COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 25 février 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Morange, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi de M. Daniel Paul contre la précarité de l'emploi - n° 1191
(M. Daniel Paul, rapporteur)



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- Saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Daniel Paul, la proposition de loi de M. Daniel Paul contre la précarité de l'emploi - n° 1191.

M. Daniel Paul, rapporteur, a exposé les fondements et le dispositif de sa proposition de loi.

Les contrats à durée déterminée (CDD) et l'intérim représentent désormais près de 10 % de l'emploi total. Le chômage, lui, ne cesse de s'inscrire dans une courbe ascendante : l'augmentation du nombre des demandeurs d'emploi a atteint 6 % sur les douze mois de l'an passé, soit environ 140 000 personnes de plus que fin 2002 et une population totale se situant aux alentours des 2,5 millions de personnes. Le taux de chômage officiel a grimpé de 9,3 % à 9,7 % de la population active, retrouvant le niveau d'avril 2000. Parmi les principales catégories frappées, les jeunes (+ 7,2 % pour les moins de vingt-cinq ans) et les chômeurs de longue durée (+ 8 %).

L'emploi intérimaire occupait près de 650 000 personnes en décembre dernier, soit une progression de 3,2 % sur un mois, mais une baisse de 3,5 % sur l'année. Cette évolution en zigzag confirme le rôle de « soupape » dévolu par le patronat à l'intérim, non en fonction des aléas de la production, comme il est affirmé, mais des appétits financiers dominant cette dernière, voire de certaines visées politiques les accompagnant.

Le recours à l'intérim continue de caractériser prioritairement l'industrie, qui emploie 48,2 % des intérimaires. Les secteurs où leur nombre est le plus important par rapport à l'effectif total sont : l'automobile (11,9 %), les industries agricoles et alimentaires (9,1 %) et la construction (8,8 %). De plus, sur les douze derniers mois, la progression de l'intérim a été fortement marquée dans le secteur de l'éducation, de la santé et de l'action sociale (+ 6,6 %).

Cette précarité de l'emploi, et plus généralement la précarité dans la société, ne sont pas totalement étrangères à la politique menée par l'actuel gouvernement, qui est en échec sur l'emploi comme on vient de le voir avec les derniers chiffres fournis par l'INSEE.

Les choix budgétaires sont marqués par des décisions de politiques sociales régressives qui accentuent la précarité. Ces choix prétendument guidés par une politique vertueuse de redressement des finances publiques ont été dramatiquement confirmés par les lois de finances pour 2003 et 2004 en dépit du discours selon lequel les moyens de la politique de l'emploi seraient préservés :

- décision de durcir les conditions de l'indemnisation du chômage avec l'augmentation de la durée d'affiliation pour l'ouverture des droits, la réduction de la durée de l'indemnisation, le renforcement des exigences à l'encontre des chômeurs par le biais du PARE et une politique vigoureuse de radiation des chômeurs qui ne seraient pas assez « dynamiques » dans leur recherche d'emploi ;

- décision de réduire la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droit, au motif que ce serait un facteur de désincitation au retour à l'emploi. Comment peut-on sérieusement penser que le montant de l'ASS peut satisfaire des salariés au chômage depuis plusieurs années au point de préférer l'assistance à un véritable emploi ? Comment justifier une mesure d'économie pour l'Etat qui ne suffit même pas à financer les cadeaux consentis aux assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune ?

- durcissement du RMI, avec le renforcement de l'exigence d'insertion professionnelle et l'octroi d'un pouvoir de suspension aux départements sans garantie d'un traitement équitable sur l'ensemble du territoire ;

- mise en place du revenu minimum d'activité (RMA), sous-contrat à durée déterminée et à temps partiel d'un nouveau genre, revenant pour l'entreprise à moins de 40 % du coût ordinaire du travail et n'ouvrant droit pour le salarié qu'à une protection sociale de seconde zone ; en fait de contrat d'insertion, il s'agit d'un contrat d'installation durable dans la précarité.

Il est vrai que d'autres crédits ont en revanche augmenté : avec la loi Fillon de démantèlement des trente-cinq heures, ce sont plusieurs milliards d'euros supplémentaires qui seront, par le biais d'exonérations de cotisations sociales patronales, versés chaque année aux entreprises afin « d'alléger le coût du travail », sans que la moindre contrepartie en termes de création ou même de stabilité de l'emploi soit exigée, sans le moindre contrôle également puisque le gouvernement s'est empressé de supprimer la commission nationale de contrôle des aides publiques. Moins de solidarité nationale, mais plus de solidarité patronale !

Il en va de même par exemple pour l'emploi des jeunes : on supprime les programmes TRACE (trajectoire d'accès à l'emploi) ou les bourses d'accès à l'emploi ; on crée en parallèle des contrats jeunes en entreprise pour lesquels la seule obligation de l'entreprise est d'engager - conformément aux règles du code du travail - ces jeunes en contrats à durée indéterminée, la contrepartie de cette obligation, qui ne va pas jusqu'à leur fournir une formation, consistant quant à elle en une exonération totale de charges, cotisations et contributions sociales au niveau du SMIC. On passe de la promotion de l'emploi marchand à l'emploi marchandé avec l'entreprise.

La proposition de loi entend tout d'abord encadrer strictement le recours au travail précaire, conformément aux récentes décisions de justice rendues par les conseils de prud'hommes et la chambre sociale de la Cour de cassation, par :

- un plafonnement du nombre des travailleurs précaires par rapport à l'effectif de l'entreprise qui pourrait, sous certaines conditions, être atteint de façon progressive par les entreprises ;

- un resserrement des cas de recours au CDD et à l'intérim ;

- une amélioration de la procédure de requalification ;

- une protection du salarié en cas de survenance du terme d'un contrat précaire devant en principe être requalifié ;

- le versement d'une indemnité de précarité pour tous les contrats précaires sans considération du motif de recours et de celui de la rupture.

S'inscrivant dans une démarche positive, la proposition de loi souhaite offrir aux travailleurs précaires un dispositif qui leur permettrait de s'émanciper de leur situation en bénéficiant à la fois d'une certaine sécurité économique et de la possibilité d'exercer en permanence une activité ou de suivre une formation, à défaut d'avoir un emploi. À rebours de la volonté de démantèlement du service public de l'emploi qui est à l'œuvre aujourd'hui, le meilleur instrument pour parvenir à cette fin est la mise en place d'un grand établissement public national dédié à l'emploi, la formation et la sécurisation des travailleurs précaires.

La précarité, ce n'est pas seulement un statut de deuxième zone, c'est surtout la perspective de ne plus avoir de statut social du tout. Il est urgent de répondre à l'appel des salariés avec qui a été travaillée cette proposition de loi, mais aussi des acteurs sociaux et des juristes. Il s'agit donc d'une véritable initiative citoyenne.

Tous les élus sont confrontés au problème de la précarité de l'emploi, qui a des incidences dans le domaine économique. Il est frappant de constater, à la lecture des questions écrites formulées au cours des derniers mois, le nombre de celles qui appellent à une limitation du recours à cette forme d'emploi. Il est donc urgent de mettre un terme à cette forme d'exploitation moderne et c'est le sens de la proposition de loi.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean-Marc Roubaud a fait observer que le recours par les entreprises à des emplois de courte durée résulte de la conjoncture et est directement lié au carnet de commandes. La présente proposition de loi traduit une grande méconnaissance de l'entreprise et son adoption accélèrerait les délocalisations.

M. Pierre Hellier a soutenu ce point de vue tout en considérant qu'il fallait réprimer les comportements excessifs, bien que marginaux, de certaines entreprises.

Mme Cécile Gallez a évoqué le cas de sa région qui a perdu 6 000 emplois en une seule journée dans les houillères et la métallurgie. Face à de telles situations, le recours à l'emploi précaire est un moindre mal et correspond à la nécessité pour les entreprises de s'adapter au marché de l'emploi. Le quota de 5 % d'emplois à durée déterminée ou en intérim, que propose le rapporteur, est totalement incompatible avec le fonctionnement actuel des entreprises.

M. Georges Colombier a relevé que dans certaines entreprises des intérimaires restaient en poste des années durant, ce qui est anormal : ou bien le salarié donne satisfaction et on l'embauche, ou bien ça n'est pas le cas et il n'y a pas lieu de renouveler son contrat. Dans le passé, l'intérim était souvent choisi par les salariés, mais la situation a changé et c'est de moins en moins le cas. Le fonctionnement actuel de l'intérim n'est pas satisfaisant.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- Il est exact que le développement de l'intérim répond à des exigences diversifiées : certains font le choix de cette forme de travail, souhaitant en début de carrière se faire en quelque sorte une « carte de visite » en multipliant les expériences dans des contextes différenciés ; pour la plupart, l'intérim ne correspond cependant pas à un choix mais est l'unique solution pour trouver du travail. L'objectif de la proposition de loi n'est pas la suppression de l'intérim utile en cas de variation aléatoire de l'activité des entreprises - comme ce fut par exemple le cas pour les entreprises de couverture après la tempête de 1999 - mais d'en limiter l'extension et d'éviter que des salariés soient perpétuellement en situation de précarité sur des postes assurant en fait la marche permanente de l'entreprise.

- C'est pourquoi il est proposé de limiter à 5 % des effectifs les salariés en contrats précaires dans une entreprise, ce qui correspond d'ailleurs à l'esprit de la première loi ayant réglementé le travail intérimaire. Il ne s'agit pas d'entraver le développement des entreprises, surtout de celles qui sont exposées à la concurrence tant sur le marché intérieur qu'international, mais de limiter les excès de la flexibilité.

- Un consensus semble exister sur l'idée que la précarité ne doit pas devenir le statut de droit commun des salariés de ce pays, la flexibilité généralisée ayant de lourdes conséquences sociales qui ne sont pas toujours mesurées par les plus chauds partisans du libéralisme.

Cette proposition de loi est une étape pour parvenir à une organisation du travail qui permettrait d'alterner des périodes d'activité et des périodes de formation afin de mettre en œuvre une véritable sécurité professionnelle pour l'ensemble des salariés.

M. Pierre Morange, président, a souligné qu'il s'agit là d'un sujet très important pour la cohésion de notre société ; il convient en effet de trouver un équilibre entre les exigences de l'économie mondialisée - qui se traduisent par une flexibilité accrue, un besoin de souplesse et de réactivité - et la nécessité de l'adaptabilité, l'accompagnement de ces changements devant être assuré par une politique dynamique de formation professionnelle comme le gouvernement en a fait le choix. Rappelant que le thème de la précarité au travail sera abordé à de multiples reprises dans les prochains mois, notamment dans le cadre de la discussion du projet de loi de mobilisation pour l'emploi, il a proposé de ne pas engager la discussion des articles et de suspendre les travaux de la commission sans présenter de conclusions sur le texte de la proposition de loi. Cette procédure n'empêche bien évidemment ni la discussion en séance publique, ni la publication du rapport écrit incluant le compte rendu des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu le loisir de s'exprimer.

La commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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Puis la commission a examiné une proposition de saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Pierre Morange, président, a informé les commissaires de la proposition faite par M. Jean-Michel Dubernard, en accord avec le bureau de la commission, de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une étude sur le risque épidémique.

Il serait en effet utile que l'office recueille des éléments scientifiques permettant à l'Assemblée nationale d'aborder en toute connaissance de cause les éventuelles mesures législatives de nature à améliorer la gestion du risque épidémique. Ce thème est d'autant plus important que de nouveaux risques sont récemment apparus comme les cas de légionellose ou, l'année dernière, l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

La commission a décidé à l'unanimité de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une étude sur le risque épidémique.


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