COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 3 juin 2004
(Séance de 14 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 


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- Audition de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - n° 1465 (M. Jean-François Chossy, rapporteur)



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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a procédé à l'audition de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - n° 1465.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié la ministre d'avoir accepté l'invitation de la commission afin d'approfondir le débat sur le projet de loi. Des problèmes de forme ont suscité en séance, chez les députés, irritation et incompréhension. Quant au fond, si la restructuration du projet de loi va dans le bon sens, il est indispensable de recadrer l'ensemble.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, s'est félicitée de l'invitation de la commission, qui lui permet de justifier les évolutions indispensables du texte, et a indiqué que, durant les deux mois écoulés depuis sa nomination, les arguments développés par les associations, les organisations professionnelles et les sénateurs ont fait évoluer sa réflexion. Il convient de redonner du souffle au texte et de traiter de certains sujets qui sont insuffisamment pris en considération. Par exemple, le fait que des femmes handicapées décèdent de cancers faute d'accéder effectivement aux mesures de prévention existantes est tragique et il faut remédier à cette situation.

S'agissant du titre I, son architecture initiale ne met pas en valeur des dispositions fondamentales qu'il comporte. Il faut donc le remodeler en le centrant sur les thèmes de la santé, la recherche, la prévention et l'accès aux soins. Ce remodelage rend nombre d'amendements parlementaires inopérants, ce qui n'est pas l'effet recherché ; l'objectif n'est nullement d'éluder les enjeux du débat, mais bien au contraire de faire en sorte que le handicap ne masque pas la réalité de la personne.

S'agissant du titre II relatif au droit à compensation, il manque de clarté, alors que deux éléments fondateurs doivent apparaître : la prise en compte de l'environnement et celle de la situation spécifique de la personne. La définition proposée aujourd'hui du handicap est véritablement opératoire même si elle est susceptible d'évoluer dans le temps. Cette partie du projet de loi doit impérativement prendre en considération le projet de vie qui doit devenir un facteur déterminant du droit à compensation.

Deux autres points sur lesquels les associations se sont exprimées méritent d'être revus.

Il s'agit tout d'abord des barrières d'âge qui concernent en premier lieu les enfants et les adolescents, qui ne bénéficient aujourd'hui que de l'allocation d'éducation spéciale (AES) et de ses compléments. L'ambition du projet est, à l'issue d'une période transitoire de trois ans, de faire sauter cette barrière d'âge en introduisant un droit à compensation pour les jeunes. De même, pour les plus de soixante ans, le droit à compensation devra être maintenu.

En second lieu, la question de la condition de ressources doit être réexaminée. Sans doute est-il souhaitable de déconnecter le droit à compensation, lié au handicap, du niveau de revenu de la personne. Toutefois, il faut être réaliste. D'une part, pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH), le projet de loi ne saurait prévoir des règles totalement dérogatoires à celles qui existent en général en matière de minima sociaux, même s'il faut prendre en compte les cas les plus difficiles. D'autre part, il existe une contrainte budgétaire. En ce qui concerne la compensation, la règle de base est que le constat d'un handicap ouvre automatiquement un droit qui doit être fonction du projet de vie de la personne. Cependant, compte tenu des moyens, il n'est pas possible de parvenir immédiatement à une compensation intégrale et, dans cette optique, la prise en compte des ressources et de la situation des personnes pour fixer ce qui reste à leur charge est équitable.

En ce qui concerne le financement des mesures nouvelles, la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et la suppression d'un jour férié vont dégager 850 millions d'euros supplémentaires pour financer le droit à compensation. Toutes les estimations montrent qu'il s'agit là d'une augmentation substantielle de moyens qui va permettre de doubler le financement des aides techniques et d'accroître très fortement la prise en charge des aides humaines ; quant au poly-handicap, il sera pris en charge intégralement. Certes, il subsistera pour certains un reste à contribution, mais l'essentiel de l'effort se portera vers les plus démunis pour des raisons de justice sociale.

S'agissant de l'accès à l'école, le caractère obligatoire de l'inscription à l'école la plus proche de leur domicile des enfants handicapés est une avancée essentielle qui résulte notamment du débat parlementaire. Il faut aller vers une véritable corrélation entre la carte scolaire et la carte médico-sociale.

En ce qui concerne le rôle des entreprises, la loi ne doit pas être trop pénalisante pour celles qui sont prêtes à accueillir des personnes handicapées et qui devront fournir des efforts d'adaptation. Il convient de supprimer le principe des emplois exclus de l'obligation d'emploi, car le droit commun du travail doit s'appliquer aussi souvent que possible, mais en prévoyant des aménagements afin d'éviter que les entreprises ne perçoivent négativement les mesures en faveur des personnes handicapées. En revanche, les entreprises qui préfèrent payer une cotisation à l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), plutôt que d'embaucher directement des travailleurs handicapés, doivent se voir opposer un véritable prix psychologique. Le gouvernement est donc favorable au relèvement du plafond de leur contribution, même s'il y a débat sur le niveau à retenir.

Quant au secteur public, la création du nouveau fonds pour l'insertion est un vrai progrès. La segmentation du fonds entre les trois fonctions publiques est une bonne chose, mais il faudra aussi adapter les politiques en fonction des bassins d'emplois ; à cet égard, la territorialisation de la gestion du fonds doit être saluée.

Enfin, des amendements de modification ont été déposés sur le titre V, relatif aux compétences professionnelles, afin de rendre le dispositif plus offensif. Les dispositions actuelles du texte seront rassemblées dans un article unique et un nouvel article proposera le lancement d'un « plan métier » destiné à réfléchir à l'élaboration d'une véritable filière des professions du handicap. Aujourd'hui, il existe de gros manques, tant pour les formations que pour les effectifs professionnels, dans de nombreux métiers liés au handicap et notamment pour ce qui concerne l'accueil et l'accompagnement des personnes handicapées dans les établissements spécialisés. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a approuvé ces dispositions, qui devraient contribuer à ce que le handicap soit, dans notre pays, considéré comme un moteur de développement de l'emploi.

Le président Jean-Michel Dubernard, après avoir remercié la ministre pour les explications données, a considéré qu'il est légitime que, reprenant un projet de loi en cours de navette, elle souhaite y apporter certaines modifications, d'ailleurs plus de forme que de fond. Il reste que ces changements on surpris les députés, ce qui peut expliquer les difficultés rencontrées en séance publique.

M. Daniel Paul a tout d'abord regretté que l'audition de la ministre n'ait pas eu lieu plus tôt, ce qui aurait permis d'éviter une grande perte de temps en séance publique. Si ses explications sont bienvenues et permettent de mieux cerner les intentions du gouvernement, elle ne sont cependant pas plus convaincantes.

En ce qui concerne la prestation de compensation, le principe du plafonnement en fonction des ressources demeure inacceptable. On peut très bien entendre qu'il existe des différences entre les handicaps et que cela peut avoir des effets sur le « reste à charge », mais il ne doit pas s'agir d'une prestation liée aux revenus. Après tout, les allocations familiales ne sont pas non plus liées aux revenus du ménage et cela est juste car il ne s'agit pas d'un droit des parents, mais bien d'un droit des enfants. Ce doit être la même chose pour la prestation de compensation, qui n'est pas un droit lié à la personne mais un droit lié au handicap.

Les dispositions sur l'AAH ne sont pas plus satisfaisantes. Si le groupe communiste propose un alignement sur le SMIC, c'est pour signifier que la prestation actuelle ne permet tout simplement pas de vivre. Certains départements, comme le Calvados, proposent aux personnes les plus lourdement handicapées les prestations dont elles ont besoin sans limite. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire partout ?

Enfin, un amendement du gouvernement semble vouloir supprimer le droit au retour vers les CAT pour les travailleurs de ces établissements ayant fait un essai d'emploi dans le secteur de droit commun, au prétexte que le droit du travail l'interdirait. La personne devra donc être licenciée, ce qui constitue une indéniable régression.

Mme Muriel Marland-Militello a souhaité savoir si l'octroi de l'allocation de compensation aux personnes polyhandicapées serait soumis à conditions de ressources. Elle a ensuite considéré que l'affirmation du droit à la scolarisation dans l'école la plus proche pour tout enfant handicapé demeurera un affichage si on ne donne pas à l'éducation nationale les moyens humains et financiers d'assurer les accompagnements et les aménagements nécessaires.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a estimé que les modifications proposées par le gouvernement touchent réellement au fond du projet de loi, sans pour autant apporter de réponses à certaines questions importantes et encore en suspens comme la définition de l'autorité responsable de la gestion du droit à compensation - conseils généraux ou caisses de sécurité sociale ? - ou encore du droit à compensation reconnu aux personnes vivant en établissement.

Mme Hélène Mignon a reconnu que ce sont des problèmes de forme qui ont empêché le débat de fond de se dérouler dans de bonnes conditions en séance publique. C'est donc une bonne chose que la ministre soit venue s'expliquer devant la commission.

M. Yvan Lachaud a formulé trois observations :

- La référence constante à la position des associations nationale finit par devenir gênante. Leur rôle et leur importance ne sont pas en cause mais il arrive un moment où le gouvernement et le Parlement doivent prendre leurs responsabilités et décider souverainement.

- L'affirmation du droit à la scolarisation dans l'école la plus proche pour tout enfant handicapé est une réelle avancée mais demeurera effectivement lettre morte si l'éducation nationale n'a pas les moyens de suivre.

- Que ce soit à l'école ou dans l'entreprise, le texte doit avant tout permettre une grande souplesse pour suivre l'évolution des situations. Il ne faut pas oublier que l'on s'adresse à des personnes handicapées, qui ont des difficultés particulières d'adaptation. Un retour vers les secteurs de l'enseignement ou de l'emploi spécialisés doit donc toujours être possible.

Après avoir remercié Mme Marie-Anne Montchamp pour la façon dont le début a pu être engagé avec la représentation nationale, en estimant que les « péripéties » intervenues en séance publique sont davantage imputables à des dysfonctionnements administratifs qu'à la volonté de la secrétaire d'Etat, M. René Couanau a formulé les observations suivantes :

- S'il est apparu important que les dispositions du projet de loi visent le handicap et non la personne - et, en conséquence, que les conditions d'âge limitant le droit à la prestation de compensation soient supprimées,- il faut également reconnaître la nécessité de faire preuve de prudence en la matière, en raison notamment de l'absence d'évaluation précise des moyens disponibles et des futures dépenses de compensation. C'est d'ailleurs pourquoi il aurait sans doute été préférable d'adopter une démarche plus progressive, en prenant en compte les conclusions des rapports qui doivent être prochainement remis à l'Assemblée nationale sur ce sujet. En tout état de cause, on peut donc se réjouir qu'un amendement portant article additionnel après l'article 47 du projet de loi permette de régler dans le temps ce problème.

- Il est également positif que les revenus d'activité soient, selon les nouveaux amendements du gouvernement, totalement exclus des ressources retenues pour le calcul de la prestation de compensation. Demeure néanmoins le problème du « reste à charge », qui peut s'analyser comme une restriction, et ce d'autant plus que la prestation de compensation peut être forfaitaire. Par exemple, si une personne dispose de 10 000 euros de revenu net annuel, sa prestation de compensation 5 000 euros sera amputée de 1 000 euros.

La ministre a précisé que ce reste à charge constitue une possibilité ouverte par le projet de loi et n'est pas obligatoire.

Tout en se réjouissant à nouveau des avancées intervenues, M. René Couanau a considéré que les différences de points de vue expliquent les divergences existantes : la ministre raisonne au regard d'une enveloppe, tandis que la commission s'est d'abord prononcée au regard de principes.

Enfin, s'agissant d'un tout autre sujet, l'école, les dispositions concernant l'obligation de scolarisation des enfants handicapés dans l'école la plus proche risquent de se heurter à de nombreuses difficultés d'application, en particulier pour les maires.

Le président Jean-Michel Dubernard a jugé important que ces questions aient pu être posées à la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, en précisant que des éléments de réponse pourraient également être apportés lors du débat en séance publique.

En réponse aux intervenants, la ministre a apporté les précisions suivantes :

- S'agissant de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de l'allocation d'éducation spéciale (AES) et de la période d'essai, le projet de loi ne peut qu'inscrire le principe d'une réforme à venir de la législation actuelle, dans la mesure où ces dispositions n'ont pas leur place dans ce texte. Ainsi, l'aménagement spécifique de la période d'essai dans le milieu d'accueil, afin de permettre le retour, doit-il faire l'objet d'une réforme du droit du travail ; qui peut dire aujourd'hui qu'une personne sortie d'un CAT sera nécessairement en mesure de poursuivre la fin de son parcours en milieu ordinaire ? C'est pourquoi le projet de loi constitue, pour ces trois points, un « axe réformateur en aval ».

- En ce qui concerne l'hébergement des personnes handicapées dans des établissements, le droit à compensation s'appliquera quelle que soit la situation de l'intéressé : soit le droit à compensation intègre le coût de l'hébergement pour la personne, soit la personne n'a pas de droit à compensation dans le cadre de cet hébergement mais pourra disposer d'une aide technique au titre de la compensation.

- Concernant les dispositions prévues par le projet en matière d'éducation, il est prévu une inscription administrative obligatoire, qui ouvre ensuite la voie à une orientation, afin précisément d'éviter des difficultés dans la mise en œuvre des ces dispositions. Comme l'a souligné à juste titre M. Yvan Lachaud, la scolarisation des enfants handicapés est en tout cas essentielle pour permettre aux enfants de porter un autre regard sur le handicap.

- Enfin, s'il peut paraître légitime de lever la barrière entre le handicap et le droit à compensation, en supprimant les conditions de ressources, des raisons liées à la situation des finances publiques doivent également être prises en compte.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié la ministre pour ces précisions, ainsi que M. Daniel Paul et Mme Hélène Mignon d'avoir suggéré l'organisation de cette réunion.

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