la vie d’une centaine de personnes chaque année !

M. le Président de la commission des lois - Je rappelle que le grand avantage de la commission élargie est l’interactivité. Chacun dispose certes d’un temps limité, mais peut reprendre la parole plusieurs fois. Ne retombons pas dans les travers de la séance publique, que le regretté Edgar Faure avait ainsi définis : litanie, liturgie, léthargie !

Mme Anne-Marie Comparini - Notre réunion de ce matin met bien en lumière la priorité accordée à l’administration pénitentiaire, sans toutefois que l’on ait assez souligné à quel point elle est traitée de façon globale. Vous avez élaboré, Monsieur le Garde des Sceaux, un plan complet, tant pour le personnel et ses conditions d’exercice que pour les détenus et leurs conditions de détention. Par ailleurs, les deux rapports de Mme Pecresse et de M. Albertini viennent d’ouvrir des pistes très intéressantes, telles que la tutelle et la nécessité de préparer les délinquants sexuels à leur sortie. Ces propositions ne doivent pas tomber dans l’oubli. Il est essentiel de les mettre en œuvre le plus rapidement possible.

Un ambitieux programme immobilier a été lancé en 2002. Il était très attendu par tous les acteurs. Vous avez fait le point sur les opérations en cours, mais pouvons-nous déjà savoir ce qu’il reste à programmer, quel est le bilan des deux dernières années, quels dossiers locaux ont rencontré les plus grands problèmes ? Elue de Lyon, je connais bien le problème des prisons Saint-Paul et Saint-Joseph. Quelles solutions proposez-vous ?

M. le Président de la commission des lois - Nous en venons aux questions.

M. Gérard Léonard - En ma qualité de rapporteur de la mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, je souhaite insister sur la nécessité d’une meilleure prise en charge psychiatrique des détenus. L’absence d’évaluation de leur dangerosité me semble particulièrement préjudiciable, car c’est l’une des causes de la récidive. Par ailleurs, notre collègue Warsmann a souligné à juste titre les lacunes du casier judiciaire : on connaît le retard apporté aux inscriptions et l’on sait aussi que la difficulté d’accès au casier judiciaire prive les magistrats d’une vision d’ensemble des antécédents d’un justiciable. Quelles mesures d’urgence sont envisagées à ce sujet ? La mission d’information a, pour sa part, formulé diverses propositions qui seront reprises dans une prochaine proposition de loi.

M. François Rochebloine - Ma question portera sur la juridiction prud’homale de Saint-Chamond (Sourires), sujet sur lequel je reviens depuis 17 ans… S’il est un bassin d’emplois homogène, c’est bien celui de la vallée du Gier ; pourtant, la justice prud’homale ne l’entend pas de cette oreille. Par méconnaissance de la réalité, on en est venu, dans un premier temps, à ce que certains conseils prud’homaux soient surchargés de travail, cependant que d’autres étaient en sous-activité, ce qui a conduit à supprimer une juridiction. Après quoi, sur la base d’une consultation conduite en 2002 dans des conditions contestables, on a réduit le nombre de conseillers. Le moins que l’on en puisse dire est que l’esprit de service public et l’idée de justice de proximité risquent ainsi d’être battu en brèche. Je me félicite donc que depuis votre arrivée à la Chancellerie, Monsieur le Garde des Sceaux, cette entreprise de démantèlement ait cessé, mais je demeure vigilant. Je souhaite, en particulier, obtenir l’assurance qu’il sera enfin remédié à l’incohérence de l’organisation des conseils prud’homaux dans ma circonscription et que le conseil prud’homal de Rive-de-Gier sera, comme il se doit, rattaché à la juridiction de Saint-Chamond.

M. le Président de la commission des lois - Je loue votre persévérance ! (Sourires).

M. Alain Marsaud - C’est un beau résultat que d’avoir obtenu 8 % d’augmentation des crédits de fonctionnement du ministère. Mais quels moyens prévoyez-vous de consacrer à la réduction de la durée de traitement des procédures pénales ? Chacun conviendra que mettre 27 ans pour en finir avec l’affaire Mesrine, c’est beaucoup ! Certes, il s’agissait d’une affaire exceptionnelle, mais d’autres affaires criminelles traînent tant que des magistrats finissent par être gênés de rendre leurs décisions, qui leur semblent plus ridicules que justes. D’autre part, nous avons entendu parler d’une longue liste de juridictions dont les établissements seront rénovés, cependant que d’autres seront construits. Mais le dossier de Limoges semble enfoui au plus bas de la pile… Pourtant, le tribunal de commerce, pour ne parler que de celui-là, est dans un état d’insalubrité tel que le risque de poursuites pénales est patent ! Quelles mesures envisagez-vous à ce sujet, Monsieur le Garde des Sceaux ? J’en viens enfin à la scandaleuse affaire de l’ourse des Pyrénées, après avoir appris qu’un chasseur voudrait plaider la légitime défense … Pourtant, si un délit est avéré dans ce cas, c’est bien celui de mauvais traitement à animal ! (Sourires).

M. Xavier de Roux - Ma question portera sur les juges de proximité. En effet, le dispositif ne fonctionne pas dans certaines juridictions où ces juges, subordonnés à une hiérarchie judiciaire peu accommodante, ne sont pas très occupés… Je suis, pour ma part, favorable à l’accroissement de leurs compétences, et j’ai d’ailleurs signé le texte du Président Clément à ce sujet. Dans l’intervalle, je souhaite qu’une plus grande autonomie de moyens leur soit conférée au sein des juridictions auprès desquelles ils ont été nommés.

Sur un autre plan, j’observe que le projet de budget qui nous est soumis ne dit pas grand-chose du déménagement du tribunal de Paris, alors même que la question agite beaucoup les esprits. Qu’en sera-t-il ?

Enfin, il me paraît anormal que des délinquants mineurs en viennent à être placés, comme c’est le cas dans ma circonscription, dans des foyers départementaux de la protection de l’enfance, faute d’équipements spécialisés suffisants. Il faut mettre un terme à cette nouvelle version de l’introduction de loups dans les bergeries, mais comment ?

M. Emile Blessig - Dix ans après la réforme de la médecine en milieu pénitentiaire, bien des problèmes demeurent. Pourtant, l’accès aux soins est un droit. De plus, l’accompagnement sanitaire des détenus en passe d’être libérés est nécessaire. Où en est-on de la prise en charge des détenus dépendants des stupéfiants, de l’alcool ou des médicaments psychotropes ? Comment suit-on, sur le plan médical, les détenus libérés atteints de maladies infectieuses telles que l’hépatite C ? Comment prend-on en charge les détenus âgés malades ?

M. Thierry Mariani - J’aimerais savoir quand sera publié l’arrêté définissant les modalités de la rémunération des indicateurs de police et de gendarmerie. D’autre part, le tribunal pour enfants de Carpentras, que vous avez inauguré en septembre 2003, est déjà au bord de l’asphyxie faute de moyens. La nomination d’un nouveau juge y est indispensable. Quand aura-t-elle lieu ?

M. Edouard Landrain - Monsieur le Garde des Sceaux, comment et quand envisagez-vous de désengorger la maison d’arrêt Lafayette de Nantes ? Choisirez-vous une extension ou la construction d’un second bâtiment ? Par ailleurs, j’aimerais connaître le bilan des mesures contraignantes prises à l’encontre des pollueurs marins après le naufrage de l’Erika et savoir si la coordination se fait bien entre les services de justice, les douanes et la marine nationale.

M. Guy Geoffroy - Je suis persuadé que, pour prendre en charge les mineurs délinquants, la seule solution consiste à construire des centres éducatifs fermés. C’est d’ailleurs pourquoi je pense être le seul maire de France à avoir proposé l’édification d’un tel centre sur le territoire de ma commune. J’aimerais connaître les suites qui seront données aux évaluations successives de ce nouveau dispositif, dont Mme Pecresse nous a dit qu’elles avaient été très fournies, très contradictoires et donc très positives. S’ensuivra-t-il des modifications dans le cahier des charges, la dimension des établissements et les conditions générales de leur création et de leur développement ?

M. le Garde des Sceaux - Je commencerai par répondre à vos rapporteurs, et en premier lieu à M. Albertini, qui s’est inquiété du retard pris dans le recrutement de magistrats. La loi d’orientation contenait en effet des dispositions précises à cet égard, mais il se trouve que la population carcérale a augmenté davantage que nous ne l’avions prévu. Nous avons donc dû modifier la répartition des créations d’emplois pour tenir compte de cette évolution, comme en témoigne le budget qui vous est proposé. Des emplois nouveaux en plus grand nombre seront donc affectés aux services pénitentiaires, on recrutera moins de magistrats que prévu cette année, et les créations de postes dans les greffes correspondront aux prévisions. De fait, si l’on entend les chefs de juridictions, les goulots d’étranglement sont au niveau des greffes. Il fallait en tenir compte, ce qui ne signifie par pour autant de suspendre les recrutements de magistrats ; il y en aura d’ailleurs cent en 2005, je le rappelle. Il n’est pas question de relâcher l’effort et j’espère que nous pourrons revenir à un équilibre plus satisfaisant en 2006 et en 2007.

Votre rapporteur a également évoqué l’engorgement de la justice administrative. Nous souhaitons améliorer la carte judiciaire et je compte créer deux tribunaux administratifs : l’un dans le Var, l’autre dans la circonscription de Montpellier – soit à Nîmes, soit en Avignon – tant il est vrai que l’engorgement des juridictions dans cette région est inacceptable. Comme l’a justement relevé M. Garraud, il faut aussi travailler sur les conditions dans lesquelles on accède à la justice administrative, de manière à éviter un gonflement artificiel du contentieux. Je pense notamment à la fonction publique, où devraient se développer les mécanismes d’arbitrage et de médiation précontentieuse.

Plusieurs d’entre vous ont insisté sur la situation dans les prisons, et je souhaite que nous continuions, sur ces sujets, à dégager des positions consensuelles. A la lumière des exemples étrangers, force est d’admettre que nous sommes en dessous du nécessaire, tant pour ce qui concerne le nombre de places que pour la qualité de la prise en charge des personnes détenues. A Mme Comparini qui m’interrogeait sur son état d’avancement, je puis confirmer que le programme 13000 – en fait 13200 – est lancé et que les procédures afférentes à la réalisation de 5 594 places ont d’ores et déjà abouti.

En particulier, les sept établissements pour mineurs, auxquels je tiens beaucoup, sont lancés. Je souhaite que nous tirions parti de l’expérience de nos partenaires les plus avancés, en les organisant comme de véritables collèges fermés, organisés autour de la salle de classe et du gymnase. Je suis convaincu que la prison peut apporter quelque chose aux jeunes des plus désocialisés et qu’il n’y a pas de fatalité à ce qu’elle constitue un milieu destructeur. Ces sept établissements pour mineurs, qui offriront 420 places à la fin de 2006, nous aideront à faire face aux cas les plus difficiles. Par ailleurs, j’ai souhaité, dès mon arrivée à la Chancellerie, que la plupart des quartiers pour mineurs des établissements existants fassent l’objet d’une rénovation complète et le programme est en cours d’achèvement. Nous nous devons de donner aux jeunes incarcérés des conditions de vie acceptables. Dans le même esprit, j’ai voulu que la PJJ puisse entrer dans les prisons, de manière à améliorer la continuité du suivi. Au Royaume Uni, où la compétence des services de protection de la jeunesse est territoriale, ce sont les mêmes éducateurs qui suivent les jeunes délinquants avant leur condamnation éventuelle, pendant leur période de détention et dans la phase de réinsertion. Il est indispensable de mobiliser des moyens suffisants pour garantir la réussite de la réforme Warsmann, dont nombre de dispositions avaient fait consensus.

S’agissant des recrutements, je peux comprendre que certains nous demandent de faire toujours plus, mais il faut tenir compte des limites naturelles qui s’opposent à toute démarche de recrutement massif. Nous en avons fait l’expérience avec les personnels de surveillance, puisque nous avons dû lancer une campagne de publicité pour renforcer le pouvoir d’attraction du métier. Le décret ouvrant l’accès à la PJJ à des personnels expérimentés vient d’être publié, et les SPIP continueront de bénéficier de moyens complémentaires. L’ampleur du flux de sortie de prison – 12 000 par an – commande que nous renforcions l’accompagnement des détenus en fin de peine.

MM. Léonard et Albertini ont abordé le problème de la récidive. Sur le plan législatif, votre commission a accompli un très gros travail qui devrait déboucher prochainement sur une proposition de loi tendant notamment à nous donner des moyens supplémentaires pour veiller à ce que la récidive entraîne une sanction aggravée. Vous avez trouvé un dispositif législatif équilibré et satisfaisant. Parallèlement, il convient d’améliorer les délais de mise en œuvre des décisions de justice, et nous attendons beaucoup des bureaux d’exécution des peines créés par la loi de mars 2004. Injustement décriée par certains, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité me semble participer de la prévention de la récidive, car reconnaître sa culpabilité, c’est accepter la peine encourue et se donner les chances d’une réinsertion réussie. La justice acceptée, c’est très important !

Il est exact, Monsieur Garraud, que la prise en charge des jeunes majeurs pèse très lourd dans notre budget, et il convient de s’interroger au cas par cas sur la légitimité de la démarche. A l’origine, l’objectif était de continuer à s’occuper dans les mêmes conditions du mineur incarcéré lorsqu’il atteignait sa majorité. Dans les faits, il est apparu que certains jeunes majeurs faisaient l’objet d’un accompagnement renforcé, sans avoir été incarcérés en tant que mineurs. Il faut tenir compte de la très grande complexité des situations humaines en cause et se garder de toute approche systématique du problème. Si la PJJ, cher président Clément, qui êtes aussi président du Conseil général de la Loire, se dégageait de cette charge, il faudrait bien envisager que les conseils généraux s’y intéressent. Les réalités humaines qui s’attachent à ces situations s’imposent à nous, et je suis conscient qu’il n’y a pas, en la matière, de solution facile.

S’agissant du contrôle à exercer sur le secteur associatif habilité, la question qui se pose à nous est de savoir comment répondre aux justes critiques de la Cour des comptes sans se priver de la richesse des interventions du milieu associatif. Mme Pecresse a bien voulu saluer l’effort de réorganisation administrative et territoriale de la PJJ que nous avons engagé. Notre objectif est de conforter le rôle de pilotage de la PJJ face à un réseau associatif complexe mais irremplaçable.

Nombre d’entre vous ont évoqué l’explosion des frais de justice, effectivement préoccupante puisqu’ils augmentent d’environ 20 % par an. Le coût des interceptions des communications téléphoniques passées sur des mobiles et celui des expertises génétiques y sont pour beaucoup. La police scientifique ne cesse de gagner en efficacité, mais cela a un coût. Il convient de mieux organiser la commande publique pour que les opérateurs susceptibles de rendre les prestations demandées soient mis en concurrence et facturent leurs services au meilleur coût. Conformément aux exigences de la LOLF, les frais de justice feront l’objet d’une ligne de crédits limitative dès 2006, mais cela ne doit pas entraver la liberté du juge de demander la prestation technique dont il a besoin pour mener à bien ses investigations. Il faudra envisager un système de réserves, de sorte que chaque juridiction puisse faire face aux besoins.

Je souscris pleinement à l’analyse de M. Albertini sur la nécessaire réforme du régime des tutelles. Conçu par mes services, le volet juridique, tendant à ce que la tutelle s’exerce sur les personnes et non pas seulement sur les biens, est prêt. Le volet social de la réforme reste à finaliser, mais j’ai bon espoir d’être en mesure de présenter un texte au Parlement dans les prochains mois.

Le ministère de la justice a fait preuve de volontarisme dans la préparation de la mise en œuvre de la LOLF. Plusieurs expériences ont été lancées, et la Chancellerie y a trouvé une occasion supplémentaire de faire de grands progrès en matière de gestion.

Valérie Pecresse a cité un chiffre relatif aux vacances de postes dans les établissements pénitentiaires qui est techniquement correct, mais qui retrace la situation arrêtée au 1er janvier. En fait, le taux de vacance des postes n’excède pas 3 %, et il sera difficile à améliorer, compte tenu des mouvements naturels d’effectifs. Du reste, ceux qui parmi vous se rendent régulièrement dans les établissements n’entendent plus les critiques qui avaient cours à ce sujet dans le passé.

Mme Pecresse et M. Blessig ont, avec d’autres, appelé l’attention sur le caractère très préoccupant de la situation sanitaire des détenus. Je tiens à dire que, grâce aux dispositions prises par mes prédécesseurs, on soigne les gens en prison. Ceux d’entre vous qui visitent les établissements le savent. Les détenus sont notamment examinés par des dentistes dès leur entrée, car leur dentition est souvent dans un état déplorable. L’administration pénitentiaire assure une mission sanitaire de grande qualité et je veux rendre hommage au travail des médecins et des infirmières.

Il subsiste le problème des UHSI. La solution consiste à reproduire, dans cinq ou six endroits, ce qui a été fait à Nancy, où les médecins travaillent dans des conditions acceptables.

Vous avez été plusieurs à évoquer l’étude en cours sur la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques. En fait, cette étude est terminée. Mais j’hésite à l’exploiter car les spécialistes ne sont pas d’accord sur les chiffres. Nous savons, en tout cas, que le nombre de détenus souffrant de tels troubles augmente et a atteint un niveau préoccupant. Il s’agit non seulement d’un problème pénitentiaire, mais encore d’un problème de santé publique : on demande au système pénal de traiter un dossier qui n’est pas de sa compétence. Avec Philippe Douste-Blazy, nous avons mis en place une commission présidée par M. Burgelin sur la manière de traiter les individus les plus dangereux. Je pense à l’affaire Bodein, en Alsace : un homme qui avait passé 35 ans de sa vie en prison ou en hôpital psychiatrique a sans doute tué deux petites filles six mois après sa libération. Devant des réalités humaines aussi abominables, la société ne peut se contenter d’une remise en liberté une fois la peine purgée. Il nous faut réfléchir, car je n’ai pas la solution. Je sais que nous manquons de psychiatres dans les établissements pénitentiaires comme dans les centres éducatifs fermés.

M. le Président de la commission des lois - Recrutons des psychologues !

M. le Ministre - Peut-être. En tout cas, il nous faut des professionnels, pas des intervenants qui risqueraient de rendre encore plus malades les personnes qui leur seraient confiées…

S’agissant du travail en prison, les difficultés que nous rencontrons tiennent à l’environnement économique. Nous travaillons avec des sociétés présentes dans les établissements. Le marché industriel classique se restreint parce que les tâches répétitives se raréfient en France. Nous devons essayer d’accéder au marché protégé, mais il ne faudrait pas prendre des initiatives qui risqueraient de déstabiliser les CAT.

M. Garraud a évoqué les juges de proximité. Voulons-nous ouvrir l’administration de la justice à la société ? Oui, c’est mon souhait. Il faut avoir le courage de reconnaître que les Français ne se font pas une idée positive de la justice. Certes, il y a des raisons objectives pour que les justiciables conservent un mauvais souvenir de leur passage devant le juge. Mais de façon plus générale, la justice doit devenir une fonction partagée. Il ne s’agit pas de remplacer des magistrats par des non-professionnels, mais d’ouvrir la maison sur l’extérieur, de façon à rendre possible un échange culturel. Cela existe depuis toujours aux assises et dans les tribunaux pour enfants. Pour les petits délits et les petits litiges, il est bon que des hommes et des femmes d’expérience apportent un complément d’approche aux juges professionnels. Je suis déterminé à poursuivre dans cette direction. Il s’agit d’une réforme profonde, dont on dira dans dix ans qu’elle a amélioré l’image de la justice, j’en suis convaincu.

M. Vallini a évoqué les gels et les reports. Je m’honore de prendre part à la saine gestion de nos finances publiques : c’est le devoir de tout ministre. Cependant, la situation que M. Vallini a décrite est celle de juillet dernier. Les discussions avec le ministère de finances nous ont permis d’avancer, et les reports ne concernent que 1 % du budget, ce qui est raisonnable. J’ajoute que le budget de mon ministère a progressé de 17 % en trois ans.

Le dispositif des repentis, qu’a également évoqué M. Vallini, dépend du budget de l’intérieur.

S’agissant des emplois-jeunes, nous avons fait en sorte que les intéressés puissent préparer les concours statutaires dans de bonnes conditions. En outre, nous avons prévu un certain nombre de postes contractuels pour ceux qui ne peuvent passer les concours mais que nous souhaitons conserver.

Dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, il n’est pas question d’abandonner le milieu ouvert : je sais ce qu’apporte le travail des éducateurs. Mais la réorganisation des services autour des directeurs régionaux et départementaux permettra de travailler dans de meilleures conditions.

Plusieurs d’entre vous ont parlé de la loi « Perben II ». Ce dispositif fonctionne, y compris en matière de lutte contre la pollution maritime : ceux qui dégazaient en pleine mer sont sanctionnés et les gros dossiers de criminalité organisée sont traités comme il convient. J’ai la conviction que le plaider coupable fonctionnera aussi. Ce dispositif est même une chance pour les avocats, dont il enrichit le métier. Au lieu d’attendre six mois une audience correctionnelle qui durera trois minutes, ils peuvent dialoguer successivement avec le procureur, le délinquant et le juge. J’observe, par ailleurs, que 40 % des propositions faites au juge du siège sont refusées : il ne s’agit donc pas d’une simple formalité, on ne se contente pas de donner un coup de tampon, il s’engage une vraie discussion. Nous pourrons faire le point dans un an, mais ce dispositif a véritablement un intérêt.

L’aide juridictionnelle, dans le cas d’une comparution en reconnaissance préalable de culpabilité, ne donne droit qu’à cinq unités de valeur au lieu de huit mais il s’en ajoute trois si la victime ou son représentant sont présents. On atteint donc le même niveau qu’en correctionnelle.

Pour répondre à M. Vaxès, les primes modulables sont gérées par les chefs de cour sur proposition des chefs de juridiction et ce système fonctionne dans la sérénité. Si les primes ont été modulées, c’est parce que j’ai obtenu en trois ans l’augmentation de 9 % des primes versées aux magistrats. A ces niveaux de traitement, peu de fonctionnaires ont bénéficié d’une telle mesure. La modulation a été demandée en contrepartie par le ministère des finances et cette demande était légitime.

Le nombre des suicides en prison a diminué ces trois dernières années. J’ai commandé un rapport au professeur Terra, psychiatre spécialisé dans la prévention du suicide. J’ai découvert, grâce à lui, comment il est possible de détecter des personnes suicidaires. Son travail nous a permis de prendre des mesures matérielles pour réduire les risques. Un second type de réponse existe : il est d’ordre psychologique et psychiatrique.

Mme Comparini m’a interrogé sur la construction de nouvelles prisons. Nous ne rencontrons de difficultés que dans certaines villes. Pour ma part, j’ai l’intention d’utiliser les procédures qui existent en droit français pour faire prévaloir l’intérêt général. Il en va de même des centres éducatifs fermés : on ne peut les réclamer dans les discours et tout faire pour éviter leur installation dans certaines circonscriptions. J’aurai donc recours, si besoin est, à des procédures contraignantes. On ne peut renoncer à une grande ambition pour des raisons d’intérêt local.

Monsieur Rochebloine, vous soulevez un problème complexe. La concertation a eu lieu, mais il ne semble pas que votre proposition de redécoupage fasse l’unanimité.

M. François Rochebloine - Il ne s’agit pas d’un redécoupage, mais d’un regroupement !

M. le Ministre - M. Marsaud a raison : les durées de traitement au pénal sont excessives. La réorganisation en pôles de criminalité devrait améliorer la situation. Je lui fournirai, par ailleurs, une réponse écrite sur le tribunal de Limoges. S’agissant enfin de l’ourse tuée dans les Pyrénées, une enquête est ouverte, dont les premiers éléments semblent faire apparaître que les personnes qui se trouvaient sur place, en présence de l’animal, n’avaient pas grand-chose à y faire…

Monsieur de Roux, l’établissement public qui a vocation à construire le nouveau site judiciaire de Paris a été constitué et la procédure de sélection est engagée. Le conseil d’orientation et le conseil d’administration ont choisi deux sites en priorité : le premier est le site hospitalier recouvrant la Cité et Saint-Vincent-de-Paul, le second, la ZAC Tolbiac. L’étude est en cours pour choisir le meilleur emplacement et passer à la réalisation le plus rapidement possible.

En ce qui concerne les détenus âgés, la loi Kouchner a été appliquée 151 fois, ce qui correspond à un nombre de libérations considérable. C’est l’administration pénitentiaire qui décide. Je lui ai demandé par circulaire de prendre, le cas échéant, l’initiative, car même si on a à l’esprit une demande célèbre, il n’est pas rare que ces personnes soient totalement très isolées, dont personne ne s’occupe.

Monsieur Mariani, vous avez raison : l’effectif est insuffisant au tribunal de Carpentras. Une étude a été réalisée, et dans le cadre du budget 2005, je proposerai d’y affecter un juge pour enfants supplémentaire. La nomination pourrait intervenir lors du mouvement du printemps avec prise de fonctions en septembre 2005. Quant aux indicateurs de police et de gendarmerie, l’arrêté interministériel – nous travaillons avec la Défense, l’Intérieur et les Finances – devrait être prêt avant la fin 2005.

En ce qui concerne les pollutions marines, Monsieur Landrain, une trentaine de procédures sont en cours et nous avons demandé 6,5 millions de cautionnement, ce qui n’est pas rien. La loi dite Perben II se révèle véritablement utile, pour combattre ces pollutions.

Monsieur Vanneste, si après la grâce du 14 juin nous sommes redescendus à 500 placements sous bracelet électronique, notre objectif est de 2 000 placements en moyenne, et nous avons les moyens techniques d’y parvenir. Effectivement, il n’y a pas de centre d’éducation fermé dans le Nord, mais il y en a à proximité. S’il faut donner mon sentiment sur cette expérience, également évoquée par M. Geoffroy, elle est difficile mais utile. Ces centres accueillent des garçons, et parfois des filles, multirécidivistes et dont la personnalité est très perturbée. Cela suppose un travail énorme de la part des éducateurs, des médecins et des psychiatres. Le résultat est positif, puisque la majorité de ceux qui sont passés par ces centres reprennent ensuite un cursus normal de formation ou de retour à l’emploi. Dix centres sont en fonctionnement et il faudra essayer d’en doubler au moins le nombre en 2005. Cela ne résoudra pas tout, mais il faut poursuivre et trouver aussi les équipes pédagogiques expérimentées qui sont nécessaires. En tout cas, ce résultat positif est l’un des facteurs qui expliquent la baisse considérable du nombre de jeunes incarcérés : nous étions à moins de 600 le mois dernier contre 925 il y a deux ans et demi. C’est la réponse à ceux qui ont fait campagne contre un certain Garde des Sceaux qui voulait, disaient-ils, incarcérer les mineurs.

Monsieur Landrain, vous m’avez aussi interrogé sur la surpopulation de la maison d‘arrêt Lafayette à Nantes. Nous avons des réponses partielles. Il est prévu de créer un établissement pour mineurs, et, en fin d’application de la loi de programmation, un établissement pour les peines courtes. En effet il est un peu ridicule d’incarcérer tous les détenus dans des établissements avec le même niveau de sécurité : il est peu probable qu’un détenu qui n’a que quinze jours à faire essaye de s’échapper…

Mme la Secrétaire d'Etat - Chacun a pu apprécier tout l’intérêt de la mission qui m’est confiée de rapprocher la justice des victimes. J’espère qu’à l’avenir les crédits augmenteront à la mesure des besoins. S’il y a consensus sur ce point, nous parviendrons à améliorer au quotidien le sort des victimes.

 

La séance est levée à 12 heures 40.

Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,

François GEORGE

 

 

 

 


 

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