Version PDF

graphique

N° 2569

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 octobre 2005.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2006 (n° 2540)

TOME III

CULTURE

Par M. Michel HERBILLON,

Député.

___

Voir le numéro : 2568 (annexes nos 7 et 8).

INTRODUCTION 5

I.- LE BUDGET DE LA CULTURE EN 2006 : UNE PRIORITÉ CONFIRMÉE 7

A. LES PATRIMOINES 8

B. LA CRÉATION 9

C. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ET LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE 10

II.- LE SOUTIEN AU LIVRE ET À LA LECTURE : UNE POLITIQUE À ACTUALISER 11

A. LA CHAÎNE DU LIVRE : UN ÉQUILIBRE QUI REPOSE PLUS QUE JAMAIS SUR UNE POLITIQUE DE RÉGULATION RÉACTIVE 12

1. Une production et des ventes en croissance tendancielle 12

2. Les librairies indépendantes : une part de marché menacée 13

a) Une activité fragile 14

b) La gratuité des manuels scolaires dans les lycées : une initiative parfois mal maîtrisée 15

c) La montée en puissance des librairies électroniques 16

d) Un dispositif de soutien à compléter 17

3. L'édition : une concentration financière qui inquiète 19

a) La créativité éditoriale 21

b) Le point nodal de la distribution 23

c) La création souhaitable d'un médiateur du livre 25

4. La loi sur le droit de prêt : l'apaisement des relations entre les bibliothécaires et les autres professionnels du livre 26

B. LA LECTURE : UNE PRATIQUE CULTURELLE EN MUTATION 27

1. Lecture et livre, un clivage qui s'accroît 27

2. Bibliothèques : comment répondre à la révolution numérique ? 29

a) Un effort constant depuis quarante ans 29

b) La fréquentation : une inversion de tendance depuis 1998 30

c) La diversification des usages, quelles limites ? 31

3. La bibliothèque numérique européenne : un projet dont les contours doivent être précisés 33

TRAVAUX DE LA COMMISSION 37

I. AUDITION DU MINISTRE 37

II. EXAMEN DES CRÉDITS 71

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 75

INTRODUCTION

En application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le ministère de la culture a adopté une nouvelle présentation de ses crédits pour 2006 qui permet de mieux appréhender son action et les politiques qu'il mène.

Le périmètre de la mission « Culture » est très voisin de l'ancien budget puisque seuls les crédits de recherche et de diffusion de la culture scientifique sont rattachés à une autre mission, en l'occurrence à la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », à hauteur de 138 millions d'euros, pour l'essentiel imputables au budget de la Cité des sciences et de l'industrie.

Les crédits finançant le soutien à l'industrie cinématographique et audiovisuelle font toujours l'objet d'une inscription à un compte d'affectation spéciale en dehors du budget général de l'Etat.

La présentation des crédits dans la nouvelle nomenclature budgétaire, principalement inspirée par une logique métiers, assure une meilleure lisibilité et permet une évaluation plus fine des politiques culturelles.

Le programme « Patrimoines » regroupe sept actions assurées par chacune des directions sectorielles concernées et une action transversale consacrée aux acquisitions. Le programme « Création » rassemble les crédits destinés au soutien de la création et de la diffusion et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » permet de mieux coordonner les politiques transversales dans le domaine des enseignements supérieurs, de l'éducation artistique ou de l'action internationale.

Enfin, le projet annuel de performance retrace les orientations stratégiques du ministère et met en valeur les contributions des quelque 70 opérateurs que sont, pour l'essentiel, les établissements publics sous sa tutelle. Les 16 objectifs et 41 indicateurs qu'il propose permettent de couvrir la diversité des métiers et la variété des champs d'intervention de ce ministère.

Après avoir rapidement analysé le contenu du budget de la culture pour 2006, le rapporteur pour avis s'attachera à étudier, comme il est désormais de tradition dans le cadre des avis budgétaires de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, un secteur de l'action culturelle.

Son choix s'est porté cette année sur la politique de soutien au livre et à la lecture.

L'article 49 de la loi organique du premier août 2001 fixe comme date butoir, pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires, le 10 octobre 2005.

Le rapporteur pour avis a demandé que les réponses lui parviennent le 15 septembre 2005. A cette date, aucune réponse ne lui était parvenue. A la date butoir, ce pourcentage était de 60 %.

I.- LE BUDGET DE LA CULTURE EN 2006 :
UNE PRIORITÉ CONFIRMÉE

La mission culture sera dotée de 2 886 millions d'euros en 2006 auxquels s'ajouteront 138 millions pour la mission interministérielle « Recherche ».

Ces montants ne sont pas directement comparables au budget 2005 du fait de mesures de transferts intervenues dans la construction du budget 2006 notamment en raison de l'institution d'une cotisation employeur pour la Caisse nationale d'allocations familiales et d'une contribution employeur au compte d'affectation spéciale des pensions.

A structure constante, le budget de la culture augmentera de 127 millions soit de plus 4,9 % par rapport à 2005 en crédits de paiement. Il faut toutefois préciser que cette évolution n'a été obtenue qu'en consolidant le « droit de tirage » de 100 millions sur les recettes de privatisation en faveur du patrimoine monumental et que cette dotation n'est par définition pas récurrente.

Sans cette dotation, le budget n'augmenterait que de 1 % et la quasi-totalité de cette croissance serait consommée par les charges de personnel.

L'effort de réorientation des investissements sur les régions sera poursuivi puisque 47 % des crédits seront consacrés aux équipements culturels de province contre seulement 40 % en 2004.

Evolution du budget de la mission culture 2006 (à périmètre constant)

(en millions d'euros)

LFI 2005

PLF 2006

Variation en %

AE

CP

AE

CP hors dotation en capital

CP dont dotation en capital

AE

CP hors dotation en capital

CP dont dotation en capital

Patrimoines*

829,8

785,5

904,0

798,0

874,6

8,9%

1,6%

11,3%

Création*

891,9

885,4

890,9

901,1

906,2

-0,1%

1,8%

2,4%

Transmission des savoirs et démocratisation de la culture*

451,0

485,0

448,8

460,9

479,2

-0,5%

-5,0%

-1,2%

Dépenses de personnel (hors pensions et cotisations nouvelles)

456,7

456,7

479,8

479,8

479,8

5,1%

5,1%

5,1%

TOTAL « MISSION CULTURE » dont personnel

2 629,4

2 612,5

2 723,3

2 639,7

2 739,7

3,6%

1,0%

4,9%

* dépenses hors personnel

Source : ministère de la culture et de la communication

A. LES PATRIMOINES

Avec une dotation de presque 875 millions, en progression de plus de 11 %, le ministère retrouvera une marge de manœuvre sur sa capacité d'investissement, notamment en matière de restauration de monuments historiques.

La répartition prévisionnelle des crédits est la suivante :

- musées : 375 millions ;

- patrimoine monumental et archéologique, architecture : 304 millions ;

- patrimoine cinématographique : 41 millions ;

- patrimoine écrit et linguistique : 121 millions ;

- patrimoine archivistique et célébrations nationales 35 millions.

S'agissant des monuments historiques en régions, un effort supplémentaire de 25 millions sera consenti en 2006. Ceci permettra notamment de respecter les engagements pris dans le cadre du programme consacré aux cathédrales qui bénéficie à une vingtaine des 86 cathédrales dont l'Etat est propriétaire. Le montant annuel des investissements consentis pour cette politique systématique de mise aux normes de sécurité est de 36 millions.

Outre la poursuite des opérations de rénovation du château de Versailles et du Grand Palais, l'année 2006 sera marquée par la reconstruction des remparts du château de Saumur ainsi que par la réhabilitation du Palais de Chaillot où s'installera la Cité de l'architecture et du patrimoine début 2007. S'agissant de ce dernier projet, il conviendra de prévoir un budget de fonctionnement à la hauteur des choix de muséographie envisagés, notamment pour la présentation des œuvres et le recours aux bornes interactives destinées au public.

2006 sera aussi une année décisive pour l'opération de rénovation du site Richelieu qui réunit les départements spécialisés de la Bibliothèque nationale de France (médailles, estampes, manuscrits, cartes), la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art et la bibliothèque de l'Ecole nationale des Chartes.

L'Etablissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels devrait lancer la procédure de choix du maître d'œuvre, sous réserve que les arbitrages interministériels soient rendus sur le scénario de réalisation choisi par les pouvoirs publics. Compte tenu de la vétusté du site, notamment de ses installations électriques, et du caractère inestimable du patrimoine qui y est conservé, le rapporteur souhaite que ces décisions soient rendues très rapidement afin de sécuriser le plus vite possible le site Richelieu.

En matière d'archéologie, la politique de création et de rénovation des dépôts archéologiques sera poursuivie dans une dizaine de régions et le chantier d'installation du Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous marines sera lancé sur l'emplacement de l'ancien stade de l'Estaque à Marseille.

Malgré plusieurs ajustements législatifs successifs, le problème récurrent des ressources de l'Institut national de recherche de l'archéologie préventive (INRAP) n'est pas tout à fait réglé car le rendement de la redevance d'archéologie préventive n'est pas encore conforme aux prévisions. Dans l'attente des conclusions d'une mission de l'Inspection générale des finances prévues pour la fin 2005, qui devraient permettre d'améliorer la perception et le recouvrement de cette redevance, l'INRAP risque de devoir étaler les délais de ses diagnostics, ce qui pourrait retarder le lancement des travaux de nombreux aménageurs.

Afin d'éviter des retards trop pénalisants pour ces opérations, il n'est pas exclu que l'INRAP doive bénéficier, en 2006 comme en 2005, d'un ajustement de ses moyens, par redéploiement au sein du programme patrimoine.

B. LA CRÉATION

Le programme création représente 906 millions dont 68 % pour le spectacle vivant, 20 % pour le livre et la lecture, 8 % pour les arts plastiques et 4 % pour le soutien aux industries culturelles.

L'effort en faveur du spectacle vivant est maintenu puisque les crédits consacrés à cette action augmenteront de 3,5 % et de presque 13 % depuis 2002. Plus de 1 170 compagnies dramatiques, chorégraphiques ou ensembles musicaux professionnels sont actuellement soutenus par le ministère soit sous forme ponctuelle (aide au projet), soit sous forme plus structurelle (aide conventionnée).

Conformément au projet annuel de performance, une attention particulière sera portée au taux de renouvellement des artistes bénéficiaires des aides puisqu'un premier indicateur sera consacré au suivi de la part des artistes bénéficiant pour la première fois de commandes, acquisitions ou d'aides à la création (35 % en 2005 pour le spectacle vivant) et qu'un second indicateur sera consacré au suivi du taux d'entrée et de sortie des compagnies et ensembles dans les dispositifs d'aides (en 2004, si le taux d'entrée est important avec 13 %, le taux de sortie est très faible avec 2,6 %).

Dans le domaine de la diffusion, l'objectif d'augmentation de la fréquentation du public dans les lieux culturels sur l'ensemble du territoire est réaffirmé. L'évolution de la fréquentation des lieux subventionnés fera l'objet d'un suivi ainsi que le taux de places vendues ou la part du public scolaire.

Le soutien aux industries culturelles privées est tout aussi important notamment pour les commerces culturels indépendants au premier rang desquels figurent les librairies et c'est une des raisons pour lesquelles le rapporteur a choisi de consacrer un important développement à la politique de soutien au livre et à la lecture dont l'essentiel des crédits figurent dans ce programme création.

C. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ET LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE

Ce programme qui sera doté de 479 millions d'euros correspond aux grandes fonctions transversales du ministère :

- l'enseignement supérieur dispensé dans 115 établissements placés sous son contrôle (patrimoine, architecture,) ainsi que l'enseignement spécialisé de la musique, de la danse et du théâtre délivré dans les écoles relevant des collectivités territoriales ;

- l'éducation artistique et culturelle ;

- l'action internationale ;

- les fonctions soutien qui regroupent les crédits de fonctionnement du ministère, des DRAC, et des services départementaux de l'architecture et du patrimoine pour lesquels une économie de 13 % est envisagée en 2006 par rapport à 2005, avec une dotation de 100 millions.

L'un des objectifs stratégiques du programme sera de favoriser l'insertion professionnelle des diplômés des établissements d'enseignement supérieur relevant du ministère.

L'indicateur proposé, le taux d'insertion dans un emploi en rapport avec la formation reçue dans un délai de trois ans après l'obtention du diplôme est tout à fait intéressant. Pour 2004, il apparaît ainsi que ce taux était de 74 % pour les écoles d'architecture et de seulement 58 % pour l'Ecole du Louvre. Comme le ministère le prévoit, il conviendra d'élargir cet indicateur à l'enseignement supérieur artistique et culturel.

II.- LE SOUTIEN AU LIVRE ET À LA LECTURE :
UNE POLITIQUE À ACTUALISER

Quel auteur a jamais pu définir le mot « livre », cet objet qui peut contenir tous les mots et toutes les idées ?

En France, c'est l'Etat qui a relevé le défi, plus précisément l'administration fiscale, dans une instruction du 30 décembre 1971, afin de délimiter le champ d'application du taux réduit de TVA à 5,5 %. Un livre est « un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une œuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture ».

Cette intervention de l'Etat n'est pas surprenante car la France mène une politique de soutien public au livre et à la lecture ancienne et diversifiée, qui combine des instruments de régulation (loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre et loi du 18 juin 2003 sur le droit de prêt) et d'intervention (aides du Centre national du Livre), sous l'impulsion de la direction du Livre et de la lecture du ministère de la culture, créée en 1975 et qui compte actuellement soixante personnes.

La France dispose aussi d'un réseau de bibliothèques publiques qui s'est considérablement étoffé et modernisé depuis quarante ans et qui participe aussi de cette politique, menée conjointement par l'Etat et les collectivités territoriales.

En application de la LOLF, cette politique fait désormais l'objet d'objectifs et d'indicateurs qui permettront de mieux évaluer son impact.

Elle est une composante du programme « Création », plus précisément retracée par son action « soutien à la création, à la production, à la diffusion et à la valorisation du livre et de la lecture » dotée de 194 millions d'euros pour 2006 ainsi que, pour partie, par son action « économie des professions et des industries culturelles », dotée de 42,6 millions pour 2006.

L'objectif du ministère de la culture dans ce domaine est ainsi défini par le projet annuel de performance soumis au Parlement : « l'objectif final visé est bien de favoriser, à travers un soutien à la diffusion du livre, la diversité artistique et éditoriale et de contribuer à l'élargissement de l'audience des livres ».

Si cette politique de soutien au livre et à la lecture a dans l'ensemble atteint ses objectifs depuis plus de trente ans, il est légitime de s'interroger sur sa capacité à s'adapter aux évolutions du secteur, marqué par une forte concentration économique et par une révolution technologique, la numérisation, dont la portée est souvent comparée à celle de l'invention de l'imprimerie par Gutenberg.

Ce sont des questions aussi essentielles que l'équilibre de la chaîne du livre, l'avenir de nos bibliothèques publiques et, finalement, de la place de l'écrit, du mot et de l'image dans notre société qui sont ainsi posées.

Il n'est pas inintéressant de noter à cet égard que l'interprétation de la définition normative du livre vient d'être modifiée pour la première fois depuis 1971, par instruction fiscale du 12 mai 2005, et que cette modernisation consiste à substituer à la notion centrale de contenu rédactionnel, celle d'apport éditorial, ce qui permet de considérer désormais fiscalement comme des livres, les produits éditoriaux suivants : les cartes routières et géographiques, les partitions de musique, les albums et livres de coloriage pour enfants, les recueils de photographies et certains annuaires et guides professionnels.

Parce qu'elle cesse d'assimiler le livre au seul texte, au profit de l'image ou de l'infographie, cette évolution est en effet révélatrice d'une tendance de fond, portant sur nos modes d'acquisition et de transmission des informations et qui touche aussi bien les livres que la presse ou les documents professionnels.

A. LA CHAÎNE DU LIVRE : UN ÉQUILIBRE QUI REPOSE PLUS QUE JAMAIS SUR UNE POLITIQUE DE RÉGULATION RÉACTIVE

Le livre appartient à une chaîne qui relie de nombreux acteurs aux intérêts parfois divergents : auteurs, éditeurs, distributeurs, libraires et autres détaillants, bibliothécaires. L'une des missions des pouvoirs publics est de leur rappeler que leur intérêt commun, l'élargissement de la diffusion du livre, doit parfois primer sur leurs intérêts particuliers.

A en juger par la vitalité du secteur de l'édition et par l'augmentation tendancielle des ventes de livres depuis 1990, on peut estimer que cette mission est accomplie, mais cet équilibre est précaire et nécessite une adaptation permanente des politiques publiques.

1. Une production et des ventes en croissance tendancielle

Le marché du livre se porte bien en France comme en témoignent les chiffres de la période 1999-2004 : les ventes des éditeurs ont progressé de 16 % en euros courants et le nombre d'exemplaires vendus a atteint en 2004 le chiffre record de 463 millions dont près de 30 % en éditions de poche, soit presque 8 livres par Français en moyenne. En fait, et c'est une source de vulnérabilité, les achats de livres sont très concentrés : 3 % des individus achètent 31 % des livres vendus et 12 % des individus achètent 64 % des livres vendus.

Trois secteurs expliquent 60 % de cette croissance : la bande dessinée, les encyclopédies en fascicule et les livres pour la jeunesse.

Le chiffre d'affaires du livre s'établit à 2,6 milliards d'euros, ce qui en fait une industrie culturelle prépondérante, devant la musique, le cinéma ou la vidéo.

La production commercialisée est particulièrement dynamique puisqu'en 2004, les nouveautés et nouvelles éditions ont augmenté de 18 % par rapport à 2003 pour s'établir à 52 231 alors que le nombre de références est très élevé avec plus de 570 000 titres disponibles.

Ces bonnes performances globales ne doivent pas masquer certaines difficultés sectorielles (théâtre, poésie, livre religieux) mais elles permettent d'envisager avec optimisme l'avenir d'un objet, le livre, dont on a maintes fois annoncé la mort et qui ne s'est jamais mieux porté, même si les perspectives pour 2005 semblent moins favorables.

A l'inverse, ce contexte favorable ne doit pas empêcher les pouvoirs publics de poursuivre leur effort en direction de certains éléments de la chaîne particulièrement vulnérables et qui seraient les premières victimes d'un éventuel retournement de tendance alors même que leur contribution à la créativité éditoriale est décisive.

2. Les librairies indépendantes : une part de marché menacée

Les librairies indépendantes, c'est-à-dire n'appartenant pas à une chaîne ou ne relevant pas d'une grande surface, et spécialisées, c'est-à-dire exerçant leur activité principale avec la vente de livres, ont maintenu leur part de marché globale depuis plus de dix ans autour de 20 %.

Les lieux d'achat du livre 1993-2003

Achats en valeur

1993

1996

1998

2000

2002

2003

Librairies dont :

31 %

32 %

32 %

31 %

29 %

29 %

- Librairies spécialisées

20 %

21 %

21 %

21 %

*19 %

18 %

- Grands magasins

1 %

2 %

1 %

1 %

1 %

1 %

- Maison de la presse, librairies-papeteries

10 %

10 %

9 %

9 %

9 %

9 %

Grandes surfaces spécialisées

10 %

14 %

15 %

17 %

*20 %

20 %

Grandes surfaces non spécialisées

12 %

16 %

16 %

18 %

19 %

20 %

Courtage

16 %

8 %

7 %

2 %

0,3 %

0,3 %

VPC, clubs

23 %

22 %

21 %

24 %

23 %

21 %

dont Internet

-

-

0,04 %

0,9%

2%

3%

Soldeurs / occasion

7%

3%

3%

3%

3%

3%

Autres (comités d'entreprises, achat direct à l'éditeur, kiosques, gares, salons, marchés, ...)

5%

7%

5%

6%

6%

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Source : SOFRES pour Centre national du Livre.

Le marché du livre se distingue ainsi de celui du disque ou de la vidéo grâce à la loi sur le prix unique qui a permis de préserver une grande diversité des canaux de distribution.

On estime à près de 20 000 le nombre total de points de vente au détail du livre auxquels il faut ajouter la vente par correspondance, les clubs de livres (France Loisirs compte 3,7 millions d'adhérents en France) et les librairies électroniques.

Les grandes tendances récentes de ce marché peuvent être résumées comme suit :

- la forte progression des grandes surfaces spécialisées (FNAC, Virgin, espaces culturels Leclerc) qui ont doublé leur part de marché en passant de 10 % à 20 % des ventes totales entre 1993 et 2003  et des hypermarchés qui sont passés de 12 à 20 % dans la même période;

- l'effondrement du courtage face au développement des encyclopédies électroniques ;

- l'apparition en fin de période des ventes sur Internet qui progressent rapidement et qui sont appelées à se développer dans un avenir proche.

Les librairies traditionnelles sont donc le seul commerce de proximité à avoir résisté aux grandes surfaces mais cet acquis est fragile et mérite d'être consolidé par des adaptations du dispositif de soutien.

a) Une activité fragile

On estime à environ 1 200 les librairies indépendantes dont 300 à 400 grosses librairies généralistes ou multi spécialisées implantées dans les grandes villes. La stabilité de la part de marché globale de la catégorie masque des évolutions divergentes.

Schématiquement, les grosses librairies des grandes villes ont plutôt bien résisté alors que celles des villes dont la population est inférieure à 15-20 000 habitants ont été fortement déstabilisées par les grandes surfaces, même si la sociologie de la ville ou la politique du libraire (activité de livres scolaires) nuancent fortement ce modèle.

Certaines stratégies de niche comme la spécialisation sur la bande dessinée, la littérature jeunesse ou le voyage se sont avérées payantes.

La catégorie présente donc une forte hétérogénéité mais l'une des caractéristiques communes est sa faible rentabilité, comme l'a montré une enquête commandée par la direction du Livre sur la situation économique des librairies de premier niveau, c'est-à-dire les points de vente les plus importants présentant un large assortiment de titres.


Enquête 2003 sur la situation économique des librairies de premier niveau

- remise moyenne obtenue des diffuseurs de 36,4 % (en augmentation par rapport à la précédente enquête datant de 1992) avec de fortes disparités (de 31 à 40 %) ne s'expliquant pas uniquement par le volume de chiffre d'affaires ;

- resserrement des délais de paiement obtenus des éditeurs et des distributeurs passés de 68 jours en 1992 à 63 jours en moyenne en 2003 ;

- hausse du rabais accordé aux collectivités pour leurs achats notamment avec marchés publics avec appels d'offres ;

- résultat net de 2 % en moyenne supérieur à celui de 1992 (0,5 %) mais inférieur à celui du commerce en général, et qui pose la question de la capacité de financement des investissements matériels et humains de la librairie.

Compte tenu des événements survenus depuis cette étude et notamment du mouvement de concentration portant sur le commerce de détail du livre, l'interprofession a décidé de lancer une nouvelle enquête sur l'économie et l'avenir de la librairie indépendante dont les premiers résultats sont annoncés pour mars 2006.

Il est patent que la faible rentabilité des librairies accentue leur vulnérabilité et que la structure de leurs charges les pénalise face à la grande distribution (masse salariale plus élevée car présence d'un personnel spécialisé, baux de centre ville tirés vers le haut par la concurrence de commerces plus rémunérateurs comme les vêtements, entretien d'un stock important, coûts de transport).

Dès lors, toute initiative mal maîtrisée, comme la généralisation de la gratuité des manuels scolaires sans mesures d'accompagnement, peut se révéler très déstabilisatrice.

b) La gratuité des manuels scolaires dans les lycées : une initiative parfois mal maîtrisée

A l'occasion de la rentrée 2004, l'ensemble des régions, à l'exception de l'Alsace qui a réservé cette aide aux seules familles en difficultés financières, a mis en place la gratuité des manuels scolaires dans les lycées. Il n'est pas question de débattre ici de l'opportunité de cette mesure mais bien de ses modalités d'application qui sont parfois très contestables.

Si la majorité des régions n'ont pas bouleversé les circuits d'achat en mettant en place des aides directes aux familles, soit sous forme de cartes à puce, soit sous forme de chèques livres, certaines d'entre elles, et non des moindres, ont organisé des achats groupés par les lycées ou par le conseil régional, ce qui a certes permis de réduire les coûts d'achat mais a aussi largement évincé les librairies de cette activité qui, dans nombre de cas, représentait une part importante de leur chiffre d'affaires.

Les sept régions qui ont choisi cette modalité d'application de la gratuité, c'est-à-dire la Bourgogne, le Centre, l'Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de Loire, Guyane et Languedoc-Roussillon ont donc pris le risque de déstabiliser de nombreuses librairies, voire de provoquer la faillite de certaines d'entre elles, car le scolaire peut représenter jusqu'à 25% du chiffre d'affaires total des petites librairies. C'est d'autant plus regrettable que parfois ces mêmes régions, comme le Centre, développent par ailleurs une politique de soutien aux librairies indépendantes.

Outre l'effet d'éviction de nombreuses librairies de ces marchés qui dorénavant iront aux grossistes ou aux rares détaillants spécialisés, la méthode du subventionnement des lycées n'oblige plus les familles à fréquenter les librairies pour les achats de manuels, seule occasion pour certaines d'entre elles de franchir le seuil d'un magasin où l'on ne vend que des livres. Des répercussions sur l'ensemble des ventes sont donc à craindre, au-delà des seuls manuels scolaires.

L'impact de ces politiques commence à être établi pour les trois régions (Ile-de-France, Centre et PACA) qui ont amorcé le mouvement dès 2001. Selon une enquête menée par cinq éditeurs scolaires représentant environ 80 % du marché, le chiffre d'affaires réalisé dans les manuels pour lycéens a ainsi chuté de 50 % entre 2001 et 2004 pour les libraires de ces trois régions.

Le rapporteur ne peut que conseiller aux régions qui ont choisi des achats groupés de bien évaluer les conséquences de leurs décisions sur le réseau des libraires de leurs territoires et de réfléchir à la mise en place de formules d'aides aux familles moins pénalisantes pour les librairies.

c) La montée en puissance des librairies électroniques

Les librairies électroniques ou webrairies montent en puissance depuis leur apparition en France en 2000 et la croissance des deux dernières années est plutôt sur une tendance à deux chiffres. Leur part de marché est actuellement de 3 %, ce qui est relativement faible comparé à l'étranger mais certains envisagent un chiffre de 10 % dans un avenir proche. La part de marché des webrairies dépasse déjà largement ce niveau pour les livres universitaires ou techniques.

Les ventes de livres sur l'Internet suivent logiquement le décollage du commerce électronique et pour les mêmes raisons : taux d'équipement des ménages, sécurisation des paiements, professionnalisation de l'offre, notamment sur un plan logistique.

A cela s'ajoutent des avantages spécifiques, comme la richesse du fonds qu'aucun libraire ne peut réunir dans sa librairie. Certains opérateurs améliorent leur offre en proposant des forums de discussion, des alertes en fonction des achats passés ou des nouveaux services qui permettent de « feuilleter » des ouvrages comme en librairie, en fait consulter les pages qui précèdent ou qui suivent celle contenant le mot-clé saisi. L'un d'entre eux vient même d'annoncer la possibilité d'acheter en ligne des extraits, pages ou chapitres choisis par mots-clé. Pour l'instant seulement disponible aux Etats-Unis, ce mécanisme de « vente à la découpe » semble difficilement transposable en France, du fait de sa compatibilité à première vue délicate avec la loi sur le prix unique du livre .

Les libraires commencent à réagir, soit en créant leur site en vue de proposer des services complémentaires (informations sur les animations, réservations de livres), soit en réfléchissant à la mise en place d'un portail présentant l'offre d'un réseau de librairies indépendantes mais le risque est désormais bien identifié.

d) Un dispositif de soutien à compléter

Les librairies ont maintenu leur part de marché jusqu'à présent mais elles sont très vulnérables, comme en témoignent les rachats importants faits par le groupe Bertelsmann ces derniers mois. Sous l'enseigne France Loisirs, Bertelsmann a en effet déjà racheté le réseau des librairies Privat (32 librairies pour 107 millions d'euros de chiffre d'affaires dans les livres en 2004) et vient de réitérer avec la chaîne Alsatia (17 librairies pour 28 millions de chiffre d'affaires dans les livres en 2004).

La stratégie de Bertelsmann est simple : constituer un réseau de magasins multimédia capable de faire jeu égal avec la FNAC qui reste le premier libraire de France (470 millions de chiffre d'affaires dans les livres en 2004 contre près de 400 millions pour Bertelsmann en consolidant ces deux acquisitions).

Face à ces mouvements importants qui préoccupent les libraires indépendants, on pourrait être tenté de baisser les bras en laissant le marché se réorganiser autour de deux chaînes puissantes, comparables à Séphora et Marionaud dans la parfumerie.

Le rapporteur considère que ce serait une erreur capitale car ceci entraînerait inévitablement un formatage, une standardisation de l'offre de livres et donc de la pensée et de l'expression, qui ne serait pas sans conséquence sur la création littéraire. Il existe une corrélation incontestable entre le dynamisme de la librairie indépendante et la diversité et la créativité éditoriale. Ce sont les libraires qui conseillent, qui aiguillent leurs clients vers des livres plus exigeants ou qui n'ont pas bénéficié d'une promotion coûteuse. Ce sont eux qui assurent une deuxième vie à des ouvrages qui n'ont pas immédiatement trouvé leur public ou à des genres caractérisés par une vente lente (poésie, théâtre, sciences humaines).

Cette prise de conscience d'une communauté d'intérêt est à l'origine de la création par certains éditeurs d'un mécanisme de soutien interprofessionnel exemplaire au profit des librairies indépendantes.

En 1989, quatre éditeurs parmi les plus prestigieux de la place (Minuit, la Découverte, Gallimard et le Seuil) ont ainsi créé à l'initiative de Jérôme Lindon, alors président des Editions de Minuit, l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), afin d'aider les librairies de littérature générale dont la majorité du capital est détenue par des personnes physiques, le plus souvent elles-mêmes libraires.

Financée par des dons des éditeurs fixés à 0,15 % de leur chiffre d'affaires (ils sont actuellement 23 éditeurs adhérents) et par une subvention annuelle de la direction du Livre (120 000 euros en 2004), l'ADELC a procédé à 500 interventions depuis sa création, au profit de 343 librairies différentes.

Ses interventions concernent des aides à la création (83), au déménagement (64), au rachat (46), à des travaux d'agrandissement, ou bien à la poursuite de l'activité (restructurations des fonds propres ou du fonds de roulement).

Son mode d'intervention privilégié est un apport en compte courant après une entrée dans le capital à hauteur de 5 %. Ce comte courant fait l'objet d'un remboursement sans intérêt ce qui permet à l'ADELC de disposer d'une capacité d'intervention de l'ordre de 1,8 million d'euros par an.

En 2004, 39 librairies ont été soutenues par l'ADELC pour un montant total d'apports de 1,7 million, soit un montant moyen d'apport de 45 000 euros par librairie.

Le Centre national du Livre contribue à cette action en accordant des prêts au développement économique qui peuvent se cumuler avec ceux de l'ADELC. En 2004, 17 prêts ont été accordés pour un total de 565 000 euros, soit 33 000 euros en moyenne par librairie.

Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), accordent aussi des subventions à des projets de développement (agrandissement, informatisation, déménagement,) ainsi qu'à des actions d'animation ou de promotion. En 2004, les DRAC ont soutenu près de 150 librairies pour un montant total de 800 000 euros, ce qui donne un montant moyen très faible, de 5300 euros. D'après une étude portant sur les années 2000-2003, ces aides bénéficient surtout aux librairies de centre ville et sont essentiellement affectées à des travaux d'informatisation.

Enfin le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) a subventionné une cinquantaine de librairies pour un montant total de un million d'euros, soit une subvention moyenne de 20 000 euros par dossier depuis le 25 juin 2003 et la signature de la convention triennale permettant de mobiliser le FISAC au profit des commerces culturels de proximité.

Ces différents dispositifs sont nécessaires, on peut toutefois s'interroger sur leur articulation dans la mesure où les services qui instruisent les dossiers ne sont pas les mêmes, notamment pour le FISAC où l'intervention des délégations régionales au commerce et à l'artisanat s'est traduite par des délais très longs de mise en place. La multiplication des guichets qui sont complétés par des aides régionales comme en Aquitaine génère parfois des retards ou des incohérences.

La priorité est désormais de renforcer ce dispositif en l'adaptant aux besoins des libraires indépendants. L'un des problèmes essentiels auxquels aura à faire face la profession dans un proche avenir en raison de sa démographie est ainsi la transmission des entreprises.

Compte tenu de la faiblesse des rémunérations dans ce secteur, les jeunes libraires, souvent salariés de la librairie, n'ont pas les moyens de racheter ces commerces à leurs propriétaires qui, au moment de jouir de leur retraite après une vie de sacrifices financiers, ne sont pas dans l'état d'esprit de vendre en dessous des prix du marché. Le risque est donc très fort de vente à une chaîne, type Bertelsmann, ou de cession au profit d'un commerce non culturel. Combien de librairies ont déjà disparu en centre ville au profit de magasins de vêtements à cause des réévaluations de baux commerciaux ?

Les pouvoirs publics doivent mettre en place des instruments particuliers pour faciliter les reprises de librairie. Pourquoi ne pas adopter des aides fiscales du type de celles qui figurent dans le projet de loi d'orientation agricole au profit de la reprise des exploitations ? Le mécanisme de réduction d'impôt au titre des différés de paiement consentis par le vendeur au profit d'un jeune repreneur pourrait être utilement transposé.

Par ailleurs, les libraires doivent retrouver une capacité d'autofinancement qui leur permette de faire face aux investissements nécessaires à leur développement dans un contexte de concurrence très vive. A cet égard, l'allègement de leur fiscalité, notamment par une exonération de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat qui les frappe durement alors que cette taxe devait se substituer à la taxe d'équarrissage qui ne les concernait pas, devrait être rapidement décidé.

L'Etat devrait enfin autoriser les communes et les départements qui le souhaitent à leur apporter des aides économiques comme la loi du 13 juillet 1992 le permet pour les cinémas d'art et d'essai ou à aménager leur taxe professionnelle, comme cela existe en faveur des diffuseurs de presse.

3. L'édition : une concentration financière qui inquiète

Depuis cinq ans, l'édition française a connu d'importants mouvements capitalistiques qui ont modifié la configuration du paysage.


Rappel des principaux événements


2000 
: Rachat de Flammarion par Rizzoli-Corriere della sera (famille Agnelli)

Octobre 2002 : Annonce du rachat de Vivendi Universal Publishing par Hachette

Automne 2003 : Opposition de la Commission européenne au rachat total par Hachette de VUP rebaptisé Editis car création d'une position dominante du nouvel ensemble sur plusieurs marchés dont la distribution 

2004 : Rachat de 60 % de Editis par le groupe Wendel Investissement

2004 : Rachat du Seuil par le groupe La Martinière ; la famille Wertheimer détient 46% des actions du total depuis l'augmentation de capital de l'automne 2005

Ces mouvements qui ne sont peut-être pas terminés se soldent par la disparition de deux grands indépendants familiaux, Flammarion et le Seuil, qui rejoignent des groupes beaucoup plus importants, parfois étrangers à l'édition. Seuls Gallimard et Albin Michel incarnent désormais la grande édition indépendante et l'avenir du second semble très ouvert.

Par ailleurs, Hachette conforte sa place de numéro un puisqu'il pèse deux fois plus lourd que son dauphin, Editis.

Les principaux éditeurs en France

(en millions d'euros)

Groupe ou maison

Chiffre d'affaires 2003

Hachette

1 431

Editis

717

Bertelsmann France Loisirs

395

La Martinière- Le Seuil

280

Media participation (Fleurus, Dargaud, Rustica)

276

Gallimard

265

Flammarion

238

Albin Michel

205

De fait, la concentration éditoriale s'est fortement accentuée en Europe au cours des quinze dernières années, et la France qui était plutôt en avance avec deux groupes très puissants que l'on qualifiait parfois de duopole, a été rejointe par nombre de ses voisins.

On estime ainsi qu'en France, les deux premiers groupes (Hachette et Editis) représentaient en 2003 33 % des ventes de livres aux ménages et les cinq premiers 53 %. Au Royaume Uni, ces chiffres sont de 27 % (pour les deux premiers Bertelsmann et Hachette) et de 52 % pour les cinq premiers, en Espagne, de 48 % pour les deux premiers (Planeta et Hachette) et de 68 % pour les cinq premiers.

Cette concentration suscite des inquiétudes dans la chaîne du livre dont certaines ne sont pas dénuées de fondement.

a) La créativité éditoriale

Il peut paraître paradoxal de s'interroger sur la créativité éditoriale alors que la production de nouveautés atteint le chiffre record de plus de 52 000 titres en 2004, soit deux fois plus qu'il y a dix ans et trois fois plus que dans les années 70.

Observons toutefois que ces chiffres sont largement dépassés par nos voisins puisque le Royaume-Uni produit 100 000 nouveautés par an, l'Espagne 80 000 et l'Allemagne, pays dans lequel toutes les thèses universitaires sont publiées, 100 000.

La question n'est pas celle des statistiques de nouveautés mais bien de processus plus diffus qui pourraient porter atteinte à la qualité et à la diversité de la production de livres, notamment dans des secteurs comme les sciences humaines, la littérature, ou les livres d'art.

La recomposition capitalistique s'accompagne souvent de l'arrivée de nouveaux dirigeants qui doivent rendre des comptes à des actionnaires très exigeants sur la rentabilité de leurs investissements. Dès lors, la prise de risque, le pari irrationnel sur un auteur inconnu, qui font le cœur du métier d'éditeur, peuvent être singulièrement bridés par la normalisation et la rationalisation des nouvelles procédures de décision.

On peut aussi regretter que les auteurs soient en quelque sorte pris en otages ou considérés comme des actifs à valoriser dans ces tractations sur lesquelles ils n'ont pas leur mot à dire et qui ne modifient pas les conditions contractuelles qui les lient à leur éditeur, à la différence des journalistes qui bénéficient de la clause de conscience en cas de changement d'actionnaire du journal qui les emploie.

L'un des nouveaux éditeurs les plus influents a pu ainsi dire que chaque livre devait gagner de l'argent ce qui n'est pas la tradition des grands éditeurs français qui acceptaient de publier des manuscrits dont ils savaient pertinemment qu'ils ne seraient pas rentables, au moins à court terme, grâce aux bénéfices tirés de la publication d'un best-seller. Ce sont ces compensations qui ont fait l'histoire littéraire française et non pas des plans marketing de lancement toujours plus coûteux ou sophistiqués.

Il n'appartient pas à l'Etat de s'immiscer dans les modes de gestion internes des groupes d'édition mais l'on peut regretter la disparition progressive dans ces grandes structures d'une certaine conception du métier qu'incarnent encore quelques figures de la profession, pour la plupart proches de la retraite.

En revanche, l'Etat peut aider la publication d'œuvres qu'il estime appartenir au patrimoine national, ou bien qui relèvent de genres qui ne trouvent pas spontanément leur place sur le marché. N'oublions jamais que la dictature du succès rapide et de la rotation accélérée de certains livres « événements » qui ont perdu tout intérêt six mois après leur publication, peut conduire à condamner des chefs-d'œuvre qui ont besoin de plus de temps pour s'affirmer.

C'est pourquoi l'Etat suit l'évolution de la publication de livres appartenant à ces secteurs dits de vente lente selon la classification Dewey utilisée par la base bibliographique Electre et qui regroupe essentiellement la littérature, la philosophie, la poésie, le théâtre, l'art et la bibliophilie et les sciences humaines. Le nombre de titres appartenant à ces catégories est estimé à 18 500 en 2005 et à 17 750 en 2004, ce qui n'est pas négligeable.

L'Etat encourage aussi directement la création littéraire en subventionnant, via le Centre national du Livre (CNL), des auteurs et des éditeurs sur des projets qui ne trouveraient pas spontanément leur équilibre sur le marché. La réforme entérinée par le CNL en mars 2005 a ainsi fort utilement remis le projet éditorial au cœur du système d'aides.

Le CNL a consacré 2,8 millions d'euros, soit plus de 12 % de ses aides totales, aux auteurs, sous forme de 380 bourses de découverte, de création ou d'année sabbatique et près de 6 millions d'euros, soit 27 % de ses aides totales, aux éditeurs.

Les aides aux éditeurs peuvent subventionner la publication (sciences humaines, poésie, théâtre mais pas de romans d'expression française), la traduction ou l'extraduction, et, sous forme de prêts, le développement de l'entreprise.

Le classement de ces différentes aides par domaines éditoriaux montre que viennent en première place les sciences de l'homme (18 %) pour lesquelles elles sont vitales, puis les littératures étrangères (15 %), la poésie (10 %), et l'art et la bibliophilie (9 %).

Le dynamisme et l'innovation peuvent aussi venir des maisons plus petites car l'édition reste un secteur très atomisé dont le ticket d'entrée est relativement faible, même s'il reste difficile de franchir rapidement des étapes significatives de développement.

Le syndicat national de l'Edition ne compte qu'un peu plus de 300 adhérents qui réalisent 90 % de l'activité mais le nombre d'éditeurs et de micro-éditeurs est bien plus élevé. On évoque parfois le chiffre de 5 000 structures d'édition dont 1 000 peuvent être considérés comme des éditeurs réguliers et professionnels.

Certaines de ces maisons peuvent être aidées par les DRAC. Une étude portant sur la période 2000-2003 montre que les DRAC ont aidé 262 maisons d'édition dont 86 au moins deux fois pendant ces quatre années. Les aides ont porté principalement sur des maisons publiant exclusivement de la littérature (23 % du montant des aides), ou des ouvrages régionalistes (12 %) ou portant sur les arts (11 %). Il s'agissait essentiellement d'aide à l'informatisation, de projet de développement ou d'animation liée à un salon ou une fête du livre.

Une des questions centrales pour ces petites maisons comme pour les grandes est celle de la distribution et de la diffusion dont les récentes opérations de concentration ont encore augmenté l'importance.

b) Le point nodal de la distribution

Dans la chaîne du livre, le maillon essentiel, que le grand public méconnaît, c'est le distributeur, c'est-à-dire celui qui assume l'ensemble des tâches matérielles et logistiques liées à la circulation physique du livre et à la gestion des flux financiers qui en sont la contrepartie. Le distributeur assure le suivi des ventes et des comptes clients et gère les stocks pour le compte de l'éditeur.

Le diffuseur quant à lui, assure la promotion des ouvrages auprès des détaillants avec des équipes de représentants exclusifs ou multicartes.

La distribution a pris une importance croissante depuis son apparition comme activité spécialisée dans les années 70. Elle est aujourd'hui le point de rencontre de la plupart des tensions interprofessionnelles, du fait de sa concentration, ce que n'a pas manqué de relever la Commission européenne en s'opposant à la fusion entre Hachette et VUP, principalement à cause de la position dominante qu'elle aurait créée sur le marché de la diffusion et de la distribution pour compte de tiers. Les cinq premiers distributeurs représentent 90 % du marché et les deux premiers 55 %.


Distributeurs de livre

Distributeur

Part de marché

Hachette distribution

30 %

Interforum (Editis)

25 %

Sodis (Gallimard)

15 %

Volumen (La Martinière Le Seuil)

12 %

Union distribution (Flammarion)

9 %

Source : Laurence Santantonios, « Tant qu'il y aura des livres », Bartillat 2005.

Le fait que les grands distributeurs appartiennent à des éditeurs et qu'ils assurent des prestations stratégiques pour leurs concurrents qui n'ont pas pu se doter d'un tel outil est une première source de questionnement.

La deuxième est de savoir quelle est la marge de manœuvre réelle de l'éditeur face à son distributeur, y compris au sein du même groupe, compte tenu de la dépendance de tous vis-à-vis de la logistique. La profitabilité importante des sociétés de distribution ne peut que renforcer leur audience auprès des actionnaires et des dirigeants des groupes dont elles relèvent, notamment si ces dirigeants ne sont pas eux-mêmes éditeurs. Dès lors, la question  est posée : la créature des éditeurs a-t-elle échappé à ses maîtres ?

La troisième est de savoir si cette puissance ne provoque pas la tentation de tenir pour quantité négligeable ceux qui n'ont pas les moyens de s'y opposer, comme les petits éditeurs ou les petits détaillants que sont les libraires.

Une enquête du syndicat national de l'Edition en date du 10 novembre 2004 auprès des petits éditeurs (2 726 destinataires du questionnaire, 589 réponses exploitables) a mis en évidence que ce type d'éditeurs est le plus souvent dépourvu de système professionnel de diffusion puisque 49 % d'entre eux déclaraient se diffuser par eux-mêmes exclusivement et 54 % d'entre eux dans moins de 100 librairies pour l'ensemble du territoire.

L'adaptation des systèmes actuels de distribution à la petite ou à la micro édition n'est donc pas assurée, la profession réfléchit à la mise en place d'autres formules, on ne peut que l'y encourager.

Cette industrialisation de la distribution peut aussi perturber la politique commerciale favorable, que certains éditeurs, notamment ceux qui sont les plus engagés dans la créativité littéraire, ont toujours conduite vis-à-vis des librairies indépendantes qui exposaient leurs livres et les diffusaient par un travail patient de conseil et de maintien dans les rayons ou sur les tables d'exposition. C'est une coalition vertueuse qui serait ainsi menacée.

Dans son rapport au ministre de la culture sur la mise en place d'une structure permanente de concertation et de médiation de l'économie du livre en date du 30 mai 2003, M. Francis Lamy exprime ces inquiétudes et va même plus loin puisqu'il estime que certaines dispositions de la loi du 10 août 1981 ne seraient pas pleinement respectées.

Il écrit ainsi :  « Alors que la loi est claire dans son principe général (selon son article 2, les remises accordées par les éditeurs aux libraires doivent être contractuellement fixées davantage en fonction de la qualité des services qu'ils rendent en faveur de la diffusion des livres que des quantités de livres acquises), le quantitatif l'emporterait parfois sur le qualitatif, le qualitatif ne serait pas suffisamment pris en compte, des remises d'enseigne seraient pratiquées, des remises de fin d'année seraient accordées à des chaînes, des remises préférentielles bénéficieraient à des librairies appartenant au même groupe que l'éditeur ».

Dans le même rapport, M. Francis Lamy évoquait aussi l'insuffisante transparence dans la négociation du fait de l'indisponibilité des conditions générales de vente ou les dysfonctionnements de l'office (expédition des nouveautés aux libraires sans commande préalable) en raison du cycle de trésorerie favorable au distributeur qu'il génère.

c) La création souhaitable d'un médiateur du livre

Les raisons pour lesquelles la chaîne du livre aurait besoin d'un médiateur restent d'actualité, plus de deux ans après la remise du rapport Lamy, comme en témoignent des difficultés persistantes entre les libraires, les distributeurs et certains éditeurs.

Les différents acteurs de cette chaîne n'ont pas toujours les mêmes intérêts ni les mêmes moyens pour faire entendre leur point de vue. Ce médiateur aurait donc comme fonction première d'exercer une mission de conciliation en s'appuyant sur les textes régulant le secteur du livre comme sur le droit de la concurrence.

Il pourrait veiller à l'application rigoureuse des textes et dégager une doctrine sur les points qui méritent une interprétation. Dotée d'un pouvoir de recommandation et non pas d'injonction, sa seule existence dissuaderait certains comportements fautifs constatés actuellement comme l'absence d'indication du prix sur certains livres, des exclusivités accordées par certains éditeurs à certains réseaux de distribution pour des raisons commerciales, le refus de paiement des auteurs par certains éditeurs, les remises quantitatives imposées aux libraires.

En cas de faute prolongée, le médiateur pourrait engager les instances nécessaires auprès du Conseil de la concurrence ou de la justice

Sans être intrusive, son intervention permettrait de prolonger celle des instances interprofessionnelles qui n'ont pas toujours l'autorité ou la légitimité nécessaire pour trancher les litiges. Il permettrait aussi de mieux défendre les intérêts du secteur auprès d'autres professions quand celles-ci s'engagent dans des opérations contestables comme actuellement la presse quotidienne avec la vente couplée avec les journaux de livres d'art ou d'encyclopédies.

L'accélération de la numérisation des supports de la lecture qui caractérisera la période à venir ne peut que conforter la légitimité d'un médiateur pour concilier les intérêts des auteurs, des éditeurs et des bibliothèques qui ne sont pas toujours convergents, même si la loi du 18 juin 2003 sur le droit de prêt a considérablement apaisé les tensions entre ces différents professionnels du livre.

4. La loi sur le droit de prêt : l'apaisement des relations entre les bibliothécaires et les autres professionnels du livre

La loi n°2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs poursuivait deux objectifs qui sont en passe d'être atteints.

Il s'agissait en premier lieu d'assurer une rémunération des auteurs et des éditeurs en contrepartie de la lecture des livres par les usagers des bibliothèques publiques, au moyen d'un prélèvement de 6 % sur le prix public d'achat des ouvrages destinés aux bibliothèques de prêt, acquitté par les fournisseurs et d'une contribution de l'Etat, proportionnelle au nombre des inscrits en bibliothèques publiques de prêt, associatives et privées, à l'exception des bibliothèques scolaires.

Ce principe de rémunération au titre du prêt en bibliothèque satisfait une revendication historique et légitime des éditeurs et des auteurs et porte sur un segment significatif du marché puisque les achats de livres par les bibliothèques concernées sont évalués à une centaine de millions d'euros par an soit de l'ordre de 4 % du marché de l'édition.

La loi prévoit aussi d'affecter une partie de ces fonds au financement d'un régime de retraite complémentaire pour les auteurs et traducteurs afin de prendre en charge 50 % des cotisations dues par la population considérée (environ 2 300 personnes).

La perception et la répartition des sommes ainsi collectées relèveront de la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) qui a été agréée par arrêté du ministre de la culture en date du 7 mars 2005.

La contribution de l'Etat au titre des années 2003 et 2004 a été versée peu après cet agrément, soit 2,5 millions pour 2003 et 8,5 millions pour 2004. La contribution pour 2005 s'élève à 12 millions d'euros et elle sera du même ordre pour les années à venir. Dans l'attente de l'agrément de la SOFIA, les fournisseurs des bibliothèques ont été invités à constituer des provisions représentatives de leurs contributions qui pourraient être perçues à la fin de 2005. Le versement des premières rémunérations aux auteurs et éditeurs pourrait donc intervenir mi 2006, soit trois années après l'adoption de la loi, ce qui est tardif.

Le second objectif poursuivi par cette loi était de réintroduire les libraires dans les commandes passées par les bibliothèques publiques en plafonnant les rabais consentis par les fournisseurs à 9 % du prix public des livres afin de faire jouer la concurrence sur d'autres éléments que le prix (réactivité, conditionnement, prestations qualitatives, animations).

Une première analyse sur un échantillon limité de bibliothèques montre que l'objectif est satisfait car les librairies seraient devenues majoritaires dans les trois quarts des marchés passés en 2004-2005 alors qu'elles ne l'étaient que dans un tiers d'entre eux antérieurement. Cette étude sera confirmée par une exploitation statistique des avis d'attribution des marchés publics mais elle rejoint les estimations des libraires qui confirment leur retour comme fournisseurs des bibliothèques au détriment des grossistes qui occupaient une place dominante avant l'adoption de la loi.

Néanmoins, cette activité n'est pas encore à la portée de tous les libraires car elle requiert une expertise des marchés publics qui demande un fort coefficient d'apprentissage malgré les outils mis à disposition par le syndicat professionnel ou la direction du Livre.

Cette mesure de plafonnement des rabais a pu renchérir le prix d'achat des livres par les collectivités qui gèrent les bibliothèques, c'est la raison pour laquelle le Centre national du livre a mis en place un dispositif d'accompagnement de la transition destiné à compenser les pertes de pouvoir d'achat des collectivités afin de maintenir leurs budgets d'acquisition.

Doté de 3 millions d'euros en 2004, ce plan a bénéficié à plus de 600 bibliothèques et il s'est souvent traduit par des abondements nets des budgets d'acquisition. Poursuivi en 2005, il n'a pas vocation à être pérennisé au-delà de la période de transition entre les deux systèmes.

B. LA LECTURE : UNE PRATIQUE CULTURELLE EN MUTATION

On constate depuis quelques années une diversification des supports de lecture et une modification des pratiques des usagers des bibliothèques publiques qui obligent les pouvoirs publics à adapter leurs politiques, notamment dans la perspective de la numérisation qui abolit les frontières traditionnelles et qui risque de bouleverser bien des habitudes.

1. Lecture et livre, un clivage qui s'accroît

L'augmentation du temps libre qui caractérise les trente dernières années ne s'est pas accompagnée d'une croissance de la « consommation » de livres, comme le montrent les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français.

Nombre de livres lus au cours des douze derniers mois
(hors lecture scolaire et professionnelle)

(en % de la population)

1973

1981

1988

1997

2003*

Non-lecteurs

30

26

26

26

32

Faibles lecteurs

24

28

32

34

33

1 à 4 livres par an

14

19

19

23

23

5 à 9 livres par an

9

9

12

12

10

Moyens lecteurs

17

17

18

18

16

10 à 14 livres par an

13

13

14

14

nd

15 à 19 livres par an

4

4

4

4

nd

Forts lecteurs

28

26

24

19

19

20 à 24 livres par an

6

8

7

5

{ 11

25 à 49 livres par an

9

8

8

6

50 livres et + par an

13

10

9

8

8

NSP

1

2

1

3

0

TOTAL

100

100

100

100

100

* Hors lecture de bandes dessinées.

Sources :

(a) Pour les années 1973, 1981, 1988 et 1997 : pratiques culturelles des Français, ministère de la culture/DEP (3000 personnes de 15 ans et +)

(b) Pour l'année 2003 : Insee, enquête participation culturelle et sportive.

Même si les données de 2003 ne sont pas strictement comparables aux précédentes, ce tableau illustre la diminution du noyau de forts lecteurs de livres qui est passé de 28 % à 19 % entre 1973 et 2003.

En revanche, la hausse des non-lecteurs constatée en 2003 doit être relativisée car les enquêtes précédentes ne tenaient pas compte des lecteurs exclusifs de bande dessinée qui sont estimés à 3 % et qui doivent être ajoutés aux chiffres de 1997 pour être comparés aux données de 2003.

Les chiffres sont éloquents : un tiers des Français ne lit pas de livres et un autre tiers relève de la catégorie des faibles lecteurs (moins de 9 livres par an) ; moins de la moitié des Français lit plus de 4 livres par an, soit un par trimestre.

Par ailleurs, la domination des femmes s'affirme comme une tendance forte, sensible dès la pré adolescence. Les lecteurs sont surtout des lectrices notamment dans le genre de la fiction, puisque les femmes sont près de trois fois plus nombreuses que les hommes à lire des romans autres que policiers.

La lecture ne s'est jamais totalement identifiée au seul support du livre au moins depuis l'apparition de la presse. Ce qui est frappant dans ce secteur, c'est l'affaiblissement des titres à fort contenu textuel, en premier lieu des quotidiens nationaux qui multiplient les nouvelles formules toujours plus aérées et riches en iconographie, dans la foulée des gratuits, et le dynamisme des magazines dont les Français sont toujours davantage consommateurs. Ils sont ainsi près de 48 millions à lire chaque mois au moins un magazine.

Cette croissance est surtout tirée par les magazines de télévision (sept des dix hebdomadaires les plus lus) et par les magazines féminins.

Mais la question essentielle qui se pose avec une acuité croissante est celle de la diversification des supports de la lecture, favorisée par la culture de l'écran, et celle du poids relatif du texte dans ce processus irréversible de convergence des données, sous forme d'images, de sons, de graphiques ou de dessins.

Au-delà de la concurrence d'autres activités de loisirs comme la télévision qui, avec une consommation moyenne de trois heures et vingt-sept minutes par individu et par jour, continue à progresser, c'est bien cette juxtaposition sur le même support qui menace directement le texte et a fortiori le livre.

La multiplication exponentielle et récente des écrans de poche pour réception mobile de jeux vidéos, de programmes de télévision, de photos ou de lecture de produits multimédia est une illustration nouvelle de cette tendance de fond. Ces nouvelles pratiques nomades seront de plus en plus développées alors que les déplacements (voyages, trajets domicile travail en transport en commun) constituaient traditionnellement un moment privilégié pour le livre et la lecture.

En juin 2000, la direction du Livre concluait ainsi une synthèse sur la sociologie de la lecture en France « L'importance acquise par le son et l'image dans l'univers culturel des jeunes générations conduit à s'interroger sur leur capacité à faire fonctionner leur imaginaire à partir des mots seuls, et pose la question du roman, dont on peut craindre non pas la disparition mais le repli sur un lectorat au profil sociologique de plus en plus homogène ».

Ce constat est plus que jamais d'actualité et conduit à se pencher sur l'adaptation de notre réseau de bibliothèques à ces évolutions technologiques et culturelles.

2. Bibliothèques : comment répondre à la révolution numérique ?

a) Un effort constant depuis quarante ans

Depuis le célèbre constat dressé en 1967 par Georges Pompidou « en matière de lecture publique, tout reste à faire », la France a mené une politique continue de modernisation et de développement de ses bibliothèques publiques associant l'action de l'Etat et des collectivités territoriales.

Le phénomène s'accélère à partir de 1977 avec l'ouverture de la Bibliothèque publique d'information (BPI) au centre Pompidou à Paris qui synthétise les tendances innovantes et inspire un mouvement de généralisation du concept de médiathèque.

En dix ans, le nombre des bibliothèques municipales augmente des trois quarts et la surface d'accueil double quasiment pour atteindre 1 200 000 m² en 1990 ; elle dépassera les 2 millions en 2001. La France compte actuellement environ 4 000 bibliothèques municipales et 97 bibliothèques départementales de prêt.

Entre 1971 et 2001, le nombre d'inscrits passe de moins de 1,2 million à plus de 6,7 millions, soit une multiplication par 5,6. Sans jamais atteindre le niveau de fréquentation de nos voisins anglo-saxons ou scandinaves, les bibliothèques sont tout de même devenues l'équipement culturel préféré des Français.

Après la phase de consolidation de grands équipements desservant la quasi-totalité des centres des villes, les pouvoirs publics s'engagent dans une politique de proximité, cherchant à aller au-devant des usagers, après avoir constaté que le rayon d'action maximal d'une bibliothèque est de l'ordre de quinze minutes en voiture.

Des antennes, des dépôts, des bibliobus sont donc mis en place. Plus récemment, en 2003, le programme des médiathèques de proximité, les Ruches, est lancé à destination des zones rurales isolées et des quartiers urbains périphériques. En deux ans, plus de 100 000 m² sont ainsi construits ou réhabilités, à 80 % en zone rurale avec un soutien de l'Etat de plus de 40 % de leur coût prévisionnel, soit de 18 millions en 2004 pour 96 projets.

Afin de continuer à accompagner cet effort d'équipement, l'Etat propose une réforme du concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD) à l'article 83 du présent projet de loi de finances. Il s'agit de concentrer l'aide sur l'investissement et de mettre fin à un saupoudrage de l'aide au fonctionnement, très marginale, de simplifier des procédures administratives d'instruction très complexes et de répondre au développement de l'intercommunalité dans ce domaine.

Ce concours particulier est l'instrument d'action principal de la Direction du livre en terme financier puisqu'il s'élève à plus de 170 millions d'euros en 2005, ce qui permet notamment de soutenir environ 700 opérations de construction, de modernisation ou d'extension de bibliothèques municipales. Pour 2006, cette dotation sera augmentée de 2,75 %.

b) La fréquentation : une inversion de tendance depuis 1998

Depuis 1998-1999, le nombre d'inscrits plafonne en valeur absolue autour de 6,7 millions de personnes alors que l'on continue à livrer de l'ordre de 60 000 m² de nouvelle surface nette par an. Corrélativement, le pourcentage d'inscrits par rapport à la population desservie baisse : il est ainsi passé de 18,4 % en 1998 à 17,1 % en 2003.

La prolongation des courbes constatées dans la décennie 80 aurait dû donner un chiffre voisin de 25 % en 2000. Le décrochage semble s'être produit vers 1995 et cette érosion ne s'est pas arrêtée depuis, alors que les chiffres de la France restent faibles par rapport aux pays comparables comme le Royaume Uni ou l'Allemagne qui s'établissent plutôt à 40 %. Plus inquiétant, la catégorie des moins de 14 ans concentre une forte proportion de cette baisse des inscrits.

Ces chiffres ne prennent pas en compte les usagers qui séjournent dans les bibliothèques sans y être inscrits et qui ne peuvent donc pas emprunter d'ouvrages, pratique qui s'est développée dans la décennie 80 en corrélation avec le développement des médiathèques mais qui n'est pas mesurée statistiquement et qui ne semble pas à elle seule expliquer ou compenser la baisse des inscrits.

Il est tout aussi frappant de constater que même les établissements incarnant la modernité et l'adaptation aux nouveaux usages, comme la BPI au centre Pompidou, ne sont pas épargnés par cette tendance. Depuis 2001, la BPI observe ainsi une baisse sensible de ses entrées quotidiennes, qui sont passées de 6 769 en moyenne en 2001 à 5 931 en moyenne en 2004, soit moins 12 %. Cette baisse s'accompagne toutefois d'un allongement de la durée moyenne de visite qui est passée de 2 heures 28 minutes en 2001 à 2 heures 43 minutes en 2004.

Par définition la BPI ne dispose pas d'inscrits puisqu'on n'y emprunte pas d'ouvrages, la baisse de ses usagers concerne donc les seuls « séjourneurs » dans une ville qui se caractérise par un sous-équipement en bibliothèques publiques, notamment universitaires. Elle est donc tout à fait significative.

Face à cette inversion de tendance, la direction du Livre a lancé une enquête de grande ampleur en 2005 dont elle attend les résultats pour le début 2006 ; au-delà d'une information sur les causes de ce phénomène, cette enquête devrait fournir des éléments sur la diversification des pratiques afin d'en tirer rapidement les conséquences.

c) La diversification des usages, quelles limites ?

Depuis la multiplication des médiathèques et la numérisation potentielle de tous les supports, on assiste à une diversification des usages des bibliothèques municipales, bien au-delà de l'emprunt classique de livres. Cette tendance s'accélère dans l'ensemble du monde développé et provoque de plus en plus d'interrogations de la part des bibliothécaires sur l'évolution de leur métier.

Si l'emprunt d'imprimés reste encore largement majoritaire puisqu'en 2002, les usagers empruntaient 24 livres par an et par personne dans les bibliothèques municipales contre moins de 6 phonogrammes et plus de 2 vidéogrammes, il a tendance à baisser au profit de l'emprunt d'autres supports.

S'agissant des pratiques sur place, les données sont moins sûres mais l'on constate partout une augmentation de la consultation des services multimédia mis à la disposition des usagers en accès direct.

L'exemple de la BPI est particulièrement intéressant car il donne une idée des demandes croissantes et des réponses fournies depuis les travaux de modernisation qui ont permis la réouverture en 2000.

Selon une enquête datant de novembre 2003, la consultation de livres reste la pratique majoritaire puisque 65 % des personnes interrogées déclaraient avoir utilisé des livres le jour de l'enquête alors que 14 % avaient consulté des journaux et magazines d'information générale, 13 % des revues spécialisées, 8 % avaient fréquenté l'espace son vidéo, 5 % les télévisions du monde et 5 % l'espace autoformation.

Les chiffres concernant l'espace autoformation correspondent à des effectifs importants puisque cela représente entre 700 et 800 réservations par jour. S'agissant de la fréquentation des postes offrant librement l'accès à Internet, il s'agit même d'une saturation de l'offre car la BPI a volontairement contingenté cette proposition en prévoyant seulement une cinquantaine de postes pour 2 200 places assises. A titre d'exemple, la nouvelle bibliothèque publique d'Amsterdam dont l'ouverture est prévue en 2007 a fait un choix inverse en prévoyant 600 postes avec accès Internet sur un total de 1 250 places assises.

La conception et l'utilisation de l'espace autoformation de la BPI illustrent les potentialités mais aussi les ambiguïtés des nouvelles pratiques des bibliothèques. Cet espace propose ainsi des programmes de formation concernant des domaines très différents (bureautique, management, pratique, langues) avec différentes sortes d'outils comme des cédéroms, des modules d'apprentissage en ligne, des sites Internet sélectionnés par la BPI et libres d'accès. Les enquêtes sur les pratiques des habitués de cet espace montrent que beaucoup revendiquent une autonomie d'accès et d'usage des outils mis à leur disposition ce qui ne permet pas toujours d'en faire le meilleur usage et relativise le rôle du bibliothécaire comme médiateur. Certains confondent la BPI et l'ANPE en demandant un animateur pour les aider à envoyer leurs lettres de candidature à des emplois.

Il faut reconnaître que les services offerts par certaines bibliothèques favorisent parfois ce genre de confusion. Devant l'évolution de la demande et la dématérialisation des différents supports (livres, journaux, estampes, photos, incunables), beaucoup s'interrogent sur l'avenir du métier de bibliothécaire face à la révolution numérique et évoquent le concept de bibliothèque hybride, à la fois matérielle et immatérielle.

Plusieurs modèles sont ainsi évoqués comme celui de forum culturel, qui allie convivialité des espaces, animations culturelles, débats et rencontres, finalement assez proche des anciennes maisons de la culture. D'autres pensent plutôt à un espace de consultation exclusivement électronique où l'ensemble des supports n'en fait plus qu'un, avec un aboutissement paradoxal que l'on commence à voir aux Etats-Unis ou à Singapour, pays dans lesquels certaines bibliothèques se résument à la mise à disposition d'un espace doté de connexions wi-fi et d'une bonne cafétéria et où les usagers se rendent avec leur micro-ordinateur personnels.

Ces hypothèses présentent des points communs inquiétants comme la marginalisation du livre - mais peut-on imaginer des bibliothèques sans livres ?- et l'effacement progressif du bibliothécaire, en sa qualité essentielle de conseil et de médiateur qui oriente l'usager dans la masse de l'information à l'aide d'outils comme les catalogues.

Face à ces interrogations, le rapporteur estime qu'il est du devoir des pouvoirs publics et notamment de la direction du Livre, d'établir une doctrine, d'envisager des modèles de bibliothèques du futur, au terme d'une large concertation qui pourrait peut-être conduire à l'élaboration d'une loi-cadre qui préciserait ce que la nation attend de ses bibliothèques et des 30 000 personnels qualifiés qui les animent.

La numérisation pose aussi la question essentielle de la modernisation de la circulation et de la diffusion des œuvres détenues par les bibliothèques et donc de leur éventuelle consultation à distance.

3. La bibliothèque numérique européenne : un projet dont les contours doivent être précisés

Lorsque les dirigeants de l'entreprise Google ont affirmé, avec leur projet Google print, vouloir numériser 15 millions de livres en vue « d'organiser l'information du monde », ils ont déclenché des réactions légitimes d'inquiétude et de scepticisme devant cette nouvelle annonce messianique venant des Etats-Unis.

Alors que l'on évalue la totalité des ouvrages imprimés en Occident depuis Gutenberg à un peu plus d'une centaine de millions de références, les volumes annoncés par Google semblaient très importants.

Très rapidement, après les accords passés avec quelques bibliothèques prestigieuses, il est apparu que Google entendait remplir ses objectifs grâce à des méthodes contestables puisque violant frontalement la réglementation protégeant le droit d'auteur. De fait, le projet est actuellement la cible d'actions en justice entreprises aux Etats-Unis par les sociétés d'auteur et les syndicats d'éditeurs et son dynamisme semble enrayé.

L'un des mérites de ce lancement tonitruant aura été de provoquer des réactions de défense, notamment en France et en Europe, et de placer dans le débat public le dossier de la bibliothèque numérique, qui n'est pas une notion tout à fait nouvelle.

Dès 1997, la BNF décidait en effet de proposer en accès gratuit et distant des documents numérisés et lançait Gallica, véritable bibliothèque numérique dès sa naissance et non pas seulement exposition virtuelle de richesses patrimoniales comme c'était à l'époque le concept dominant en matière de numérisation.

L'une des premières réponses apportées à Google a été le projet de bibliothèque numérique européenne (BNUE), évoqué dès le mois de mai 2005 par le président de la République et cinq chefs d'Etat ou de gouvernement européens (Allemagne, Hongrie, Espagne, Italie et Pologne). Ce projet est ambitieux et complexe et fait l'objet d'un important travail de conception de la part d'un comité de pilotage qui associe des experts d'horizons très différents et qui rédiger un livre blanc pour le mois de janvier 2006.

Il a apparu utile au rapporteur d'évoquer quelques suggestions ou de rappeler certains principes importants, au moment où les pouvoirs publics doivent se prononcer sur les contours de la BNUE.

L'objectif essentiel de la BNUE doit être de mettre gratuitement à la disposition du plus grand nombre les textes fondateurs de la civilisation européenne. Il ne s'agit donc pas d'une bibliothèque encyclopédique prioritairement destinée aux universitaires et aux chercheurs.

Ces textes peuvent relever de la littérature, de l'histoire des sciences ou des idées, mais pas de la recherche actuelle publiée dans les revues spécialisées.

La priorité doit être d'en disposer en version originale mais des traductions dans les langues de travail de l'Union européenne seront indispensables.

Une première étape pourrait être de réunir le patrimoine littéraire des différents Etats membres de l'Union européenne, soit sous forme de sélections d'œuvres de référence, soit sous forme d'œuvres intégrales de certains auteurs phares.

L'usage de cette bibliothèque pourrait être le téléchargement pour la constitution de bibliothèques personnelles de référence, ou la consultation avant achat en librairie, ou l'impression partielle en vue de la constitution de dossiers thématiques ou de l'utilisation d'extraits, à titre de citations ou de références.

Au vu des pratiques actuelles sur Gallica, qui commencent à être significatives, puisque 1,5 million de documents sont consultés mensuellement, soit plus que les consultations physiques dans l'enceinte de la BNF, la lecture intégrale à l'écran ou l'impression intégrale semblent minoritaires.

Le deuxième principe qui paraît essentiel, notamment pour tirer les enseignements du contre exemple de Google, c'est le respect scrupuleux de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur. La BNUE ne peut exposer que les textes appartenant au domaine public (70 ans après le décès de l'auteur ou, s'agissant des articles, 70 ans après la parution de la revue) ou pour l'exploitation desquels les auteurs ont donné leur accord.

C'est la doctrine qui prévaut actuellement en matière de consultation à distance puisque les 26 000 documents non libres de droits numérisés sur Gallica ne sont consultables que dans les salles de lecture de la BNF, en vertu d'un accord passé avec les éditeurs pour une durée de dix ans.

Dans un rapport sur l'accès aux œuvres numériques conservées par les bibliothèques publiques remis au ministre de la culture et de la communication en avril 2005, M. François Stasse propose de généraliser la consultation sur place des œuvres numérisées appartenant à la zone grise, c'est-à-dire des œuvres protégées par le droit d'auteur mais qui ne sont plus présentes dans le réseau de distribution commerciale et d'autoriser, à titre expérimental, leur consultation à distance.

Cette proposition, visant à assurer une deuxième vie aux livres dont les piles s'entassent dans les entrepôts des distributeurs sans contrepartie pour les auteurs, était soumise à l'accord préalable de l'éditeur agissant en son nom et en celui de l'auteur et à l'institution d'une rémunération, vraisemblablement forfaitaire, par l'intermédiaire d'un portail payant. Il s'agissait en quelque sorte d'une transposition au numérique du droit de prêt mis en place pour les bibliothèques réelles.

Les éditeurs semblent encore majoritairement opposés à cette évolution au motif principal qu'ils ne disposent pas de garanties sur la circulation et l'exploitation des œuvres, une fois qu'elles seront numérisées et accessibles sur l'Internet. Le contre modèle toujours cité est celui de l'industrie du disque, minée par le piratage et le téléchargement sauvage.

Les progrès technologiques et juridiques faits par la lutte contre le piratage comme la mise en place de filtres dans les logiciels de téléchargement ou les systèmes de gestion de barrières mobiles pour la mise à disposition en ligne de revues ou de journaux dans le respect des ayants droit,conduiront vraisemblablement les éditeurs à évoluer, mais il est peu probable qu'ils acceptent majoritairement de déléguer la commercialisation des œuvres dont ils détiennent les droits à des tiers, a fortiori s'il s'agit du portail de la BNUE contrôlé par un opérateur appartenant à la sphère publique.

En tout état de cause, il n'appartient pas aux pouvoirs publics de contraindre les éditeurs et les auteurs à changer de position, et le projet de loi en discussion transposant la directive du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, conforte la protection du droit d'auteur, y compris vis-à-vis des bibliothèques, en renvoyant d'éventuels aménagements à la négociation contractuelle.

Enfin, la BNUE ne peut se résumer à une mise en réseau de sites existant mais doit être incarnée par un portail avec une identité visible et affirmée, afin de lui garantir une notoriété indispensable à sa consultation par le grand public.

Elle doit donc reposer sur un opérateur qui assume notamment la coordination des fonds numérisés par les différentes entités appartenant au projet (pas exclusivement des bibliothèques mais aussi des éditeurs qui le souhaitent), qui veille au respect de normes et standards de numérisation, et qui assure un référencement étendu du site auprès des différents moteurs de recherche.

Compte tenu des délais inhérents aux procédures européennes d'instruction des grands projets de ce type, il est indispensable que la France propose rapidement, après avoir fédéré les nombreuses initiatives internes, un prototype ou une maquette permettant d'accélérer les processus. L'environnement est très mouvant et les projets concurrents de Google se multiplient, il est donc fondamental de progresser en parallèle des consultations communautaires.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DU MINISTRE

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu, en commission élargie à l'ensemble des députés, M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2006 de la mission « Culture » et de la mission « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale » au cours de sa séance du mardi 15 novembre 2005.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Nous examinons ce matin les crédits de la mission « culture » en commission élargie. Afin de permettre un échange de qualité, je vous rappelle que les interventions doivent rester brèves.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - A travers ce budget présenté conformément à la LOLF, j'ai voulu que la politique culturelle mise en œuvre rue de Valois repose sur un équilibre entre l'encouragement à la création d'aujourd'hui - inspirée des créations du passé et patrimoine de demain - et la conservation du patrimoine d'aujourd'hui - fruit de la création des générations précédentes. Dans cette période troublée, cette alliance entre patrimoine et création est l'expression de la volonté du Gouvernement et du Parlement, et non du seul « ministre des beaux-arts », car le respect des racines, l'ouverture à l'autre et au futur ne sont pas uniquement des déclinaisons de la politique culturelle mais des choix politiques qui doivent rassembler.

Cette volonté d'équilibre, qui m'anime depuis dix-huit mois, se traduit dans ce budget de la mission « culture », dépenses de personnel inclues : 36 % en vont au programme « patrimoines », 33 % au programme « création » et 31 % au programme « transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Par ailleurs, je ne veux négliger aucun domaine. J'ai exposé ma politique en faveur du patrimoine lors des Journées européennes du patrimoine et du conseil des ministres du 13 septembre. Concernant le spectacle vivant, j'ai annoncé ma décision d'étendre les territoires de la musique à Strasbourg le 23 septembre ; j'ai dit ma volonté de renforcer la politique du théâtre le 5 octobre et celle des musiques actuelles le 7 octobre à Nancy, et ma volonté de soutenir la danse le 13 octobre. Chaque fois, j'ai insisté sur la nécessaire ouverture des lieux à la diversité des disciplines. S'agissant de la création, le Premier ministre a présenté le plan du Gouvernement lors de l'inauguration de la FIAC. Enfin, en collaboration avec M. de Robien, j'entends également relancer l'éducation artistique que j'ai défendue à Nantes, lors des assises nationales qui lui ont été consacrées.

Au-delà de ce souci d'équilibre, la politique culturelle participe de l'action du Gouvernement en faveur de l'épanouissement personnel de nos concitoyens, de la cohésion sociale, mais aussi de l'attractivité économique de notre pays. A cet égard, l'adoption à la quasi-unanimité de la convention pour la diversité culturelle, à l'initiative de la France, montre que notre politique culturelle est crédible. Le budget que je vous présente aujourd'hui est destiné à la conforter et l'attractivité de la France ne pourra qu'y gagner.

En 2006, le budget de la mission « culture » se montera à 2 886 millions en autorisations d'engagement et à 2 802 millions en crédits de paiement. A cela, il convient d'ajouter une dotation en capital de 100 millions issue des recettes des privatisations. Par cette mesure hautement symbolique, les recettes des privatisations reviendront dans le patrimoine de l'Etat, et ce pour couvrir des dépenses d'investissement et non de fonctionnement.

Les crédits de personnel, très clairement dissociés des autres dans la nouvelle présentation budgétaire, sont de 642 millions, soit 23 % des crédits de la mission. Ce ministère poursuivra la réduction de ses effectifs. Pour autant, l'accès d'un public plus nombreux à la culture et l'ouverture de nouveaux lieux nécessitent des moyens nouveaux. Il faut donc trouver un point d'équilibre entre la règle du non-remplacement et la nécessité de maintenir et de revaloriser certaines filières, notamment l'accueil et la surveillance, ainsi que de mettre la culture à la portée de tous.

Commençons par le programme « patrimoines », dont les autorisations d'engagement s'élèvent à plus de 1 080 millions et les crédits de paiement à 976 millions d'euros, dotation en capital exclue. Ainsi, les moyens consacrés au patrimoine monumental augmenteront de 100 millions. Les difficultés et les besoins sur les chantiers des monuments historiques sont grands. Grâce à cet effort financier, l'engagement de l'Etat retrouve un rythme qu'il n'avait jamais connu avant la tempête de 1999. Mais la gestion en 2006 sera, je vous l'avoue, très tendue.

Dès l'an prochain, le ministère disposera d'une programmation précise des quelque dix mille chantiers en cours. Grâce à l'informatique de gestion, nous pourrons répondre plus facilement aux interrogations sur la poursuite des chantiers et mieux gérer les crédits disponibles.

La dotation en capital permettra de garantir la bonne exécution d'un certain nombre de chantiers pour lesquels un effort particulier était nécessaire : la cité de l'immigration, la cité de l'architecture et du patrimoine, le château de Versailles et le Fort Saint-Jean à Marseille.

L'architecture bénéficiera également de mesures nouvelles, en particulier pour la rénovation des écoles et la revalorisation du statut d'architecte. Cette mobilisation sera poursuivie en 2007 pour accompagner la mise en place de la réforme licence-master-doctorat dans les écoles. Ces mesures sont le signe de l'intérêt de ce Gouvernement pour le cadre de vie des Français.

La dotation en faveur des archives, plus de 100 millions, est exceptionnelle. Elle est liée à la construction du nouveau centre des archives nationales de Pierrefitte, en Seine-Saint-Denis. La réhabilitation du site historique de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, débutera en 2006 avec la mise aux normes de sécurité, qui n'a que trop attendu. Puis viendra la réalisation d'un projet de réhabilitation complète permettant l'accès d'un public plus large à ces riches collections, ce que je souhaite ardemment.

Enfin, les musées. Ce budget permet le lancement de plusieurs chantiers ambitieux : le département des arts de l'Islam du Louvre, l'an prochain, et le château de Versailles dont le schéma directeur doit avancer au même rythme que la fréquentation. Par ailleurs, un effort pluriannuel important sera accompli pour que les châteaux-musées, tels Compiègne, Fontainebleau ou Pau, puissent accueillir de nouveaux publics.

Les ouvertures d'établissements nouveaux ou réhabilités seront nombreuses : le Centre national du costume de scène à Moulins sera inauguré au printemps, l'Orangerie, avec l'aide de la RMN, en mai, et le musée du Quai Branly en juin. La restructuration du Musée des arts décoratifs sera achevée en septembre tandis que se poursuivra la réalisation du Musée des civilisations européennes et méditerranéennes à Marseille.

S'agissant de la création, vous savez combien je tiens à développer une politique de l'emploi de qualité. La présence des créateurs sera renforcée au sein des lieux de production et de diffusion : les mesures visant à les associer davantage aux équipes de direction et à faciliter leur résidence dans les théâtres comme dans les institutions spécialisées sont détaillées dans les plans sectoriels. Il s'agit, dans le respect de l'indépendance des créateurs et des programmateurs - comme ce fut le cas cet été - d'encourager la naissance de projets ouverts, issus de la rencontre entre disciplines, artistes et public.

La dotation de 901 millions d'euros conforte les grandes institutions et les compagnies. Aux 601 millions d'euros consacrés au spectacle vivant, il convient d'ajouter les crédits de formation inscrits dans le troisième programme : une part de ces moyens est destinée au plan pour l'emploi lancé en 2005.

Deux grands lieux de renommée internationale ouvriront à nouveau leurs portes en 2006 : la salle Pleyel à l'automne et la salle Claudel du Théâtre de l'Odéon au printemps. La réhabilitation des ateliers Berthier, qui avaient hébergé les productions de l'Odéon, sera poursuivie pour accueillir dans la capitale les spectacles montés en province. Mais ces réouvertures ne nous font pas oublier la nécessité d'un grand auditorium, que le Premier ministre a appelé de ces vœux : j'ai engagé des discussions avec la ville de Paris et la région Ile-de-France sur la base d'un projet comportant une dimension architecturale et s'inscrivant dans une stratégie d'attractivité, à nos yeux essentielle.

Les 29 millions d'euros consacrés aux arts plastiques concerneront plus particulièrement le Palais de Tokyo, la manufacture des Gobelins et le Mobilier national. Le Premier ministre a annoncé l'organisation en 2007, au Grand Palais, d'une exposition internationale consacrée à l'art contemporain français ainsi qu'une série de mesures destinées à assurer le rayonnement de la création nationale : alignement sur le taux de TVA applicable aux créations audiovisuelles ; possibilité de remettre en dation des œuvres d'artistes vivants ; déductions fiscales pour les achats d'œuvres d'artistes ayant leur foyer fiscal en France.

Par ailleurs, si la loi du 1er août 2003 a créé des conditions très favorables au mécénat d'entreprise, l'instruction du 13 juillet 2004 en a réduit la portée en imposant aux entreprises des conditions strictes de présentation au public. A la demande du Premier ministre, ce régime sera assoupli : il suffira que l'œuvre soit placée dans un lieu accessible aux salariés, clients et partenaires de l'entreprise.

Enfin, le troisième programme de la mission « culture » comporte l'essentiel des crédits de personnel et de fonctionnement du ministère, mais aussi les crédits dédiés à l'éducation artistique et culturelle et aux enseignements artistiques, auxquels j'attache la plus haute importance : l'effort se montera là à 40 millions d'euros, contre 32,5 millions en 2002, ce qui suffit à faire justice des accusations de désengagement de l'Etat.

Notre idée centrale est de jumeler chaque établissement scolaire avec une équipe artistique, une structure ou un lieu culturel afin d'assurer une ouverture des élèves au monde des arts et de la culture. Nous devrons également mener avec la rue de Grenelle une réflexion sur la place de l'éducation à la culture dans les cursus éducatifs, au-delà des seuls enseignements artistiques traditionnels, et de leur intégration au socle fondamental des connaissances, principe réaffirmé par ailleurs par M. de Robien. Il reviendra au Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle de mener ce travail, en s'appuyant sur les excellentes propositions de votre mission et sur le rapport de Mme Marland-Militello.

Dans le domaine du cinéma, de la production audiovisuelle et de l'industrie du disque, la priorité est la poursuite d'une politique de l'emploi et d'une politique fiscale ambitieuses. Le crédit d'impôt en faveur de la production cinématographique, étendu à la production audiovisuelle en 2005, a permis de « relocaliser » de nombreux tournages, et de créer ou de sauvegarder 3 000 emplois tout en valorisant notre patrimoine et l'image de la France à l'étranger. Nous souhaitons étendre de telles mesures, qui permettent de soutenir nos créations et nos emplois et de relancer l'investissement et la prise de risque de nos industries culturelles : la création d'un crédit d'impôt pour les PME du disque, ainsi que d'un fonds d'avance remboursable, pourraient ainsi permettre de recréer 1 500 emplois directs et indirects dans ce secteur. Cette stratégie est d'ailleurs adoptée par nombre de pays européens : nous n'apparaissons plus comme des « hexagons-centrés », refusant l'échange !

Les crédits destinés au cinéma et à l'audiovisuel sont stabilisés en 2006. Au titre du soutien aux industries cinématographique et audiovisuelle, le budget d'intervention du CNC, de 495,5 millions d'euros, est alimenté par les taxes affectées à la mission « cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale » pour les programmes « industries cinématographiques et audiovisuelles ». Au titre des actions financées par le ministère de la culture, dont les crédits d'intervention et d'investissement sont gérés par le CNC, le budget s'élève à 41,9 millions.

Les subventions sont destinées pour l'essentiel à la nouvelle Cinémathèque française, que je vous conseille de découvrir si vous ne l'avez déjà fait. Sont également prévus la poursuite du plan de restauration des films et des travaux de construction aux Archives françaises du film du CNC. Le budget de cette institution devra être modernisé avec, à terme, une fusion des comptes et la suppression du compte d'affectation spéciale au profit d'une taxe affectée directement.

J'en viens à la modernisation de mon administration, indispensable à l'action de l'Etat dans un contexte budgétaire contraint, où mes marges de manœuvre sont encore restreintes par la LOLF. Tout d'abord, j'ai décidé de créer un poste de secrétaire général rue de Valois : le titulaire coordonnera la mise en oeuvre des réformes dans un ministère qui ne comporte pas moins de dix directions d'administration centrale et soixante-dix établissements publics.

Je souhaite en outre voir aboutir avant la fin du premier semestre de 2006 la réforme de la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles : j'ai confié à l'Inspection générale de l'administration de la culture une mission d'analyse du fonctionnement de la DMTS, et les professionnels seront largement associés à cette réflexion.

Vous le savez, la question de l'accès de tous à la culture se joue essentiellement dans les régions grâce à la déconcentration des crédits, à la décentralisation des missions et aux projets souhaités par les élus pour répondre aux besoins exprimés par la population. Dans le cadre de la réforme de l'administration régionale de l'Etat, j'ai créé des « pôles culture », établis auprès du préfet de région et animés par les directeurs régionaux des affaires culturelles. J'ai également souhaité la création dans chaque DRAC d'un service régional de l'architecture et du patrimoine pour donner plus de lisibilité et d'efficacité à notre action.

En vue de surmonter les cloisonnements actuels, j'ai enfin décidé que se tiendraient deux fois par an des conférences d'action culturelle de l'Etat, qui réuniront tous les acteurs concernés : ministre, directions d'administration centrale, directions régionales et responsables des établissements publics.

Ce ministère doit en effet simplifier son action pour la rendre plus visible et plus lisible. Les SDAP devront ainsi devenir un guichet unique en matière de patrimoine et d'architecture, dans le respect des prérogatives des conservations régionales des monuments historiques. La gestion de notre patrimoine se doit d'être exemplaire par sa simplicité. Tel est le sens des mesures que j'ai présentées le 13 septembre dernier en conseil des ministres.

Le projet de bibliothèque numérique européenne, que je pilote, avance et sera doté de 400 000 euros l'an prochain. Les propositions que j'ai faites hier au Conseil des ministres de l'Union européenne ont fait l'unanimité, mais il reste à définir les contours de ce projet d'où doivent jaillir de nouvelles sources de connaissances et de découvertes accessibles à tous : reposera-t-il sur une mosaïque de réseaux ou bien sur un moteur unique ? Si le projet est encore à géométrie variable, son ambition de rééquilibrage est portée par l'ensemble des 25.

Ce ministère est bien géré, et il est important que cela se sache pour tordre le cou aux idées fausses. Je me réjouis donc que le Sénat ait souligné l'excellente exécution de notre budget pour 2004 lors du débat sur la loi de règlement.

S'agissant enfin du seuil symbolique de 1 % du budget de l'Etat affecté à la culture, je vous avais dit l'an passé qu'il nous semblait en deçà des besoins réels, alors même que nous ne l'avions pas atteint. Avec les changements de périmètre, nous en sommes cette année à 1,1 %, mais cela reste insuffisant face à nos immenses besoins d'investissement culturels. Je reste donc un éternel mendiant. J'assume volontiers ce rôle car je ne suis pas en charge du « marginal sympathique », mais du rayonnement et de l'attractivité de notre pays. Par delà sa dimension économique, une action culturelle audacieuse est politiquement essentielle dans le contexte actuel. En organisant l'an dernier une visite du château de Fontainebleau destinée à 10 000 enfants et adolescents qui ne partaient en vacances, nous avions ainsi pour objectif de faire mieux connaître à ces jeunes parfois désarçonnés leur identité, leur culture et le pays dans lequel ils vivent. Ce budget est donc un budget politique au sens noble du terme. Un, dix ou vingt millions d'euros sur une ligne budgétaire correspondent parfois à des interventions essentielles, dont les chiffres peinent à rendre compte !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan - Nous notons avec satisfaction la passion que vous mettez à défendre votre budget et la gestion de votre ministère.

M. Olivier Dassault, rapporteur spécial de la commission des finances - « Rien n'oblige davantage à monter que la volonté de faire monter les autres ». Ces mots de Pie XII me serviront ce matin de guide dans mes observations et interrogations.

La nouvelle présentation des crédits est naturellement le fruit de la LOLF. Depuis le début de cette législature, j'ai déjà eu l'occasion de souligner plusieurs fois le rôle de pilote joué par le ministère de la culture, sous l'impulsion de M. Aillagon puis de M. Donnedieu de Vabres. La commission des finances se félicite qu'un document budgétaire moderne et adapté aux nouvelles exigences budgétaires ait pu être présenté sans difficulté cette année.

Une observation toutefois sur les dépenses fiscales : d'un montant de 165 millions d'euros, elles représentent près de 6 % des crédits de paiement. Sur les 19 recensées, seules six sont d'un impact significatif, supérieur ou égal à cinq millions d'euros. Je ne saurais donc trop préconiser une évaluation attentive de celles dont le coût reste inconnu ou l'effet insuffisant. Un mauvais rapport entre le coût de leur perception et la recette devrait conduire à leur suppression.

Saluons pour le reste l'effort de maîtrise des dépenses publiques réalisé par le ministère de la culture, même si certains éclaircissements apparaissent souhaitables.

Le programme « création » continue à privilégier largement le spectacle vivant, conformément aux engagements du Gouvernement, et nous ne pouvons que nous réjouir du rééquilibrage territorial qui a eu lieu. Mais je voudrais également rappeler notre souhait qu'au terme de deux années d'efforts parfois spectaculaires et toujours notables, on en revienne à une plus juste mesure.

Face aux cruelles disparités régionales qui affectent la préservation du patrimoine, je souhaiterais souligner la nécessité d'un rééquilibrage des politiques culturelles au profit du patrimoine, en particulier du patrimoine monumental. Conservatoires de nos savoir-faire ancestraux, les artisans et les entreprises des filières économiques liées au patrimoine doivent impérativement être soutenus : ils participent grandement à notre rayonnement mondial. N'oublions pas en effet que l'action du ministère de la culture vise à « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France », comme le précise le décret du 15 mai 2002 fixant ses attributions.

L'inscription de 29,3 millions d'euros au budget de ce ministère doit permettre la poursuite de grands investissements menés aux côtés des collectivités territoriales. Si certains projets nous semblent fort souhaitables, comme la création de nouveaux Zéniths à Nantes, Saint-Etienne et à la Réunion, d'autres nous semblent moins nécessaires, comme la construction d'un auditorium à Aix-en-Provence. Et ne serait-il pas préférable de faire enfin sortir de l'impasse le projet d'une grande salle de concert à Paris ?

S'agissant de la présentation budgétaire, la justification des crédits au premier euro reste imprécise, voire incomplète. Il serait souhaitable de nous préciser sur quelles dotations portent les baisses et les hausses. Nous regrettons par ailleurs que le ministère ait renoncé à ventiler entre les différents programmes les emplois des services déconcentrés : leur regroupement au sein du programme 3 va à l'encontre de l'esprit de la LOLF, qui prône une présentation des crédits selon leur finalité et en coûts complets, et il empêche toute comparaison par programme avec l'exercice précédent.

En revanche, un louable souci de sincérité et d'efficacité semble avoir guidé la révision et la simplification des objectifs inscrits dans le projet annuel de performance.

Il n'en reste pas moins que ce sont les DRAC qui appliquent la politique de création artistique : pourriez-vous donc nous indiquer, Monsieur le ministre, comment les objectifs seront déclinés sur le terrain ? Il nous semble que le ministère n'incite pas suffisamment ses opérateurs à conclure des contrats de performance. La présentation des emplois et des budgets des opérateurs devrait également être améliorée, et les emplois rémunérés à partir de la subvention versée par l'Etat devraient être distingués de ceux financés par les ressources propres des établissements publics.

Enfin, la politique d'acquisition des œuvres semble, cette année encore, peu lisible. Depuis plusieurs exercices, je m'interroge sur les choix faits et sur la présentation des crédits, qui laisse perplexe. Ils sont en effet dispersés entre l'action 8 du programme « patrimoine » et l'action 2 du programme « création ». Faut-il y voir une volonté de dissimulation ? Sans doute pas, mais plus de clarté serait appréciable.

Le programme « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » se trouve au cœur du budget de la culture : il concentre en effet les crédits de fonctionnement du ministère, des DRAC et des SDAP, les crédits d'informatique et de communication et ceux de l'action sociale. Cette nouvelle organisation financière doit permettre d'améliorer l'efficacité de la gestion des crédits en favorisant une meilleure maîtrise des coûts. Les mesures regroupées dans ce programme ne doivent donc pas être considérées comme de pures dépenses, mais également comme des « leviers » budgétaires.

S'agissant de l'immobilier, le regroupement des services centraux sur le site des Bons-Enfants générera des gains de productivité, et est conforme aux recommandations que nous avions formulées en 2003 et 2004. Mais n'oublions pas que cette opération s'accompagnait de la promesse de vendre sept immeubles devenus vacants, dont la valeur était estimée à 100 millions d'euros il y a dix ans. Pourriez-vous nous donner une évaluation actualisée ? Surtout, seul l'immeuble de la rue d'Aboukir a été vendu, à ma connaissance. Qu'allez-vous faire pour respecter l'engagement pris sur l'ensemble ?

S'agissant du programme 224 « transmission des savoirs et démocratisation de la culture », nous jugeons l'intitulé inutilement compliqué dans la mesure où 83 % des dépenses relèvent de la transmission des savoirs, la démocratisation de la culture étant par ailleurs un objectif assez général et évident de toute l'action culturelle. Aussi proposons-nous, en vue de gagner en sincérité et en lisibilité politique, de le renommer plus simplement « transmission des savoirs ».

Nous sont apparues comme sensiblement plus fâcheuses certaines lacunes dans la justification de plusieurs dépenses, notamment de personnel. Nous attendons par conséquent vos éclaircissements à ce sujet.

De même, nous n'envisageons pas sans un certain scepticisme l'installation prochaine du Haut conseil de l'éducation artistique et culturelle et, dans le cadre du plan de cohésion sociale, la création d'emplois aidés de médiateurs culturels. Quel en sera le coût ? Si la volonté politique qui justifie ces projets n'est pas contestable, votre rapporteur s'interroge sur l'opportunité de multiplier les agences, autorités et autres hauts conseils. Clemenceau ne disait-il pas en ces murs que le meilleur moyen de différer une décision, c'est de créer une commission ?

Je ne puis conclure sans vous adresser des compliments sur les critères retenus pour les indicateurs de performance de ce programme. Les objectifs de la réforme de l'action « fonctions soutien communes aux trois programmes » sont particulièrement ambitieux et doivent concourir au renforcement de son efficacité. Parallèlement, nous ne pouvons que saluer la volonté du ministère de réorganiser les fonctions gestion des ressources humaines, informatique - il n'était que temps ! - et achats.

S'agissant du compte d'affectation spéciale « cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale », votre rapporteur est heureux de constater une justification au premier euro précise et pertinente et il se bornera à deux observations.

D'abord, au moment où nous nous interrogeons sur l'opportunité ou non d'exclure le dispositif SOFICA du plafonnement des niches fiscales, je souhaite - à l'instar de mon homologue du Sénat - que la dépense fiscale relative à l'amortissement exceptionnel de 50 % du montant des sommes versées pour la souscription de titres de SOFICA soit rigoureusement évaluée.

Ensuite, je déplore de ne pas connaître le responsable du programme 713 : si les deux premières sections dépendent du directeur du CNC, rien de précis n'est dit quant au soutien à l'expression radiophonique locale. Ce point est regrettable, même si l'étanchéité des ressources et des dépenses des trois sections règle la question des arbitrages internes.

Quelques remarques conclusives. D'abord, la nouvelle architecture a retiré les patrimoines du champ de mon rapport, ce qui serait fort dommageable si cet examen n'avait été confié à mon talentueux collègue Perruchot (Sourires). Par ailleurs, la sincérité budgétaire est mise en doute par la justification insuffisante d'un trop grand nombre de dépenses. J'invite par conséquent le ministre à apporter les précisions nécessaires. Enfin, vous avez annoncé la création d'un poste de secrétaire général du ministère de la culture et nous ne pouvons que vous encourager dans cette voie. Une meilleure coordination de vos directions et services semble en effet indispensable et nul n'est pour moi besoin d'indicateurs de performance pour mesurer les lacunes de votre administration ! Pour la troisième année consécutive, je me dois en effet de déplorer l'intolérable inertie des directions du ministère et leur réticence à répondre à mes questions. En dépit des excellentes relations que j'entretiens avec le ministre et les membres de son cabinet, il m'a été à nouveau difficile d'obtenir des réponses précises et cohérentes aux questionnaires budgétaires...

M. Patrick Bloche - Ça, c'est très vilain !

M. Olivier Dassault, rapporteur spécial - Cela ne doit pas se reproduire. Puisse le futur secrétaire général y être particulièrement attentif en s'attachant à mieux coordonner les trois programmes principaux, les dix directions et les soixante-dix établissements publics. La définition et l'usage de ses prérogatives seront très attentivement suivis par votre rapporteur, en liaison avec la Cour des comptes.

L'apparente sévérité de mon propos tient au peu de cas fait de nombre de mes recommandations antérieures, et je gage que le ministre donnera des réponses à même de me rasséréner.

Au bénéfice de ces observations, votre rapporteur spécial se réjouit de constater les efforts déjà accomplis par le ministère de la culture, de son zèle à appliquer la LOLF et de sa contribution à l'objectif général de maîtrise des dépenses publiques.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Merci, Monsieur le rapporteur spécial, pour ces propos de grande qualité. J'invite toutefois les futurs orateurs à être plus concis, afin que nous ayons le temps d'échanger sur ces différents sujets.

M. Nicolas Perruchot, rapporteur spécial de la commission des finances pour les patrimoines - Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit 976,2 millions en crédits de paiement et 1 082,16 millions en autorisations d'engagement au titre du programme « patrimoines » ; 100 millions issus des recettes des privatisations réalisées en 2006 devraient en outre être affectés, ce qui porte le montant total des crédits à 1 076,2 millions. Quel engagement le ministère a-t-il reçu sur l'attribution de ces recettes ?

La présentation des emplois des opérateurs dans le projet annuel de performance est insatisfaisante. En effet, au-delà des approximations, la méthode retenue est critiquable, puisque le décompte comprend l'ensemble des personnels, qu'ils soient rémunérés à partir d'une subvention du ministère ou sur ressources propres. Or, la logique qui a présidé au vote de la loi organique du 12 juillet 2005 modifiant la LOLF voudrait que soit indiqué le nombre d'emplois rémunérés par les opérateurs à partir d'une subvention pour charges de service public, cette donnée pouvant d'ailleurs être utilement rapportée au nombre d'emplois rémunérés à partir des ressources propres de l'opérateur. Dès lors, le ministre peut-il apporter des précisions sur le nombre d'emplois rémunérés par les opérateurs à partir de la subvention d'Etat ?

S'agissant du patrimoine monumental, le président du groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques a souligné l'ampleur de la crise à laquelle sont confrontées les entreprises de restauration depuis 2002. Alors que la subvention de l'Etat est de l'ordre de 278 millions, il estime les besoins à 400 millions. Cette année, le montant des impayés s'élève à 40 millions et près de 25 % des chantiers - 240 sur 1 000 - sont arrêtés faute de crédits. Comment le ministère de la culture entend-il remédier à cette situation ?

Pouvez-vous fournir un bilan de la mise en œuvre de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ? Est-il possible de connaître la liste des collectivités territoriales qui se sont portées volontaires ? Pour quels monuments ? Quelle est la valeur estimative des biens concernés ? Quelles mesures le ministère entend-il prendre pour les monuments qui n'intéressent pas les collectivités, tels, dans la région Centre, les châteaux de Talcy et Fougères ? Le ministère connaît-il précisément le patrimoine des monuments historiques ? Un inventaire a-t-il été dressé ? Permet-il d'apprécier l'état de conservation de ces monuments ?

Les crédits de paiement prévus pour les acquisitions et l'enrichissement des collections s'élèvent à 23,19 millions ; hors dépenses de personnel, ils enregistrent par conséquent une baisse, de 26 %. Le ministère la justifie en indiquant qu'il faut y voir l'effet de la montée en puissance de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Toutefois, votre rapporteur spécial s'interroge sur la pertinence de ce raisonnement, compte tenu du nombre finalement assez restreint d'entreprises capables d'investir dans des œuvres d'art et de la concurrence à laquelle sont contraints les établissements pour séduire les mécènes. Le ministère peut-il fournir un bilan précis de l'application de cette loi ? Compte tenu du caractère aléatoire des acquisitions par voie de mécénat, la contraction des crédits ne va-t-elle pas freiner la politique d'enrichissement des collections ?

J'en viens à la situation des différents opérateurs en matière de patrimoine. Il ressort des nos auditions que le taux d'absentéisme dans les établissements publics culturels, qu'il s'agisse des musées ou de la Bibliothèque nationale de France, demeure élevé puisqu'il atteint 5 % à 10 % selon les établissements - et 15 % dans certains cas ! Quelles mesures comptez-vous prendre pour y remédier ? Un plan de lutte contre l'absentéisme est-il envisagé, sachant qu'aucun responsable de collectivité ne pourrait tolérer une telle situation.

Depuis trois ans, les musées nationaux ont fait l'objet d'une profonde réorganisation. Le rôle de la Réunion des musées nationaux a été redéfini et des efforts louables ont été faits pour redresser la situation financière de l'établissement public. Toutefois, il semble que de nouveaux progrès s'imposent en vue de mieux coordonner le rôle de la RMN et celui des différents musées. Est-il par exemple toujours justifié que la Réunion détienne un quasi-monopole sur la confection et la diffusion des produits dérivés, alors même que ses choix, souvent contestés par les musées, portent parfois atteinte à l'image de nos établissements ? Comment entendez-vous faire évoluer le rôle de la RMN ? Ne devrait-on pas lui confier la gestion intégrale du Grand Palais ?

Le transfert de certains actes de gestion des personnels - tel qu'il a été mené pour ce qui concerne le Louvre - participe de l'effort global de modernisation administrative. Il confère à tout établissement la responsabilité de justifier les évolutions de la structure de ses emplois et permet d'alléger la charge des services d'administration centrale. Il permet surtout de mieux mobiliser les personnels, qui bénéficient de délais de notification raccourcis pour les actes individuels les concernant. La déconcentration des sanctions permet enfin de renforcer la cohérence et l'efficacité des actes disciplinaires.

Aussi suis-je très favorable à cette mesure. Tous les dirigeants des établissements que j'ai rencontrés - musée et domaine national de Versailles, musée d'Orsay, Bibliothèque nationale de France... - souhaitent ce transfert de compétence, certes à des degrés divers. Quelle est la position du ministère à ce sujet ? Envisage-t-il de transférer davantage d'actes de gestion du personnel au musée de Louvre ? Si oui, lesquels ? Ce transfert permettra d'accroître l'autonomie des établissements et de clarifier le rôle de la tutelle, laquelle s'attachera à fixer des objectifs et à évaluer les résultats. A cet égard, combien d'établissements ont déjà signé un contrat de performance avec le ministère et combien sont en train d'en négocier ?

J'en viens à la rénovation du site de Richelieu. La vétusté des locaux et l'obsolescence des équipements exposent chaque jour les personnels, le public et les très riches collections du site à des risques inacceptables, notamment d'incendie - 60 % du site est encore alimenté en 110 volts et pannes d'électricité, de climatisation, d'ascenseur ou de monte-charge, départs de feu et inondations sont, hélas, le lot quotidien sur le site. Il est donc urgent de lancer le chantier de rénovation. La mise en oeuvre architecturale du projet, confiée à l'établissement public de maîtrise d'oeuvre des travaux culturels, l'EMOC, se heurte toutefois à l'absence de prise de position du ministère sur les projets proposés. Le scénario privilégié par les institutions partenaires représente un coût de 127,8 millions d'euros, dont 98,4 millions à la charge du ministère de la culture et 29,4 millions à la charge du ministère de l'Education nationale. Il prévoit un an et demi d'études et deux phases de travaux, de trois ans chacune. Optimisant les contraintes de budget et de calendrier, il a l'avantage de préserver le fonctionnement du site pour le public et le personnel grâce à une mutualisation des espaces disponibles entre les institutions partenaires. La totalité des collections se trouverait en sécurité dès le terme de la première phase, soit au bout de quatre ans et demi. Les bibliothèques de l'INHA et de l'Ecole nationale des Chartes trouveraient leur place définitive à la fin de cette même phase. Enfin, il ne se passerait que deux ans et demi entre l'ouverture des secteurs Labrouste-Richelieu rénovés et de l'ensemble du Quadrilatère. Alors que, depuis avril 2005, le ministère est en possession de l'ensemble du dossier et du projet de convention de mandat de maîtrise d'ouvrage, la seule mesure prise à ce jour a été d'attribuer en 2006 3,3 millions d'euros en autorisations d'engagement à l'EMOC, afin de lancer les premières études de maîtrise d'œuvre... et de lui promettre 600 000 millions d'euros de crédits de paiement issus des recettes de privatisation. Mais la BNF et ses partenaires demeurent dans l'attente des arbitrages interministériels. Pourquoi le ministère repousse-t-il sans cesse le lancement pourtant urgent de ce chantier ? Ayant en tête Lunéville ou bien encore Anna Amaya à Weimar, ville jumelée avec Blois, je vous demande, Monsieur le ministre, de décréter l'état d'urgence pour la BNF Richelieu !

M. Michel Herbillon, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la mission « culture » - Avec 2 886 millions d'euros d'autorisations d'engagement et des crédits de paiement en progression de 4,9 % à périmètre constant, le budget de la culture est une priorité incontestable pour le Gouvernement, et nous nous en réjouissons. Votre force de persuasion, Monsieur le ministre, a même permis d'obtenir 100 millions d'euros supplémentaires, issus des recettes de privatisation, pour le patrimoine monumental - il faut s'en féliciter, notamment pour nos cathédrales. Soyez assuré que le Parlement vous appuiera si, d'aventure, le ministère des finances ne versait ces crédits que tardivement ou incomplètement.

Outre la poursuite de la rénovation du Château de Versailles et du Grand Palais, 2006 verra la reconstruction des remparts du château de Saumur et la réhabilitation du Palais de Chaillot, où s'installera la Cité de l'architecture et du patrimoine début 2007. La réorientation des investissements vers les régions se poursuit puisque 47 % des crédits, contre 40 % seulement en 2004, iront aux équipements culturels de province, conformément au souhait de la commission.

Les crédits du programme « patrimoines » augmentent de plus de 11 %. A ce sujet, j'insiste, à mon tour, sur l'urgence de lancer la rénovation du site Richelieu dont la mise aux normes de sécurité, notamment incendie, doit être prioritaire. Il faut nous dire ce matin quel est le scénario retenu et selon quel calendrier il sera mis en œuvre.

Dans le programme « création », les crédits destinés au spectacle vivant augmentent encore de 3,5 %. A cet égard, je partage votre souhait de veiller au taux de renouvellement des artistes et des compagnies bénéficiaires des aides, en créant pour cela des indicateurs adaptés. En effet, si 13 % de compagnies nouvelles ont bénéficié d'aides en 2004, seules 2,6 % ont cessé d'en percevoir, ce qui soulève le problème de la finalité du soutien public.

S'agissant du programme « transmission des savoirs et démocratisation de la culture », je suis très sensible à votre objectif, stratégique, de favoriser l'insertion professionnelle des diplômés des établissements d'enseignement supérieur relevant de votre ministère. L'indicateur proposé - le taux d'emploi en rapport avec la formation reçue dans un délai de trois ans après l'obtention du diplôme - mériterait d'être systématiquement utilisé dans les autres programmes relatifs à l'enseignement supérieur. Ce taux est de 74 % pour les écoles d'architecture, ce qui relativise l'idée reçue selon laquelle les étudiants en architecture ne trouvent pas de débouchés dans leur branche. Je souscris aussi à votre proposition d'étendre cet indicateur à l'enseignement supérieur artistique et culturel dès l'année prochaine.

De la même manière que j'avais consacré mon avis budgétaire il y a trois ans à la politique des patrimoines, j'ai choisi cette année comme sujet d'étude la politique de soutien au livre et à la lecture, en m'efforçant d'évaluer l'efficacité des crédits consacrés au secteur - plus de 200 millions d'euros -, mais aussi des instruments de régulation que constituent la loi d'août 1981 sur le prix unique du livre et celle de juin 2003 sur le droit de prêt en bibliothèque, ainsi que des interventions du Centre national du livre.

Je tiens tout d'abord à rendre hommage à la disponibilité et à la compétence de la Direction du livre et de la lecture qui m'a transmis l'ensemble des informations nécessaires, dans des délais très brefs. J'en remercie son nouveau directeur, M. Yvert. Je me contenterai ici de rappeler les principales conclusions de mon rapport et de vous interroger sur les mesures que nous pourrions programmer ensemble pour répondre aux attentes des acteurs de la chaîne du livre qui, s'ils n'ont pas toujours les mêmes intérêts, dépendent tous solidairement de l'économie du livre.

Le secteur du livre se porte bien dans notre pays. Son chiffre d'affaires a progressé de 16 % entre 1999 et 2004 et on a battu un record en 2004 en vendant 463 millions d'exemplaires, soit près de huit livres par Français. Mais ce succès est fragile : 2005 s'annonce moins bon, et certains éléments de la chaîne sont particulièrement vulnérables à tout retournement de tendance, notamment les librairies indépendantes. La loi sur le prix unique du livre leur a permis de conserver globalement une part de marché de l'ordre de 20 % et de faire face à la montée en puissance des chaînes spécialisées et des hypermarchés. Mais elles demeurent peu rentables et souffrent de handicaps par rapport à leurs concurrents. Il faut donc les aider davantage, au moment où se développent les librairies électroniques et où le groupe Bertelsmann entreprend de se constituer un réseau comparable à celui de la FNAC par rachats successifs, d'abord des librairies Privat, puis d'Alsatia.

Lors d'une communication en conseil des ministres le 12 octobre dernier, vous avez évoqué des pistes fiscales intéressantes, comme l'exonération de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, qui pénalise injustement les librairies. Cette mesure pourra-t-elle être prise dès 2006 ? Le temps presse. Il serait également urgent de définir un dispositif facilitant la transmission ou la reprise des librairies alors que de nombreux libraires vont partir en retraite ces prochaines années. Pourquoi ne pas s'inspirer de ceux qui existent pour la reprise des exploitations agricoles, comme la réduction d'impôt au titre des différés de paiement consentis par le vendeur ?

S'il convient d'aider les libraires indépendants, il faudrait surtout ne pas les déstabiliser par des initiatives inopportunes et je pense ici aux modalités d'application de la gratuité des manuels scolaires choisies par les régions Ile-de-France, PACA et Centre qui ont décidé, dès 2001, de faire acheter ces manuels directement par les lycées au lieu de passer par des aides aux familles. La conséquence a été d'évincer les librairies de ce marché au profit des grossistes, alors qu'il peut représenter jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires des plus petites d'entre elles. Je demande donc aux régions concernées de reconsidérer leur position et d'instituer des aides aux familles. Car on voudrait vider les librairies que l'on ne s'y prendrait pas autrement !

Je me suis ensuite plus particulièrement intéressé aux conséquences de la concentration observée ces dernières années dans le domaine de l'édition. Nombreux sont ceux qui s'inquiètent de son incidence sur la créativité éditoriale, l'arrivée de nouveaux actionnaires s'accompagnant souvent d'exigences de rendement plus élevées. Le pouvoir ne risque-t-il pas de passer ainsi d'éditeurs au profil traditionnel à des contrôleurs de gestion, des financiers et des experts en marketing ?

La distribution cristallise également les tensions interprofessionnelles. La concentration est très forte dans ce secteur puisque les deux premiers distributeurs représentent environ 55 % du marché et les cinq premiers 90 %. Cette activité complexe repose sur des outils de gestion perfectionnés adaptés aux flux de masse. L'inadaptation de ces outils aux besoins des petits éditeurs et la pression que les distributeurs font parfois peser sur les libraires, notamment en leur accordant des remises insuffisantes, devraient conduire à réfléchir à des mécanismes de régulation.

La création d'un médiateur du livre, évoquée par le rapport Lamy en 2003, était une bonne idée. S'appuyant sur les textes régulant le secteur et sur le droit de la concurrence, ce médiateur ferait des recommandations - et non des injonctions - pour dissuader les comportements fautifs et régler les litiges en évitant de saisir la justice ou le conseil de la concurrence. Peut-on espérer sa création et dans quels délais ?

Enfin, il faut adapter notre réseau de bibliothèques publiques aux nouvelles pratiques et à la numérisation des supports. Au cours de mes auditions, j'ai perçu de nombreuses interrogations sur l'évolution du métier de bibliothécaire. La France a fait un gros effort d'équipement, qui a été payant, puisqu'on est passé de 1 200 000 inscrits dans les bibliothèques en 1971 à 6 700 000 en 2001. En 1967, Georges Pompidou disait : « En matière de lecture publique, tout reste à faire ». Beaucoup a donc été fait. Néanmoins la tendance s'inverse depuis 1998, à la différence de ce qui se passe dans les pays scandinaves ou en Grande-Bretagne. J'observe au passage que le développement des médiathèques de proximité, les « ruches », depuis 2003, profite à 80 % aux campagnes. Ne faudrait-il pas y recourir plus dans les quartiers défavorisés comme première étape de l'accès à la culture et pour lutter contre l'exclusion ?

Les bibliothèques sont devenues des médiathèques. Selon quel modèle les développer ? On semble hésiter entre forum d'animation culturelle - rappelant les anciennes maisons de la culture - et café internet. Dans les deux cas, le bibliothécaire s'efface dans sa fonction de conseil. Allons-nous finir par financer des bibliothèques sans livres ? Ne conviendrait-il pas de proposer, après une concertation avec les 30 000 professionnels concernés, une loi-cadre qui préciserait ce que la nation attend de ses bibliothèques ?

Je conclurai sur le très important projet de bibliothèque numérique européen. Il convient de lui fixer des cadres. En réponse à Google, qui souhaitait unilatéralement « organiser l'information du monde », la France et cinq autres pays ont, en mai 2005, saisi les instances communautaires de ce projet. Le comité de pilotage que vous avez mis en place devrait remettre un Livre blanc en janvier 2006. Je souhaite que l'on affirme clairement la vocation grand public de cet équipement et que le droit de propriété intellectuelle et les droits des auteurs soient scrupuleusement respectés. Les éditeurs vont peut-être évoluer vers des positions plus ouvertes, mais il faut leur laisser le temps de faire des propositions. D'autre part, les initiatives concurrentes, dont celle de Google, se multiplient. La BNE doit donc rapidement sortir des cartons, sous peine de perdre la bataille auprès du grand public. Les règles d'instruction des grands projets par les instances communautaires sont-elles compatibles avec ces délais ? Mieux vaudrait avancer parallèlement à cette procédure européenne, ou nous risquons l'enlisement.

La politique du livre et de la lecture a de multiples aspects, culturels mais aussi technologiques, économiques et sociaux. Elle nécessiterait un suivi parlementaire dans la durée. A ce propos, je remercie les collaborateurs de la commission.

Au nom de la commission des affaires culturelles, j'émets un avis favorable sur ces crédits.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Je salue et je partage la passion manifestée par le ministre et les rapporteurs à propos de la vie et de l'action culturelles. Mais mon rôle est de faire le « sale boulot ». Dans le débat général, les rapporteurs des groupes rappellent que la dépense publique n'est pas maîtrisée et que le déficit de la France s'aggrave. En commission, les rapporteurs trouvent ordinairement que le budget en examen est insuffisant. Nous sommes donc face à un problème difficile. Mais gardons-nous de prendre du retard sur ce que font actuellement nos partenaires européens.

Vous avez évoqué, à juste titre, un effort de clarification et de simplification des structures, et de la diversité de la perception de l'action culturelle au niveau des régions. Or les initiatives culturelles peuvent être financées entre 0 % et 80 % et avec la commune, l'intercommunalité, le département, la région, l'Etat, le Feder et désormais le Centre national des variétés, on dispose de sept « arrosoirs ». Il faudrait rétablir une certaine cohérence dans les financements.

En second lieu, prendre des engagements nouveaux est sans doute sympathique, mais si c'est au détriment des actions en cours, cela crée des frustrations. Avons-nous vraiment la capacité de multiplier ces engagements, quand tous nos partenaires européens cherchent un équilibre entre les dépenses collectives et le pouvoir d'achat des familles ? Là également, nous avons besoin d'une cohérence de la dépense publique et de son évaluation. Tout cela est bien difficile pour le ministre, je le sais...

M. le Ministre - Pour vous répondre immédiatement, je suis un ministre heureux, je ne suis en rien frustré, mais, personnellement, je n'ai pris aucune décision nouvelle qui soit substantielle. Je sais très bien les obligations auxquelles il faut faire face, et ma stratégie est d'abord de mener à terme les grandes réalisations en cours comme la Cité de l'architecture et du patrimoine, le Musée des arts premiers et le Fort Saint-Jean à Marseille. On ne peut donc pas me reprocher d'avoir eu l'inconséquence de prendre des décisions pharaoniques quand nous avions à honorer d'autres obligations. Parfois, certes, je réoriente des projets, comme pour le Grand Palais. Mais je veux d'abord terminer ce qui est en cours et avant de lancer des projet nouveaux - parfois nécessaires, bien sûr - je suis très prudent.

M. Patrick Bloche - Evénement extraordinaire : dans le pays de la diversité culturelle, le Premier ministre a parlé de la culture ! C'était le 1er octobre, à l'ouverture de la FIAC, et les médias en ont tellement fait qu'ils ont souligné ainsi combien la culture tient peu de place ordinairement dans le débat politique.

Votre budget traduit cet état de fait. Depuis 2002 déjà, la culture n'est plus une priorité budgétaire pour le Gouvernement. Vous êtes donc amené à résister à une vision comptable de la culture et à naviguer entre la maîtrise des dépenses - ou plutôt les économies - et la recherche de fonds propres, dont ceux du mécénat. Nous rendons au moins hommage à votre honnêteté : vous avez dit qu'avec la LOLF, vous n'aviez plus de marge de manœuvre, et un ministre de la culture sans marge de manœuvre souffre. Effectivement, dans ce budget, les augmentations apparentes cachent mal des diminutions ou une stagnation des crédits. Dès 2003, M. Aillagon avait déjà dû supporter une suppression brutale de crédits de paiement. Je prendrai pour seul exemple de ces augmentations en trompe l'œil la hausse de 25 % des dépenses de personnel, soit 118 millions. Elle ne s'explique ni par des recrutements massifs - que le Président Méhaignerie se rassure -, puisque l'effectif diminue de 29 postes, ni par une revalorisation des salaires, mais par l'intégration, pour 103 millions, de cotisations de pension, allocations temporaires d'invalidité et allocations familiales, c'est-à-dire en fait une modification du périmètre de ce budget.

Hors la dotation de 100 millions sur le produit des privatisations, il augmente de 1 % en crédits de paiement et de 3,6 % en autorisations d'engagement, alors que l'inflation est estimée à 1,8%.

Je vous poserai six questions, en commençant par le programme « patrimoines ». Selon le groupement français des entreprises de restauration des Monuments historiques, les nécessités de financement des chantiers s'élèvent à 400 millions. Les besoins de rattrapage sont énormes. Environ 240 chantiers ont été reportés ou annulés. La survie d'entreprises spécialisées, qui emploient et transmettent des savoir-faire irremplaçables, est en jeu. La panique touche même certaines DRAC. La prudence ne doit pourtant pas obliger ces excellents élèves à ne lancer des chantiers qu'au deuxième semestre d'une année budgétaire.

Deuxièmement, le groupe socialiste s'interroge sur l'article 61 du projet de loi de finances pour 2006. La suppression de niches fiscales est légitime, mais le plafonnement des sommes déductibles des revenus à déclarer pour les travaux de restauration et de réhabilitation d'espaces protégés aura de graves conséquences patrimoniales. Les collectivités locales ne doivent pas avoir à supporter un nouveau désengagement de l'Etat.

L'augmentation des crédits attribués en 2005 aux travaux sur les monuments historiques n'avait servi qu'à couvrir les besoins de l'archéologie préventive sous-financée, au détriment de l'entretien et de la sauvegarde de certains monuments. Il en ira visiblement de même en 2006. C'est ma troisième question : malgré deux réformes de la redevance archéologique, vous avez dû, en 2004 et en 2005, trouver des crédits à droite et à gauche pour financer le déficit d'exploitation de l'INRAP. Sortez donc de votre silence, car la profession s'inquiète du rapport de M. Gaillard, qui aborde l'archéologie d'un point de vue strictement comptable. L'association nationale des archéologues des collectivités territoriales, en particulier, souhaite une plus grande visibilité de l'action gouvernementale en la matière.

Quatrièmement, nous avons atteint un point crucial de la renégociation des annexes 8 et 10 de la nouvelle convention UNEDIC. La date butoir est fixée au 31 décembre. L'ouverture de cette négociation est indispensable et urgente. Où en sommes nous ? Envisagez-vous éventuellement de recourir à une solution législative ?

Ma cinquième question porte sur le spectacle vivant. Nous vous remercions des dossiers de presse consistants que vous nous avez adressés. Toutefois, de vos quatre conférences de presse récentes sur la musique classique, le théâtre, la musique actuelle et la danse, nous aurions souhaité voir émerger une politique ambitieuse, globale et cohérente en la matière. Ce ne fut pas le cas. Les sujets de fond - soutien à la production et à l'innovation, extension de la diffusion, devenir et articulation des réseaux, conquête des publics - ne sont pas traités. A preuve, la seule mesure que vous avez prise dans le domaine des musiques actuelles est la création d'un conseil supérieur : encore une nouvelle structure !

Le spectacle vivant est faiblement financé : les autorisations d'engagement baissent, les crédits de paiement stagnent. A ce propos, les missions du festival de danse à Aix seront-elles maintenues ?

Les autorisations d'engagement consacrées à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques, déjà négligées en 2005, baissent cette année de 5,7 % ; quant aux aides directes aux artistes, en diminution de 1,8 % en euros constants, elles ne s'élèvent qu'à 8,4 millions.

Enfin, en matière de transmission des savoirs et de démocratisation de la culture, nous sommes surpris de votre forte communication : après le rapport de Mme Marland-Militello, vous avez créé le haut conseil de l'éducation artistique. Pourtant, nous cherchons vainement la traduction budgétaire de cette nouvelle priorité, compte tenu des dégâts causés depuis trois ans dans ce secteur. Le ministre de l'éducation nationale devrait aussi être impliqué, mais le plan Lang-Tasca a été sacrifié. Vous n'allouez donc que 400 000 euros supplémentaires au plan de relance de l'éducation artistique et culturelle : c'est bien peu. Plus généralement, étant donné l'actualité, ne faudrait-il pas revisiter les bases de l'éducation populaire ?

Alors que l'UNESCO vient d'adopter une convention sur la diversité culturelle engageant 148 pays, nous aurions souhaité que la France, pays de la diversité culturelle, montre l'exemple par ses choix budgétaires. Vous nous parlez du 1 %, ce fameux slogan des années 1970 qui, pour vous, est un agrégat - 1,11 % pour 2006 - mais surtout un indicateur. Nous en suivrons attentivement l'évolution en 2007, de crainte que les échéances électorales ne vous autorisent toutes les audaces.

M. Pierre-Christophe Baguet - Le groupe UDF est satisfait de l'équilibre entre les trois programmes - 36 % pour le patrimoine, 33 % pour la création et 31 % pour la transmission des savoirs - mais je passerai vite sur les compliments pour vous poser dix questions.

Premièrement, l'augmentation de la dotation au spectacle vivant, de 3,4 %, est bien inférieure à celle de l'année dernière, et ne correspond pas aux besoins des institutions de création en régions et des nombreuses compagnies. Pouvez-vous les rassurer ?

Deuxièmement, je souscris entièrement au rapport de M. Perruchot sur la situation dramatique de la restauration des monuments historiques. Vous apportez des crédits supplémentaires, mais le retard est important.

Troisièmement, le marché des ventes physiques de disques a perdu onze millions d'euros. Vous avez heureusement proposé un fonds d'avance remboursable de deux millions pour les PME du disque, mais il faut aller au-delà : où en êtes-vous dans votre démarche auprès de l'Union européenne pour obtenir la baisse de la TVA à 5,5 %, avant d'en obtenir, comme le réclame l'UDF année après année, son extension à tous les biens culturels ?

Quatrièmement, alors que se sont ouvertes le 8 novembre dernier les négociations du régime général pour les intermittents du spectacle, je tiens, en tant que membre du comité de suivi, à rappeler mon attachement, sur la base de la solidarité interprofessionnelle, au maintien d'un régime particulier. Les négociations en cours doivent tenir compte de la politique de l'emploi culturel et respecter les spécificités du secteur. Une rumeur, que j'espère infondée, fait état du report de la négociation des annexes 8 et 10 à la fin 2006. Quel en est le calendrier précis ?

Cinquièmement, vous nous annoncez le bilan positif de la production cinématographique. Mais le régime des SOFICA, qui a prouvé son efficacité, est menacé par la réforme fiscale. Si les ressources du compte de soutien progressent, j'espère toutefois que vous serez attentif aux nombreux amendements que nous avons déposés. Je me félicite d'ailleurs des moyens accordés à la restauration des films et à l'activité des cinémathèques, qui participent à la sauvegarde de notre patrimoine et à la conservation de notre mémoire.

Sixièmement, la directive européenne sur les droits d'auteurs n'a toujours pas été transposée, alors qu'elle devait l'être avant le 22 décembre 2002. Pouvez-vous nous garantir que cet examen ne sera pas à nouveau différé ? Il en va de la crédibilité de notre politique culturelle et du respect de nos engagements.

Septièmement, je m'étonne que le Fonds de soutien à l'expression radiophonique n'augmente pas, malgré l'amendement déposé par l'UDF en loi de finances rectificative pour 2004 créant des tranches supérieures nouvelles. Certes, le budget publicitaire de la télévision n'a pas explosé, mais il a augmenté. Qu'en est-il de la réforme en cours du FSER ?

Huitièmement, comme l'a souligné M. Herbillon, la culture, c'est aussi le livre. Or nombre de librairies indépendantes sont souvent des points de vente de presse. Pour soutenir les kiosquiers, le groupe UDF a déposé un amendement visant à accorder un abattement forfaitaire de taxe professionnelle compensé par l'Etat, qui sera examiné lors de la discussion des articles non rattachés. Monsieur le ministre, soutiendrez-vous cet amendement et acceptez-vous d'étendre ce dispositif à la librairie indépendante ?

Neuvièmement, le Premier ministre a annoncé, à la FIAC, la création d'un centre européen de création contemporaine sur l'île Seguin à Boulogne-Billancourt, où M. François Pinault avait projeté l'installation de sa fondation. Votre attachement à ce projet est sensible puisque deux de vos collaborateurs participent au comité d'experts en compagnie de représentants du conseil général et de la ville. Le projet annoncé par le Gouvernement est grandiose - plus de 50 000 mètres carrés au lieu des modestes 32 000 annoncés par M. Pinault - mais son financement n'est en rien assuré. Monsieur le ministre, si vous voulez que ce projet aboutisse, il faut d'urgence lui attribuer des crédits car le maire a annoncé que la décision définitive serait prise dans quatre mois au plus tard.

Dixième et dernier point, le ministère, en 2004 et en 2005, s'est vu contraint de compléter de 20 millions le budget de l'Institut national de recherches en archéologie préventive, l'INRAP. Ce n'est pas une solution. Il faut réformer la redevance d'archéologie préventive afin de doter l'INRAP de ressources suffisantes. Monsieur le ministre, où en est la création du groupe de travail sur ce dossier ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Monsieur Baguet, vous avez posé une trentaine de questions ! Comment le ministre va-t-il pouvoir vous répondre ? La formule de la commission élargie ne doit pas être dévoyée.

M. Christian Kert - Monsieur le ministre, la lecture de ce budget de la culture pour 2006 nous rend heureux.

Nous approuvons la priorité donnée au patrimoine, que nous réclamions depuis deux ans. Après M. Bloche, je tiens toutefois à souligner les craintes des entreprises spécialisées. Ces dernières redoutent que 70 % des crédits de la dotation globale affectés à la restauration reviennent aux entreprises de bâtiment. Ce serait un mauvais coup porté à ce secteur, aux entreprises de restauration et à la transmission des savoir-faire. Les ouvriers, dont certains sont de véritables artistes, risqueraient, faute d'activité, de ne plus transmettre une connaissance dont ils sont les légataires parfois depuis des siècles. La formation s'en trouverait affectée ; le nombre d'apprentis à ces carrières est en baisse depuis deux ans. Par exemple, la France est le pays européen qui possède le plus de vitraux mais le laboratoire de recherche des monuments historiques ne dispose plus d'ingénieur de recherche ni de responsable scientifique depuis... dix ans ! Ce laboratoire, faute de personnel permanent, ne peut plus conduire des programmes de recherche sur l'altération des verres et la conservation des vitraux. Notre savoir est en train de s'étioler, de disparaître !

Ensuite, je me réjouis que la dotation en capital vous permette de garantir la bonne exécution de chantiers emblématiques comme le château de Versailles ou encore, pour l'élu provençal que je suis, le musée des civilisations européennes et méditerranéennes au Fort Saint-Jean à Marseille. Je me félicite que M. Bloche défende la danse à Aix, mais je m'étonne que M. Dassault s'en prenne à l'auditorium de cette ville.

Puis, les dispositions de l'article 61 du projet de loi de finances semblent exclure les charges foncières et les déficits affectés aux immeubles historiques du champ d'application du plafonnement de certains avantages fiscaux. La fondation du patrimoine aimerait que la dénomination d'immeuble historique recouvre notamment le label visé dans l'article 156 du code des impôts.

Concernant le budget du programme « création », nous sommes sensibles à son augmentation de 1,8 %, avec une hausse de 3,4 % pour le spectacle vivant. Si nous nous réjouissons du rééquilibrage des crédits cette année entre patrimoine et création, il convient de poursuivre les efforts en faveur de la création.

Quelles sont les observations des missions parlementaires - métiers artistiques et enseignements artistiques - qui ont travaillé sur ce thème ? Les responsables artistiques demandent de meilleures conditions de création, et surtout de diffusion. Combien n'a-t-on entendu de directeurs de troupes théâtrales se lamenter qu'une pièce ne soit jouée que quatre ou cinq fois après plus d'un an de travail ! Quant aux élus, ils souhaitent que l'on favorise la mutualisation des moyens destinés à la création, notamment par l'intermédiaire des intercommunalités, soutenues par les DRAC.

Mutualiser les moyens, c'est également offrir aux artistes des locaux où ils peuvent travailler. Nous avons visité, avec M. Dubernard, une intéressante opération d'appropriation d'une friche industrielle par des artistes à Lyon. L'organisation du réseau de mécénat pourrait faciliter le développement des résidences d'artistes, de même que les collèges et lycées pourraient accueillir des résidences d'écrivains. Par ailleurs, je rejoins l'analyse de M. Baguet sur la nécessité de maintenir le régime fiscal des SOFICA indispensables au financement du cinéma français. Enfin, concernant l'emploi, le rapport Guillot suggère de définir huit conventions collectives au lieu des vingt actuelles et de préciser le recours à l'intermittence. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce régime de l'intermittence auquel nous sommes attachés ? La création d'un comité de suivi, réunissant membres de votre ministère, parlementaires et professionnels, à l'initiative de M. Pinte s'est révélée être une bonne initiative, que l'on pourrait reproduire dans d'autres situations de crise. Le groupe UMP votera ce budget.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Encore un tombereau de questions !

M. Frédéric Dutoit - Je vous prie d'excuser l'absence de mes collègues communistes, ils sont retenus par le projet de loi prolongeant l'état d'urgence que nous examinerons en hâte cet après-midi.

Monsieur le ministre, vous annoncez que priorité est donnée cette année à la politique du patrimoine. Je m'en félicite mais je crains que la délégation des compétences aux collectivités locales et l'introduction du secteur privé par le biais du mécénat ne la remettent en cause.

Ensuite, si l'on peut se féliciter que la culture représente 1,11 % du budget de l'Etat, il faut noter que le ministère de la culture disposera de moindres ressources humaines, ce qui confirme le désengagement de l'Etat de la culture. En outre, je m'associe aux propos de M. Bloche sur la question des annexes 8 et 10 dans le cadre de la négociation de l'UNEDIC. Le Medef a décrété que la date butoir serait le 2 décembre. Où en est-on ? Le dernier rapport Guillot confirme la richesse du système de l'intermittence et du développement des emplois culturels pour notre pays.

Concernant le projet fort séduisant de bibliothèque numérique européenne, il convient d'en garantir l'accès gratuit à tous, tout en protégeant les droits d'auteur. Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen d'un projet de loi en décembre. La France défendra-t-elle au niveau européen un accès le plus large possible à la bibliothèque numérique ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de faire la synthèse de ces questions ?

M. le Ministre - L'exercice est difficile, mais je m'efforcerai de répondre de la manière la plus précise possible.

Monsieur Dassault, pour accéder à votre demande, je suis prêt a établir les conséquences précises des dépenses fiscales pour chaque secteur concerné. Toutefois, je resterai prudent car si les sommes considérées sont faibles en valeur absolue, cela ne signifie pas pour autant qu'elles sont inefficaces. En ce qui concerne les dépenses de personnels, je ne vois aucune objection à vous fournir une ventilation DRAC par DRAC, service par service, mais je crains que cela fasse apparaître l'absence de titulaires pour certaines missions, la période n'étant pas marquée, loin s'en faut, par les sureffectifs ! Quoi qu'il en soit, je ne doute pas que les éléments que je vous fournirai concernant l'affectation des personnels contribueront à vous mobiliser encore davantage pour défendre les orientations et les actions que portent nos fonctionnaires.

Pour ce qui est des locaux occupés par les services de l'administration centrale, grâce au regroupement dans l'immeuble des Bons-Enfants de certains services éparpillés dans la capitale, la résiliation des baux de location nous a permis de réaliser 4 millions d'économies et nous procèderons à la vente d'immeubles. Cependant, le nouveau site ne permet pas d'héberger l'ensemble de mes services : des itérations dans le permis de construire et l'application de normes ont notamment conduit à réduire la surface disponible pour les bureaux. Il n'en reste pas moins que je souhaite voir se regrouper autour des rues de Valois et des Bons-Enfants l'ensemble de mes services, à commencer par la DMTS installée rue Saint-Dominique. Personne n'est attaché à un lieu. Personne, non plus, ne peut se vanter de travailler dans des conditions somptuaires. Je suis, comme vous, attaché aux deniers publics, mais j'ai le souci que chacun des fonctionnaires du ministère de la culture travaille dans des conditions décentes : songez que le personnel de service, employé pour les réceptions rue de Valois, ne dispose pas même d'une douche ou d'un vestiaire !

S'agissant de l'auditorium d'Aix-en-Provence, deux lieux nouveaux seront effectivement construits dans cette ville, l'un, dédié à la danse, viendra compléter le centre chorégraphique national dirigé par Angelin Preljocaj, l'autre permettra d'installer la musique de manière permanente dans cette ville réputée mondialement pour son festival.

Vous avez fait allusion au contrat de performance : je souhaite en effet qu'il concerne chacun des établissements publics car il constitue un indicateur de résultats précieux et permet d'éviter trop de spécificités sur le plan social.

Le désengagement de l'Etat est un reproche qui a été formulé : je souhaite faire en sorte que les établissements publics puissent conduire une politique audacieuse sur leurs fonds propres, constitués par les recettes et le mécénat. Cela participe d'une gestion moderne. Néanmoins, j'ai compris la nature des efforts que vous nous demandez: le dispositif d'informatique de gestion permettra ainsi de vous fournir, en temps réel, toutes les données utiles.

Je profite de cette occasion pour vous indiquer le montant des crédits consommés dans le secteur du patrimoine, chiffres beaucoup plus pertinents que ceux tirés de la loi de finances initiale : 334 millions d'euros ont été consommés en 2002, 289 millions en 2003, 333 millions en 2004 et, selon les estimations, 306 en 2005. Compte tenu de la dotation en capital souhaitée par le Premier ministre, nous passerons à 400 millions en 2006, ce qui nous permet de dépasser le niveau des crédits qui avaient été ponctuellement augmentés pour faire face aux conséquences de la tempête de 1999. Non, le patrimoine n'est pas une nostalgie mais un capital d'avenir : son entretien permet de soutenir l'emploi, de sauvegarder les savoir-faire et de renforcer l'attractivité de notre territoire.

Monsieur Herbillon , vous avez évoqué la rénovation du site Richelieu de la BNF, sujet auquel M. Perruchot est lui aussi attaché. Sachez que je suis très attentif à la situation. J'ai demandé formellement au président de la BNF de m'indiquer si l'ensemble des collections de la BNF pouvaient être mises en sécurité dans les espaces laissés libres de la bibliothèque François Mitterrand. Il m'a répondu que cela était techniquement impossible. Nous allons retenir une option qui aboutira le plus vite possible à certains travaux mais il est urgent que ces collections soient préservées. Conscient de mes responsabilités, j'ai également demandé des éclaircissements sur la présence d'amiante, notamment.

Par ailleurs, il convient de définir un projet culturel pour l'utilisation du site Richelieu. On pourrait envisager, par exemple, l'ouverture de ses collections au public.

Le calendrier est connu. Cinq scénarios sont proposés.

Le premier s'étalerait sur six années, contre sept pour le deuxième, qui bénéficie des faveurs des établissements et comporterait deux phases exécutées sans interruption ; le troisième scénario se déroulerait en quatre phases étalées sur douze ans, tandis que la quatrième option reviendrait à une mise en sécurité provisoire. Le cinquième scénario prévoit enfin une interruption entre la première et la deuxième phase. Les travaux à la charge du ministère sont aujourd'hui estimés à 138,3 millions.

Le deuxième scénario me semble le meilleur et je suis en discussion avec Bercy et Matignon en vue d'accélérer le processus. Cela étant, des mesures figurent déjà dans le budget 2006. Je voudrais également remercier devant vous l'ensemble du personnel pour sa vigilance dans son travail de surveillance.

S'agissant des librairies indépendantes, l'offre de proximité suscite une demande. Je suis d'autant plus mobilisé sur la question de la TACA et du seuil de 400 mètres carrés que le rez-de-chaussée de ma permanence à Tours est occupé par une librairie sur la sellette, qui m'a sollicité à plusieurs reprises. Les discussions sont en cours avec Bercy, de même que sur le sujet des reprises. Sachez aussi que les crédits en faveur des kiosques auront été intégralement consommés en 2005 et qu'ils seront augmentés cette année.

Les librairies indépendantes ont le droit d'être soutenues. Je me suis d'ailleurs entretenu à plusieurs reprises avec certains présidents de conseils régionaux sur la gratuité du livre scolaire, qui ne doit pas porter directement atteinte à la place des libraires.

Et si la concentration n'est pas sans danger, nous manquons aussi parfois d'investissements dans ce secteur : il faut donc trouver le bon point d'équilibre.

Concernant le médiateur, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question urgente. Je n'ai pas perçu d'accord au sein de la profession : nous ne devons pas bousculer artificiellement les lignes, mais conclure le moment venu.

Quant à la politique d'offre de proximité au sein des « ruches », ce type de mesure est naturellement dans le droit fil du plan de cohésion sociale piloté par Jean-Louis Borloo. Il faut intégrer dans les quartiers les résidences et les ateliers d'artistes, branchés ou plus traditionnels. Les « ruches » doivent avoir droit de cité et je ferai des propositions en ce sens à mon collègue chargé des affaires sociales.

Parce que je ne crains pas le spectre des bibliothèques sans livres, il me semble également normal que des accès à internet soient offerts dans toutes les « ruches » et les bibliothèques.

Par ailleurs, je partage tout à fait votre volonté de prudence en matière de droits d'auteur s'agissant du projet de bibliothèque européenne : au même titre que les responsables des bibliothèques et de l'industrie, des auteurs et des éditeurs participeront au comité de pilotage, dont le rôle sera pleinement opérationnel. Nous éviterons ainsi de nous enliser dans le bourbier juridique auquel est confronté le projet américain, pourtant annoncé à grands coups de publicité. Je vous rappellerai également que l'attention portée à ce projet par le Président de la République incite très fortement à l'action tous les acteurs concernés ! En réponse à la multiplication prévisible des initiatives privés, nous devons mettre sur pied une structure d'accompagnement.

Le Premier ministre a également confirmé, Monsieur Perruchot, que la dotation de cent millions d'euros que vous évoquiez a bel et bien été affectée au ministère de la culture : elle ira aux monuments historiques. Et la politique de transfert de propriété ne vise pas à nous débarrasser du patrimoine dont nous avons la charge. Nous pensons seulement que certaines collectivités peuvent posséder et animer certains monuments. Il faut cesser de mépriser les autres acteurs culturels : le département de l'Indre-et-Loire s'occupe ainsi du château de Loches de façon exemplaire. Sur 166 monuments proposés, 30 ont fait l'objet de demandes fermes et les discussions se poursuivent. Libre à chaque collectivité de se décider sur la base du volontariat !

D'autre part, le dispositif informatique de gestion améliorera la transparence sur les moyens disponibles localement, de façon à éviter les disparités, qui, du reste, touchent moins le patrimoine que le spectacle vivant.

En matière d'acquisitions publiques, je souhaite naturellement que le mécénat continue à prendre son essor, sans que nous abandonnions pour autant nos responsabilités. Les grandes fortunes ne doivent pas être les seules à s'impliquer, car le mécénat peut constituer un élément légitime de fierté pour les petites et moyennes entreprises et s'intégrer à des stratégies locales.

Quant au taux d'absentéisme qui affecte certaines institutions culturelles, nous y prêtons la plus grande attention car il est toujours révélateur de problèmes sous-jacents. Nous veillons donc à intégrer ce type d'objectifs dans les contrats de performance.

De nouveaux horizons d'intervention s'ouvrent à la Réunion des musées nationaux - RMN - : de nombreux pays sollicitent son savoir-faire et son expertise, de même que des acteurs locaux en France. Nous soutenons cette grande institution, à laquelle viennent d'être confiées à nouveau les galeries nationales du Grand palais. Un grand travail de modernisation y est en cours.

Pour répondre à Patrick Bloche, j'aurais souhaité moins de caricature ! Je voudrais redire vigoureusement que la culture constitue une priorité stratégique aux yeux du Gouvernement et du Président de la République. Mes marges budgétaires ont fait l'objet d'une protection maximale de leur part. Certes, c'est votre droit de qualifier ma gestion de « comptable » (Protestations de M. Bloche). On peut dire de vraies saloperies d'une voix douce !

M. Patrick Bloche - Si l'opposition n'est pas autorisée à critiquer votre budget, où allons-nous ?

M. le Ministre - J'ai le droit de vous répondre ! Contrairement à ce que vous affirmez, la perception de la culture change dans notre pays : on prend de plus en plus conscience que ce ministère n'est pas en charge des loisirs « intelligents » mais de l'essentiel.

J'en viens au plafonnement des niches fiscales : il ne concernera pas les monuments historiques. En liaison avec le Parlement, le Gouvernement travaille à ce que le dispositif fiscal en faveur des secteurs sauvegardés ne soit pas mis en échec.

Par ailleurs, de nombreux problèmes que posait l'INRAP ont disparu. Au cours des questions au Gouvernement, notre attention était fréquemment attirée sur des dépenses pharaoniques pour des projets initialement modestes.

Dans sa sagesse, le législateur a accepté de revenir sur les situations les plus aberrantes, lesquelles risquaient de compromettre la bonne application de l'ensemble du texte. S'agissant du financement, je suis favorable à un système extra budgétaire mutualisé, de manière à éviter d'avoir à prélever des crédits sur d'autres lignes budgétaires, et je gage que nous trouverons une solution équilibrée. L'essentiel est que la priorité due à la mémoire archéologique n'entrave pas l'initiative économique et ne pénalise pas les projets d'investissement. Il faut faire preuve de souplesse et aller vite. Au reste, l'INRAP ne détient plus le monopole de l'action préventive, certains départements ayant usé de la faculté qui leur était donnée de créer leur propre service d'archéologie préventive - y compris pour les biens qu'ils ne détiennent pas en propre -ce qui contribue souvent à accélérer les travaux.

S'agissant des intermittents du spectacle vivant et de l'audiovisuel, je suis heureux de confirmer que nous entrons dans la phase active des négociations. 14 500 artistes et techniciens ont déjà été réintégrés dans leurs droits grâce au fonds transitoire - créé, je le rappelle, dans le scepticisme général - et la régularisation des postes de travail a été effectuée. L'ensemble du dispositif conventionnel est revu et son champ sera entièrement restructuré avant la fin de l'année prochaine. Nul ne conteste plus aujourd'hui l'utilité du fonds transitoire créé cette année.

Ces différents éléments expliquent sans doute que j'ai réagi vivement aux propos de M. Bloche : soyez bien conscient, cher ami, que je me bats chaque jour jusqu'au sein du Gouvernement pour que la rue de Valois ait droit de cité dans les négociations « sérieuses ». C'est à ce titre qu'a été organisé le premier colloque sur l'emploi dans le secteur culturel et que j'ai invité Gérard Larcher à participer aux réunions interprofessionnelles intéressant notre domaine d'activité. Les partenaires sociaux interprofessionnels - qui seuls ont la capacité juridique de négocier - se réunissent très régulièrement, l'expert que j'ai désigné est entré en fonction et je suis la négociation quasiment heure par heure.

Dans ce contexte dynamique, j'ai bon espoir qu'un système équitable et pérenne entre en vigueur dès le 1er janvier prochain. Sans doute serai-je sollicité au cours des négociations et j'assumerai alors toutes mes responsabilités. Dès lors, il ne me revient pas d'indiquer dès à présent la position du Gouvernement sur les différents sujets qui restent en discussion, notamment pour ce qui concerne les accidents de carrière et les régimes spécifiques. Ne préjugeons pas des résultats de la négociation et faisons confiance aux partenaires sociaux interprofessionnels. Je vous informerai très régulièrement de l'état d'avancement des discussions et, à ce stade, je ne crois pas qu'il sera nécessaire de recourir à la loi pour consacrer une solution satisfaisante. Nul ne conteste plus aujourd'hui la nécessité d'un régime spécifique pour les artistes et techniciens du spectacle vivant et de l'audiovisuel ou l'opportunité d'appliquer un système opérationnel dès le début de l'année.

M. Bloche a semblé estimer que mon soutien à la création, aux centres culturels, dramatiques, chorégraphiques, lyriques, etc. était superficiel et ne témoignait pas d'un engagement sincère. Je lui enverrai personnellement tous les textes qui démontrent le contraire et je reçois tous les jours des encouragements à persévérer, de la part d'artistes et de créateurs qui sont souvent plus proches de la famille politique de Patrick Bloche que de la mienne ! Sa critique me semble d'autant plus injuste que je suis résolu à donner à l'artiste la place prépondérante qui lui revient de droit dans toute institution à vocation culturelle, et à rendre, en tous domaines, la politique de l'Etat lisible et cohérente.

Soyez sûr, par exemple, que je fais confiance aux scènes nationales et à leurs responsables. Mais il ne faut pas que les compagnies qui sont en train d'éclore aient le sentiment que toutes les portes sont closes ou que le système est verrouillé. Présent dans ma ville le 1er novembre, j'aurais voulu, tout à la fois pour passer un bon moment et pour encourager les artistes locaux, aller à l'opéra, au centre chorégraphique régional ou au théâtre. Las, toutes les institutions avaient fait relâche, sans pour autant ouvrir leurs portes aux jeunes compagnies ! On ne pourra enrichir l'offre sans décloisonner les structures. Je fais confiance aux responsables des institutions culturelles, mais je les exhorte à s'engager plus résolument dans la voie de l'ouverture, de manière à favoriser l'émergence des nouveaux talents et à utiliser à plein les équipements culturels.

Je m'attache à soutenir toutes les formes de création et j'ai le souci de l'enrichissement du répertoire comme du respect du patrimoine. Qu'il s'agisse de soutenir l'activité culturelle ou d'attribuer des subventions, mon souci constant est d'entretenir une saine émulation entre tous les acteurs de la vie culturelle.

S'agissant de « Danse à Aix », j'ai eu connaissance d'un débat sur l'articulation de ce grand festival avec le centre chorégraphique national. En tout état de cause, il ne saurait être question de supprimer ce bel événement.

Pour ce qui concerne, enfin, les arts plastiques, je répondrai à M. Bloche par écrit car les chiffres qu'il a cités me semblent éloignés de la réalité.

Non, cher Pierre-Christophe Baguet, les crédits consacrés au spectacle vivant ne diminuent pas et nous nous en sommes du reste déjà expliqué...

M. Pierre-Christophe Baguet - En effet !

M. le Ministre - S'agissant des monuments historiques, j'ai déjà répondu sur les chiffres, de même que nous avons déjà abordé la question de la fiscalité sur les disques. Si nous avons pas encore obtenu l'unanimité requise pour appliquer un taux de TVA réduit, tout espoir n'est pas perdu et nous travaillons parallèlement à la solution du crédit d'impôt. Je considère comme vous que la SOFICA est un instrument important. Quant aux droits d'auteur, c'est gravé ! Le Premier ministre a confirmé la date et le recours à la procédure d'urgence, ce qui ne limitera en rien les possibilités d'intervention des uns et des autres. Au reste, pour tout ce qui concerne la propriété intellectuelle et la lutte contre le piratage, faisons preuve collectivement d'un certain courage et d'un grand sens pédagogique. Nous pouvons être fiers d'avoir choisi la voie de la réponse graduée et les positions françaises sont très attentivement observées par nos amis européens et américains. Il convient de privilégier une voie médiane entre le tout répressif et le tout libertaire - lequel est finalement destructeur de diversité.

S'agissant du FSER, nous avons été, en quelque sorte, débordés par le succès et nous avons modifié certaines règles. L'heure est venue de définir un nouveau système et je préciserai prochainement les termes de la réforme envisagée.

A Boulogne, tout est mis en œuvre pour faire cohabiter harmonieusement la recherche scientifique la plus pointue et l'excellence culturelle. Le président du conseil général des Hauts-de-Seine, le maire et le Gouvernement ont entamé des discussions très constructives...

M. Pierre-Christophe Baguet - Il n'y a aucun crédit !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - N'engagez pas la discussion avec le ministre. L'heure tourne et nous avons un emploi du temps à respecter.

M. le Ministre - Les modes de financement n'ont pas encore été précisés car les discussions sont en cours.

M. Kert a notamment évoqué la question des vitraux, lesquels constituent à l'évidence un excellent support pour concilier la promotion des artistes contemporains et la mise en valeur d'un patrimoine multiséculaire. Puissent vos pas vous conduire à l'église de Villenauxe, dans l'Aube, où vingt-deux vitraux contemporains viennent d'être installés grâce au soutien de l'Etat, des collectivités locales et d'un grand mécène, Gaz de France si ma mémoire ne me trahit pas. Au reste, le mécénat privé local n'est pas une invention d'un ministre de la culture du XXIe siècle soucieux de désengager l'Etat. En témoigne cet émouvant vitrail de la cathédrale de Chartres, offert au XIIIe siècle par un meunier des environs.

Puisse cet exemple convaincre M. Dutoit qu'en faisant appel à des partenaires privés, nous ne nous dérobons à aucune de nos obligations, en quelque domaine que ce soit.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles Avant de donner la parole à Michel Françaix, je tiens à dire que je suis d'accord avec lui, cette forme de débat en commission élargie fait que l'opposition, notamment le parti socialiste, a beaucoup moins de temps de parole qu'il ne le devrait statistiquement.

M. Michel Françaix - Les artistes, qui ont au premier chef des responsabilités esthétiques, n'en ont pas moins aussi des responsabilités dans la société. Si une politique culturelle a pour fonction première de favoriser l'expression des artistes, dans le strict respect de leur totale liberté de création, elle se doit aussi d'encourager leur rencontre avec des publics divers et favoriser la diffusion la plus large des œuvres et des productions culturelles. Cela signifie que l'une des missions essentielles de la politique culturelle est de conquérir de nouveaux publics. Ce n'est pas facile, j'en conviens. Mais sur ce point, de grâce, Monsieur le ministre, ne me répondez pas que vous avez fait beaucoup d'efforts en ce sens. Quand en Avignon, comme cela a été le cas, on voit tant de corps mais n'entend pas de texte, s'exprime trop de violence et pas assez de rêve, quand prévaut la « branchitude tendance », pour laquelle les médias s'engouent, alors que ses tenants ne s'adressent plus qu'au petit cercle de leurs amis, c'est bien le signe qu'il y a des problèmes.

M. le Ministre - Tout cela est-il de vous ?

M. Michel Françaix - Tout à fait.

M. le Ministre - J'ai eu l'impression que vous citiez quelqu'un...

M. Michel Françaix - Il peut vous arriver, Monsieur le ministre, de tenir dans les couloirs des propos pas très différents !

Quand certains intellectualisent la culture, d'autres la réduisent à sa dimension touristique. Il faudrait trouver un juste milieu. Au moment où se creusent les inégalités sociales liées aux différences de revenus, de niveau d'études, mais aussi d'héritage culturel, l'éducation artistique à l'école, l'aménagement culturel du territoire, la promotion de la culture dans l'audiovisuel, bref, l'émergence d'une véritable démocratie culturelle est plus que jamais d'actualité. Nous avons tous des efforts à faire en ce domaine.

Il faut favoriser la pratique artistique dans tous les milieux et tous les territoires, notamment auprès des plus jeunes et dans les zones de la politique de la ville. Des efforts ont été faits. Ainsi y a-t-il eu le temps des Arts de la rue qui a permis à ces arts de se structurer - cela est d'ailleurs à mettre à votre crédit, Monsieur le ministre, ainsi qu'à celui de votre prédécesseur. Le temps des Arts du cirque a de même suscité un formidable engouement pour ces disciplines. Il faudrait maintenant envisager de s'ouvrir davantage à d'autres formes de culture, notamment la culture hip-hop - j'entends, hélas, déjà les ricanements ou les agacements que ne manquera pas de susciter cette proposition. Le hip-hop est une façon de s'exprimer, de s'intégrer qu'ont choisie des jeunes qui pensaient jusque là que la culture était réservée aux élites. C'est la culture de toute une génération, pas une mode. Il faudra sans doute longtemps pour vous en convaincre, Monsieur le ministre...

M. le Ministre - Pas du tout. Je me suis rendu l'an passé à l'ouverture de la Biennale de la danse à Lyon et je suis d'ores et déjà convaincu de tout l'intérêt du mouvement hip-hop.

M. Michel Françaix - Eh bien, au moment où nos quartiers vivent des heures si difficiles, prouvez concrètement que, conformément au souhait du Président de la République et du Premier ministre, la culture sera bien un élément clé de la politique à destination de ces zones.

Dernier point : bien qu'un Livre blanc soit, paraît-il, en préparation sur le sujet de l'édition, celle-ci est bien le parent pauvre du budget de la culture.

M. Didier Mathus - Je suis d'accord avec le ministre, la culture est bien aujourd'hui une question centrale, qui n'apparaît peut-être pas directement dans la crise actuelle des banlieues mais n'en est pas moins un élément majeur. On ne parle pas assez de l'acculturation de toute une partie de la population - et je ne parle pas de celle du ministre de l'intérieur... Mais quel est le Gouvernement qui a supprimé les classes APAC qui permettaient de développer la pratique artistique, notamment dans les quartiers les plus défavorisés ?

Ma deuxième question, étroitement liée au propos précédent, a trait au rôle des DRAC. Ces administrations ne sont jamais à l'initiative d'aucun projet qui compte vraiment dans les territoires. Essentiellement occupées à préserver les pouvoirs de petits réseaux s'adressant à des publics très restreints, elles sont totalement absentes des vrais enjeux. Alors qu'il est évident que la culture joue un rôle-clé dans la constitution même du sentiment national, les outils du ministère de la culture font défaut en ce domaine.

Ma dernière question concerne l'industrie du disque. Je ne reviens pas sur la transposition de la directive, promise pour la fin de l'année. Le Gouvernement et une partie de la Commission européenne ne font, hélas, qu'obéir aux injonctions des multinationales du disque. D'une certaine façon, les échanges de fichiers musicaux sont un contrepoids salutaire face à l'industrialisation de la musique. Plutôt que de larmoyer sur la révolution numérique, les éditeurs de musique feraient mieux de s'interroger sur la distribution physique du disque. Aucune ville moyenne de France n'a plus de disquaire. Les disques ne sont plus distribués que par les grandes surfaces, ce qui aggrave encore les méfaits de l'industrialisation du secteur. Le ministère a-t-il réfléchi à ce problème ?

M. Etienne Pinte - S'agissant des intermittents du spectacle, je confirme les propos du ministre. Les négociations sur les annexes 8 et 10 auront bien lieu avant la fin décembre. Pour autant, certaines propositions du rapport Guillot inquiètent les petites compagnies. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, les rassurer et leur indiquer comment votre ministère pourrait les accompagner ?

Ma deuxième question a trait à la révision du règlement des secteurs sauvegardés. Nous l'attendons depuis six ans à Versailles, où nous possédons le plus grand secteur sauvegardé de France. Si elle tarde encore, notre grand projet d'urbanisme, auquel l'Etat est partie prenante, sera bouleversé. Est-il normal qu'il soit aujourd'hui plus facile de réviser un PLU qu'un règlement de secteur sauvegardé ?

M. Antoine Herth - Je ne m'étendrai pas sur la question, qui me tient particulièrement à cœur, de la pérennité des entreprises de restauration du patrimoine, le ministre ayant déjà largement répondu à ce sujet, ce dont je le remercie. Mais tout autant que le montant des crédits, importe la manière dont ils sont dépensés. Il faut notamment faire des efforts de programmation des travaux pour éviter des décisions tardives, voire des interruptions de chantier, qui peuvent mettre en péril les entreprises. La création de services régionaux du patrimoine au sein des DRAC permettra-t-elle des progrès en ce sens ?

Enfin, au moment où il est question de transférer certains monuments historiques aux collectivités, qu'en est-il de celui du Haut-Königsburg situé dans ma circonscription ?

M. le Ministre - M. Françaix a posé la question du contenu de la création artistique. Le premier rôle du ministre de la culture, et il ne s'agit pas là pour lui de s'exonérer de ses responsabilités, est de garantir l'indépendance et la liberté des créateurs. Il doit également veiller à ce que toutes les formes d'expression aient droit de cité. Il ne m'a pas échappé que le monde du théâtre a eu l'impression d'être privé d'accès à la Cour d'honneur l'été dernier en Avignon, où avaient été privilégiées diverses formes actuelles de chorégraphie. J'ai donc décidé que, pour la soixantième édition du festival, serait organisé l'été prochain en Avignon un large débat où l'ensemble de la communauté théâtrale, des grandes compagnies les plus emblématiques aux jeunes talents les plus prometteurs, pourra s'exprimer, notamment au travers d'une expression artistique. Cette initiative me paraît de nature à favoriser la réconciliation, indispensable, entre artistes.

S'agissant de l'éducation artistique, il conviendrait d'éviter les caricatures. On nous reproche d'avoir supprimé les classes APAC. Outre qu'il n'en est rien, puisque dix mille fonctionnent encore cette année, il faut rappeler en quoi consistait le dispositif initialement mis en place par Catherine Tasca et Jack Lang. Il s'agissait d'un crédit annuel de cinq mille francs garantissant une présence artistique dans la classe quinze heures par an ! C'est dire toute l'audace et l'ambition du projet ! Disons, pour être diplomates, que cette politique était naissante.

Rétablir les crédits à leur niveau de 2002 représenterait 9 millions pour l'Education nationale, somme dérisoire eu égard à l'importance de ce budget. M. de Robien et moi-même partageons la volonté de donner à l'éducation artistique toute sa place à l'école. Sur le budget de la Culture, les crédits à cette fin augmentent régulièrement et sont passés de 32,5 millions en 2002 à 39,5 millions en 2005, y compris en faveur des classes APAC.

Les arts du cirque et les nouvelles formes d'expression artistique sont très importantes à mes yeux et je fais en sorte de leur donner droit de cité. Ainsi, en fin d'année, l'école du cirque viendra au Grand Palais pour offrir un spectacle quotidien, qui donnera peut-être à des jeunes le goût des arts forains. Quant aux formes de culture urbaines qui exprimaient d'abord une revendication d'identité, certaines sont devenues des formes d'expression à part entière, comme la danse hip-hop. C'est ainsi que la magnifique création de José Montalvo avec William Christie, à partir des Paladins, allie musique baroque, danse hip-hop et vidéo. Ce type d'expression artistique doit avoir droit de cité partout, et pas seulement où elle est née. Et le festival de Suresnes créé il y a quelques années a désormais un rayonnement international. Il n'y a donc nul besoin de me convaincre de l'importance artistique et politique de ces formes nouvelles.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Je peux témoigner de votre présence lors d'un spectacle à Lyon il y a un an.

M. le Ministre - Il était d'ailleurs intéressant d'y constater qu'outre les danseurs qui ont conçu cette danse pour affirmer leur identité, elle est désormais pratiquée par, si je puis dire, des blonds aux yeux bleus. Toujours dans le domaine du spectacle, M. Mathus a eu une expression peut-être excessive sur le public « confiné » des salles conventionnées. Notre objectif est d'ouvrir tous les lieux aux structures diverses. Monsieur Mathus encore, nous ne sommes pas les valets de je ne sais quelle multinationale du disque ! Là encore, nous voulons défendre la diversité et éviter que sur internet, ne se retrouve la trop grande concentration que l'on constate à la radio et à la télévision. Vous avez raison, l'offre de proximité est importante pour le disque comme pour le livre. C'est pourquoi mon ministère et celui du commerce et de l'artisanat interviennent, par l'intermédiaire du FISAC, pour financer de petites structures - dont il faudrait voir si elle ne peuvent associer plusieurs produits. Le crédit d'impôt sur les industries phonographiques sera également un outil pour favoriser la diversité.

Monsieur Pinte, le fait de vouloir rendre l'emploi permanent dans certaines structures culturelles ne signifie nullement que nous voulons supprimer le système de l'intermittence : sans lui, des structures fragiles dans les secteurs du court métrage, de la création chorégraphique ou théâtrale ne pourraient fonctionner. Le contrat permanent ne peut absolument pas y être la règle absolue, et là encore la diversité s'impose. Pour ce qui est du secteur sauvegardé de Versailles, le directeur de l'architecture et du patrimoine examinera très attentivement la question.

Quant au Haut-Königsburg, Monsieur Herth, c'est l'un des rares monuments historiques qu'une région et un département se disputent âprement. Nous avons abouti à une solution équilibrée et je viendrai bientôt en Alsace vous en faire part. S'agissant de l'effort à faire sur la programmation, l'informatique de gestion nous permettra de faire de grands progrès. D'autre part, nous avons modifié la législation sur la maîtrise d'ouvrage de sorte à mettre un terme à cette situation tout à fait choquante : c'est la capacité financière de l'Etat qui déterminait le rythme des travaux pour les collectivités territoriales et les propriétaires privés. Evidemment, avec une règle plus souple, les demandes vont se multiplier. il nous faudra faire des choix budgétaires ; nous affecterons les crédits là où ils peuvent être immédiatement dépensés.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Je vous remercie, Monsieur le ministre, ainsi que vos collaborateurs. Les commissions vont maintenant procéder séparément à l'examen des amendements.

II. EXAMEN DES CRÉDITS

A l'issue de l'audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné pour avis, au cours de sa séance du mardi 15 novembre 2005, sur le rapport de M. Michel Herbillon, les crédits de la mission « Culture » et de la mission « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale ».

Article additionnel après l'article 94 (Art. 302 bis KB du code général des impôts) : Elargissement de l'assiette de la taxe affectée au compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) aux services de télévision accessibles au moyen de l'Internet, de l'ADSL et de la téléphonie mobile

La commission a examiné deux amendements identiques de M. Pierre-Christophe Baguet et de M. Dominique Richard visant à élargir l'assiette de la taxe affectée au compte de soutien financier de l'industrie cinématographique et de l'industrie audiovisuelle aux services de télévision diffusés par de nouveaux modes de diffusion.

M. Pierre-Christophe Baguet a indiqué que cet amendement concerne notamment la diffusion de services de télévision au moyen de l'Internet, de l'Asymmetric digital subscriber line (ADSL) - en français, réseau de raccordement numérique asymétrique - et de la téléphonie mobile.

M. Dominique Richard a déclaré que cet amendement est l'application du principe, constant, de neutralité technologique. Cette mesure est d'autant plus nécessaire qu'elle intervient dans un contexte financier difficile marqué par l'effet de ciseau entre une baisse des recettes du compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) - liée à la diminution conjuguée du nombre d'entrées dans les salles de cinéma et des recettes publicitaires des chaînes de télévision - et l'augmentation des demandes d'aides auprès de ce même COSIP.

Après que M. Patrick Bloche a fait part du soutien du groupe socialiste à cette initiative, la commission a adopté les amendements.

Article additionnel après l'article 94 (Art. 302 bis KB du code général des impôts) : Elargissement de l'assiette de la taxe affectée au COSIP aux recettes de parrainage

Puis, la commission a examiné, en discussion commune, deux amendements de M. Pierre-Christophe Baguet et de M. Dominique Richard visant à adapter les ressources du compte de soutien financier de l'industrie cinématographique en instaurant une taxation des recettes de parrainage au même titre que les autres recettes publicitaires.

M. Dominique Richard a indiqué que cet amendement avait déjà été adopté, à l'unanimité, par les deux commissions, des affaires culturelles, familiales et sociales et des finances, lors de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2005 mais qu'ils avaient été retirés lors de la discussion en séance publique. Au cours du débat, il est en effet apparu plus opportun de remettre cette harmonisation à 2007, c'est-à-dire au moment où les chaînes encaisseront de nouvelles recettes publicitaires liées à l'ouverture du secteur de la grande distribution à la publicité télévisée.

M. Patrick Bloche ayant fait part du soutien des commissaires membres du groupe socialiste, la commission a adopté l'amendement de M. Dominique Richard. En conséquence, l'amendement de M. Pierre-Christophe Baguet est devenu sans objet.

Après l'article 94

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Pierre-Christophe Baguet ayant pour objet de simplifier le dispositif de taxation applicable aux chaînes à vocation nationale.

M. Pierre-Christophe Baguet a déclaré que cet amendement prend place dans une série d'amendements déposés auprès du service de la séance - renvoyés à la commission des finances pour examen de la recevabilité financière - poursuivant les objectifs suivants :

- passage de 40 à 60 % de la réduction d'impôt applicable aux souscripteurs de part dans des sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA) ;

- passage au taux réduit de TVA (5,5 %) des offres de vidéo à la demande - ou Video on demand (VOD) - par abonnement ;

- passage à 5 % de la taxe sur la VOD par abonnement et, en parallèle, la création d'une surtaxe de 10 % pour la vidéo et la VOD à caractère pornographique ;

- création d'une surtaxe de 10 % sur les bénéfices industriels et commerciaux des producteurs, distributeurs et éditeurs de programmes pornographiques (simple actualisation d'une loi de 1984 demeurée inappliquée) ;

- autorisation donnée aux collectivités territoriales de supprimer tout ou partie de la taxe professionnelle des industries techniques de la création ;

- amélioration du régime du mécénat notamment pour les PME et en direction du court métrage et du régime de l'intermittence ;

- création d'une redevance domaniale à la charge des titulaires d'autorisation de services de télévision numérique personnelle et de services de télévision en haute définition.

Le présent amendement vise quant à lui à simplifier le barème de la taxe sur les services de télévision en mettant en place un taux uniforme de 5,5 % pour les chaînes à vocation nationale.

M. Michel Herbillon, rapporteur pour avis, a indiqué que l'amendement n'est pas seulement une simplification mais constitue en vérité un véritable durcissement du barème d'imposition. Si effectivement la plupart des entreprises intéressées se situent d'ores et déjà dans la tranche haute du barème, celui-ci s'applique néanmoins par fractions. Dans ces conditions, l'unification du taux ne serait pas une pure mesure technique mais modifierait le taux d'imposition réel des sociétés.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

*

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » et de la mission « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale ».

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

¬ Société des gens de lettres : M. Alain Absire, président, et M. Jean-Claude Bologne, secrétaire général.

¬ Syndicat de la librairie française : M. Gilles de la Porte, président du directoire, et M. Matthieu de Montchalin, membre du directoire.

¬ Bibliothèque nationale de France : M. Jean-Noël Jeanneney, président, et Mme Agnès Saal, directrice générale.

¬ Syndicat national de l'édition : M. Serge Eyrolles, président, et M. Jean Sarzana, délégué général.

¬ Direction du livre et de la lecture : M. Benoît Yvert, directeur, et M. Marc-André Wagner, directeur-adjoint.

¬ Cabinet du Premier ministre : M. Eric Gross, conseiller pour la culture, ancien directeur du livre et de la lecture.

¬ Association des bibliothécaires français : M. Gilles Eboli, président.

¬ Bibliothèque publique d'information : M. Gérald Grunberg, directeur général

¬ Comité de pilotage du projet de bibliothèque numérique européenne : M. Alexandre Moatti, secrétaire général

---------

N° 2569-03 - Avis présenté par M. Michel Herbillon au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540), Tome III : Culture (M. Michel Herbillon)


- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

- Cliquer ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires



© Assemblée nationale