COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 janvier 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

puis de M. Bernard Perrut.

SOMMAIRE

 

pages

- Examen pour avis du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - n° 1378 (M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis)

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- Informations relatives à la commission

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La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Michel Dubernard, le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics n° 1378.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que la commission s'apprête à vivre un temps fort. En effet, la laïcité constitue une valeur essentielle de la République et, si elle est mise en cause, c'est la République qui l'est. Il a rappelé l'intervention du Président de la République qui s'est personnellement investi sur ce sujet.

M. Bernard Perrut, président, a souligné l'importance du projet de loi dont la commission est appelée aujourd'hui à débattre.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis, a rappelé que s'ouvre la dernière phase d'un long débat qui passionne le pays depuis de nombreux mois parce qu'il se situe au carrefour de problèmes essentiels au fonctionnement de la démocratie : l'équilibre entre la liberté de conscience, la liberté d'expression religieuse et la neutralité du système éducatif, c'est-à-dire l'application du principe constitutionnel de laïcité à l'école.

C'est à l'Assemblée nationale et au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales que ce débat a démarré avec l'organisation d'une table ronde le 22 mai 2003, sur le thème « Ecole et laïcité aujourd'hui ». Ce premier temps fort a mis en lumière les difficultés rencontrées par l'institution scolaire, face aux nombreuses entorses faites au principe de laïcité et permis à certains députés, d'abord réservés sur l'opportunité d'une loi, de mûrir leur réflexion et de changer leur appréciation sur ce difficile sujet.

Puis la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a décidé la création d'une mission d'information relative à la question du port de signes religieux à l'école, installée le 4 juin 2002 et présidée par M. Jean-Louis Debré, qui a rendu son rapport le 4 décembre dernier.

De son côté, le président de la République a mis en place la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, installée le 3 juillet 2003 et présidée par M. Bernard Stasi, laquelle a fait connaître ses conclusions le 12 décembre.

Les très nombreuses auditions auxquelles ont procédé ces deux instances ont confirmé le développement inquiétant des manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires et leurs conséquences néfastes sur l'accomplissement des missions de l'école publique.

Chacun des rapports souligne le désarroi des enseignants et des chefs d'établissement confrontés à des manifestations de communautarisme, de remise en cause des règles de la laïcité et le décalage entre les chiffres officiels concernant le nombre de jeunes filles voilées et les réalités décrites par ceux qui sont sur le terrain.

Les outils juridiques disponibles aujourd'hui, pour faire face à des revendications liées au port de signes religieux à l'école, notamment l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989, débouchent sur des solutions locales fragiles et contestables, voire sur la banalisation de problèmes pourtant graves.

C'est pourquoi la nécessité de faire intervenir le législateur a été affirmée par les deux instances.

Cette nécessité de voir réaffirmé, par la loi, un principe républicain essentiel a été fortement soulignée par le président de la République dans son discours solennel du 17 décembre, afin, a-t-il dit : « d'énoncer avec respect, mais clairement et fermement une règle qui est dans nos usages et dans nos pratiques depuis très longtemps ».

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est saisie pour avis du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics et il convient de revenir brièvement sur les raisons qui fondent une intervention législative et sur le contenu des dispositions proposées par le Gouvernement.

Qu'est-ce qui a changé en quinze ans, depuis l'avis du Conseil d'Etat de 1989 et qui rend nécessaire une clarification juridique ?

Un processus préoccupant de ségrégation ethnique à l'école, conséquence directe de la ségrégation par l'habitat sur le territoire national, a ouvert une large brèche dans les fondements universalistes de l'école. L'ambiance générale dans certains quartiers ghettoïsés est marquée par un retour aux normes islamiques radicales. C'est par cette brèche, amplifiée par le recul du rôle intégrateur de l'école, que s'est engouffrée la perte du sens et du respect de la laïcité. Peu à peu on a vu apparaître dans des écoles marquées par un environnement déshérité des revendications de certains élèves visant à transformer la tradition conciliatrice de la laïcité, qui respecte toutes les religions, en droits spécifiques propres à chacune. Les revendications, dans le cadre scolaire, de droits ou d'avantages en référence à des spécificités religieuses tendent à faire de l'école un champ clos d'affrontements reproduisant celui des adultes.

Il y a incontestablement un lien, au moins chronologique, entre le développement du port du voile à l'école ou d'autres signes d'appartenance religieuse ou communautaire (keffieh, kippa...) et la montée de la violence et des affrontements communautaristes, sexistes et racistes dans certains établissements, certains signes en appelant d'autres en riposte.

Le port du voile par de très jeunes filles est rarement un choix réellement libre. Il est le plus souvent le résultat d'une pression familiale ou environnementale ou une façon de se protéger de l'agressivité masculine. Il est parfois aussi un moyen de pression ou de culpabilisation des jeunes filles qui ne souhaitent pas le porter et qui constituent la grande majorité des élèves. Il a été constaté que, le plus souvent, lorsqu'une élève exprime un sentiment religieux sincère elle est ouverte au dialogue avec l'équipe enseignante qui lui demande d'ôter son voile ou de le porter plus discrètement. En effet, le thème de l'égalité entre les hommes et les femmes constitue l'un des éléments les plus importants du texte.

La violence n'est évidemment pas le fait des jeunes filles voilées même si certaines d'entre elles adoptent des comportements très conflictuels, souvent soutenues par des réseaux ou des associations intégristes très organisés. Il s'agit de la violence qui a explosé ces dernières années, de la part des garçons à l'égard des filles et notamment des filles non voilées et des violences antisémites.

Or la première responsabilité de l'Etat laïque et de l'école laïque est de protéger la liberté de conscience de chacun, dans son expression ou sa non-expression. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait librement leur choix ont droit à la protection de leur liberté de conscience. C'est donc bien l'exigence du respect mutuel à travers la manifestation la plus discrète possible d'une appartenance religieuse qui garantit le mieux la liberté de conscience de tous les élèves.

L'école est également confrontée à travers le port du voile et certains comportements d'élèves à la remise en cause de l'égalité des garçons et des filles et du principe de la mixité du fonctionnement de l'institution.

Il s'agit là aussi de l'irruption dans le cadre scolaire, de la remise en cause du processus d'égalisation entre les sexes. C'est dans les cités et les quartiers livrés au repli identitaire que la condition des femmes est la plus dégradée et que la contrainte masculine est la plus lourde.

Or c'est à l'école que cet acquis essentiel - l'égalité des hommes et des femmes - doit s'apprendre et se vivre. Les garçons doivent apprendre à respecter les filles quelle que soit leur tenue vestimentaire, aucune pratique ségrégative ne doit pouvoir s'instaurer dans les piscines ou dans les gymnases.

Ainsi, la ligne de partage entre le licite et l'illicite en matière d'expression religieuse à l'école est devenue floue, tant pour les enseignants que pour les élèves, sans doute parce que la mission de l'école n'est elle-même plus clairement perçue. En effet la jurisprudence constante du Conseil d'Etat depuis 1989, ne permet pas d'interdire le port de signes religieux à l'école lorsqu'ils ne sont pas ostentatoires, ce qui laisse le champ libre à toutes les interprétations et à beaucoup d'agitation.

L'école est beaucoup plus qu'un service public où les usagers, les élèves, viendraient collecter des savoirs qu'ils pourraient de surcroît sélectionner, en zappant selon leurs désirs.

L'école a parmi ses missions celle de contribuer à la formation d'esprits libres et aptes au jugement autonome. Cet apprentissage est exigeant tant pour les enseignants que pour les élèves puisqu'il nécessite, sans heurter aucune croyance, de s'affranchir de toutes.

L'école a besoin de distance par rapport aux conflits et aux problèmes qui traversent la société et de ce point de vue les symboles qui pénètrent l'enceinte scolaire peuvent jouer un rôle négatif.

Enfin, l'école accueille des jeunes en construction, le plus souvent mineurs, pour lesquels certaines restrictions aux libertés individuelles peuvent constituer une protection à laquelle l'école est d'ailleurs tenue.

Il est donc établi que les manifestations d'appartenance religieuse à travers des signes ou des comportements perturbent gravement le fonctionnement normal de la vie scolaire et qu'il est temps d'y mettre un terme.

C'est la raison d'être du projet de loi.

L'objet du texte est de clarifier la règle juridique applicable en introduisant un nouvel article dans le code de l'éducation visant à interdire, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Le terme ostensiblement, préféré à ostentatoire ou à visible, doit permettre d'interdire ce qui est destiné à être montré, tels que le voile, la kippa ou la grande croix, sans risquer de porter atteinte au port de signes religieux discrets.

Cette limite, mesurée et proportionnée, à la liberté d'expression religieuse, pour les besoins du bon fonctionnement de l'institution scolaire, ne constitue donc pas, comme d'aucuns le prétendent, un texte d'exclusion pas plus qu'il ne témoigne d'une vision archaïque et nostalgique de la laïcité qui exprimerait un rejet des religions.

Après l'adoption de la loi, les règlements intérieurs des établissements scolaires pourront interdire le port des tenues ou des signes manifestant une appartenance religieuse, sans risquer la censure du juge administratif.

Ces dispositions ne seront pas applicables aux établissements privés sous contrat d'association avec l'Etat, dont il faut préserver le caractère propre.

Elles seront applicables sur tout le territoire et notamment en Alsace-Moselle ainsi qu'outre-mer en tenant compte de certaines spécificités locales et de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités concernées.

Enfin elles seront applicables dans les établissements français d'enseignement à l'étranger, en vertu de décrets en Conseil d'Etat qui en fixeront les conditions.

Le délai prévu pour l'entrée en vigueur de la loi, soit la rentrée scolaire suivant sa publication, devra être mis à profit pour favoriser dans les établissements un important travail de dialogue, d'explication et de médiation, travail d'explication que les représentants de la Nation devront également faire dans leurs circonscriptions.

Car si la loi est nécessaire elle ne sera sans doute pas suffisante pour ramener le calme dans les esprits et dans les salles de classe. Un effort pédagogique, sans précédent, va devoir être entrepris dans tous les établissements scolaires afin de présenter le principe de laïcité comme le bien commun des élèves, ce qui les rapproche et les aide à trouver le cheminement vers leur liberté personnelle

Il sera également important de préciser, dans les décrets d'application et les circulaires à venir, que la loi devra être appliquée avec modération et discernement en privilégiant toujours le dialogue même si le refus de se conformer au nouveau règlement intérieur sera nécessairement passible de sanctions. L'exclusion pour port d'un signe religieux et notamment du voile, restera toujours un échec de la mission éducative, surtout lorsqu'elle s'appliquera à des jeunes filles dont la liberté de choix a pu être entravée.

En conclusion, le rapporteur pour avis a souhaité que les débats conservent un ton solennel compte tenu de l'importance du sujet, a engagé la commission des affaires culturelles à exercer un véritable suivi de la mise en œuvre de la loi et de ses conséquences sur le fonctionnement de l'école publique et a donné rendez-vous aux commissaires un an après l'entrée en vigueur du texte pour en examiner l'impact.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Bernard Perrut, président, après avoir remercié le rapporteur pour avis pour la qualité de son exposé, a rappelé que la laïcité garantit la liberté de conscience et ne porte pas atteinte à la liberté religieuse.

M. Yves Durand a souligné que le sujet abordé est à la fois difficile et important et qu'il y a en effet lieu d'exclure du débat toute attitude mesquine ou partisane au profit d'une certaine solennité. Dans cet esprit, le groupe socialiste présentera trois amendements.

Ce sujet touche aux convictions intimes de chacun, notamment dans l'affirmation d'une croyance ou d'une non-croyance. Ainsi, la laïcité constitue le fondement de la liberté de conscience. Elle est le point de séparation des sphères publiques et religieuses. Ce débat a agité les esprits pendant tout le XIXe siècle jusqu'à l'adoption de la loi de 1905 séparant l'Eglise et l'Etat souhaitée par Jean Jaurès et Aristide Briand. Ce texte a garanti un équilibre satisfaisant jusqu'à un passé récent. En 1989, le ministre chargé de l'éducation nationale constatant des entorses au principe de laïcité à l'école a demandé au Conseil d'Etat de fournir un avis juridique sur cette question. Force est de constater que cet avis n'a pas suffi à sécuriser les équipes éducatives ni à leur donner les moyens juridiques de remplir leur mission. De fait, l'école constitue un lieu public particulier : elle a pour mission de former les esprits et de forger la liberté de conscience. Cette mission lui confère un caractère un peu sacré qui doit être respecté par tous : familles, enfants, enseignants.

Aujourd'hui, une réflexion collective débouche sur un texte.

M. Yves Durand a rappelé qu'à l'occasion du colloque sur la laïcité organisé en mai 2003 il s'était montré réservé sur la possibilité de faire appliquer une loi dans ce domaine. Depuis, les travaux menés tant sous l'égide de M. Jean-Louis Debré que de M. Bernard Stasi ont montré la situation de fragilité juridique dans laquelle se trouvent désormais placés les chefs d'établissement et les équipes éducatives. Dans ces conditions, le groupe socialiste est favorable à une loi de sécurisation rappelant le principe de l'interdiction du port visible de tout signe d'appartenance religieuse.

Le vote favorable du groupe socialiste sera subordonné à l'applicabilité effective de la loi. Trois conditions doivent être remplies pour rendre le dispositif applicable, ces trois conditions faisant chacune l'objet d'un amendement. Premièrement, la loi doit être claire. Elle ne doit donc pas pouvoir faire l'objet d'interprétation ou de contestation. C'est précisément le défaut de l'avis du Conseil d'Etat de 1989, qui, en utilisant le mot « ostentatoire » a plongé les équipes éducatives dans l'embarras. Le juge a même été conduit à intervenir dans les règlements intérieurs des établissements, ce qui n'est pas de son ressort. Le groupe socialiste estime préférable l'emploi du terme « visible » plutôt que la forme adverbiale d' « ostensible ». Cet adjectif avait été retenu par les membres de la mission présidée par M. Jean-Louis Debré. La clarté de la loi sera la garantie de son égale application pour tous. En effet, le risque est de donner l'impression que le Parlement vote une loi contre le voile. Le Parlement doit voter un rappel du principe de laïcité, en interdisant tous les signes religieux dans l'espace de l'école. Dans cette perspective, l'adverbe « ostensiblement » n'est pas plus clair que l'adjectif « ostentatoire ».

Deuxièmement, il faut insister sur le fait que la laïcité ne se réduit pas à une interdiction, mais qu'elle est l'affirmation de la plus grande des libertés, celle qui garantit la liberté de conscience même si comme toute règle elle peut souffrir des limites. Il est donc nécessaire d'inscrire dans la loi, de manière symbolique, la nécessité de la pédagogie et du dialogue - ce qui est différent de la négociation - pour expliquer aux élèves ce qu'est la laïcité. Or, le projet n'inclut pas cette nécessaire pédagogie et réduit la laïcité à une simple interdiction.

Troisièmement, le Parlement ne va pas légiférer sur la laïcité, qui repose sur la loi de 1905 qui reste inchangée. Il s'agit plutôt d'une loi de sécurisation juridique en matière de signes religieux. Or, le titre comporte le mot « laïcité », ce qui peut semer la confusion.

Le groupe socialiste n'est pas a priori opposé à cette loi. Le projet gagnera d'ailleurs en force s'il est voté, par un grand nombre de députés. Grâce à l'initiative du président Jean-Louis Debré, le débat parlementaire sera large et ouvert, chaque député disposant de dix minutes pour son intervention. En définitive, le sort réservé aux amendements du groupe socialiste conditionnera le vote de ses membres.

Le rapporteur pour avis a salué l'esprit dans lequel les membres du groupe socialiste abordent l'examen du projet de loi.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles.

Article 1er : Interdiction dans les écoles, les collèges et les lycées publics du port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse

La commission a examiné un amendement présenté par M. Yves Durand visant à interdire le port visible de tout signe d'appartenance religieuse, plutôt que le port de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

M. Yves Durand a rappelé que le terme « visible » avait été adopté par la commission Debré à la quasi-unanimité de ses membres.

Le rapporteur pour avis a d'abord estimé qu'il s'agit d'une question difficile, à laquelle la réponse de chacun a pu varier dans le temps. Le dictionnaire définit de la manière suivante les différents qualificatifs proposés :

- « Visible » est ce qui peut être vu. C'est la proposition de la mission parlementaire qui prohibe les signes apparents, même discrets (médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatima...).

- « Ostensible » se réfère à ce qui est fait sans se cacher ou avec l'intention d'être remarqué. Le projet de loi interdit les signes et les tenues par lesquelles les élèves manifestent ostensiblement (avec l'intention d'être remarqué) leur appartenance religieuse. La forme adverbiale exige à la fois le port du signe et l'intention d'être remarqué, ce qui est le cas pour le voile, la kippa ou la grande croix.

- « Ostentatoire » signifie la mise en valeur excessive et indiscrète d'un avantage. L'emploi de ce terme par le Conseil d'Etat, qui a donné lieu à des interprétations divergentes, doit être abandonné.

Il ne semble pas opportun d'adopter l'adjectif « visible » car en interdisant le port discret de signes religieux, il met en cause la liberté de conscience et la liberté religieuse, protégées par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'Homme. Ensuite, l'emploi du terme « visible » ne serait pas dénué d'ambiguïté et poserait des problèmes pratiques d'application : que faire si une élève laisse échapper un médaillon de manière involontaire et l'expose aux regards des autres élèves ? La rédaction proposée offre un meilleur équilibre entre l'application du principe de laïcité dans les écoles et le nécessaire respect de la liberté de conscience. Elle permet en outre une plus grande souplesse dans son application. Enfin, elle est de nature à prendre en compte les nouveaux signes religieux qui ne tarderont pas à émerger. Adopter le terme « visible » ne permet pas de moduler l'application de la loi en fonction du comportement des élèves concernés. Comme l'a affirmé le Président de la République dans son discours du 17 décembre dernier, l'école ne doit pas être le lieu de l'uniformité. La laïcité, ce n'est pas l'anti-religieux, ce n'est pas le laïcisme, c'est exiger que le sentiment religieux s'accompagne d'un scrupule, d'une retenue et d'une pudeur.

M. Yves Durand a rappelé que le projet de loi a vocation à apporter une sécurité juridique aux chefs d'établissements. La longueur des explications données par le rapporteur sur la portée du terme « ostensiblement » augure mal de l'application de la loi et peut laisser craindre des débats infinis sur la réalité du caractère ostensible du port de certains signes. Le problème est le même qu'avec le terme « ostentatoire » : il s'agit de mots qui laissent une large part à la subjectivité. Le projet ne répond donc pas à l'attente des chefs d'établissements qui souhaitent disposer d'une règle claire, afin de prendre des décisions incontestables qui ne seront pas cassées par le juge.

M. Dominique Richard a considéré au contraire que c'est bien la rédaction proposée par l'amendement qui fragilise le dispositif, puisqu'elle le rendrait incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. Il ne s'agit pas d'entraver, par ce texte, l'expression de la liberté de conscience. C'est pourquoi la rédaction proposée est la meilleure possible.

Le rapporteur pour avis a rappelé qu'un long cheminement avait été nécessaire pour parvenir à la loi de 1905, que chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître comme un texte d'équilibre. La laïcité ne doit pas être vécue comme un combat contre les religions : le projet de loi tel qu'il est présenté prolonge cet état d'esprit et il faut s'en féliciter.

Conformément au souhait du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

M. Yves Durand a rappelé que le groupe socialiste, tout en souhaitant que ce texte soit adopté par la plus forte majorité possible, réserverait son vote sur l'ensemble du dispositif jusqu'à l'issue du débat en séance publique.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1er sans modification.

Après l'article 1er

La commission a examiné un amendement de M. Yves Durand prévoyant que le règlement intérieur des établissements devra définir les conditions d'application de la loi en mentionnant que, sauf dans les cas de récidive, la sanction ne pourra intervenir qu'après une phase de dialogue.

M. Yves Durand a rappelé que l'école n'est pas faite pour exclure. Si la sanction - c'est-à-dire l'exclusion de l'établissement - apparaît comme automatique, la loi sera mal reçue et n'aura donc pas atteint son but. En revanche, si la loi prévoit la nécessité d'un temps de dialogue et d'explication en préalable au prononcé de la sanction, et que l'élève persiste dans son choix, ce ne sera plus l'école qui exclura mais bien l'élève qui s'exclura de lui-même. En rappelant la mission avant tout pédagogique de l'école, une telle mention permettrait de donner plus de force à la loi.

Le rapporteur pour avis a considéré que les dispositions proposées ne relèvent pas du domaine de la loi mais du règlement et de la circulaire. De plus, on ne renforce pas la loi en la surchargeant. Il est de toute façon acquis que les chefs d'établissement accorderont la priorité au dialogue sur la sanction et prendront le temps de l'explication et de la pédagogie. Cela est précisé dans l'exposé des motifs du projet de loi qui prévoit de surcroît un délai pour l'entrée en application de la loi. Enfin, des médiations sont déjà en place dans chaque académie.

M. Yves Durand a observé que si le préalable du dialogue ne figure pas dans la loi, il ne constituera pas une obligation, et rien n'empêchera un chef d'établissement ou un conseil d'administration de prononcer une exclusion sans explication préalable.

M. Dominique Richard, tout en comprenant les motivations de l'amendement, s'y est opposé en considérant qu'une loi forte est avant tout une loi simple. L'intention du législateur est claire en la matière et des engagements pourront être demandés au ministre lors du débat en séance publique.

Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de Mme Martine Billard visant à abroger le statut local en vigueur dans les établissements scolaires des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

Mme Martine Billard a tout d'abord évoqué son sentiment partagé à l'égard du projet loi, en précisant qu'elle était tout à la fois contre le développement du port de signes religieux à l'école, et notamment du foulard qui infériorise les filles par rapport aux garçons, et contre l'élaboration d'une loi hostile à une religion particulière. Si le texte est ce qu'en dit son titre, c'est-à-dire un projet de loi sur la laïcité, il faut montrer qu'il s'applique à toutes les religions et qu'il est un texte de pédagogie et d'explication, qui permettra de renforcer l'égalité culturelle, sociale, religieuse et ethnique à l'école de la République. Malheureusement, ce projet de loi ne donnera lieu qu'à un débat tronqué, car les véritables raisons du mal être des jeunes, qui se manifeste par le port de signes religieux, ne sont pas abordées.

En outre, il ne paraît pas conforme au principe de laïcité que les cours de religion soient obligatoires dans les écoles de la République, comme cela est le cas en Alsace-Moselle. La moindre des choses serait de renverser la situation en rendant ces cours facultatifs.

M. Frédéric Reiss s'est opposé à l'amendement en rappelant que l'application du principe de laïcité dans les écoles d'Alsace-Moselle n'a jamais posé aucun problème. Par ailleurs, il est faux de dire que les cours de religion sont obligatoires : seule leur organisation l'est puisqu'au moment des inscriptions, les élèves peuvent tout à fait demander à en être dispensés.

M. Jean Ueberschlag a considéré qu'il s'agit là du type même d'amendement qui pourrait « mettre le feu » à l'Alsace-Moselle et qui constitue, en sus, un véritable cadeau au Front national. Les Alsaciens tiennent à leur droit local, dont le statut scolaire est un des éléments. De plus, si la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas eu lieu en Alsace-Moselle, c'est parce qu'en 1905, ces départements n'étaient pas français mais allemands. En 1919, lors de leur restitution, la France s'est engagée à maintenir les éléments du droit local. D'ailleurs, en matière scolaire, ce régime, loin de constituer une régression, a permis d'éviter toute guerre scolaire. En Alsace, il n'y a qu'une école, celle de la République !

M. Yves Durand a rappelé les raisons historiques qui sont à l'origine de la non application de la loi de 1905 en Alsace-Moselle. Il a ensuite souligné que cet amendement illustre bien le risque de réouverture du débat sur la laïcité si ce terme figure dans le titre de la loi ce que ne souhaite pas le groupe socialiste. Certains pourraient en arriver à demander la généralisation du régime concordataire à l'ensemble du pays. Le véritable enjeu de cette loi c'est la sécurisation juridique des enseignants et des responsables d'établissements et non pas la laïcité en elle-même.

Mme Martine Billard a indiqué que son amendement tend à généraliser à l'ensemble du territoire l'application du principe de laïcité sans mettre en cause les habitants d'Alsace-Moselle. Si ce projet de loi porte en effet sur la laïcité il convient d'aborder l'ensemble des questions y afférent. La laïcité c'est aussi le droit de ne pas avoir de religion et de ne pas suivre d'enseignement religieux contrairement à l'obligation posée par le décret du 3 septembre 1974 relatif à l'aménagement du statut local en vigueur dans les établissements du premier degré des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Il convient simplement d'inverser ce principe pour le rendre compatible avec le principe de laïcité tel qu'il est appliqué sur le reste du territoire.

Le rapporteur pour avis a souligné que le débat ne peut être qualifié de tronqué car il est ouvert et porte sur tous les aspects de la laïcité à l'école.

Le droit local applicable en Alsace-Moselle concerne uniquement l'enseignement des religions et pas du tout la question du port des signes religieux. En conséquence le présent projet à vocation à s'appliquer de plein droit en Alsace-Moselle.

Conformément au souhait du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

Article 2 : Application territoriale de la loi

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2 sans modification.

Article 3 : Entrée en vigueur de la loi

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3 sans modification.

Titre

La commission a ensuite examiné un amendement proposant une nouvelle rédaction du titre du projet de loi présenté par M. Yves Durand.

M. Yves Durand a estimé que l'objet de ce projet de loi doit se limiter à résoudre le problème du port de signes religieux dans les établissements scolaires et qu'il convient en conséquence de ne pas introduire un élément de confusion dans le débat en faisant référence à la laïcité dans l'intitulé.

Le rapporteur pour avis a observé que la référence à l'application du principe de laïcité présente une dimension plus générale et par conséquent plus forte que la simple référence au port des signes religieux. En outre, le texte proposé par l'amendement n'est pas satisfaisant puisqu'il fait référence aux établissements publics d'enseignement ce qui inclut les universités et les grandes écoles. Le présent projet n'a pas pour seule vocation de réglementer le port des signes religieux à l'école mais de clarifier les conditions d'application du principe de laïcité et concerne donc également les comportements qui y sont contraires. En conséquence, le titre du projet de loi est parfaitement conforme à son objet.

M. Yves Durand a proposé de rectifier son amendement pour circonscrire le champ d'application de la loi aux seuls établissements publics scolaires.

Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement ainsi rectifié.

M. Yves Durand a confirmé que les députés du groupe socialiste réservent leur vote jusqu'à l'issue du débat en séance.

Mme  Martine Billard a indiqué qu'elle s'abstiendra sur le vote de ce texte.

La commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du projet de loi sans modification.

*

Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Denis Jacquat, rapporteur sur le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées - n° 1350.

Puis, elle a désigné les membres d'une éventuelle commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Titulaires

Suppléants

M. Jean-Michel Dubernard

M. Pierre Morange

M. Jean-Paul Anciaux

M. Yves Bur

M. Bernard Perrut

M. Pierre-André Périssol

M. Bernard Depierre

M. Claude Gaillard

M. Jean Ueberschlag

M. Francis Vercamer

M. Christian Paul

M. Gaëtan Gorce

M. Alain Vidalies

CR (Non désigné)

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