COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 septembre 2005
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour relatif à l'application des lois de financement de la sécurité sociale


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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour relatif à l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité la bienvenue à M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, ainsi qu'à M. Bernard Cieutat, président de la sixième chambre, et à M. Michel Braunstein, conseiller maître, rapporteur général, pour ce huitième rendez-vous entre la Cour et la commission sur le thème de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Le rapport de la Cour constitue la première étape dans la course contre la montre que constitue la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale : cette année, une semaine seulement séparera l'adoption du projet en conseil des ministres de son examen en commission. Les travaux de la Cour, fruit d'une année de travail continu, seront cette année d'autant plus précieux pour les membres de la commission que la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale accroît les prérogatives des parlementaires.

La coopération entre la Cour et la commission s'est par ailleurs renforcée grâce à la création de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), constituée au sein de la commission et coprésidée par MM. Pierre Morange et Jean-Marie Le Guen. Le premier thème retenu, l'organisation et les coûts de gestion des branches de la sécurité sociale, a donné lieu à une fructueuse coopération entre les députés et les membres de la Cour des comptes, particulièrement avec le rapporteur général M. Michel Braunstein, coopération dont la commission souhaite qu'elle se prolonge.

M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, a souligné que la sécurité sociale a été, ces derniers mois, au cœur des préoccupations de l'Assemblée nationale. La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a été mise en place et va bientôt rendre un premier rapport très attendu sur la gestion des organismes de sécurité sociale, thème que la Cour avait abordé dans son rapport de septembre 2004. En outre, l'Assemblée a longuement débattu de la réforme de la loi organique, promulguée le 2 août 2005, et qui a donné lieu à un dialogue fructueux, dont on ne peut que se féliciter, entre le Parlement et la Cour. Celle-ci présente aujourd'hui à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales son rapport 2005 sur la sécurité sociale.

Les comptes du régime général ont déjà été publiés par la Commission des comptes de la sécurité sociale au printemps 2005. Le déficit courant atteint en 2004 est le plus élevé jamais constaté dans l'histoire de la sécurité sociale : 13,2 milliards d'euros de déficit global, dont 12,3 milliards pour la branche maladie. Ces chiffres peuvent surprendre, car ils sont plus élevés que ceux mentionnés tant par le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale que par les nombreux articles de presse qui s'en sont fait l'écho : respectivement 11,9 et 11,6 milliards. Cette divergence résulte du fait que, comme l'an dernier, la Cour distingue le résultat courant du résultat net, afin d'isoler l'impact du versement exceptionnel de 1,1 milliard fait par la CADES au régime général. Ce versement, qui solde les dettes du FOREC et qui vient réduire l'ampleur du déficit de l'année, ne concerne que les comptes des années 2003 et 2004.

Sur cette base, et pour la première fois depuis longtemps, toutes les branches du régime général sont déficitaires, y compris la branche famille et la branche retraite qui étaient encore excédentaires en 2003. Le ralentissement de la croissance qui affecte les recettes n'explique qu'en partie cette dégradation. Il ne doit pas masquer le fait que celle-ci résulte aussi des décisions prises par les pouvoirs publics. Ainsi, pour la branche famille, les mesures en faveur de la petite enfance ont fortement pesé sur l'évolution des dépenses.

De même, en ce qui concerne la branche retraite du régime général, la possibilité ouverte à certains retraités de faire valoir leurs droits avant 60 ans explique la forte croissance en volume des dépenses. Concernant toujours la branche retraite, le rapport développe deux points qui peuvent, au premier abord, apparaître techniques, mais qui posent des questions de fond, de nature à interpeller aussi bien le Gouvernement que le Parlement, en raison de l'extrême sensibilité des sujets traités.

Le chapitre relatif aux retraites du monde agricole montre que la situation faite aux salariés agricoles n'est pas satisfaisante et que les modalités retenues pour financer les retraites des exploitants agricoles posent problème : en effet, seuls 17 % des charges du fonds de financement des prestations sociales agricoles résultent des cotisations des agriculteurs. Certes, il n'est pas question de remettre en cause la solidarité nationale qui s'exprime en faveur de cette catégorie professionnelle : celle-ci est assurée normalement par la compensation démographique - qui apporte 38 % des ressources -, mais également par une subvention de l'Etat - qui assure 39 % du financement. Mais précisément, l'importance même de ce soutien financier doit conduire à une parité d'effort contributif avec les cotisants des autres régimes, ce qui n'est pas encore le cas. En outre, il y a lieu de lutter contre l'évasion sociale due au fait que de plus en plus d'agriculteurs imposés au réel choisissent de transformer leurs exploitations en sociétés, ce qui leur permet d'être exonérés d'une partie de leurs cotisations sociales.

Le second chapitre, relatif aux retraites, concerne l'avantage social vieillesse de cinq professions de santé conventionnées : médecins, dentistes, directeurs de laboratoires d'analyse, sages-femmes, auxiliaires médicaux. Il s'agit de régimes de retraite complémentaire financés aux deux tiers par l'assurance maladie. Le constat fait est alarmant, puisque ces régimes sont en situation de banqueroute virtuelle. Ils sont ou seront prochainement en déficit et leurs réserves sont faibles. La Cour n'estime ni opportun ni justifié que cette situation soit prise en charge par l'assurance maladie, c'est-à-dire par les cotisants des autres régimes. Il y aura donc lieu de procéder rapidement à des réformes drastiques dans ce secteur, ce qui exigera des professions de santé des efforts financiers accrus. A cet égard, il faut rappeler que ces régimes ont connu, jusqu'à une date récente, des taux de rendement exorbitants et que l'effort consenti par l'assurance maladie pour la prise en charge partielle des cotisations s'élève à près de 2 milliards d'euros pour la retraite, la protection maladie et les prestations familiales des professionnels de santé.

La situation de la branche retraite et du régime des exploitants agricoles est d'autant plus préoccupante que les fonds qui concourent à leur financement sont eux-mêmes déficitaires. L'Etat n'a pas assuré comme il aurait dû le faire l'équilibre du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) à la fin de 2004, choisissant de transférer le déficit constaté au Fonds de financement des prestations sociales des non salariés agricoles (FFIPSA) qui le remplace à compter du 1er janvier 2005. De même, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui prend en charge des prestations non contributives, a terminé l'année 2004 sur un nouveau déficit qui s'ajoute à ceux des années précédentes. Fin 2004, le déficit cumulé de ces deux fonds était de 4,7 milliards ; il sera de près de 9 milliards fin 2005. Il n'était que de 1,1 milliard en 2003 et a donc été multiplié par huit en deux ans.

Les causes de ces dérapages sont bien identifiées. S'agissant du BAPSA, son déficit résulte non seulement de la croissance, plus rapide que prévue, des dépenses maladie, mais aussi d'une surestimation des recettes de tabac qui lui sont affectées. A ce déficit d'origine structurelle s'est ajoutée l'absence de financement de la mensualisation des retraites des agriculteurs.

Pour le FSV, le déficit cumulé résulte également d'un décalage, aggravé ces dernières années, entre des dépenses en hausse, liées notamment au poids accru des cotisations vieillesse des chômeurs, et des recettes en baisse. Il faut avoir conscience du caractère désormais structurel de cette situation. En effet, les charges du FSV seront peu sensibles au retour de la croissance : une diminution de 300 000 chômeurs n'entraînerait qu'une économie de 600 millions d'euros. Par ailleurs, dans les années qui viennent, une part importante des ressources actuellement apportées par la contribution sociale de solidarité, soit près d'un milliard d'euros, n'alimentera plus le FSV mais sera utilisée pour combler le déficit du régime des professions indépendantes. Dès lors, le déficit du FSV - 1,7 milliard en 2004, 3,8 milliards en 2005, soit près du quart du montant total du Fonds - est appelé à croître encore, et exige des solutions à la mesure du problème. A en juger par le contenu de la réponse officielle du ministère des finances qui est publiée à la fin du rapport de la Cour, on n'en prend visiblement pas le chemin : le ministère traite le problème en l'ignorant. Dans ces conditions, on peut légitimement s'interroger sur le maintien même du FSV, qui ne remplit plus que partiellement sa mission, et ne sert qu'à masquer, en droits constatés, le déficit de la branche vieillesse du régime général. C'est pourquoi la Cour demande que les comptes du FSV soient consolidés avec ceux des régimes de retraite dans les tableaux d'équilibre de la branche retraite.

Mais l'essentiel du déficit des régimes de sécurité sociale provient de la branche maladie. Pour le seul régime général, le déficit atteint 12,3 milliards, soit 0,5 milliard de plus qu'en 2003. Dans le contexte de faible taux de croissance potentielle de l'économie française, l'objectif de retour à l'équilibre prévu pour 2007 dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie votée d'août 2004 sera difficile à atteindre.

La Commission des comptes de la sécurité sociale de juin 2005 a prévu pour 2005 un déficit global voisin de 10,6 milliards, la réduction importante du déficit de la branche maladie - qui passerait de 12,2  à 8,3 milliards - étant en partie compensée par l'aggravation des déficits des autres branches. Le déficit cumulé de toutes les branches du régime général et des deux fonds évoqués ci-dessus permet d'affirmer que le système français de protection sociale n'est aujourd'hui plus totalement financé, et que les générations actuelles risquent de laisser à celles qui suivent un lourd passif à apurer. Cette question a d'ailleurs conduit le Parlement, lors de la discussion de la nouvelle loi organique, à introduire un article - l'article 20 - qui contraint le Gouvernement à allouer à la CADES des ressources supplémentaires en cas de nouveaux transferts de déficits de l'assurance maladie. La décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet dernier a renforcé cette disposition en l'élevant au rang organique.

En second lieu, l'examen des mécanismes de régulation des dépenses de santé auquel a procédé la Cour l'a conduite à recommander des actions plus vigoureuses et mieux ciblées en matière d'assurance maladie.

La Cour est très sensible à l'attention que le Parlement a portée aux recommandations relatives à l'ONDAM qu'elle a formulées dans ses rapports annuels, et apprécie très positivement les dispositions de la loi organique qui conduisent à une détermination plus réaliste et plus précise des objectifs de dépenses. Encore faudra-il que les sous-objectifs prévus à cet effet recouvrent la totalité des dépenses concernées. Or c'est loin d'être le cas, comme la Cour l'a mis en évidence en démontrant le caractère très partiel de certaines lignes de l'ONDAM, en particulier celle des personnes âgées, mais aussi celle des cliniques privées et des établissements sanitaires publics. Au total, les imputations inexactes recensées représentent actuellement près de 14,5 milliards d'euros, soit 11 % du montant total des dépenses, ce qui est de nature à fausser les décisions. En effet, il est très difficile de réguler les dépenses d'un secteur de la santé si toutes les dépenses afférentes ne sont pas identifiées dans une même enveloppe.

De même, la Cour a mis en évidence les dérives financières constatées pour les cliniques privées ces dernières années, dans un contexte il est vrai de report d'activité en provenance du secteur public, handicapé par la mise en place des 35 heures. Cette situation doit nous rendre particulièrement attentifs à la mise en place de la tarification à l'activité, dont la MECSS a inscrit l'étude à son programme pour 2006. Cette nouvelle tarification, qui est entrée concrètement dans les faits cette année pour l'ensemble des établissements de santé, débouche en effet sur un système de régulation entre les prix et les volumes d'activité similaire à celui des cliniques privées. Il y aura donc lieu d'être particulièrement attentif à la mise en place de la tarification à l'activité, faute de quoi de graves dérapages risquent d'être constatés.

La Cour a examiné d'autres postes de dépenses - biologie et radiologie - qui présentent une forte croissance. Elle a mis en évidence nombre de blocages institutionnels et réglementaires, qui empêchent de fait la mise en œuvre d'économies d'échelle, pourtant potentiellement très importantes, dans ces secteurs. Pour prendre un seul exemple, une réglementation obsolète et tatillonne empêche tout mouvement de regroupement des laboratoires d'analyse médicale, ce qui conduit notamment à un paysage très éclaté : plus de 4 200 laboratoires régis par sept modes juridiques différents, tandis qu'en Allemagne, le nombre de laboratoires est dix fois moins important.

Enfin, la Cour a consacré une place importante du présent rapport à l'examen des actions menées pour infléchir les comportements des professionnels de santé et des assurés sociaux. Cette politique est fondamentale car la réduction d'une part importante du déficit de l'assurance maladie pourrait être obtenue en modifiant les comportements tant de prescription que de recours aux soins, et c'est à juste titre qu'elle occupe une place centrale dans la réforme de l'assurance maladie votée l'an dernier.

L'ensemble des dispositions mises en place ces dernières années ont fait l'objet d'une analyse approfondie : information des assurés et des professions, contrôle des fraudes et abus, mesures de régulation financière et incitations conventionnelles. A l'exception notable de la campagne visant à réduire l'usage des antibiotiques, toutes les actions de régulation mises en œuvre ont largement échoué. Cela est particulièrement flagrant pour les actions qui se sont appuyées sur un mécanisme d'incitation financière à travers l'octroi d'avantages de rémunérations, qui n'ont d'ailleurs pas empêché les professionnels de santé de se mobiliser pour obtenir des augmentations générales d'honoraires. Celles-ci se sont traduites, selon les travaux de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), par une progression du pouvoir d'achat, entre 1993 et 2003, de 1,3 % en moyenne par an pour les généralistes et de 1,9 % par an pour les spécialistes. De telles évolutions tranchent fortement avec la situation de l'ensemble des salariés du secteur privé et de secteur public durant la même période.

Devant cet échec des mécanismes d'incitation financière, la Cour a indiqué des pistes susceptibles de favoriser l'indispensable maîtrise des dépenses. Celle-ci suppose une action forte visant à décloisonner les diverses professions de santé. Elle passe aussi par une réflexion sur une rénovation possible, et en tout cas souhaitable, des modalités de rémunération des professions de santé. Le paiement à l'acte ne paraît aujourd'hui plus justifié pour toutes les pathologies et tous les modes de prise en charge médicale.

La Cour est consciente que l'échec des dispositifs de maîtrise mis en œuvre s'explique en partie par un système d'information longtemps déficient, qui empêchait de cibler les bonnes mesures et d'apprécier l'impact des réformes. Elle a d'ailleurs constaté que la connaissance fine des comportements des professionnels de santé et des assurés sociaux a beaucoup progressé ces toutes dernières années, grâce notamment à une rénovation importante du système d'information de l'assurance maladie. L'existence d'outils plus performants et les dispositions relatives à la gouvernance de l'assurance maladie contenues dans la loi du 13 août 2004 permettent de prendre des mesures de maîtrise plus efficaces, pour peu qu'il y ait la volonté de rechercher le respect des engagements conventionnels pris par les professions de santé. En effet, le bilan établi par la Cour montre que, dans les faits, les engagements pris par ces professions n'ont quasiment jamais été tenus.

Ce constat doit être bien présent à l'esprit des pouvoirs publics et des responsables de l'assurance maladie : les mesures nouvelles prévues par la loi du 13 août étant d'une inspiration identique à celles mises en œuvre ces dernières années, le risque existe qu'elles conduisent aux mêmes échecs.

Enfin, la loi organique du 2 août 2005 ouvre la voie à une plus grande transparence des comptes. La Cour est déjà chargée, en vertu de la loi organique d'août 2001, d'apprécier en 2007 la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'Etat pour 2006. Il en est désormais de même pour les comptes du régime général, et ce également à partir de 2007 pour les comptes 2006.

La Cour avait anticipé sur la décision du Parlement, en décidant de consacrer la troisième partie de son rapport à l'état des comptes de la sécurité sociale et aux conditions à réunir pour que les comptes soient en état d'être certifiés. La Cour a donc fait un bilan des progrès réalisés au cours de ces dernières années à partir de la mise en place, en 1996, de la comptabilité en droits constatés. A cet égard, la sécurité sociale a joué un rôle pionnier, puisque les comptes de l'Etat sont encore en encaissement-décaissement et ne seront en droits constatés qu'à partir de l'exercice 2006, premier exercice certifié. Sans entrer dans la technique, la comptabilité en droits constatés a l'avantage sur la comptabilité de caisse de retracer beaucoup plus fidèlement, sur une période donnée, la variation du patrimoine et le résultat de l'activité. De ce point de vue, la sécurité sociale est donc en avance sur l'Etat.

Les comptes de la sécurité sociale ont été jugés d'une qualité suffisante pour envisager de les soumettre à la certification. Cependant, des progrès restent à faire, ainsi que le montre le rapport de la Cour.

La Cour a aussi examiné les modalités de certification. Celles-ci nécessitent de répondre à un certain nombre de questions préalables sur le mode de consolidation, la définition du périmètre des opérations de chaque régime ou branche, le renforcement des systèmes de contrôle interne applicables aux procédures comptables. A cet égard, la mission de validation des comptes des caisses locales confiée par le Parlement aux caisses nationales, et inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, a été une étape essentielle dans le processus de certification des comptes. Si d'importants travaux, notamment pour disposer de bilans certifiables, restent nécessaires, les objectifs de la nouvelle loi organique sont aujourd'hui partagés par tous.

La Cour a également eu le souci d'examiner la place des travaux de la Commission des comptes de la sécurité sociale dans le cadre des nouvelles dispositions législatives. La mission de certification des comptes confiée à la Cour rend sans doute moins pertinente l'existence d'une structure distincte de publication et de commentaire des comptes. Il conviendra donc, une fois réglée, naturellement, la question de l'accès des partenaires sociaux aux données chiffrées, de s'interroger dans les années qui viennent sur l'intérêt de maintenir la Commission des comptes de la sécurité sociale. C'est du moins une piste que la Cour, par la voix de son Premier président, invite le Parlement à défricher.

S'agissant, pour conclure, des conséquences de la loi organique pour la Cour, tant la préparation que la réalisation des missions de certification supposent qu'elle puisse disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission. C'est un point qui sera abordé au cours des prochains mois, et pour lequel la Cour ne manquera pas de solliciter le soutien du Parlement.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le Premier président de la Cour des comptes pour sa présentation objective et implacable, des plus utiles à l'heure où Parlement et Gouvernement réfléchissent au réalisme des objectifs qu'ils se sont fixés. Il lui a demandé comment la Cour, compte tenu de la réforme des dispositions organiques régissant l'examen des lois de financement de la sécurité sociale, se prépare à ses nouvelles missions, en particulier celles de la certification des comptes sociaux et de la production d'un avis sur la cohérence des tableaux d'équilibre par branche du dernier exercice clos. Il a également souhaité que soit rappelé le programme d'investigations de la Cour pour les années 2005, 2006 et 2007, et s'est interrogé sur le suivi des recommandations formulées par elle depuis huit ans : en a-t-il été tenu compte, par exemple, dans les deux nouvelles conventions d'objectifs et de gestion conclues en 2005 avec la branche vieillesse et la branche famille ?

M. Philippe Séguin a précisé que les nouvelles missions confiées à la Cour supposent réunies deux séries de conditions. La première lui est extérieure : il s'agit des diverses mesures juridiques, techniques, organisationnelles indispensables à la production de comptes certifiables à la date voulue. En revanche, il appartient bien à la Cour elle-même de se donner l'organisation appropriée pour être en mesure de remplir ses nouvelles missions, comme elle l'a déjà pour la certification des comptes de l'Etat. Elle a commencé de le faire au sein de sa sixième chambre, mais encore faudra-t-il qu'elle dispose, en 2006, de moyens significativement accrus (crédits d'expertise, emplois supplémentaires,...) s'ajoutant à ceux qui lui ont été consentis pour la certification des comptes de l'Etat. Elle rendra compte de ces mesures dans son rapport 2006. La production d'un avis sur la cohérence des tableaux d'équilibre par branche appellera des travaux spécifiques dans le cadre de la préparation du rapport annuel sur la sécurité sociale, dans lequel cet avis, aux termes de la loi organique du 2 août 2005, sera inclus.

Le programme d'investigations de la Cour des comptes pour 2005, 2006 et 2007 découle d'abord du contenu qui sera retenu par le rapport sur la sécurité sociale, lequel absorbe, bon an mal an, quelques 40 % du potentiel de travail de la chambre concernée. Le champ d'investigations pour 2006 n'est pas encore arrêté, mais la commission des affaires culturelles, familiales et sociales le connaît en partie, puisqu'il a été quasiment finalisé à l'occasion de l'établissement du programme de la MECSS pour 2006. Conformément aux engagements pris, ses membres seront destinataires du rapport d'avril 2006 sur la tarification à l'activité, et pourront travailler à l'automne suivant sur l'action sociale. La Cour consacrera également des développements importants à la politique familiale et aux hôpitaux, qui figureront en bonne place dans le rapport 2007. C'est également dans le cadre du rapport 2007 que seront certifiés pour la première fois, en vertu de la loi organique du 2 août 2005, les comptes de la sécurité sociale, cette certification faisant par ailleurs l'objet d'un rapport particulier avant le 30 juin.

La question du suivi des observations régulières de la Cour relatives aux conventions d'objectifs et de gestion met en jeu une problématique bien connue, mais dont le traitement a varié au cours des dernières années. Si, jusqu'en 2001, le rapport de la Cour s'ouvrait sur un chapitre relatif au suivi de ses recommandations, ce n'est plus le cas depuis 2002, car, à l'initiative du législateur, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 prévoit qu'un rapport est demandé au Gouvernement sur les suites données auxdites recommandations. Pour autant que l'on puisse en juger, ces rapports, rédigés par la direction de la sécurité sociale, sont précis, de bonne qualité, sans langue de bois, et il en ressort généralement que les administrations et services concernés ne sont pas restés inertes. On observera toutefois qu'un tel dispositif n'existe pas pour les autres travaux de la Cour des comptes, et c'est pourquoi son Premier président a souhaité organiser un suivi plus systématique de ses recommandations ; il a été ainsi décidé qu'une partie des prochains rapports publics de la Cour serait consacrée aux suites réservées à ses précédentes interventions. L'objectif recherché est de répondre à la question lancinante que peut se poser le citoyen : « tout cela est bel et bon, mais à quoi cela sert-il ? »

S'agissant plus précisément des deux conventions d'objectifs et de moyens récemment conclues, et sous réserve d'un examen plus détaillé, il apparaît que l'enveloppe budgétaire dévolue à la branche vieillesse se fonde sur la moyenne des budgets exécutés au cours de la COG précédente, ce qui est un progrès ; il n'en a pas été de même, et c'est dommage, pour celle de la branche famille. La Cour avait émis d'autres recommandations, notamment en matière de productivité, mais ne souhaite pas anticiper, pour ce qui est des suites qui leur ont été données, sur les constatations de la MECSS.

M. Jacques Domergue, rapporteur pour l'assurance maladie et les accidents du travail, a relevé que le Premier président de la Cour des comptes, tout en considérant que les aspects de la réforme de l'assurance maladie visant à modifier les comportements vont dans le bon sens, juge peu probable qu'il en résulte une amélioration des comptes suffisante pour espérer un retour à l'équilibre en 2007. Dans ces conditions, ne faudra-t-il pas passer de mesures incitatives à d'autres qui seraient plus drastiques, comme en Allemagne, voire franchement coercitives ?

M. Philippe Séguin a répondu que l'estimation à 3,8 milliards d'euros de la réduction du déficit de l'assurance maladie émane de la Commission des comptes de la sécurité sociale, la Cour ne s'étant pas hasardée, pour sa part, à faire des prévisions. Pour autant, ce qui est le plus inquiétant n'est pas le montant de ce déficit en 2005 - à ceci près qu'une partie de son éventuelle réduction risque fort d'être rognée par l'aggravation de celui des trois autres branches -, mais son évolution à l'horizon 2007 et au-delà. Or on peut douter du caractère durable d'un éventuel retour à l'équilibre, compte tenu du taux moyen de croissance de l'économie depuis dix ans, d'une part, et de la fragilité à moyen et long terme des changements de comportements, d'autre part. C'est pourquoi il convient de procéder sans attendre à certaines remises en cause, comme dans le domaine du médicament - sur lequel le Gouvernement vient d'ailleurs de reprendre l'initiative -, mais aussi dans celui du mode de paiement : est-il bien nécessaire de maintenir le principe du paiement à l'acte pour chaque consultation ou visite, par exemple dans le cas d'un patient atteint d'une affection de longue durée ? Ce sont des questions que l'on ne peut pas éluder, et il n'est plus temps d'attendre les résultats de chaque étape pour passer à la suivante : la réforme doit être permanente.

M. Bernard Cieutat, président de la sixième chambre, a souligné que les praticiens français pratiquent, par rapport à leurs confrères européens, une certaine surprescription : pour certaines pathologies, un médecin français prescrit 2,5 fois plus de médicaments qu'un médecin allemand. En France même, une étude comparative de la CNAM sur la consommation médicale par canton a fait apparaître des différences très importantes, que l'on pourrait résorber par une meilleure information des médecins.

Le président Jean-Michel Dubernard a insisté sur l'importance, à cet égard, de la formation médicale continue des praticiens.

Mme Cécile Gallez, rapporteur pour l'assurance vieillesse, s'est dite inquiète pour l'avenir des régimes d'assurance vieillesse des professions de santé. Les cotisations ont augmenté de façon importante, tandis que les droits acquis ont baissé.

M. Michel Braunstein, conseiller maître, rapporteur général, a exposé que l'état de banqueroute virtuelle dans lequel se trouvent les cinq régimes cités par le Premier président a trois causes principales. La première est le choix de taux de rendement exorbitants, atteignant 50 %, voire 60 %. Ce choix a bénéficié, indéniablement, aux praticiens partis à la retraite depuis lors. La deuxième est que l'on a trop tardé, inversement, à relever les cotisations. Enfin, la structure démographique de ces professions fait qu'il y a de plus en plus d'allocataires par cotisant, à telle enseigne que la compensation démographique, qui bénéficiait naguère au seul régime des sages-femmes, s'applique maintenant à toutes les professions médicales. Si rien n'est entrepris, ces régimes seront en faillite d'ici deux ans.

Le président Jean-Michel Dubernard a insisté pour que l'on informe les professions concernées de cette situation, car les intéressés ont justement l'impression que le taux de rendement est faible.

M. Michel Braunstein a souligné que les cotisations des membres de ces professions sont partiellement prises en charge par l'assurance-maladie, pour un montant total avoisinant les 2 milliards d'euros, à la suite des diverses conventions conclues avec ces professions. Qui plus est, la disposition législative qui plafonnait aux deux tiers des cotisations la participation de l'assurance maladie a été supprimée, si bien qu'il n'y a plus aucune limite, et qu'il y a donc un vrai risque que celle-ci soit mise encore davantage à contribution.

M. Pierre-Louis Fagniez s'est enquis des mesures de prévention prises contre la grippe aviaire, qui a déjà contaminé 120 personnes en Extrême-Orient, dont 60 sont mortes. Il ne s'agit même plus de faire jouer le principe de précaution, car le risque n'est pas virtuel, mais bien réel, et prévisible. Une épidémie de grippe aviaire serait sans doute la plus grave catastrophe sanitaire en France depuis la grippe espagnole de 1918. La Cour peut-elle, comme elle l'a fait pour le bioterrorisme, conseiller les pouvoirs publics quant au financement de la prévention de ce fléau ?

M. Bernard Cieutat a répondu que la Cour des comptes n'a pas spécifiquement étudié la question de la prévention de la grippe aviaire. Elle consacre des études aux politiques de santé publique en général. Son dernier rapport public général comporte une insertion sur la Direction générale de la santé et ses moyens, dont elle a pu constater que leur montant et leur répartition - moins claire que dans d'autres directions du ministère de la Santé, comme la direction générale de la sécurité sociale - ne lui permettent pas de remplir toutes ses missions. Aussi le nouveau directeur général de la santé a-t-il pris contact avec la Cour dans le mois qui a suivi sa nomination, et tenu plusieurs réunions de travail avec elle.

Par ailleurs, la Cour mène des enquêtes sur les agences sanitaires, notamment l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, suite à l'intérêt manifesté par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, ainsi que par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a publié voici un ou deux ans un rapport sur les actions de prévention. Après des enquêtes sur la prévention de l'alcoolisme et du tabagisme, la Cour se penche sur celle des maladies sexuellement transmissibles et du cancer, et abordera le moment venu celle des grandes épidémies.

M. Jean-Luc Préel a remercié le Premier président pour son discours sans concessions, tout en regrettant de ne pas avoir eu connaissance plus tôt du rapport dans son entier, ce qui lui aurait permis d'écouter sa présentation d'une oreille plus avertie et de poser des questions plus précises. Pour sa part, il en a retenu quelques idées-choc : la protection sociale n'est plus financée, et Bercy traite les problèmes en les ignorant... Les recettes manquent, du fait de la croissance en panne, mais aussi du comportement de l'Etat lui-même, qui s'abstient de compenser certaines exonérations (la dernière en date étant celle des nouveaux contrats aidés) et qui n'a pas versé de subvention au régime agricole en 2005.

Comment, dans ces conditions, s'en sortir ? Les propositions émises par le Premier président sont intéressantes, mais d'application difficile. Il est vrai que les agriculteurs ne financent leur protection sociale qu'à hauteur de 17 %, mais est-il envisageable, compte tenu de la situation sociale des agriculteurs et de leur poids politique, de les mettre davantage à contribution ? Quant aux professions de santé, est-on en mesure de leur demander un effort supplémentaire pour éviter la banqueroute à leurs régimes de retraite, ou reviendra-t-il à l'Etat de fournir cet effort, en dépit de la notable différence de revenu entre ces praticiens et des salariés ordinaires ? Enfin, la modification des comportements se heurte, dans les hôpitaux, à la situation financière des établissements, d'autant plus inquiétante que les dépenses sont, à 70 %, des dépenses de personnel.

M. Philippe Séguin, soulignant qu'il s'exprimait à titre personnel, a jugé que le soixantième anniversaire de la sécurité sociale, qui sera célébré dans quelques semaines, fournit l'occasion de procéder à un rappel historique. La sécurité sociale a été organisée, en 1945, à partir de l'idée que la part du revenu consacré aux dépenses de santé resterait stable, numérateur et dénominateur croissant parallèlement. Or trois éléments sont venus bouleverser cet équilibre : le progrès médical, exponentiel et au coût, donc, exponentiellement croissant ; le vieillissement de la population, qui n'est pas sans effet sur la demande de soins et enfin l'ouverture de l'économie française à l'Europe et au monde, qui a pour conséquence une concurrence accrue avec des pays aux systèmes sociaux très différents. Si l'on ne peut que souhaiter que la France continue de concilier protection sociale généreuse et liberté du prescripteur comme du patient, on ne pourra toutefois manquer de se poser certaines questions fondamentales et notamment se demander si, davantage que de réformes, La France n'a pas besoin d'une révolution.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le Premier président de la Cour des comptes pour cet échange très enrichissant.

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Informations relatives à la commission

La commission a saisi l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) d'une étude sur le bon usage des médicaments psychotropes.


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