ASSEMBLÉE NATIONALE

1er Juillet 2005
(10 HEURES 13)


Motion de censure
(déposée en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution)

 La France est en état de défiance. Le référendum du 29 mai a traduit l’inquiétude face à l’évolution de la construction européenne mais a aussi confirmé la colère devant l’affaissement économique, social et politique de notre modèle républicain.

 La responsabilité du Président de la République et de ses gouvernements dans ce qu’il faut appeler une crise de régime est écrasante.

 Responsabilité politique : depuis trois ans, le discours défendant les valeurs de la République est chaque jour contredit par une politique d’abandon social qui divise les Français au lieu de les rassembler. A chaque désaveu électoral (régionales/cantonales, européennes, référendum), le chef de l’Etat a opposé une fin de non recevoir aux Français en poursuivant les mêmes politiques avec les mêmes hommes.

 Responsabilité économique : depuis trois ans, la panne de croissance que connaît la France a mis en lumière l’erreur de pilotage économique. Les déficits et l’endettement records, le désengagement de l’Etat des politiques d’avenir (éducation, recherche, industrie…) ont privé la puissance publique de toute capacité d’action.

 Responsabilité sociale : depuis trois ans, le chômage de masse, la progression des inégalités et de la pauvreté ont enraciné une société de la précarité et de l’insécurité sociale. Face à ces fléaux, les réformes du marché du travail, des retraites et de l’assurance maladie menées par l’exécutif, ont battu en brèche les principales protections des salariés et des chômeurs.

 Responsabilité morale : depuis trois ans, aucun échec n’a été assumé. Tour à tour ont été invoqués « l’héritage », l’Europe, la contrainte internationale. A chaque difficulté, les Français ont été culpabilisés, accusés de profiter d’avantages indus ou de ne pas assez travailler. L’instauration d’une journée de travail gratuite et obligatoire en constitue la triste illustration.

 Face à ce délabrement, le changement de Premier ministre et la redistribution des responsabilités ministérielles entre des hommes et des femmes qui ont pour la plupart occupé des fonctions éminentes dans le précédent gouvernement, apparaissent comme les ultimes avatars d’un pouvoir imperméable aux aspirations du pays.

 Si le style autoritaire et volontiers populiste peut faire illusion, l’action de ce gouvernement de fin de règne emprunte les mêmes voies et commet les mêmes fautes que son prédécesseur. Changer de Premier ministre, ce n’est pas changer de politique.

 Alors que la croissance s’affaiblit, la politique d’austérité pour les salariés est confirmée. Le pouvoir d’achat est à nouveau écorné par l’augmentation des prix et des tarifs publics sans qu’aucune mesure de rattrapage significative n’ait été décidée. Inversement la baisse des cotisations sociales des entreprises est amplifiée sans que leur impact sur l’emploi et l’investissement ait été mesuré.

 Alors que les Français expriment une demande de protection sociale plus juste et plus efficace, le plan d’urgence pour l’emploi présenté par le Premier ministre se traduit par le renforcement des programmes de libéralisation et de flexibilité du travail. L’institution d’un nouveau contrat de travail précaire pouvant aller jusqu’à deux ans dans les petites entreprises, le contournement des seuils sociaux, concrétisent la volonté de la majorité de mettre en cause les garanties offertes par le code du travail.

 Alors que la démocratie sociale est profondément altérée, le gouvernement choisit de bafouer le Parlement et les partenaires sociaux en recourant à la procédure des ordonnances. Ce faisant il interdit tout débat démocratique sur sa politique de l’emploi et sur les alternatives proposées.

 Alors que les institutions de la République sont fragilisées, l’impartialité de l’Etat est battue en brèche par la confusion des pouvoirs. Le chef de l’Etat ne répond de ses actes que devant lui-même. Le ministre de l’Intérieur cumule ses fonctions avec celles de président du parti majoritaire et empiète sur les missions de la justice. L’état de droit est malmené par des projets de circonstances sur l’immigration ou la récidive alors même que les textes en vigueur disposent de tous les instruments pour répondre aux difficultés. La décentralisation est dévoyée par un transfert de charges sans compensation financière pour les collectivités territoriales.

 Alors que l’Europe connaît l’une des plus graves crises de son histoire, l’exécutif a pris le risque de la paralyser en s’obstinant à refuser tout compromis sur la réforme des politiques de l’Union et sur l’augmentation de son budget. L’influence de la France s’en trouve durablement affaiblie.

Au regard de ces motifs, la cohérence politique voudrait que la censure s’exerce contre le premier responsable de cette crise de régime, le Président de la République. La Constitution n’autorise pas une telle procédure.

 Pour toutes ces raisons, l’Assemblée nationale n’a d’autre choix que de censurer le gouvernement qui met en œuvre les directives présidentielles, en application de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution.

 La présente motion de censure est appuyée par les 144 signatures suivantes :

MM. Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BEAUCHAUD, Eric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADELIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Jean DELOBEL, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSE, René DOSIERE, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRE, Yves DURAND, Mme Odette DURIEZ, MM. Henri EMMANUELLI, Claude EVIN, Laurent FABIUS, Albert FACON, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANCAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GENISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, M. Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM Eric JALTON, Serge JANQUIN, Armand JUNG, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DEAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIERES-CASSOU, MM François LONCLE, Victorin LUREL, Bernard MADRELLE, Louis-Joseph MANSCOUR, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NERI, Mme Marie-Renée OGET, MM Michel PAJON, Christian PAUL, Germinal PEIRO, Jean-Claude PEREZ, Mmes Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILES, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, M. Michel SAINTE-MARIE, Mme Odile SAUGUES, MM Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE.

Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Christiane TAUBIRA.

Emile ZUCCARELLI

 


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