COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 mars 2004
(Séance de 18 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées - n° 1350 (M. Denis Jacquat, rapporteur)



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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a procédé à l'audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur le projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées - n° 1350.

Le président Jean-Michel Dubernard a d'abord remercié le ministre d'avoir accepté de venir à cet horaire un peu inhabituel pour présenter le projet de loi relatif à l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Tout aussi inhabituel est le délai dont la commission dispose pour examiner ce texte. Déposé le 14 janvier dernier, il sera examiné en commission le 7 avril prochain avant d'être débattu en séance publique à la fin du mois d'avril. L'importance du sujet le mérite. La réflexion était menée depuis plusieurs années, notamment au sein de la commission, sur la façon de prendre en charge la perte d'autonomie. La canicule a montré la nécessité de passer de la réflexion à l'action. Il est bon qu'ait triomphé l'idée d'une conception globale de la perte d'autonomie, même si cela conduit désormais à gérer un calendrier complexe : le présent projet de loi, puis celui présenté par Marie-Thérèse Boisseau sur les droits des personnes handicapées, la réforme de l'assurance maladie et enfin, à l'automne, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a d'abord indiqué que le projet de loi s'efforce de mettre en œuvre les principales mesures retenues par le gouvernement à l'issue du débat public consécutif aux dramatiques conséquences de la canicule. Ces conséquences sont aujourd'hui connues avec précision grâce aux investigations menées à l'initiative du Parlement et aux analyses de l'Institut de veille sanitaire (InVS), de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ainsi que de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS). Plusieurs enseignements peuvent être dégagés de toutes ces expertises. Les fortes températures de la première quinzaine d'août ont eu pour effet un pic de mortalité que notre pays n'avait pratiquement jamais connu. Le nombre annuel de décès n'avait jamais été aussi élevé en métropole depuis 1985. Cette vague de chaleur a été exceptionnelle par sa durée, par son intensité et par son étendue géographique. Elle dépasse largement les canicules observées dans plusieurs autres pays, notamment aux Etats-Unis ou en Grèce, et celles de 1976 et 1983 en France.

Le projet de loi n'épuise pas à lui seul la totalité des mesures à prendre pour éviter la répétition d'une telle crise. Il propose cependant de répondre à deux interrogations majeures, qui ont été au centre du débat public : comment anticiper les risques exceptionnels, climatiques ou autres ? Comment renforcer les moyens destinés aux personnes âgées dans la perspective d'une augmentation inéluctable du nombre des personnes isolées, fragiles ou vulnérables ?

La première partie du projet de loi s'attache à organiser la prévention de la crise en instituant un dispositif de veille et d'alerte. Ce dispositif est destiné principalement à venir en aide aux personnes les plus isolées ou en perte d'autonomie, en raison de leur âge ou de leur handicap. Un plan de veille et d'alerte sera préparé dans chaque département par le préfet et par le président du conseil général. Sa mise en œuvre sera déclenchée par le préfet en cas de risque exceptionnel. Il permettra l'intervention des services sanitaires et sociaux sur la base des informations recueillies préalablement par les communes auprès des personnes âgées et des personnes handicapées. Le recensement sera effectué sur la demande des intéressés eux-mêmes ou de leurs tuteurs, conformément à l'avis du Conseil d'Etat.

Le projet de loi institue une obligation de planification opérationnelle pour les périodes de crise, mais il ne prendra toute sa force que si l'alerte est déclenchée à temps. Aujourd'hui les prévisions météorologiques ne sont fiables que sur les trois à cinq jours à venir. Il faut donc être prêt, de façon continue, à intervenir face à une menace imminente et disposer d'indicateurs permettant d'identifier les phénomènes exceptionnels qui présentent un risque sanitaire majeur.

C'est pourquoi la réforme s'accompagne d'un dispositif d'anticipation, qui est en cours d'élaboration grâce à l'accord-cadre signé récemment par l'InVS et Météo France : ce dispositif, qui sera opérationnel au 1er juin prochain, permettra de repérer à l'avance les situations météorologiques à risque sanitaire et de prévenir la population en fonction de plusieurs seuils d'alerte. L'objectif est ainsi de tisser un réseau de surveillance et d'intervention, qui permettra d'éviter la répétition du dysfonctionnement constaté en 2003 : l'information, trop diluée à la base pour être perceptible, n'a été signalée qu'en aval de la crise par les services d'urgences hospitalières, les sapeurs pompiers ou les pompes funèbres. La réforme s'attache à substituer à ce mode d'action trop tardif un chaînage préétabli entre la prévention par les services météorologiques, l'alerte et le déclenchement des opérations par le préfet, l'intervention enfin des services sanitaires et sociaux auprès des personnes fragiles repérées et recensées par chaque commune. Ce dispositif paraît correspondre aux propositions de la commission d'enquête de l'Assemblée concernant les mesures de prévention et d'alerte.

D'autres travaux, en cours, vont dans le sens des recommandations de la commission d'enquête. Les services ministériels achèvent actuellement l'expertise des conditions optimales d'une bonne climatisation. En effet, rafraîchir quelques heures par jour évite le risque d'hyperthermie, mais inversement trop climatiser expose à des risques infectieux. L'Agence française pour la sécurité sanitaire et environnementale (AFSSE) fera connaître le résultat de ses travaux dans quelques semaines. Toutefois, sans attendre ces résultats, des instructions ont déjà été données pour que les maisons de retraite se dotent d'une pièce rafraîchie au moins avant juin prochain.

Ainsi que le constate la commission d'enquête, la grande diversité des établissements et des facteurs à prendre en compte oblige à une analyse au cas par cas pour déterminer les causes de la surmortalité. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur la prise en charge médico-sociale des personnes âgées apporte les premiers éléments de réponse. Toutefois, une analyse complémentaire a été demandée sur la soixantaine d'établissements, où le taux de décès pendant la canicule a été supérieur à 20 %. Ils représentent à eux seuls environ 800 décès. Enfin, sur le plan sanitaire, la présence de médecins coordonnateurs dans les maisons de retraite médicalisées sera généralisée par un décret à paraître dans quelques semaines. Le gouvernement s'attache également à créer dans les hôpitaux une filière de prise en charge des personnes âgées par l'individualisation de lits de court séjour gériatrique dans les hôpitaux sièges d'un service d'urgence et par le développement significatif des réseaux gérontologiques.

Le projet de loi répond, par ses titres II et III, à la deuxième grande préoccupation issue de l'après-crise : le renforcement des moyens. La crise estivale a en effet révélé que l'effort de la société en faveur des personnes dépendantes était insuffisant malgré la création de la prestation spécifique dépendance (PSD) puis de 1'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Le nombre de décès en maison de retraite a souligné des besoins importants de médicalisation en raison de l'évolution démographique de notre pays et de l'augmentation continue de l'espérance de vie. Cette évolution, qui a été qualifiée de « révolution de la longévité », est un progrès social considérable. Mais elle a aussi son revers : la fragilité du grand âge l'expose plus que d'autres aux risques sanitaires. C'était déjà le cas de la grippe et du froid. C'est aussi le cas des fortes hausses de chaleur.

La mise en place de l'APA et le plan de médicalisation, lié initialement à la réforme de la tarification des maisons de retraite, ont amorcé une réponse collective. Ce n'était cependant qu'une esquisse car l'action engagée n'était pas financée : il manquait 1,2 milliard d'euros fin 2002 pour financer l'APA. Au rythme du conventionnement tripartite réalisé entre 2000 et 2002, il aurait fallu de très nombreuses années pour renforcer correctement le taux d'encadrement en personnel soignant des maisons de retraite médicalisées. Le projet de loi accélère et amplifie la réponse attendue. Il ne se contente pas d'annoncer un plan, il le finance. Il le finance en outre sans recourir à un prélèvement obligatoire supplémentaire. Ce financement propose une double rupture : il est d'abord gagé par la création de richesses nouvelles, c'est-à-dire par une journée de travail supplémentaire dans l'année. Il est ensuite affecté à une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, afin d'éviter le retour d'anciennes tentations, à l'exemple de celles qui avaient pu se manifester pour la vignette automobile.

Le titre II institue la journée de la solidarité. Comme l'a indiqué le Premier ministre, cette journée trouve son sens autour d'une valeur qui subsiste dans notre pays : celle de la fraternité. Elle se traduira pour chaque salarié et pour chaque fonctionnaire par une journée de travail supplémentaire non rémunérée. Dans les trois fonctions publiques, cette journée de solidarité correspondra dès 2005 au lundi de Pentecôte. Dans le secteur privé, le projet de loi ouvre la possibilité aux partenaires sociaux de la branche ou de l'entreprise de choisir, par la négociation collective, un autre jour que le lundi de Pentecôte. Le projet de loi introduit les modifications nécessaires du code du travail, notamment pour le régime des heures supplémentaires ou la durée annuelle de travail. Il modifie également le statut de la fonction publique. En supprimant le lundi de Pentecôte, le projet ne porte atteinte à aucune conviction religieuse. Il ne pénalise pas davantage notre pays au plan international : la France restera dans la moyenne des pays européens en matière de jours fériés, au même niveau que la Suède ou l'Irlande. Son mérite est en fait ailleurs : les salariés et fonctionnaires donneront un peu de leur temps, mais ne perdront aucun pouvoir d'achat, à la différence des augmentations de cotisation salariale ou des suppléments d'impôts. Ce sont les employeurs qui restitueront au profit de la solidarité nationale la valeur ajoutée produite par la journée supplémentaire de travail, sous la forme d'une contribution patronale, dont le niveau a été estimé à 0,3 % des salaires et traitements.

Ceux pour lesquels la notion de travail supplémentaire n'a pas de signification seront exonérés de cette contribution : soit parce qu'ils ont cessé leur vie professionnelle, les retraités ; soit parce que leur temps de travail n'est pas assimilable à un horaire contraint ou organisé : c'est le cas, pour ce qui les concerne eux-mêmes - ils seront assujettis à cette contribution dès lors qu'ils emploient au moins un salarié -, des travailleurs indépendants ou des agriculteurs.

La même contribution de 0,3 % s'appliquera également aux revenus du patrimoine et des placements, à l'exception des produits de l'épargne populaire comme le livret A. Cette nouvelle recette permettra de mobiliser chaque année environ deux milliards d'euros. La ressource croîtra avec la richesse nationale. La transparence du dispositif est absolument nécessaire, car les Français doivent être certains du bien fondé de leur effort. Afin que la journée de solidarité corresponde bien à des actions supplémentaires au bénéfice des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, le produit de cette journée sera entouré d'une garantie : il ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais affecté à une caisse bien identifiée : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à laquelle est consacré le titre III du projet de loi. Cette caisse est instituée sous forme d'établissement public national à caractère administratif pour assurer sa transparence.

Ses dépenses sont destinées tout d'abord à la consolidation du concours national versé aux départements pour la prise en charge de l'allocation personnalisée d'autonomie : ainsi 400 millions d'euros s'ajouteront chaque année au 0,1 point de CSG déjà affecté au fonds de financement de l'APA. De plus, 400 millions d'euros supplémentaires permettront en 2004 de rembourser par anticipation l'emprunt contracté au titre de 2003. La caisse sera ainsi en mesure de mettre un terme, de manière durable, à la grave impasse financière héritée du précédent gouvernement. La caisse prendra aussi en charge des dépenses, qui s'ajouteront à celles de l'assurance maladie sur toute la durée du plan, c'est-à-dire jusqu'en 2008. Elles seront réparties de manière égale entre, d'une part, la compensation du handicap, au titre de la réforme de la loi de 1975 que vient d'engager le gouvernement, et, d'autre part, la mise en œuvre du plan vieillissement et solidarités annoncé par le Premier ministre le 6 novembre dernier.

D'ici à 2008, ce plan permettra de médicaliser davantage les maisons de retraite et de créer 10 000 places supplémentaires en établissement, 17 000 places en services de soins infirmiers à domicile et 13 000 places d'hébergement temporaire et d'accueil de jour. La montée en charge de ce plan sera progressive, au rythme des capacités de recrutement des personnels soignants. Les quotas de formation ont déjà été fortement relevés. Le développement de la validation des acquis de l'expérience élargira encore les possibilités de recrutement. Le plan mobilisera à lui seul environ 800 millions d'euros par an, qui s'ajouteront aux ressources dégagées chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie dans le domaine médico-social. Il renforcera la vie à domicile, conformément à l'attente prioritaire des personnes âgées, tout en améliorant l'accueil médicalisé en établissement, lorsque la vie à domicile n'est plus possible ou souhaitée. D'ores et déjà, les dépenses supplémentaires de médicalisation des établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées progressent de plus de 300 millions d'euros, soit une hausse de 10 %, au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie pour 2004. Cet effort sera ensuite amplifié grâce à la création de la caisse.

Le projet de loi introduit ainsi une amélioration significative de la prise en charge des personnes âgées à domicile comme en établissement. Il n'est toutefois qu'une étape dans une dynamique de modernisation plus vaste de notre système social, qu'illustrent plusieurs réformes proposées actuellement au Parlement. Le projet de loi relatif aux responsabilités locales devrait élargir dès 2005 les compétences des conseils généraux dans le domaine des personnes âgées : il est examiné en ce moment par l'Assemblée nationale. De même, le projet de loi « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » devrait rénover les modalités de prise en charge des personnes handicapées : le Sénat vient de l'adopter en première lecture. Enfin, la réforme en préparation de l'assurance maladie pourrait elle aussi se traduire par des modifications non seulement financières mais aussi institutionnelles.

Compte tenu de toutes ces évolutions en cours, le projet de loi devra être adapté et complété ultérieurement pour préciser en particulier les modalités de fonctionnement de la caisse, notamment en ce qui concerne ses relations avec les conseils généraux et avec 1'assurance maladie.

Pour éclairer les arbitrages à venir, le Premier ministre a confié à deux personnalités, M. Raoul Briet, conseiller maître à la Cour des comptes, et M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, une mission de concertation et d'expertise. Leur rapport est attendu à la fin du mois de mai.

Le projet de loi devrait, si le Parlement en décide ainsi, prendre effet dès le 1er juillet 2004. Il propose, sans attendre, de construire un partenariat d'un type nouveau pour répondre à des besoins nouveaux. En effet, la réforme privilégie, en premier lieu, un mode de gestion décentralisé, fondé sur la proximité et adossé à une organisation nationale garante de l'utilisation exclusive de la nouvelle ressource au bénéfice des personnes dépendantes. La nouvelle caisse ne se limite donc pas à un simple fonds de péréquation ; elle ne répartit pas seulement des dépenses, mais les renforce et les démultiplie. Elle ne démembre pas non plus l'organisation actuelle de la sécurité sociale mais maintient son unité et préserve l'universalité de l'assurance maladie, en refusant toute prise en charge différenciée des soins aux personnes âgées.

D'autre part, la réforme instaure pour la première fois dans la protection sociale de notre pays une prise en charge globale de la perte d'autonomie due à l'âge ou au handicap, sans préjuger à ce stade des évolutions complémentaires à venir. De nouvelles pistes de réflexion ont été ouvertes pour aller plus loin dans la prise en charge de la dépendance : le rapport de la mission d'information sur la canicule et l'avis récent du Conseil économique et social permettront, le cas échéant, de poursuivre ultérieurement la réforme proposée aujourd'hui.

Le projet de loi est, en définitive, tout à la fois pragmatique et ambitieux : pragmatique parce qu'il propose une démarche évolutive et un financement assuré, mais également ambitieux parce qu'il représente une véritable avancée face au nouveau défi du vieillissement.

En présentant ce dispositif original et audacieux, on ne peut cependant oublier qu'il a fallu une crise terriblement douloureuse pour précipiter l'action et la prise de conscience de notre société vis-à-vis du sort réservé à ses anciens, qui sont et seront de plus en plus nombreux à l'avenir. Ce défi démographique n'avait pas été de façon collective, suffisamment débattu et anticipé. Cette réflexion conduit à conclure qu'il n'est rien de plus périlleux pour notre modèle social que le statu quo et les certitudes intellectuelles.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

M. Denis Jacquat, rapporteur, tout en regrettant les conséquences dramatiques de la canicule, a confirmé qu'elle a permis une prise de conscience accélérée de la nécessaire amélioration de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Le présent projet de loi y contribue évidemment et constitue un réel progrès. Toutefois, à l'issue des auditions menées en vue de son examen, plusieurs questions se dégagent :

- Concernant le titre I, qui met en place un plan de veille et d'alerte de proximité, de nombreux élus locaux évoquent la difficulté d'un recensement des personnes refusant de figurer sur un fichier des personnes isolées. Ils demandent aussi s'ils pourraient être tenus responsables de failles d'un dispositif d'alerte ne pouvant prévenir ces personnes très attachées à leur indépendance. Ne faut-il pas mettre en place un système d'éducation civique en la matière de façon à tendre vers un objectif clair : « zéro mort » ?

- Concernant le titre II et la création d'une journée de solidarité résultant de la suppression du caractère férié du lundi de Pentecôte pour financer la prise en charge des personnes dépendantes, certains interlocuteurs critiquent le choix de cette date qui correspond à une période de forte activité touristique ; en outre, de multiples compétitions sportives se déroulent à cette époque. Serait-il possible de prévoir une autre date, par exemple le 8 mai ou le 11 novembre ?

- Les missions et l'organisation de la caisse nationale de la solidarité nationale pour l'autonomie ne sont pas encore définitivement arrêtées et l'on peut se demander s'il s'agit plutôt d'un fonds de financement ou d'une institution disposant d'une véritable autonomie de décision, d'une compétence de pilotage et de définition des orientations. Le gouvernement a chargé MM. Raoul Briet et Pierre Jamet d'étudier le contour définitif de cette caisse. Il serait opportun de savoir dans quelles mesures les conclusions de leur rapport - qui devrait être remis fin mai - pourront éventuellement être intégrées au présent projet de loi dans le cours de la navette.

- Des interrogations portent par ailleurs sur la contribution de solidarité représentée par le travail effectué lors d'un jour traditionnellement férié. L'effort ne concernera que les salariés alors que les agriculteurs, les professions libérales et les retraités imposables ne participeront en rien à ce geste de solidarité. Est-il envisageable d'élargir le champ des contributeurs à cet effort de solidarité ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a tout d'abord fait remarquer que la prise en charge des personnes dépendantes est un enjeu majeur pour notre société et qu'il convient, au-delà de la nécessaire mise en place d'un réseau d'alerte, d'entretenir la mémoire du drame de cet été afin que chacun reste conscient des risques potentiels de la canicule. Un effort de sensibilisation doit être mené pour former la population aux gestes qui sauvent ou aux comportements adéquats en cas de canicule.

Elle a ensuite formulé les observations suivantes :

- La France doit faire un effort en matière de recherche pour étudier les effets sanitaires du vieillissement de la population afin de mieux appréhender les risques potentiels de nouvelles périodes caniculaires.

- Les critiques relatives à la mise en place de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont unanimes de la part des organismes de sécurité sociale qui soulignent que ni les missions ni l'organisation de cette institution ne sont définies. L'ACOSS déplore que l'on « privilégie les effets d'annonces à court terme » et que « le gouvernement tourne le dos à une amélioration effective et pérenne » du système de protection sociale. Les organisations syndicales de salariés sont également défavorables à la création de cette caisse. Il est donc indispensable que le ministre apporte des éclaircissements sur la nature de la CNSA.

- Il faut rectifier un certain nombre de contre-vérités colportées ces derniers temps concernant la prise en charge des personnes âgées. Il est, par exemple inexact, de prétendre que l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) aurait créé un transfert de compétences et de charges aux départements qui, de plus, n'aurait pas été financé. En réalité, les départements étaient déjà compétents en la matière puisqu'ils géraient l'allocation compensatrice pour tierce personne et la prestation spécifique dépendance (PSD) antérieures à l'APA. Le seul changement a consisté à faire en sorte que cette prestation soit accordée sur des fondements équitables entre départements et à pérenniser la prestation. De même, on a évoqué des erreurs de prévisions et des insuffisances de financement sur l'APA : 800 000 bénéficiaires étaient prévus pour la fin 2003, ils ont été 780 000 ; il manquerait 1,2 milliard d'euros : la prévision était de 1,7 milliard d'euros pour 2002, or 1,5 milliard ont été effectivement dépensés. Il est enfin inexact de dire que l'essentiel des conventions tripartites ont été signées après le début du gouvernement Raffarin alors que ce dispositif a commencé dès 2001 et que de multiples mesures d'organisation ont été prises à cette époque pour permettre le lancement rapide de ces conventions tripartites.

- Il n'est de solidarité dans ce texte que de nom. Seuls les salariés sont appelés à contribuer à ce nouvel effort de solidarité alors que l'ensemble de la population sous le coup du drame de cet été était prête à se mobiliser. Sont ainsi exclus de cet effort les médecins, les professions libérales, les agriculteurs. Le choix est clairement fait de stigmatiser les salariés.

- Le projet de loi comporte des ambiguïtés qu'il est indispensable de lever, notamment quant au rôle de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie : on ne sait pas si elle ne sera qu'un fonds destiné à verser des contributions aux conseils généraux ou si cette caisse aura un véritable pouvoir de décision. Le terme même de caisse est ambigu : il ne s'agit pas de créer une cinquième branche ou un cinquième risque. Pourquoi ne pas avoir confié la gestion de ces fonds aux caisses existantes qui incarnent la solidarité ?

- Ce projet aura de plus l'inconvénient majeur d'entraîner une rupture de l'universalité de la prise en charge offerte par l'assurance maladie, certains soins jusque là financés par l'assurance maladie - par exemple les soins dispensés en maisons de retraite, la mise en place des médecins coordonnateurs - étant désormais du ressort de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Il est donc indispensable de clarifier les dépenses qui resteront du domaine de l'assurance maladie et celles qui relèveront désormais de la prise en charge de la dépendance.

- Un effort important doit être entrepris pour permettre aux conventions tripartites de continuer leur progression car il existe aujourd'hui de fortes disparités régionales, certaines DDASS n'ayant pas les moyens en personnel suffisants pour suivre la mise en œuvre de ces dispositifs.

M. René Couanau a estimé souhaitable de renforcer le volet prévention du projet de loi. Il est absolument nécessaire d'augmenter le nombre de lits d'aval dans les hôpitaux pour les personnes âgées souffrant de polypathologies admises aux urgences. Toutefois, il est vraisemblable que le redéploiement des moyens profitera aux services de soins courants, ce qui pose la question du financement de nouveaux lits. Une partie des financements prévus par le plan « vieillissement » pourra-t-elle être mobilisée à cet effet ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal a formulé les observations suivantes :

- Il faut changer notre regard sur le vieillissement, qui constitue un nouvel enjeu pour la société et nécessite d'apporter de nouvelles réponses à la hauteur des besoins. A cet égard, l'APA a été une grande loi mais il faut aller encore plus loin pour renforcer la qualité des interventions en faveur des personnes âgées dépendantes et non remettre indirectement en cause le dispositif comme l'a fait le gouvernement Raffarin.

- Ce projet de loi est très incomplet, notamment sur le statut de la nouvelle caisse nationale, dans l'attente du rapport Briet-Jamet. Faudra-t-il attendre un deuxième projet de loi pour y voir clair dans le dispositif ?

- En ce qui concerne le financement du plan, on doit déplorer que l'effort porte sur les seuls salariés, sans effort de solidarité de la part des petits entrepreneurs ou des professions libérales.

- Le projet de loi se contente d'assurer un transfert de charges déjà assurées par différentes structures. On ne voit donc pas en quoi il y aura des marges d'action supplémentaires significatives. En outre, l'inclusion des dépenses relevant de l'ONDAM médico-social dans le champ de la nouvelle caisse risque d'entraîner une exclusion des personnes âgées dépendantes de l'assurance maladie.

- On a pu constater, lors de la canicule de l'été dernier, que 16 % des personnes âgées décédées à domicile étaient isolées. Il faut donc renforcer le maillage institutionnel sur l'ensemble du territoire à destination de ces personnes, tout en respectant leur liberté de choix.

- Il faut éviter par la création de la CNSA de stigmatiser le coût pour la société des personnes âgées et handicapées.

- On voit mal comment les départements vont gérer les dépenses induites par le projet sans disposer d'un pouvoir de décision sur des ressources affectées largement financées par la solidarité nationale. Il y a donc un risque soit de gestion de la pénurie, soit de nouvelles inégalités entre départements.

- Les EHPAD ne sont pas suffisamment médicalisés pour traiter les poly-pathologies. Il faut donc les rapprocher des hôpitaux.

M. Gaëtan Gorce s'est interrogé sur le mode de financement retenu, qui constitue en fait un prélèvement supplémentaire à hauteur de deux milliards d'euros. Il ne s'agit pas d'un simple geste de solidarité indolore de la part des salariés car ceux-ci, outre qu'ils devront travailler davantage, vont payer deux fois, compte tenu des prélèvements afférents à la consommation supplémentaire induite par la création de valeur ajoutée le jour précédemment chômé. Ce prélèvement est en totale incohérence avec la politique du gouvernement qui baisse l'impôt sur le revenu et récuse une augmentation de la CSG.

Présenter le dispositif comme indolore est donc tout à fait hypocrite, d'autant plus qu'il aura des conséquences lourdes pour l'Etat et les collectivités locales sans qu'aucune concertation n'ait été menée avec celles-ci et avec les partenaires sociaux. La remise en cause en apparence anodine et symbolique des trente-cinq heures qu'il permet est au final très dangereuse pour l'économie comme pour l'emploi et relève d'une conception archaïque.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est interrogé sur les moyens d'améliorer la détection et le repérage des personnes isolées, ainsi que sur les relations de la nouvelle caisse nationale avec l'assurance maladie.

En réponse aux différents intervenants, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a apporté les précisions suivantes.

- Dans le prolongement des recommandations du Conseil d'Etat, il est apparu nécessaire de ne permettre l'inscription des personnes isolées dans le dispositif de veille et d'alerte qu'à leur demande ou également à l'initiative des personnes qui les entourent, par exemple la famille ou les infirmiers. Dès lors que le projet de loi prévoit la formalisation de la demande faite par ces personnes, la responsabilité du maire ne pourra pas être recherchée pour défaut d'inscription. Le texte laisse ainsi la liberté aux collectivités locales d'organiser ce dispositif, même si, dans la pratique, elles auront sans doute un travail de persuasion à accomplir auprès des personnes isolées qui ne souhaitent pas s'inscrire dans ce dispositif.

- Quant à la nature de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, il faut tout d'abord souligner que sa création répond à la double nécessité de faire face à une situation d'urgence et donc de pouvoir mobiliser rapidement des financements sécurisés. Elle doit certes également s'inscrire en cohérence avec la réforme en cours de l'assurance maladie. Cependant, le report de la présente réforme en 2005 aurait conduit à différer la mise en œuvre des mesures prévues pour les personnes âgées, alors que la caisse pourrait disposer de recettes estimées à près d'un milliard d'euros dès le mois de juillet prochain.

Le débat reste donc ouvert quant à l'avenir de la caisse nationale : les principes fondamentaux pourront en être posés lors de la réforme de l'assurance maladie. Pour l'instant, la caisse nationale s'apparente en effet à un fonds, sans les défauts que lui prête l'opposition ; il faut souligner qu'il est distinct des caisses de sécurité sociale, qui continueront à exercer leurs missions sans qu'une seule partie de leurs recettes ne soit isolée et transférée à la CNSA. Il ne s'agit donc que d'identifier, d'isoler et de sécuriser des financements supplémentaires sans trancher de façon prématurée un débat qui le sera dans le cadre non pas d'un second projet de loi mais de la réforme de l'assurance maladie.

Il n'y aura ni transfert de moyens, ni transferts de personnels. C'est bien un effort supplémentaire par rapport au dispositif actuel qui est consenti pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

- Concernant le choix du jour férié, le rapporteur a rappelé, à juste titre, que de nombreux responsables politiques et associatifs avaient proposé cette réforme, inspirée de l'exemple allemand. Le jour du lundi de Pentecôte a été retenu, notamment parce que le mois de mai comprend déjà de nombreux jours fériés. De plus, l'hypothèse évoquée par le rapporteur de retenir la date de la commémoration de la fin de la première ou de la seconde guerre mondiale - de plus en plus souvent avancée au nom de la réconciliation franco-allemande -, paraît pour le moins contestable, dans la mesure où on ne peut pas comparer un hommage rendu à près de quarante millions de morts avec les pèlerinages qui sont organisés à l'occasion du lundi de Pentecôte. Quant aux risques éventuels de perturbation de l'activité touristique, il faut rappeler, d'une part, que la France comprend un nombre considérable de jours fériés et de repos liés à la mise en œuvre de la réduction du temps de travail et, d'autre part, que des négociations avec les secteurs de l'hôtellerie et la restauration sont actuellement engagées sur ce point, d'autant qu'ils fonctionnent couramment 365 jours par an.

- Consultée sur l'application de cette réforme dans son pays, la ministre de la santé allemande a indiqué qu'une deuxième journée de solidarité serait d'ores et déjà nécessaire pour assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées et que le recours à l'assurance privée est souhaitable : il faut être social-démocrate pour faire de telles propositions !

- Le choix de ne retenir dans l'assiette de la cotisation instituée que les salaires et les revenus du capital résulte de l'impossibilité d'imposer une journée supplémentaire de travail à des professions dans lesquelles on ne peut pas compter son temps de travail de la même façon qu'un salarié. C'est pourquoi les agriculteurs et les professions indépendantes ont été exclus de ce dispositif, pour eux-mêmes alors qu'ils y sont assujettis lorsqu'ils emploient des salariés. On aurait donc tort d'y voir une atteinte au principe du financement de la réforme par la solidarité nationale. Au reste, ces préoccupations n'ont pas empêché le gouvernement précédent d'exclure les mêmes professions du champ d'application des mesures de réduction du temps de travail. Il n'apparaît pas non plus opportun d'étendre l'assiette de cette cotisation aux retraités, afin de ne réduire le pouvoir d'achat d'aucun Français.

- S'il est vrai que des réformes ont été engagées dans ce domaine à l'initiative du précédent gouvernement, celles-ci n'ont manifestement pas été à la hauteur des enjeux, sans quoi il ne serait pas nécessaire aujourd'hui de renforcer les moyens en faveur des personnes âgées.

- Il est en effet nécessaire d'améliorer l'information des familles sur les gestes à faire en cas d'épisode caniculaire et de promouvoir le développement de la recherche, comme le prévoit notamment l'accord-cadre conclu entre Météo France et l'InVS. L'Institut de longévité créé en 2002 permettra également de favoriser la recherche fondamentale sur les facteurs de longévité.

- Les prévisions de recettes sont par nature contestables mais on ne peut que constater le caractère très insatisfaisant des conditions financières du transfert de l'APA aux départements, qui ont nécessité un emprunt de près de 400 millions d'euros en 2003. Encore a-t-il fallu réaliser des économies et chacun des acteurs a dû consentir des efforts.

- Concernant les conventions tripartites, les moyens nécessaires ont été mis en place : deux mille conventions tripartites ont ainsi été conclues en 2004, hors financement complémentaire, contre deux mille cinq cents au cours de la période 2000-2003. Il faut en outre simplifier le dispositif actuel.

- La caisse nationale n'a pas vocation à financer la création de nouveaux lits en hôpital, y compris dans les services de gériatrie, d'autant plus que le plan « Hôpital 2007 » prévoit précisément de renforcer les investissements dans ce domaine.

- Le gouvernement a par ailleurs plutôt décidé - pour le moment - de ne pas créer une cinquième branche visant à prendre en charge le risque de dépendance afin de ne pas individualiser les dépenses de santé des personnes âgées, dont personne ne souhaite la stigmatisation. Il s'agit uniquement, par ce projet de loi, d'améliorer les conditions de sécurité et de fin de vie de ces personnes.

- Enfin, quant au caractère jugé « archaïque » du mode de financement proposé, c'est d'abord aux Français qu'il appartiendra de le juger. L'alternative était la suivante : augmenter le taux de la contribution sociale généralisée (CSG), c'est-à-dire augmenter le taux de prélèvements obligatoires, comme certains ont tendance à le faire à chaque fois que se pose un problème, ou supprimer un jour férié, et créer de ce fait des richesses supplémentaires, même si l'on peut bien sûr en discuter le montant ou les effets sur la consommation. C'était du reste l'un des arguments avancés par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), selon qui l'Etat disposerait des recettes nécessaires au financement de la réforme à travers les impôts supplémentaires découlant de ce jour de travail supplémentaire, sans qu'il soit nécessaire de prélever une nouvelle cotisation.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné la forte dimension symbolique revêtue par cette journée de solidarité avant de remercier le ministre pour la qualité des réponses apportées aux différents intervenants.

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